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Promouvoir le don d'organes : l'efficacité à tout prix? : le point de vue juridique

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Academic year: 2022

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Promouvoir le don d'organes : l'efficacité à tout prix? : le point de vue juridique

MANAI-WEHRLI, Dominique

MANAI-WEHRLI, Dominique. Promouvoir le don d'organes : l'efficacité à tout prix? : le point de vue juridique. In: Flueckiger, Alexandre. Emouvoir et persuader pour promouvoir le don d'organes ? : l'efficacité entre éthique et droit . Genève : Schulthess, 2010. p. 215-219

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http://archive-ouverte.unige.ch/unige:14328

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Promouvoir le don d’organes : l’efficacité à tout prix ? Le point de vue juridique

Dominique Manaï

Professeure, Faculté de droit, Université de Genève

Le thème de ce colloque étant la promotion du don d’organes, les émotions, la persuasion et l’efficacité, il importe de nous interroger quelques instants sur ces termes.

Emouvoir, pour faire quoi ? Pour promouvoir et en fin de compte pour pouvoir disposer des organes d’autrui ? Qui dit émouvoir, dit combattre la ré- sistance pour affaiblir l’autonomie de la conscience. Or toute réflexion n’est-elle pas l’antidote à la logique des émotions, cette logique selon laquelle l’entende- ment et le libre arbitre seraient à contourner pour trouver une statégie efficace de persuasion ?

Et l’efficacité pour la juriste que je suis, c’est l’efficacité de la norme juri- dique par rapport aux buts que se donne la loi sur la transplantation d’or- ganes1. Parmi les différents buts de la loi, j’en retiendrai deux qui me semblent pertinents pour le thème de notre colloque : la loi « doit contribuer à ce que des organes, (...) soient disponibles à des fins de transplantation » (art. 1 al. 2) et vise à « assurer la protection de la dignité humaine, de la personnalité et de la santé» (art. 1 al. 3 in fine).

En guise de préambule, je commencerai par un constat.

Dans la loi sur la transplantation, le législateur utilise tout au long de la loi le terme « prélèvement » pour désigner l’acte d’extraire un organe du corps hu- main, alors qu’il se réfère au « don » pour d’une part rappeler la gratuité et in- terdire de percevoir un avantage ou un contre-don (art. 6) et d’autre part préci- ser l’objectif de l’information du public (art. 61 al. 2 let a). Ainsi dans la loi, le don désigne l’acte de celui dont l’organe est transmis au receveur. Alors que le prélèvement met l’accent sur le donneur, la terminologie du don met l’accent sur l’acte de mise en circulation d’un organe. Ce constat est important, dans la mesure où il révèle l’esprit de la loi.

La réflexion que je vous propose comportera trois axes : le premier repose sur la liberté personnelle, le second sur la nature du don, et le troisième sur les droits du donneur.

1 Loi fédérale du 8 octobre 2004 sur la transplantation d’organes, de tissus et de cellules, RS 810.21.

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Dominique Manaï

1. Don d ’ organes et liberté personnelle

Le droit fondamental qui sous-tend aussi bien le prélèvement que le don est la liberté personnelle. Le droit de disposer de son corps est un aspect de la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst2). En effet, prélever un organe est une grave at- teinte à l’intégrité corporelle (art. 28 ss CC3). Par principe illicite, elle ne peut être légitimée que par le consentement libre et éclairé de la personne vivante (art. 8 al. 1 let a ; art. 12 let b Loi sur la transplantation), ou par le consentement des proches si la personne n’a pas manifesté sa volonté avant son décès (art. 8 al. 3 Loi sur la transplantation).

Aussi bien le donpost mortemque celui entre vivants consistent à mettre à disposition un organe pour autrui et sont une manifestation du droit à l’auto- détermination de la personne. En droit suisse, l’autodétermination individuelle est large : elle inclut le droit de ne pas faire de choix et le droit de changer d’avis et révoquer ainsi le consentement. C’est ainsi que lapersonnalitédu donneur ou de ses proches est protégée par le droit.

Toutefois, pour le donpost mortem, lorsque le donneur n’a pas manifesté sa volonté de son vivant et que lesproches sont sollicités pour un prélèvement d’organes, que devient le droit à l’autodétermination du donneur ? Ce dernier a peut-être choisi de ne pas prendre position. Est-ce que les proches ne risquent pas d’avoir un sentiment de culpabilité en consentant à un don que le proche décédé n’avait pas exprimé de son vivant ? Le consentement des proches ne vient-il pas contourner l’autonomie du donneur qui consiste aussi en le droit de ne pas faire de choix ? Et n’est-ce pas là une charge qui pèse sur les proches à un moment où il convient de vénérer le défunt ?

Le prélèvement d’une partie du corps humain sur unepersonne vivanteest aussi une question très sensible. Le don est subordonné à l’obtention du consentement libre et éclairé du donneur. Quelle est la portée de cette exigence de liberté du consentement dans ce contexte ? Cette liberté est problématique.

D’abord l’organe humain prélevé porte l’empreinte de la personne origi- naire. L’anthropologie nous apprend que toute altération d’une partie corpo- relle est une altération de soi, le prélèvement d’un organe provoque un boule- versement de l’identité du donneur4. Or la protection de l’identité de l’humain figure à l’article 1erde la Convention européenne sur les droits de l’homme et la biomédecine, l’identité étant l’une des caractéristiques de l’humanité de la per- sonne. Ainsi, donner une partie de soi n’est pas un acte banal. C’est pourquoi il est prévu que le donneur doit être informé des conséquences psychiques que le

2 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, RS 101.

3 Code civil suisse du 10 décembre 1907, RS 210.

4 David Le Breton, « Greffe », in Michela Marzano (dir), Dictionnaire du corps, Paris, PUF, 2007, p. 417.

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don peut avoir sur lui et de la possibilité de bénéficier d’une prise en charge psychologique (art. 9 al. 2 let j Ordonnance sur la transplantation5).

Ensuite, qui dit liberté dit absence de pression. Le droit suisse n’exige pas, contrairement à la Convention européenne sur les droits de l’homme et la bio- médecine (art. 10), que le donneur et le receveur soient liés par un lien de pa- renté ou par des relations personnelles étroites. Ainsi le don entre vivants peut être un don anonyme, un don intrafamilial ou un don affectif non apparenté entre conjoints. Dans ces deux dernières hypothèses le don est alors « dirigé», c’est-à-dire fait en faveur d’une personne déterminée. Rappelons que le don post mortempeut aussi être attribué à une personne désignée par le donneur (art. 16 al. 1a contrarioLoi sur la transplantation). Que le don entre vivants soit dirigé ou non, il s’accompagne d’une pression plus ou moins diffuse qui peut être morale, médicale ou familiale. Cette pression n’a pas échappé au législa- teur qui a prévu une vérification du caractère librement consenti du don par un spécialiste indépendant (art. 10 Ordonnance sur la transplantation).

Enfin, lagratuitédu don est avancée comme l’un des moyens pour éviter les pressions financières et ainsi garantir la liberté. Ce principe de gratuité dé- coule du respect de ladignité humaine6 selon lequel une personne s’oppose à une chose et n’a pas de prix. Les parties et/ou produits du corps humain ne sont pas réductibles à de simples objets susceptibles d’être utilisés par autrui et en tant que tels ils ne sont pas sources de profit. Les parties du corps humain sont extra-patrimoniales. L’idée sous-jacente est que ce n’est pas l’attrait finan- cier qui doit guider le donneur. Le don est un acte de solidarité, volontaire et altruiste. Le principe de la gratuité, qui n’est pas absolu à la lecture de la loi sur la transplantation (art. 6 al. 2), interdit d’accorder une valeur pécuniaire aux éléments du corps humain, sous peine de sanction pénale.

Ainsi la liberté personnelle et l’autodétermination du donneur sont les pi- liers de la loi sur la transplantation. Le don d’organes est fondé sur cette lo- gique du sujet. Se pose alors la question de savoir comment cette logique se marie avec le souci du législateur de contribuer à ce que des organes soient disponibles ?

2. Le don d ’ organes : affaire privée ou publique ?

En principe le don est uneaffaire privée et individuelle. La donation repose sur l’autonomie de la volonté. Le don d’organes renvoie aux convictions person- nelles. La cause du don, c’est en droit ce que l’on nommel’animus donandi,la

5 Ordonnance du 16 mars 2007 sur la Transplantation d’organes, de tissus et de cellules d’origine humaine, RS 810.211.

6 Article 7 Constitution fédérale.

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Dominique Manaï

volonté de donner. Le droit distingue la cause, qui est un élément essentiel du don, desmotifs sous-jacents à celui-ci qui relèvent des raisons incitant le donneur à consentir à un prélèvement d’organe.

Cependant dans le domaine biomédical, l’Etat a progressivement trans- formé le don d’organes en uneaffaire publique. Le don devient alors de plus en plus abstrait : il se transforme en un acte d’humanité qui lie des sujets abstraits.

Et c’est aussi là que réside à mon sens le problème de la pénurie d’organes.

Nous assistons à une métamorphose : les institutions ont pris le relai d’une affaire privée.

En effet, enamont du don d’organes, le législateur a prévu l’information du public (art. 61). Le but de cette information est de « donner à chacun la possibi- lité d’exprimer sa volonté concernant le don d’organes ... en toute connaissance de cause » et de « faire connaître la réglementation et la pratique, notamment à présenter les conditions de prélèvement, d’attribution et de transplantation d’organes, de tissus et de cellules en Suisse » (art. 61 al. 2). Cette information vise à réaliser l’un des buts de la loi, mentionnésupra, qui est de contribuer à rendre disponible des organes. Le législateur n’a pas repris le terme de « promo- tion » alors même que le principe directeur no6 de l’OMS sur la transplantation de cellules, de tissus et d’organes humains (revisés le 26 mai 2008) autorise ex- plicitement la promotion du don altruiste par la publicité ou appels au public tout en interdisant la publicité faisant état d’un besoin de cellules, de tissus ou d’organes ou de leur disponibilité dans la but d’obtenir une rémunération et que le Protocole additionnel à la Convention européenne sur les droits de l’homme et la biomédecine sur la transplantation d’organes prévoit à son ar- ticle 19 intitulé promotion du don que les Parties ont l’obligation de prendre

« toute mesure appropriée visant à favoriser le don d’organes »7. Il appartient désormais à la Confédération et aux cantons d’informer le public.

Dans la pratique, des campagnes d’informations relatives aux dons, re- layées par les médias, font appel à la générosité de chacun. Mais à y regarder de plus près, cette information ne repose-t-elle pas sur l’idée erronée qu’il suffit d’informer pour vaincre les réticences du public ? L’information en vue de pro- mouvoir le don d’organes ne serait-elle pas perçue comme une manipulation dont le message contiendrait implicitement un devoir de donner ? Le don n’est-il pas réduit à une simple question technique ?

En réalité la position du législateur suisse est tout en nuance : contribuer à favoriser le don d’organes sans porter atteinte à la liberté de chacun.En d’autres termes, informer le public au nom d’un bien collectif–la santé publique et les personnes sur la liste d’attente- et d’une solidarité avec sa collectivité pour

7 Le Protocole additionnel à la Convention sur les Droits de lHomme et la biomédecine relatif à la trans- plantation d’organes et de tissus d’origine humaine a été ratifié par la Suisse le 10 novembre 2009, FF 2009 4007. Il entrera en vigueur pour la Suisse le 1 mars 2010.

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encourager le don d’organes. Toutefois, il est très soucieux de respecter la li- berté personnelle de chacun. Il assure ainsi un parallèle heureux entre la lo- gique du don, qui relève de la sphère privée, des convictions personnelles, et la logique du sujet, qui demeure libre d’être donneur ou non.

C’est à ce prix que peut être établi un rapport de confiance, d’empathie et de compassion, entre praticiens et patients, mais un rapport de confiance sur le long terme.

3. Et les droits du donneur dans tout ça ?

Les difficultés liées à la promotion du don d’organes démontre la complexité des rapports entre le droit et le non droit, et met en exergue la spécificité du droit.

Le non-droit, ce sont les « forces créatrices » du droit, à savoir les phéno- mènes humains et les données sociales, technologiques et économiques qui contribuent à assurer l’adaptation du droit dans un monde en mouvement.

Le droit doit incontestablement être à l’écoute de la science et de l’éthique.

L’éthique a pour tâche de montrer les imperfections du droit et, le cas échéant, la nécessité de le modifier. L’éthique est fondamentalement une réflexion, sa vocation principale n’est pas d’être normative.

Le domaine des sciences et de la médecine met en question les droits fon- damentaux de l’humain. La légitimité du droit repose sur un système de va- leurs qui garantit ces droits. Il appartient au juridique de fixer des seuils de non-intrusion dans la sphère privée. Telle est la spécificité du droit. Quelles que soient les causes, le droit ne doit pas être instrumentalisé, suivre les injonc- tions du non-droit et sacrifier les droits fondamentaux des sujets, ceux du donneur, du receveur, des proches et des soignants.

L’idée de promotion du don place les droits du donneur au second plan

pour mettre le receveur au premier plan. Or le législateur a choisi de protéger le donneur et sa liberté personnelle. Celui-ci a le droit de ne pas manifester sa volonté et les proches doivent avoir la possibilité de respecter cette attitude de réserve. Ainsi, je pense qu’il est important de comprendre l’information du pu- blic, qui peut certes encourager le don, mais dans le respect de la dignité et de la personnalité du donneur. Toutefois, le receveur est un absent omniprésent dans cette loi.

C’est pourquoi je concluerai en disant que la loi sur la transplantation est

« efficace » par rapport aux buts qu’elle s’est fixés. La promotion du don n’entre pas dans une logique fondée sur le consentement au sens large, mais plutôt dans celle fondée sur le consentement présumé. Force est de constater que l’efficacité de la loi n’est pas la même que celle de l’éthique.

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