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Analyse du travail et DP conférence de Pastré 2001

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Analyse du travail et didactique professionnelle Rencontre du CAFOC

Le 13 novembre 2001, à Nantes Conférence de Pierre Pastré

Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui, parce que cela me rappelle que pendant vingt ans j’ai été conseiller en formation continue dans un CAFOC. Dans les débuts de la formation professionnelle en France, un certain nombre d’enseignants (j’étais moi-même professeur de philosophie) se sont lancés dans ce que l’on peut considérer comme une aventure. J’ai donc d’abord été praticien, j’ai progressivement dérivé ensuite pour devenir enseignant-chercheur et je suis actuellement professeur au CNAM. Je suis professeur titulaire d’une chaire de communication didactique, surtout consacrée à la didactique professionnelle.

Je n’avais pas prévu d’entrer dans mon propos par les compétences, mais je peux au moins en dire deux choses : la première, c’est que le problème des compétences est devenu et devient de plus en plus un enjeu majeur de notre temps et de notre société et que cela s’exprime en particulier dans des débats de type social, sur le fait que l’on est en train de passer d’un système de qualification à ce que l’on peut appeler un système compétences

Ma deuxième conviction est que si on veut que ce problème des compétences prenne la place qu’il doit occuper, il ne faut surtout pas réduire la question au débat qualification/compétences, c’est-à-dire à un problème de reconnaissance sociale des compétences, mais il faut aussi penser le développement des compétences, c’est-à- dire prendre un point de vue de didacticien. Je sais que dans les débats actuels, le point de vue des didacticiens n’a pas la résonance d’une grosse caisse, mais nous essayons quand même de faire entendre notre petite voix. Ma conviction, c’est que le problème de la reconnaissance sociale des compétences, certes très important d’un point de vue politique, puisque des acteurs sociaux débattent pour savoir qui doit reconnaître les compétences, risque de s’enliser s’il ne s’accompagne pas d’une sérieuse réflexion sur le développement des compétences. C’est un peu ce qui a donné naissance à la didactique professionnelle. Quand j’ai inventé le terme de didactique professionnelle et essayé d’en définir le concept, on voyait quelque chose qui commençait à surgir dans de nombreuses directions. Le terme de didactique était à l’époque un peu vieillot, maintenant on l’utilise un peu plus, avec notamment le développement des IUFM. Mais le but était d’analyser le travail en vue du développement et de la formation des compétences ; tel est en effet l’objectif de la didactique professionnelle : analyser le travail en vue du développement et de la formation des compétences.

L’entrée que j’ai prévue, est un historique de l’analyse du travail en formation professionnelle, parce qu’il apparaît que les rapports entre la formation professionnelle continue et l’analyse du travail ont été historiquement, depuis 30 ans, des rapports assez compliqués.

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Je voudrais signaler trois points : 1/ L’ingénierie de formation

Quand la formation professionnelle a commencé à se développer et à réfléchir à ses objets, sa réflexion a essentiellement porté sur ce que l’on a appelé l’ingénierie de formation. Et je crois que s’il y a eu une invention théorique importante faite par la formation continue, c’est l’ingénierie de formation ; ingénierie de formation qui s’est exprimée avec des pratiques diverses : c’est à ce moment que l’on a développé l’analyse des besoins, l’analyse de la demande de formation, une approche par les objectifs (l’identification des objectifs d’une formation et la construction de dispositifs de formation à partir des objectifs). C’est également à partir de ce moment-là que s’est développée l’évaluation, non pas des élèves et des stagiaires, mais celle des dispositifs, ce qui était une pratique assez nouvelle il y a environ vingt-cinq ans. Et cet ensemble qui est devenu progressivement l’ingénierie de formation, c’est-à-dire le fait de construire des projets, des dispositifs correspondant à une demande sociale, c’est probablement ce qui a marqué une différence forte avec la formation initiale. Dans les années 70, beaucoup de gens qui se sont lancés dans la

formation continue étaient des pédagogues, et comme toujours, dans ces périodes de jeunesse, on a voulu marquer une rupture, marquer une identité, et le plus novateur a été de penser la formation comme la construction de dispositifs en réponse à une demande sociale, à des besoins qu’il fallait analyser. Cela a mobilisé une bonne partie des forces – qui n’étaient pas encore très nombreuses – de la formation continue. Une des conséquences, c’est que, de ce fait, on s’est relativement peu intéressé au problème des contenus de formation. Et ce pour deux raisons :

• d’une part parce que l’on ne pouvait pas tout faire, et que l’on était plus attiré par la dimension « ingénierie de la formation »,

• d’autre part, on n’était pas très à l’aise avec la répartition disciplinaire des savoirs qui était la répartition traditionnelle des enseignements. En effet, quand on commence à analyser des besoins, la réponse qui apparaît n’est pas nécessairement celle de savoirs disciplinaires ; on rencontre des problèmes, des situations, des éléments plus ou moins élaborés, un peu composites, et qui ne correspondent pas au découpage en disciplines. On n’était pas très à l’aise, et l’on ne s’est pas beaucoup arrêté à ces questions de contenus de formation.

L’ingénierie de formation a été une grande invention mais elle a un peu occulté l’importance des contenus.

2/ La pédagogie par objectifs

Le deuxième point que je veux aborder est l’apparition de la pédagogie par objectifs.

Je voudrais cependant distinguer deux choses : l’outil référentiel et la pédagogie par objectifs.

Certes, historiquement, les deux sont apparus en même temps. Quand Bertrand Shwartz a commencé à développer cette approche qu’il est allé chercher outre- Atlantique, il a promu à la fois la construction de référentiels et la pédagogie par objectifs. Or, cette approche par la pédagogie par objectifs a été une véritable avancée dans la mesure où on a mis en avant l’importance de l’observation de l’activité professionnelle pour construire des contenus de formation. Je vous renvoie à un article d’Education permanente de 1986 de Jacobi, Gaboriau et Savy :

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« La pédagogie par objectifs a marqué l’introduction d’un changement majeur : construire les contenus de formation à partir de l’analyse de l’activité professionnelle : en quelque sorte les objectifs pédagogiques sont dérivés de l’analyse professionnelle… »

Je serais prêt à signer ces propos, dans une perspective de didactique professionnelle. On est bien sur le même projet.

On peut cependant faire quelques critiques à cette approche par les objectifs : Une première critique que l’on a faite et qui est juste, c’est que l’on a confondu tâches prescrites et travail effectif ; on va voir que c’est un des grands apports de la psychologie du travail et de l’ergonomie cognitive, de faire la différence entre ce qui est de l’ordre de la prescription et ce qui est de l’ordre de l’activité. Généralement, pour construire un référentiel, on réunissait un ensemble d’experts, on leur demandait ce qu’il fallait faire et à partir de cette prescription, on construisait un référentiel de métiers.

La principale limite de ce type d’analyse du travail c’est qu’ à l’époque, et là on rejoint la problématique des compétences, on avait une conception behavioriste des compétences, selon laquelle être compétent, c’était savoir exécuter et cela correspondait bien à une certaine forme dominante d’organisation du travail de type taylorien. On ne peut pas dire qu’on avait une conception taylorienne des compétences, puisque le taylorisme porte sur l’organisation du travail, mais on avait une conception behavioriste au sens où on s’en tenait au comportement. Autrement dit, pour savoir si quelqu’un était compétent, il fallait regarder ce qu’il savait faire ; d’où l’importance de ce qui était observable, des performances et d’où l’idée que la compétence est toujours et nécessairement l’expression d’une performance. Certes, on ne peut écarter la performance, mais réduire la compétence à ce qui est observable, visible dans l’activité, c’est manquer ce qui probablement est le noyau dur de la compétence, à savoir la manière dont l’action est organisée. Autrement dit on a regardé des résultats et on n’a pas regardé la manière dont l’action était organisée. La pédagogie par objectifs a donc permis une avancée considérable en sortant la construction des contenus de formation de la problématique disciplinaire, des programmes, et en la référant à l’activité professionnelle. Mais en même temps, on a manqué quelque chose d’important, du fait de ce que l’on avait à cette époque une conception très comportementaliste des compétences. Etre compétent, c’était savoir exécuter, c’était ce que l’on attendait d’un ouvrier spécialisé ou même d’un ouvrier professionnel.

3/ L’analyse du travail orientée compétences

La didactique professionnelle est née d’un champ de pratiques, celui de la formation professionnelle, et pour ma part, j’ai appris cette activité sur le tas, dans un CAFOC, en faisant de la formation de formateurs, de l’ingénierie de formation, et un peu plus tard, de la recherche. Ce champ de pratiques a vraiment été en bonne partie aux origines de la didactique professionnelle et nous a amenés un moment donné à passer de l’analyse de besoins à l’analyse du travail.

Seulement, ce n’est pas tout. Sinon, nous serions restés à ce que Schön appelle l’activité de praticien réflexif, c’est-à-dire d’un praticien qui réfléchit sur sa pratique et essaie de la conceptualiser. Deux autres apports ont été décisifs :

La psychologie du travail. En vérité, il faudrait distinguer ici l’apport de la psychologie du travail et l’apport de l’ergonomie. L’ergonomie s’est implantée en France à partir de la seconde guerre mondiale et, à l’origine, elle a pour but d’analyser les conditions de vie de l’homme au travail en vue de les améliorer. En

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cela c’est assez proche de la pédagogie ou de la didactique, c’est une discipline appliquée : analyser et comprendre pour améliorer. Les psychologues du travail de langue française (Faverge, Leplat, de Montmollin), mais aussi les Russes (Léontiev, Galpérine, Ochanine )se sont intéressés à la dimension cognitive du travail et quand nous avons voulu, nous formateurs, analyser le travail en vue de la formation des compétences, nous sommes allés assez naturellement nous former dans les laboratoires de psychologie du travail Nous y trouvions quelque chose qui a été très structurant : la prise en compte de la dimension cognitive de l’activité professionnelle, y compris quand il s’agit de travail manuel.

Faverge, en 1955, nous dit : travailler, c’est prendre de l’information sur un objet, c’est traiter cette information et agir en conséquence. Oublions la théorie du traitement de l’information qui apparaît à ce moment-là et cache un peu le paysage.

Ce qui est important, c’est que dans n’importe quel type de travail, y compris le plus manuel, on prélève de l’information sur la situation, on conceptualise cette situation, et on va agir en conséquence. Cette orientation de la psychologie du travail, on va la retrouver chez Leplat mais aussi à travers tout l’apport de la psychologie russe, reprise par exemple par un auteur comme Savoyant. Savoyant, par exemple, dit que parmi toute action de travail, il y a des opérations d’exécution, que l’on voit toujours, de contrôle (non seulement on exécute des gestes mais on contrôle le résultat, et là il y a déjà du cognitif), et surtout des opérations d’orientation, ce qui correspond au fait d’essayer de repérer dans quelle situation on est pour ajuster son action. Cette dimension d’orientation présente dans toute activité correspond à la dimension cognitive du travail.

On retrouvait donc chez les psychologues du travail une forte insistance sur la dimension cognitive.

Un autre courant a également été important : celui de la psychologie du développement. J’ai fait ma thèse avec Gérard Vergnaud et Vergnaud a fait sa thèse avec Piaget. Il existe donc une filiation, de Piaget à Vergnaud, etc... Il ne faudrait pas oublier non plus Vigotski. Piaget comme Vigotski, dans des contextes un peu différents, vont développer ce que l’on pourrait appeler une psychologie du développement. Sans traiter directement du travail, je pense que ce courant a apporté trois choses à l’analyse du travail :

Le rôle de la conceptualisation dans l’action. Pour Piaget, les concepts ne sont pas d’abord des entités abstraites associées à des mots, les concepts sont d’abord des organisateurs de l’action. Parmi tous les exemples que l’on pourrait citer, je vais en prendre un que j’aime bien, celui des conducteurs de grues. J-M. Boucheix (1999) a fait cette recherche auprès des grutiers. Les conducteurs de grues de travaux publics, à la suite d’incidents, ont été contraints de passer un permis, comprenant une partie pratique et une partie théorique. Dans la partie pratique, les grutiers qui sont des ouvriers expérimentés, qui ont souvent 15 à 20 ans de métier, qui connaissent bien le chantier, savaient conduire leur grue sans problème. La partie théorique consistait à faire traiter des problèmes de courbes et de tableaux de charge. La grue a une flèche et plus ou va loin dans la flèche, moins le poids que l’on va pouvoir soulever est important ; on a donc une relation telle que le poids multiplié par la longueur de la flèche utilisée est égal à une constante.

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Pour maîtriser cette action technique il y a une conceptualisation dans l’action à maîtriser : il faut savoir que plus on prendra de poids, moins on pourra utiliser de longueur de flèche, et plus on prendra de longueur de flèche, plus il faudra limiter le poids à soulever. C’ est ce que Piaget appelle un invariant opératoire, une conceptualisation intérieure à l’action.

Or les grutiers, qui savaient parfaitement utiliser cet invariant opératoire d’un point de vue pratique et savaient même aller jusqu’au point où les systèmes de sécurité allaient se déclencher, étaient incapables de le théoriser. Et quand on leur posait sur papier un problème qui consistait à travailler sur une courbe de charges abstraite, ils étaient incapables de traiter le problème. L’idée qu’on trouve chez Piaget, dans Réussir et comprendre (1974), c’est que la première conceptualisation se réalise dans l’action. Tenir en équilibre sur son vélo mobilise beaucoup de connaissances en acte ; pour un opérateur, utiliser un fenwick afin de monter une charge à cinq ou six mètres de haut mobilise de multiples compétences en acte. Ce courant de la conceptualisation dans l’action s’est révélé très intéressant pour analyser des compétences.

• Deuxième apport : une approche en terme de développement cognitif.

Si vous avez eu la chance de suivre des adultes pendant plusieurs années en formation, vous avez pu constater comme moi, qu’il existe un vrai développement cognitif chez les adultes. Or dans les modèles habituels, en particulier chez Piaget, le développement s’arrête vers 14 ou 15 ans.

Jusqu’à cet âge les enfants développent leurs potentialités cognitives, en particulier ils construisent les principaux outils cognitifs qui leur permettent de comprendre et d’agir sur le réel. Mais à partir de 15 ou 16 ans, l’individu continue éventuellement à apprendre, mais ne se développe plus.

Pourtant, on peut constater que les adultes, non seulement apprennent des contenus, mais aussi développent leurs outils de compréhension, d’abstraction, leurs outils d’analyse. Ils savent mieux penser pour augmenter leur pouvoir d’agir, ce qui est un vrai développement. Il n’y a pas de théorie de la formation professionnelle qui ne cherche pas à intégrer, d’une manière ou d’une autre, une théorie du développement chez les adultes. Il n’est pas facile d’élaborer cette théorie, car le développement chez les adultes n’est pas exactement celui que l’on peut trouver chez Piaget qui avait une approche très génétique : il voit le développement comme un développement interne, c’est un processus endogène, un peu analogue à celui d’une plante qui développe ses potentialités. Le rôle d’autrui, du langage, des situations est assez peu marqué chez Piaget. Or il est clair que chez les adultes, le rôle des situations, d’autrui, des dialogues est extrêmement important. Il faut donc une approche beaucoup plus historique, comme on la trouve chez Vygotski.

• Troisième élément : l’approche en terme de didactique, et en particulier en insistant sur le rôle d’autrui : parmi ces « autrui » il y a une catégorie très importante pour l’aide au développement : les enseignants, formateurs, tuteurs, maîtres de stage, tous ceux qui transmettent une partie de seur savoir et de leur savoir-faire à des novices. Cette dimension didactique a été un tournant que Vergnaud a fait prendre à la théorie piagétienne du développement. Le développement chez Piaget reste génétique,

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constructiviste, le rôle du sujet dans la construction de ses propres outils est considérable. Mais, en même temps, le rôle d’autrui est peu important.

La didactique professionnelle est née de la convergence de ces trois approches : analyser le travail en utilisant une approche de développement cognitif chez les adultes ; analyser le travail en insistant particulièrement sur la dimension cognitive, la conceptualisation. Analyser les activités de médiation, d’aide à la construction des compétences. On a une convergence assez forte entre Leplat, pour la psychologie du travail et Vergnaud pour le rôle de la conceptualisation. Et il apparaît de plus en plus important de s’intéresser aux interactions, sous forme de langage, mais aussi transmission de gestes, donc de tenir compte du rôle de la médiation d’autrui dans la construction des compétences.

Pour terminer cette première partie de mon propos, je dirais qu’il y a trois méthodes principales pour analyser le travail :

Une première méthode qui a été utilisée par la pédagogie par objectifs et qui consistait à faire parler des experts sur leur travail ; on construit ainsi des référentiels métiers qui sont la liste de toutes les compétences qui sont requises pour exercer un métier. C’est une méthode incontournable, et que l’on retrouvera d’une certaine manière dans les deux autres méthodes que je vais vous présenter. On ne peut pas faire l’économie de l’expertise concernant un métier. Même en psychologie du travail, même en ergonomie, en didactique professionnelle, il y aura toujours, à un moment donné, un recours aux experts. Seulement les experts ne fournissent pas tout. A interroger les experts, on touche deux limites : la première, c’est que l’expert parlant de son travail, va faire une liste de tout ce qu’il faut savoir faire, liste qui va finir par ressembler un peu à un inventaire à la Prévert. Dans un référentiel, on trouve souvent sur un même plan des éléments qui constituent vraiment le noyau d’un métier et des éléments très périphériques.

Deuxième limite qui est pour moi plus importante, c’est ce que l’on a appelé en analyse ergonomique du travail, le laconisme des experts. C’est–à-dire que les experts ne savent pas toujours dire tout ce qu’ils savent faire. Il y a tout une part de l’activité qui est très difficile à mettre en mots, à expliciter, et de nombreux experts sont capables de faire des choses beaucoup plus compliquées que ce qu’ils sont capables d’en dire. Il ne faudrait pas croire que ceci n’est vrai que pour les bas niveaux de qualification, les artisans, les métiers très manuels. Vergnaud a fait une étude concernant des ingénieurs de l’Aérospatiale, qui étaient en fin de carrière et allaient prendre leur retraite. L’entreprise a essayé de collecter tous les savoirs qui avaient été construits par ces personnes et risquaient de se perdre avec leur départ.

On leur a demandé d’écrire ce qu’ils avaient l’intention de laisser à leurs successeurs. Le résultat a été très disparate : certains ont été très prescriptifs (il faut faire ceci ou cela : autrement dit des listes de procédures), certains se sont orientés vers des formalismes mathématiques abscons… Surtout, on s’est aperçu qu’ils ne décrivaient qu’une toute petite partie des problèmes qu’ils étaient capables de résoudre. L’expert est incontournable, mais livré à lui-même, seul, il est insuffisant.

Un des rôles de l’analystes du travail sera de travailler avec cet expert. Ils vont former une sorte de couple, avec d’un côté un expert du domaine et de l’autre ce qu’on pourrait appeler un expert de la méthode ou de l’analyse ; et l’échange qui se constitue et dure assez longtemps, permet que des savoirs apparaissent qui n’étaient pas explicités par les experts. Une chose m’a toujours frappé : en fin de travail ces experts me disaient, à moi qui ne suis pas expert de ces domaines: « eh bien tu sais

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que tu m’as appris quelque chose ». Ce que peut apporter un psychologue du travail, c’est précisément la mise à jour de certains savoirs que les experts savent mobiliser dans l’action, mais ne sont pas capables d’expliciter, sur lesquels ils ne sont pas à même de mettre des mots.

Cette première méthode d’analyse du travail : le recours aux experts, a donc à la fois une dimension essentielle et des limites.

Deuxième méthode, c’est l’apport considérable de la psychologie du travail. Je l’ai évoqué précédemment avec Faverge, Leplat, Savoyant (qui s’est beaucoup inspiré de la psychologie russe). J’ajouterais aussi un apport de ce que l’on appelle aujourd’hui la psychologie ergonomique : l’analyse des situations dynamiques. Là aussi, il faudrait resituer cette question dans une dimension historique. Pendant très longtemps, quand les ergonomes voulaient faire de l’analyse du travail, ils allaient observer des activités d’exécution faites par des OS, généralement dans la métallurgie, de préference dans l’automobile, de préférence chez Renault, c’était devenu en quelque sorte l’archétype des analyses du travail. Aujourd’hui, si vous lisez la littérature publiée sur ces questions, la situation vraiment archétypique d’analyse du travail , c’est plutôt le pilotage des avions, la conduite des centrales nucléaires, la gestion des feux de forêt… autrement dit ce que l’on appelle des situations dynamiques. Les situations dynamiques sont devenues paradigmatiques par rapport à l’évolution du travail. Qu’est-ce qu’une situation dynamique ? ce peut être conduire un système technique dynamique comme conduire une centrale nucléaire, ce peut être aussi gérer un environnement naturel dynamique (feu de forêt). En général, c’est une situation qui évolue indépendamment de l’action de son conducteur. Bien sûr elle évolue quand l’opérateur agit, mais elle a en elle-même une sorte de dynamique qui fait qu’elle va évoluer même si l’on ne fait rien. Ces situations dynamiques sont très représentatives d’une certaine forme de travail moderne, en particulier par trois caractères :

Le conducteur ne peut pas maîtriser toutes les variables. En effet, ces situations sont complexes, avec beaucoup de variables dont certaines ne sont pas directement accessibles. Autrement dit, il va falloir que l’opérateur se construise une représentation schématique de l’évolution de cette situation. Il faut qu’il repère les éléments essentiels, et qu’il n’essaie pas d’être exhaustif. La représentation fonctionnelle efficace est une représentation simplifiée, schématique mais pertinente, c’est une image opérative (Ochanine), simplifiée, laconique, parce que finalisée en vue de l’action.

• Deuxième caractère : pour être efficace dans les situations dynamiques, il faut anticiper. La caractéristique des novices, quand ils conduisent une situation dynamique, c’est qu’ils agissent presque toujours à contretemps, c’est-à-dire trop tard. Une très jolie formule a été donnée lors de l’analyse du travail des pilotes d’avion. les pilotes disent : « il faut piloter devant son avion ». C’est-à-dire anticiper les incidents avant qu’ils se manifestent.

Quand un incident se manifeste, dans une situation dynamique, il est généralement trop tard pour agir, à moins d’être un expert de très haut vol.

la dynamique de la situation fait que quand vous allez agir, il est déjà trop tard et cela va souvent produire la résultat inverse de ce qui était attendu.

Donc, il est absolument nécessaire d’anticiper.

• Un troisième caractère, c’est l’importance du temps ou plutôt de phénomènes de multi-temporalité. Les variables fonctionnelles les plus

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importantes n’évoluent pas au même rythme : certaine évolutions sont très lentes, d’autres extrêmement rapides et qui se rétablissent aussi vite, et d’autres à moyen terme. Et c’est une des grosses difficultés de la conduite de ces environnements dynamiques : arriver à combiner ces temporalités multiples pour les intégrer dans une représentation à peu près cohérente.

C’est la raison pour laquelle, il est bien plus difficile de faire un pronostic qu’un diagnostic.

Pour faire une analyse du travail dans ces situations dynamiques, on doit faire appel aux entretiens, on ne peut pas se contenter d’observer, il faut faire verbaliser les gens pour voir quelle a été leur représentation de la situation. Voilà pour la deuxième modalité pour l’analyse du travail liée à la psychologie du travail.

La troisième méthode est celle qui est développée par la didactique professionnelle.

On pourrait dire qu’en didactique professionnelle, on va faire une analyse du travail pour essayer de repérer comment des acteurs sont capables de conceptualiser une situation. On est bien dans ce courant de la conceptualisation dans l’action, issu de Piaget, Vergnaud.

Deux concepts vont être particulièrement utilisés, celui de schème et celui d’invariant opératoire.

L’action humaine quand elle est efficace, est une action organisée. Quand on décrit un schème, on décrit une organisation de l’action.

Je vais d’abord présenter une remarque faite par Gérard Vergnaud à propos des compétences. Vous savez qu’il existe de nombreuses définitions des compétences. Plutôt que de partir d’une définition, Gérard Vergnaud s’est demandé ce qui nous faisait dire qu’un opérateur A était plus compétent qu’un opérateur B. Selon Vergnaud, cette question appelle trois réponses :

• Première réponse : A est plus compétent que B parce que A sait faire des choses que B ne sait pas faire. On est dans un univers connu, dans une vision behavioriste de la compétence : être compétent, c’est savoir faire.

• Autre réponse possible : A est plus compétent que B quand il possède une meilleure méthode pour arriver au même résultat que B.

Il faudrait préciser : une méthode plus fiable, plus économique, plus généralisable, ou plus transférable à autrui… La compétence ne se réduit pas au résultat, à la performance, elle inclut la méthode pour la résolution du problème. On touche du doigt la notion de schème, c’est- à-dire une organisation de l’activité. L’activité est organisée, on a une méthode et c’est dans l’analyse de cette méthode qu’on pourra savoir si A et B sont plus ou moins compétents. On peut arriver au même résultat par essais et erreurs, par routine, parce qu’on a déjà rencontré la situation dans le passé, ou parce qu’on a fait une bonne analyse de la situation. Si le résultat est le même, l’organisation de l’action n’est pas du tout la même. Donc, pour évaluer les compétences, on va regarder l’organisation de l’action.

• Il existe une troisième réponse. On dira que A est plus compétent que B lorsqu’il dispose de plusieurs méthodes qu’il va utiliser en fonction de leur adaptation à la situation.

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Je voudrais mettre en valeur les idées suivantes :

• La manière de dépasser la conception behavioriste des compétences consiste à regarder comment l’activité est organisée.

• Un schème est une organisation invariante de l’activité . Cela ne veut pas dire qu’un schème signifie répéter toujours la même chose, utiliser toujours le même mode opératoire, c’est l’organisation de l’action qui est invariante et non pas l’action elle-même.

Chacun des sauts d’un sauteur à la perche est singulier, et pourtant, il y a derrière chacun la même organisation. Le concept de schème permet d’articuler invariance et adaptation. Pour qu’une action soit efficace, il faut qu’elle possède une certaine invariance, et il faut d’autre part qu’elle puisse s’adapter à l’extraordinaire variété des situations. Le concept de schème permet de lier à la fois cette capacité à tenir de l’invariance, de la régularité, autrement dit de l’efficacité, mais en même temps de l’adaptation aux circonstances.

• Troisième idée : au cœur des schèmes, on retrouve l’idée qu’il y a des concepts organisateurs de l’action. ces concepts organisateurs permettent aux acteurs d’être efficaces. Et le but de l’analyse du travail, c’est de repérer ces concepts organisateurs.

Je vais donner quelques exemples :

Premier exemple, une recherche que j’ai faite, il y a une dizaine d’années, concernant des presses à injecter dans le domaine de la plasturgie. La principale activité des opérateurs est de corriger les défauts qui apparaissent sur les produits. C’est une production de très grande série, il y a beaucoup de défauts, et il faut souvent corriger le réglage de la machine qui se dérègle assez facilement. L’expert avec lequel j’ai travaillé m’a indiqué qu’il pouvait générer facilement des défauts. Nous avons donc créé une simulation pour voir comment les opérateurs résolvaient certains problèmes. On avait créé des défauts sur des bouchons, écrit une liste de défauts, et les opérateurs devaient manipuler les principaux paramètres d’action pour corriger les défauts. Une centaine de situations-problèmes ont ainsi été traitées par 12 opérateurs.

Au moment des résultats, je me suis aperçu que les situations se divisaient en fait en deux groupes : des situations-problèmes que tout le monde était capable de traiter ; si certains faisaient des erreurs, ils les corrigeaient. Donc tout le monde arrivait au résultat.

Pour d’autres situations-problèmes, la moitié seulement arrivait au résultat, un quart de l’effectif échouait, un autre quart tentait de se débrouiller avec des protocoles compliqués et en faisant beaucoup d’erreurs, finissant parfois par arriver au résultat.

Lors de l’analyse, on s’est aperçu que la machine avait plusieurs régimes de fonctionnement, un régime normal et un régime « compensé », et que le répertoire des règles d’action n’était pas le même selon ces régime. Pour être compétent, il fallait commencer par un diagnostic du régime de fonctionnement. Or, la moitié des opérateurs seulement savaient faire ce diagnostic. Aucun n’avait eu de formation, ils avaient tout appris sur le tas.

Une moitié avait construit cette activité de diagnostic, et pas l’autre.

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Les stratégies des opérateurs étaient très différentes, certains effectuaient un diagnostic, les autres s’appuyaient sur une procédure. Quand on était en régime normal, tout allait bien, quand on était en régime compensé, ça ne marchait plus. D’autres avaient trouvé une stratégie astucieuse, ils ne faisaient pas de diagnostic, ne savaient pas le faire, mais ils essayaient de se souvenir de tous les cas qu’ils avaient rencontrés dans le passé, savaient quels paramètres manipuler et en « bidouillant », ils arrivaient au résultat.

Donc trois types de stratégies : l’une, analytique, reposant sur un diagnostic, l’autre procédurale, s’appuyant sur un mode opératoire, et la troisième, expérientielle, pas de diagnostic mais l’expérience du passé aide à s’y retrouver.

Autre élément de cette analyse : comment se fait le diagnostic ?

En fait, il y a un véritable concept organisateur que les opérateurs appelaient le bourrage : cela consiste à évaluer l’équilibre ou le déséquilibre entre la pression exercée par la machine et la pression en retour de la matière : on est dans une presse dans laquelle on injecte à forte pression une matière que l’on a chauffée. Quand il y avait équilibre des pressions, on était en régime normal ; quand il y avait déséquilibre, on était en régime compensé. Il y avait un indicateur observable qui permettait d’évaluer le bourrage :il fallait repérer, à un moment précis du cycle, s’il y avait un mouvement de la partie mobile de la machine ou s’il n’y en avait pas.

Reprenons les principaux éléments que j’ai indiqués :

Il y a plusieurs régimes de fonctionnement de la machine, il y a plusieurs stratégies mobilisées par les acteurs, le point décisif de partage, c’est ceux qui font un diagnostic de situation et ceux qui ne le font pas. Sur quoi s’appuient- ils ? sur le concept de bourrage. Comment peut-on l’observer alors qu’il s’agit d’un concept ? par les indicateurs qui vont permettre de l’évaluer. Il y a donc tout un raisonnement implicite construit par ces opérateurs, qui se traduisait par le fait de regarder un mouvement très furtif de la machine. C’est là que se situe la prise d’information pertinente puisque c’est à partir de là que l’on va évaluer le concept de bourrage et c’est grâce à l’évaluation de ce concept de bourrage que l’on va savoir dans quel régime la machine fonctionne et que l’on va ajuster son action sur ce régime de fonctionnement. J’ai appelé ce concept organisateur un concept pragmatique, parce qu’il a été construit pour l’action, il n’a pas nécessairement une grande valeur scientifique. Dans les ateliers, on parlait à tout instant de ce bourrage dans les ateliers, mais sans jamais le définir.

Je pense que l’un des buts de l’analyse du travail en didactique professionnelle, c’est d’identifier ces concepts organisateurs, c’est d’identifier les indicateurs qui permettent de les évaluer, et c’est enfin d’identifier les régimes de fonctionnement que l’on peut en tirer pour savoir dans quelle classe de situation on se situe. Un dernier élément à prendre en compte, c’est la stratégie des acteurs.

Ces quatre éléments : concepts organisateurs, indicateurs, régimes de fonctionnement, stratégies, sont les quatre piliers sur lesquels peut s'appuyer une analyse du travail en terme de développement des compétences.

Dans le nucléaire, j’ai retrouvé à peu près la même configuration, mais c’était beaucoup plus compliqué, et il y avait deux grandes différences :

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• d’une part on avait affaire à une situation dynamique avec tous les caractères que j’ai indiqués précédemment

• d’autre part , j’ai pu observer de jeunes ingénieurs qui avaient pour fonction de devenir ingénieurs sécurité et donc apprenaient la conduite des centrales nucléaires. Ils avaient eu une formation de haut niveau du point de vue scientifique et technique. Ils avaient eu en plus une formation technique sur l’installation des centrales nucléaires. Quand on les a observés, ils suivaient une formation sur simulateurs. Ce qui est à noter, c’est que leurs connaissances théoriques ne les amenaient pas à faire moins d’erreurs que les autres opérateurs. Autrement dit ce qui était en jeu dans la formation sur simulateur, c’est la transformation de connaissances théoriques en concepts organisateurs, autrement dit en compétences pragmatiques.

C’est le second message que je voudrais faire passer : quand on parle de conceptualisation dans l’action, on vise deux choses : on répond à deux questions :

• Comment fonctionne l’installation ? la situation ? Cette question a une visée épistémique : on essaie d’identifier des connaissances objectives, scientifiques ou non, sur la situation.

• La deuxième question c’est : comment puis-je agir sur la situation ? L’objectif n’est plus épistémique, mais pragmatique. Quand je parle de diagnostic de situation, il ne s’agit pas des savoirs scientifiques que l’on peut avoir sur une situation, il s’agit des outils qu’on utilise pour faire un diagnostic en vue de l’action. On est dans une représentation pragmatique.

Avec les quatre éléments que j’ai indiqués : concepts organisateurs, indicateurs, régimes de fonctionnement, et stratégies, on est dans un modèle pragmatique. Et ce que nous a appris la recherche que nous avons faite dans le nucléaire, c’est qu’on a beau posséder toutes les connaissances utiles pour comprendre une situation, cela ne donne pas nécessairement des outils pour faire un diagnostic et ajuster son action.

Par parenthèse, je crois que c’est la grande lacune des référentiels d’aujourd’hui. On a tendance à confondre les connaissances sur lesquelles repose un métier avec les outils de diagnostic qui permettent de conceptualiser dans l’action.

Les connaissances nous permettent de comprendre comment est organisée une classe de situations, les compétences, c’est ce qui nous permet d’agir sur la situation, avec, au cœur, la conceptualisation, mais une conceptualisation pragmatique.

Je vais, à l’aide d’un transparent vous montrer comment tout cela peut-être formalisé Figure 1 :

Modélisation d’une conceptualisation pragmatique : La structure conceptuelle d’une situation Commentaire :

Première lecture du schéma :

Entre la situation dans sa globalité et le repérage des concepts organisateurs, il y a tout un travail, très important, de sélection de l’information.

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Ce travail de schématisation est important : on ne retient que très peu de choses pour faire un diagnostic. Les experts sont ceux qui vont à l’essentiel.

La seconde manière de lire le schéma est de lui ajouter une dimension verticale. On est dans une sémantique de l’action, qui va ajuster un diagnostic en fonction des caractères de la situation. On va évaluer à partir de certains concepts organisateurs, et il faut des indicateurs. Ces indicateurs seront parfois uniques ; dans d’autres cas, les experts utilisent toute une batterie d’indicateurs pour évaluer les concepts. Par exemple, dans le cas de la taille de la vigne, le diagnostic orientant l’action repose sur deux concepts organisateurs : le concept de charge (quantité de raisin qu’un pied peut supporter) et celui d’équilibre (à la fois équilibre physique, géométrique et racinaire). Et pour évaluer ces concepts, un grand nombre d’indicateurs sont prélevés.

Troisième dimension du schéma : la dimension diagonale.

A partir des concepts organisateurs, on va inférer des régimes de fonctionnement, et à partir de ces régimes, choisir le répertoire des règles d’action adapté.

Ce sont ces trois éléments (concepts organisateurs, indicateurs, régimes de fonctionnement) qui vont permettre de catégoriser l’activité des opérateurs en définissant des stratégies, c’est-à-dire des modalités différentes d’organiser son activité.

Je conclurai cet exposé par quelques remarques sur les référentiels.

Il faut distinguer l’outil référentiel et la conception qui lui est sous-jacente : la pédagogie par objectifs. Les référentiels sont devenus des outils incontournables.

Simplement, il serait important de les construire à l’aide d’une analyse du travail plus cohérente que celle qui a prévalu jusque là.

Je voudrais développer les idées suivantes:

• Premier point : C’est une idée empruntée à Patrick Mayen enseignant- chercheur en didactique professionnelle à l’ENESAD de Dijon. Il faudrait pour construire un référentiel le centrer autour de situations critiques, au lieu d’avoir une simple énumération, qui vise l’exhaustivité, et renvoie à un référentiel d’emploi. Si on veut faire un référentiel de compétences, on s’aperçoit que ce qui importe, ce sont les compétences critiques et les situations critiques Dans l’exemple de la plasturgie que j’ai cité, il est vrai que les opérateurs avaient beaucoup de choses à faire, mais en fait, où se jouait la compétence ? dans la correction des défauts sur les produits.

Certaines corrections de défaut étaient vraiment le lieu où se manifestait l’expertise. Je pense que dans les référentiels on pourrait distinguer des référentiels d’emploi qui s’efforceraient de tout mettre à plat et d’être exhaustifs, et des référentiels de compétences qui, eux, mettraient en relief les situations critiques et les analyseraient.

• Deuxième remarque : la lacune principale des référentiels , aujourd’hui, c’est qu’entre les référentiels métiers et les référentiels de formation, il manque une partie intermédiaire, centrale, qui est l’identification des outils de diagnostic, des concepts organisateurs de l’action, des indicateurs qui permettent de les évaluer, des régimes de fonctionnement ou des principales classes de situations, et une description des principales

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stratégies repérées chez les utilisateurs. Si on peut améliorer l’outil référentiel, c’est essentiellement sur ces points qu’on peut le faire.

• Il faudrait enfin réserver une partie qui identifierait les connaissances qui sont indispensables pour comprendre comment fonctionnent les situations de référence.

On aurait donc une partie centrée sur les compétences, et en particulier les concepts organisateurs, et une partie centrée sur les connaissances : de quelles connaissances faut-il disposer pour pouvoir généraliser le savoir faire que l’on a acquis dans la pratique ?.

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Réponses aux questions

Question sur le diagnostic de situation , demande de précision

Une des compétences majeures, surtout aujourd’hui, c’est de repérer dans quelle classe de situation on est , dans quel régime de fonctionnement et à partir de là, d’être capable d’ajuster son action. Cela renvoie à deux éléments :l e premier retient l’idée de Vergnaud : A est plus compétent que B quand il a une meilleure méthode et qu’il dispose d’une pluralité de méthodes. Cela pose la question centrale sur les compétences, d’un point de vue cognitif : repérer les caractéristiques de la situation dans laquelle on se trouve pour ajuster pertinemment son action. Une des évolutions de la notion de compétence a été de mettre l’accent de plus en plus fortement sur la capacité à s’adapter à des situations de plus en plus variées. Un expert, c’est celui qui dispose de plusieurs méthodes et va prendre la plus économique, ou la plus rapide, ou la moins chère.

La second élément auquel rattacher ces questions, c’est ce que Savoyant, à la suite de la psychologie russe, entend par activité d’orientation. Savoyant avait fait une recherche auprès de jeunes en insertion qui apprenaient le métier de réparateur en appareils électro-ménagers. Il a observé les interactions entre les tuteurs et les jeunes. Il s’est rendu compte que les tuteurs expliquaient très bien les gestes qu’il fallait faire, en revanche, ils n’expliquaient jamais ce qui leur permettait de dire qu’une pompe était en panne. Autrement dit, toute cette activité de diagnostic, d’orientation était quelque chose qu’ils ne transmettaient pas directement aux jeunes.

C’est une compétence centrale, peu observable, et probablement une des compétences majeures pour analyser le travail aujourd’hui parce qu’elle nous renvoie directement à la conceptualisation.

Question sur le rôle des tuteurs, des formateurs Je vais essayer de répondre en deux temps :

Tout d’abord au début de mes travaux, ce n’est pas sur le rôle des formateurs et tuteurs dans l’apprentissage que je me suis penché : j’essayais avant tout d’analyser la manière dont des opérateurs, livrés à eux-mêmes, apprenant vaille que vaille sur le tas, conceptualisaient les situations rencontrées. Puis, nous avons fait une importante recherche pour EDF sur l’apprentissage de la conduite des centrales nucléaires sur simulateur, et là, ce qui m’a frappé, c’est que les ingénieurs et techniciens en formation apprenaient plus au moment du débriefing qu’au moment de l’action proprement dite. Il y a un apprentissage qui se fait par l’exercice de l’action, mais quand on a des situations très complexes où le diagnostic est un élément crucial, ce qui était décisif, c’était le débriefing. Les choses se passaient de la manière suivante : les ingénieurs passaient trois heures sur simulateur, puis trois heures en salle, soit pour préparer la séance suivante, soit pour analyser la séance précédente. Nous avions en tant que chercheurs ajouté des entretiens entre la séance sur simulateur et la séance de débriefing.

Je ne sais pas si c’est l’effet des entretiens ou du débriefing, mais, il est sûr qu’en particulier la structure conceptuelle de la situation a été acquise, non pas dans l’action où ils étaient toujours en retard, toujours perdus, mais dans l’analyse de l’activité qui s’est faite après coup. C’est pourquoi j’ai tendance à dire aujourd’hui

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qu’on apprend beaucoup de choses dans l’action, sur le tas, mais on n’apprend pas tout sur le tas, et en particulier pour accéder à cette conceptualisation, l’analyse de l’activité après coup est probablement décisive

En généralisant un peu, on se réfère de plus en plus à la théorie de Vygotski quand on parle du développement chez les adultes. Le rôle d’autrui, de la culture, du langage est probablement décisif. Cela se joue entre autres dans les interactions où le tuteur ou l’instructeur va prendre une partie des activités à son compte et permettre ainsi à l’apprenant, non pas d’être complètement autonome, mais de savoir faire certaines choses avec l’aide d’autrui. C’est ce que Vygotski appelle la zone de proche développement. C’est probablement un concept didactique central que cette capacité d’utiliser l’interaction et d’utiliser autrui .

Patrick Mayen a beaucoup développé cette dimension, et en particulier il a beaucoup analysé l’apport d’autrui qui peut être explicite, c’est le cas pour les formateurs, mais qui peut aussi être implicite, l’apprenti donnant l’impression de dérober à un expert des savoirs qu’il va ensuite s’approprier. Ce rôle de l’interaction me paraît essentiel.

Question sur la prise en compte des représentations dans les situations de formation Cette question de la confrontation des représentations (celle de l’enseignant et de ses élèves, par exemple) a été beaucoup débattue il y a une vingtaine d’années (cf.

article N°123 d’Education permanente), et ce notamment dans la perspective de Bachelard, des obstacles épistémologiques. J’ai d’abord travaillé dans ce sens-là et puis je m’en suis progressivement éloigné, dans la mesure où j’ai trouvé une notion qui me paraissait plus adaptée, et ce quand j’ai fait plus nettement la distinction entre conceptualisation pragmatique et conceptualisation épistémique. Il y a, certes, des concepts scientifiques pour lesquels les représentations peuvent être, éventuellement, des obstacles. Par contre, quand on est dans une approche pragmatique, un autre cadre théorique est nécessaire. Ochanine a construit une notion qu’il a appelée image opérative, qui est une représentation laconique, déformée, en fonction des objectifs de l’action, qui permet de se représenter une situation pour agir. Traduire le terme russe par « image » n’était peut-être pas très heureux, on a donc préféré réutiliser le terme de représentation fonctionnelle (Leplat, 1985). Une représentation fonctionnelle est une représentation laconique, orientée par un but, déformée. C’est à partir de là que j’ai travaillé, donc dans une approche pragmatique. Ceci dit je crois que le problème soulevé est le suivant : à certains moments les représentations peuvent être en phase, ou au contraire, en opposition avec des connaissances à acquérir. Je ferai référence à un des fondateurs de la didactique qui est Brousseau. Brousseau était instituteur, avant de faire une longue carrière universitaire. Pour Brousseau, les deux activités essentielles de l’enseignant sont la dévolution , c’est à dire le fait de mettre un élève en présence d’une situation qui présente un problème : pour résoudre ce problème, il faut mobiliser un savoir. Si on dit aux élèves quel savoir il leur faut alors mobiliser, ce n’est plus un problème, c’est un exercice. Donc, pour l’enseignant, ce qui est important, ce n’est pas de fournir le savoir, mais de fournir la situation fondamentale qui va nécessairement requérir le savoir

Le deuxième mouvement est ce qu’il appelle l’institutionnalisation. Quand un élève a réussi à trouver la solution pour une situation concrète, il faut penser à généraliser, afin qu’il soit capable de construire un savoir à partir de sa réussite. Et construire un savoir à partir de la réussite, c’est tout un travail qui doit être guidé par l’enseignant.

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Quand je dis que les référentiels devraient comporter trois parties : un référentiel métier qui dit ce qu’il faut savoir faire ; puis un référentiel de compétences qui nous dit quels sont les concepts organisateurs de l’action, quels sont les indicateurs, enfin une troisième partie qui énonce les savoirs utiles pour comprendre la situation, cette troisième partie pose les questions de l’institutionnalisation.

Question sur les entretiens dans la didactique professionnelle

Les entretiens ont pris une place de plus en plus importante en psychologie du travail. Au début de la psychologie du travail, il y avait une règle centrale, qui était l’observation. il s’agissait de s’appuyer sur ce qui était visible pour essayer de reconstituer ce qui ne l’était pas. Il y avait une certaine défiance envers les entretiens. Avec l’évolution du travail et sa dimension de plus en plus cognitive, on s’est aperçu que les entretiens étaient indispensables. Deux directions ont été prises dans cette optique, en didactique professionnelle

• L’entretien d’auto-confrontation, qui consiste à enregistrer l’action d’un sujet, à lui repasser le film des événements et à lui demander de le commenter.

L ‘entretien d’auto-confrontation se passe après l’action et consiste pour le sujet à expliquer, commenter ce qu’il a fait. On a d’un côté des observables, et de l’autre le sens que le sujet donne à ces observables. C’est Jacques Theureau qui a théorisé ces entretiens d’auto-confrontation et c’est l’une des méthodes les plus pertinentes, car elle donne à la fois la succession des opérations et la façon dont le sujet arrive à les expliciter, même si cela ne supprime pas ce que j’ai appelé le laconisme des experts.

Une démarche plus complexe, développée par Clot, consiste à faire de l’auto- confrontation croisée : on enregistre les activités d’un professionnel et on demande un commentaire croisé de deux professionnels : l’acteur et un autre professionnel, pour essayer de repérer les différences, en particulier les différentes organisations de l’action.

Ceci est lié à ce que j’ai évoqué précédemment : l’importance de l’analyse après-coup de l’activité.

• Il y a un autre mouvement qui, lui consiste à dire qu’il y a beaucoup d’activités de travail qui consistent en échanges de paroles, par exemple un professeur et ses élèves , mais aussi bien d’autres situations. Par exemple, Patrick Mayen a étudié les entretiens des réceptionnaires dans les garages, ce sont d’anciens techniciens qui reçoivent des clients.

On a donc une autre piste qui commence à se développer et consiste à analyser une activité d’interaction à base de dialogues professionnels. Il est clair que les activités de services ont un gros potentiel de développement et que le langage y est un outil de travail. L’activité langagière constitue l’essentiel du travail.

Question sur la formation des formateurs à la didactique professionnelle Depuis quelques années, les choses évoluent :

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D’une part, la construction traditionnelle des référentiels a montré ses limites.

D’autre part, on sait l’importance qu’a pris le débat sur les compétences. Mais ce qui tient le haut d’un pavé ce n’est pas le développement des compétences, mais la question de la certification, de la reconnaissance et des rémunérations qui s’y attachent.

On arrive quand même à faire entendre une voix discrète mais qui trouve un écho de plus en plus fort et qui consiste à dire : si on manque la problème du développement des compétences dans le travail et dans tous les processus de professionnalisation, on rendra un très mauvais service à l’autre volet du problème des compétences , celui de leur reconnaissance sociale.

Il est indispensable qu’un formateur d’adultes soit au moins initié à l’analyse du travail. L’analyse du travail n’est pas le fait des chercheurs, même si elle l’a été à ses débuts. L’analyse du travail est aujourd’hui un enjeu majeur pour la formation professionnelle continue.

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