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L hyperréalité du monde postmoderne selon Jean Baudrillard

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Academic year: 2022

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Nadine Salamé

ISBN : 978-2-343-09263-8 27 e

La philosophie de Baudrillard est inédite puisqu’il possède une façon originale de voir le monde, ses yeux étant ceux d’un philosophe- critique, d’un sociologue, d’un journaliste et d’un pataphysicien.

Ce faisant, il possède une manière fort intéressante de nommer les faits. D’où toute la série de termes qu’il revisite ou invente surtout ceux formés par le préfixe hyper comme hyperconsommation, hypermarché, hyperréel, hypercorps, hyperespace et bien d’autres. Malgré sa quête du sens et du réel, Baudrillard débouche sur le non-sens et proclame moyennement l’absence du réel. C’est comme si tout l’objectif de sa quête était uniquement la description du réel disparu et non la recherche et l’instauration du réel voire d’un nouveau réel. La recherche conduite ici s’attaque à la pensée hyperréelle de Jean Baudrillard tout en présentant l’originalité de cette pensée singulière et controversée.

Nadine Salamé est jeune professeur de philosophie, de sociologie et d’histoire-géographie dans différents lycées francophones au Liban. Elle entame un master en histoire conjointement avec ses recherches postdoctorales en philosophie.

L’hyperréalité

du monde postmoderne selon Jean Baudrillard

L’hyperréalité du monde postmoderne selon Jean Baudrillard

Essai de lecture analytique et critique

Essai de lecture analytique et critique

Nadine Salamé L’hyperréalité du monde postmoderne selon Jean Baudrillard

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L’hyperréalité du monde postmoderne selon Jean Baudrillard

Essai de lecture analytique et critique

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Nadine Salamé

L’hyperréalité du monde postmoderne selon Jean Baudrillard

Essai de lecture analytique et critique

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© L’Harmattan, 2016

5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr

diffusion.harmattan@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-09263-8

EAN : 9782343092638

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Introduction générale

Apparemment, notre monde est réel. Le réel existe alors nécessairement dans le monde. Ce constat est-il réel ? Le réel est tout ce qui existe effectivement et la réalité est son synonyme puisqu’elle signifie l’ensemble de ce qui est. Étymologiquement, le mot réel provient du latin realis et signifie « chose ». C’est donc la chose qui existe et qui est concrète. Le réel s’oppose ainsi à l’illusion puisqu’il reflète ce qui est actuel et non pas ce qui est virtuel. Par conséquent, le réel semble être ce qui peut être perçu et connu par les sens. Mais cela peut exclure les idées pures. Or Platon pense que les idées pures sont réelles, voire plus réelles que les apparences1. Elles remplacent ainsi l’illusion qui s’oppose au réel. Dans son mythe de la caverne, Platon prouve que l’homme préfère l’illusion à la vérité. Ce faisant, l’homme résiste au réel ; il doute même de son existence. Il semble que le doute sur la capacité de l’homme à connaître le réel soit aussi vieux que la philosophie. C’est l’une des questions philosophiques les plus anciennes, qui ne cessent de tourmenter l’esprit des hommes. Dans sa célèbre phrase « l’homme est la mesure de toutes choses », Protagoras nie l’existence d’une réalité absolue et affirme que le réel est la perception subjective que possède chaque homme du monde. Le réel est alors une donnée intellectuelle que l’homme a sur le monde. Qu’il soit objectif ou subjectif, il représente une réalité abstraite et vraie aux yeux de l’homme. Il est alors la représentation que se fait l’homme du monde.

La question sur l’essence et l’existence du réel est toujours d’actualité. Nous remarquons que le réel change de peau.

Désormais, il paraît être subjectif et il est représenté par les images données par les médias. Ces images représentent le réel aux yeux de l’homme contemporain. Est-il alors toujours un réel abstrait ? Il semble que la conception grecque et antique du réel soit dépassée.

1 « Que crois-tu qu’il répondrait, si on lui disait que tout à l’heure il ne voyait que des sottises, tandis qu’à présent qu’il se trouve un peu plus près de ce qui est réellement, et qu’il est tourné vers ce qui est plus réel, il voit plus correctement ? Surtout si, en lui montrant chacune des choses qui passent, on lui demandait ce qu’elle est, en le contraignant à répondre ? Ne crois-tu pas qu’il serait perdu, et qu’il considérerait que ce qu’il voyait tout à l’heure était plus vrai que ce qu’on lui montre à présent ? » (Platon, La République, livre VII, France, Nathan, 1997, p. 42).

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C’est pour cette raison que les philosophes postmodernes ont inventé de nouveaux concepts pour le désigner. Un de ces nouveaux concepts rattachés au réel est celui d’hyperréalité. Par conséquent, il y a lieu de soutenir deux idées. La première est que, de nos jours, l’hyperréalité remplace la réalité. La seconde est que l’hyperréalité est le fruit des médias du monde actuel. L’hyperréel, synonyme d’hyperréalité, serait alors une notion récente qui remplace celle de réel. L’hyperréel est ce qui est dépourvu du réel.

C’est la simulation du réel. De plus, l’hyperréel est aussi l’exagération de cette simulation. Par conséquent, l’hyperréel est une représentation exagérée du réel. Il est représenté par le monde actuel.

Malgré sa disparition, le réel continue à intriguer les penseurs postmodernes. L’homme s’efforce d’échapper au réel et cela par l’intermédiaire des duplicités illusoires du monde hyperréel.

Clément Rosset traite le caractère illusoire de nos représentations du réel2. Il distingue le réel de la réalité en qualifiant le réel de terme philosophique. Il pense que, de nos jours, la réalité n’est plus nécessairement rattachée à la philosophie.

L’homme n’a pas la capacité de saisir le réel puisqu’il est dur à trouver et à comprendre. C’est la raison pour laquelle il invente de multiples façons pour le fuir comme la création d’un monde médiatisé, illusoire, simulé voire hyperréel. Kant pense que nous pouvons avoir plus ou moins le sentiment du réel, mais jamais nous ne pouvons le percevoir3. Rosset qualifie le réel d’idiot :

« C’est très simple ; idiot, en grec idiotês, ne signifie pas crétin, imbécile, mais évoque le sens de particulier, singulier. Le sens du mot est resté dans la langue moderne quand on parle d’un idiome, d’une langue particulière. Beaucoup de philosophes sont d’accord avec l’idée que le réel est un objet singulier. En réalité, il n’y a pas deux choses pareilles, par conséquent, quand je dis que le réel est idiot, je veux dire que le réel est singulier. Je parle de la singularité.

Cette pensée est également très forte chez Leibniz, le philosophe allemand. Selon lui, il n’y a pas deux brins d’herbe pareils4. » Dans la philosophie postmoderne, le réel paraît être une perception

2 « Il n’y a rien de plus fragile que la faculté humaine d’admettre la réalité, d’accepter indiscutablement l’impérieuse prérogative du réel. » (C. Rosset, Le réel et son double, Paris, Folio, 1993, p. 9).

3 Voir E. Kant, Critique de la raison pure, Paris, Garnier-Flammarion, 1999, 725 p.

4 C. Rosset, Le réel: traité de l’idiotie, Paris, Les Éditions de Minuit, 2004, p. 35.

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subjective que peut avoir l’homme du monde. Il paraît aussi être un concept insaisissable puisqu’il est subjectif, objet d’une méditation personnelle. De nouveaux concepts s’y introduisent qui nous permettent de comprendre qu’il a subi une profonde mutation, notamment les concepts d’hyperréel et de simulation.

Jean Baudrillard est intrigué par cette ancienne et récente question philosophique : qu’est-ce que le réel ? La recherche du réel est le fil conducteur de toute sa philosophie. Il a dû fouiller dans le monde actuel pour y déceler les traces du réel. Ce fut en vain. Sa conclusion est surprenante : il s’aperçoit que le réel a disparu du monde actuel et que c’est l’hyperréel qui le remplace. Or, tout au long de ses écrits, il a voulu récupérer ce réel disparu. À sa place, il retrouve les traces du réel qui persistent dans notre monde. Où est alors passé le réel ? Peut-on le retrouver dans ce monde hyperréel ? Si l’homme retrouve le réel, peut-il le comprendre ? Afin de répondre à toutes ces questions, Baudrillard veut dévoiler les causes de la disparition du réel ; il veut aussi connaître qui a tué le réel. Ce faisant, il s’est investi dans une quête interminable pour appréhender le vrai sens de cette mutation. À cet égard, il décrit les phases dans lesquelles le réel est passé pour suivre ses traces afin de tenter de le retrouver. C’est ce qui le pousse alors à concentrer sa pensée autour de trois concepts clés : le réel, le simulacre et l’hyperréel. Pour saisir le réel, Baudrillard se voue à une critique acharnée du monde hyperréel. Selon lui, cette critique lui permettra de tout détruire afin de voir ce qui résiste à cette destruction. Ce qui résiste n’est autre que le réel qui représente ce qui reste lorsque tout aura disparu.

Baudrillard pense que notre monde est dépourvu de morale, de vérité, de sens et de réel. Et nous partageons ce constat avec lui.

Notre objectif est alors d’essayer de comprendre le sens réel de notre monde et surtout de redonner un sens au monde malgré toutes ses défaillances. C’est la raison pour laquelle nous avons soulevé la problématique suivante : La critique de l’hyperréalité du monde postmoderne selon Jean Baudrillard redonne-t-elle sens au réel ?

Notre thèse sur l’hyperréalité du monde postmoderne entend donc vérifier la manière dont Baudrillard s’emploie à reposer et à résoudre, en termes jusque-là inédits, la disparition du réel. Cette disparition est visible dans notre monde actuel. Il s’agit, en effet, d’une perte totale du réel. De nos jours, il est de plus en plus

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courant d’entendre des discours inquiets sur la crise du sens, la perte des valeurs et le non-respect des droits de l’homme. Cette crise fait partie d’une crise globale. En effet, la mondialisation qui fait circuler les biens, les hommes et les informations nous oblige à croire qu’elle ne fonctionne pas pour le bien de l’humanité. Elle nous donne l’impression d’un désordre planétaire qui débouche sur une crise de sens qui se fait sentir dans tous les domaines : crise économique, crise axiologique, crise religieuse, crise cognitive, crise écologique et crise artistique. La crise globale serait le fruit de tous les changements considérables qui ont eu lieu ces deux derniers siècles et qui sont dénoncés par les postmodernes.

Il est à signaler que les postmodernes critiquent la rationalité et l’humanisme modernes. Suite à sa description du monde réel déchu, Baudrillard critique le monde hyperréel. Il s’agit d’un monde exagéré dans lequel l’homme possède une multiplicité d’informations mais non pas un savoir. Ce nouvel ordre du monde qualifié d’hyperréel semble laisser le consommateur désarmé face aux connaissances réelles et au vrai sens des choses. Baudrillard s’efforce alors de redonner un sens à ce monde afin de dévoiler aux hommes actuels le réel disparu. Son objectif ultime serait donc de restituer aux valeurs, à l’homme et à la connaissance leur place au sein d’un monde en perpétuel changement.

Le sens du monde et de la vie intrigue tout être pensant.

Baudrillard nous apportera-il une réponse à ce sujet ? En suivant ses pistes d’analyse, nous essayerons d’explorer le monde de l’informatique, des médias, de l’information, de la communication et de la consommation afin de chercher au fond du monde hyperréel un sens à ce même monde et aussi afin de tenter de comprendre ce réel.

Jean Baudrillard (1929-2007) est un philosophe et un sociologue français. Il intègre le lycée Henri-IV et achève ses études à la Sorbonne où il obtient son agrégation d’allemand. Il commence sa carrière de professeur au secondaire puis il bifurque vers les universités allemandes où il devient lecteur-résident. Ses premiers travaux sont des traductions de grands textes allemands comme L’idéologie allemande de Karl Marx. En 1960, il entreprend une thèse de doctorat sous la direction du philosophe et sociologue Henri Lefebvre. Au même moment, il suit les cours d’analyses sémiologiques de Roland Barthes. Il enseigne la sociologie à Nanterre et contribue à la cristallisation des idées de mai 68. Très

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réactif aux événements politiques et sociaux, il écrit de nombreux articles de presse comme la série publiée dans le journal Libération.

À travers ses premiers livres publiés au début des années 70, Le système des objets, La société de consommation et Pour une critique de l’économie politique du signe, il s’est imposé comme l’un des interprètes et des critiques les plus violents de nos sociétés modernes. Il s’acharne sur la consommation devenue nouvelle morale et la marchandise devenue nouveau mythe du monde. Dans les années 80, à partir de De la séduction, Les stratégies fatales, Amérique, Cool Memories, La transparence du mal et Le crime parfait, il construit la clé de voûte de sa pensée par une réflexion qu’il porte sur la séduction, la simulation, le réel et l’hyperréel. Par la suite, il dénonce l’exagération qui existe dans le monde actuel sous toutes ses formes.

Cela dit, il convient de souligner, de prime abord, que la pensée de Baudrillard est paradoxale. Tout à la fois claire et elliptique, sobre et sophistiquée, conceptuelle et poétique, elle se joue des contraires. Baudrillard porte sur le monde un regard qui n’est ni moral ni idéologique ni critique. Il essaye de le saisir tel qu’il se livre à sa pensée puisque son objectif est de trouver le réel.

Il est l’un des rares penseurs français de réputation internationale. Il est très étudié aux États-Unis. Il est également l’auteur français le plus lu en Chine vu que dix-neuf de ses ouvrages sont traduits en chinois. Il est un poète, un photographe et un métaphysicien qui dérange parfois par ses propos arrogants et paradoxaux. Germaniste de formation, traducteur, sociologue, philosophe, pataphysicien5, nietzschéen, auteur de textes chantés, photographe. C’est pourquoi il faut bien assimiler les diverses facettes de sa formation pour saisir la vision originale qu’il a du monde. François L’Yvonnet tente en ses mots de nous présenter Baudrillard : « Jean Baudrillard, de nationalité française, de sexe masculin, brun de taille moyenne, professeur en retraite, germaniste, traducteurs, sociologue, philosophe, métaphysicien, ontologue, anthropologue, fragmenticien, artiste, poète, cycliste, pongiste, photographe, pataphysicien, œnophile, parisien, écrivain, conférencier, nageur, séducteur, ex-maoïste, stratège, radicaliste, paroxyste, […] hydrophobe, retro-visionnaire, bergsonien, cinéphile, ex-soldat, moraliste, théoricien, extra-moderniste, critique, démystificateur, amateur de mots rares, fataliste, oniriste,

5 Nous nous attarderons ultérieurement sur cette notion.

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allégoriste…6. » Ce qui caractérise le plus sa pensée originale est sa capacité de jeter des passerelles entre le vécu et les avancées technologiques, entre la philosophie et les objets de la vie quotidienne. Les concepts qu’il a utilisés comme le mal, le jeu, l’obscène, l’échange symbolique, la séduction et bien d’autres s’opposent les uns aux autres et se métamorphosent dans des logiques nouvelles de séduction.

Nous pouvons classer Jean Baudrillard dans la lignée des philosophes postmodernes. Il était ami avec des philosophes postmodernes de sa génération comme Edgar Morin et Hubert Tonka. Il critique la société actuelle tout en s’inspirant des penseurs comme Michel Foucault, Jacques Lacan, Gilles Deleuze et Roland Barthes. Il se détache ensuite d’eux car sa pensée se caractérise par le structuralisme qu’il a emprunté à Saussure. En effet, il explique comment dans le langage, le signifié perd son statut et son sens pour rentrer en relation avec l’ensemble du système social qui est loin du sens réel que possède l’objet. Ainsi introduit-il un nouveau mouvement : le post-structuralisme. À sa théorie du langage s’ajoute sa thèse centrale qui est celle de la disparition du réel qu’il aurait empruntée de la critique de la société du spectacle faite par Guy Debord7.

À l’opposé de Foucault, il critique le rationalisme kantien et l’humanisme actuel inspiré des philosophes des Lumières puisqu’il considère que l’homme est le seul responsable des défaillances qui existent à l’heure actuelle. Au milieu de ses déboires, l’homme s’éloigne de plus en plus de l’humanisme pour se rapprocher de la robotisation. Baudrillard s’oppose aussi à la dialectique de l’histoire élaborée par Hegel puis Marx et Engels puisqu’il considère que le mouvement de l’histoire est linéaire et que les événements préparés par les médias tracent le cours de l’histoire. Il s’inspire donc des philosophes modernes et postmodernes afin d’ériger son propre système philosophique.

Afin de répondre à la problématique posée, nous suivrons l’évolution de la pensée de Baudrillard. La méthode analytique semble convenir le mieux à cette démarche. Elle requiert un

6 F. L'Yvonnet, L'Effet Baudrillard, l'élégance d'une pensée, Europe, François Bourin, 2013, p. 56.

7 Guy Debord est un écrivain français qui a conceptualisé la notion de société du spectacle en montrant l’influence négative que possèdent les images et les médias sur l’homme actuel.

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cheminement parallèle à celui de l’auteur. C’est la raison pour laquelle nous tenterons de présenter toutes ses idées qui sont en rapport direct avec notre sujet. Nous nous attarderons sur les concepts clés de sa pensée tels : le réel, l’hyperréel, la simulation, le simulacre, le sens, l’homme, la société de consommation, l’histoire, la morale et l’homme. Nous essayerons de relier ces concepts entre eux afin de détecter les cohérences intimes de la pensée de Baudrillard.

Simultanément, nous ferons appel aux différentes études menées sur la pensée de Baudrillard. Ces approches s’inscrivent dans des registres aussi bien différents que complémentaires.

Professeur de sociologie à Paris-Dauphine, Alain Gauthier nous mène au plus près des mots de Baudrillard pour atteindre au secret de sa pensée paradoxale. Il analyse alors l’œuvre de Baudrillard pour faire l’éloge de cette pensée en duel. Dès lors, il convient d’investir l’étude de Gauthier dans une perspective analytique portant sur la pensée de Baudrillard. La journaliste Valérie Guillaume s’est elle aussi attardée à la pensée de Baudrillard. Elle présente alors une biographie intellectuelle de Baudrillard qui comprend un grand nombre d’inédits enregistrements sonores, de conférences et de débats. Son travail nous a permis d’enrichir et de compléter notre bibliographie surtout en matière de conférences et d’enregistrements sonores. Quant au sociologue et journaliste Ludovic Leonelli, il s’efforce de dévoiler les malentendus qui règnent autour de la pensée de Baudrillard. Il se veut alors le défenseur de ce penseur jugé mélancolique et contempteur du virtuel. Enfin, le professeur de philosophie François L’Yvonnet montre la singularité de la pensée de Baudrillard pour mieux saisir l’éclat et la jubilation d’une pensée toujours vivante et contemporaine. Nous remarquons alors que ces penseurs ont une approche laudative de la pensée de Baudrillard. Qui plus est, ils sont des philosophes, des sociologues ou des journalistes. Leurs itinéraires diversifiés nous permettront d’avoir une vision globale de la pensée de Baudrillard.

Nous confronterons ainsi notre analyse à celle de ces penseurs et aussi à celle des deux uniques thèses de doctorat faites sur sa pensée : Vial Stéphane, La structure de la révolution numérique : philosophie de la technologie, et W. Mansour, Being and hyper-imaginal disappearance. Il est à noter que toutes les études faites sur la pensée de Baudrillard gravitent autour des thèmes suivants : la société de

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consommation, le langage, l’imagination, l’économie, le capitalisme, les médias et l’histoire. Jusque-là, nous n’avons trouvé aucune étude sur le réel et l’hyperréel qui, nous semble-t-il, constituent les deux concepts centraux de sa pensée.

Pour mieux comprendre sa pensée, nous la confronterons à des philosophes tels Platon, Kant, Nietzsche, Heidegger, Leibniz, de Tocqueville, Lévinas, Fukuyama, Arendt, Marcuse, Lyotard, Bataille, Lipovetsky, Jonas, Derrida, Mattéi, Gauchet et bien d’autres. Ce travail nous a permis de porter un jugement critique sur ses idées et de découvrir les défaillances internes de sa pensée.

Dans un autre registre, il importe de mettre en relief les hypothèses qui sous-tendent l’ensemble de cette recherche.

D’entrée de jeu, nous supposons que Baudrillard appartient à la postmodernité. Le postmodernisme est un courant philosophique né dans les années 1960. Il s’oppose à la modernité. Il connaît son essor avec l’ouvrage de Jean-François Lyotard La condition postmoderne8. Ce dernier dénonce la modernité qui prône l’idéalisme, le subjectivisme et l’humanisme. De manière générale, les postmodernes dont fait partie Baudrillard critiquent les penseurs des Lumières et mettent en doute le rôle de la raison dans les domaines des sciences et de la philosophie. Baudrillard a lui aussi emprunté ce même chemin qui est celui de la postmodernité. Il pense que les signes ou les mythes actuels, comme l’argent et la mode, sont des simulacres puisqu’ils ne signifient pas quelque chose de matériel. Ils ont créé l’homme actuel qui est automatisé.

Ce dernier est un consommateur qui vit dans un monde d’illusions exagérées. Baudrillard critique alors et ce consommateur subhumain démuni de raison et ce monde hyperréel dénué de savoir.

La postmodernité s’avère être une philosophie critique. C’est ce qui nous a poussée, dans un second temps, à supposer que sa philosophie est critique. En lisant l’œuvre de Baudrillard, nous avons remarqué que ses écrits se caractérisent par la critique de tout ce qui existe : de l’homme, du monde, de la morale, de l’économie, de la politique et des moyens de communication. Suite à cette remise en question du monde actuel et de toutes ses composantes, nous avons aussi supposé qu’en tant que philosophe, Baudrillard a comme objectif de nous présenter une vision destructrice du monde hyperréel. Il a banni le réel afin de mieux le

8 Voir J.-F. Lyotard, La condition postmoderne, Paris, Minuit, 1979, 109 p.

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définir et de nous présenter ainsi sa nouvelle conception du réel et du sens du monde. Il critique alors toutes les composantes du monde hyperréel : la culture, les valeurs, l’homme, l’information, les objets, l’économie, la politique et l’histoire.

En troisième lieu, nous avons supposé que le réel n’existe pas en raison de la critique acharnée que Baudrillard a lancée contre le monde hyperréel. Suite à cette destruction, nous pouvons dire que Baudrillard est nihiliste. Le nihilisme est un courant philosophique qui affirme l’absurdité de la vie et l’inexistence de la vérité, du sens et de la morale. Étymologiquement, il provient du latin nihil qui signifie rien et ce qui n’existe pas. Croyant que le réel n’existe pas, Baudrillard ne serait-il pas nihiliste ? Nous ne pouvons parler de nihilisme sans évoquer Nietzsche qui a d’ailleurs influencé la pensée de Baudrillard : « Tout ce monde de fiction s'enracine dans la haine du naturel, de la réalité, il est l'expression d'un profond malaise avec le réel. Mais voilà que tout s'éclaircit. Qui donc aurait quelque raison de s'évader par le mensonge de la réalité ? Quiconque en pâtit. Mais pâtir veut dire qu'on est une réalité naufragée9. » Cette destruction semble être la destruction du monde réel, de l’humanité et du sens faite par Baudrillard.

L’humanité se trompe elle-même et se projette dans des figures mensongères et dans des illusions qui n’expriment que son aliénation aveugle au monde hyperréel. Dans cette perspective, l’homme se nie lui-même et se jette dans le néant emportant avec lui le monde dans le nihilisme.

Ces hypothèses posées nous permettront de répondre à la problématique fondamentale de la thèse. À cet effet, nous avons conçu notre plan en trois parties. La première est intitulée Causes et symptômes d’un réel en mutation. Elle a comme objectif de dévoiler le réel qui a disparu. Pour cela nous commencerons notre travail en présentant les notions de base et la méthode utilisée par Baudrillard qui nous permettront de décrire sa façon de penser et son propre langage. Puis nous passerons à la description du monde faite par Baudrillard. Cette première partie représente à nos yeux la première étape de la pensée de Baudrillard dans laquelle il soutient que le réel est absent de notre monde.

Dans la seconde partie intitulée De l’antidote à l’exagération, nous montrerons que le réel disparu cède la place à son simulacre. Et suite aux médias, ce simulacre est exagéré d’où la naissance du

9 F. Nietzsche, L’Antéchrist, Paris, Folio, 1990, p. 33.

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monde hyperréel. En suivant cette dynamique de substitution, nous présenterons, dans un premier chapitre, le meurtre du réel et la naissance de l’illusion séductrice. Dans un second chapitre, nous relèverons les séquelles du monde simulé qui persistent dans le monde postmoderne. Dans un troisième chapitre, nous présenterons l’hyperréel et ses caractéristiques. Cette partie représente la seconde étape de la pensée de Baudrillard dans laquelle il décrète que le monde hyperréel remplace le monde réel.

Enfin dans une troisième partie intitulée Vers un nouveau modèle du réel, nous tenterons de voir l’utilité de la destruction du monde réel et de l’avènement du monde hyperréel aux yeux de Baudrillard.

Nous critiquerons alors sa pensée en essayant de voir dans quelle mesure elle est nihiliste vu que dans son œuvre il a tout détruit et tout critiqué. En dernier lieu, nous tenterons de voir si la critique faite par Baudrillard a comme objectif de redonner sens au monde.

En cela nous pensons rejoindre l’essentiel de la problématique qui est sous-jacente à cette recherche. Une attitude de circonspection et d’ouverture critique semble pertinente à l’issue de cette approche analytique et critique qui, semble-t-il, aura eu le mérite de mettre à nu les présupposés ultimes qui régissent l’intuition fondamentale de Baudrillard. À savoir que le monde réel se mue en monde hyperréel.

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PREMIÈRE PARTIE

CAUSES ET SYMPTÔMES D’UN RÉEL EN MUTATION

Le monde actuel est un monde changeant. Ses perpétuelles mutations sont visibles dans tous les domaines de la vie : la politique, la mode, la religion, l’économie, la télévision, l’art, la morale, la culture et l’histoire. Ces changements intriguent la pensée de Baudrillard puisqu’il les observe incessamment dans tous les phénomènes sociaux. Notre philosophe a une vision inédite de notre monde. Il tente de le décrire tout en le remettant en question afin de présenter la genèse d’un nouveau monde. Nous tenterons ainsi dans un premier chapitre d’élucider la dynamique de sa pensée en la rattachant aux notions de base qui dirigent ses idées. En effet, Baudrillard constate que le réel est absent de notre monde. Ce faisant, il décrit sa disparition tout en présentant les notions de réel, d’humain, de Dieu, d’objet, d’art et d’image. Afin de critiquer le monde simulé, il introduit les notions ancrées dans notre monde, à savoir le simulacre, la simulation, la société de consommation, la société de méta-consommation, le consommateur et la mondialisation. Enfin il crée de nouveaux concepts qui spécifient sa pensée et cela pour montrer les caractéristiques du monde hyperréel : l’hypermorale, le dieu hyperréel et l’hyperespace.

Ensuite, dans un second chapitre, nous décrirons la disparition du monde réel. Cette disparition se situe au niveau de l’homme qui se transforme en subhomme. L’art est quant à lui dépassé. Le langage ne porte plus en lui de sens. Dieu est mort et la culture disparaît aux dépens de la mondialisation. Cela aboutit à la fin de l’histoire.

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Chapitre Premier Dynamique d’accès et notions de base

En tant que sociologue, Baudrillard utilise une méthode scientifique dans son analyse du monde. En effet, tout au long de son œuvre, il utilise les règles de la méthode sociologique comme l’observation, l’analyse et la description du monde contemporain et ses composantes. En tant que philosophe, Baudrillard s’attaque à des notions philosophiques majeures telles la postmodernité, le sens du monde, les valeurs, le nihilisme, le réel, la simulation et l’hyperréel. Dans un premier temps, il se base sur une observation du monde réel. Dans un second temps, il remet en question et critique le monde virtuel. Enfin dans un dernier temps, il génère un nouveau monde : l’hyperréel.

Il importe donc de mettre en relief les traits distinctifs de cette méthode car une telle méthode permet de mieux saisir la modalité de toute la pensée de cet auteur post-moderne.

Ce chapitre n’entend nullement déployer toute la pensée de Baudrillard. Sa vocation est plutôt une méthode heuristique. D’un côté, il nous montre comment s’opère la pensée de Baudrillard ; de l’autre, il nous fait découvrir les notions fondamentales autour desquelles gravite toute sa pensée.

1. Constat et déni du réel

Dans cette première constellation, Baudrillard utilise une méthode descriptive. En effet, il a acquis cette méthode suite à sa formation sociologique. Il observe alors le monde actuel, qu’il qualifie d’hyperréel. Il l’analyse en le décortiquant. Ainsi, il se voit dans l’obligation de le décomposer en ses éléments constitutifs qui sont l’homme, l’objet, le monde et leurs composantes. Pour expliciter davantage la description et l’analyse qu’il fait du monde, Baudrillard, tout au long de ses écrits utilise de nombreux exemples. Il décrit ainsi des phénomènes de la vie quotidienne comme les œuvres d’art, les célébrités telles Kennedy et Brigitte Bardot, les objets cultes de nos sociétés tels le coca-cola et les grandes marques de produits de beauté comme Coco Chanel.

La description du monde à laquelle Baudrillard se livre est surtout présente dans sa série de livres intitulée Cool Memories. Tout au long de sa démarche intellectuelle, il semble qu’à chaque fois

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qu’il cherche à présenter le réel, Baudrillard décrit son absence du monde actuel. C’est la raison pour laquelle après chaque série de livres écrits, il s’arrête pour décrire le réel perdu. Cette procédure est illustrée dans Cool Memories 1, Cool Memories 2, Cool Memories 3, Cool Memories 4 et Cool Memories 5 qui sont écrits successivement en 1987, 1990, 1995, 2000 et 2005. Ces livres semblent marquer un arrêt dans sa pensée qui s’avère être d’une part une description et d’autre part un constat du réel disparu. Par conséquent, la description du réel accompagnée des exemples qui prouvent sa disparition est au centre de sa pensée. Elle accompagne toutes les étapes de sa quête philosophique du réel.

Qui plus est, Baudrillard entame une comparaison entre le monde hyperréel qui existe et le monde réel qui n’existe plus. Cette méthode comparative l’aide aussi à décrire le réel disparu. En effet, il peint le réel en omettant du monde actuel toute forme d’exagération. C’est ainsi que, par une simple équation mathématique, Baudrillard décrit ce qu’il n’a jamais observé : le réel. Nous tenterons alors de rattacher les notions de base de sa pensée à cette méthode descriptive qui a comme objectif de dévoiler le réel disparu et ses composantes.

1.1 Un réel disparu

Le réel est un monde qui a existé dans une étape précédente.

C’est le monde que Dieu a créé. Il contenait alors la morale, l’homme, la vérité, l’espace, le temps, les vrais sentiments et besoins. Mais à une époque que Baudrillard semble vouloir situer vers la fin de l’ère industrielle et l’avènement de l’ère informatisée, l’homme a voulu parfaire le monde réel pour être heureux. C’est la raison pour laquelle l’homme a voulu imiter Dieu. Par conséquent, il veut créer un autre monde. Cela le pousse alors à détruire le monde réel. Plusieurs facteurs entrent en jeu pour aider l’homme dans la création de ce nouveau monde. L’aboutissement de ce travail est alors la destruction du réel. Tout au long de sa pensée, Baudrillard constate et repère la disparition du réel. Dans une méthode de déni, il présente différents aspects du réel disparu comme l’humain, Dieu, l’objet, l’art et les événements.

L’homme a tué le réel. La croyance en lui relève de l’imagination la plus médiocre. Ce qui reste dans le monde actuel n’est en aucun cas le réel mais des images. Ces dernières présentées

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par les media10, font disparaître le réel. Elles sont complices de l’homme car elles l’aident à camoufler le réel. Derrière les images, quelque chose disparaît, quelque chose d’unique. Le monde réel est unique et singulier. Il n’est jamais identique à lui-même, voire jamais présent : « L’objet réel est censé être égal à lui-même, il est censé se ressembler comme un visage à lui-même sans un miroir – et cette similitude virtuelle est en effet la seule définition du réel – et toute tentative, dont celle holographique11. » Le réel est ce dont il est impossible de donner une reproduction équivalente puisqu’il n’est pas exactement semblable à un autre objet. Il est un phénomène exceptionnel. Baudrillard définit le réel comme étant ce qui est égal à lui-même, l’objet insolite, l’événement inédit, la personne singulière et le monde atypique. Or, le monde réel n’existe plus car ce monde est celui de la similitude. Il contient une multitude d’images, d’événements et de personnes identiques.

Toutes les spécificités du monde réel sont annulées.

Le réel est absent de la société de consommation. En disparaissant du monde, il emporte avec lui l’humain et l’objet réel.

L’objet unique, désiré, singulier n’existe plus. Le sujet ne tend plus vers cet objet réel mais plutôt vers un objet miroir du monde imparfait. Le réel est démuni alors des choses. C’est l’information qui anéantit le réel ; elle l’aliène puis l’abolit.

Baudrillard s’intéresse à la disparition du réel plus qu’à sa définition. Il ne représente pas le réel, mais plutôt il s’intéresse à ses représentations disparues. Le réel devient alors une utopie.

L’utopie n’est pas de l’ordre du possible puisque le réel est un rêve perdu. Baudrillard relève alors l’absence du monde réel. C’est la disparition du réel qui l’intrigue et qu’il représente à travers toute son œuvre.

1.2. De l’humain au subhumain

L’homme est un acteur passif de la disparition du réel. Il est un acteur puisque c’est lui qui a tué le réel. Il est passif puisqu’il vit dans un monde dans lequel il n’agit pas. Il est un consommateur manipulé par la société de consommation. Il ignore ses vrais besoins, ses plaisirs et ses envies car il se procure de faux-besoins infligés par l’économie du marché. Par conséquent, l’homme a perdu son humanité. L’humanité est une caractéristique qui

10 Le terme « media » est ainsi orthographié par Baudrillard.

11 J. Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1981, p. 161 (SS).

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appartient à l’homme qui vit dans le monde réel. Elle distingue l’homme par ses sentiments, sa rationalité et sa morale. Emportant avec lui l’humanité de l’homme, le réel disparaît.

L’humain laisse sa place au subhumain. Ce dernier caractérise l’homme actuel. Il est dirigé par la consommation, ignorant ainsi sa réelle nature. L’homme contemporain est fatigué car il ignore sa quiddité, ses capacités et sa singularité. Qui plus est, l’homme a voulu créer un monde parfait. C’est la raison pour laquelle il tue le réel. Mais il s’est avéré que ce monde simulé ne l’a pas rendu heureux. Bien plus, il est devenu malheureux dans ce monde qu’il a voulu parfait. La société le rend malade car elle le guide et l’oblige à suivre un modèle commun à tous les hommes. Le subhumain représente alors l’homme actuel qui est fatigué et malheureux. Il est aussi démuni de la morale, de son jugement critique, de ses vrais sentiments et de sa singularité.

L’homme réel a disparu. Par sa disparition, il cède sa place à l’inhumain qui n’est autre que l’homme qui vit dans le monde simulé. Puis, lorsque l’exagération entre en jeu, l’inhumain est remplacé par le subhumain : « Ce qui est en jeu, c’est l’indistinction entre l’humain et l’inhumain, c’est le transfert machinal de l’un dans l’autre, c’est l’éradication de l’ironie, c’est aussi l’élimination de ce jeu avec l’échange impossible qui peut déboucher sur un signe pur, tels l’art ou le phantasme, et radicalement inutile. C’est l’émergence d’une nouvelle espèce subhumaine12. » Baudrillard décrit alors l’homme subhumanisé. Il est donc le consommateur, l’homme actuel, l’homme qui vit hors du réel. Il se croit parfait dans ce monde artificiel quoiqu’il s’évapore dans la société de consommation. Il est réduit à un objet de consommation et à un objet de science et d’expérimentation. Le subhumain appartient alors à un environnement virtuel et l’humain n’existe plus.

1.3. Le retrait de Dieu

Dieu est le créateur du monde réel. Il a créé aussi l’homme à son image. Ayant donné à l’homme sa liberté, Dieu pousse l’homme à agir. Se croyant aussi puissant que son créateur, l’homme veut inventer un monde meilleur où il serait heureux.

C’est ce qui le pousse à détruire le monde réel créé par Dieu et à engendrer un nouveau monde créé par lui-même. Ce nouveau monde est démuni du réel ; il est à l’image du monde réel. Il est sa

12 A. Gauthier, Baudrillard une pensée singulière, Paris, Lignes, p. 157-158.

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simulation. La place qu’occupait Dieu dans le monde réel est vacante vu que le réel est absent. Ainsi, Dieu est lui aussi absent de notre monde. Qu’il se soit retiré ou que sa présence soit anéantie par l’homme, Dieu n’est plus de ce monde. C’est la raison pour laquelle notre monde est déchiqueté et dépourvu de morale. Dieu est mort et il a laissé sa place au hasard. Le monde qu’il a laissé est libre et aléatoire. L’homme possède désormais les qualités du Dieu défunt : « Il y aurait alors, entre Dieu et l’homme, une rivalité, une violence mimétique. Le grand jeu, quoi ! Jouer à Dieu avec Dieu ! Avec le monde pour enjeu13. » L’évanouissement de Dieu laisse l’homme seul face au réel. Ce faisant, l’homme transforme le réel ; plus encore il le détruit.

En attribuant à Dieu la faculté de création du monde, Baudrillard décrit le Dieu chrétien surtout lorsque dans ses écrits il utilise parfois l’appellation « Père » pour parler du Dieu mort. Par conséquent, il décrit le Dieu des chrétiens en mettant le poids sur sa disparition et son retrait du monde sans pour autant faire une étude exhaustive de ses attributs et ses fonctions.

1.4. L’objet transformé en signe

L’objet réel a disparu avec le monde. Il est singulier, subjectif et ne peut être saisi par l’homme car il est unique et il n’est jamais pareil à lui-même ou à un autre objet. C’est lui qui pense le sujet car il l’intrigue. Ne pouvant jamais posséder l’objet, le sujet semble être inférieur à l’objet. L’objet réel a donc une fonction unique :

« L’objet fonctionnel est l’objet réel14. » Il est libre par rapport au sujet. Il se confond avec le monde réel en dehors de toute aspiration du sujet et indépendamment des intentions ou finalités du sujet. Ce dernier est pris par une stratégie fatale car il ne peut jamais connaître réellement l’objet ; il prétend alors le connaître.

L’objet qui existe dans le monde réel est l’objet authentique. Il est fonctionnel dans le sens qu’il possède une fonction unique de par son essence et donc indépendamment de l’homme. Il préserve ainsi sa réalité interne.

Mais voulant saisir et comprendre l’objet réel, l’homme le transforme en signe. Pour que l’objet réel soit saisi, il faut que le sujet s’en dessaisisse. Or, l’homme chosifie l’objet et lui donne des

13 J. Baudrillard, V. Enrique, Les exilés du dialogue, Paris, Broché, 2005, p. 43 (ED).

14 J. Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 68 (SDO).

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sens qu’il ne possède pas. Il le transforme en objet de série. Il crée ainsi un objet signe c’est-à-dire un objet dont le sens est connu à l’avance, un objet similaire à tout autre objet, un objet dominé par l’homme. L’objet signe est présent dans la société de consommation. Il remplace l’objet réel disparu : « L’objet n’a plus de fonction, il a une vertu : c’est un signe15. » L’objet est désormais possédé par le sujet et sa fonction renvoie à une fonction que l’homme lui inculque. Il est dénué de sa valeur et il rentre ainsi dans un ordre de signes renvoyant à un modèle de consommation fondé sur l’objet en série. Il appartient donc à un monde virtuel et illusoire. Il ne définit ni un cadre fonctionnel ni un cadre réel, il reflète uniquement des images désirées par l’homme.

L’objet en série reflète un monde automatisé et standardisé par le code universel de la consommation. Il est un miroir parfait qui reflète des images désirées par l’homme et non pas des images réelles. C’est un objet efficace et non plus fonctionnel. Il est efficace pour le bon fonctionnement de la société de consommation et le profit économique qu’il procure. Sa fonction réelle est cachée puisqu’il est soumis à la manipulation tactique de l’homme. Il ne possède pas sa propre image car il n’a pas affaire à son identité mais plutôt à l’identité que l’homme lui donne. Il est produit et consommé ; possédé et personnalisé. L’homme moderne n’est plus en relation avec des objets réels ; il maîtrise, ordonne et contrôle l’objet signe.

Baudrillard s’efforce de prouver que l’absence de l’objet réel est plus présente que sa présence. Elle est reflétée par l’objet signe qui transmet l’illusion du monde. Les objets sont tous pareils car ils dépendent des passions du sujet.

1.5. De l’art à la transesthétique

L’art est une forme de représentation de la réalité. Vu que le réel n’existe plus, l’art a disparu. C’est par sa disparition qu’il continue d’exister. Dans l’époque moderne, l’art lui-même n’existe que sur la base de sa disparition. Il ne fait pas uniquement disparaître le réel mais il s’abolit lui-même. Ayant disparu du monde, l’art ne sait pas qu’il a disparu et il continue son chemin en coma dépassé. Représentant de la rareté, l’art est un produit terminé. Ayant pénétré dans l’époque industrielle, il devient un multiple illimité. L’œuvre d’art échappe alors à la solitude et à

15 SDO, p. 116.

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l’objet unique. L’art devient la sublimation de l’illusion du monde :

« L’esthétique restitue une maîtrise du sujet sur l’ordre du monde, une forme de sublimation de l’illusion totale du monde, qui sinon nous anéantirait16. » L’art ou l’esthétique se transforme alors en transesthétique car l’objet que l’art représente n’est ni imprévisible ni singulier. Les objets surgissent ainsi d’une altérité, ils ne sont plus imprévisibles et singuliers. L’art est aliéné à la consommation artistique. Par conséquent, l’art cède sa place à la transesthétique.

L’objet unique représenté par l’art est désormais superficiel et banal. La transesthétique est le langage de la banalité et de l’objet fétiche. Quant à l’art, il est en deuil de l’image réelle. La banalité esthétique est la transesthétique. Cette dernière représente l’ambiguïté du monde en se référant aux moyens de communication et non pas au beau et au laid. Elle s’approprie le déchet, l’objet fétiche, la nullité et la banalité.

L’art se retire du monde réel pour laisser sa place à la transesthétique. Il est envahi par la société de consommation qui propose des images à reproduire. Ces images irréelles sont l’objet de la transesthétique.

1.6. Des images engendrées par les media

L’image est manipulée et elle prend en otage le réel, moment unique et singulier qui n’existe plus. La puissance actuelle des images est qu’elles miroitent un monde où tout semble actuel et maîtrisé. Bien que tout soit représenté par les images, Baudrillard pense qu’il n’y a plus rien à voir. L’image rend compte alors de l’absence du monde. Elle montre un monde morcelé et parfait mais qui n’existe plus. Elle modifie le réel et donc elle le fait disparaître. L’image est le produit des media. Ces derniers créent un monde virtuel et poussent l’homme à consommer le virtuel et non pas le monde réel. Ils assassinent le réel en prostituant l’image.

Ils créent alors des événements qu’ils amplifient : « Les krachs simultanés, boursier (1989), sexuel (sida), médiatique (la guerre du Golfe) attestent du caractère disruptif potentiel d’un système devenu hyper-médiatisé17. » Les media font une rupture avec le réel et l’image varie pour donner naissance à des événements préparés et planifiés à l’avance. L’événement n’est plus réel puisqu’il est

16 J. Baudrillard, Le crime parfait, Paris, Galilée, 1995, p. 119 (CP).

17A. Gauthier, op. cit., p. 65.

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simulé par les media. C’est la création du monde hyperréel qui est le fruit de ce travail fait par les media.

Baudrillard pense que la photographie est la plus pure des images car elle montre le monde tel qu’il est. Elle capte un moment singulier qu’elle éternise. C’est la seule trace laissée suite à la disparition de tout et du monde réel. Elle révèle l’étrangeté du monde et son altérité. Elle représente alors une vision du monde tel qu’il est et non pas tel que le sujet veut qu’il soit. Par conséquent, la photographie redonne à l’objet sa place et sa valeur d’objet symbolique. Ce faisant, elle le rend supérieur au sujet en lui redonnant la place qu’il possédait dans le monde réel.

Il est à signaler que Baudrillard est lui-même un photographe. Il conçoit la photographie comme étant l’image représentative du monde en l’absence de l’homme. Somme toute, la photographie représente l’image réelle du monde. Elle est ainsi la victoire de l’objet sur le sujet, elle représente le mieux le réel ou ce qui reste du réel.

Cette première constellation s’inscrit dans un registre descriptif.

Baudrillard décrit alors l’absence du monde réel, la transformation de l’homme, le retrait de Dieu, la disparition de l’objet réel, la mutation de l’art et l’anéantissement des images réelles. Ayant trouvé l’opposé, voire l’exagération de ces notions dans le monde actuel, Baudrillard entreprend alors de les décrire. Cette description est d’une grande importance car Baudrillard décrit ce qu’il n’a ni vu ni connu.

Somme toute, dans cette première étape de sa démarche philosophique, Baudrillard représente le monde dépourvu du réel pour passer ensuite à une critique du monde clone du réel.

2. Remise en question et critique du monde virtuel

La méthode critique est utilisée par Baudrillard dans cette autre constellation. En effet, après avoir observé le réel, il cherche la validité et les limites de notre monde. Il trouve alors que le monde virtuel remplace le monde réel. Baudrillard a une vision inédite du monde puisqu’il le voit d’un nouvel œil. Par un simple regard porté sur un cache-pot, il constate les trois degrés dans lesquels le monde est passé : la plante représente le monde réel, le pot le monde virtuel et le cache-pot le monde hyperréel. Cet exemple illustre de près la vision critique qu’il a du monde. Après l’observation, il se lance dans une critique acharnée de tout ce qui existe : le simulacre

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du monde, la société de consommation et ses composantes. Il relève alors leurs failles tout en mettant l’accent sur tous les aspects négatifs de la vie actuelle comme les problèmes économiques, les crises de sens et les conflits mondiaux.

Pour mieux faire parvenir au lecteur ses idées critiques, Baudrillard vulgarise des concepts philosophiques en les comparant à des phénomènes de la vie courante comme lorsqu’il compare la démocratie à la ménopause pour montrer la stagnation économique et politique des sociétés occidentales. La critique dans laquelle se lance Baudrillard est une critique destructrice puisque son seul objectif est de montrer que le monde virtuel a pris la place du monde réel sans pour autant montrer les aspects positifs, voire réalistes de la virtualité. Il semble que son seul objectif soit de détruire le virtuel sans pour autant arriver à une nouvelle forme du réel. Nous verrons alors les notions qu’il rattache au monde simulé ; à savoir le simulacre, la simulation, le monde virtuel, la société de consommation, le consommateur, la mondialisation et le terrorisme. De prime abord, nous remarquons que tous ces termes sont négatifs. On dirait que la vision qu’a Baudrillard du monde est une vision pessimiste plus que critique.

2.1. Le simulacre et la simulation

Le simulacre est le monde qui remplace le monde réel disparu.

C’est une apparence qui ne renvoie pas au réel. Il anéantit le social, le monde, l’humain, les valeurs et Dieu. Il cache ainsi le réel et la vérité ou plutôt il cache l’absence du réel puisqu’il le remplace.

Ayant hérité du malin génie de Dieu, l’homme crée le simulacre.

Ce dernier ordonne le réel car il le fait disparaître pour le remplacer. Sa fonction est de cacher le réel. Par conséquent, en cachant le réel, le simulacre est le garant de la continuité de la disparition du réel : « C’est aujourd’hui le simulacre qui assure la continuité du réel, c’est lui qui cache désormais non pas la vérité, mais le fait qu’il n’y en ait pas, c’est-à-dire la continuité du rien18. » Le simulacre existe et son rôle est de cacher le réel. Il devient ainsi la seule réalité de l’homme actuel puisqu’il assure l’absence du réel.

La simulation est la fausse représentation du réel, elle représente alors le simulacre. Elle donne naissance au modèle qui précède tout objet : l’événement, les besoins de l’homme, la marchandise et tout autre objet moderne. La simulation est plus importante et

18 CP, p. 148.

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efficace que le réel : « C’est un principe de simulation qui nous régit désormais en place de l’ancien principe de réalité19. » Ce principe se base sur un échange entre les signes et non pas entre les signes et le réel. En d’autres termes, le mot possède plusieurs sens, il est un signe connu et utilisé. Il ne représente pas un objet réel, unique et singulier. C’est la raison pour laquelle le signe est échangé dans le monde simulé. La simulation est l’extase du réel.

Elle est préparée et planifiée par les media. Les événements simulés se succèdent parfaitement à travers les media. Ils sont irréels et s’enchainent d’une façon insensée et ininterrompue.

Étant simulé, l’objet réel disparaît. La simulation marque la fin des choses. Tous les objets réels prennent fin dans la simulation. C’est ainsi qu’un immense processus de simulation se met à la place du réel. Ce n’est plus seulement le monde réel qui a disparu mais aussi la question de son existence. C’est pourquoi, l’homme actuel ne se soucie pas du réel, il n’est peut-être pas conscient qu’il vit dans un monde simulé, irréel voire hyperréel. Ainsi, la simulation n’éradique pas uniquement le réel mais aussi elle implique une perte des référents comme le beau, la valeur et le sens. Baudrillard critique alors cet univers auquel le monde appartient.

2.2. Le monde virtuel

Le monde virtuel est le monde qui remplace le monde réel. Il carbonise l’échange authentique entre les personnes et la singularité des objets réels. Il est artificiel puisqu’il ne contient aucun sens. Mais ce qui est décevant est que son apparence est d’une évidence parfaite. Baudrillard tend à critiquer ce monde sans pour autant le juger. Il se contente de le critiquer tout en montrant ses failles. Il prouve que ce monde est parfait aux yeux des hommes contemporains quoiqu’à ses propres yeux il est imparfait.

C’est un monde qui échappe à la pensée de l’homme et donc qui n’existe pas. Le monde illusoire n’est ni vrai ni réel. Il ne cherche pas à exister plus, ni à se préserver dans l’existence. Il cherche au contraire le moyen pour échapper au réel et pour arriver à sa perte.

N’étant plus singulier, le monde réel disparaît et c’est l’homme qui en est responsable. Le monde virtuel est semblable à un univers parallèle où tout est inventé par l’homme et où tout est parfait.

C’est un monde dans lequel l’image est captée, filmée et photographiée avant d’être vue : « Quand l’image se confond avec

19 J. Baudrillard, L’échange symbolique et la mort, Paris, Gallimard, 1976, p. 9 (ESM).

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le réel et qu’elle ne fait que s’immerger dans le réel et le recycler, il n’y a plus d’image, tout au moins comme exception, comme illusion, comme univers parallèle. Dans le flux visuel qui nous submerge, elle n’a même plus le temps de devenir image20. » L’image qui n’est plus unique est celle qui forme le monde virtuel.

Cela montre alors que ce monde est fabriqué et inventé. Ce faisant, il s’éloigne de sa quiddité et de son identité réelle. Le monde réel existe car il est accidentel et imparfait. Il ne ressemble à rien et il est non identifiable, différemment du monde virtuel. Le monde réel est tellement incertain qu’il serait, peut-être, transformé en rien. Il n’est pas fixe et donc il pourrait conduire l’homme au néant. Ce dernier est le monde virtuel qui se remplit de significations multiples.

La société de consommation est le lieu où s’égare le réel et où prend place le virtuel. Les media et la publicité font basculer le monde dans la virtualité. Le monde virtuel n’est autre que le monde de la technologie représenté par les vidéos, les écrans interactifs et les multimédias. La société virtuelle est alors la conséquence de la société de consommation. Elle contient une multitude de significations qui l’éloigne du réel.

Le virtuel marque la fin du réel car l’homme peut faire en sorte qu’il existe un effet de réel, un effet de vérité, un effet d’objectivité.

Mais le réel en soi n’existe pas. Dans son sens courant, le réel s’oppose au virtuel. Pour Baudrillard, par le biais de la technologie, le virtuel marque l’évanouissement du réel. Par conséquent, le virtuel ne s’oppose pas au réel mais il l’englobe et le fait disparaître.

Le virtuel anéantit le réel. Bien plus, le virtuel marque le point de passage entre le réel et l’hyperréel : « Le virtuel n’est alors qu’une hyperbole de cette tendance à passer du symbolique au réel – qui en est le degré zéro. En ce sens, le virtuel recoupe la notion d’hyperréalité21. » Le virtuel est une phase qui transpose le monde du réel à l’hyperréel. Il remplace la réalité du monde. Cette dernière est doublée par la réalité virtuelle. Le réel devient ainsi inutile car il est remplacé par son équivalent artificiel, par son clone qui reproduit l’homme, la société, les valeurs, Dieu et tout autre objet.

Baudrillard critique ce monde virtuel car il n’a pas de sens ; il n’est que l’objet des passions contemporaines consommatives. Il est

20 J. Baudrillard, Pourquoi tout n’a-t-il pas déjà disparu ?, Paris, l’Herne, 2008, p. 42 (PTN).

21 J. Baudrillard, Mots de passe, Paris, Biblio essais, 2000, p. 45 (MDP).

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plein d’avatars de l’être et du réel. Il travaille à l’achèvement du réel. Somme toute, le monde virtuel est un monde parfait car il est créé selon les désirs de l’homme et il est aussi un monde artificiel puisqu’il a exterminé le monde réel. De plus, il transforme le réel en hyperréel puisqu’il met en extase l’image virtuelle. Il est ainsi le lieu de passage du monde réel au monde hyperréel.

Le monde virtuel est donc le monde dépourvu du réel et inventé par l’homme et les media. Il est un monde illusoire dans lequel vit le consommateur. Ce monde virtuel passera à une étape dans laquelle il se trouve en trop, c’est le monde hyperréel.

2.3. La société de consommation et la méta-consommation

Le monde actuel est dirigé par la société de consommation.

C’est la société d’abondance, d’inégalité et de discrimination. Elle oblige le consommateur à acheter des objets qui ne répondent pas à ses vrais besoins. En contrepartie, elle ôte à l’homme des biens gratuits et collectifs puis les transforme en biens de luxe. L’espace, le temps, l’air pur, l’eau, la verdure et le silence sont transformés en bien de luxes accessibles uniquement aux privilégiés. La consommation détruit ainsi l’homme et ses vrais désirs. Elle lui inflige de faux-besoins en le poussant à consommer des objets en série. C’est une société fictive qui mène l’homme à gaspiller de plus en plus. Elle contient des nuisances dues aux progrès socio- économiques car l’abondance est inutile voire indispensable. Elle hante la société, l’homme, l’économie et le monde : « Nous sommes au point où la consommation saisit toute la vie, où toutes les activités s’enchaînent sur le même mode combinatoire22. » La consommation met le poids sur le surplus en anéantissant la rareté.

Par conséquent, elle mène à la méconnaissance du monde puisqu’elle est loin du réel. L’homme vit alors au rythme des objets et de leurs successions. C’est le marché qui le dirige. Il ne se reconnaît plus dans ce monde d’abondance et de multiplication de l’objet.

Dans la société de consommation, la jouissance est niée. Ce qui lui confère son caractère de fait social, ce n’est pas ce qu’elle conserve apparemment de la nature humaine comme la satisfaction et la jouissance. C’est plutôt la démarche essentielle par laquelle elle s’en sépare c’est-à-dire ce qui la définit comme code, comme institution et comme système d’organisation et de production. La

22 J. Baudrillard, La société de consommation, Paris, Folio essais, 1970, p. 23 (SDC).

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consommation possède aussi un langage qui lui est propre : c’est celui de la circulation, de l’achat et des objets en série. Son langage ne contient pas les besoins et jouissances individuels. C’est ainsi que la consommation devient un devoir et une contrainte car chaque personne est inconsciemment dirigée par elle. De plus, ce devoir ne procure à l’homme aucun plaisir. Elle exclut aussi toute culture et tout savoir puisqu’ils ne font pas partie de son langage.

Étant insouciante de l’homme, de ses besoins et de l’objet, la société de consommation refuse le réel en exaltant son propre langage et ses objets fétiches.

2.4. Le consommateur contemporain

L’homme contemporain est un homme fabriqué par la société de consommation. Il est le fruit du travail humain et non divin.

C’est lui qui s’est créé dans un monde virtuel qu’il a voulu parfait.

Ce faisant, il essaye d’imiter un modèle infligé par la société de consommation. Il veut alors faire comme les autres hommes. Ce qui aboutit à la perte de son identité c’est-à-dire son côté humain singulier. C’est la raison pour laquelle tous les hommes sont devenus semblables. Ils ont tous les mêmes goûts, les mêmes réactions, les mêmes attitudes voire le même look. Cet homme est devenu un homme producteur et consommateur. Il est la clef de voûte de la productivité. En son absence, la société de consommation ne subsistera point. C’est la raison pour laquelle elle l’exploite tout comme la société industrielle qui a exploité ses ouvriers. Les hommes sont ainsi robotisés par la consommation.

Ils deviennent une marchandise : « L’homme n’est devenu objet de science pour l’homme que depuis que les automobiles sont devenues plus difficiles à vendre qu’à fabriquer23. » L’homme est réduit à des objets consommés. Il devient un producteur social abstrait et réduit à une valeur d’échange. Tous les hommes répondent aux mêmes besoins et du coup ils sont tous attirés par la même marchandise.

Le consommateur est aliéné à la consommation. Ignorant ses vrais besoins, il est aveuglément dirigé et attiré par les panneaux publicitaires et par les hypermarchés. Il est au service d’une société qui le surexploite. Inconscient de son état désastreux, le consommateur est malade. Il est malade de cette société qui le dirige. Il est aussi doublement fatigué. Physiquement, il se surpasse

23 SDC, p. 98.

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en vue de produire plus. Psychiquement, il ignore son identité, ses vrais besoins, ses vrais désirs et donc il s’ignore. Tout cela le pousse à être un consommateur stressé et fatigué.

Baudrillard considère que la fatigue devient alors une pandémie qui touche tout homme contemporain. Il critique aussi le consommateur puisque c’est lui qui a créé le simulacre du monde ou le monde virtuel. C’est par sa volonté qu’il a aboli le monde réel. Qui plus est, il se croit un homme parfait vivant dans un monde parfait. Le consommateur est devenu son propre esclave appartenant à un environnement virtuel. Par conséquent, l’homme est responsable de sa propre disparition

2.5. La mondialisation et le terrorisme du monde simulé

La mondialisation aboutit à un monde simulé, médiatisé et commun à tous les pays. C’est le monde modelé de nos jours que tous les pays doivent suivre. Il s’oppose à la singularité des cultures particulières. Ce faisant, il détruit les spécificités de chaque société en vue d’uniformiser les mentalités et les personnes. La mondialisation tue ainsi les caractéristiques particulières. C’est un phénomène aléatoire et chaotique qui ne dépend de la volonté d’aucun individu. Il est le fruit des media qui veulent uniformiser le monde virtuel pour mieux le contrôler. Les media présentent ainsi les mêmes images et offrent une nouvelle vision du monde qui est programmée à l’avance par les media. C’est ainsi que le phénomène particulier cède sa place aux phénomènes fabriqués par les media comme la Guerre du Golfe qui, selon Baudrillard, n’a jamais eu lieu. C’est une suite d’événements simulés et médiatisés par l’écran qui ont donné lieu à cette guerre. Ces événements mondialisés rentrent alors dans une même culture du monde : « Une nouvelle vision du monde existe, celle même de la mondialisation – soumission de toutes choses à un même programme, soumission de toutes les images à un même génome24. » C’est ainsi que la mondialisation détruit les cultures particulières ou les cultures réelles pour être la seule culture simulée possible du monde actuel.

Cet acte d’anéantissement des particularités est un acte violent.

En effet, la violence actuelle s’exprime par le quadrillage des rapports sociaux, par la ségrégation culturelle, par la division sociale, et par la discrimination professionnelle. La violence est omniprésente dans nos sociétés, elle camoufle le spectre du réel

24 PTN, p. 50.

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disparu. Elle est le moyen utilisé pour unifier les cultures du monde. Elle doit sa force à la médiatisation qui simule un monde virtuel parfait et partagé par tout terrien : « Le problème plus général dans lequel s’inscrit celui de cette violence ‘sans objet’, encore sporadique dans certains pays, mais virtuellement endémique dans tous les pays développés ou sur-développés, est celui des contradictions fondamentales de l’abondance. C’est celui des multiples formes d’anomie (pour reprendre le terme de Durkheim) ou d’anomalie25. » La violence est donc le fait de pousser toutes les sociétés du monde à vouloir être des sociétés de consommation et à vouloir user de l’abondance. Elle fait suivre aux sociétés des modèles qu’elle doit à la société de consommation. La violence est donc liée à l’abondance et non pas à une idéologie ou un acte quelconque.

Baudrillard critique le monde virtuel dans lequel nous vivons.

Dans sa description, il montre que ce monde a fait balancer l’homme et son monde dans un néant absolu. Il pousse son étude plus loin encore pour montrer une étape seconde de ce monde virtuel : le monde hyperréel.

Cette méthode critique a remis en question le monde simulé.

Baudrillard l’a adoptée pour mettre en branle le monde virtuel afin de dévoiler ses failles. C’est pourquoi il montre les lacunes présentes dans la société de consommation et de méta- consommation. Son objectif paraît être purement destructeur.

Nous verrons, dans une troisième constellation, comment il passera à la création du monde hyperréel. Il est à noter que cette genèse n’est en aucun une genèse positive qui remplace le monde virtuel. Elle n’est autre que la continuité du monde virtuel critiqué par Baudrillard. Quoique créé par lui, le monde hyperréel est lui aussi critiqué et refusé. En d’autres termes, la méthode critique s’avère être uniquement dévastatrice car le monde hyperréel est lui aussi critiqué par Baudrillard.

3. Méthode génétique et prospective de l’hyperréel

La méthode génétique adoptée par Baudrillard tout au long de son œuvre est le fruit du passage de sa pensée par trois étapes : une première étape dans laquelle Baudrillard constate la disparition du monde ; une seconde étape dans laquelle il critique le monde virtuel qui remplace le monde réel. Dans cette étape, Baudrillard

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démolit sévèrement le monde simulé. Enfin dans une dernière étape, il tente de donner naissance à un nouveau monde : le monde hyperréel. Il est à signaler que ce monde n’est pas le fruit du travail de Baudrillard, ce n’est pas un monde imaginaire ou utopique inventé par lui. C’est notre monde. Baudrillard n’a alors rien inventé sauf la vision qu’il a de ce monde. Paradoxalement, le monde hyperréel n’est pas celui auquel tend Baudrillard. Il veut même abolir ce monde pour redonner sens au réel. Mais ce travail n’a pas été effectué par notre philosophe et nous en ignorons la raison. Nous tenterons de la chercher dans la troisième partie du présent travail.

Voulant décrire un monde qui existe mais qui n’a jamais était décrit, Baudrillard invente de nouvelles notions pour essayer de représenter le monde hyperréel. Ces notions ont toutes le même préfixe « hyper ». Car Baudrillard a le souci de montrer l’exagération qui ravage notre monde : hyperréel, hypermorale, hyperespace, hypermarché et hypercorps. Ces termes n’ont aucun sens si nous les extrayons du contexte général de la pensée de Baudrillard. C’est la raison pour laquelle nous tenterons de les expliquer en les rattachant à la notion d’hyperréel. Ajoutons encore que dans sa prospection de l’hyperréel, Baudrillard croit que ces notions qu’il a créées sont au centre du monde. En effet, il fait graviter la société autour de ces termes comme lorsqu’il démontre que l’hypermarché est au centre de nos sociétés et que c’est autour de lui que se construisent les agglomérations.

3.1. L’hyperréel

Tout au long de son œuvre, Baudrillard, d’une part, décrit l’absence du réel de notre monde, et d’autre part il critique le monde simulé. L’objectif de sa démarche philosophique est de dévoiler la genèse d’un nouveau concept : l’hyperréel. L’hyperréel se trouve partout. Il est l’exagération du réel. C’est un effet de grossissement du monde virtuel qui devient plus vrai que le vrai et plus réel que le réel. L’hyperréel est le trop de réel existant dans le monde à cause des media et de la société de consommation.

Baudrillard prouve que ce concept est présent dans tous les domaines de la vie : l’économie, la politique, la sexualité, la morale et la culture. Notre monde est un monde hyperréel. C’est le système actuel qui conduit l’homme à figurer le monde hyperréel et à mettre le réel hors du temps. Tout est hyperréel même les

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