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Thème et variations sur l'ethnocentrisme. Actes du Colloque interdisciplinaire organisé en février 1976

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Conference Proceedings

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Thème et variations sur l'ethnocentrisme. Actes du Colloque interdisciplinaire organisé en février 1976

FURTER, Pierre (Ed.)

FURTER, Pierre (Ed.). Thème et variations sur l'ethnocentrisme. Actes du Colloque interdisciplinaire organisé en février 1976 . Genève : Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, 1977, 122 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:31350

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

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Cahiers de la Section des Sciences de l'EducaLion

PRATIQUES ET THÉORIE

Thème et variations sur

L'ETHNOCENTRISME

UNIVl'!RSITI! Dl! CJl!Nl!VI! - FACULTI! DB PSYCHOLOGII!: ET Dl!S SCIENCES Dl!: L'EDUCATION

Cahier� de la Section des Sciences de l'Education PR�TIQUES ET THEORIE

Thème et v�ri�tions sur l'ETHNOCBNTRISME

Actes du colloque interdisciplinaire org�nisé e n février 1976 Edités par Pierre FDRTER

Publié par le Secteur oévelcppemeQt et Planification des Syslè.nes ùe For..ation (OPSf) de la Section des Sciences de l"E<lucation de 1" Faculté de ?sychol0gle et des Sciences de l'tducatlon (FAPSE) et l'Université de Genè'le av•c la collaboration de l'Institut oniversitaire d'Etudes du Développement (IOC::OJ, de l'Institut Universitaire des Uautes Etudes Internationales {IüHElt et ùe la F�culté des Sciences Econc:cniques et Sociale� (SES)� -

l'our toute correspondance : Secteu; OPSF. Buredu 230, Uni JI 1211 Genève 4 (SuisseJ

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0 U V B R T U R E Pierre FURTER

on pourra s'étonner que la Section des sciences de l'éducation de la FAPSE consacre aussi généreusement un de ses cahiers à une di�cus­

s ion sur l1ethnocentrisme

En effet, il est probable que parmi toutes les sciences de l'homme, celles qui se préoccupent de sa formation sont les moins sensibili­

sées à cette problématique. Que ce soit par myopie - l'attention des pédagogues étant souvent circonscrite par les limites d'wne seule expérience, d'une innovation, d'une classe ou d'un niveau d'enseigne­

ment - il est rare que les relations entre les différents éléments d'un système de formation ou ses interrelations avec les différents sous-systèmes sociaux soient perçus. Le "centr.isme" - c'est-à-dire le fait d'êtce centré sur sa propre problématique - peut devenir si total que la conscience même de l'ethnocentrisme a disparu par l'éli­

mination de la possibilité d1imo9iner d'outrea réalitéc. A cette bonne conscience par omission, qui caractérise surtout les péda909ues ab­

sorbés par leurs pratiques, peut s'allier la conviction, sans doute sympathique, que l'éducation sert à l'évidence à la compréhension entre les individus, les groupes et les sociétés .• En effet, si nous admettons que l'incompréhension entre les hommes, l'hostilité à l'é­

gard des étrangers, la méfiance à l'égard d'autrui sont autant de conséquences de l'ignorance, alors il appartient à la scolarisation, en universalisant l'instruction publique, de contribuer à l'établis­

semen� de la paix universelle par la compréhension internationale.

Il n'est pas étonnant que cette conception idéaliste se soit répandue à l'occasion de la Révolution française où l'on croyait qu'on en arriverait fatalement à une société o� l'égalité s'�pposerait aux particularismes et aux disparités : grâce à la liberté d'expression, au déplacement des idées et des hommes, qui s'achèverait dans une fraternité excluant toute différence. Ainsi l1éduca�ion compar�e selon Julien devait parachever cette tendance "naturelle• en démon­

trant qu'il était possible de prévoir et de faciliter cette univer­

selle convergence par le développement de l'instruction et de la com­

préhension internationales, idée qui sert encore de finalité à L'UNESCO.

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Pouc prendre conscience du probable ethnocentrisme des milieux éducatifs et pédagogiques, il faut donc partir d'ailleurs. C'est à partir des poir1ts de vue d'autres disciplines, grice aux chemi­

nements d'autres méthodes, que peu à peu, croyons-nous, on arrivera à cerner l'enjeu de !'ethnocentrisme scolaire, pédagogique et éduca­

tif. Comme nous sommes chaque jour plus préoccupés par la montée inexorable du chauvinisme, de l'esprit de clocher, du racisme et de l'intolérance dans notre société, il nous � semblé utile de réu­

nir quelques collègues qui, à l'Université de Genève, venaient de publier des résultats de leurs recherches dans le vaste domaine de

!'ethnocentrisme.

Pour réaliser ce projet, nous avons trouvé des ethnologues, bien sûr, sensibilisés par les rencontres, parfois dramatiques, entre des sociétés et des civilisations différentes: des politologues, intéressés par les relations et les échanges internationaux, autres que financiers et économiques: des psychologues et des sociologues disposés à dialoguer au niveau des relations des petits groupes et des sous-systèmes; des historiens, préoccupés par les dimensions spatiales de leurs quêtes dans le temps. Mais si ces chercheurs ap­

partiennent tous à la même •communauté" .académique, ils ne se con­

naissaient pas toujours: ils n'avaient jamais travaillé collective­

ment. Comme le montrent ces Actes, ce dialogue conduisit à des af­

frontements; à des malentendus; même à une certaine confusion.

Ce qui est naturel dans tout début d'effort interdisciplinaire mais qui effrayera le lecteur qui aura peut-être de la peine à y trouver une synthèse satisfaisante. C'est pourquoi nous lui proposons une présentation conçue sur le modèle "thèae et variations" qui ouvre vers l'avenir au lieu a•en achever le cours. Parfois, des divergen­

ces idéologiques apparaitront qui ne reflètent d'ailleurs pas néces­

sairement les clivages simplistes du type gauche / droite. Elles s'expliquent par le choix de certains pour une vision •tiermondiste"

favorable à l'indépendance de la périphérie et qui s'opposait au choix des autres en faveur d'un am�nagement de la situation créée par une domination quasi fatale - selon eux - du centre sur le(s) reste(s) du·monde.

A ces difficultés et ces divergences, se sont malheureusement ajou­

tés des ennuis techniques dans l'enregistrement des propos. Certai­

nes interventions ont été irrémédiablement perdues; d'autres, malgré le travail considérable de Madame Emilia Rof fé qui a bien voulu trans- crire les bandes, nous ne disposons pas de la totalité de ce qui a été dit. Nous en avons certes reconstitué une partie grâce à nos notes : mais celles-ci n'étaient pas complètes. Néanmoins nous avons réussi à dessiner une mosaïque suffisamment complète pour la proposer aux auteurs qui l'ont corrigée comme bon leur semblait. Les textes présentés constituent donc une deuxième cuvée, une réinter­

prétation une année plus tard, de ce qu•on avait à dire un matin d'hiver de 1976 (1).

(l) Les textes de Johan Galtung et Jean Leca n'ont malheureusement pas pu être revus par leur auteur.

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L E T H E M E Johan GALTUNG

Dans ethnocentrisme, il y a surtout le concept centrisme. Contre tous ceux qui l'identifient sommairement avec 11européocentrisme, avec le développement de l'impérialisme occidental, ·etc., je pré­

tends que le "centrisme" n1est pas une notion simple et unilatérale.

Dans mon expérience, j'en distingue deux formes fort différentes :

- le centrisme différentiel

Il existe partout; dans toute civilisation, à ma connaissance;

chez n'importe quel homme ou femme. Il part de la prise de cons­

cience que nous ne sommes pas identiques. Qu'il y a une différence entre moi et autrui: entre nous et les aUtres. c•est le drame de la différence. Celui-ci n'est pas très grave collectivement, enco­

re qu'il puisse provoquer des conflits et des tensions. Je dirais que ce centrisme-là appartient à notre condition humaine et il faut apprendre à s'en accommoder.

le centrisme relationnel lui, est bien différent et c'est lui qui peut être très.dangereux. Tout d'abord, il n'apparait que dans cer­

taines civilisations - aussi bien occidentales qu'orientales, soit dit en passant - qui divisent fondamentalement le monde en deux parties inégales. Qu'il s'agisse

- du centre et de sa périphérie, - du Nord et du Sud,

- de la métropole et de ses colonies, etc.

elles établissent une relation causale de l'une à l'autre. L'une de ces deux parties tend à se constituer comme l'élément moteur, dynamique, cause d�t�rminante de 11autre qui devient passive, ré - ceptrice, etc. or, cette dualité joue un rôle central dans la pen­

sée occidentale; on peut aussi la considérer comme une véritable maladie collective européenne. C'est dans ce contexte qu'il est possible de reprendre la notion de "cosmologie sociale" qui permet justement d1expliciter un tel centrisme relationnel, comme je l1ai fait ailleurs.

Reste à savoir s1il est possible de distinguer ces deux centrismes:

si l'un peut exister sans l'autre: et que se passe-t-il de terri­

fiant lorsqu'un s'articule à l'autre ?

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V A R I A T I 0 N

L'ARTICULATION PSYCHOLOGIQUE ET LES RELATIONS ENTRE GROUPES

PRESENTATION Willem DOISE

Le livre (1) sur l'articulation psycbosociologique et les relations entre groupes veut illustrer une approche scientifique qui est e"

général mal connue, voire méconnue. Il s'agit de la psychologie sociale expérimentale. Elle pose un problème : son énorme production n'a que très peu d'impact, même dans les milieux des psychologues.

Nous pensons qu'il y a une raison à cela les psychologues sociaux ont omis de situer leurs résultats dans un cadre qénéral et pire : quand ils ont étudié expérimentalement des notions comme la normali­

sation, la polarisation et les influences majoritaires et minoritai­

res, ils ont parfois agi comme s'il s'agissait de phénomènes qui se produisaient tels quels dans la réalité hors du laboratoire. La conséquence en est que beaucoup de scepticisme s'est répandu à l'é­

gard de la psychologie sociale expérimentale.

Dans notre livre, nous voulons montrer comment l'expérimentation peut dégager des processus importants de la réalité sociale, à �on­

dition qu'on situe thèoriquement l'expérimentation dans son cadre sociologique. Les sujets expérimentaux sont toujours des citoyens.

qui entrent dans la situation expérimentale avec des représentations, des normes et évaluations. On ne peut pas faire abstraction de ces réalités; il n'y a pas d'expérimentation psychologique dans un va­

cuum. Il faut connaitre les caractéristiques sociales des s�jets exp,r}mentaux, c'est-à-dire il faut les soumettre à une analyse sociologique. Alors le psychologue social expérimentaliste p�ut faire son travail : montrer comment au travers des interactions spécifiques qu'il provoque expérimentalement, la dynamique sociolo­

gique s'infléchit, du moins momentanément. C'est en les transformant systématiquement qu'il connaîtra mieux ces produits d'une société que sont, par exemple, les préjugés et stéréotypes sociaux.

Les psychologues sociaux doivent situer leur expérimentation à un niveau sociologique tout en restant psychologues. C'est leur tâche de montrer comment les dy11amiques sociologiques se déroulent au tra-

(1) Bruxelles, 1976

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vers de comportements individuels: de quels dispositifs l'individu est-il équipé pour participer à la dynamique sociale, comment cette dynamique façonne-t-elle, en se réalisant, ses rapports individuels?

Une articulation entre explications sociologiques et psychologiques s'impose. La première partie du livre le démontre à un niveau théo­

rique. La deuxième partie est alors une illustration particulière de cette conception. En reprenant les expériences sur les relations entre groupes, nous montrons comment le processus de catégorisation y intervient. Ce problème est pyschologique : les Gestaltistes l'ont étudié au niveau de la perception. Il s'agit d'une accentuation des ressemblances à l'intérieur d1un groupe de stimuli et d'une accentua­

tion des différences entre groupes de stimuli. Mais, en généralisant ce processus au niveau des évaluations et des comportements, on dé­

crit également des différenciations sociales.

Des différenciations catégorielles multiples ont été •manipuléees"

dans les expériences décrites : Français et Allemands, garçons et filles, apprentis et collégiens, Valaisans et Vaudois, médecins et patients ... Il s'agissait chaque fois de montrer comment, selon les lois du processus, des différences entre ces catégories et (ou) des ressemblances à l'intérieur de ces catégories, sont intensifiées ou affaiblies par différents aspects de la réalité. En ce sens nous pensons donner une explicitation de certains aspects importants de

!'ethnocentrisme qui est toujours aussi une accentuation de différen­

ces entre catégories.

9

ILLUSTRATION EMPIRIQUE DU PROCESSUS

DE LA DIFFERIENCIATION CATEGORIELLE Jean-Claude DESCHAMPS

un nombre important de travaux ont montré que les différenciations intergroupes s'affaiblissent bien selon le modèle de la différen­

ciation catégorielle.

Cependant, en ce qui concerne l'autre aspect de la catégorisation qui consiste en une accentuation des ressemblances entre les membres d'une même catégorie, il n'a pas été directement montré qae la diffé­

renciation catégorielle allait de pair avec une accentuation de ressemblances intra-catégorielles.

Plusieurs expériences ont été effectuées pour démontrer ce lien et pour vérifier que l'augmentation de ressemblances à l'intérieur d'une même catégorie fait bien partie du processus de la différencia­

tion catégorielle, processus qui conduit à une accentuation des res­

semblances intra-catégorielles.

une expérience, faite.avec Gil Meyer, portait sur la description de ) groupes linguistiques suisses : les Alémaniques, les Romands et les Tessinois. Les deux derniers groupes - Romands et Tessinois - se distinguent du. premier en tant que minoritaires et Latins. Selon le processus de la catégorisation, ces différences devraient néanmoins s'affaiblir lorsque Romands ou Tessinois d'une part et Alémaniques d'autre part sont présentés comme appartenant à la catégoriè des Suisses confrontés avec une catégorie de non Suisses.

179 sujets ont été utilisés, des élèves du cycle d'orientation de Genève , tous âgés d'environ 14 ans. Ils répondaient à un question�

naire leur demandant de décrire 3 groupes sociaux sur 16 échelles en 8 points.

Selon les condïtions de l'expérience, les groupes à décrire étaient dans la condition contrôle. Les trois groupes linguistiques suisses:

Suisses alémaniques, Suisses romands et Suisses tessinois.

Dans les conditions expérimentales, les sujets devaient décrire deux de ces groupes suisses auxquels s'ajoutait un groupe étranger.

Dans une première condition expérimentale, les sujets décrivaient

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les Suisses romands, les Suisses tessinois et les Allemands d'Alle­

magne qui remplaçaient les Suisses alémaniques de la condition con­

trôle; dans une seconde condition expérimentale, les sujets décri­

vaient les Suisses alémaniques, les Suisses tessinois et les Français de France qui remplaçaient les Suisses romands de la condition côn­

trôle; et dans une troisième condition expérimentale, les sujets dé­

crivaient les Suisses alémaniques, les Suisses romands et les Italiens d'Italie qui remplaçaient les Suisses tessinois de la condition con­

trôle.

Dans les questionnaires,.les sujets devaient placer sur 16 échelles en 8 points les 3 lettres symbolisant les groupes qu'ils avaient à décrire. La consigne leur expliquait qu'ils pouvaient mettre 2 ou 3 lettres les unes au-dessus des autres s'ils considéraient qu'il n'y avait pas de différence entre 2 ou les 3 groupes qu'ils avaient à décrie�.

Le nombre de traits laissés par chaque sujet entre deux 9roupes suisses constituait la variable dépendante.

Les pôles de chaque échelle du questionnaire n'étaient jamais oppo­

sés du point de vue évaluatif. On faisait contraster par exemple sérieux à un pôle avec gai à l'autre pôle de l'échelle ou économe d'un côté avec généreux de l'autre.

Comme prédit, les différences entre Alémaniques et Tessinois et Alémaniques et Romands sont significativement moins importantes lorsque ces deux groupes sont décrits avec un groupe de non Suisses

{dans les conditions expérimentales) que lorsqu'ils sont décrits avec le troisième groupe suisse (dans la condition de contrôle).

Cependant, une telle différence ne s'observe pas entre Tessinois et Romands. Parmi les groupes suisses, ils sont déjà probablement caté­

goriés comme Latins.

De plus, à l'intérieur de chaque groupe expérimental, la différence entre les deux groupes linguistiques suisses est toujours inférieu­

re aux différences entre un de ces groupes et le groupe étranger.

La différence perçue entre deux catégories nationales (Suisses et non Suisses} est donc supérieure à celle perçue entre deux groupes

appartenant à la même catégorie nationale (deux groupes suisses).

Cette e�périence nous a permis de vérifier que, comme nous en avions fait l'hypothèse, lorsque deux groupes linguistiques suisses sont confrontés à un groupe de non Suisses, la ressemblance entre ces groupes suisses est accentuée par rapport à la condition selon la­

quelle il n'y a pas de groupes étrangers (sauf pour les "Latins•).

D'autre part, deux groupes appartenant à deux catégories nationales sont bien jugés, conformément au processus de la différenciation catégorielle, comme plus différents entre eux que deux groupes appar­

tenant à une même catégorie nationale.

Dans une autre expérience, nous avons trouvé des résultats similai- res.

Pour les sujets, il s'agissait de décrire dans une condition expéri­

mentale (la condition sans anticipation) les membres d'un groupe sans savoir· qu'ils auraient également à décrire par la suite les mem­

bres d'un autre 9roupe.

Dans une autre condition expérimentale (condition sans anticipation}

les sujets, en décrivant les membres du premier groupe étaient déjà avertis qu'ils auraient ensuite à décrire les membres de l'autre groupe.

Nous n•entrerons pas dans le détail de la procédure expérimentale et nous dirons simplement que les prédictions qui étaient, bien enten­

du, que les ressemblances intra-catégorielles et les différences inter-0catégorielles seraient plus fortes dans la condition av-ec an­

ticipation où, dès le début, un processus de catégorisation pouvait se produire, ont été pleinement vérifiées.

Dans ces deux expériences, nous avons pu montrer que l'augmentation des ressemblances à l'intérieur d'une même catégorie fait bien partie du processus ai la différenciation catégorielle.

Si la différenciation catégorielle peut rendre compte de la manière selon laquelle 11effet de division entre groupes se réalise, ces deux recherches montrent que le même processus peut décrire également la production de certains effets de resserrement intra-catégoriel.

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SUR LE ROLE DE L'IDEOLOGIE DANS

L'ARTICUL ATION PSYCHOSOCIOLOGIQUE Uli WINDISCH

Parler d'un livre de psychologie sociale pose évidemment quelques problèmes à un non-spécialiste en la natière. Tel était pourtant un des objectifs du colloque sur !'ethnocentrisme : faire discuter et critiquer les travaux d'une discipline par des chercheurs d'au­

tres disciplines plus ou moins voisines.

A une période scientifique où les cha�ps et les objets de recherche éclatent, se déstructurent pour être redéfinis de façon nouvelle et plus adéquate, en tenant un peu moins compte des limites très étroi­

tes, des oeillères parfois, qu'impose le corset étouffant de la spé­

cialisation disciplinaire, une telle démarche a des chances d'être fructueuse.

Elle peut taire apparaitre des ouvertures là où l'on croyait être arrivé à des états de connaissances indépassables.

Des situation apparemment bloquées peuvent ainsi devenir le lieu de foisonnant�s interrogations, voire de fusions enrichissantes. Et il n'y a pas Que l'ancien enrichi par fission ou fusion. De plus en plus on cherche à appréhender certains objets sociaux, non pas dans le ca- dre de la spécialisation disciplinaire, mais en fonction du plus grand nombre possible d'angles d'approche et de dimensions. Il règne une atmosphère d'infidélité disciplinaire dans les sciences sociales et humaines. L'unidimentionnalité fait place à la multidimentionna­

lité. Au point où parfois on ne sait plus très bien qui est quoi et qui fait quoi. Bref, fission, surfusion et foisonnement généralisés ethnopsychanalyse, psychohistoire, anthropo-s?ciologie, psycho-socio­

logie, etc.

Ce n'est là qu'une des tendances. A l'opposé, certains "paradigmes", même internes à une discipline donnée, cherchent à s1imposer, voire à régner en excluant toute autre approche.

C'est de la première tendance dont il est question ici. Butiner aussi infidèlement n'a pas que des avantages. Tel spécialiste ressentira sa discipline, •son domaine•, comme simplifié, mutilé, interprété

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de façon incorrecte ou inadmissible.

Dans ce cas, l'interdisciplinaire, que chacun prône évidemment, n'est en fait accepté que dans la mesure où l'on ne met pas en question l'essentiel de la façon de voir d'une diacipliDe donn4e.

Quant au butineur, on aura tôt fait de l'associer à un papillon volage. Affreux éclectisme.

Trève de métaphores, ces dangers existent. Mais Doise, car c'eat de son livre qu'il s'agit, les évite soigneusement. Sa façon de ten­

ter une coordination entre psychologie et sociologie est à ce sujet tout-à-fait remarquable et enrichissante. Ceci, à partir de problè­

mes bien délimités, anciens mais enrichis précisément pat cette dé­

marche, et sur la base de fortes expérimentations à l'appui. On ne peut que paraphraser Moscovici : •ce n'est pas la psychologie socia­

le sans peine, mais c'est une psychologie aociale qui vaut la peine•.

C'est dee relations entre groupes et du fractionnement de ces mêmes groupes dont il est question.

Les emprunts à la sociologie sont centrés autour du concept (de la notion ?l d'idéologie. Doise nous dit en effet que "L'instance idéo­

logique joue un rôle important dans le d�roulement des relations ·in­

tergroupes• et ceci également : "C'est à l'occasion de son étude, que le problème des limites de l'explication sociologique en particu­

lier, et scientifique en général, peut être le plus facilement posé"

(p. 36) ( 1).

L'auteur ne cherche pas non plus à nier ou à refouler les problèmes idéologiques et politiques qui hantent en permanence les sciences sociales. Il les réintroduit là où d'autres ont cru pouvoir ou vou­

lu les chasser et les extirper à tout jamais. Il s'aventure même t

" . . • l'idéologie des groupes dominés est plus scientifique que l'idéo­

logie dominante". (p. 52)

C'est à propos de l'utilisation faite du concept d'idéologie que je voudrais faire une ou deux remarques, point donc parce que je sens la sociologie simplifiée, mais parce que la référence à AlthUsser,

(1) Les références renvoient à l'ouvrage de W. Doise : •L1articulation psychosociologique", op. cit.

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importante ici, ne me semble pas forcément la plus pertinente en matière d'idéologie. Même si Althilsser s'en défend, il me semble que son interprétation de l'idéologie reste passablement mécaniste.

L'autonomie de l'idéologie dont il parle également ne me semble relever que de la rhétorique. S'il l'évoque, c•est pour préciser aussitôt qu'elle se réalise entre les limites imposées par le systè­

me des rapports de production, même s'il signale que cette autonomie tient à ce qu'elle fonctionne à un niveau symbolique et que l'idéolo­

gie est un système qui possède sa logique et sa rigueur propres.

Enfin, pour Althüsser, la détermination de l'idéologie est surtout négative : par définition, elle empêche le développement de la véri­

té. Il n•est, par exemple, jamais question d'un problème comme celui de l'efficacité d'un discours idéologique, ou de l'effet de parole.

En réalité, il me semble que l'idéologie est un domaine encore assez mal connu et que l'on sait peut-être moins qu'il ne parait admis sur sa nature profonde et ses propriétés int�insèques.

Comment expliquer par exemple certains élans d'enthousiasmes collec­

tifs avec les postulats théoriques d1Althüsser ? Pour expliquer l•o­

rigine du fascisme, w. Reich a, par exemple, reconsidéré plusieurs milliers d'années de l'histoire de notre civilisation.

Doise relie le processus psychosociologique de la différenciation catégorielle (objet d'étude central) à l'idéologique par le biai�

de certains mécanismes généraux de fonctionnement de l'idéologie elle-même. Parmi ces mécanismes, il retient : les effets d'universa­

lité et d'isolement, l'effet de division catégorielle, l'effet de réification sociale.

Il faut comprendre le fonctionnement de la division catégorielle com­

me mécanisme idéologique. La nature de cette �ivision est de type dualiste; les catégories de base de l'idéologie également. Lévi­

Strauss a même été jusqu'à admettre que l' "organisation dualiste"

relevait en dernière analyse des "structures fondamentales de l'es­

prit humain".

Pour Doise, ce nschéma logique� ne constitue pas seulement un élément de la structure nodale de l'idéologie, mais un important processus psycho-sociologique permettant l'articulation de l'individuel et du

social.

Cette tentative de jonction entre un processus _ _p!_ycho-sociologique et un phénomène social comme celui de l'idéologie est une hypothèae de travail des plus intéressantes. Mais ne revient-on pas à être �lus royaliste que le �ai, plus idéologique que l'idéologique ? à privi­

légier un aspect très particulier de l'idéologie, voire à accrédi­

ter et à renforcer une perception dualiste du social 7

Si les contradictoires sont complémentaires, ils peuvent aussi être dépassés. Ausei n•est-ce pas par hasard que sont analysées des catégorisations essentiellement dualistes : garçon - fille, etc.

Toujours en espérant avoir bien compris le propos fondamental de Doise sur ce point, je ferai quelques dernière� remarques sous for­

me de questions. Ce processus de différenciation catégorielle est décrit très largement et de façon multiple. Mais qu'en est-il du problème de son origine et de sa raison d'être 7

La différenciation catégorielle donne lieu à des différenciations d'ordre comportemental, évaluatif et représentationnel et l1on affir­

me que la différenciaiion du nive�u comportemental exerce une déter­

mination plus forte. Nous retrouvons là un·postulat piagétfen et marxiste. oe quelle nature aont les preuves expérimentales sur ce points ?

La différenciation catégorielle est définie comme un "processus élémentaire stable". Qu'est-ce exactement qu'un tel processus et existe-t-il d'autres "processus élémentaires stables• ?

Les rapports entre des phénomènes comme !'ethnocentrisme ou la sté­

réotypie et la différenciation catégorielle apparaissent de manière très évidente. Mais, en définitive, Doise n'étudie-t-il pas davanta­

ge les variations d'un phénomène comme celui de la stéréotypie que la stéréotypie elle-même ?

Le thème de base de l'ouvrage est celui de l'articulation psycho-so­

ciologique. En réalité, on peut se demander s'il ne s'agit pas da­

vantage de l'articulation entre l'individu et les micro-groupes qu'e�tre l'individu et les grands groupes sociaux du genre classe sociale. Comment, en effet, tenir compte des propriétés spécifiques et intrinsèques à une classe sociale ou à une foule (Freud� par

(11)

16

exemple, attribuait des propriétés bien déterminées re) ? Ergotage ou problème fondamental

à cette derniè-

Finalement, il est admis que le développement cognitif et les struc­

tures mentales dépendent étroitement de la nature des interactions sociales. Ce problème me semble de la plus haute importance théori­

que, sociale et politique. Mais au juste que connait-on sur ces liens à un niveau autre que celui d'une très grande généralité ?

17

DES RELATIONS INTERNATIONALES A LA

PROBLEMATIQUE DE L'INTERGROUPE Pierre FURTER

Parmi les quelques règles du jeu que nous nous somme� proposéee pour ce colloque, il y avait celle d'engager chaque série de varia­

tions par la présentation d'un point de vue spécialisé qui serait confronté immédiatement aux commentaires de personnes qui se situent normalement dans une� discipline scientifique. Et me voilà pria au piège de mon adhésion ingénue à ce qui me semblait être effecti­

vement un excellent principe pour un travail interdisciplinaire.

En effet : où suis-je ? moi qui appartiens à une unité universitai- re qui se désigne comme étant une Section� science� de l'éducation, donc par le rejet de_!.!. ou d'� science de l'éducation? Au nom de quoi puis-je intervenir Ce n'est assurément pas en invoquant une compétence spécifiqùe qui m'eat niée •a priori" par l'institution, à laquelle j'appartiens loyalement, que je pourrai valablement com­

menter les apporta de Doise et de Deschamps. Tout au plus puis-je le faire - du moins j'en.prends le risque - au nom de la "compétence•

que me donnerait une double expérience vécue où !'ethnocentrisme est constamment apparu comme un problème et une question que j'ai dû ét que je continue à affronter. D'une part, dans mon paseé d'éducateur expatrié au Portugal, au Brésil et au Vénézuela, j'ai fait l'amère découvert� de mon européocentrisme mal9r� mes bonnes intentions de

�missionnaire laie•: et d'autre part, dans mon travail actuêl d'écu­

cation comparée, où je m�efforce de conscientiser une nouvelle géné­

ration qui sera peut-être plus lucide que je ne l'ai été.

A partir de cette double expérience, je voudrais tout d'abord montrer que si vos préoccupations croisent les miennes, néanmoins cette ren­

contre a été précédée par des itinéraires opposés. D'où une première question : pouvons-nous nous abstraire du cheminement particulier que nous avons chacun suivi dans l'exploration de cette problémati­

que ? Car ce qui éloigne le plus une discipline, ce ne sont réelle­

ment ni les instruments utilisés, ni les réponses proposées, mais les différences radicales entre les questions que chacun s'est po­

sjees au d�part. Deuxiimement, j'aimerais souligner que ma réflexion

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et nos recherches sur l'ethnocentrisme - par le biais du concept de la dépendance - non seulement partent d'expériences vécues, mais qu'elles prétendent y retourner puisque nous souhaitons contribuer à la formation d'autres éducateurs, donc de praticiens. Dès lors surgit une deuxième question : en quoi les travaux de Doise et de Deschamps sont-ils utiles dans ce travail de formation ?

Comme les limites d'une intervention m'empêchent d'entrer dans les détails de l'argumentation - d'autant plus qu'il est possible �ain­

tenant de l'examiner ailleurs (1) - je vais résumer très schématique­

ment comment la comparaison internationale des systèmes de formation conteMporains conduit à s'interroger sur les relations entre groupes, donc à rencontrer les préoccupations de Ooise et Deschamps.

La comparaison des systèmes contemporains révèle en effet un parado­

xe : alors que dans les discussions internatinnales existe une nette tendance à reconnaitre que chaque système éducatif devrait s'adapter aux singularités de son contexte, s1insérer dans une politique inté­

grée de formation des ressources humaines, bref servir à une politi­

que nationale de développement; que les théories les plus répandues valorisent la fonctionnalité, la conscientisation et la déscolarisa­

�, etc, qui devraient conduire à une vaste et rapide différencia­

tion du phénomène éducatif contemporain; que l'accès de la plupart des nations à l'indépendance politique leur donnerait les moyens - en tous les cas, théoriques - d1opter pour des politiques de diversi­

fication et d'innovation créative, la comparaison, au niveau des structures et des fonctions sociales, montre qu'au contraire ces sys­

tèmes tendent à se �ouler de plus en plus sur les mêmes modèles; que ces modèles sont de moins en moins distincts et qu1ils sont tous originaires des pays dominants du Centre. Dans bien des cas. cette quasi imposition de modèles étrangers ne fait' que refléter l'inégalité des échanges économiques - voir le rôle des prêts bilatéraux et multilatéraux dans le financement de ces "éducations nationales• -.

Dans d'autres, elle est la conséquence de la pénétration d'institu­

tions, d'organisations et même de compagnies commerciales - voir l'in­

dustrie des télécommunications par exemple - dont le caractère trans-

(1) Cf. Les modes de transmission : du didactique à l'extrascolaire.

Genève, 1976.

national leur permet de situer leurs centres de décision hors de la portée des nationaux. Souvent aussi, elle est une de� séquelles de la situation coloniale pendant laquelle les élites •national••"

actuelles non seulement ont été formées dans le système métropoli­

tain, mais ont intériorisé les valeurs et les normes du modèle dae colonisateurs. Toutes ces explications tendraient à montrer qua la fin du colonialisme n'est pas la fin de l'impérialisme et que dan•

les formes contemporaines de celui-ci le savoir est aussi utile que la puissance militaire.

Mais je crois que la problématique proposée par Ooise et Oeachampa pourrait noue aider à montrer que lea mécanismes mis en jeu par la dépendance culturelle sont complexes; que celle-ci n'est pas 1impl�­

ment le reflet au niveau des superstructures d'une dépendance eaaen­

tielle qui se jouerait ailleurs ou sous les tables.

En effet, pour pouvoir âtre prises au sérieux dans le jeu des rela­

tions internationales, c'est-à-dire tout à la fois pour s'affirmer comme des interlocuteurs valables - être écoutées, tout en étant perçuœ dans leur singularité - être différent c'est se montrer indépendant - ces élites-là, en particulier parce qu'elles .ont déjà connu (et admis ?) les exigences de la culture dominante dana les pays colonisateurs, sont prises au piège. Pour imposer internationa­

lement leur indépendance, elles doivent accuser leurs différences, mais pour être reconnues comme des interlocuteurs valables ellea doivent démontrer le succès de leurs politiques éducatives et cultu­

relle� qui sera jugé en fonction de normes internationales qui ne sont rien d'autre que celles qui sont acceptées et pratiquées dans les pays du Centre. Pire encore, pour pouvoir peser non seulement sur le flux des discours internationaux, mais _aussi dans les négo­

ciations, pour pouvoir s'imposer et contrôler toutes les tentativee de pénétration culturelle - qu'elles s'affublent des habits des missionnaires, des coopérants techniques ou des simples démarcheurs de •gadgets• éducatifs - ces élites doivent présenter un front

�, s'appuyer sur une forte unité nationale, bref soutenir un Etat centralisateur et monolithique. Comme la plupart de ces pays sont encore en quête d'une identité nationale, que l'Etat actuel est fort loin d'être un Etat-Nation, que ces élites, d'ailleurs, ne sont

(13)

20

pas toujours et de loin ceprésent�tives de l'ensemble d'une nation possible, il n'est pas étonnant qu'elles se montreront méfiantes sinon hostiles, à l'égard de tout ce qui - au niveau de l'extrasco­

laire, de la déscolarisation, de la régionalisation, etc. - pourrait introduire des failles dans un appareil d'Etat qui est souvent le plus important en personnel, bien implanté sur le territoire natio­

nal urbanisé, le mieux équipé intellectuellement et le plus apte à divulguer une idéologie nationale unificatrice à des coûts relati­

vement moins élevés que, par exemple, les militaires. En effet, ces failles pourraient être aisément exploitées par des intérêts étran­

gers qui en profiteraient pour susciter des contre-élites, dea minorités revendicatrices ou même des para-systèmes avec lesquels il est infiniment plus aisé de "négocier•, afin de les dominer.

Il est vrai que les élites décisionnaires échappent à ce piège en dissociant complètement les principes et les orientations de leur politique étrangère - où s'exprime une intransigeante défense des particularités nationales et des indépendances des Etats - de leur politique intérieure qui, elle, se caractérise par la mise au pas, la répression - douce ou brutale - ou la liquidation de toute oppo­

sition; par le refus du droit aux minorités de se développer et par­

fois même d'exister; par la mise en place d'appareils qui, au nom d'une "participation populaire" souh�itée, mobilisent purement et simplement l'ensemble des populations dans une même mystique, thentique ou non.

au-

Si les élites s'en tirent, il n'en est pas de même - et on l'oublie souvent - de ceux qui, à la base de ces appareils, instituteurs, enseignants de toute catégorie, animateurs de jeunesse, animateurs de développement communautaire, militants, etc., doivent�

ce qui leur apparait comme une double loyauté contradictoire. D'une part, celle qui les oblige à l'égard d'un Et�t qui les paie pour être des agents modernisateurs . Or cette "modernisation• est avant tout un processus graduel - souvent systématique - de réduction des disparités régionales, d'élimination de toutes les différences mi­

noritaires, �1imposition d'un même processus planificateur ( plan = platitude ) , bref, d'une véritable colonisation intérieure dont

21

l'ethnocentriame n'a rien à envier à celui de l'autre colonisation.

D'autre part, il y a la loyauté qui le• lie à dea population• - adul­

tes ou non - qui croient que cette action formatrice leur permettra de mieux participer, c' est-à-dire de peser davantage sur lea dée!siona qui les concernent, Il serait sana doute posaible de creuaer encore davantage. En montrant, par exemple, comment, à partir de cette contradiction bureaucratique, institutionnelle, se dévoile la contra­

diction fondamentale de tout acte pédagogique qui prétend susciter et renforcer la l i berté de l'autre tout en l'assimilant à soi. Mais je crois que cette rapide lecture de la dépendance culturelle à la lumière des apporta de Doiee et Deschamps est déjà suffiaante pour montrer l'intérêt qu'il y a à articuler le sociologique et le psy­

chologique puisque : • • • • lea actions, les représentations se modulent constamment lors du déroulement des rapporta aociaux t elles s'y accentuent et se atructurent en fonction dee positions réciproques que les acteurs sociaux occupent" (2).

Cependant, je me demande ai dane le projet de Doiae - "notre projet est de retrouver des processus élémentaires et stables .. (2) - et parce qu'il est parti d'une critique dea psychologues sociaux qui

"oubliaient de mettre leurs travaux dans un cadre plus général", l'articulation entre le psychologique et le social ne d•vient pas, parfois, un métissage, comme le dit - par inadvertance 7 - S. Mosco­

vici dans sa préface (3) ? N'oublie-t-il pas l'avertissement de Durkheim : "mais, à mesure que l'association se constitue, elle donne naissance à des phénomènes qui ne dérivent pas directement de la natu"re des éléments associés; et cette indépendance partielle est d'autant plus marquée que ces éléments sont plus nombreux et plus puissamment synthétisée ?"(4). Selon mon itinéraire - ce qui n'est peut-être pas une raison - cette articulation doit être comprise dialectiquement, c'est-à-dire comme une contradiction mutuelle dans laquelle les deux termes, le psychologique et le sociologique doi­

vent s'annihiler pour pouvoir être dépassés. Si je crois à une con-

(2) L'articulation psychosociol09ique • . • , op. cit., p. 92.

(3) � .. p.4.

(4) E. Durkheim : Sociologie et philosophie, Paris, 1951, pp. 41-42.

(14)

frontation fructueuse - ce dialogue en est la preuve -, je ne suis pas encore convaincu que son résultat sera une psychologie •sociale•

Je croirais davantage qu'en passant du macro au micro ou vice-versa il y a un saut qualitatif et methodoloyique à affronter qui rend 4 chaque approche sa plein� raison d'être.

Ce qui a - et c1est ma de uxième interrogation - des conséquences pratiques. Si j'aborde, comme Ooise et Deschamps, cette articulation par le biais de la psychologie, j'insisterai en effet sur la nécea­

&ité de •1•équipement• des hommes pour qu'ils puissent participer à la dynamique sociale; sur tous les processus qui aident l'individu à structurer son environnement social (5). Préoccupation qui n'est d'ailleurs pas étrangère à bien des mouvementa contemporains de formation à l'animation, à la participation provoquée, à la conacien­

tisation, et même à l'entratnement mental, c'eat-à-dire tout ce qui peut mieux Méquiper" l'individu et le rendre davantage maitre de sa situation. Mais pour que cet équlment puiaae servir, être utilisé sana trop de risques de répression, ne faut-il pas également que certaines conditions économiques, politiques et d'organisation - je pense à la régionalisation par exemple - soient remplies 7 Ne fau­

drait-il donc pas englober cette articulation du psychologique et du sociologique dans celle de la planification et de la participa­

tion 7

.(5) L'articulation psychosociologique .. ., op. cit. pp. 74 et suivantes et

pp. 119 et suivantes.

V A R I A T I 0 N II

CULTURE(S) ET CONNAISSANCE

(15)

24

INTRODUCTION Pierre R. DASEN

Afin de ne pas accumuler inutilement les malentendus, je crois uti­

le de situer notre ouvrage collectif (1) dans un itinêraire où nous nous sommes attachés à étudier l'influence des différentes cultures sur les processus cognitifs.

Aujourd'hui, je retiendrai provisoirement, de l'exp�rience de cet itinéraire, les éléments suivants :

1. Entre 1930 et 1940, à propos de l'étude en général de l'intelli­

gence, on appliquait sans autre et partout "des tests•, parce qu'on croyait qu'ils �taient "cultural free". Si cette illusion et cette pratique subsistent dans la psychologie pratique, nous savons que d�ns l'étude de l1intelligence dans les pays actuelle­

ment en "voie de djveloppement",nous ne pouvons faire abstraction ni du "fait colonial" - tout au plus essayer de le dépasser - ni du fait que l'intelligence est différemment valorisée selon les groupes.

2. Au début de la confrontation de la théorie pia gétienne avec des situations non-genevoises, puis non-européennes, il s'agissait avant tout de prouver qu1elle était univer.selle. L'universalité était un critère de sa "scientificit6"; elle devait être univer­

selle; ou ne plus itre. Aujouid1hui il s'agirait surtout d'envi­

sager l'extension de cette théorie afin qu'elle puisse rendre compte des variations comme de ce qu'il y avait d'universel.

3. Actuellement notre champ d'étude s'en trouve limité à l'analyse et à la comparaison de :��canismes beaucoup plus précis, comme la perception visuelle par exemple. Nous nous efforçons dorénavant d'examiner comment des opérations - qui sont affirmées générale­

ment comme "universelles" - sont appliquées dans des situations particulières où joueront fortement les déterminants culturels.

4. Ce qui nous amène hien sûr à éviter sans cesse de passer d'une

"différence culturelle" au jugement de valeur d'une "déficience

(1) Culture and Cognition : Readings in Cross Cultural Psychology, édité par P.R. Dasen et J.W. Berry, Londres, 1974.

25

culturelle". Ce qui est différent n'est pas inférieur. Mais nous hésitons entre deux manières de le faire par rapport à la théorie de Piaget. Faut-il

se distancer de son caractère ethnocen­

trique parce qu'il est parti d'un modèle occidental 7 Donc, cri�lquer pour y voir clair ? ou bien s'efforcer de refaire •une" théorie piagétienne à l'intérieur de chaque culture ? D'aller au-delà 7

(16)

ETHNOCENTRISME COGNITIF ET LA VERIFICATION

DE LA THEORIE PIAGETIENNE SUR LE "TERRAIN" Roy PREISWERK

Pour l'auteur d'une th' eor1e · d' une ampleur aussi considérable que celle de Piaget sur le développe ment de l'intelligence chez l'enfant la généralisation en dehors du contexte social étroit dont elle est , issue présente un intérêt considérable. Mais le processus de véri- fication universelle ne saurait évidemment Re situer en dehors de la problématique épistémologique soulevée à propos des relations interculturelles. Les chercheurs qui vont su� le "terrain" sont-ils

�e !'ethnocentrisme cognitif, "sont-ils capa­

des milieux cult�rels différents, peuvent-ils à leur propre rationalité ?

conscients du phénomène bles de s'immerger dans se décentrer par rapport

Piaget pose des exigences strictes quant à la qualification des cher- cheurs. Ils doive t n passe er "une bonne formation psychologique sur 'd les tachniques de l'examen opératoire • • • (des) connaissances ethnogra- phiques suffisantes et une complète maitrise de la langue des sujets�

Cl)· En outre, ces chercheurs doivent savoir distinguer entre des élé­

ments constants en différents milieux (facteurs organiques et psycho- logiques non dépendants du groupe, socialisation générale en tant qu'interaction ou coopération entre les individus) et les éléments variables (traditions culturelles, formes d'education propres · à cha- que société) (2) En posant des exigences d'une telle sévérité, Piaget fait donc preuve d'une grande prudence quant à la vérification possible de sa théorie dans d-�autres cultures.

L'objectif de la recherche interculturelle ou comparative en psycholo­

gie géné t ique est de trouver la réponse à deux quest1·ons : d'une part, les stades de développement de l'intelligence sont-ils partout les mêmes et, d'autre part, le passage d'un stade à l'autre s'effectue-t­

il pour tous les enfants au même âge ? (3) Nous disposons aujourd'hui d'un nombre assez considérable d'études de cas. Piaget fait état,

(1) Le structuraliome, p, 99

(2) Epistémologie des sciences de l'homme, ·pp, 176-177

(3) "écessité et · s19n1 icat1on des recherches comparatives en psychologie géné-· f" · tique, in "International Journal of Psychology", vol. No 1, 1966•

dans différents ouvrages, de travaux effectués à Aden, au Nigéria, à Hong-K9ng, à la M artinique, à Shanghai, en Algérie, en Australie

(Aruntas) et il fait référence à des projets au Congo et parmi les Indiens d'Amérique du sud,(4)

Les disciples de Piaget qui se sont lancés dans cette .recherche sont arrivés assez rapidement à des réponses claires : les stades sont identiques et se suivent partout dans le même ordre, mais on consta­

te des "retards"chez les enfants "non-9ccidentaux• ou, à l'intérieur du monde occidental, des enfants de la campagne par rapport à ceux de la ville, Barbel Inhelder le précise dans les termes suivants :

"Les grandes lois qu'il (Piaget) a énoncées restent toujours vala­

bles, même ai la cadence du développement varie selon les influences socio-culturelles. Noua possédons aujourd'hui de nombreuses informa tians sur l'évolution de1la pensée dans des cultures aussi différen­

tes que celles dea Aborigènes d'Australie, des Africains indigènes de la Côte d'Ivoire, dea onfants de paysans en Thailande, des enfants non acolariaéa en Algérie, etc. Or toutes lea recherches faites par nos collaborateurs ont montré que la cadence de développement était largement dépendante des variations culturelles, mais que dans les très grandes lignes, les séquences du développement étaient constan­

tes et que l'évolution dea notions fondamentales de la pensée semblent obéir à certaines lois universelles,• (5) Piaget s'est laissé con­

vaincre par ces résultats, puisque, se référant à six études, il af­

firme : -En ces cas, la recherche comparative conduit donc à admettre l'existence de caractères constants (caractères qualitatifs et ord•e de succession de stades), avec accélération ou retard selon ·les mi­

lieux mais sans inversion· de l'ordre.• (6)

Nos réflexions sur les fondements cognitifs de la recherche menée

(4) A part l'article cité à la note précédente, voir Epistémologie dçs sciences de l'homme, pp, 247-248; Le str�cturalisme, p. 99; Psychologie et épistémo­

�· p.162. Pierre Oasen a fait un inventaire dans "Cross-<:ultural Piagetian Research : A Summary", in J.W. Berry and P.R. Dasen, Culture and Cognition Readings in Cross-<:ultural Paychol09y, L ondon, Methuen, 1974, pp. 409-423.

(5) Interview accordée au "Jo�rnal de Genève" du 7 juin 1972, p, 11, (6) Epistémologie des sciences de l'homme, p. 248.

(17)

par les Occidentaux dans le Tiers Monde nous ont rendu trop scepti ·

ques pour accepter tels quels ces résultats, apparemment si nets et clairs. La validitj des affirmations ne peut pas revoser, dans une situation interculturelle, sur le fameux "accord des esprits", sur le fait qu'il y a eu vérifications Multiples. Les chercheurs sont issus de la même macro-culture occidentale et le fait d'adjoindre, depuis quelque temps, des "homologues" du pays, ne modifie pas néces­

sairement les données du problème, puisqu'ils ont probablement reçu une formation semblable à celle des Européens.

Il y a d'une part une question de méthode. Piaget rejette la méthode du questionnaire fermé ou du test, car avec ce type de démarche on ne trouve, en général, que ce que l'on cherche. La mjthode clinique, avec discussion libre, est certainement préférable elle laisse à l'enquêteur la possibilité de s'adapter â son 11objet d'étude".

Mais lorsqu'on travaille dans un contexte culturel différent, cette adaptation n'est possible que dans la mesure où l'on connalt extrême­

ment bien le milieu dans lequel on travaille. On revient donc ici à l'exigence posée par Piaget : les chercheurs doivent avoir de solides connaissances du milieu. Cette condition nous semble extraordinaire­

ment difficile à remplir. Quand Piaget affirme que "l'ethnolo9ie pré­

sente le grand avantage de porter sur des sociétés dont l'observateur ne fait pas partie intégrante" {7) il donne plus de poids au socio­

centrisme de classe en sociologie qu'à !'ethnocentrisme en ethnologie (ou dans d'autres disciplines). Or, comment un chercheur peut-il se familiariser en profondeur avec les contextes culturels indien, es­

quimau et africain, par exemple, dans le cadre de recherches qui ne s'étalent, en général, que sur quelques mois ? La professionnalisa­

tion de la recherche interculturelle en psychologie génétique, c'est­

à-dire le fait de passer d'une ethnie à l'autre, peut, dans ce sens, représenter une difficulté.

L'autre problème majeur surgit au moment de la préparation "ethnogra­

phique" du chercheur, si elle se fait réellement. La littérature ac­

cumulée en Occident sur telle ou telle ethnie n'est pas nécessaire-

(7) Ibid., p. 88

ment la meilleure source de renseignements sur le milieu dans lequel le psycholo9ue va travailler. La première question que les chercheurs de l'école pia9étienne auraient dû se poser est celle des fondements co9nitifs de ce savoir occidental sur les autres cultures. En dlau­

tres termes, la critique épistémolo9ique de l'anthropolo9ie est une condition préalable à la recherche en psychologie interculturelle. (0) Pour concrétiser un peu ce scepticisme, prenons des recherches faites sur le développement de la notion du temps chez l'enfant. Lors des premières discussions sur 11épistémolo9ie du temps, tenues au Centre international d'épistémologie 9énétique à Genève, deux conéepts domi­

nèrent : le temps physique et le temps psychologique. (9) Bien que d'autres notions apparaissent encore par la suite, cea travaux sont loin de refléter l'extraordinaire richesse des multiples conceptions du temps qui ont été déc�ites dans les contextes culturelà les plus divers. Les travaux anthropologiques qui, encore une fois, ne doivent pas être acceptés tels quels, mais qui po1ent au moins des questions fondamentales, montrent à quel point la conception qu'une population peut avoir du temps e�t li'e à toute sa cosmogonie, comme à son mode de vie et à son mode de production. La conceptualisation du temps produite dans notre société nous empêche d'emblée de saisir la réali­

té sociale globale d'autres sociétés. Ces problèmes posés, il devient difficile d'accepter, pour donner un exemple, la conclusion tirée d'une étude conduite en milieu al9érien :

".,. nous avons trouvé que la majorité d� nos sujets n'avaient pas une �aisie adéquate du concept de temps que nous avons étudié à travers diverses situations. D'une part, il était difficile de faire comprendre à nos sujets le problème que nous leur présentions. D'au­

tre part, les résultats auxquels nous avons abouti correspondent au

(8) Livingstone,

l , New York�

�H�a�r�pe.::....r.::.::a=n�d:::,;.Ro�w=-,::.:,:;19�6�47::..=.:o,�u:.::.;:�":-'-=<;"'::,z;:.;::�;-<- '-::i:.;.;..-;;;;�;=-:�D�i�m�e4nsion, New York, ooubleday, 1966.

(9) Jean-Blaise Gize et al.,\L.épiutémologie du temps, Paris,. Presses Universi­

taires de France, 1966.

(18)

niveau préopératoire des réponses des sujets genevois." (10)

Arriver à une pareille conclusion nous semble relever d'un raisonne­

ment étranger à la démarch e de Piaget : pourquoi l'enfant algérien répondrait-il à des questions européennes qui se situent en dehors de son univers mental, qui ne sont pas pertinentes par rapport à son vécu Afin d'éviter le qualificatif de " prriopciratoire", attribué trop facilement aux sujets de cultures étrangè res à la nôtre, il faudrait examiner de plus près la ��des questions posées par les chercheurs par rapport au milieu. (11) Si les Indiens d'Ama­

zonie partageaient notre goût pour la pensée unive-rsaliste et se mettaient à vérifier leur cosmogonie dans notre pensée, ils nous trouveraient probablement 1'pr�-amazoniens", ce qui n'indiquerait pas g rand chose sur ce que nous sommes, mais qui serait en revanche très révélateur de� comportement cognitif.

La problématique que nous soulevons ici n'échappe évidemment pas aux chercheurs concernés qui ont acquis une solide expérience du terrain.

A ce propos, laissons parler Pierre Dasen des difficultés qu'il res­

sent aujourd'hui : "Si une insistance sur l'universalité a été pré­

dominante dans les premiers travaux, c'est peut-être à cause des deux malentendus suivants : 1) Les études interculturelles ont par­

fois été vues comme une vérification de la théorie de Piaget : dans cette conception erronnée, toute relativité culturelle des structures opératoires est ressentie comme une contradiction de la théorie.

Effectivement, toute théorie psychologique qui s, veut générale de­

vrait soit être universelle, soit pouvoir inclure les variations culturelles. Mais si la première condition n'est pas remplie, cela n1enlève rien à la valeur de la théorie pour le groupe sur lequel elle a été établie : ce à quoi il faudra s'attacher, a lors, sera de remplir la deuxième condition, c'est-à-dire d'étendre la théorie à

(10) Magalî Bovet, 11Cognitive Process amond Illiterate Children and Adults"

in Berry et Dasen, Culture and Cognition, p. 235. Notre traduction. ' (11) Voir.Lu�s Prieto, Pert�nence et prati�ue. Essai de Sémiologie, Paris, Ed.

de Minuit, 1975. Magali Bovet a nuance ses positions dans un article plus réce�t : M. Bovet et C. Othenin-Girard, Etude piagétienne de quelques notions spatio-temporelles dans un milieu africaîn, "Journal international de psycho­

logie", 1975, Vol. 10, pp. 1-17.

de nouvelles dimensions. 2) un jugement de valeur est parfois a�ta­

ché aux résultats des recherches interculturelles du développement intellectuel : un développement rapide est vu comme "meilleur• qu'un développement lent, et de là à conclure à l'infériorité ou la supé­

riorité d'un groupe sur l'a�tre, i l peut n1y avoir qu'un pas. Heureu­

sement, la psychologie interculturelle réussit peu à peu à se défai­

re de ce genre d 'ethnocentrisme•. ( 12)

Cette analyse lucide est-elle une critique rétrospective ou plutôt un postulat pour l'avenir ? Il y est question de malentendu, mais ce sont surtout les chercheurs eux-mêmes qui l'ont créé en annonçant qu'ils allaient sur le terrain pour vérifier la théorie des stades.

(13) Quant au deuxième point, il nous semble que le jugement de valeur qui infériorise les autres intervient de tout� manière au niveau de la connaisaano\-sociale, quelles que soient las bonnes

intentions du chercheur. Néanmoins, ce qui est important dans cette citation, c'est 11ouverture sur la divecaité (lorsqu'il est question de "nouvelles dimensions') qui débouchera peut-être sur l'acceptation,

� notre avis essentie�le, de la multiplicité des modes de connaissan­

ce et sur la revision de l'appareil méthodologique pour l'étude de ia 9en�ae de l'intelligence chez l'enfant. L'objectif da la rech�r­

che_ se transformerait alors : plutôt que de vérifier une th•orie pia­

gétienne, il s'agirait de découvrir la diversité des modes de connais- sance.

Note Le commentaire de Roy Preiswerk a été intégré par la suite au chapitre intitulé : •Jean Piaget et l'étude des relations interculturelles•

in Les sciences sociales avec et après Jean Piaget, Ed. G. Busino, Genève, Droz, 1976, pp. 495-511.

(12) Pierre oasen, Biologie ou culture ? La psychologie interethnique d'un point de vue piagétien, 0Revue canadienne de psychologie", vol. 14, No 2,

1973, pp. 163-164.

(13) Voir oasen lui-rnême dans Culture and Cognition, p. 411, ainsi que Cole, Gay et Glick, dans le même ouvrage, p. 159.

(19)

L'ETHNOCENTRISME COGNITIF ET LE COLONIALISME

32

Louis NECKER

Il faut louer les tentatives de P.R. Oasen de relativiser, par ses études portant sur des peuples non-européens, d'une part la validité des théories et des expériences occidentales courantes sur les pro­

cessus cognitifs - et en particulier celles de Piaget - et d'autre part l'effort de décentralisation qu'il fait, en s'appuyant notam­

ment sur l'anthropologie. Sa démarche me suggère deux commentaires.

D'abord, je me demande si Dasen fait une part suffisante à la criti­

que épistémologique du savoir anthropologique. L'anthropologie de­

meure un des seuls instruments à notre disposition pour la compré­

hension de cultures autres que la nôtre. Cependant elle est née dans le contexte d'un ordre mondial colonial, et il faut toujours se de­

mander dans quelle mesure ses hypothèses, ses concepts, ses théories et aussi ses silences ne sont pas apparus pour servir cet ordre et, de ce fait, ne faussent pas la connaissance du chercheur qui s'oppo­

se à la situation coloniale.

Je donnerai un exemple qui s'applique bien dans le cadre des recher­

ches de Dasen. L'anthropologie a souvent négligé l'influence qu'a eue l'expansion européenne sur les soc.iét�s qu'elle observait. En particulier, elle a passé presque sous silence ce que Nathan wachtel a appelé �le traumatisme de la conquête" dont la mise en évidence jette évidemment une lumière extrêmeMent défavorable sur les entre­

prises coloniales européennes.

En se basant sur les textes aztèques, mayas et incas datant de la période qui suivit immédiatement la Conquête espagnole, cet auteuc a montré que l'arrivée des Européens frappa les Indiens •a•une sorte de stupeur, comme s'ils ne parvenaient plus à comprendre 11 événement, comme si celui-ci faisait éclater leur univers mental". L'impossibi lité de placer la Conquête et aes violences dans les schémas d1expli­

cation traditionnels fut ressentie par les autochtones comme une ''mort des Dieux, une castration du soleil, un deuil national, 11ar­

rivée de la folie".(1)

(1) La vision des vaincus, Gallimard, 1971.

33

Ce type de réaction a dû certainement exister, À des degrés variables, chez beaucoup d'autres peuples conquis. On peut supposer que ce fut le cas des Australiens dont parle Dasen dans Culture and Cognition

(2).

La sédentarisation à laquelle furent soumis ces nomades fu� peut­

être bien ressentie comme une catastrophe cosmique. Je ne auia paa psychologue, mais il me parait impensable que de tels bouleversements

psychiques n'aient pas eu des conséquences notables sur les proces­

sus cognitifs. Il me semble donc qu'il y a là une variable, peut-itre difficilement mesurable, mais qui, vu son importance, ne devrait pas être négligée dans des expériences du type de celle de Dasen. Les études de psychologues de la colonisation, comme celles de Mannoni ou de Fanon, pourraient peut-être servir de point de départ.

Ma seconde remarque, plus générale, porte sur les possibilités de décentration de la pensé� portant sur d'autres cultures. Dasen et Berry, Roy Preiswerk et d'autres ont proposé quelques solutions : le dialogue, l1approche •emique", la "vigilance épistémologique". Il me semble qu'on peut y ajouter l' utopie. Je commencerai par donner deux exemples tirés de l'histoire de l'Amérique. Le premier est fourni par Vasco de Quiroga, haut fonctionnaire de la Couronne d'Es­

pagne au Mexique, vers le milieu du 16e siècle. Homme de la Renai�­

sance, il avait lu l'Utopie de Thomas More. Très sérieusement, il proposa au Roi, qui alors cherchait des conseils sur la manière d'organiser ses nouvelles colonies, d'appliquer le système de More sur tout le continent américain. Il voulait que s'y générariee la propriété collective, le travail communautaire, un gouvernement re­

prése

tatif et autres caractéristiques de la république idé�le.

Fait étonnant, il reçut l'autorisation d'administrer une province entière selon son idée. Pour diverses raisons, dont l'opposition des colons, il ne put réaliser son projet; il ne put empêcher l'établis­

sement d'un système colonial très peu utopique. Mais jusqu'à nos jours Quiroga est vénéré comme un saint par les Tarascons, les Indiens de cette province mexicaine. Grâce à Thomas More, il comprit beaucoup mie�x que les autres Espagnols la culture autochtone qui, par certains

. (2)

Op. cit.

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