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La contagion de l’horreur

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 28 mars 2012 709

La contagion de l’horreur

Jour après jour, se décline sur nos écrans la guerre civile syrienne. En toile de fond, des crimes contre des soignants, «coupables»

d’avoir osé faire leur métier avec un courage hors normes ; des traitements inhumains et dégradants à l’encontre de malades, «coupa- bles» d’avoir osé demander des soins.1,2 Et une donnée compliquée à intégrer : Bashar El-Assad est lui-même médecin.

Si cette dernière touche change peu le re- gard que l’on peut porter sur ses actes, sans doute change-t-elle quelque chose. C’est un surcroît dans l’atrocité. Mais c’est aussi une occasion – terrible – d’examiner des choses inconfortables.

Car le fait est qu’il y eut régulièrement des médecins aux côtés des tortionnaires. Rien que pour les Etats-Unis dans la dernière dé- cennie, 60 000 pages recensent la partici- pation médicale à la «guerre contre la terreur», y compris aux «interrogations coercitives».3 Comment en arrive-t-on là ? Peu à peu. A titre d’exemple, l’histoire des médecins qui participent à la peine capitale.4 Elle com- mence généralement par un appel aux bons sentiments. «Venez vérifier que rien ne déra­

pe», dit-on «vous n’aurez rien d’autre à faire que surveiller». Puis une veine périphérique est introuvable, un gardien cherche une voie centrale… : effroi, passage de main, «ce sera plus facile la prochaine fois…». Brrr. Le glis- sement vers la torture serait semblable. La demande de vérifier l’inaptitude d’un détenu, la participation à l’élaboration d’un protocole

«plus humain», le doigt dans l’engrenage. Vient s’ajouter l’exhortation à la loyauté, la com- préhension de la menace.

Profondément inconfortable : les mécanis- mes à l’œuvre ici font partie de ce que nous devons combattre à tout prix, mais aussi de ce qui nous constitue. Nous jugeons volontiers notre comportement en regardant autour de nous. Plutôt mieux, plutôt pire ? Etre entouré par l’horreur c’est risquer de la commettre avec moins de scrupules. «Une fois que l’on autorise la torture de prisonniers pour une raison quelle qu’elle soit (…), le cancer se

propage. A la fin il se propage aussi aux soi- gnants, et les transforme en complices.»5 Il s’est trouvé jusqu’à des officiers de camps de concentration pour se considérer mora- lement bons après avoir corrigé leurs collè- gues sur… des choses dont je ne vous par- lerai pas par égard pour votre journée. Toute bonne conscience qu’ils en retiraient était bien sûr profondément usurpée.

La Syrie actuelle est un chapitre de cette sombre histoire. Une histoire qui tarde à être rattrapée par la justice. Les médecins con- damnés dans les 50 dernières années pour avoir participé à la torture ou à un génocide sont, au regard des événements concernés, peu nombreux.6 Il reste – comme dit le collè- gue qui les a recensés – du chemin à faire.7 Mais c’est peut-être un élément positif dans ce sombre tableau. La justice est ici en pro- grès. L’horreur peut être contagieuse, mais les obstacles que nous dressons contre elle aussi. Devant une victime, les témoins pei- nent à s’interposer. Mais qu’un seul le fasse, d’autres suivront.8 Nous nous comparons

aux autres. Tenir des procès. Et puis dire non, clairement, autant que possible sans attendre d’aller trop loin. Voilà qui est crucial.

Chez nous, l’Académie suisse des scien- ces médicales vient de publier un rapport in- titulé «Autorité de l’Etat et éthique médicale».9 C’est un tout autre registre, mais il y est question de renvois, de nutrition forcée, et d’engrenages à éviter. Vous devriez le lire...

1 Kiefer B. Où l’on torture même les blessés. Rev Med Suisse 2012;8:440.

2 Durieux-Paillard S. Syrie : la médecine comme arme de guerre. Rev Med Suisse 2012;8:544.

3 University of Minnesota Human Rights Library, United States Military Medicine in War on Terror Prisons.

www1.umn.edu/humanrts/OathBetrayed/index.html Accès le 19.3.2012.

4 Gawande A. Better : A surgeon’s notes on performan ce.

Metropolitan books. 2007.

5 Sullivan A. How doctors got into the torture business.

Time Magazine, 23 juin 2006.

6 Miles S. Database : Physicians who have been puni- shed for torture. www.ahc.umn.edu/bioethics/facstaff/

miles_s/

7 Miles S, Alencar T, Crock B. Punishing physicians who torture : A work in progress. Torture 2010;20:23-31.

8 Pinker S. The better angels of our nature. Viking adult, 2011.

9 www.samw.ch/fr/Actualites/News.html

carte blanche

Pr Samia Hurst Médecin et bioéthicienne Institut d’éthique biomédicale Faculté de médecine CMU, 1211 Genève 4 Samia.hurst@unige.ch

Dr Jekyll & Mr Hyde LDD

42_45.indd 4 26.03.12 11:00

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