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Technolecte savant et ordinaire dans le domaine de l’automobile

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Technolecte savant et ordinaire dans le domaine de l’automobile Mehdi HAIDAR

Faculté des Sciences de l’Éducation Université Mohammed V

m.haidar@um5r.ac.ma

Résumé - Le présent travail cherche à montrer les principaux changements linguistiques du technolecte de l’automobile observés dans les ateliers de mécanique au Maroc. Ayant une maitrise approximative du français, les mécaniciens utilisent les unités technolectales en langue française, y compris les plus récentes, mais leur font subir toute une série de modifications. Ce technolecte « emprunté » est en réalité aux frontières du savant et de l’ordinaire. Il intègre des unités technolectales savantes très techniques en français qui changent au contact de l’arabe dialectal marocain. Ce mélange du savant et de l’ordinaire engendre un certain nombre de variations tant au niveau phonétique, lexical, que sémantique.

S’appuyant essentiellement sur les entretiens semi-directifs avec les mécaniciens et les techniciens et sur une phase d’observation dans les ateliers de mécaniques et dans les centres spécialisés de diagnostic automobile, l’enquête menée a permis de relever les particularités linguistiques des unités technolectales ainsi que certains procédés de création lexicale.

Mots-clés - Technolecte savant, technolecte ordinaire, mécanique automobile, plurilinguisme, contact de langues.

Traduction du titre en anglais - Scholar and Ordinary Technolect in Automative Field Abstract - This work seeks to show the main linguistic changes of the automotive technolect observed in mechanical workshops in Morocco. Having an approximate mastery of French, the mechanics use the technolectal units in French, including the most recent, but subject them to a whole series of modifications. This "borrowed" technolect is in reality at the frontiers of the scholar and the ordinary. It integrates highly technical scholarly technolectal units in French which change upon contact with Moroccan dialectal Arabic. This mixture of the scholar and the ordinary generates a certain number of variations at the phonetic, lexical and semantic level. Relying mainly on semi-structured interviews with mechanics and technicians and on an observation phase in mechanical workshops and in specialized automotive diagnostic centers, the survey carried out made it possible to identify the linguistic characteristics of the technolectals units as well as certain lexical creation processes.

Keywords - Scholar Technolect- Ordinary Technolect- Automobil Mechanic- Plurilingualism- Language Contact.

Introduction

Le technolecte dans les sciences et techniques reste largement transmis en langue française au Maroc (Messaoudi 2010). Dans les universités, centres de recherche et autres laboratoires, c’est le français qui domine. Cette position dans le paysage sociolinguistique est due à la place qu’occupe la langue française dans le système éducatif marocain et son emploi relativement fréquent (surtout à l’écrit) dans les domaines modernes de l’activité humaine (économie, sciences et techniques, etc.). Si le français est majoritairement utilisé par les lettrés, il reste peu parlé par une population peu instruite au Maroc y compris dans les milieux

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professionnels où cette langue s’impose. L’exemple du domaine de la mécanique automobile est dans ce sens pertinent pour illustrer cette hybridation dans les pratiques langagières. En effet, il suffit de se rendre dans un atelier de mécanique automobile au Maroc pour constater que l’interaction se fait principalement en arabe dialectal marocain tandis que la terminologie savante est communiquée en français.

Les unités technolectales issues du domaine de l’automobile subissent plusieurs types de variations au contact de l’arabe dialectal. Le plus souvent, il s’agit de changement aux niveaux morphologiques et phonologiques afin de les adapter à la prononciation des mécaniciens arabophones et amazighophones qui n’ont pas eu l’occasion d’apprendre le français (Meskine 2014). Par ailleurs, les automobiles récentes introduisent de nouveaux systèmes et procédés faisant principalement appel à l’électronique. Il s’agit de pièces commandées électroniquement par ordinateur grâce à des lignes de programmation. N’ayant pas été instruits (ou très peu) les mécaniciens dans les ateliers de mécaniques sont confrontés à ces véhicules récents et à un technolecte savant qui permet la dénomination des pièces électroniques et des procédés de réparation.

Le présent travail s’inscrit dans le prolongement de recherches antérieures (Haidar 2008/2009 ; 2013) menées principalement sur des problématiques liées au technolecte de l’automobile. L’objectif est de mettre en exergue le passage des unités technolectales savante à celles ordinaires en relevant ses particularités linguistiques et les principales variations qui touchent à la morphologie des emprunts et à leurs prononciations en ciblant principalement les procédés et les systèmes électroniques, et en prenant en compte des procédés d’hybridation arabe dialectal marocain (ADM)/français.

Le technolecte : essai de définition

Apparu vraisemblablement, pour la première fois en 1982 dans l’ouvrage de Claude Hagège « Voies et destins de l’action humaine sur les langues, la réforme des langues », le terme technolecte qualifie les usages linguistiques pour décrire un domaine particulier de l’activité humaine. Leila Messaoudi le définit comme suit :

« C’est un savoir-dire, écrit ou oral, verbalisant, par tout procédé linguistique adéquat un savoir ou un savoir-faire, dans un domaine spécialisé. »1

Fondé à l’origine dans une perspective sociolinguistique, le technolecte a l’avantage d’englober tous les aspects langagiers servant à communiquer et à transmettre un savoir savant dans un domaine spécifique. Il englobe la terminologie savante et le lexique banalisé, les usages discursifs et les textes spécialisés, toutes les formes de productions linguistiques décrivant un domaine de l’activité humaine qu’elles soient écrites ou orales. Si l’appellation langue spécialisée est beaucoup plus orientée vers les aspects langagiers écrits, comme le souligne parfaitement Pierre Lerat « Les langues spécialisées imposent de donner priorité à une linguistique de l’écrit, en élargissant l’usage de la notion de plurisystème graphique… »2, le technolecte inclut les usages langagiers et discursifs à la fois écrits et oraux. Ceci est davantage ressenti lorsqu’on tend à effectuer des recherches sur les usages des langues dans les ateliers de mécanique au Maroc (Messaoudi, 2010) ou dans les usines et les complexes

1 MESSAOUDI Leila, 2010, « Langue spécialisée et technolecte : quelles relations ? », Meta,

Volume 55, numéro 1, p. 134.

2 LERAT Pierre, 1995, Les langues spécialisées, Paris, PUF, p.29

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industriels, où la pratique langagière pour communiquer le savoir savant est beaucoup plus orientée vers l’oral.

« De toute évidence, les langues spécialisées privilégient l’écrit. L’oral est souvent passé sous silence. Or, une remarque importante s’impose : les sociétés à tradition orale s’approprient les techniques, font l’apprentissage de métiers traditionnels et modernes, sans avoir recours à l’écrit »3

Par ailleurs, Leila Messaoudi distingue entre le technolecte savant et ordinaire. Une catégorisation qui permet de différencier entre deux technolectes utilisés par deux types de locuteurs4.

« Les technolectes savants traitent de savoirs théoriques, modernes, de disciplines scientifiques et de domaines techniques universellement reconnus (par exemple, la physique, la chimie, les mathématiques, l’industrie automobile, l’industrie pharmaceutique, etc.) tandis que les technolectes ordinaires peuvent traiter aussi bien de savoirs locaux ayant trait, par exemple, à l’agriculture, à l’artisanat ou au bâtiment que de savoirs modernes afférents à la mécanique automobile, à l’électricité ou à la plomberie, etc. »5

Le technolecte savant reste majoritairement utilisé par les professionnels et académiciens hautement qualifiés (universitaires, ingénieurs, chercheurs, médecins, etc.) tandis que le technolecte ordinaire est le produit de locuteurs peu instruits, voire analphabètes, mais qui évoluent dans un domaine donné.

Méthodologie

L’approche méthodologique constitue l’un des premiers questionnements de l’étude.

Comment collecter un corpus représentatif de la manière la plus fiable possible ? Dans l’éventail des techniques d’enquêtes en sociolinguistique, deux approches pourraient convenir dans ce cas de figure. Le protocole d’enquête que nous avons choisi de mettre sur pied se compose de deux phases complémentaires. Une première partie exploratoire s’appuie sur la technique de l’observation participante et une deuxième étape plus directe emploie la technique de l’entretien semi-directif avec les mécaniciens et les techniciens des centres de diagnostic automobile.

Échantillonnage et protocole d’enquête

Deux ateliers de mécanique automobile et deux centres de diagnostic automobile situés à Kénitra6 ont été sélectionnés pour les besoins de l’enquête. Les ateliers choisis sont de petites structures indépendantes où l’on pratique une forme de mécanique « artisanale ». Les mécaniciens qui y exercent sont généralement formés sur le tas et n’ont pas fait d’études supérieures, ils ont quitté l’école précocement. Malheureusement, mener cette étude au sein des grands ateliers affiliés aux concessionnaires et aux importateurs n’est pas possible à

3 MESSAOUDI Leila, 2010, « Langue spécialisée et technolecte : quelles relations ? », dans Meta,

Volume 55, numéro 1, p.133.

4 Pour Leila Messaoudi, deux éléments contribuent à la définition et la délimitation du technolecte : Le locuteur

et le domaine.

5 MESSAOUDI Leila, (2013), « Les technolectes savants et ordinaires dans le jeu des langues au Maroc », Langage et société, 143(1), p.69.

6 Ville marocaine se situant à 40 km au nord de la capitale Rabat.

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l’heure actuelle. Pénétrer dans ces enceintes fermées aux clients est exclusivement réservé aux employés demande une série de mesures et des autorisations auxquelles nous ne pouvons accéder.

Pour chaque terrain d’enquête, une première phase d’observation participante est menée en simulant une panne sur notre propre véhicule. L’intérêt est de relever les premières pistes pour la collecte des données et de préparer au mieux l’entretien (voir Blanchet 2000). La deuxième phase constitue une série d’entretiens semi-directifs avec trois mécaniciens travaillant dans les deux ateliers et deux techniciens spécialisés en électronique dans les centres de diagnostic automobile. Les principales questions tournent autour des unités lexicales technolectales utilisées pour la dénomination de chaque pièce et composant électroniques et chaque procédé permettant la réparation ou l’installation. Il était parfois nécessaire de comprendre le fonctionnement de chaque système et il fallait interroger les enquêtés. Une deuxième série de questions portait sur les langues de travail et sur l’emploi du français, de l’arabe dialectal et/ou de l’amazigh pour qualifier les équipements de la voiture afin de mieux comprendre quelle langue contribue le plus à la transmission du savoir dans ce domaine et dans cet espace.

Présentation du corpus

Le corpus collecté regroupe principalement des unités simples et polylexicales. Rares sont celles qui se composent de plus de deux syntagmes. La majeure partie des unités formant le corpus relèvent de l’emprunt au français qui a subi des modifications. D’autres unités, moins fréquentes, sont issues de l’arabe dialectal. Les unités technolectales appartiennent aux domaines de la mécanique, de l’électricité automobile et de l’électronique automobile. Le degré d’opacité varie d’une unité à une autre. Si certaines sont compréhensibles par un locuteur averti, d’autres ne peuvent être comprises que par un spécialiste. Bien que le technolecte touche à tous les niveaux, nous avons fait le choix dans cette étude de nous focaliser exclusivement sur les unités lexicales pour mieux relever les écarts qui peuvent exister entre les domaines de la mécanique et de l’électronique automobiles.

Technolecte de la mécanique automobile

Unités technolectales ordinaire en API

Equivalents unités

technolectales savante en langue française

[majo] moyeu

[lizitriji] Les étriers de frein [motisorat] Amortisseurs

[rosolat] Ressorts

[bobina] Bobine

[kilas] Culasse

[pestɔ̃] Piston

[∫umiz] Chemise de pistons

[krwa] Courroie

[Kilbitœr] Culbuteur

[klemajƐr] Crémaillère

[viziblat] Fusible

[rulijat] Relais

[sferat] Bloc optique

[lezɛ̃] Ailes

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[biti] Butée

[grisurat] Graisseur

[grup] Bloc moteur

[bumba dpresjɔ̃] Pompe haute pression [ɛ̃Ʒiktur t do] Injecteur électrique [∫ãbre d gazwal] Chambre de combustion

[fr∫eta] Manette butée

[bumba dlma] Pompe à eau [korone] /[korona] Différentiel

[ri∫a] ailette de turbo

[krwaze] Liaison cardan

[puli d snan] Poulie dentée

[fantoza] Suspension hydropneumatique [bara d sukus] Barre de torsion / de

suspension [gɔ̃flœr d rih] compresseur

[kaseta] Unité de contrôle électronique [lambda sɔ̃d] Sonde lambda

Technolecte automobile utilisé dans les centres de diagnostic

Unités technolectales Unité de commande Prise obd

Code défaut Erreur

Défaut standard Défaut spécifique Défaut permanent Défaut intermittent Mémoire

Apprentissage Reprog VCI Firmware Canbus Diagbox VCDS Delphi Codage

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63 Technolecte et emprunt néologique

Le mécanicien marocain développe une façon particulière de communiquer le savoir spécialisé propre à lui-même et au domaine de l’automobile (Haidar 2008/2009). Mélange de français et d’arabe dialectal marocain, ce technolecte est en réalité aux frontières du savant et de l’ordinaire. Il intègre une terminologie savante très technique en français qui change au contact de l’arabe ; ce qui peut parfois fausser la compréhension de l’automobiliste marocain.

Plusieurs procédés de formation sont utilisés pour adapter les unités technolectales en français au contexte et au locuteur arabophone et / ou amazighophone.

L’emploi de l’emprunt à la langue française est très courant dans ces situations. Les unités comme [lɛ̃Ʒiktur] = injecteur, [lbumba] = pompe, [krwa] = courroie, [∫agma] = pot d’échappement, [labiti] butée, [disk] = disque, etc. sont issues du technolecte automobile en langue française et s’adaptent au système phonétique de l’arabe dialectal.

Le passage du français à l’arabe dialectal ne se fait pas sans modifications. Dans la majeure partie du temps elles touchent principalement le niveau phonétique. Les unités comme [viziblat] = fusibles et [lbumba] = pompe subissent un voisement de leurs consonnes initiales (passage du [f] au [v] et du [p] eu [b]), de même que la consonne [ʁ] est aussi remplacée par le [r] dans [rosolat] = ressorts ou dans de rares occasions par [l], comme dans [klemajƐr] = crémaillère.

Les voyelles ne sont pas en reste puisqu’elles connaissent aussi plusieurs changements, notamment le passage du mode arrondi au mode écarté comme dans les exemples suivants : [lKilbitœr] = culbuteur, [kilas] = culasse ou encore le changement du lieu d’articulation comme dans le passage du [ə] à [u] (de très fermé à fermé) dans [∫umiz] = chemise.

D’autres transformations plus marquées s’opèrent comme l’ellipse de phonèmes. L’exemple de l’unité [krwa] = courroie dans laquelle les locuteurs ont supprimé la voyelle [u] est ici suffisamment représentatif.

Ces changements résultent principalement de l’adaptation de la langue française à la prononciation des locuteurs arabophones et dans un souci d’économie linguistique. N’ayant pas été suffisamment en contact avec la langue française, les mécaniciens n’ont pas pu acquérir les fondements de la prononciation du français, ils adaptent donc l’emprunt à la prononciation de l’arabe tout en réduisant la longueur de certaines unités par souci d’économie linguistique [∫agma] = pot d’échappement.

Au niveau morphologique, les usages hybrides sont encore plus marqués. Ils se caractérisent par des procédés de dérivation impliquant à la fois la langue source et la langue cible. Ainsi, l’on constate l’ajout d’affixes relevant de l’arabe à des radicaux en langue française pour marquer la flexion comme dans les exemples [motisorat] = amortisseurs, [rosolat] = ressorts ([at] désigne le féminin pluriel en arabe standard et en arabe dialectal).

Au niveau de la syntaxe interne, certaines unités polylexicales sont sujettes à des inversions de segments. Les mécaniciens ont tendance à employer « lambda sonde » [lambda sɔ̃d] au lieu de « sonde lambda ». De même que certaines unités connaissent des substitutions d’un de leurs constituants comme dans « pompe à eau » remplacé par [bumba dlma]. L’unité reprend exactement la même syntaxe Nom + Prép + Nom, du technolecte en langue française, mais remplace le lexème « eau » et la préposition « à » par leurs équivalents en arabe dialectal marocain.

Ces nombreuses variations relevant à la fois du phonétique et du morphologique donnent lieu à un lexique technolectal distinct formé grâce à une néologie particulière qui ne se contente pas d’emprunter le terme, mais le modifie afin de le rendre adapté aux locuteurs.

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64 Technolecte et procédé de métaphorisation

L’emprunt n’est pas le seul procédé utilisé dans les petits ateliers de mécanique automobile pour la dénomination des pièces, des procédés et des outils mécaniques. Ne se contentant pas de puiser les unités technolectales de la langue française et de les modifier pour se les approprier, les mécaniciens marocains innovent aussi en termes de création lexicale pour développer un technolecte qu’ils sont les seuls à pouvoir comprendre. C’est à l’aide de la métaphore que les artisans mécaniciens arrivent à trouver des dénominations qui leurs permettent de ne pas passer impérativement par la langue française. Ainsi, des unités lexicales sont principalement issues d’un lien logique qui unit l’objet désigné et l’appellation en arabe dialectal marocain.

Il est clair que le mécanisme à l’œuvre dans ce processus de création lexicale est la métaphore In absentia. On assiste, en effet, à la mise en équivalence d’au moins un sème commun qui s’intercale entre le comparant et le comparé7.

Nous pouvons classer ces procédés de métaphorisation dans deux grandes catégories de lexicalisation par analogie ; la première relève de la forme, tandis que la deuxième est issue de la fonction de l’objet désigné.

L’exemple [korone] / [korona] est très marquant puisque ce terme, qui signifie en arabe dialectal marocain « couronne » (ce n’est autre qu’un emprunt à la langue française), renvoie dans le contexte de la mécanique automobile au « différentiel » : pièce utilisée pour faire passer le mouvement de rotation du moteur aux roues. Le choix de l’unité [korone] /[korona]

est justifié par le fait que le différentiel est constitué d’engrenages et une forme trapézoïdale ce qui le rend comparable à une couronne. Dans cet exemple, le mécanicien marocain convertit un emprunt du français utilisé en arabe dialectal marocain général en une unité technolectale par le biais de la métaphore.

Les termes [ri∫a] = ailette de turbo et [kaseta] sont tout aussi représentatifs du procédé de métaphorisation et de la néologie sémantique dans le technolecte de l’automobile. Dans le premier exemple, il s’agit de l’aube, petite pièce très fine ressemblant à de petites pales et qui se place à l’intérieur de la turbine pour aspirer l’air. Elle ressemble à de petites ailes auquel correspond le terme [ri∫a] en arabe dialectale et qui signifie « plume ». En revanche, en langue française, les spécialistes qualifient l’objet de « ailette du turbocompresseur ». Dans le deuxième exemple, il s’agit d’un boitier qui ressemble par sa forme à une cassette VHS. Les mécaniciens en reprennent ainsi la dénomination.

Le corpus relevé a permis de faire ressortir dans le technolecte automobile l’emploi de ce procédé de néologie sémantique. Il instaure un nouveau rapport signifiant / signifié via un ou plusieurs sèmes. Toutefois, l’étude, demeurant limitée à quelques ateliers de mécanique et surtout dans une seule région du Maroc, ne peut évidemment prétendre à l’exhaustivité.

Raison pour laquelle, d’autres catégories (à part celles de la forme et de la fonction) pourraient aussi exister et serviraient à enrichir le technolecte de l’automobile au Maroc.

7 Meskine Driss, « Le technolecte de la mécanique automobile à Meknès », dans Leila Messaoudi et Pierre Lerat

(dir.) (2014), Les technolectes / langues spécialisées en contexte plurilingue, Rabat, Publications du laboratoire Langage et société CNRST – URAC56, p. 291

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65 Technolecte savant et domaines

Comme chacun le sait, l’automobile a considérablement évolué, les voitures sont devenues plus performantes, plus confortables et plus efficientes, ceci grâce à de nouvelles technologies et des procédés faisant principalement appel à l’électronique et à l’informatique. Toutes les voitures sont aujourd’hui équipées d’unités centrales de commandes qui gèrent le fonctionnement des pièces et des mécanismes y compris les plus importants comme le moteur. Cette technologie a révolutionné aussi les méthodes de réparation puisqu’à l’aide d’un ordinateur et d’un programme informatique, le technicien est aujourd’hui en mesure d’identifier en quelques minutes l’origine de la panne et la réparer parfois en quelques secondes.

Comment le langage a donc évolué avec l’avènement de ces techniques dans les ateliers de mécanique ?

Il est vrai que le diagnostic est devenu une spécialité à part dans le champ de l’automobile.

N’arrivant pas à identifier la source de la panne, le mécanicien conseillera certainement le client à se rendre chez un centre spécialisé en diagnostic. Les ateliers de mécanique ne disposent pas de ces outils électroniques parce qu’il nécessite des compétences spécifiques dans le domaine de l’électronique, de l’informatique et surtout en langues.

L’interface des logiciels utilisés permettant d’examiner l’état du véhicule est en langue française dans les deux centres de diagnostic dans lesquels il nous a été permis de mener l’enquête. Les techniciens insistent d’ailleurs sur la maitrise du français et principalement du technolecte savant en langue française pour pouvoir manipuler le programme informatique.

Contrairement aux ateliers de mécanique, où le technolecte savant a subi des modifications importantes, les centres de diagnostic automobile imposent l’usage d’un technolecte propre à plusieurs domaines sans qu’il ne subisse de modifications majeures. Cette variation peu fréquente est principalement due au caractère récent du domaine du diagnostic automobile et à l’intégration de l’électronique dans les équipements automobiles. Les techniciens étant aussi généralement plus instruits assimilent plus rapidement ce technolecte et n’ont pas besoin de le modifier. Il est à noter que ce technolecte varie en fonction du programme informatique utilisé. Il existe un grand nombre de logiciels qui permettent le diagnostic automobile et chaque système utilise un technolecte qui lui est propre. Le technicien aura donc tendance à utiliser un lexique spécifique en fonction du matériel qu’il utilise.

La communication continue de se faire en arabe dialectal marocain, seul le technolecte s’emploie en langue française, de même que la documentation des logiciels utilisés est en langue française. Il est important de dire aussi que les programmes utilisés peuvent fonctionner en plusieurs langues, mais les enquêtés ont choisi la langue française. Les études qu’ils ont suivies, en partie en langue française, ont certainement motivé ce choix.

L’élément le plus saillant en comparaison avec les ateliers de mécanique est l’usage des technolectes de l’informatique et de l’électronique qui se mélangent à celui de la mécanique.

Les techniciens usent d’unités lexicales qu’un technicien ou un ingénieur en informatique peut parfaitement utiliser aussi. Les unités comme « commande, mémoire, firmware » sont des termes empruntés au domaine de l’informatique. Viennent ensuite d’autres termes qui se rapprochent plus du domaine de l’électronique comme « capteur, circuit, test actionneurs », etc. On remarque aussi l’emploi fréquent de sigles VCI (Virtual Circuit Identifier), OBD (On Board Diagnostic) issus le plus souvent du technolecte informatique et électronique.

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L’arabe dialectal reste la langue majoritairement utilisée dans ce contexte professionnel. Que l’on soit dans un atelier de mécanique ou dans un centre spécialisé en diagnostic, les techniciens et mécaniciens ne parlent que l’arabe dialectal. Ils instaurent ainsi une forme de bilinguisme fonctionnel dans lequel le français ne s’emploie que pour qualifier les unités technolectales. C’est dans les centres de diagnostic où ce bilinguisme fonctionnel est le plus marquant ; les termes n’ayant pas subi de modifications majeures restent largement compris par un francophone et permettent ainsi de distinguer cette hybridation des usages linguistiques. A noter que ces mêmes techniciens jouent aussi le rôle de relais et de traducteurs pour les mécaniciens qui n’utilisent pas les dispositifs de diagnostic. Leurs tâches consistent aussi à trouver les équivalents des unités savantes. Quand le logiciel indique qu’il y a « un défaut au niveau de la pompe haute pression », le technicien parlera à ce moment de [bumba dpresjɔ̃] ou [bumba] car il sait pertinemment que les mécaniciens peuvent ne pas être lettrés, ne parlent pas le français et par conséquent ne comprennent pas le technolecte savant.

Bibliographie

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HAIDAR Mehdi, (2013), « Le français et l’insertion professionnelle : l’exemple du secteur automobile », dans Philippe Blanchet et Leila Messaoudi (dir.), Langue française et plurilinguisme dans la formation universitaire et l’insertion professionnelle des diplômés marocains en sciences et technologie, Cortil Wodon, Proximités, Éditions Modulaires Européennes, p. 203-218.

LERAT Pierre, (1995), Les langues spécialisées, Paris, PUF.

MESKINE Driss (2014), « Le technolecte de la mécanique automobile à Meknès », dans Leila Messaoudi et Pierre Lerat (dir.), Les technolectes / langues spécialisées en contexte plurilingue, Rabat, Publications du laboratoire Langage et société CNRST – URAC56, pp.

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MESSAOUDI Leila, (2010), « Langue spécialisée et technolecte : quelles relations ? », Meta, Volume 55, numéro 1, p.127-135.

MESSAOUDI Leila, (2013), « Les technolectes savants et ordinaires dans le jeu des langues au Maroc », Langage et société, 143(1), pp. 65-83.

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Références

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