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Plusieurs des nouvelles de Mérimée reposent sur un effet de surprise.

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ROGER CAILLOIS

MERIMEE

ET LE FANTASTIQUE : en relisant

« la Vénus dTlle »

P

lusieurs des nouvelles de Mérimée reposent sur un effet de sur- prise. Le dénouement inattendu peut aller du plaisant au tragi- que, mais il est délibérément insolite. Les récits font jouer chaque fois un ressort différent. Tantôt i l s'agit d'une légende ou d'une parabole qui transporte le lecteur dans l'enchantement de la féerie. Tantôt l'auteur lui donne le change par la relation d'un malentendu qu'il dis- sipe ou d'une supercherie qu'il dévoile au dernier moment.

Dans un cas au moins, le mystère se révèle irréductible et l'énigme inexplicable. Alors entre en scène le fantastique proprement dit, si j'ai raison de le définir comme une rupture terrifiante et inadmissible de l'ordre des choses, tel que la science en décrit l'immuable enchaîne- ment. Je veux parler de la Vénus d'ille. A une exception près, la ten- tative est, du reste, unique.

Une assez longue nouvelle, moins connue, intitulée Lokis présente, en effet, avec la Vénus d'ille d'étranges analogies, Tout au long du récit, des indices ambigus suggèrent la nature du héros. Un comte litua- nien grimpe aux arbres, certaines bêtes frémissent ou s'enfuient à son approche, d'autres recherchent ses caresses. Le lecteur devine peu à peu qu'on lui décrit un ours à forme humaine, une variante nordi- que du loup-garou. Vampire et cannibale, le comte est fasciné par les mœurs des gauchos et des Mongols qui, dit-on, pressés par la soif et la faim, boivent le sang de leurs chevaux. Il demande aussitôt à quel endroit du corps ils pratiquent la saignée. Misogyne, il ne pense pour- tant qu'à épouser la coquette et insupportable Youlka, qui est fraîche et blanche « comme la crème fouettée » (la crème fouettée est la frian- dise préférée des ours). D'où le drame de la nuit de noces, où la jeune mariée est découverte le visage lacéré et la gorge ouverte non par le tranchant d'une arme, mais par d'horribles morsures. Le comte a disparu. Sa mère avait été enlevée par un ours. Elle est devenue folle lorsqu'elle le mit au monde. Lokis est le nom lituanien de l'ours. Il est remplacé couramment par Michel. Michel est le prénom du comte.

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Une cohérence, cachée d'abord, s'est lentement refermée, révélant l'inavouable vérité.

Des indications voilées, une nuit de noces où l'un des conjoints est broyé par une créature, un mixte qui n'a pas de place dans les classifications des sciences naturelles, pareil signalement ne semble- t-il pas s'appliquer aussi bien à la Vénus d'ille ?

A u vrai, Lokis en apparaît comme une version farouche et exo- tique, où le défi porté aux lois de l'univers évite du moins de les heurter de front au point précis où elles opposent au prodige une fin de non-recevoir absolue. Lokis ne propose en fin de compte qu'un cas de bestialité qui se produit aux confins brumeux d'une Europe sauva- ge : i l n'est pas exclu, après tout, que des monstruosités de ce genre puissent survenir. E n revanche, que dans une bourgade paisible du Roussillon une statue offensée prenne vie pour se venger de l'infidèle et l'étouffer, le défi semble passer les bornes. L a tragédie inadmissible se déroule en milieu provincial, dans une atmosphère d'extrême banalité, de correction, d'usages respectés et d'émotions bourgeoises. Rien ne permet de supposer l'irruption dans la réalité quotidienne de puissances maléfiques et cruelles surgies d'une anti- quité révolue pour y semer la mort et la panique, démontrant en mê- me temps la fragilité de l'univers rassurant dont la science avait une fois pour toutes inventorié les lois et éclairci les énigmes. L a belle construction s'écroule comme château de cartes et l'Intolérable surgit là où i l était le moins prévisible.

Le scandale ne consiste pas cette fois dans les conséquences d'un éventuel accident génétique, d'une hybridation contre-nature survenue à l'intérieur d'un règne. Il ne s'agit pas d'une infraction limitée aux règles de la biologie, qui d'ailleurs admettent parfois des croisements.

Le récit, insidieusement, amène à envisager l'hypothèse que les fron- tières les plus hermétiques de l'univers sont en réalité franchissables par des êtres absolument étrangers aux normes reconnues, qui n'appar- tiennent pas à l'humanité, mais qui en ont la ressemblance, la nostal- gie ou la haine ; qui traversent les miroirs, qui n'ont pas besoin de vivre pour sentir et agir ; qui, surtout, ignorent la barrière décisive qui sépare l'inerte de l'inanimé, le métal de la chair, l'objet fabriqué de l'être engendré, frémissant, périssable.

L'art de l'écrivain fantastique a pour objet de suggérer la possibi- lité de l'événement que la science et l'expérience refusent d'entrée de jeu. Il s'efforce d'obtenir que pour un instant au moins le lecteur soit amené à révoquer en doute les postulats sur lesquels s'est progressi- vement affirmée la vision du monde que l'enseignement reçu et l'aquiescement universel font considérer comme allant de soi. Le conteur ne doit pas choquer au départ. S'il se place d'emblée dans le merveilleux, il se contente d'écrire un conte bleu, situé dans un monde féerique, fantaisiste, imaginé à plaisir pour le plaisir et qui ne cher- che pas à s'épancher dans le monde réel. L'écrivain doit apprivoiser le lecteur et pour lui donner toute garantie se présenter lui-même comme un esprit méfiant, qu'une incrédulité réfléchie porte à écarter 22

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jusqu'à l'idée que les lois de la nature puissent souffrir le moindre accroc. Ensuite, par degrés quasi insensibles, il l'invite comme à son corps défendant, puis i l le force, comme lui-même a dû s'y résoudre, à reconnaître l'inacceptable comme la solution la plus logique, la plus cohérente, la moins contradictoire et celle qui rend compte au moin- dre prix des données irrécusables qu'il lui a bien fallu relater. L a situa- tion est retournée et c'est soudain le déraisonnable qui paraît le mieux satisfaire la raison ; et l'inintelligible, l'intelligence.

C'est pourquoi la littérature fantastique de stricte observance a besoin d'une logique irréprochable et en même temps d'une prépara- tion subtile, d'une série d'accidents équivoques qui, par accumulation et cristallisation, rendent peu à peu caduque l'explication « naturelle » que le bon sens avait machinalement procurée et que, à l'instant du dénouement, le bon sens lui-même se trouve dans l'obligation de reje- ter, parce qu'elle se heurte à plus d'impossibilités que l'autre.

La Vénus d'Ille apporte le modèle de l'escalade à la fois sournoise et irrésistible de l'évidence fantastique. La rigueur et la discrétion de la démonstration ont peu d'égales dans un genre où la perfection naît d'une hardiesse croissante et bien tempérée. Arrivé à la fin du récit, le lecteur se demande à quel moment il a commencé de souscrire à la cotijecture scandaleuse. Il n'a jamais été pressé ni sollicité. Aucune argumentation n'a cherché à le convaincre. L'hypothèse qui mainte- nant l'obsède et qu'il s'efforce en vain d'écarter n'a même pas été formulée par le narrateur. C'est peu dire que celui-ci ne la prend pas en considération, tant il l'estime démente : elle ne lui vient même pas à l'esprit. Il n'empêche qu'il a su tacitement la rendre inévitable.

Pareil tour de force ne s'accomplit pas sans le secours d'une technique consommée. Mérimée, en premier lieu, se garde de souli- gner les données significatives qui insinuent le doute, puis amènent le scandale. A u contraire, il les noie dans un grand nombre de nota- tions pittoresques, d'observations psychologiques où i l s'en faut de peu qu'elles ne disparaissent. Mais chacune, qui s'ajoute, fait souvenir des précédentes et en affermit la portée. Bientôt l'esprit guette les indi- ces nouveaux qu'il prévoit devoir confirmer son premier soupçon.

Quant à l'auteur, il se contente désormais de prévenir les objections et de les réfuter, sans appuyer, avant qu'elles aient pris corps.

Le relevé de ces informations successives, dégagées du contexte, réduit le récit à une sorte d'épure. Mais si l'on substitue, au climat ras- surant qui en neutralise le venin, les réflexions qu'elles sont calculées pour provoquer quasi immanquablement, alors les voies par lesquelles affleure, puis mûrit, enfin se déploie l'horreur surnaturelle d'abord inadmissible révèlent le secret de leur force persuasive. Il vaut la peine de relire la Vénus d'Ille de ce point de vue. Le mystère, qui n'est encore qu'une simple coïncidence, commence avec la trouvaille de la statue funeste. Le coup de pioche d'un ouvrier qui déracinait un vieil olivier fait résonner le corps de bronze. L'homme appelle du renfort ; on déterre l'idole ; on s'occupe à la dresser ; une fausse manœuvre et la voici qui tombe et qui brise justement les jambes

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de celui dont l'outil malencontreux l'avait tirée d'une retraite séculaire.

Or c'était le plus rapide coureur et le meilleur joueur de paume de la région. La rumeur accuse la statue de s'être vengée. (Nul n'ignore

que la superstition populaire s'empare de tout hasard malheureux.) Toujours est-il que le lendemain, un apprenti, à moitié persuadé

de la malignité de la Vénus, lui jette un caillou en passant. L a pierre rebondit sur le métal et vient le frapper à la tête. « Elle me l'a reje- tée ! », s'écrie-t-il. (Le narrateur ne voit là, bien sûr, que l'applica- tion d'une loi élémentaire de la physique des solides.) Il n'empêche que la pierre est allée directement là où elle aurait abouti si la déesse l'avait dirigée. (Deuxième coïncidence, qui n'est d'ailleurs pas plus probante que la première, si elle est plus précise.)

L'expression inhabituelle de la statue fait alors l'objet de com- mentaires : elle ne présente pas la sérénité ordinaire des divinités grecques. Il semble que l'intention de l'artiste ait été de rendre la malice arrivant jusqu'à la cruauté. Dédain, ironie, méchanceté se lisent sur le visage aux yeux obliques, à la bouche relevée aux extrémités, aux narines légèrement gonflées. Les yeux, incrustés d'argent, luisent si vivement qu'ils font, comme s'ils étaient vivants, baisser le regard.

Le porte-parole de Mérimée, archéologue et esprit fort comme lui, s'irrite de ressentir devant l'idole un incompréhensible malaise. (L'hom-

me demeure fréquemment plus impressionnable qu'il ne pense et il se morigène lui-même de sa sottise. Ceci dit, le trouble de ce savant sceptique doit bien signifier quelque chose.)

La statue porte l'inscription C A V E A M A N T E M , qui peut être tra-

duite de deux manières : Prends garde à celui qui t'aime, ou au contraire : Prends garde à toi, si elle t'aime. On pense d'abord à la première interprétation ; mais la seconde semble au moins aussi défendable. (L'auteur tient décidément à laisser croire que la Vénus est dangereuse. Au moins a-t-il l'honnêteté, en réalité : la ruse, de mentionner les deux traductions concurrentes.)

Une discussion où la fragilité et l'arbitraire des étymologies sont insidieusement soulignés vient à point pour montrer que les argu- ments de l'érudition sont parfois aussi légers et aussi passionnels que ceux de la candeur. A ce moment, l'attention des deux interlocuteurs est attirée par une trace blanche au-dessus du sein de la Vénus : la craie du caillou lancé par l'apprenti. Des traces analogues marquent aussi les doigts de la main droite de la déesse. Sans doute se sont-ils trouvés sur le parcours du projectile ou bien un fragment, détaché par le choc, a-t-il heurté la main de la statue. (Toutefois le lecteur se rap- pelle le cri épouvanté de l'enfant : « Elle me l'a rejetée. » L'affirmation ne semble plus à présent si naïve. Elle recueille comme un semblant de preuve. L'observation, paradoxalement, favorise la conviction extravagante. Le lecteur se demande maintenant si l'apprenti n'a pas vu le mouvement du bras, ce que le garçon lui-même n'a pas pré-

tendu.)

Le père du fiancé, amateur de mythologie antique, a choisi le vendredi, jour de Vénus, pour la célébration du mariage de son fils, 24

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LA

VÉNUS D'ILLE.

" I X i a t , »1 <f'«>», ÏTTU ô ait flic, x&l faite, odi-ac àrSçûos * v .

AOTKIANOÏ «IAOYETÀHX

Je descendais le dernier coteau du Canigou, et bien que le so-r leQ rat déjà couché, je distinguais dans la plaine les maisons de la petite ville d'We, vers laquelle je me dirigeais.

—Vous savez, dis-je au Catalan qui me servait de guide depuis la veille, vous savez sans doute où demeure M. de Peyrehorade?

— Si je le sais, s'écria-1—il, je connais sa maison comme la tnienne; et s'il ne faisait pas si noir, je vous la montrerais. C'est l a plus belle d'Ole. D a de l'argent, oui, M . de Peyrehorade; et i l marie son fils à pins riche que lui encore.

— Et ce mariage se fera-t-il bientôt? lui demandai-je.

— Bientôt! Il se peut que déjà les violons soient commandés pour la noce. Ce soir peut-être, demain, après-demain, que sais- jet C'est à Puygarrig que ça se fera; car c'est MU e de Puygarrig que monsieur le fils épouse. Ce sera beau, oui !

J'étais recommandé à M . de Peyrehorade par mon ami M . de P. C'était, m'avail-il dit, un antiquaire fort instruit et d'une corn-

ions x. — 15 HAÏ 1837. 28

La V é n u s d'IUe a paru, pour la première fois, dans la Revue des Deux Mondes du 15 mai 1837

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bien que les croyances locales conseillent de l'éviter pour les unions.

Heureux d'avoir précisément déterré parmi ses oliviers une Vénus à la veille des noces, il pense à lui faire à cette occasion un sacrifice d'encens ou de palombes ou, au moins, à la couronner de roses et de lys. (// naît ainsi l'idée que le véritable engagement concerne la Vénus ou du moins qu'elle peut légitimement l'espérer.)

D'autre part, l'alliance destinée à l'épousée est un bijou de famille représentant deux doigts enlacés et portant l'inscription « Sembr'ab ti » : « Toujours à toi ». Or, juste avant la bénédiction nuptiale, le fiancé, pour sauver l'honneur du village, prend part à une partie de paume où des Aragonais de passage sont sur le point de l'emporter.

Comme elle le gêne, i l enlève de son doigt l'alliance qu'il devait don- ner à son épouse et, ne sachant où la mettre, la passe à l'annulaire de la Vénus. Dès lors, i l ne commet plus une faute et triomphe aisé- ment des Espagnols. Dans sa joie, il oublie de reprendre sa bague et doit remettre à l'épousée le gage d'amour reçu d'une maîtresse de hasard une nuit de Carnaval. (Cette fois plus de doute, c'est avec la déesse que le fiancé s'est, sans le savoir, uni par les liens du mariage.

La protection de l'épouse divine s'est d'ailleurs aussitôt étendue sur lui : d'où la facilité de sa victoire. Quant à l'épousée officielle, le fait qu'elle n'ait reçu qu'un gage dérisoire montre assez qu'elle est dupée ou répudiée d'avance ou acceptée comme une concubine surnumé- raire.)

Le soir venu, le nouveau marié vient récupérer l'anneau, mais i l ne lui est pas possible de le retirer du doigt de bronze. Il est convain- cu que la statue l'a replié. Cette fois le prodige est franchement inac- ceptable pour tout esprit sensé. Aussi personne ne fait-il attention à ses dires, d'autant plus qu'il est visiblement ivre, comme le narrateur le constate avec soulagement. Mais il a eu peur un instant. Honteux, il dédaigne d'aller vérifier l'invention d'un ivrogne. (A ce stade, le lecteur lui donne tort, car il a déjà besoin d'une preuve qui lui per- mette de trancher)

C'est bientôt la nuit et le drame. Des pas pesants résonnent dans l'escalier, sans doute ceux du marié, dont le vin alourdit la démar- che, les mêmes d'ailleurs qui, à l'aube suivante, font craquer à nou- veau les marches. Le jeune époux est trouvé mort avec une trace livide au travers de la poitrine et du dos comme par l'étreinte d'un cercle de fer. Sur le tapis, gît l'alliance laissée au doigt de la statue.

(Les pas étaient donc bien ceux de la déesse. Elle s'est vengée de l'infidèle et lui a rendu dédaigneusement son alliance. Enfin, un indi- ce matériel qui apparemment ne laisse pas de place au doute.)

L'Aragonais, soupçonné, est aussitôt mis hors de cause. (Le der- nier espoir d'une explication naturelle se trouve de ce fait éliminé.) L'épouse raconte qu'elle a vu la Vénus verdâtre étreindre et broyer son mari. Il est vrai qu'elle est devenue folle. Aussi ne peut-on ajou- ter foi à son récit. (Mais si elle était précisément devenue folle pour avoir assisté à un spectacle affreux et inadmissible pour la raison ? 26

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On voit à quel point le renversement est complet : la démence apporte la preuve de la véracité du fantastique.)

Dernier trait : la mère du mort ordonne de fondre la statue fatale et d'en faire une cloche pour l'église. L a malédiction ne continue pas moins. Depuis que sonne la cloche funeste, les vignes d'Ille ont gelé deux fois. (Le pouvoir de l'effigie vindicative était donc si tenace qu'il n'a pas suffi de l'anéantir et, la forme une fois détruite, d'en destiner la matière a un usage pieux. Jusqu'au métal était contaminé et, même à l'état diffus, il a conservé l'influence pernicieuse dont il a été passagèrement le support.)

L

e récit est développé avec un parfait naturel. Il est conté par un incrédule, qui s'adresse à des incrédules et qui ne prend pas parti.

Ce sont les faits qu'il relate avec circonspection qui contraignent le lecteur à envisager une irruption de l'impossible dans l'innocence et la monotonie de la vie quotidienne. On peut, je crois, situer le sommet de l'art de la narration fantastique, quand elle ne se permet ni facilité ni arbitraire dans la lente montée d'une panique infligée à l'esprit le plus rebelle par les mêmes armes qui lui servaient à récuser le surnaturel.

Dans la régularité fondamentale, une fêlure presque impercepti- ble se produit. Il est sage de n'y pas faire attention. Mais, par inter- mittence, d'autres signes, d'autres « cheveux » apparaissent, comme si un ordre secret, incompatible avec elle, finissait pas faire surface.

Bientôt la discordance est si manifeste que le compromis n'est plus possible. Une déchirure si large s'ouvre sur l'abîme que la cohérence générale semble s'y engloutir. Certes, la sorcellerie est passagère. Le monde retrouve vite sa permanence. Mais le frisson a été perçu, un vertige rapide qui donne à l'esprit l'idée d'un univers différent que traversent des apparitions et où les statues s'animent. Jeux de l'imagination, je n'en doute pas, mais qui entretiennent une alarme qui n'est pas inféconde. Croire que tout est transparent dessèche le besoin d'éclaircir. Et plus d'une fois, la stupeur fut à l'aube de la découverte.

Dans la Vénus d'Ille, tout est suggéré, aucune épithète n'est indis- crète. L'auteur expose à son corps défendant une réalité sans doute effroyable, mais d'abord scandaleuse et sur laquelle il feint de regret- ter de devoir porter témoignage. Il met le lecteur dans son jeu, le force à devancer lui-même l'interprétation qu'il lui propose à peine.

Tout se passe comme si l'imagination spontanée était incitée par l'écrivain à s'abandonner pour son compte aux jeux de l'épouvante et du surnaturel.

R O G E R CAILLOIS de l'Académie française

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