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Genèse du monde, architectonique de la pensée

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Academic year: 2022

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Françoise DAVIET-TAYLOR

GENÈSE DU MONDE,

ARCHITECTONIQUE DE LA PENSÉE

Faire voir la genèse de l'essence de la Raison pure et finie à partir de son propre fondement, telle est la tâche de l'analytique*.

Nous aimerions apporter ici de nouvelles réflexions au champ ouvert par celles conduites à partir de l'étude du texte biblique de la Genèse1.

Nous avions considéré la parole divine face à l'informe de la matière et rapporté le principe à l'œuvre dans ce récit de la Création au tracé d'une ligne délimitant des formes. Nous avions reconnu trois pouvoirs à ce principe : un pouvoir de séparation (le pouvoir sécant), un pouvoir de regroupement (de rassemblement), un pouvoir de gouvernement (de gouvernance). Nous avions examiné comment des formes parfaites surviennent, sur la seule injonction divine, dans une immédiateté saisissante, ignorant tout des lois de la successivité et par là de la séquence

« aspectuelle » classique (début-développement-fin). Avec la naissance de l'« organisé », nous avions assisté à la naissance concomitante de la « perfectivité2 ».

Nous reprenons ici cette immédiateté qui suspend toute considération de temps, annulant la distinction, aussi infime fût-elle, entre un « avant » et un

« après ». Cette immédiateté dans laquelle fusionnent et co-ïncident le vouloir-désir de Dieu et la Création de ses formes, nous voulons la questionner à même la parole divine : qu'en est-il de l'immédiateté, que nous avions constatée dans l'œuvre, dès lors que nous l'interrogeons du côté de la pensée de l'« organisateur » ? Et que signifie que notre questionnement s'adresse au Créateur, et non plus à la Création ? Nous inversons les pôles de l'agir divin – Schelling dirait que nous considérons

* HEIDEGGER, M., Kant et le problème de la métaphysique.

1 Cf. DAVIET-TAYLOR, F., « Du tracé de la ligne dans la Genèse : naissance du nombre, de la limite et de la perfectivité », C. Dumas, M. Gangl (dir.), Le théâtre du monde, Presses universitaires d'Angers, 2006, p. 67-85.

2 Ibid.

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maintenant le principe « affirmant » et non plus l'« affirmé », le principe

« affirmant » étant conçu comme étant en avance sur le principe « affirmé », l'être3. Ces interrogations posées dans ce champ du plus extrême4, tant en ce qui concerne le texte même (la Genèse) que les idées déposées dans celui-ci (Dieu, le Commencement, la Création, le Verbe), nous les conduirons en nous appuyant sur certaines considérations de Kant – qui elles aussi voisinent avec « le plus haut », avec l'« extrême » – et nous relirons plus particulièrement, outre celles qui portent sur l'idée de Dieu, celles qui définissent la Raison (Vernunft) et le Concept rationnel (Vernunftbegriff5). Kant a en effet tendu sa pensée et conduit ses investigations jusqu'à l'extrême pour rechercher des principes capables d'organiser le tout épars (« l'agrégat », das Aggregat) de nos connaissances en des systèmes construits, de rapporter la diversité à des Unités, à des « idées6 ». Les systèmes constituent à leur tour une architectonique, Kant définissant ainsi de ce terme l'art des systèmes :

« Par architectonique j'entends l'art des systèmes. Comme l'unité systématique est ce qui convertit la connaissance vulgaire en science, c'est-à-dire qui coordonne en système un simple agrégat de ces connaissances, l'architectonique est donc la théorie de ce qu'il y a de scientifique dans notre connaissance en général et elle appartient ainsi nécessairement à la méthodolologie7. »

3 Cf. DAVIET-TAYLOR, 1993, p. 49. Nous avons découvert dans cet article des considérations étrangement jumelles entre le philosophe F. W. J. Schelling et le linguiste Gustave Guillaume dans leur approfondissement du rapport entre la puissance (le virtuel) et l'acte (le réel actualisé). Ces considérations éclairent également cette contribution. Citons cet aphorisme de Schelling :

« L'affirmatif (le concept) est toujours plus grand que l'affirmé (la chose). », Œuvres métaphysiques, aphorisme 58, p. 33.

4 La notion d'« extrême » (de l'adj. lat. extremus, superlatif de exter, lui-même un superlatif, « le plus à l'extérieur »), renvoie donc à un superlatif de superlatif, à ce qui est « le plus à l'extérieur du plus à l'extérieur ». Cf. Dictionnaire Historique de la Langue Française.

5 Nous renvoyons pour l'édition allemande à l'édition Reclam de la Kritik der reinen Vernunft (KRV) ; et pour l'édition française à la traduction de A. Tremesaygues et B. Pacaud parue aux Presses universitaires de France, Critique de la Raison pure (CRP), ainsi qu'au Kant Lexikon de R. Eisler (KL).

6 « Ich verstehe unter einem System die Einheit der mannigfaltigen Erkenntnisse unter einer Idee. », KRV, p. 839 ; « j'entends par système l'unité de diverses connaissances sous une idée. », CRP, p. 558.

7 « Ich verstehe unter einer Architektonik die Kunst der Systeme. Weil die systematische Einheit dasjenige ist, was gemeine Erkenntnis allererst zur Wissenschaft, d. i. aus einem bloßen Aggregat derselben ein System macht, so ist Architektonik die Lehre des Szientifischen in unserer Erkenntnis überhaupt, und sie gehört also notwendig zur Methodenlehre. », KRV, p. 839 /CRP, p. 558. « Le tout est donc un système organique (articulatio) et non un ensemble désordonné (coacervatio) », in CRP, ibid.

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La raison, « la plus haute faculté de connaître8 », est le point le plus extrême, le plus haut de l'édifice, car

« toute notre connaissance commence par les sens, passe de là à l'entendement et s'achève dans la raison, au-dessus de laquelle il n'y a rien en nous de plus élevé pour élaborer la matière de l'intuition et pour la ramener à l'unité la plus haute de la pensée9 ».

*

Pour saisir le champ que nous questionnons – Dieu, la Pensée, la Parole dans la Genèse –, nous allons convoquer deux termes kantiens fondamentaux, celui d’« idée » (l'idée de Dieu) – et celui de « concept rationnel10 ». Pour Kant en effet, Dieu, « la grandeur la plus parfaite » que la Raison peut concevoir11, est une

« idée » : « Je comprends sous l'idée un concept rationnel nécessaire, auquel aucun objet adéquat ne peut être donné dans l'expérience12. » Ces concepts rationnels dépassent en effet le cadre de l'expérience, ce sont les concepts de la raison pure.

L'idée de Dieu est dès lors à rapporter aux caractéristiques de ces concepts rationnels (Vernunftbegriffe) qui « dépassent la possibilité de l'expérience » : les idées ne sont « pas connaissables », Dieu n’est pas connaissable13. Mais loin d'être inutiles ou accessoires, les « idées », dont la plénitude déborde précisément notre faculté théorique de connaître, revêtent au « plus haut » une fonction décisive (et indispensable, nous allons le voir) : elles servent à la raison de « principes régulateurs14 ». Rappelons que c'est la Raison elle-même qui se dote d'« idées15 ». En

8 « Ich verstehe hier unter Vernunft das ganze obere Erkenntnisvermögen […] », KRV, p. 842 / CRP, p. 560.

9 CRP, p. 254 / KRV, p. 381 : « Alle unsere Erkenntnis hebt von den Sinnen an, geht von da zum Verstande, und endigt bei der Vernunft, über welche nichts Höheres in uns angetroffen wird, den Stoff der Anschauung zu bearbeiten und unter die höchste Einheit des Denkens zu bringen. »

10 KL, Begriff, p. 58-61 ; Idee, p. 257-264.

11 « Das grösste an Vollkommenheit nennt man heute das Ideal, Plato die Idee. », KL, Ideal, p. 250.

12 « Ich verstehe unter der Idee einen notwendigen Vernunftbegriff, dem kein kongruierender Gegenstand in den Sinnen gegeben werden kann […] Sie sind endlich transzendental und übersteigen die Grenze der Erfahrung, in welcher also niemals ein Gegenstand vorkommen kann, der der transzendentalen Idee adäquat wäre. », KRV, p. 406 / CRP, p. 270. Nous lisons encore : « Ein Begriff aus Notionen, der die Möglichkeit der Erfahrung übersteigt, ist die Idee, oder der Vernunftbegriff. » /

« Un concept tiré de notions et qui dépasse la possibilité de l'expérience est appelé idée ou concept rationnel. », KRV, p. 400 / CRP, p. 266.

13 « Wie alle Gegenstände von Ideen ist Gott unerkennbar », KL, p. 216 ; pour « Gott », KL, p. 216- 224.

14 « Die Ideen sind “für unser theoretisches Erkenntnisvermögen überschwenglich”, dabei aber doch nicht etwa unnütz oder entbehrlich, sondern dienen als “regulative Prinzipien” », KL, ibid. C'est nous

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effet, là où l'entendement dispose de « catégories » pour traiter l'expérience, la Raison se dote de l'outil que sont les idées, ces « concepts nécessaires » (notwendige Begriffe). Relisons Kant :

De même que l'entendement a[vait] besoin des catégories pour l'expérience, de même la raison contient en elle-même le fondement sous lequel je comprends des concepts nécessaires dont l'objet ne peut pour ainsi dire lui être donné par aucune expérience16.

Nous touchons ici chez Kant à une ligne de partage analogue, dirait-il, à celle qu’est dans la Genèse la voûte qui sépare les Eaux, en établissant une séparation entre celles au-dessus de la voûte et celles en dessous. Chez Kant, la ligne de partage va séparer le domaine de l’entendement (Verstand) de celui de la raison (Vernunft), chacun des domaines ayant ses pouvoirs propres au service d’une finalité propre, ses matériaux et son mode de fonctionnement propres. Ainsi chacun des deux domaines est-il défini et caractérisé par rapport à celui qui lui est complémentaire (la connaissance a besoin de la complémentarité des deux) : l’entendement est défini comme le pouvoir des règles, tandis que la raison l’est comme le pouvoir des principes17 :

Si nous disons de l’entendement qu’il est le pouvoir de ramener les phénomènes à l’unité au moyen des règles, il faut dire de la raison qu’elle est la faculté de ramener à l’unité les règles de l’entendement au moyen de principes. Elle ne rapporte donc jamais immédiatement ni à l’expérience, ni à un objet quelconque, mais à l’entendement, afin de procurer a priori et par concepts aux connaissances variées de cette faculté une unité qu’on peut appeler rationnelle et qui est entièrement différente de celle que l’entendement peut fournir18.

qui traduisons. Cf. KRV, p. 407 / CRP, p. 271 (« ils peuvent servir à l'entendement de canon (de règle… »).

15 « Die Ideen schafft sich die Vernunft selbst. », KL, p. 259.

16 « Sowie also der Verstand der Kategorien zur Erfahrung bedurfte, so enthält die Vernunft in sich den Grund zu Ideen, worunter ich notwendige Begriffe verstehe, deren Gegenstand gleichwohl in keiner Erfahrung gegeben werden kann. », KL, p. 258.

17 « Dans la première partie de notre logique transcendantale nous avons défini l’entendement [comme] le pouvoir des règles ; nous distinguerons ici la raison de l’entendement, en la nommant le pouvoir des principes. », CRP, p. 255 / « Wir erkläreten, im ersten Teile unserer transzendentalen Logik, den Verstand durch das Vermögen der Regeln; hier unterscheiden wir die Vernunft von demselben dadurch, daß wir das Vermögen der Prinzipien nennen wollen. », KRV, p. 382.

18 CRP, p. 256 (C’est nous qui soulignons.) / KRV, p. 384 : « Den Verstand mag ein Vermögen der Einheit der Erscheinungen vermittelst der Regeln sein, so ist die Vernunft das Vermögen der Einheit der Verstandesregeln unter Prinzipien. Sie geht also niemals zunächst auf Erfahrung, oder auf irgend einen Gegenstand, sondern auf den Verstand, um den mannigfaltigen Erkenntnissen desselben Einheit a priori durch Begriffe zu geben, welche Vernunfteinheit heißen mag, und von ganz anderer Art ist, als sie von dem Verstande geleistet werden kann. »

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Ce sont les idées, ces principes régulateurs de la raison pure, qui vont permettre par une série de niveaux et d’emboîtements – de la sensibilité à l’entendement et de l’entendement à la raison – qu’à partir du divers et de l’empirique naissent de l’homogène et de l’unité :

L’entendement joue, par rapport à la raison, le même rôle que la sensibilité par rapport à l’entendement. L’objet de la raison est de constituer l’unité systématique de tous les actes empiriques possibles de l’entendement, de même que celui de l’entendement est de relier par des concepts le divers des phénomènes et de le soumettre à des lois empiriques19.

Les concepts vont se répartir de même d’après leur assise, selon qu'elle est établie dans le monde de l’entendement ou dans celui de la raison. À nouveau passe une ligne de partage séparant les « concepts nécessaires20 » que sont les idées et qui sont indépendants de tout objet (aucun ne lui étant adéquat) des concepts qui ne sont pas des idées et qui, eux, sont dépendants des objets pour pouvoir être formés. Si nous prolongeons ce rapprochement avec la Genèse, nous pourrions dire que ces derniers appartiennent à « la Terre des objets » (qui relève du champ de l’expérience), tandis que les premiers (les concepts nécessaires) appartiennent au « ciel des idées » (qui n'en relève pas). Et si, pour Kant, « en face » des concepts il y a des « objets » (étendus dans l'espace), il ressort qu'« en face » des idées, il y a la « totalité », l’« inconditionné absolu » :

Les idées sont établies du point de vue du Tout, de la Totalité, de l'inconditionné absolu et guident la recherche vers ce Tout, afin de montrer qu'aucune des limites atteintes par l'analyse et la synthèse est dernière, infranchissable. Le Tout absolu de l'expérience n'est pas donné, mais il est donné comme tâche à la pensée de se mouvoir dans sa direction, sans qu'une fin soit vraiment possible. Il [nous] faut cependant penser et chercher comme si à [notre] connaître (voire à [notre] agir) était donné comme point de départ ou comme point d'arrivée un inconditionné absolu. Il n'y a que les idées qui permettent une systématisation d'ensemble de l'expérience, voire l'expérience elle-même21.

19 CRP, p. 464 / KRV, p. 692 : « Der Verstand macht für die Vernunft eben so einen Gegenstand aus, als die Sinnlichkeit für den Verstand. Die Einheit aller möglichen empirischen Verstandeshandlungen systematisch zu machen, ist ein Geschäfte der Vernunft, so wie der Verstand das Mannigfaltige der Erscheinungen durch Begriffe verknüpft und unter empirische Gesetze bringt. »

20 Cf. note 11.

21 « Die Ideen gehen vom Gesichtspunkt des Ganzen, der Totalität, des Unbedingten aus und lenken die Forschung nach diesem hin, um dadurch darzutun, dass keine erreichte Grenze der Analyse und Synthese als letzte, nicht weiter überschreitbare betrachtet werden darf. Das absolute Ganze der Erfahrung ist nicht gegeben, aber es ist dem Denken aufgegeben, sich in der Richtung zu ihm zu bewegen, ohne dass ein Abschluss wirklich möglich ist. Es muss aber so gedacht und geforscht werden, als ob ein Unbedingtes als Ausgangs- oder Endpunkt des Erkennens (bzw. des Handelns)

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La fonction que Kant assigne ainsi à l'idée est doublée d'une obligation qu'il adresse à la pensée : celle-ci doit se mouvoir dans leur direction si elle veut progresser. Ce ne sont certes pas des vérités qu'elles peuvent donner (seules les catégories établies par l'entendement « conduisent à la vérité, c'est-à-dire à l'adéquation des concepts avec l'objet22 ». Les idées ne produisent qu'une simple mais inévitable apparence, dont c'est à peine si l'on peut écarter l'illusion au moyen de la plus pénétrante critique23. Kant met en fait en garde contre le mauvais usage que nous pourrions faire des idées (comme d'ailleurs de l'entendement), les erreurs étant toujours attribuées aux défauts du jugement, jamais à l'entendement ni à la raison24.

Les trois idées de la raison pure que sont l'âme, le monde et Dieu, si elles ne permettent pas – n'ayant pas d'« usage constitutif » – de conduire à des vérités, de constituer des vérités25, n'en offrent cependant pas moins un appoint précieux. Outre que ces idées non seulement n'ont rien d'inaccessible à la raison humaine mais aussi qu'elles « lui sont tout aussi naturelles que le sont les catégories à l'entendement26 », elles lui assurent un rôle de régulateur, offrant à la raison « un usage régulateur

gegeben wäre. Die Ideen erst ermöglichen systematischen Erfahrungszusammenhang, wenn auch nicht Erfahrung überhaupt. », KL, p. 258. C'est nous qui traduisons. Kant recourt pourtant, ailleurs, au terme d'« objet » là où nous ne l'attendions pas : comme tous les « objets » des idées, Dieu n'est pas connaissable, cf. note 12. Mais Kant rappelle que la raison pure n'a pas de rapport immédiat, direct, avec les objets : « si la raison pure se rapporte aussi aux objets, elle n'a toutefois de rapport immédiat ni avec eux, ni avec leur intuition, mais seulement avec l'entendement et ses jugements. », CRP, p.

259 / KRV, p. 388.

22 CRP, p. 452 / KRV, p. 673 : « so wie die letztern zur Wahrheit, d. i., der Übereinstimmung unserer Begriffe mit dem Objekte führen. »

23 CRP, p. 452-453 / KRV, p. 673.

24 CRP, p. 453 / KRV, p. 674.

25 « Je soutiens donc que les idées transcendantales n'ont jamais d'usage constitutif qui fournisse à lui seul des concepts de certains objets », CRP, p. 453 / « So werden die transzendentalen Ideen allem Vermuten nach ihren guten und folglich immanenten Gebrauch haben. », KRV, p. 673. Notons également que « Les principes de la raison pure, au contraire, ne peuvent pas être constitutifs, même par rapport aux concepts empiriques, parce qu'aucun schème correspondant de la sensibilité ne peut leur être donné et qu'ainsi ils ne peuvent avoir aucun objet in concreto. », CRP, p. 464 / KRV, p. 692 :

« Prinzipien der reinen Vernunft können dagegen nicht einmal in Ansehung der empirischen Begriffe konstitutiv sein, weil ihnen kein korrespondierendes Schema der Sinnlichkeit gegeben werden kann, und sie also keinen Gegenstand in concreto haben können. »

26 CRP, p. 452 / KRV, p. 673 : « daß transzendentale Ideen ihr [der menschlichen Vernunft] eben so natürlich sein, als dem Verstande die Kategorien. »

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excellent et indispensablement nécessaire27 ». Kant présente ainsi cet appoint décisif :

celui de diriger l'entendement vers un certain but qui fait converger les lignes de direction que suivent toutes ses règles en un point qui, pour n'être, il est vrai, qu'une idée (focus imaginarius), c'est-à-dire un point d'où les concepts de l'entendement ne partent pas réellement, – puisqu'il estentièrement placé hors des bornes de l'expérience, – sertcependant à leur procurer la plus grande unité avec la plus grande extension28.

Et Kant met en garde contre un mauvais usage du principe de l'unité systématique qui consiste à le renverser :

La fausse interprétation du principe de l'unité systématique est celui de la raison renversée (perversa ratio, usteron proteron rationis). […] on fait tout le contraire [de ce qu'il faut faire] : on commence par prendre pour fondement la réalité d'un principe de l'unité finale considérée comme hypostatique et par déterminer, d'une manière anthropomorphique, le concept d'une intelligence suprême, parce que ce concept est en soi tout à fait inaccessible, et l'on impose ensuite des fins à la nature, d'une manière violente et dictatoriale, au lieu de les chercher, comme il convient, par la voie de l'investigation physique29.

Autrement dit – et nous nous rapprochons de nos préoccupations liées à la Genèse – si l'on commence par prendre d'abord pour fondement (si l'on hypostasie) la réalité d'un principe de l'unité finale, c'est-à-dire si l'on prend d'abord pour fondement un être ordonnateur suprême, on rend impossible la considération de l'unité naturelle. La réalité de ce principe est alors en effet

27 CRP, p. 453 / KRV, p. 675 : « Dagegen haben sie einen vortrefflichen und unentbehrlich- notwendigen Gebrauch. »

28 CRP, p. 453-454 / KRV, p. 675 : « nämlich den Verstand zu einem gewissen Ziele zu richten, in Aussicht auf welches die Richtungslinien aller seiner Regeln in einen Punkt zusammenlaufen, der, ob er zwar nur eine Idee (focus imaginarius), d. i. ein Punkt ist, aus welchem die Verstandesbegriffe wirklich nicht ausgehen, indem er ganz außerhalb den grenzen möglicher Erfahrung liegt, dennoch dazudient ihnen die größte Einheit neben der größten Ausbreitung zu verschaffen. » Cf. aussi CRP, p.

464 / KRV, p. 692.

29 CRP, p. 479 / KRV, p. 715 : « Der zweite Fehler, der aus der Mißdeutung des gedachten Prinzips der systematischen Einheit entspringt, ist der der verkehrten Vernunft (perversa ratio, usteron proteron rationis). […] Anstatt dessen kehrt man die sache um, und fängt davon an, daß man die Wirklichkeit eines Prinzips der zweckmäßigen Einheit als hypostatisch zum Grunde legt, den Begriff einer solchen höchsten Intelligenz, weil er an sich gänzlich unerforschlich ist, anthropomorphistisch bestimmt, und denn der Natur Zwecke, gewaltsam und diktatorisch, aufdringt, anstatt sie, wie billig, auf dem Wege der physischen Nachforschung zu suchen. »

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entièrement étrangère à la nature des choses et contingente, et elle ne peut plus être connue au moyen de lois générales de la nature. De là résulte un cercle vicieux dans la démonstration, puisqu'on suppose ce qu'on devrait proprement démontrer30.

Kant, ne commettant pas l'erreur qu'il nous signale, loin donc d'hypostasier ce principe, nous renvoie au principe régulateur comme étant une idée qui veut qu'on suppose absolument31. Pour Kant, l'« idée » de Dieu, le « principe régulateur », permet précisément (et contrairement à toute hypostase de l'Idée) « d'instaurer le plus haut degré d'unité dans l'expérience32 ». Cette « idée » n'est pas, nous l'avons vu, un principe qui sert à « expliquer les phénomènes », mais elle est ce qui garantit l'unité permettant de « concevoir toute mise en relation dans le monde comme découlant d'un principe se nécessitant lui-même33. »

Si – et cette considération de Kant assurera la transition pour nous reconduire au texte de la Genèse – on ne doit pas hypostasier l'idée de ce principe, Dieu, alors l'on « voit clairement que l'idée de cet être, comme toutes les idées spéculatives, ne signifie rien de plus sinon que la raison exige que l'on considère chaque liaison du monde suivant les principes d'une unité systématique, c'est-à-dire comme si toutes étaient sorties d'un être unique embrassant tout, comme d'une cause suprême et parfaitement suffisante34. »

*

Dans le texte de la Genèse, nous voyons comment ce principe kantien d'unité, ce principe « régulateur » doté d'une parfaite autonomie (ein durch sich selbst

30 CRP, p. 479-480 / KRV, p. 716 : « Denn sie ist der Natur der Dinge ganz fremd und zufällig, und kann auch nicht aus allgemeinen Gesetzen derselben erkannt werden. Daher entspringt ein fehlerhafter Zirkel im Beweisen, da man das voraussetzt, was eigentlich hat bewiesen werden sollen. »

31 CRP, p. 479 / KRV, p. 715-716.

32 « Für die theoretische Vernunft ist Gott nicht ein der Erklärung der Erscheinungen dienendes Prinzip, sondern ein 'regulativer' Begriff, um höchste Einheit in die Erfahrung hineinzubringen, indem alle Verbindung in der Welt so angesehen wird, als ob sie aus einem durch sich selbst notwendigen Prinzip entspränge. » Le rationalisme de Kant est une charge explosive contre les conceptions religieuses de l'époque : le concept de Dieu, apte au (seul) domaine du religieux (« Der für die Religion taugliche Begriff »), n'a aucune validité pour expliquer la nature : « denn zum Behuf der Naturerklärung, mithin in spekulativer Hinsicht, brauchen wir ihn [den Begriff Gott] nicht. »), KL, p.

217.

33 Ibid.

34 CRP, p. 476 / KRV, p. 710 : « und da zeigt es sich klar, daß die Idee desselben, so wie alle spekulative Ideen, nichts weiter sagen wolle, als daß die Vernunft gebiete, alle Verknüpfung der Welt nach Prinzipien einer systematischen Einheit zu betrachten, mithin als ob sie insgesamt aus einem einzigen allbefassenden Wesen, als oberster und allgenugsamer Ursache, entsprungen wären. »

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notwendiger Prinzip) se dévide en quelque sorte, donnant progressivement naissance à la diversité. Au commencement, le principe fonctionne en parfaite autonomie. Une unique matière (une singularité non-nombrable) se divise (par elle-même), donnant naissance – en même temps qu'elle crée les éléments et les « espèces » plurielles – à la pluralité, au nombre, ainsi qu'au quantificateur « deux ». Les premières distinctions sont opérées par le seul principe des contraires, assis sur la matière d'abord (A et non A : jour–nuit, sec–humide), sur la vie ensuite (vivants marins et vivants volants). L'appareil sémantique, de la plus extrême sobriété, ne mobilise lui aussi qu'une seule distinction « les vivants qui volent » / « les vivants qui grouillent » pour prendre en charge le tout des activités du vivant. Les formes nominales (toutes des lexèmes de rang supérieur) assurent elles aussi leur part à l'unicité : elles saisissent des « entiers » (en allemand : Baum, Getier, Gras, Kraut) qu'il n'est pas (encore) besoin de spécifier, la diversité recevant pour toute expression le syntagme prépositionnel « selon leur espèce » (ein jeder nach seiner Art, Genèse 1,11 et passim35).

De même, nous pouvons observer ce « principe régulateur » à l'œuvre dans la procédure de production de la parole (du Créateur) puisque, considérée du point de vue de l'étude linguistique, elle aussi fonctionne, comme nous allons le voir, en parfaite autonomie, tant pour concevoir des concepts que pour actualiser ceux-ci.

La caractéristique essentielle que reconnaît Kant au « principe régulateur », un mode d'être et de conscience doté d'une seule et unique temporalité (le présent éternel), nous la retrouvons gouvernant la parole divine : aussi bien dans l'immédiateté du surgissement des concepts mobilisés dans celle-ci que dans le type des énoncés produits (ceux recueillis par le texte de la Genèse). Citons Kant :

De même je vois que, étant donné que les choses qui se succèdent dans le monde se trou- vent sous son pouvoir, qu'il ne se fixe pas par là même un repère temporel dans cette suite, et que partant, de son point de vue à lui, rien n'est passé ou à venir36.

Le principe régulateur échappe à l'emprise de la successivité temporelle : la temporalité doit être restreinte au monde ; elle ne doit pas être reportée sur le principe créateur, sur Dieu. La catégorie de la successivité n'est pas adéquate – pas

35 Cf. DAVIET-TAYLOR, F., « Du tracé de la ligne dans la Genèse …, art. cit.

36 « Ebenso sehe ich ein, dass, indem die aufeinander folgenden Dinge der Welt unter seiner Gewalt sind, er dadurch sich nicht selbst einen Zeitpunkt in dieser Reihe bestimme, mithin dass in Ansehung seiner nichts vergangen oder künftig ist. », Untersuchung über die Deutlichkeit der Grundsätze der natürlichen Theologie und der Moral, Btr. §1 (V1,142), cité dans KL, Gott, p. 217. Sinon, il appartiendrait au monde et il n'appartient pas au monde (« indem es [= dasjenige Wesen, von welchem alles abhängt] alsbald mit zur Welt gehören würde. »)

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plus que ne l'est le concept – à l'Idée qu'est l'« être le plus élevé et extra-mondain », au principe régulateur de la Raison.

*

Que pouvons-nous dire dès lors de l'« activité de cet entendement divin », cet entendement qui échappe à la loi de la successivité, à partir de l'analyse de ses paroles ?

Nous sommes au Commencement, où la non-distinction est le principe en ce qui concerne l'espace et le temps, c'est-à-dire le règne de l'Un, de l'unique, de l'absence de la diversité (et de la pluralité). Nous sommes dans la « pensée » du principe régulateur : de son point de vue, il n'y a pas de « phases » qui distingueraient ce qui est « à venir » de ce qui est « passé ».

Nous allons à nouveau consulter Kant, qui recherche la plus haute garantie et l'usage maximal de la faculté de Raison ; il investit l'idée de Dieu du pouvoir d'assurer cette garantie. Dieu n'est pas un « être suprême », mais le principe qui assure la relation à l'unité systématique du monde38. Relisons Kant :

Nous pouvons concevoir – selon l'analogie [que nous offrent] les réalités du monde, les substances, la causalité et la nécessité – un être qui possède dans la plus grande perfection, comme une raison autonome, tout ce qui est cause du tout du monde grâce aux idées de la plus grande harmonie et unité39.

Le « principe régulateur », la Raison autonome, étant ainsi conçus, nous sommes conduite à considérer que ce que ce principe, cette raison, produisent comme parole est de l'ordre de l'« unité », est gouverné par et relève de l'unité. C'est bien ce qui est le cas, si nous relevons, dans une traduction allemande de la Genèse, les énoncés impersonnels de cette parole, tous annoncés par Und Gott sprach :

(Gen. 3) Und Gott sprach: Es werde Licht ! Und es ward Licht. (Gen. 4) Und Gott sah, daß das Licht gut war. Da schied Gott das Licht von der Finsternis (Gen. 5) und nannte das Licht Tag und die Finsternis Nacht. Da ward aus Abend und Morgen der erste Tag. (Gen. 6) Und Gott sprach: Es werde eine Feste zwischen den Wassern, die da scheide zwischen den Wassern. (Gen. 7) Da machte Gott die Feste und schied das Wasser unter der Feste von dem

38 « Ich denke mir nur die Relation eines mir an sich ganz unbekannten Wesens zur grössten systematischen Einheit des Weltganzen, lediglich um es zum Schema des regulativen Prinzips des grösstmöglichen Gebrauchs meiner Vernunft zu machen. », KL, Gott, p. 218.

39 « Wir können uns nach der Analogie der Realitäten in der Welt, der Substanzen, der Kausalität und der Notwendigkeit ein Wesen denken, das alles dieses in der höchsten Vollkommenheit besitzt, als 'selbständige Vernunft', was durch Ideen der grössten Harmonie und Einheit Ursache vom Weltganzen ist. », KL, Gott, ibid.

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Wasser über der Feste. Und es geschah so. (Gen. 9) Und Gott sprach: Es sammle sich das Wasser unter dem Himmel an besondere Orte, daß man das Trockene sehe... (Gen. 10) Und Gott nannte das Trockene Erde, und die Sammlung der Wasser nannte er Meer40.

Ce qui se produit en effet dans ces énoncés (de nature injonctive) – et le mode du subjonctif est ici encore l'un de ces marqueurs d'antécédence de l'affirmant sur l'affirmé41 – est de l'ordre de l'un, ordre instauré par la nature impersonnelle de l'énoncé et la valeur « unifiante » qu'y prend le neutre es42. Le thème fonctionne en économie totale de nomination43, puisqu'il n'est pas procédé à une détermination de la « pure » fonction de sujet contenue dans l'indication de personne (la 3e personne) : le prédicat est posé de manière « absolue », enté qu'il est sur es, c'est-à-dire un support minimal d'extension maximale aussi vague et inexprimable que l'environnement spatial pur et simple44. Es renvoie à l'environnement spatio-temporel immédiat du locuteur. Ce que nous avions écrit il y a plusieurs années trouve ici, dans l'exégèse de ces énoncés bibliques, outre une extension, un écho.

Nous avions déjà essayé de remonter à cet « amont » du discours et en avions trouvé une manifestation, celle que la particule ge- (dans le verbe composé en ge- du moyen-haut-allemand) réalise : elle installe un aspect incidant à la phrase entière, propre à l'acte d'énonciation tout entier, et non plus au seul verbe perfectif45. De même, la structure impersonnelle « suspend » toute distinction entre substantif et verbe : « il pleut », c'est-à-dire « de la pluie se produit46. » La même structure impersonnelle survient dans la Genèse, dans une nécessaire immédiateté : « Es werde Licht! » / « Que la lumière soit ! » / « Qu'il soit de la lumière ! » Cette injonction suppose une mise en place « immédiate » de mécanismes et d'outils (lexicaux, morphologiques, syntaxiques) ; elle suppose d'autre part l'existence des concepts. Étaient-ils là de tout temps ?

40 Cf. Die Bibel oder die Ganze Heilige Schrift des Alten und Neuen Testaments nach der Übersetzung Martin Luthers, Stuttgart, Württembergische Bibelanstalt Stuttgart, 1978. Nous donnons la traduction de la TOB : (Gen. 4) Dieu vit que la lumière était bonne. Dieu sépara la lumière de la ténèbre. (Gen.

5) Dieu appela la lumière « jour » et la ténèbre il l’appela « nuit ». (Gen. 6) Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux ! » (Gen. 7) Dieu fit le firmament et il sépara les eaux inférieures au firmament d’avec les eaux supérieures. (Gen. 8) Dieu appela le firmament « ciel ». (Gen. 9) Dieu dit : « Que les eaux inférieures au ciel s’amassent en un seul lieu et que le continent paraisse ». Il en fut ainsi. (Gen. 10) Dieu appela « terre » le continent et

« mer » l’amas des eaux.

41 Cf. DAVIET-TAYLOR 1993. Dans la chronogenèse du temps, le subjonctif précède l'indicatif, comme le montre l'œuvre maîtresse de G. GUILLAUME, Temps et Verbe.

42 Cf. DAVIET-TAYLOR 1989 et 1998.

43 Cf. DAVIET-TAYLOR 1989, p. 52.

44 Cf. DAVIET-TAYLOR 1989, p. 53.

45 Cf. DAVIET-TAYLOR 1997, 1998, 2003.

46 Cf. DAVIET-TAYLOR 1988.

(12)

*

Jean, au début de son Évangile, dit : « Au début était le Verbe et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu. » Revenons aux considérations de Kant qui peuvent peut-être jeter un rai de lumière sur cette parole énigmatique de Jean.

Dans l'entendement humain, il faut en effet, selon Kant, la complémentarité d'un percevoir (d'un perçu) et d'un penser (d'un conçu) pour qu'il y ait un « penser » :

« sans concept l'objet est certes “donné”, mais il n'est pas “pensé” ; sans perception il peut y avoir du pensé, mais aucun objet n'est donné47. »

Or, l'activité de pensée du principe régulateur n'étant soumise à aucune distinction, elle n'est pas soumise à la distinction des deux domaines instaurés : la distinction de l'intuition (Anschauung) et du concept (Begriff). Elle n'est pas non plus soumise à la distinction existant, à l'intérieur du champ du concept, entre le général et le particulier (cette dernière distinction étant fondée sur la pluralité d'objets). Le deuxième volet de la formule kantienne (« sans perception il peut y avoir du pensé, mais aucun objet n'est donné ») pourrait cependant fournir une analogie de situation de ce que nous essayons d'imaginer. Nous pourrions dire que se trouve inversé (dans, ou pour le principe) l'ordre qui, dans notre entendement, régit le domaine du concept(uel) : les entités que sont les concepts sont construites (pour l'entendement humain) à partir de représentations générales, de représentations qui sont communes à plusieurs objets48.

Or dans l'entendement divin à l'œuvre dans la Genèse, imaginé à partir de notre entendement humain, les concepts « précèdent » les objets. Il n'y a donc pas de

« construction » de concepts par l'entendement suivant les étapes que Kant a décrites – la comparaison, la réflexion et l'abstraction –, lesquelles présupposent par ailleurs une pluralité d'existants à partir desquels ces activités de l'intellect peuvent être conduites49.

47 « Ohne Begriff wird der Gegenstand zwar 'gegeben', aber nicht 'gedacht', ohne Anschauung wird gedacht, aber ist kein Gegenstand gegeben. », KL, p. 59.

48 « Der Begriff ist der Anschauung entgegengesetzt ; denn er ist eine allgemeine Vorstellung oder eine Vorstellung dessen, was mehreren Objekten gemein ist. », KL, p. 58.

49 KANT, I. « Die logischen Verstandsakte, durch welche Begriffe erzeugt werden, sind 1. die Komparation, d. i. die Vergleichung der Vorstellungen untereinander im Verhältnisse zur Einheit des Bewusstseins, 2. die Reflexion, d. i. die Überlegung, wie verschiedene Vorstellungen in einem Bewusstsein begriffen sein können, und 3. die Abstraktion oder die Absonderung alles übrigen, worin die gegebenen Vorstellungen sich unterscheiden. Die Abstraktion ist nur die negative, die Komparation und Reflexion die positive Bedingungen der Begriffsbildung. », KL, p. 59.

(13)

Cette précession des concepts sur les objets, c'est ce que nous dit la parole de Jean.

*

La Genèse offre ainsi un texte-limite, car les procédures décrites échappent au cadre des réflexions de l'entendement humain. Il se produit des inversions en série ainsi que des phénomènes suspendant toute successivité, conduisant à des manifestations variées d'immédiateté. Nul besoin de temps ni de pluralité d'objets : les concepts sont là, n'ont pas été construits. Les trois étapes de la production de concepts ne se trouvent-elles pas elles aussi inversées, voire confondues, comme les termes de la perfectivité (la fin se produisant d'emblée) ? De même pourrions-nous continuer d'interroger la lettre du texte de la Genèse et demander, selon les lois de notre entendement, d'où provient le concept de « bon » qui permet à Dieu d'émettre son jugement sur son œuvre accomplie :

(Gen. 16) Und Gott machte zwei grosse Lichter : ein grosses Licht, das den Tag regiere, und ein kleines Licht, das die Nacht regiere, dazu auch die Sterne. (Gen. 17) Und Gott setzte sie an die Feste des Himmels, dass sie schienen auf die Erde (Gen. 18) und den Tag und die Nacht regierten und schieden Licht und Finsternis. Und Gott sah, dass es gut war50.

Existerait-il donc aussi un « modèle » antérieur auquel le nouvel élément créé pourrait être comparé ? Si la Genèse fond le pensé, l'ordonné, le créé, et le jugé en un seul et même événement, nous avons pu estimer, avec Kant, l'abîme qui sépare cette immédiateté et cette unicité des emboîtements de procédures et de niveaux auxquels le philosophe de Königsberg rapporte le fonctionnement de la pensée de l'homme.

L'architectonique de Kant s'arrête devant cet abîme.

Françoise DAVIET-TAYLOR CERIEC, EA 922 / CIRPALL, EA 7457,

Université d’Angers, SFR Confluences, 5bis bd Lavoisier, 49045 ANGERS cedex 01 FRANCE

50 Traduction de la TOB : (Gen. 16) Dieu fait les deux grands luminaires, le grand luminaire pour présider au jour, le petit pour présider à la nuit, et les étoiles. (Gen. 17) Dieu les établit dans le firmament du ciel pour illuminer la terre, (Gen. 18) pour présider au jour et à la nuit et séparer la lumière de la ténèbre. Dieu vit que cela était bon. A. Chouraqui traduit : « Elohîm voit : quel bien ! »

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Françoise DAVIET-TAYLOR

CERIEC (EA 922) CIRPALL (EA 7457), Université d’Angers, SFR Confluences,

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