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S U P P L É M E N T
Figure 1. Coût-effi cacité : interprétation graphique.
Différence de coûts (+)
Différence d’efficacité (+) IV
III
Dominée
Dominante
Frontière d’efficience
I
II (–)
(–) Ck < Cj & Ek < Ej
Ck < Cj & Ek < Ej
Stratégie référence J
Ratio = C/E
Ratio = C/E
Évaluation médico-économique et accès à l’innovation
Dr N. Charbonnier (Paris)
Méthodes d’évaluation médico-économique
D’après la communication de S. Loubière (Assistance publique – Hôpitaux de Marseille, faculté de médecine, Marseille)
Le contexte
La rareté des ressources, qui doit être prise en compte dans les décisions médico-économiques, signifi e qu’il n’est pas possible de faire tout ce qui est techniquement faisable, ce qui revient à identifi er un ensemble de cri- tères pour faire des choix parmi diff érentes utilisations possibles des ressources.
Ainsi, le choix de l’allocation des ressources passe par ce que l’économiste appelle la “recherche de l’effi ca- cité comparée des usages alternatifs”, qui revient à optimiser l’utilité sous contrainte budgétaire. Cette démarche implique une analyse comparative des résultats cliniques et des coûts avec le calcul d’un ratio coût-effi cacité, témoin du coût additionnel par gain d’effi cacité et/ou d’un bénéfi ce net (expression des résultats en unités monétaires). Ces indicateurs permettent ensuite une réfl exion en termes de coût
d’opportunité : toute décision clinique d’engager un traitement ou une investigation diagnostique revient implicitement à sacrifi er la possibilité de consacrer les ressources ainsi consommées à d’autres usages, à satisfaire d’autres besoins ou les besoins d’autres individus.
Dans la pratique, 2 principes doivent être respectés : une comparaison des résultats et des coûts d’au moins 2 stratégies. Plusieurs méthodes sont utilisées pour réaliser ce type d’évaluation :
✓
l’analyse de minimisation des coûts, qui consiste à identifi er, parmi 2 stratégies aux conséquences iden- tiques (mortalité, morbidité, effi cacité, qualité de vie), celle qui minimise les coûts ;✓
l’analyse coût-effi cacité, la méthode la plus répan- due, qui s’intéresse à 2 stratégies, évalue et compare les diff érentiels d‘effi cacité et de coût, ce qui permet ensuite de calculer un ratio coût-effi cacité incrémental (fi gure 1). Cette démarche permet de répondre à la question : quel coût additionnel permettrait l’obtention d’une unité d’effi cacité additionnelle ?✓
l’analyse coût-utilité et la notion de QALYs consti- tuent un indicateur d’efficacité générique recom- mandé par la Haute Autorité de santé et de plus en plus utilisé par les économistes. Il s’agit de pondérer, dans chaque groupe, un critère clinique (par exemple, la survie) par la qualité de vie, pour exprimer un ratio qui tienne compte de la morbidité et de la mortalité.Au niveau individuel, l’objectif est de maximiser le nombre d’années de vie gagnées ajustées sur la qualité de vie. Le décideur compare les alternatives selon 2 critères : le critère d’effi cacité exprimé en années de vie gagnées ajustées sur la qualité de vie, et le critère de coût ;
✓
l’analyse coût-bénéfi ce, dérivée de l’analyse coût- effi cacité, prend en compte les coûts mais également les bénéfi ces mesurés en unités monétaires.La modélisation tente, à partir de données existantes variées (épidémiologiques, cliniques, qualité de vie, coûts), de représenter la réalité de façon plus ou moins simplifi ée pour obtenir, par exemple, une projection à long terme. Avec les progrès réalisés en biomathé- matiques, ces modélisations permettent d’évaluer, en
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temps, variabilité d’hypothèses), l’impact de plusieurs stratégies.
L’analyse de sensibilité est une étape indispensable de l’évaluation médico-économique, dont l’objectif est d’identifier les paramètres et les covariables qui ont une forte influence sur les résultats, de façon à vérifier la robustesse de ceux-ci. Plus élaborées, les analyses probabilistes permettent dans un même temps de faire varier l’ensemble des paramètres. On distingue plusieurs approches possibles : l’analyse de sensibilité univariée (l’impact d’un paramètre est étudié pour une combinaison donnée de valeur des paramètres restants), ou l’analyse multivariée (la variation simultanée de plusieurs paramètres est étudiée).
Applications au cancer du poumon : quelques exemples
Une publication du Lancet rappelait en 2013 le poids économique du cancer du poumon, estimé à environ 20 milliards d’euros en 2009 (1). Son impact sur le sys- tème de soins est très important et les innovations technologiques et thérapeutiques actuelles ainsi que leurs coûts associés posent la question de ce qui est économiquement acceptable en termes d’effi cience économique.
Premier exemple, à propos de la prévention et de l’évaluation du traitement de sevrage tabagique
Une étude publiée dans PLoS ONE en 2016 visait à éva- luer le coût-effi cacité d’une stratégie qui consisterait à proposer un remboursement total du traitement du sevrage tabagique global et à la comparer à la stratégie actuelle, où le traitement n’est qu’en partie pris en charge par l’assurance maladie (2). La méthodologie utilisée était une modélisation réalisée selon le modèle de Markov, à partir de données issues de la littérature ; les résultats étaient présentés sous la forme de ratios coût-effi cacité incrémentaux. Plusieurs scénarios ont été comparés, en faisant varier les taux d’adhésion de la population, le nombre de tentatives permettant le succès du sevrage et les taux de sevrage défi nitif ; ont été intégrées également les complications liées au tabagisme (cancer du poumon, maladies pulmo- naires et cardiovasculaires). Sur la base d’un taux de participation de 7,3 %, de 4 tentatives de sevrage taba- gique tous les 2 ans et d’une actualisation des coûts au cours du temps, les résultats indiquaient un ratio coût-effi cacité incrémental de l’ordre de 4 000 euros par année de vie gagnée.
Deuxième exemple : évaluation médico- économique de la recherche initiale
de biomarqueurs dans le CBNPC métastatique (étude française IFCT-PREDICT.amm)
Cette étude a été menée à partir de données rela- tives à une cohorte de 802 patients. Au total, les cas de 647 patients ayant bénéfi cié de la recherche d’au moins 1 biomarqueur (EGFR, KRAS, ALK) en première ou en deuxième ligne de traitement étaient comparés à ceux de 155 patients pour lesquels aucun résultat de biomarqueur n’était disponible au moment de l’ins- tauration du traitement. Les résultats ont montré, sur les populations appariées, que la survie des patients ayant bénéfi cié de la recherche de biomarqueurs était plus élevée que celle du groupe contrôle, avec un ratio coût-effi cacité incrémental de l’ordre de 5 000 euros par année de vie gagnée. Ces données témoignent d’une stratégie effi cace, en partie du fait d’une dimi- nution des coûts liés à la prise en charge des patients à l’hôpital.
Disparités régionales et socio-
économiques dans le cancer du poumon : étude TERRITOIRE
D’après la communication de C. Chouaid (centre hospitalier intercommunal de Créteil) Le programme TERRITOIRE, coordonné par un conseil scientifique composé de 10 experts en oncologie thoracique, a été mis en place afi n de décrire la prise en charge en France des patients atteints d’un can- cer bronchique, en fonction d’indicateurs géogra- phiques et de précarité. Ce travail a utilisé la base de données du PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information) qui regroupe, pour chaque patient hospitalisé, un grand nombre d’informations parmi lesquelles son parcours de soins à l’hôpital, ses caractéristiques sociodémographiques dont le lieu d’habitation, ses comorbidités, les consommations hospitalières, les soins en hospitalisation à domicile, les traitements, en particulier les médicaments pres- crits dans la liste en sus (médicaments coûteux). Ces données ont ensuite été croisées avec la densité de pneumologues et de médecins généralistes, l’indice de ruralité (densité de population dans le lieu d’habi- tation) et l’indice de défaveur sociale de la commune (défi ni selon plusieurs critères : le taux de chômage, le revenu moyen des ménages, le pourcentage de la population adulte diplômée, le pourcentage d’ouvriers dans la population active).
Évaluation médico-économique et accès à l’innovation
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Données épidémiologiques
La cohorte initiale de 2011 comprenait plus de 41 000 nouveaux cas de cancer bronchique, et plus de la moitié des patients avaient reçu le diagnostic à un stade déjà métastatique : le taux de survie à 1 an à partir du diagnostic était de 39,3 % en cas de maladie métastatique et de 70,8 % dans les cas non métasta- tiques. Ces chiff res de survie sont plus modestes que ceux généralement rapportés dans les essais cliniques,
mais ils concernaient une population générale, dif- férente de celles des essais cliniques, qui incluait les patients avec un statut de performance (PS) de 2 ou 3, les patients présentant des comorbidités et les patients n’ayant reçu aucun traitement. Plus de 40 % des patients présentant des métastases étaient pris en charge dans un hôpital général.
Le diagnostic au stade métastatique apparaît associé à l’indice de ruralité, avec un risque plus élevé pour
Figure 2. Diagnostic au stade métastatique et ruralité.
Urbaine
Semi-urbaine
Semi-rurale
Rurale
Ruralité Défaveur sociale
1 (référence) 1 (référence)
1,07 (1,00-1,15)
p = 0,04 1,03 (0,97-1,09)
p = 0,30 1,05 (0,99-1,11)
p = 0,09 1,06 (1,00-1,12)
p = 0,06 1,18 (1,10-1,27)
p < 0,0001
1,27 (1,17-1,37) p < 0,0001
Les plus privilégiés
Privilégiés
Défavorisés
Les plus défavorisés
0,5 1 1,5 0,5 1 1,5
Odds-ratios (IC95) ajustés pour l’âge, le sexe et les comorbidités Diagnostic au stade métastatique
Figure 3. CBNPC diagnostiqués à un stade métastatique : survie à 1 an, ruralité et défaveur sociale.
Ruralité Défaveur sociale
0,5 1 1,5 0,5 1 1,5
Urbaine Semi-urbaine Semi-rurale Rurale
1 (référence) 1 (référence)
0,90 (0,82-0,99) 0,92 (0,84-1,01)
0,94 (0,86-1,03)
0,93 (0,86-1,01) 0,93 (0,86-1,00) 0,86 (0,80-0,93) Les plus privilégiés
Privilégiés Défavorisés Les plus défavorisés
Odds-ratios (IC95) ajustés pour l’âge, le sexe et les comorbidités Survie à 1 an : métastases au moment du diagnostic
Correspondances en Onco-Théranostic - Supplément au vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 2017 19 les patients habitant une commune de moins de
2 000 habitants (fi gure 2). La défaveur sociale semble aussi avoir un impact, mais non signifi catif (fi gure 2).
Chez les patients diagnostiqués à un stade métasta- tique, l’impact de l’indice de ruralité sur la survie à 1 an n’était pas signifi catif ; en revanche, la survie à 1 an était moins élevée chez les patients vivant en commune défavorisée (indice de défaveur sociale) [fi gure 3].
Pour les stades non métastatiques au moment du dia- gnostic, la survie à 1 an était signifi cativement impactée par le fait d’habiter dans une commune défavorisée (fi gure 3).
Diagnostic après un passage aux urgences Les résultats indiquent qu’au moment de l’étude, 21 % des patients recevaient un diagnostic et intégraient la fi lière des soins après un passage aux urgences, pour- centage qui était plus élevé chez les patients issus de territoires où l’accès aux médecins généralistes et aux pneumologues est diffi cile. Par ailleurs, une association très nette était observée entre les diagnostics réalisés aux urgences et les indices de défaveur sociale et de ruralité.
Accès à la chimiothérapie adjuvante
Alors que les hôpitaux généraux paraissaient très impli- qués dans la prise en charge des patients atteints de maladie métastatique, la chirurgie thoracique était principalement assurée par les CHU et certains centres privés. Parmi les 6 000 patients opérés pour un cancer bronchique, 1/4 recevait une chimiothérapie adjuvante, dans un délai après la chirurgie inférieur à 8 semaines dans 68,8 % des cas et supérieur à 8 semaines dans 31,2 % des cas. Le risque de ne pas recevoir de chimio- thérapie adjuvante était principalement associé, d’après cette étude, à l’existence de comorbidités, notamment
un diabète, mais aussi à la défaveur sociale (risque plus élevé chez les patients défavorisés ou intermédiaires défavorisés).
Accès aux médicaments de la liste en sus
Pour cette analyse, les données disponibles provenaient uniquement des établissements hospitaliers publics et concernaient les 2 molécules inscrites sur la liste en sus en 2011 pour le cancer du poumon dans cette indica- tion : le bévacizumab et le pémétrexed. Globalement, 60 % des patients avaient reçu un médicament de la liste en sus à un moment donné de leur prise en charge : les femmes et les patients âgés de moins de 55 ans et/ou sans comorbidités y avaient plus fréquemment accédé. On observe également une association entre la défaveur sociale et l’accès à ces molécules.
Ces données qui témoignent d’un moins bon pronos- tic chez les patients issus de territoires socialement défavorisés mériteraient une analyse plus approfon- die. Cette étude illustre l’intérêt et la puissance des bases de données pour analyser et croiser de multiples informations à très large échelle, qui permettraient une meilleure connaissance du contexte épidémiologique et une meilleure compréhension des pratiques de prise en charge et des parcours de soins des patients. ■
1. Luengo-Fernandez R, Leal J, Gray A et al. Economic burden of cancer across the European Union: a population-based cost analysis. Lancet Oncol 2013;14(12):1165-74.
2. Cadier B, Durand-Zaleski I, Thomas D et al. Cost Eff ectiveness of Free Access to Smoking Cessation Treatment in France Considering the Economic Burden of Smoking-Related Diseases. PLoS One 2016;11(2):e0148750.
R é f é r e n c e s