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REVUE FRANÇAISE JACQUES RÉDA. Les Pommes de Jules Renard LA TROISIÈME POMME

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Academic year: 2022

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LA NOUVELLE

REVUE FRANÇAISE

Les Pommes de Jules Renard

LA TROISIÈME POMME

Cette odeur capiteuse, qui depuis trois jours remplit la chambre, n'est déjà plus celle de la pomme que j'ai posée sur mon bureau. Une modeste petite pomme rouge et verte de fond de campagne, comme on en ramasse dis- traitement parfois au bord d'un chemin. On les goûte, elles semblent trop acides ou un peu fades, et on les rejette l'une après l'autre après y avoir mordu. Elles dépa- reraient une corbeille, qui ne pourrait se glorifier de leur

seule saveur. Elles fournissent en revanche d'excellents

projectiles. On vise alors un petit parti de corbeaux. La pomme n'a pas atteint la moitié de sa trajectoire, qu'on les voit déjà qui se déplient en large sans se hâter, s'élèvent lourdement pour glisser d'un vol en rase-mottes et, vingt

JACQUES RÉDA

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mètres plus loin, hors d'atteinte, reprendre leur conférence d'état-major. De ma petite pomme rouge et verte, j'ai fait une espèce de bibelot. Elle est d'ailleurs si vraie qu'elle a l'air un peu imitée. Elle ne bouge pas. Les talures qui rappellent sa chute ont à peine bruni. Je finirais par l'oublier, si la vie qui l'anime ne se manifestait pas d'une façon beaucoup plus étonnante et mystérieuse que celle du haricot mexicain. Sans doute, je serais surpris de l'apercevoir soudain à l'envers ou sur un rayon de livres,

mais pas tant que cela. A la longue, les objets de toute

nature nous familiarisent avec ces tours d'escamoteur. On

sait bien qu'on ne les retrouve jamais à l'endroit où on les a mis la veille, voire une minute plus tôt, et l'on ne tarde pas à se lasser d'un merveilleux trop mécanique.

Bientôt on le juge exaspérant et, en définitive, on s'y résigne, comme à tout ce qui ressortit moins à l'occulte qu'à la fatalité. Or le comportement de ma pomme n'a rien à voir avec cette magie ordinaire. Loin de me pro- voquer, de vouloir attirer l'attention par des trucs relevant un peu du cirque, elle reste bien close sur sa rondeur intime, sa tendre compacité, et c'est visiblement comme malgré elle, peut-être même à sa confusion, qu'elle laisse

filtrer dans l'air l'effluve de sa méditation de fruit. Car le

processus qui l'occupe a quelque chose de plus que chimique. On pense à la pure et véhémente exhalaison de vertus en train de se sublimer, qui par définition ne sauraient se complaire à elles-mêmes, et s'épanchent irré- sistiblement comme l'odeur de sainteté. Cette pomme tombée reste non seulement vivante, mais, sans étape intermédiaire, exemptée de subir le pourri, elle passe directement de l'état de maturité à celui de présence idéale, que rien ne viendra flétrir. Son apparence intacte n'est plus que le support d'une métamorphose de la pomme en esprit de pomme, ou pour le dire plus concrètement

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chaque fois que je pénètre dans cette chambre, j'ai l'impression qu'on vient juste d'y casser et d'y répandre une pleine bouteille de calvados. Ainsi modeste et sage- ment immobile, la petite pomme carbure et irradie, sature de sa vigueur secrète l'espace comme toute une batterie d'encensoirs. Il faut ouvrir la fenêtre et, même alors, on reste étourdi par l'arôme extraordinairement puissant que dégage cet alambic de poche, où se condensent et se raffinent jusqu'à l'extase les sucs. Elle me fait songer aux poèmes qui, de la même façon discrète, nous pénètrent de leur parfum naturel et subtil. Et, dans cette circons- tance, je voudrais saluer le poète qui, en somme, m'a tendu cette pomme toute pareille à ses fruits parfaits de prosateur. Mais je dois revenir en arrière, car il y en avait

trois.

II

LE RÊVE DE CHITRY

Personne. La maison est fermée. J'ai franchi facilement la murette qui entoure le jardin, un peu en contrebas d'une grande prairie où l'on accède par quelques marches, et que traverse en longueur une majestueuse allée de marronniers. Ceux-là pourraient bien être centenaires. Mais je n'en dirais pas autant du pommier, près duquel je m'allonge au soleil dans l'herbe avec Le Vigneron dans sa vigne, lisant un peu, m'interrompant pour contempler ce qui reste du domaine de Poil de Carotte, ou bien les champs qui commencent juste après, dans la direction où, peut-être, avec son père, le poète, chasseur au cœur trouble,

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apprit à lever les perdrix. Puis de nouveau je m'attache à cette façade muette, aux volets clos, sauf la fenêtre de la mansarde dont un rideau intérieur double les vitres, et les retourne en miroirs où ne bougent que des reflets du

ciel. À côté de la porte d'entrée, on a cloué un fer à

cheval pour conjurer les sorts. Précaution légitime, quand on se souvient des drames qui ont endeuillé cette maison.

Un peu en avant sur la pelouse, à ras de terre, la margelle du puits supporte quatre fins arceaux qui se rejoignent en ogive sous un motif de ferronnerie. L'effet pourrait en être charmant. On imagine ces tiges offrant une prise aux gais épanchements d'un rosier, ses pompons balancés sur ce qui devint faute peut-être d'une telle armature la première tombe de la malheureuse Mme Lepic. Il y a une pantoufle qu'on n'a pas retrouvée, note son fils le poète et, plus loin J'aimerais mieux être ému. Comment maintenant compatirais-je, dans ce matin calme et doucement radieux comme l'oubli? Fatigué par le voyage, par une mauvaise nuit d'hôtel, peu à peu je succombe même à une som- nolence délicieuse. Sur la frange du sommeil, avant de glisser dans l'univers machinal et tyrannique des rêves, on rôde quelquefois librement dans cette région où circulent des ombres qui semblent naître d'une odeur, d'un frô- lement d'herbe, d'un bruit vague et lointain comme un souvenir soudain ressuscité, et qui nous rend toute la fraîcheur d'un instant perdu de notre existence. La nôtre,

ou celle d'un inconnu. Car nos limites se font alors de

plus en plus indistinctes; le temps lui-même peut vaciller.

Tout devient possible. Pourtant rien ne s'accomplit.

Comme si un rigoureux principe de courtoisie et de prudence réglait le jeu de ces ombres qui nous frôlent, et nos propres efforts pour les surprendre ou les saisir. Ainsi, au bord de la dernière glissade, cependant qu'une rumeur de voix s'élève de la maison où claquent des portes,

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à l'animal et à l'homme. Alors nous ne supportions pas tout à fait l'état de bête dans lequel nous naissions. Nous nommâmes sociétés les troupeaux que nous formions, et civilisation notre bave sur le sol. Nous vantions beaucoup nos petits cris sous le nom de langues. L'épopée de Gilgamesh, le roman de Sinouhé, l'Iliade à chaque fois c'est un gémissement, et une petite briquette d'argile qui a séché sous le soleil. Ce fut aussi un bout de peau d'une bête domestique qu'on avait écorchée.

Ce fut parfois un morceau d'écorce qu'on avait détaché d'un arbre. On faisait des petits flûtiaux, notamment des livres. Je suppose cette tendance à séparer l'homme de la classe animale à laquelle il appartient plus ancienne encore, quelque irréaliste, et même saugrenue, et si vivement hypocrite qu'elle soit. Au xvie siècle selon l'ère chrétienne, en France, Ronsard, Tahureau, Baïf, Belleau parlaient encore du crin des femmes et des nymphes du crin de Daphné, du crin d'Apollon. On réserva crin aux chevaux. Jean Lemaire des Belges, traitant de la beauté du « teint du visage des femmes », parla du « cuir de leur face ». D'Aubigné évoqua le « fin cuir transparent» du visage bouleversant de la femme qu'il aimait (« Cette fresle beauté qu'un vermillon desguise. »). Au xvne siècle on nia que les hommes et les femmes eussent un cuir. De nos jours cependant à l'instar d'une pierre fossile que le soc d'une charrue lève tout à coup dans un champ l'expression « cuir chevelu» fait sonner le vieil emploi. Braire, dans Marot, dans Lasphrise, se

disait du cri des hommes dans l'effort ou dans la douleur. Le

mot se spécialisa jusqu'à ne plus convenir qu'à l'âne. Les chevaux, les hommes et les bœufs avaient des naseaux. Amyot et Belleau les évoquent. On vit des hommes qui échangeaient peu à peu, sur les places des marchés et des foires, leurs naseaux contre des narines. Repairier, c'était revenir chez soi et se retrouver soi. Le repaire, c'était le chez-soi. Il se restreignit aux

gîtes des bêtes qui sont plus sauvages que nous. À supposer

qu'il existe des mammifères plus sauvages que nous. Et même des êtres sans mamelles plus sauvages que nous.

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