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«L écriture plate» dans les œuvres La Place, Une Femme et La Honte d Annie Ernaux

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Academic year: 2022

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Masarykova univerzita Filozofická fakulta

Ústav románských jazyků a literatur

Francouzský jazyk a literatura

Lucie Chytilová

« L’écriture plate » dans les œuvres

La Place, Une Femme et La Honte d’Annie Ernaux

Bakalářská diplomová práce

Vedoucí práce PhDr. Petr Dytrt, Ph.D.

2011

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2 Prohlašuji, že jsem diplomovou práci vypracovala samostatnë s využitím uvedených pramenů a literatury,

a že se elektronická verze shoduje s verzí tištënou.

………

Lucie Chytilová

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3 Chtëla bych podëkovat panu PhDr. Petru Dytrtovi, Ph.D., vedoucímu své bakalářské práce, za ochotnou pomoc a čas, které mi vënoval a také za cenné rady, které mi poskytl.

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

P La Place

(ERNAUX, Annie, La Place, Paris, éditions Gallimard, collection Folio, 1983.) F Une Femme

(ERNAUX, Annie, La Femme, Paris, éditions Gallimard, collection Folio, 1987.) H La Honte

(ERNAUX, Annie, La Honte, Paris, éditions Gallimard, collection Folio, 1997.)

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CONTENU

I) INTRODUCTION ... 6

II) ANNIE ERNAUX ... 8

III) MÉTHODOLOGIE ... 10

IV) ANALYSE ... 13

A) LE STYLE ... 13

 REFUS DE LART ET DU ROMAN : PAS DES METAPHORES OU DES JEUX AVEC LA SYNTAXE, UTILISATION DU PASSÉ COMPOSÉ AU LIEU DU PASSÉ SIMPLE ... 16

 CARACTERISTIQUE DU JOURNAL INTIME,« LE JE TRANSPERSONNEL », LA VOIX NEUTRE,« LA DISTANCE OBJECTIVANTE » ... 19

B) LA LANGUE ... 25

 SIMPLICITÉ DE LA SYNTAXE ET LÉCONOMIE DES MOTS ... 29

C) LES THEMES ... 32

 ASPECT SOCIOLOGIQUE : ETHNOLOGUE DE SOI-MÊME ... 39

V) CONCLUSION ... 41

VI) BIBLIOGRAPHIE: ... 43

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I) Introduction

En trouvant une nouvelle posture de l’écriture, Annie Ernaux s’impose sur le champ littéraire français dans les années 1980. Il ne dure pas longtemps et elle gagne la faveur des lecteurs et la reconnaissance de ses collègues, ce qui nous pousse à chercher les raisons de cette popularité. La simplicité de ses phrases dépourvues des effets littéraires nous amène à réfléchir à son style particulier, la sincérité avec laquelle elle décrit en détail sa vie nous étonne, parce qu’elle dit à notre place les choses que nous n’avouerions jamais et la sécheresse avec laquelle elle parle de ses souvenirs douloureux nous émeut, puisque nous devinons que « cette froideur cache peut-être des larmes »1. Tout cela est mis en œuvre aussi génialement que nous devons admirer ses livres.

Pour notre recherche de ses moyens de l’écriture nous avons choisi les œuvres La Place, Une Femme et La Honte. Il y avait plusieurs arguments pour ce choix :

Premièrement, l’œuvre La Place ouvre une nouvelle ère en ce qui concerne la production de l’auteur et elle met au jour une sorte de l’écriture inventrice qui est tout à fait inconnue au public jusqu’à la parution du livre en 1984. En écrivant de la vie de son père, Annie Ernaux explique son style inhabituel et elle le définit elle-même. Il faut donc connaître cette œuvre pour comprendre les autres qui suivent. La Place est un livre essentiel dans la carrière d’écrivain d’Annie Ernaux pour laquelle elle obtient quelques distinctions remarquables comme le prix Renaudot en 1984. Le magazine Lire a classé cette œuvre parmi les vingt meilleures de l’année 1984 et Le Monde des Livres l’a inscrite sur la liste des huit meilleurs textes des années 1980.2

Deuxièmement, nous ne pouvons pas isoler La Place d’Une Femme, parce que ces livres touchent la même problématique dans une famille, sauf que le premier se concentre au père et le deuxième s’occupe de la mère. Ses œuvres sont écrites d’une manière presque identique. Dans tous les deux cas, Annie Ernaux commence son récit par la mort l’un de ses parents et après l’avoir enterré elle se décide à écrire un livre qui va traiter de lui. Puis elle

1 SAVEAN, Marie-France, La Place et Une Femme d’Annie Ernaux, Paris, Gallimard, 1994, p. 192.

2 D’après SAVEAN, Marie-France, La Place et Une Femme d’Annie Ernaux, op. cit., p. 185.

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7 retourne dans le temps jusqu’au début du siècle à l’enfance de l’un de ses parents et elle raconte sa vie chronologiquement. Une Femme resserre d’une certaine façon le style introduit dans La Place et elle nous aide à peindre l’image de la famille.

Enfin, c’est le livre La Honte qui contient « un aveu retardé »3. L’auteur dévoile un secret, un événement qui s’est passé dans sa famille et qui a changé beaucoup sa vie. Le thème principal du livre est la honte dont Annie Ernaux parle déjà dans La Place et dans Une Femme, mais nous avons dû attendre une dizaine d’années pour obtenir une explication de ce sentiment douloureux qui se trouve dans La Honte. Annie Ernaux décrit la période de son adolescence et elle met de nouveau en scène les personnages de son père et de sa mère.

Nous voyons bien que ces trois textes se complètent et ils ne le font pas seulement de point de vue thématique, mais aussi de point de vue stylistique, parce que nous rangeons toutes les trois œuvres parmi « les récits autosociobiographiques »4 (c’est-à-dire les œuvres écrites à la première personne du singulier qui parlent de la propre vie de l’auteur en posant au centre de l’intérêt un autre personnage réel et en analysant la société à laquelle ses personnages vivent). Il est évident qu’ils forment ensemble une trilogie inséparable.

L’objectif de notre projet consiste à tâcher de trouver la signification de la notion d’« écriture plate » et à chercher sa présence dans les œuvres La Place, Une Femme et La Honte. Nous allons étudier les explications qu’Annie Ernaux propose quant à son style et nous allons analyser les trois textes pour vérifier la pertinence de ce qu’elle dit. En même temps nous voudrions mettre en évidence ces œuvres extraordinaires ainsi que l’auteur même qui revient parmi les écrivains français contemporains les plus considérables.

Pendant notre travail nous allons aborder plusieurs questions dont nous pouvons mentionner les plus substantielles : Au rang de quel genre nous pouvons mettre « l’écriture plate » ? Quels sont ses traits caractéristiques ? Est-ce que ce style pauvre a sa valeur esthétique ? Pourquoi l’auteur refuse le roman ? Quelles méthodes utilise-t-elle pour produire ce style dépouillé ? Quelle thématique relie l’œuvre La Place à Une Femme et à La Honte ?

3 BOUCHY, Florence, La Place, La Honte, Annie Ernaux, Paris, Hatier, 2005, p. 40.

4 D’après le classement de Fabrice Thumerel :

THUMEREL, Fabrice, Annie Ernaux, une oeuvre de l’entre-deux, Artois Presses Université, Arras, 2004, p. 267.

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8

II) Annie Ernaux

Il y a des oeuvres qui nous accompagnent avec plus d’insistance ;

celle d’Annie Ernaux en fait partie.5

Annie Ernaux, écrivain français contemporain, naît en 1940 à Lillebonne, au Nord de la France dans une famille des petits commerçants. Elle vient d’un milieu modeste, ses parents sont d’abord ouvriers, puis ils achètent le café-alimentation à Lillebonne et ils deviennent entrepreneurs. Annie Ernaux va à l’école privée catholique. Elle est une élève excellente et c’est pourquoi elle décide d’étudier la faculté des lettres à l’université de Rouen où elle obtient un enseignement supérieur. En 1964 elle épouse un bourgeois et elle accouche d’un fils, Éric. Elle s’installe avec son mari dans les Alpes. Au mois d’avril 1967 elle réussit à l’épreuve pratique du CAPES. Deux mois après, son père meurt d’un infarctus. En 1968 elle attend son deuxième fils qui s’appelle David. En 1971 elle remporte un succès quand elle devient agrégée de lettres. Pendant les années elle enseigne à Annecy, à Pontoise et au Centre national d’enseignement à distance. Maintenant elle est à la retraite.6

En 1974 elle écrit sa première œuvre Les armoires vides (1974) où elle raconte à la première personne l’héroïne Denis Lesur qui « attend dans sa chambre de la cité étudiante l’aboutissement de l’avortement qu’elle a déclenché et s’interroge sur les faits qui l’ont conduite là ».7 L’héroïne-narratrice qui représente Annie Ernaux, parle de son enfance et de son adolescence de point de vue d’une jeune étudiante entourée par ses camarades de classe. Son deuxième livre Ce qu’ils disent ou rien (1977) décrit une période plus courte. Il s’agit d’un roman qui a aussi un caractère autobiographique. Dans son troisième livre La Femme gelée (1981), Annie Ernaux parle de son mariage8. Ce roman « dépasse le cheminement personnel, évoquant non seulement un milieu social, mais le destin des femmes... ».9 Grâce à son ouvrage suivant La Place, publié en 1983 par Gallimard, elle a

5 JARRY, Johanne, « Annie Ernaux : une femme au cœur de l’écriture », Nuit blanche, le magazine du livre, n° 80, 2000, p. 14.

6 D’après les biographies de l’auteur mentionnées dans les oeuvres:

BOUCHY, Florence, La Place, La Honte, Annie Ernaux, op. cit., pp. 36-37.

SAVEAN, Marie-France, La Place et Une Femme d’Annie Ernaux, op. cit., pp. 149-151.

7 DUGAST-PORTES, Francine, Annie Ernaux, étude de l’oeuvre, Bordas, Paris, 2008, p. 22.

8 D’après DUGAST-PORTES, Francine, Annie Ernaux, étude de l’oeuvre, op. cit., pp. 22-26.

9 Ibid., p. 25.

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9 obtenu le prix Renaudot en 1984. Ce récit désigne la relation avec son père. Deux ans plus tard, quand sa mère meurt après une longue maladie, Annie Ernaux écrit le livre Une Femme (1986) qui lui est consacré, ainsi elle dit adieu à ses racines. D’autres œuvres les plus importantes sont : La Passion simple (1991, adaptée au théâtre en 2007) , Le Journal du dehors (1993), La Honte (1997), L’Événement (2000), La Vie extérieure (2000), Se Perdre (2001), L’Occupation (2002, adaptée au cinéma en 2009, inspiration pour le film L’Autre) et son dernier livre Les Années pour laquelle elle a reçu Le prix Marguerite Duras et Le Prix François Mauriac en 2008. Cette œuvre décrit soixante d’années de la vie d’Annie Ernaux et sert à un moyen « de sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais».10

10 ERNAUX, Annie, Les Années, Paris, Gallimard, 2008, p. 242.

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III) Méthodologie

J'aime ses phrases sans métaphores, sans effets, leurs silex affûtés qui tranchent dans le vif, écorchent.11

La production d’Annie Ernaux est tout à fait spécifique et la classification de ses œuvres La Place, Une Femme et La Honte est difficile. Nous ne pouvons pas considérer ces textes comme des romans, parce qu’Annie Ernaux refuse de chercher un caractère attirant dans n’importe quel style littéraire. Elle a renoncé à la fiction au profit de la réalité et elle s’inspire exclusivement de sa vie personnelle. Elle-même définit son style qu’elle-même désigne

« l’écriture plate », ainsi :

Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité, je n’ai pas le droit de prendre d’abord le parti de l’art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant », ou d’« émouvant ». Je ressemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d’une existence que j’ai aussi partagée. Aucune poésie de souvenir, pas de dérision jubilante. L’écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j’utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles. (P, p. 23-24)

Annie Ernaux ne s’efforce pas de cacher qu’elle trouve de l’inspiration dans son expérience personnelle et elle raconte La Place, Une Femme et La Honte en première personne du singulier. Malgré cela elle ne considère pas ses œuvres comme des récits autobiographiques, elle dit : « Le je que j’utilise me semble une forme impersonnelle, à peine sexuée, quelquefois plus une parole de “l’autre” qu’une parole de “moi” : une forme transpersonnelle, en somme. »12 Dans ses livres La Place et Une Femme ce sont les personnages de son père et de sa mère qui dominent. Elle explique : « ce terme [le récit autobiographique+ ne me satisfait pas, parce qu’il est insuffisant. Il souligne un aspect certes fondamental, une posture d’écriture et de lecture radicalement opposée à celle du romancier, mais il ne dit rien sur la visée du texte, sa construction. Plus grave, il impose une image réductrice : “ l’auteur parle de lui”. »13

Son style se trouve à la frontière de la littérature et de la sociologie. Le thème principal de La Place est une question de la barrière dans l’hiérarchie sociale. Ce qui fait du travail littéraire d’Annie Ernaux une œuvre sociologique et ethnologique, est « la distance

11 ERNAUX, Annie, L’Écriture comme un couteau, Entretien avec Frédéric-Yves Jeannet, éd. Stock, 2003.

12 ERNAUX, Annie, « Vers un je transpersonnel », RITM, Université de Paris X, n° 6, 1994, p. 221.

13 ERNAUX, Annie, L’Écriture comme un couteau, op. cit., p. 21.

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11 objectivante »14 qui garde l’auteur de ce qu’il raconte. Annie Ernaux joue le rôle de témoin dans ses œuvres ou parfois même le rôle de l’accusateur. Elle parle de son œuvre Une Femme comme suit: « Ceci n’est pas une biographie, ni un roman naturellement, peut-être quelque chose entre la littérature, la sociologie et l’histoire. » (F, p. 106) C’est pourquoi nous classons sa production parmi les autosociobiographies.15

Dans ses monologues internes elle n’utilise pas de constructions syntaxiques compliquées, mais plutôt des phrases simples et des verbes à l’infinitif. Dans La Place elle essaye de réunir les mots, les gestes et les événements importants de la vie de son père. Elle écrit :

« Plusieurs mois se sont passés depuis le moment où j’ai commencé ce récit. J’ai mis beaucoup de temps parce qu’il n’était pas aussi facile de ramener au jour des faits oubliés que d’inventer. La mémoire résiste. » (P, p. 100) De cette manière elle forme une mosaïque d’une vie concrète qui reflète aussi une réalité objective. Ses phrases simples par lesquelles elle nous raconte les détails de sa vie, sont très émouvantes. Nous apprécions sa façon de le faire : elle utilise un minimum de mots qui évoquent un maximum d’émotions. Nous apercevons dans sa vie quotidienne notre vie personnelle et son analyse de sa vie nous aide à nous comprendre nous-mêmes.

Pour pouvoir découvrir « l’écriture plate » dans les œuvres La Place, Une Femme et La Honte nous devons d’abord analyser ses traits spécifiques que nous avons distingués en plusieurs groupes:

1) Le style

 Refus de l’art et du roman : pas des métaphores ou des jeux avec la syntaxe, utilisation du passé composé au lieu du passé simple

 Caractéristique du journal intime, « le je transpersonnel »16, la voix neutre, « la distance objectivante »

2) La langue

 Simplicité de la syntaxe et l’économie des mots 3) Les thèmes

14 Annie Ernaux utilise cette expression dans son œuvre L’Écriture comme un couteau, op.cit.

15 « La place, Une femme, La honte est en partie L’événement, sont moins autobiographiques que auto-socio- biographiques. »

ERNAUX, Annie, L’Écriture comme un couteau, op. cit., p. 21.

16 Selon le titre de l’article: ERNAUX, Annie, « Vers un je transpersonnel », op. cit.

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 Aspect sociologique: « ethnologue de [s]oi-même »17

Selon ses points d’appui nous allons essayer de caractériser « l’écriture plate » à travers l’analyse des trois œuvres d’Annie Ernaux.

17 Expression utilisée dans La Honte, p. 40.

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IV) Analyse

a) Le style

Habituellement, parler d’écriture plate est un reproche.

Style plat: style pauvre, signe cruelle d’un manque de talent.

Or, Annie Ernaux déclare qu’elle n’a pas le droit d’écrire autrement, au nom de la verité qu’elle cherche et de la fidélité qu’elle veut restaurer. 18 Pour pouvoir mieux comprendre le style d’Annie Ernaux et ses principes, il faut d’abord consulter la situation dans la littérature française de la deuxième moitié du XXe siècle. Dès les années 1950 a retenu l’attention le Nouveau roman qui est parfois considéré comme un « antiroman », parce que ses représentants sont en contradiction avec le roman traditionnel qu’ils accusent du mensonge. À ce propos Nathalie Sarraute a écrit dans son œuvre L’Ère du soupçon :

Non seulement romancier ne croit plus guère à ses personnages, mais le lecteur, de son côté, n’arrive plus à y croire [...] Nous sommes entrés dans l’ère de supçon. Et tout d’abord le lecteur, aujourd’hui, se méfie de ce qui lui propose l’imagination de l’auteur.19

Même si le Nouveau roman a éveillé l’intérêt surtout chez les critiques littéraires, il revient à côté de l’existentialisme parmi les mouvements littéraires les plus marquants de cette époque-là. Son plus grand apport réside probablement dans les nouvelles techniques narratives. Annie Ernaux commence à écrire quand le Nouveau roman prend son essor et il influence sa première œuvre Du soleil à cinq heures qui n’a pas été publiée.

Néanmoins le style d’Annie Ernaux a évolué et plus tard elle est « partie en guerre contre le roman »20 en commençant par son œuvre La Place. Ses trois premiers livres qui s’appellent Les Armoires vides, Ce qu’ils disent ou rien et La femme gelée sont des romans (surtout les deux premières œuvres sont influencées par le Nouveau roman et par les écrivains comme Nathalie Sarraute et Robert Pinget), mais au début de l’écriture de La Place l’auteur se rend compte que « le roman est impossible » (P, p.

24) et le ton des œuvres suivantes change beaucoup. En ce qui concerne le Nouveau

18 SAVEAN, Marie-France, La Place et Une Femme d’Annie Ernaux, op. cit., p. 90.

19 SARRAUTE, Nathalie, L’Ère du soupçon, Paris, Gallimard, 1956, pp. 69-75.

20 VIART, Dominique, VERCIER, Bruno, La littérature française au présent, Bordas, Paris, 2005, p. 36.

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14 roman Annie Ernaux a écrit : « On voulait l’aimer, mais on ne trouverait pas en lui assez de secours pour vivre. »21

Elle ne s’intéresse pas aux jeux formels qui s’apparaissent souvent dans la littérature des années 1960 et 1970, son but est de rendre la vision du monde tel que son père le voyait et de décrire son existence réelle (pour le livre concret La Place dont il est le personnage principal), ce qui le roman rend impossible en cherchant quelque chose de touchante ou d’attrayante. Annie Ernaux ne veut pas transformer la vie en roman qui est construit et inventé. Elle appelle son outil : « les moyens de la vérité »22, parce que c’est la vérité, surtout la vérité de la vie qu’elle veut montrer en évitant la théâtralisation et le spectacle. Elle essaye de se retourner vers l’origine sans falsifier.

Toutes ces tentations forment son style qui est indéterminable sur le champ littéraire puisque « la combinatoire qu’elle crée la fait échapper à toutes les déterminations »23, en quoi consiste le dessein de l’écriture de l’auteur qui veut

« éviter la mise en œuvre d’une certaine conception de la littérature »24. Annie Ernaux elle-même nomme son style « l’écriture plate » qui est considérée par la critique comme une sorte de « l’écriture blanche »25. C’était Roland Barthes qui a introduit ce terme pour désigner la manière d’écrire sans effets littéraires. Ce classement l’auteur commente ainsi :

J’ai souvent accueilli la définition d’ « écriture blanche », en référence à Barthes, [...] avec indifférence, parfois irritation. Il me semblait qu’on réunissait sous le même sigle des écritures présentant certes de ressemblances mais qui obéissaient certainement à des nécessités et des intentionnalités n’ayant rien à voir entre elles, qu’il s’agisse une fois de plus de ramener le nouveau au déjà connu. 26

Sa position est donc évidente, elle affirme que ses œuvres se ressemblent par quelques traits spécifiques aux autres textes rangés parmi « l’écriture blanche », mais

21 JARRY, Johanne, « Annie Ernaux : une femme au cœur de l’écriture », op. cit., pp. 14-17.

22 DUGAST-PORTES, Francine, Annie Ernaux, étude de l’œuvre, Bordas, Paris, 2008, p. 179.

(texte d’Annie Ernaux « ne pas prendre d’abord le parti de l’art ... » écrit à l’occasion du colloque « Écritures blanches »)

23 Ibid., p. 8.

24 THUMEREL, Fabrice, Annie Ernaux, une œuvre de l’entre-deux, op. cit., p. 85.

25 BARTHES, Roland, Le Degré zéro de l’écriture, Paris, éditions du Seuil, « Points », 1979.

26 DUGAST-PORTES, Francine, Annie Ernaux, étude de l’œuvre, op. cit., p. 175.

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15 elle ajoute qu’il y a des différences importantes. En même temps il faut prendre en considération qu’Annie Ernaux n’a pas l’intention de créer une nouvelle terminologie ou un nouveau style littéraire. Le terme « l’écriture plate » a été pris de son contexte du livre La Place et l’écrivain déclare que « rien n’est plus éloigné de [son]

projet, [...] , que d’imposer une théorie, des définitions, [...] ».27

27 DUGAST-PORTES, Francine, Annie Ernaux, étude de l’œuvre, op. cit., p. 175.

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Refus de l’art et du roman : pas des métaphores ou des jeux avec la syntaxe, utilisation du passé composé au lieu du passé simple

Je hasarde une explication : écrire c’est le dernier recours quand on a trahi. (P, p. 9)

Annie Ernaux préface son œuvre La Place par cette citation au-dessus de Jean Genet. Le sentiment qu’elle a trahi ses parents en entrant dans une autre classe sociale parmi les bourgeois ne motive que la création de cette œuvre, mais aussi le choix de l’écriture lui-même. Elle affirme : « faire de mon père un personnage, de sa vie un destin fictif, me paraissait la trahison continuée de la vie dans la littérature ».28 Annie Ernaux veut éviter l’utilisation de la langue soutenue et d’un style châtié ainsi que la transformation de son père en personnage du roman, parce que ce serait comme « une nouvelle trahison ».29 A l’opposé de son père, elle a obtenu une formation supérieure et elle est devenue agrégée des lettres, c’est-à-dire qu’elle est capable de jouer avec les mots, mais son choix de l’écriture est différent. Annie Ernaux refuse l’écriture romanesque qui ne peut pas l’aider à comprendre et à connaître la vie de son père et elle se décide pour « l’écriture plate » par l’intermédiaire de laquelle elle peut enregistrer leur « amour séparé » (P, p . 23). Elle explique son style ainsi :

Plate parce que je décris la vie de mon père, ni avec mépris, ni avec pitié, ni à l’inverse en idéalisant. J’essaie de rester dans la ligne des faits historiques, du document. Une écriture sans jugement, sans métaphore, sans comparaison romanesque, une sorte d’écriture objective qui ne valorise ni ne dévalorise les faits racontés.30

Ses choix d’écriture nous paraissons donc d’être plutôt des absences ou des refus du style littéraire. Annie Ernaux déclare dans son œuvre Une Femme qu’elle

« souhaite de rester, d’une certaine façon, au-dessous de la littérature » (F, p. 23). Elle se débarrasse des procédés qui sont habituellement utilisés dans la littérature, ce qui

28 ERNAUX, Annie, « Vers un je transpersonnel » , op.cit., p. 221.

29 BOUCHY, Florence, La Place, La Honte, Annie Ernaux, op. cit., p. 38.

30 CHARPENTIER, Isabelle, « “Quelque part entre la littérature, la sociologie et l’histoire...” », COnTEXTES, n°1, 2006, p. 6 (Isabelle Charpentier cite l’entretien avec l’auteur du février 1992).

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17 commente Fabrice Thumerel dans son étude Annie Ernaux, une œuvre de l’entre- deux ainsi : « elle est “dans le jeu littéraire”, mais sans réellement “jouer le jeu” »31. L’auteur se rend compte d’une valeur des mots et il n’oublie pas leur capacité de transformer la réalité. Elle s’applique à la pureté de l’expression et à la compréhension facile de ses phrases et ses mots ce qui vient de son milieu social d’origine où « l’on n’y prenait jamais un mot pour un autre » (P, p. 46). Ainsi Annie Ernaux renonce aux métaphores et aux phrases syntaxiquement compliquées qui incommodent le lecteur en lisant le texte.

Une autre spécificité qui confirme son refus de l’art est l’utilisation du passé composé qui remplace le passé simple. L’auteur explique cette préférence dans son œuvre Se Perdre : « j’écris au passé composé parce qu’on parle au passé composé »32. Le passé simple ne lui convient pas, parce qu’il s’agit du temps grammatical qui apparaît exclusivement dans la langue littéraire. Annie Ernaux dit :

Le passé simple me rappelle mes rédactions d’élève, l’artifice par lequel je donnais de la noblesse aux actions ordinaires [...], il me rappelle une écriture qui n’avait aucune réalité, qui avait pour avantage principal d’être bien notée.33

Voilà plusieurs citations qui prouvent la présence du passé composé dans les œuvres La Place, Une Femme et La Honte :

La Place :

Mon père est entré dans la catégorie des gens simples ou modestes ou braves gens.

(p. 80)

Une Femme :

Ma mère est morte le lundi 7 avril à la maison de retraite de l’hôpital de Pontoise, où je l’avais placée il y a deux ans. L’infirmier a dit au téléphone : « Votre mère s’est éteinte ce matin, après son petit déjeuner. » Il était environ dix heures. (p. 11)

La Honte :

Mon père a voulu tuer ma mère un dimanche de juin, au début de l’après-midi. (p. 13)

Nous avons montré que le style particulier d’Annie Ernaux est caractérisé par l’écriture simple des faits réels et par l’économie des effets littéraires. Elle refuse de

31 THUMEREL, Fabrice, Annie Ernaux, une œuvre de l’entre-deux, op. cit., p.35.

32 ERNAUX, Annie, Se Perdre, Paris, Gallimard, 2001, p. 313.

33 ERNAUX, Annie, L’Écriture comme un couteau, op. cit., p. 129.

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« prendre d’abord le parti de l’art » (P, p. 24). Le mot « d’abord » est essentiel dans cette phrase-là, parce qu’il désigne un travail dur qui est caché derrière le terme

« l’écriture plate ». Quoiqu’elle écrive : « l’écriture plate me vient naturellement » (P, p. 24), elle doit s’efforce beaucoup en écrivant pour produire l’effet demandé. Étant donné qu’elle est professeur de la littérature, il est difficile pour elle de ne pas utiliser aucune technique littéraire. Annie Ernaux nous explique :

« l’adverbe “naturellement’’ [...] est à prendre non dans un sens vague de

“facilement’’ mais précis de “par un retour à la nature première’’ en l’occurrence culturelle. »34 Mais un effort de fuir la littérature n’est pas le seul qui détermine

« l’écriture plate » dans les œuvres La Place, Une Femme et La Honte.

34 DUGAST-PORTES, Francine, Annie Ernaux, étude de l’œuvre, op. cit., p. 179.

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Caractéristique du journal intime, « le je transpersonnel », la voix neutre,

« la distance objectivante »

Récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie

individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. 35 (Philippe Lejeune : “De l’autobiographie”) Dans les années 1970 et 1980 les récits autobiographiques sont devenus très populaires. Il y a deux raisons principales pour cette attractivité. Premièrement, ce sont les médias qui préfèrent ce rapprochement de soi, parce qu’ils cherchent surtout à interroger l’auteur et à retrouver les traces autobiographiques dans son œuvre. Deuxièmement, la société commence à s’intéresser aux sciences humaines comme la psychanalyse ou la sociologie.

Mais est-ce que ces trois livres d’Annie Ernaux sont vraiment des autobiographies comme il pourrait sembler au premier regard? Nous avons déjà signalé qu’Annie Ernaux dépouille ses œuvres de toute fiction. En même temps nous ne doutons pas que « l’auteur parle de lui »36 et qu’Annie Ernaux ne représente pas seulement l’auteur, mais aussi la narratrice et le personnage de ses œuvres. Or, dans La Place et Une Femme elle évoque surtout la vie de ses parents, ce sont eux sur qui l’auteur concentre son attention. Ainsi ses œuvres ne remplissent pas les critères de la définition de l’autobiographie de Philippe Lejeune, parce que l’écrivain ne met pas en évidence sa vie individuelle.

Annie Ernaux écrit ses livres à la première personne du singulier, mais elle déclare :

« je sors de l’autobiographie [...] le “je’’ de mon œuvre est collectif »37. Elle utilise le

« je » comme un moyen pour retrouver des vérités collectives ce qui fait la différence entre « l’écriture plate » et l’autobiographie. Annie Ernaux explique que son « je » et un « je transpersonnel »38 qui échappe à l’individualité et ainsi ses mots pourraient être également ceux de quelqu’un d’autre. Elle dit : « Je crois que j’écris parce que je ressemble à tout le monde. C’est la partie de moi qui ressemble à tout le monde qui

35 LEJEUNE, Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975, p. 14.

36 ERNAUX, Annie, L’Écriture comme un couteau, op. cit., p. 21.

37 CHARPENTIER, Isabelle, « “Quelque part entre la littérature, la sociologie et l’histoire...” », op. cit., p. 3 (Isabelle Charpentier cite l’entretien avec l’auteur du mars 1992).

38 Selon le titre de l’article d’Annie Ernaux: « Vers un je transpersonnel » , op. cit., p. 221.

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20 veut écrire. »39 Ce phénomène commente Marie-France Savéan dans son étude La Place et Une Femme d’Annie Ernaux : « Annie Ernaux devient ainsi le porte-voix de tous ceux qui, n’ayant pas son talent, ont ressenti, sans pouvoir l’exprimer, l’ambiguïté de toute ascension sociale. »40 C’est-à-dire que le « je » ainsi que le « il » représente surtout un groupe social.

Mes livres répond certes, au désir personnel que j’avais de faire entrer mes parents dans la littérature. Mais avec eux, c’est aussi toute une classe sociale que j’emmène.

*…+ Je pense – et c’est une de mes raisons d’écrire – que dans le destin individuel est contenu le social. C’est le social qui prime dans l’individu.41

Mais nous rencontrons dans ces récits autosociobiographiques aussi des pronoms

« on » et « nous » qui ne nous rappellent pas seulement le sens collectif de ces œuvres, mais aussi la cohésion de la famille qu’Annie Ernaux éprouve. Elle dit : « Je dis souvent “nous” maintenant, parce que j’ai longtemps pensé de cette façon et je ne sais pas quand j’ai cessé de le faire. » (P, p. 61) et elle parle de la vie de son père comme « d’une existence qu’[elle a] aussi partagée » (P, p. 24). Le pronom « nous » fait le lien évident entre la biographie et l’autobiographie. Voilà quelques exemples :

La Place :

A douze ans, il se trouvait dans la classe du certificat. Mon grand-père l’a retiré de l’école pour le placer dans la même ferme que lui. On ne pouvait pas le nourrir à rien faire. « On n’y pensait pas, c’était pour tout le monde pareil. » (P, pp. 29-30)

Simplement parce que ces mots et ces phrases disent les limites et la couleur du monde où vécut mon père, où j’ai vécu aussi. Et l’on n’y prenait jamais un mot pour un autre. (P, p. 46)

Un jour, il fait déjà noir, à l’étalage d’une petite fenêtre, la seule éclairée dans la rue, brillent des bonbons roses, ovales, poudrés de blanc, dans des sachets de cellophane.

On n’y avait pas droit, il fallait des tickets. (P, p. 51)

Les cabinets étaient enfin dans la cour. On vivait enfin au bon air. (P, p. 52)

Parce que ces façons de vivre étaient à nous, un bonheur même, mais aussi les barrières humiliantes de notre condition (conscience que « ce n’est pas assez bien chez nous »), je voudrais dire à la fois le bonheur et l’aliénation. (P, pp. 54-55)

39 CHARPENTIER, Isabelle, « “Quelque part entre la littérature, la sociologie et l’histoire...” », op. cit., p. 3 (Isabelle Charpentier cite l’entretien avec l’auteur du mars 1992).

40 SAVEAN, Marie-France, La Place et Une Femme d’Annie Ernaux, op. cit., p. 21.

41 CHARPENTIER, Isabelle, « “Quelque part entre la littérature, la sociologie et l’histoire...” », op. cit., p. 8.

(21)

21 Honte d’ignorer ce qu’on aurait forcément su si nous n’avions pas été ce que nous étions, c’est-à-dire inférieurs. Obsession : Qu’est-ce qu’on va penser de nous ? (P, pp.

60-61)

On ne savait pas se parler entre nous autrement que d’une manière râleuse. Le ton poli réservé aux étrangers. (P, p. 71)

Une Femme :

On « allait en ville », pour la messe, la viande, les mandats à envoyer. (F, p. 24)

On pouvait manquer la classe, on ne perdait rien. Mais non la messe qui, même dans le bas de l’église, vous donnait le sentiment, en participant à la richesse, la beauté de l’esprit...de ne pas vivre « comme des chiens ». (F, p. 29)

L’une de ses réflexions fréquentes à propos des gens riches, « on les vaut bien ». (F, p. 32)

On ne parlait de la sexualité que sur le mode de la grivoiserie interdite aux « jeunes oreilles » ou du jugement social, avoir bonne ou mauvaise conduite. (F, p. 60)

Entre nous, la gentillesse, presque la timidité de ceux qui ne vivent plus ensemble.

(F, p. 67)

La Honte :

Il y avait une période de silence, où une voix chuchotait juste « on entendrait une mouche voler » puis une explosion de cris, des phrases confuses. (H, p. 20)

En juin 52, je ne suis jamais sortie du territoire qu’on nomme d’une façon vague mais comprises de tous, par chez nous, le pays de Caux, sur la rive droite de la Seine, entre Le Havre et Rouen. (H, p. 42)

Croyance générale qu’on ne peut aller quelque part sans connaître et admiration profonde pour ceux ou celles qui n’ont pas peur d’aller partout. (H, p. 43)

Le centre, c’est là où l’on ne va pas faire ses courses en chaussons ou en bleu de travail. (H, p. 48)

Descendre du centre-ville au quartier du Clos-des-Parts, puis la Corderie, c’est encore glisser d’un espace où l’on parle bien français à celui où l’on parle mal... (H, p. 57)

On évaluait les personnes en fonction de leur sociabilité. Il fallait être simple, franc et poli. (H, p. 68)

On ne pouvait pardonner à ceux qui niaient l’existence des autres en ne regardant personne. (H, p. 70)

Le pire dans la honte, c’est qu’on croit être seul à la ressentir. (H, p. 116)

(22)

22 Nous voyons bien que La Place, Une Femme et La Honte, les œuvres tout à fait originales, se trouvent à la frontière de l’autobiographie et de la biographie en décrivant la vie quotidienne des parents de point de vue de leur fille. Mais il faut ajouter qu’Annie Ernaux saisit aussi l’histoire de ses parents avant sa naissance et la narration de cette période-là n’est pas donc fondée sur ses propres souvenirs, mais sur les souvenirs de sa mère qu’elle nous passe. Annie Ernaux nous raconte par exemple que ses parents avaient déjà une fille qui est morte de la diphtérie avant qu’elle naisse. « Ma mère racontait en s’essuyant les yeux avec un chiffon sorti de sa blouse, “elle est morte à sept ans, comme une petite sainte. ” » (P, p. 47) Cet événement a beaucoup influencé la vie de l’auteur, parce qu’il se sent toujours comme « un produit de remplacement »42, ainsi que sa production littéraire où se trouvent de nombreux thèmes de la mort. Elle dit : « Je suis née parce que ma sœur est morte, je l’ai remplacée. Je n’ai donc pas de moi. »43

Le constat des faits sans les émotions et « la distance objectivante » sont d’autres aspects de « l’écriture plate ». Au début du livre La Place Annie Ernaux parle de la mort de son père. Il s’agit sans doute des souvenirs très douloureux, mais l’écrivain n’éprouve aucun sentiment. « Mon père est mort deux mois après, un jour pour jour.

Il avait soixante-sept ans et tenait avec ma mère un café-alimentation [...] » (P, p. 13).

Pareillement, elle décrit avec sécheresse le décès de sa mère dans le livre Une Femme :

Ma mère est morte le lundi 7 avril à la maison de retraite de l’hôpital de Pontoise où je l’avais placée il y a deux ans. L’infirmier a dit au téléphone : « Votre mère s’est éteinte ce matin, après son petit déjeuner. » Il était environ dix heures. (F, p. 11) Elle s’efforce de la « froideur apparente »44, c’est pourquoi elle remplace maman par ma mère. Elle avoue honnêtement : « J’essaie de décrire et d’expliquer comme il s’agissait d’une autre mère et d’une fille qui ne serait pas moi. Ainsi, j’écris de la manière la plus neutre possible [...] » (F, p. 62) Annie Ernaux conserve avec conscience l’objectivité et la voix neutre dans ses œuvres pour ne pas verser dans les jugements,

42 JARRY, Johanne, « Une femme au cœur de l’écriture », op. cit., p. 16.

43 ERNAUX, Annie, Je ne suis pas sortie de ma nuit, Gallimard, Paris, 1997, p. 42.

44 SAVEAN, Marie-France, La Place et Une Femme d’Annie Ernaux, op.cit., p. 179.

(23)

23 puisqu’elle sent qu’elle n’a pas droit de juger ni son père ni sa mère. « Mais, paradoxalement, c’est parce qu’elle ne la *l’émotion+ transcrit pas qu’elle la suscite davantage chez son lecteur. »45 Citons, à titre d’exemple la situation où le père est mort et avant l’enterrement son corps reste dans son lit à la maison. Annie Ernaux écrit : « L’odeur est arrivée le lundi. Je ne l’avais pas imaginée. Relent doux puis terrible de fleurs oubliées dans un vase d’eau croupie. » (P, p. 17) Ces phrases apparemment innocentes, suscitent l’horreur.

Toutes les trois œuvres analysées d’Annie Ernaux sont écrites comme des monologues intérieurs et « l’écriture plate » ressemble donc de façon frappante au journal intime. L’auteur de temps en temps cesse de raconter pour réfléchir aux méthodes de son écriture et de son but ce qui produit un effet de puzzle. « La Place se présente comme un texte très aéré, compte tenu à la fois des très nombreux paragraphes et des blancs de volumes variables qui les séparent. »46 Au fur et à mesure l’auteur nous présente le portrait du personnage ou plutôt « la mosaïque de la mémoire de la narratrice qui nous est donnée à lire »47. Cette « présentation fragmentaire »48 met au jour le mécanisme de la réminiscence d’un passé lointain de l’auteur et elle est un des traits qui caractérisent le journal. Parmi d’autres revient par exemple le dévoilement des choses intimes et la description du monde interne.

Le livre La Honte est consacré à l’aveu que l’auteur fait tout au début. Elle parle de la scène quand « [s]on père a voulu tuer [s]a mère. » (H, p. 13), ceci est la première phrase de l’œuvre. Annie Ernaux avoue : « J’écris cette scène pour la première fois.

Jusqu’à aujourd’hui, il me semblait impossible de le faire, même dans un journal intime. » (H, p. 16) Il est évident qu’elle ne cache rien devant le lecteur.

Quoique les textes La Place, Une Femme et La Honte portent quelques éléments caractéristiques communs avec le journal intime, Annie Ernaux elle-même déclare qu’elle n’a écrit que deux journaux intimes49 qui s’appellent Se Perdre et Je ne suis

45 SAVEAN, Marie-France, La Place et Une Femme d’Annie Ernaux, op. cit., p. 38.

46 BOUCHY, Florence, La Place, La Honte, Annie Ernaux, op. cit., p. 57.

47 Ibid., p. 60.

48 DUGAST-PORTES, Francine, Annie Ernaux, étude de l’œuvre, op. cit., p. 17.

49 Il faut mentionner qu’Annie Ernaux écrit aussi les journaux « extimes » (p.ex. Le Journal du dehors) dont la thématique se concentre sur l’extérieur.

(24)

24 pas sortie de ma nuit et elle explique la différence entre le journal intime et les autres œuvres :

La posture de l’écriture n’est pas la même. Dans ce que je nomme les textes concertés, romans, récits, même les journaux « du dehors », j’ai le désir de rechercher et de mettre au jour une réalité, d’aller jusqu’au bout de quelque chose et la forme du texte est elle aussi à trouver. C’est une projection dans le monde, une quête. Passion simple est la recherche de ce qu’est la passion au travers de ses signes matériels, Une femme de la vie de ma mère et de mon lien avec elle.50

Il ne nous reste que d’être d’accord avec elle, parce que c’est en effet surtout l’écriture spontanée sans projet, sans introspection critique et sans engagement qui fait du journal intime ce qu’il est. Si nous écrivons notre journal intime, nous ne réfléchissons pas au lecteur, puisque d’habitude il n’existe pas. Nos phrases sont destinées à nous-mêmes au moins dans le moment de l’écriture. Mais si nous admettons que le journal intime est une affaire privée qui révèle nos secrets, pourquoi Annie Ernaux dit-elle dans La Honte qu’ « écrire est une chose publique » (H, p. 91) ? Elle s’exprime que ce livre lui semble comme un échec en ce qui concerne la compréhension du monde. Elle n’avait jamais l’intention de montrer à quelqu’un son journal, mais elle dit : « L’écriture, toute écriture, est, par nature, publique à mes yeux en ce sens que, détachée de la voix, du corps, de la vie même de celui qui la produit, immatérielle, elle est donnée à tous, n’importe qui sachant lire peut se l’approprier. »51 S’approprier est exactement ce que nous faisons en lisant les textes d’Annie Ernaux. Nous nous les approprions, parce que nous voyons notre propre vie dans ce qu’elle raconte. Annie Ernaux s’émeut en disant :

La place a été un grand révélateur de la société française. Du coup, des tas de gens ont découvert quelque chose qui était dit à leur place [...] Les lettres que j’ai reçues étaient très significatives. Ces lettres sont pour moi la plus grande récompense.52

50 THUMEREL, Fabrice, Annie Ernaux, une œuvre de l’entre-deux, op. cit., p. 247.

51 Ibid., p. 246.

52 JARRY, Johanne, « Une femme au cœur de l’écriture », op. cit., p. 15.

(25)

25

b) La langue

Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancœur et de chicanes douloureuses,

bien plus que l’argent. (P, p. 64)

Annie Ernaux nous présente dans ses livres son milieu d’origine avec sa culture et son langage. Elle est louée par la critique littéraire grâce à cette « peinture sociale »53. C’était par exemple Michel Boué qui a écrit l’article « Féminin pluriel » et qui s’est exclamé en parlant d’Annie Ernaux et de Marguerite Duras: « Mesdames, bravo ! »54 Annie Ernaux résume son objectif ainsi : « Je ressemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d’une existence que j’ai aussi partagée. » (P, p. 24)

Le père et la mère de l’écrivain sont venus d’Yvetot, une petite ville entre Le Havre et Rouen. « Mes parents y étant nés et, avant eux, leurs parents et leurs grands- parents dans les villages voisins... » (H, p. 41). Ils sont issus d’une famille paysanne et ils n’ont pas obtenu que l’enseignement élémentaire. À la fin de la guerre avec l’industrialisation ils sont devenus ouvriers. « Mon père est entré dans une corderie qui embauchait garçons et filles dès l’âge de treize ans. » (P, p. 35) Après le mariage ils ont acheté un café-épicerie et ils sont entrés, avec la fierté de ne plus revenir parmi les ouvriers, dans le monde des petits entrepreneurs. « La vie d’ouvrier de mon père s’arrête ici. » (P, p. 52) Les gens (les clients, les ouvriers, les voisins du quartier ainsi que les membres de la famille) les considèrent comme des riches, ce qui est l’impression erroné, parce qu’ils ne gagnent pas plus qu’un ouvrier. La mère d’Annie Ernaux devient une patronne « en blouse blanche » (P, p. 43) et ainsi elle acquiert son indépendance. « Elle ne disait pas comme d’autres femmes mon mari va me disputer si j’achète ça, si je vais là. » (P, p. 43) Son père ne boit jamais. « Il cherchait à tenir sa place. Paraître plus commerçant qu’ouvrier. » (P, p. 45) Mais il leur reste pour toujours la peur d’être déplacé ou d’avoir honte ce qui touche surtout la langue.

53 DUGAST-PORTES, Francine, Annie Ernaux, étude de l’œuvre, op. cit., p. 153.

54 Ibid.

(26)

26 Devant les personnes qu’il jugeait importantes, il [le père] avait une raideur timide, ne posant jamais aucune question. Bref, se comportant avec intelligence. Celle-ci consistait à percevoir notre infériorité et à la refuser en la cachant du mieux possible. (P, p. 60)

L’auteur utilise la langue populaire de ses parents qui est souvent soulignée par les italiques. Elle essaie de rester « au plus près des mots et des phrases entendues » (P, p. 46) pour rapprocher aux lecteurs « la couleur du monde » (P, p. 46) où elle a grandi. « Je voulais retrouver une langue perdue, et d’une violence correspondant [...]

à la violence naturelle du langage en usage dans mon milieu [...] »55 Même si les parents d’Annie Ernaux n’utilisent pas le patois comme ses grands-parents (dans les années cinquante tout le monde apprécie le patois comme vieux et laid), ils ne parlent pas français correctement, ce dont ils se rendent compte et ils se taisent devant les gens qui ne sont pas comme eux, c’est-à-dire ils n’appartiennent pas à la même classe sociale. « [S]on père dit souvent “j’avions” ou “j’étions” » (H, p. 57-58).

Parler bien n’a pas d’importance pour lui, cela exige trop d’effort. Annie Ernaux parle pendant son enfance comme ses parents, elle raconte : « Enfant, quand je m’efforçais de m’exprimer dans un langage châtié, j’avais l’impression de me jeter dans le vide. » (P, p. 64) A l’école elle est blâmée par la maîtresse pour son langage, ce qui mène aux disputes à la maison. « “Comment voulez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous parlez mal tout le temps ! ” Je pleurais. Il était malheureux. » (P, p. 64) Voilà plusieurs exemples de leur usage de la langue :

La Place :

Espèce de grand piot.(P, p. 28)

J’avais deux blouses d’école. La gosse n’est privée de rien. (P, p. 56)

Soudain, ma robe s’accroche par la poche à la poignée du vélo, se déchire. Le drame, les cris, la journée est finie. « Cette gosse ne compte rien ! » (P, p. 58)

Puisque ma maîtresse me « reprenait », plus tard j’ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que « se parterrer » ou « quart moins d’onze heures » n’existaient pas. Il est entré dans une violente colère. (P, p. 64)

Elle criait plus haut que lui parce que tout lui tapait sur le système. (P, p. 71)

55 LAACHER, Smaïn, « Annie Ernaux ou l’inaccessible quiétude », Politix, n° 14, 1991, pp. 73-78 (disponible sur www.persee.fr, consulté le 20 avril 2011).

(27)

27 Parfois : « Tu n’étais pas fait pour être commerçant » (comprendre : tu aurais dû rester ouvrier). Sous l’insulte, sortant de son calme habituel : CARNE ! J’aurais mieux fait de te laisser où tu étais. » Echange hebdomadaire : Zéro ! – Cinglée ! (P, p. 71)

Une Femme :

Mon père travaillait à la corderie, il était grand, bien mis de sa personne, un

« petit genre ». Il ne buvait pas, gardait sa paye pour monter son ménage. Il était d’un caractère calme, gai, et il avait sept ans de plus qu’elle (on ne prenait pas un

« galopin » !). (F, p. 35)

Un jour, où je lui téléphonais : « J’en ai marre de me faire chier dans ce bordel. » (F, p. 87)

La Honte :

En 52, j’écris en « bon français » mais je dis sans doute « d’où que tu reviens » et

« je me débarbouille » pour « je me lave » comme mes parents [...]. (H, p. 58) Je vais te couper les oreilles – descends de d’là, tu vas prendre une calotte. (H, p.60)

On louait le courage au travail, capable sinon de racheter une conduite du moins de la rendre tolérable, « il boit mais il n’est pas feignant ». (H, p. 67)

D’abord la séparation entre « crâneuses » et « pas crâneuses », entre « celles qui se croient », parce qu’elles sont choisies pour danser aux fêtes, vont en vacances à la mer – et les autres. (H, p. 98)

Nous voyons que l’auteur nous présente le niveau de la langue qui correspond à son milieu d’origine. L’épigraphe de La Honte dit : « Le langage n’est pas la vérité. Il est notre manière d’exister dans l’univers. » (H, p. 11) et Florence Bouchy nous l’explique :

Ce sont en effet les mots dont on dispose, les langages qui nous traversent, qui disent et déterminent notre rapport au réel. On ne peut pas penser sans mots et on n’en peut pas penser et se représenter les choses qu’avec les mots dont on dispose.56 Même si « le langage n’est pas la vérité » (H, p. 11), nous nous rendons compte qu’il est au moins « notre manière d’exister dans l’univers » (H, p. 11) et c’est surtout l’existence réelle de ses parents qu’Annie Ernaux veut montrer. Ce caractère réaliste, concernant non seulement l’histoire du livre, mais aussi sa langue, est fondamental pour « l’écriture plate ».

56 BOUCHY, Florence, La Place, La Honte, Annie Ernaux, op. cit., p. 88.

(28)

28 Nous appelons les paroles d’Annie Ernaux « une langue matérielle »57 qui n’est jamais abstraite et témoigne d’un certain « usage du monde » (P, p. 58). Annie Ernaux sent qu’elle n’a pas droit d’écrire d’une autre manière. « J’ai une expérience du monde de la nécessité, d’un monde où les mots et les choses sont pratiquement collés ensemble. »58 Dans ce monde ne se trouve aucune équivoque, aucune ironie et aucun jeu avec la langue. Le père d’Annie Ernaux est fier qu’il s’est défait en partie du patois, « mais il détestait aussi les grandes phrases et les expressions nouvelles qui ne “voulaient rien dire” » (P, p. 63), ce qui se reflète aussi dans « l’écriture plate » qui est très simple et naturelle.

57 BOUCHY, Florence, La Place, La Honte, Annie Ernaux, op. cit., p. 27.

58 JARRY, Johanne, « Une femme au cœur de l’écriture », op. cit., p. 15.

(29)

29

Simplicité de la syntaxe et l’économie des mots

Elle a mis tout son cœur – et sa lucidité et son talent, non moins indispensables – à évoquer ceux de qui sa culture l’a separée.59

Pour Annie Ernaux il est tout à fait nécessaire que ses livres soient compréhensibles pour tout le monde. Nous ne trouvons pas dans ses œuvres des phrases raffinées ou des expressions compliquées. Elle reste fidèle au monde de son enfance et elle s’applique à chercher les mots qui seraient accessibles à ses parents. « En fait je passe beaucoup de temps à m’interroger sur l’ordre des choses à dire, le choix et l’agencement des mots, comme s’il existait un ordre idéal seul capable de rendre une vérité [...]. » (F, pp. 43-44) Mais nous nous posons la question de savoir quelle est cette vérité qu’elle découvre par les mots incorrects et par le style pauvre ? Marie- France Savéan nous répond ainsi : « Annie Ernaux se condamne à utiliser son propre langage d’écrivain, pour “traduire” la vision du monde qu’avaient ses parents. »60 L’auteur s’occupe pendant son écriture de tous les détails. Malgré cela certains critiques voient dans son utilisation des phrases nominales un manque de soin et ils n’apprécient pas du tout son style pauvre. Joìl Schmidt, écrivain et critique français, a écrit :

Je cherche en vain dans La place de Annie Ernaux ce miracle littéraire dont on nous vante l’éclosion depuis le mois de février dernier. Utiliser un français à la limite du basique, se défier de tout adjectif, licencier l’imagination et la mettre à la retraite, couver une syntaxe sans musique, n’utiliser qu’une seule ponctuation, se garder de toute chaleur et de toute sensibilité apparente, seraient-ce les conditions nécessaires et suffisantes pour réussir un roman ou un récit ? Je n’ose le croire.61

Mais toutes ses méthodes d’Annie Ernaux sont énormément travaillées et elles ont leur cause et leur effet. « L’ellipse du verbe permet au contraire à Annie Ernaux de donner un rythme plus rapide, un ton plus objectif, plus neutre en apparence.

Suggérer plutôt que dire. »62 Ces méthodes ont surtout leur effet sociologique.

59 WURMSER, André, « L’injustice majeure », L’Humanité, 27-2-1984.

60 SAVEAN, Marie-France, La Place et Une Femme d’Annie Ernaux, op. cit., p. 91.

61 Ibid, p. 192.

62 Ibid, p. 95.

(30)

30 L’usage des phrases nominales n’est pas lié seulement à l’augmentation du rythme, mais aussi avec la mise en évidence de la généralité de l’œuvre :

Dans la phrase verbale, il y a un sujet, eh bien si je supprime le sujet, ça veut dire que je me supprime en tant que sujet [...], je deviens simplement le siège de l’écriture, l’écriture passe par quelqu’un qui est « moi » mais je ne le sens pas comme « moi ».

Dans d’autres cas, le sujet pourrait être « il » c’est-à-dire mon père. S’il est supprimé je passe à la généralité, [...] car il est évident qu’à travers ce récit de la vie de mon père et de ma propre séparation d’avec lui, je cherche à mettre au jour certains phénomènes sociaux qui ne me sont pas propres.63

Étudions maintenant des phrases nominales présentes dans les citations au-dessous : La Place :

Sacralisation obligée des choses. (P, p. 58)

Il satisfaisait ses envies. Un cervelas, un cornet de crevettes grises. L’espérance du bonheur, évanouie souvent dés les premières bouchées. (P, pp. 87-88)

Une Femme :

L’inhumation a eu lieu le mercredi. (F, p. 15) La Honte :

La limite entre le centre et les quartiers est géographiquement incertaine : fin des trottoirs, davantage de vieilles maisons (à colombage, de deux ou trois pièces au plus, sans eau courante, les cabinets au-dehors), de jardins de légumes, de moins en moins de commerces en dehors d’une épicerie-café-charbons, apparition des

« cités ». (H, p. 47-48)

La répartition sociale des choses a plus de sens que leur existence. (H, p. 39) Nous avons indiqué que parmi les méthodes d’Annie Ernaux revient aussi « la recherche de la brièveté ».64 Tous les trois textes analysés ne contiennent pas plus de 150 pages. L’écrivain utilise souvent l’infinitif à la place des modes verbaux et il omet les conjonctions ce qui accélère le rhytme du récit :

La Place :

Apprendre à toujours être heureux de notre sort. (P, p. 30)

63 CHARPENTIER, Isabelle, « “Quelque part entre la littérature, la sociologie et l’histoire...” », op. cit., p. 6 (Isabelle Charpentier cite l’entretien avec l’auteur du mars 1992).

64 SAVEAN, Marie-France, La Place et Une Femme d’Annie Ernaux, op. cit., p. 179.

(31)

31 Règle : déjouer constamment le regard critique des autres, par la politesse, l’absence d’opinion, une attention minutieuse aux humeurs qui risquent de vous atteindre. (P, p. 61)

Toujours parler avec précaution, peur indicible du mot de travers, d’aussi mauvais effet que de lâcher un pet. (P, p. 63)

Une Femme :

Sentir maintenant la force des phrases ordinaires, des clichés même. (F, p. 21)

Ouvrir de six heures du matin (les femmes des filatures passant au lait) à onze heures (les joueurs de cartes et de billard)... (F, p. 41)

L’amertume de gagner à peine plus qu’une ouvrière et la hantise de ne pas

« y arriver ». (F, p. 41)

Découvrir qu’on n’accordait pas d’importance à ce qui en avait pour elle, les faits divers, crimes, accidents, les bonnes relations avec le voisinage, la peur continuelle de « déranger » les gens... (F, p. 76)

Dépendre de moi et de ma voiture pour le moindre de ses besoin, une paire de bas, la messe ou le coiffeur, lui pesait. (F, p. 81)

La Honte :

« Mon père a voulu tuer ma mère quand j’allais avoir douze ans. » Avoir envie de dire cette phrase signifiait que je les avais dans la peau. Tous se sont tus après l’avoir entendue. (H, p. 16)

Approcher le fer à repasser près de la face pour en vérifier la chaleur [...]. (H, p. 59)

Les phrases simples et courtes qui sont faciles à lire grâce au vocabulaire courant, créent un aspect formel que nous pouvons appeler comme une lucidité dans les œuvres d’Annie Ernaux.

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