HAL Id: tel-01004403
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01004403
Submitted on 11 Jun 2014
HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.
L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.
Gouvernance des ressources forestières au gabon : acteurs et enjeux
Armel Mouloungui
To cite this version:
Armel Mouloungui. Gouvernance des ressources forestières au gabon : acteurs et enjeux. Géographie.
Université d’Orléans, 2014. Français. �NNT : 2014ORLE1131�. �tel-01004403�
0
ÉCOLE DOCTORALE SCIENCES DE L’HOMME ET DE LA SOCIET É
LABORATOIRE CEDETE EA 1210
THÈSE présentée par :
Armel Gildas MOULOUNGUI
soutenue le :
pour obtenir le grade de : Docteur de l’université d’Orléans Discipline/ Spécialité : Géographie-Aménagement-Environnement
Gouvernance des ressources forestières au Gabon : acteurs et enjeux
THÈSE dirigée par :
M. Jean-Marc ZANINETTI Professeur, Université d’Orléans
M. Denis CHARTIER Maître de conférences, Unive rsité d’Orléans
RAPPORTEURS :
M. Moïse TSAYEM DEMAZE Maître de Conférences-HDR, Université du Maine
M. Hervé RAKOTO Professeur, Université de Bordeaux
___________________________________________________________________
_ JURY
M. Serge BAHUCHET Professeur, Muséum National d’Histoire Naturelle M. Moïse TSAYEM DEMAZE Maître de Conférences-HDR, Université du Maine
M. Hervé RAKOTO Professeur, Université de Bordeaux
M. Roland POURTIER Professeur émérite, Université Paris 1, Panthéon- Sorbonne
M. Jean-Marc ZANINETTI Professeur, U niversité d’Orléans
M. Denis CHARTIER Maître de Conférences, Université d’Orléans
UNIVERSITÉ D’ORLÉANS
i A mes parents, mon père, le défunt Jean Baptiste MOULOUNGUI
et ma mère Georgette BOUANGA PEFOUKA.
A
mon épouse Edna Marina
et mes enfants, Théophane et Théodora.
ii
REMERCIEMENTS
Ce travail est le fruit d un long processus qui, bien qu étant motivé par un profond désir d aboutissement et une passion pour la recherche, a été parsemé de doutes, d incertitudes, mais aussi de joie et de rencontres enrichissantes.
Je tiens donc à adresser mes sincères remerciements à celle foule innombrable de personnes qui d une manière ou d une autre, ont contribué à la réalisation de cette thèse.
Ces mots sont aussi, dans une certaine mesure, les vôtres.
Je voudrais remercier avant tout mon directeur de thèse, Monsieur Jean-Marc ZANINETTI, pour avoir accepté de diriger mes travaux depuis l année de Master et pour la rigueur dans le travail. Ensuite mon co-encadrant, Denis CHARTIER qui, le premier, a su me motiver pour me lancer dans cette aventure. Pour l accompagnement et les nombreux échanges aussi bien scientifiques qu hu mains, je vous en suis très reconnaissant.
Mes remerciements vont également ceux qui, à travers leur contribution, m ont permis de réaliser trois voyages d études au Gabon et de subvenir aux nombreux besoins du financement de la thèse. Entre les officiels et ceux qui ont fait le choix de rester anonymes, la liste est longue. Je voudrai toutefois citer : l Etat gabonais qui m a accordé une bourse pendant 4 ans ; le CEDETE et l Ecole doctorale et les bénévoles de l association (abitat et Humanismes pour leur contribution dans le financement du dernier voyage ; Hervé et Françoise LEBLANC, Jean Paul et Sylviane PELLEGRIN, le père Jean Marc ECHEYNNE, la famille BOUILLEAU et les paroissiens de Saint Yves de La Source et de Saint Marceau, pour leur soutien.
Sur le terrain, l accès à l information n a pas toujours été facile. Merci donc à :
Annie MAROGA (assistante exécutive, ANPN), Emile MANFOUMBI KOMBILA (secrétaire exécutif adjoint de l ANPN , Monsieur N S)TOU Ministère des eaux et forêts , l es écogardes du parc national de Moukalaba doudou et ceux du parc national de Pongara …
Ulrich MABICKA (adjoint du commandant de la brigade de Moukalaba Doudou), Gaspard
ABITSI (WCS), Romain CALAQUE (WCS), Lucius Bède MOUSSAVOU (WWF), Constant
iii ALLOGO (CARPE-UICN), et tous mes informateurs qui ont souhaité rester dans l anonymat pour des raisons « politiques ».
Ma gratitude va aussi à :
- Bernard TERRANOVA, Sylvie CABARET et Sylviane PELLEGRIN, mes "relecteurs acharnés". Sans vous, ce travail serait un véritable nid de faut es d orthographe. Merci pour votre générosité.
- Brice Didier KOUMBA MABERT (CNDIO-GABON) et Khy-Meng NAY (BRGM) pour l aide à la réalisation des cartes .
Je ne saurai clore cette page de remerciements sans dire ma reconnaissance à ceux qui m ont permis d e tenir au plus fort de la tempête. Merci à :
- mes frères et sœurs, Alain, Sosthène, Edith, Lié, Rock, Estelle, Prisca, Emma, Aymar et Vanessa ;
- mes compagnons de joie et de galère : Jean Robert, Arnold et Sabine, Steeve et Tatiana, Charles et Christelle, Ariane, Léonard et Flore, Albéric, Rita, Thierry, Thècle, Laetitia…
Enfin, à tous ceux qui se reconnaitrons à travers ce modeste travail et qui ont été le « bon
samaritain » sur mon chemin. Au- delà de la thèse, j ai trouvé une famille. Merci !
iv
SIGLES ET ABREVIATIONS
AAC : Assiette Annuelle de Coupe AEF : Afrique Équatoriale Française
AFD : Agence Française de Développement ANPN: Agence Nationale des Parcs Nationaux APFT : Avenir des Peuples et Forêts Tropicales C&I : Critères et Indicateurs
CEFDHAC : Conférence sur les Ecosystèmes des Forêts Denses et (umides d Afrique Centrale
CARPE : Central Africa Regional Program for the Environment CFAD : Concessions Forestières sous Aménagement Durable
CIFOR : Center for International Forestry Research (Centre de recherche Forestière international)
CIRAD : Centre International de Recherche Agronomique pour le Développement CIRMF : Centre International de Recherches Médicales de Franceville
COMIFAC : Commission interministérielle des Forêts d Afri que
CNUED : Conférence des Nations Unies sur l Environnement et le Développement
DIARF : Direction des Inventaires, de l'Aménagement et de la Régénération des Forêts DFC : Direction de la Faune et de la Chasse
DGE : Direction Générale de l Environnement
ECOFAC : Écologie et Forêt en Afrique Centrale - Conservation et Utilisation ENEF : École Nationale des Eaux et Forêts
FAO : Organisation des Nations Unies pour l Alimentation et l Agriculture FFEM : Fonds Français pour l Environnement Mondial
FMI : Fonds Monétaire International
FORAFRI : Programme de Capitalisation et Transfert des Résultats des Recherches menées dans les Forêts Denses (umides d Afrique
FSC : Forest Stewardship Council GFW : Global Forest Watch
IRET : Institut de Recherches en Écologie Tropicale
IRSH : Institut de Recherches en Sciences Humaines
v MINEF : Ministère des Eaux et Forêts
NYZS : New York Zoological Society (Société Zoologique de New York) OIBT : Organisation Internationale des Bois Tropicaux
PFE : Projet Forêts et Environnement
PFBC : Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo
PEFC : Program for the Endorsement of Forest Certification schemes (Programme de Reconnaissance des Certifications Forestières)
PNAE : Plan National d Action E nvironnementale
PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement PNUE : Programme des Nations Unies pour l Environnement POGAB : Placages d Okoumé du Gabon
PAPPFG : Projet d aménagement des petits permis forestier du Gaboon PSFE : Programme Sectoriel Forêt-Environnement
REDD : Reducing Emissions from Deforestation and forest Degradation (Réduiction des emissions de gaz à effets de serre dues à la Déforestation)
SEGC : Station d Etude des Gorilles et des Chimpanzés SEPBG : Société d Exploitation des Parcs à Bois du Gabon SNBG : Société nationale des Bois du Gabon
TRAFFIC : Réseau de surveillance du commerce de la faune et de flore sauvages TREES : Tropical Ecosystem Environment Observations by Satellites
TRIDOM : Trinational Dja-Odzala-Minkébé UFA : Unité Forestière d Aménagement UFG : Unité Forestière de Gestion
UICN : Union Internationale pour la Conservation de la Nature
UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l Éducation, la Science et la Culture USAID: The United States Agency for International Development
USFWS: US Fish and Wildlife Service
WCS: Wildlife Conservation Society (Société pour la Conservation de la Nature) WRI : World Resources Institute – Institut des Ressoueces Mondiales
WWF: World Wildlife Fund - Fonds mondial de Protection de la Nature
ZACF: Zone d Attractio n du Chemin de Fer
vi SOMMAIRE
Dédicace
Remerciements Sigles et abréviations
INTRODUCTION GENERALE... 1
1. Contexte de l étude ... 1
2. Problématique et champ de l étude ... 17
3. Le cheminement de la recherche ... 20
4. Organisation du travail ... 21
Première partie LA GESTION FORESTIERE ENTRE RUPTURES ET CONTINUITES : FONDEMENTS CONCEPTUELS ET HISTORIQUES ... 25
Chapitre 1 : ENTRE FORET ET DEVELOPPEMENT DURABLE, LE TERRITOIRE. POUR UNE APPROCHE SPATIALE DES POLITIQUES FORESTIERES ... 27
1. La forêt : quête d’une identité ou conquête d’un consensus ? ... 27
1.1. La forêt : de quoi parle-t-on ? ... 28
1.2. La forêt : des fonctions communes aux perceptions divergentes... 33
2. La forêt, un territoire : espace de pouvoir, territorialité ... 47
2.1. Le territoire au cœur de la géographie ... 47
2.2. La forêt-territoire, un système dynamique et complexe ... 52
2.3. La forêt-territoire, un espace de pouvoir ... 53
3. La forêt durable : approche spatiale ... 56
3.1. La forêt durable : principes historiques et pratiques ... 56
3.2. La durabilité géographique ... 69
3.3. De la forêt à la forêt-territoire : quelle démarche méthodologique ? ... 71
Chapitre 2 : LA FORET GABONAISE ET LA « JUNGLE » DES POLITIQUES FORESTIERES ET ENVIRONNEMENTALES : POUR UNE SYSTEMOGENESE DE LA FORET-TERRITOIRE ... 79
1. Un pays "vert" au défi du développement…durable ... 79
1.1. Histoire de la forêt gabonaise ... 79
1.2. La végétation et le climat ... 82
1.3. Un relief relativement plat ... 91
2. « La forêt des hommes » ou « une forêt et des hommes » ... 93
2.1. La forêt, une donnée culturelle ... 94
2.2. Relations population-forêt ... 96
vii
3. Un modèle économique fondé sur l’extraction et l’exportation ... 100
3.1. Une économie à la remorque de son pétrole ... 100
3.2. La forêt, comme solution à l après pétrole ... 102
4. Une gestion forestière héritée du colonat : les vieilles habitudes ... 105
4.1. Une exploitation sur fond de croyance ancienne : le mythe de l inépuisabilité des ressources forestières ... 107
4.2. Une mise en valeur tournée vers le nord : une économie de pillage sur fond de ravage humain et écologique ... 111
4.3. L évolution de la législation forestière ... 123
5. Ruptures et permanences : du nouveau sur du vieux ... 134
5.1. Veilles habitudes ou persistance d un mythe ... 134
5.2. Le système des concessions forestières : un désengagement de l Etat ... 140
Conclusion partielle ... 146
Deuxième partie : GOUVERNANCE FORESTIERE ET DEVELOPPEMENT DURABLE: NOUVEAUX PARADIGMES, NOUVEAUX ACTEURS POUR UNE NOUVELLE GOUVERNANCE TERRITORIALE ... 147
Chapitre 3 : DE LA GOUVERNANCE FORESTIERE AU GABON : DYNAM)QUE D ACTEUR S POUR UNE NOUVELLE GOUVERNANCE DES TERRITOIRES ... 150
1. Les acteurs de la gestion forestière au Gabon ... 151
1.1. Quelle méthodologie ? ... 151
1.2. Typologie des acteurs ... 153
2. Les mutations de la gouvernance ... 187
2.1. Un chef en perte de repères ou stratégie politique ? ... 187
2.2. Les Agences, des ministères bis ? Le cas de l ANPN ... 191
2.3. Les ONG gabonaises : acteurs des « basses besognes » ... 198
2.4. De l appui -conseil à la prise de décision : le positionnement stratégique des ONG internationales ... 201
2.5. Matrice relationnelle : entre le "droit" et le "fait", le dédoublement du pouvoir ... 204
Chapitre 4 : LES NOUVEAUX "INITIES" A LA FORET GABONAISE. LE WWF, UNE INGERENCE ECOLOGIQUE ? ... 217
1. Approches conceptuelle et méthodologique des ONG ... 218
1.1. Comment et pourquoi définir une ONG ? ... 218
1.2. Méthodologie d analyse ... 227
2. Le WWF, de la protection des espèces menacées, à la gestion des territoires ... 230
2.1. Le WWF international : quelques repères ... 230
2.2. La création du WWF international dans le contexte des indépendances en Afrique ... 234
2.3. Structure, fonctionnement et stratégie d action: le réseau WWF ... 237
viii 2.4. Le WWF-Gabon, un acteur incontournable dans la gestion forestière et
environnementale ... 240
Chapitre 5 : LA WCS, DES PARCS ZOOLOGIQUES URBAINS A LA GESTION DES PARCS NATIONAUX ... 285
1. De la NYZS à la WCS : aux fondements idéologiques ... 285
1.1. Un contexte historique favorable ... 285
1.2. Un réseau de parcs zoologiques urbains pour la conservation ... 287
2. La WCS aujourd’hui : la conservation dans la continuité de la NYZS ? ... 289
2.1. Organisation institutionnelle et sources de financement ... 289
2.2. Des zoos à la conservation à grande échelle : un tournant dans la vision de l ONG ... 294
2.3. L approche «espèce -paysage» pour la conservation... 296
3. La WCS-Gabon : de la Lopé à la conquête du Gabon ... 298
3.1. Une « histoire de grands singes » liée au CIRMF ... 298
3.2. Organisation institutionnelle et stratégie actionnelle : une présence "sur tous les fronts" 303
4. Du « non-governmental » ou « governmental » ... 3214.1. Un parcours scientifique pour la conservation ... 322
4.2. Opportunité ou limite de l action WCS et des ONG ? ... 324
Conclusion partielle ... 330
Troisième partie : NOUVELLES POLITIQUES ET NOUVEAUX ACTEURS DANS LA DYNAMIQUE DU VILLAGE 332 Chapitre 6 : LES POPULATIONS DU PARC NATIONAL DE MOUKALABA DOUDOU DANS LE NOUVEAU SYSTEME DE GOUVERNANCE FORESTIERE ... 334
1. Quelques concepts opératoires : de l’ethnie à l’organisation clanique de l’espace... 336
1.1. De l ethnie à l identité ethnique ... 336
1.2. De la transcendance de l ethnie par le clan ? ... 340
- La solidarité clanique ... 341
1.3. Une société de type relationnel : le « village » comme référentiel de l identité communautaire et individuel ... 342
2. Les populations du parc national de Moukalaba Doudou et ses environs : des groupes sociaux fondés sur la parenté et la relation à l’autre ... 345
2.1. Le groupe ethnique punu : identité et territoire... 345
2.2. Les relations inter et intra ethniques : commerce, paix et conflits ... 350
2.3. Un peuple de forêt ... 358
3. Dynamique sociospatiale : construction du territoire et système de gestion ... 367
3.1. Une dynamique socio spatiale fondée sur l appartenance au clan ... 367
3.2. L organisation du pouvoir : entre pouvoir traditionnel et administration moderne ... 376
ix
3.3. Le rôle central du WWF ... 387
4. Réactions des populations : "adaptation" et instrumentalisation ... 395
4.1. Les "Faux- semblants", une stratégie d adaptation ... 395
4.2. Une adaptation "positive" fondée sur le principe de participation ... 397
4.3. Une adaptation négative : de protecteurs à destructeurs de la nature ... 402
Chapitre 7 : QUELLE FORET DURABLE AU GABON ? ... 406
1. La gouvernance des ONG internationales : l’arbre qui cache la forêt ... 406
1.1. Conservation, leadership et guerre idéologique ... 407
1.2. Les programmes "doublons" et les "faux amis" ... 420
1.3. La gouvernance des ONG est-elle démocratique ? ... 437
2. Quelques conditions de l’efficacité d’une gouvernance par les ONG internationales ... 444
2.1. De la représentativité à l adaptation positive : les comités de sag es du village et création d acteurs collectifs nationaux ... 444
2.2. Résorber la pauvreté rurale pour mieux préserver l environnement ... 450
3. De la gestion "décentralisée" ou le retour à la gestion étatique centralisée ? ... 456
3.1. Une nouvelle dynamique « centre » et « périphérie » dans la gestion des forêts ... 456
3.2. Le nouveau « centre » et la nouvelle « périphérie » ? ... 458
3.3. Ingérence écologique ou passiveté active ? ... 460
CONCLUSION GENERALE ... 462
BIBLIOGRAPHIE ... 475
TABLE DES ILLUSTRATIONS... 494
FIGURES ... 494
CARTES ... 495
TABLEAUX ... 495
PLANCHES ... 496
PHOTOGRAPHIES ... 497
ENCADRES ... 497
1 INTRODUCTION GENERALE
1. Contexte de l’étude
La forêt : une nouvelle ère forestière, un concept complexe, la consécration
La gestion et l avenir des forêts du monde concentrent aujourd hui des réflexions très directement articulées avec l orientation des politiques nationales (GNFT, . Lintérêt pour les forêts ne cesse ainsi de croitre tant les questions qu elles posent touchent à de nombreux enjeux planetaires et nationaux. Linstitution e n 2011 de lA nnée internationale des forêts, suivie depuis par de nombreuse initiatives internationales
1, dont le Sommet de Rio + est l expression la plus marquante, témoigne de cet intérêt. En proclamant l année internationale des forêts, l'organisation des Nations Unies a ainsi voulu célébrer le s forêts, rappeler ce qu elles apportent à l'humanité, mais aussi souligner que ces milieux sont aussi de plus en plus menacés à travers le monde
2.
Le débat grandissant sur les forêts a eu pour principal mérite de favoriser la vulgarisation des connaissances dans le domaine. Ainsi, des dirigeants politiques aux gestionnaires forestiers, des producteurs forestiers aux consommateurs de produits finis, une opinion publique de plus en plus informée, soucieuse de concilier préservation de l'environnement, protection sociale et performance économique a pu voir le jour. Selon la sociologue Nicole Eisner, la représentation dominante de la forêt est désormais associée au calme, à la sérénité, au ressourcement et à la vie, à la liberté et à un monde non marchand
3, pe ndant que dans les pays en développement, la forêt est toujours liée à d autres considérations (nourricière, habitat, ressources naturelles source de revenus...). Ainsi, pour les pays riches, la forêt n est plus seulement le simple réservoir de ressources dont la
1
En 2007, par exemple, au cours de la VIIe session du Forum des Nations Unies (FNUF), la communauté internationale adopte un instrument juridiquement non contraignant sur tous les types de Forêts (INCF) et son programme de travail pluriannuel (2008-2015)1. Ce résultat arrive après les « Principes Forestiers » adoptés en 1992 à Rio de Janeiro et les recommandations du Panel Intergouvernemental sur les Forêts ou encore le Forum Intergouvernemental sur les Forêts (IPF / IFF)
2
L année internationale des forêts a été proclamée le décembre , par l Assemblée Générale des Nations Unies. Les arguments avancés sont alors de «renforcer les initiatives visant à promouvoir la gestion durable, la préservation et le développement des forêts sur le plan mondial ». http://www.un.org/News/fr- press/docs/2006/GA10565.doc.htm (Consulté le 08/04/2011).
3
Cité par Christian Barthod, « le débat international sur la gestion des forêts » in Aménagement et nature,
N°115, automne 1994, p.145
2 vocation est de satisfaire une demande sans cesse croissante de matières premières (le bois, terres cultivables, produits non ligneux...)
4. Le discours forestier a évolué : du principe forestier traditionnel de rendement soutenu, on est passé à un nouveau paradigme, celui de la « gestion durable des forêts » (Barthod, 1995 ; Buttler et al. 2004). Le principe semble simple : il faut solliciter les ressources, tout en assurant leur régénération pour permettre aux générations actuelles et futures d en profiter. Pourtant, un des problèmes majeurs dans la mise en œuvre de la gestion durable des forêts provient de la définition même du concept et de son interprétation. En effet, selon les usages ou les acteurs, on constate qu'il existe une coexistence d in terprétations diverses concernant ce nouveau « principe » forestier.
Des instances internationales aux organismes travaillant sur la gestion forestière, chaque acteur a produit et utilisé sa propre définition (Lescuyer, 2004). Le concept de gestion durable a ainsi donné lieu à des initiatives diverses de la part d'organismes d évaluation, de coopération internationale ou de gestion forestière (Mrosek et al., 2005).
En dépit de son caractère complexe, la gestion durable des forêts a eu pour avantage, au sein du dialogue forestier international, de rejoindre les propositions et les attentes d un grand nombre d acteurs concernés par le développement forestier et la protection de l environnement. )l n est donc pas étonnant qu il se soit progressivement imposé, pour devenir le concept de référence des politiques forestières (Purnomo et al.
2005).
Une situation des forêts alarmante dans le monde
Malgré cette apparente prise de conscience collective de la nécessité de préserver les forêts, et contrairement aux changements climatiques, ou à la diversité biologique, qui ont fait l objet d un protocole d accords lors du sommet de Rio en , les
4
LONG Greenpeace s indignait après les propos de Nicolas Sarkozy qui avait déclaré en 2007 que les forêts tropicales africaines étaient une « ressource extraordinaire ». En faveur de la gestion durable, Greenpeace estimait que cette déclaration « choquante signifiait la poursuite par la France d'une politique tournée vers le soutien financier à l'exploitation industrielle des forêts tropicales et l'encouragement au pillage des ressources naturelles au détriment des populations forestières, de la biodiversité et du climat ». Le nouvel observateur,
« Greenpeace demande à Sarkozy de revoir sa position sur les forêts »,
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20090326.OBS0752/greenpeace-demande-a-sarkozy-de-revoir-sa-
position-sur-les-forets.html (consulté le 25/04/2013)
3 forêts ne bénéficient toujours pas d une réelle protection juridique internationale. Le dernier sommet de Rio+ , dont l un des principaux défis était la mise en place d une institution internationale pour la gouvernance mondiale des forêts, a vu ses tentatives échouer devant des lobbies d intérêts économiques fortement divergents dans un monde aussi concurrentiel que globalisé (Chartier et Foyer, 2012 : 117- . Pourtant, lAnnée Internationale des Forêts
5décidée par la résolution / de lAssemblée Générale des Nations Unies avait pour objectif d amener l ensemble des acteurs concernés gouvernements, organismes de l ON U, ONG, secteur privé...) à faire des efforts concertés de sensibilisation à tous les niveaux pour renforcer la gestion durable. Le terrain, pour ainsi dire, avait été bien préparé. Des actions en faveur de la conservation et le développement viable de tou s les types de forêts dans l intérêt des générations présentes et futures, devaient être organisées tout au long de l année, tant au niveau international que national pour marquer une adhésion collective à cette démarche. La gestion des forêts reste une question qui fait toujours débat.
Même si les efforts d intégration de la nouvelle donne aux politiques nationales ne manquent pas dans les pays forestiers
6, les divers engagements internationaux ont été sérieusement freinés et la mise en œuvre concrète des objectifs de gestion forestière durable enregistre de faibles résultats dans les différentes régions forestières
7. Ainsi on peut constater que les « bonnes intentions » des pays pour intégrer le principe de gestion durable dans leurs politiques et leurs stratégies forestières, dans le sens des textes internationaux engagés, n ont pas permis d éviter la déforestation et la dégradation, qui se poursuivent de façon continue jusqu à nos jours et plus particulièrement dans les pays pauvres. Comment expliquer cette inadéquation entre une opinion internationale qui semble s accorder sur le principe, et une difficulté réelle à diminuer la déforestation ? Quelques éléments de réponse sont fournis par le débat Nord-Sud sur la forêt comme le
5
Documents officiels du Conseil économique et social, 2011, Supplément N° 22 (E/2011/42), chap. I, Section A, projet de décision I ; voir également décision 66/543.
6
La plus part des pays forestiers ont signé les divers accords et conventions liés à la gestion forestière.
7
Dans un rapport préparé pour le sommet des trois bassins forestiers tropicaux (Brazzaville, du 31 mai au 03 juin , les experts de la FAO et de l O)BT soulignent : « La déforestation se poursuit à un rythme alarmant dans la plupart des pays et dans les trois bassins forestiers tropicaux. Ensemble, les 30 pays ont signalé une perte
nette de superficie forestière de , millions d hectares par an au cours de la décennie écoulée, soit , % par an.[...]le stock total de carbone dans les forêts s est réduit d environ , Gt par an pendant la période
-2010.[...]
Moins de 15% de la superficie forestière totale sont soumis à un plan d aménagement et , % seulement de la
superficie forestière totale sont considérés comme étant sous une gestion durable des forêts. À peine plus de 1
pour cent a fait l objet de certification. » (FAO/OIBT, 2011)4 note Guéneau : « Les gouvernements des pays tropicaux mettent en avant les potentialités de développement économique liées aux ressources forestières sur lesquelles ils exercent leur souveraineté. Les pays développés pour leur part insistent sur la conservation des biens et services, notamment écologiques, fournis par les forêts tropicales. Malgré la Déclaration sur les forêts, consensus minimal arraché en 1992 à Rio, la gestion durable des forêts tropicales se situe au cœur d enjeux économiques majeurs qui freinent sa mise en œuvre » (Guéneau, 2004 : . D une part, les pays développés plus portés par la prise en compte des fonctions sociales et écologiques de la forêt, optent pour une gestion qui allie exploitation et conservation. D autre part, les pays pauvres sont présentés comm e étant plus soucieux de leur développement économique que par la nécessité de préserver des ressources naturelles qui ont fait le développement des pays riches.
Dans ce contexte, les positionnements des acteurs impliqués dans ce débat apparaissent souvent divergents, voire contradictoires sous divers aspects, notamment en ce qui concerne la nature même des facteurs des forêts à mettre en valeur au moyen de l éventail des instruments des politiques forestières. Mais au -delà des rapports nord/sud, le débat international sur les forêts et surtout la situation des forêts du monde, met en lumière des questions qui persistent : comment définir aux échelles nationale et locale un nouvel équilibre forestier entre préoccupations environnementales et contraintes économiques ? En d autres termes, quel système de gestion adopter pour concilier exploitation des forêts et maintien de leur fragile équilibre ? Si la gestion durable constitue l approche idéale, comment l aborder tout en favorisant l adhésion entière des pay s forestiers en développement ?
La forêt pour le développement : de nouvelles conditionnalités
Une des stratégies va consister à réorienter le débat. La question n est plus de
savoir s il faut exploiter ou pas les ressources forestières, de savoir commen t faire
appliquer directement la préservation des forêts ou encore de mettre en place une
législation contraignante visant à limiter directement la déforestation. En partant du
constat selon lequel les régions des pays en développement à fort taux de pauvreté se
5 superposent fréquemment aux principaux bassins forestiers
8, les organisations internationales et les gouvernements des pays en développement, se sont concentrés à partir de l année sur les problèmes de pauvreté et donc d accès au développement.
Cette stratégie allait ainsi faire écho au sommet de Rio (1992) qui abordait conjointement l environnement et le développement
9. En 1999, une nouvelle stratégie forestière va être initiée et adoptée dès par le Conseil dAdministration de la Banque Mo ndiale
10. Cette stratégie va se décliner, en ce qui concerne la région dAfrique, en trois axes majeurs :
« ...mobiliser le potentiel des forêts pour lutter contre la pauvreté ; intégrer les forêts dans le développement économique durable et enfin, protéger les ressources de la forêt et promouvoir les services de l environnement. » (Topa et all., 2006 : 414).
En créant ce lien entre forêt et pauvreté, les instances internationales permettent ainsi d aborder le débat sur les forêts sous un aspect qui est pré senté comme profitable aux pays pauvres, dans la mesure o‘ l aide au développement peut s appliquer dans ces secteurs (FAO, 2006). La forêt est désormais présentée comme un moyen d atténuer la pauvreté et d accéder au développement. En ces sens, le débat sur les forêts trouve un point d accord entre pays développés et ceux qui le sont moins. Et cette démarche passe par une redéfinition des termes comme Pauvreté, Conditions de vie, gouvernance ou encore Responsabilité collective . S agissant du dernier conce pt, la FAO note que « la société, à tous ses échelons, a une responsabilité collective envers la réduction de l extrême pauvreté et la création de nouveaux types de liens sociaux entre les populations pauvres et non pauvres » (FAO, 2006 : 4). Une responsabilité collective qui s impose à tous, même aux pays pauvres, et surtout aux pays disposant de ressources pour réduire la pauvreté : la forêt est un atout majeur. Sur cette base, le débat international est-il centré sur les forêts ou vers le principe de développement qui a jusque-là caractérisé les relations internationales entre le nord et le sud : le développement ? La question demeure entière et
8
Pour exemple, la plupart des pays du bassin du Congo, second massif forestier de la planète, appartiennent au groupe des pays à développement humain moyen (Gabon, Sao Tomé, Guinée, Cameroun, Congo) entre la 117ème et la 136ème place ou au groupe à faible développement humain (RDC, RCA, Tchad) entre la 155ème et la 166ème place sur un total de 173 pays (UNDP 2002).
9
Le Sommet de Rio s inscrit dans le prolongement de la conférence internationale sur l environnemen t humain le premier Sommet de la Terre s étant déroulé en à Stockholm . Cette conférence a intronisé la notion de développement durable. Lire : http://www.debatpublic.fr/docs/Docs%20principes/Declaration-de- Rio-sur-l-environnement-et-le-developpement-durable.pdf (consulté le 24/04/2013)
10
Cette stratégie va donner lieu à des déclinaisons nationales comme les objectifs du millénaire pour le
développement OMD , dont l objectif numéro du Gabon est la réduction de la pauvreté d ici .
6 rappelle le caractère "normaliste" ou "dirigiste" d une « doctrine occidentale » prescrite (Rist, 1996) qui fai t des forêts tropicales le théâtre o‘ s affrontent des idéologies, des concepts, de pratiques diverses (Smouts, 2001).
Faire de la forêt un objet structurant des relations internationales, un outil pour réduire la pauvreté, est un processus qui va demander de revisiter aussi bien les processus que les acteurs dans un contexte où les dirigeants des pays en développement, notamment africains, n ont pas une image de bons gestionnaires de finances publiques. Plusieurs possibilités d actions vont être émises : la rémunération des services environnementaux rendus par les forêts est une des pistes envisagées. Dans la suite du protocole de Kyoto, sont entreprises des discussions internationales sur la manière de récompenser les pays tropicaux qui préserveraient leu rs forêts. Dans tous les cas, l accès aux financements de la forêt exige la mise en place d un cadre réglementaire et politique qui en permette la mise en œuvre. Après les politiques d ajustement structurel imposées par la Banque Mondiale dans les années 70 et 80 (Petit, 1993 ; Founou-Tchuigoua, 1994 ; World Bank, , l accès à l aide publique au développement De La Chapelle, ; Cling et al., 2003), ou aux mécanismes de réduction de la dette, passe désormais par l institution de la démocratie et de la bonne gouvernance (Sindzingre, 1995 ; Assogba, 2000 ; Campbell, 2002 ; Zacharie, 2004
11).
Gestion durable et bonne gouvernance, quel apport au débat forestier ?
La gestion durable évoque avant tout un mode de gestion du territoire et ses ressources. Elle renferme ainsi un e nsemble d action et techniques « respectueuses » des systèmes écologiques, économiques et sociaux relatifs à un territoire. Ici, la forêt. Ce mode de gestion est conçu et mis en œuvre par dans un système d acteurs, eux - mêmes œuvrant dans un ensemble d acteurs territorialisés. La gestion durable des ressources forestières revêt une importance cruciale aussi bien pour les gouvernements, la communauté
11
Selon Zacharie (2004), le concept de bonne gouvernance, ou gouvernance démocratique devient courant à la
fin des années 1990, à la faveu r des nouvelles conditionnalités de l aide octroyée aux pays en développement
par les institutions de financement internationales. Elles s appuient sur des études indiquant que
l insuffisance de la gouvernance est responsable de l enracinement de la pauvre té et des retards pris par le
développement. Il est aussi bien question de bonne gouvernance démocratique que de bonne gouvernance
économique
7 internationale que pour les populations rurales. Pour l État et les opérateurs économiq ues, les ressources forestières constituent une des principales sources de « rente » et de rentrée de devises (Léonard et Ibo, 1994). Par ailleurs, les pays africains ont entamé un processus de redéfinition de leur cadre juridique en matière de gestion des ressources forestières. Or, comme nous allons le montrer dans cette thèse, bien que des textes règlementaires existent, le respect de ces lois semble plus de l ordre de l exception que de la règle générale.
De plus, bâtis sous l impulsion des bailleurs d e fonds (Banque mondiale, FMI), des organismes de coopération (Union Européenne, USAID...), ou encore des lobbies ou groupes de pression liés aux relations historiques (anciens colonisateurs/anciennes colonies...), ces textes sont parfois flous et sans déc rets d application (Karsenty, 1998). Cette carence permet à chaque acteur d'interpréter les lois selon sa propre conception de la gestion des ressources (Kialo, 2007).
La coexistence d'une multitude de règles, de procédures et d'instances, d acteurs relevant de légitimités différentes (coutumières, projets, étatiques, politique internationale...), jouant un rôle plus ou moins important dans la gestion des ressources, contribuent à créer une confusion et une incertitude sur les droits et devoirs des uns et des autres (Gami et Doumenge, 2006 ; Brunel, 2008). Organismes de coopération internationale, institutions financières, administratifs forestiers, ONG environnementales, exploitants forestiers, grands fonctionnaires, chef coutumier... les mêmes acteurs traitent parfois avec les mêmes populations pour la réalisation de projets divers (protection de la faune ou la flore, promotion des cultures locales, éducation environnementale, micro- projets d agriculture communautaire... .
Dans ce contexte marqué par la présence de plusieurs parties prenantes aux
perceptions plurielles, voir divergentes, évoquer la notion de gouvernance donne une
meilleure lisibilité de cette complexité. Cette approche sous l angle de la gouvernance a un
double intérêt : d une part, compre ndre l organisation des d acteurs, leur échelon de
légitimité (identité, relations, empreinte spatiale, influence sur la structure des acteurs,
positionnement dans la pyramide du pouvoir… d autre part, et comprendre le mode de
gestion mis effectivement en œuvre, son impact sur l ensemble du système d acteurs, les
espaces sur la durabilité, en termes d intégration du développement local d'autre part. Ce
double intérêt peut permettre de mieux appréhender les politiques mis en œuvre et
8 envisager leur amélioration. En ce sens, la gouvernance peut apporter une nette plus-value à notre étude fondée à la fois l analyse des discours formels ou informels , sur des actions ou des politiques, mis en œuvre par un système d acteurs.
La gouvernance : gestion des ressources et jeu d acteurs
Bien que relativement ancien
12, le terme gouvernance n a été rendu populaire que dans les années 1990 par des économistes et politologues anglo-saxons et par certaines institutions internationales (ONU, Banque mondiale et FMI, notamment) (Agrawal, 2005 ; Milot, 2012), sous le mot anglais « governance » pour désigner « l art ou la manière de gouverner ». La gouvernance décrit ainsi une manière de gouverner, de gérer les affaires publiques fondé sur la participation de la société civile à toutes les échelles territoriales (national, mais aussi local, régional et international). Mais son caractère polysémique nous contraint à une définition du concept pour une meilleure clarté de notre analyse. Pour ces développements, des appels descriptifs de Paye (2005) qui évoque un
« un concept polysémique et un concept politologique » (Paye, 2005).
Pour Paye qui a le souci de faire du terme un vrai concept scientifique, dans la recherche française, la gouvernance évoque aussi bien ceux qui l exécuten t que les processus de gouvernance : « Au plan fonctionnel, le gouvernement désigne l enchaînement des actions qui ont pour objet d assurer un certain ordre officiel commun des conduites humaines dans un ensemble social ou territorial donné, ce que d une expression, on désignera désormais par « processus de gouvernement ». Ces «actions de gouvernement » peuvent être issues des agissements et interactions d acteurs de statuts très différents. Elles peuvent ne pas se limiter à impliquer la gamme d acteurs que désigne le mot gouvernement lorsqu il est entendu dans son acception organique. Pas plus qu elles ne se limitent a priori aux modes d interactions formellement prévus dans l organisation juridique de ces actions, que désigne, plus souvent en anglais qu en français, le gouvernement pris dans un sens institutionnel. » (Paye, 2005 : . La gouvernance est donc à la fois, l action le processus, modèle de
12
Le terme Gouvernance est déjà utilisé dans le français ancien au XIIIe siècle comme équivalent de
gouvernement art ou manière de gouverner puis, à partir de , pour désigner certains territoires du
Nord de la France dotés d un statut administratif particulier Baillages de l Artois et de la Flandre , avant de
s appliquer aussi, dans un contexte purement domestique, à la charge de gouvernance. C est au X)Ve siècle
qu il est passé dans la langue anglaise, donnant naissance au terme governance action ou manière de
gouverner) vulgarisé par les institutions internationales http://id.erudit.org/iderudit/010730ar, (consulté le
04/06/2013)
9 gestion , les parties prenantes le système d acteurs , le tout, dans un système interactif (territoire, ensemble social . Cette approche de la gouvernance s inscrit parfaitement dans la logique de notre analyse : des politiques forestières, des acteurs, des processus d action et un territoire forestier. Elle va ainsi permettre de donner une vision à la fois globale sur la dynamique des politiques forestières, et la dynamique des acteurs en présence. Mais si la gouvernance s applique sur le territoire, qui est un espace de pouvoir DAquino, ; Moine, 2007), alors gouverner dans le sens de la gouvernance rime avec pouvoir comme l évoque Dabiré, « parler de gouvernance, c'est parler de pouvoir, de relations et de reddition de comptes »
13.
Ainsi, aborder la gouvernance des ressources forestières c est évoquer d abord un territoire, ses ressources, ses composantes, les processus historiques qui ont permis sa configuration actuelle, mais aussi les principaux acteurs qui en permettent la dynamique :
« Qui dispose des informations clés ? Qui décide ? Qui a un pouvoir d'influence ? Comment les décisions sont-elles prises ? Qui en bénéficie ? Qui perd ? Qui rend compte ? »
14. La forêt est avant tout un territoire doté d une organisation en systèmes géographique, des perceptions, des acteurs interdépendants et d un pouvoir qui y exerce sa souveraineté. En tant que sy stème dynamique et complexe, la forêt a été et reste aujourd hui encore, un laboratoire o‘ s inventent en permanence de nouvelles formes de gouvernance : procédures démocratiques de consultation, implication des populations autochtones, gestion décentralisés... On pourrait multiplier les exemples qui témoignent de cet effort de modernisation de l action publique : nouvelle loi forestière, FLEGT ou accords volontaires, REDD, marchés de droits à polluer, autorités indépendantes, organisation de conférences de consensus, critères et indicateurs de gestion durable, développement durable... Constatons simplement qu à l évidence cette tendance s est notablement accélérée au tournant des années , dans un contexte marqué par la globalisation, l émergence des g randes régions économiques comme l Europe, et l influence croissantes des idées libérales. Mais comment les Etats forestiers s approprient -ils ces diverses mutations ? Comment s organise le système d acteurs "nouveaux" qui émergent dans ce contexte ? Pourquoi telle politique est- elle adoptée à tel moment ? Qui décide ? Pour quelles motivations ?... C est autant d interrogations que le recours à la gouvernance peut permettre de mettre en lumière dans le débat forestier.
13
Dabiré AB., « Quelle gouvernance pour les ressources forestières : cadre réglementaire et institutionnel » http://www.fao.org/docrep/ARTICLE/WFC/XII/MS7-F.HTM (Consulté le 04/06/2013)
14
Dabiré AB., Idem
10 Fruit de la globalisation, la gouvernance
Si la gouvernance permet d observer les systèmes complexes de gestion du territoire, elle est aussi dans une certaine mesure un relais de la gestion durable des ressources
15. Ainsi, pour accéder au développement, les pays forestiers sont implicitement
"invités" à s investir dans la bonne gestion de leurs ressources forestières. Ainsi, la gouvernance, relais de la gestion durable, va peu à peu devenir un des préalables pour accéder à l aide au développement. Si le concept de gestion durable semble avoir été défini, sa mise en œuvre suscite toujours des interrogations. Lune des orientations pour une gestion forestière durable a débouché sur la reconnaissance du fait qu il n y a pas de véritable politique de gestion de la forêt sans une prise en compte des acteurs qui l assurent et peuvent l affecter Barthod, . Parmi ces acteurs, les populations villageoises souvent démunies, sont au premier plan, puisque plus de 1,2 milliards de personnes vivant dans les pays en développement dépendent directement de la forêt (Bahuchet et al, 2000 ; McConnell, 2010).
Lun des avantages du concept de gouvernance, est qu il doit permettre d accroitre la capacité des États à définir de manière participative, des politiques et des règles qui soient à la fois légitimes et légales, à les mettre en œuvre et à arbitrer les conflits.
Dabiré souligne que ce caractère de la gouvernance « est l'une des conditions essentielles d'une gestion durable des ressources naturelles ». (Dabiré, 2003 : 10)
"Bien gérer" ses forêts pour réduire la pauvreté, une aubaine pour les pays forestiers, surtout si l on tient compte de la manne financière annoncée pour soutenir les efforts qui vont être entrepris. En effet, les nouveaux processus de financements en faveur de la gestion durable des for êts sont mis en place ou sont en voie de l être : Processus REDD/REDD+, conversion Dette/Nature, marché de droits à polluer, FLEGT... sont de vecteurs d encouragement d une bonne gestion forestière. Or, qu est -ce que la gestion
15
Cette orientation est très perceptible chez Dabiré. L auteur note par exemple la décentralisation comme une
opportunité pour la gouvernance des ressources forestière en Afrique. Dabiré souligne que les processus de
décentralisation et le cadre législatif qui l'accompagnent auront un impact important et des implications
profondes sur la gestion des ressources naturelles. Mais aussi que, les politiques de gestion des ressources
naturelles sont en train de changer et de s'orienter vers la création d'une base légale pour une gestion
durable et consensuelle.
11 durable des forêts implique dans sa conception et sa mise en œuvre, tant pour les pays forestiers en développement que pour les pays riches ?
Si le concept de gestion durable des forêts reste à conquérir du fait de l abondance de perceptions et d interprétations comme nous l avons s ouligné plus haut (Lescuyer, 2004) , sa complexité n a pas ralenti son adoption dans les politiques locales de bien de pays forestiers (Bertrand et al., 2006). En effet, comme le montre Karsenty (2006 : 71), les États forestiers, africains notamment, vont se lancer dans un vaste processus de
« mise en ordre » du secteur forestier. Ce mouvement va passer par la signature de tous ou presque tous les accords et conventions internationaux en faveur de la gestion des forêts, la redéfinition du statut des espaces, la réforme des législations forestières, la mise en place de nouveaux partenariats entre État et secteur privé, l adoption de programmes transfrontaliers ou encore la promotion de la participation des populations riveraines. Le tout, pour favoriser une « bonne gouvernance », véritable sésame pour l accès aux financements internationaux, dans un contexte néolibéral où les États africains sont perçus comme des gestionnaires peu crédibles des fonds publiques. Mais, si la plupart des pays forestiers a entamé la marche vers la "bonne gestion" ou la gestion durable des forêts, peut- on parler de forêt durable ? Avec la mondialisation des processus de gestion forestière, comment les États s en approprient -ils pour mettre en place des systèmes de gestion durable ? Pour quelle durabilité ? Quelle dynamique d acteurs pour quel modèle de gestion forestière ? C est autant de questions qui font du débat sur les forêts une thématique actuelle.
Pourquoi le cas du Gabon ?
Le débat sur les forêts du monde a fortement contribué à bouleverser les politiques forestières dans les différents pays. A en croire certains chercheurs (Brédif et Boudinot, 2001; Buttoud 2002 ; Barthod 2006), les instances internationales auraient contribué à accroitre cette pression pour une réforme généralisée des politiques.
En commençant cette thèse, notre objectif était d évaluer la politique forestière
mise en œuvre au Gabon, en termes d aménagement des concessions forestières ou encore
des flux des produits forestiers. En confrontant les discours et les actions sur le terrain, le
12 but était de mettre en exergue ces particularités qui en font le modèle que lui reconnaissent les observateurs internationaux et les dirigeants nationaux. Cette démarche devait donc s appuyer sur les actions d aménagement forestier et des dynamiques territoriales que cela devait impliquer. Or, en , le processus d aménagement forestier au Gabon n avait pas dix ans, puisque le code forestier rendant obligatoire cette prérogative avait été institué en 2001, et que très peu d acteurs s étaient réellement engagé dans cette démarche. Les résultats allaient donc assez logiquement nous apparaitre insuffisants, et surtout très peu représentatifs de la réalité de gestion des forêts dans le pays. Mais si l aménagement forestier était encore au stade de la conception et des simples propositions de lois et décrets, la gestion forestière, notamment au niveau de la dynamique des acteurs, avait déjà un bon parcours depuis les indépendances. Un modèle de gestion des territoires avait déjà été établi. De plus, l une des premières difficultés que nous avons rencontrées, est la diversité des acteurs en présence. Certes, grand nombre de nos interlocuteurs nous orientaient quasi systématiquement vers des acteurs les plus influants, mais le secteur semblait renfermer une myriade d acteurs dont les raisons d être se confondaient entre exploitation forestière, protection de la nature, fonction politique, ou encore valorisation des cultures autochtones. Les témoignages sont en général empreints de subjectivité et souvent faussés par des préjugés politiques « Depuis que son Excellence, El Hadj Omar Bongo, Président de la République a créé les parcs nationaux et rendu obligatoire l aménagement durable, on est devenu les premiers en Afrique en matière de gestion durable » ; « Si tu veux avoir des informations, il faut que tu rencontres le doyen politique... » ;
« Fais attention à ce que tu vas écrire ; certaines personnes que tu cites ont la maitrise de tout ici. On pourra faire de la récupération ou penser que ton travail a été commandité par X ou Y »
16.
Cette relative abondance de "personnes ressources" à constituer une de nos difficultés sur le terrain. En effet, tout le monde semblait avoir une "bonne connaissance"
des questions forestières au Gabon, sans en être vraiment acteur direct ou spécialiste. Nos diverses sollicitations d entretien ou d accès à des données forestières débouchaient souvent sur une orientation vers des ONG internationales : « Tous les chemins forestiers mènent aux ONG internationales », pouvait-on souvent entendre. Pourtant, en Afrique centrale, « la forêt a traditionnellement été affaire de l État » (Karsenty, 2006 : 72). Autorité
16
Ces discours ont été récurrents tout le long de mon travail : mise en garde sur la possibilité à venir de
trouv er un travail après avoir évoqué certains acteurs selon une vision différente de l opinion commune.
13 centrale, société forestière, ONG internationales, ONG et associations gabonaises, organismes de coopération et/ou de financement...toutes ces entités jouent un rôle dans la gestion forestière. Nous venions de réaliser notre premier constat.
La faible expérience gabonaise en matière d aménagement forestier, nous a donc conduit à nous intéresser aux processus, puis aux acteurs qui font la politique forestière plustôt qu aux résultats de l aménagement. Parler de la forêt au Gabon, c est parler de l exploitation forestière, d une matière première qui peut participer à la diversification de l économie, grâc e à son potentiel écologique et environnemental. Pour manifester son engagement dans la gestion durable des forêts, le Gabon a entrepris une série d actions : nouveau code forestier , création d un réseau de parcs nationaux , restructuration du ministère en charge des eaux et forêts, coopération régionale pour la gestion des forêts du bassin du Congo, interdiction d exportation des grumes... Premier pays africain en termes de superficie forestière par habitant, avec plus de 80% du territoire couvert de forêt, 11% de ce territoire consacré à la conservation, le Gabon est perçu comme un bon élève de la gestion durable par les observateurs internationaux. Un discours officiel qui n a pas à première vue de profondes divergences avec celui des observa teurs internationaux. En effet, en plein Sommet de Copenhague, le 15 décembre 2009, le 20h de TF1 diffusait un reportage présentant le Gabon comme un des bons élèves et pionnier de la gestion durable des forêts en Afrique
17. De plus, le dernier classement m ondial de l indice de performance environnementale publié par l université américaine de Yale, place le Gabon au 40
erang et le premier en Afrique en termes de performance environnementale
18. Des actions de coopération avec les privés ou des pays développés bénéficiant des technologies nouvelles, se font de plus en plus pour offrir au secteur forêt-environnement un cadre d exploitation plus durable, et plus soucieux de l environnement
19. Un second
17
Selon le reportage, « ¼ du bois gabonais est certifié et concerne plutôt des entreprises françaises. Le reste va
vers la Chine et l )nde ». Le Gabon s engage pour la gestion durable de sa forêt. http://www.wat.tv/video/gabon-engage-pour-gestion-200kv_2i0u7_.html (consulté le 10/01/2010)
18
Ndjimbi F., « Le Gabon 4Oe pays le plus écologique du monde », http://gabonreview.com/blog/le-gabon-40e- pays-le-plus-ecologique-du-monde/ (consulté le 24/04/2013)
19
La visite au Gabon de François Fillon, alors Premier Ministre Français, les 16 et 17 juillet 2011 ont avait
conduit à la signature d un contrat de millions d euros entre l Etat gabonais et L)GNAFR)CA, joint -venture
entre les groupes industriels forestiers français Rougier et Cassagne, et Forêt Ressources Management, un
cabinet français d ingénierie forestière. Ce contrat attribue à L)GNAFR)CA l exploitation durable d un
périmètre forestier de hectares, dont d okoumés. Le projet est multi -facettes : plantation,
recherche et développ ement clonage d okoumés , protection de l environnement reboisement, valorisation
des déchets ; industrialisation transformation locale d okoumé . )l contribuera à créer emplois
14 constat est donc que le Gabon est perçu comme un bon élève et précurseur de la gestion durable des forêts en Afrique, grâce à la nouvelle politique affichée.
Parallèlement à ces actions qui font du Gabon un pays où la gestion durable des forêts semble réellement mise en œuvre, il existe une autre réalité : le pays est préoccupé par l après pétrole, période qu il faut absolument préparer pour éviter une perte conséquentes de revenus qui ne pourrait être comblée. Le Gabon a une tradition forestière tournée vers l exploitation du bois, mais son économie est fondée sur l es revenus du pétrole. Or, depuis plus d une dizaine d années, aucune découverte importante n a été faite dans le secteur. S il représente encore plus de % du PIB et plus de 65 % des recettes de l État, le pétrole est sur la pente descendante. Ainsi l a près-pétrole est devenu un grand sujet de préoccupation. Pour preuve, tous les programmes et stratégies - le Document de stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté DSCRP , l accord triennal signé en mai 2007 avec le Fonds Monétaire, et même le projet présidentiel de 2005 « Des actes pour le Gabon » - se focalisent dessus. Avec un double objectif : diversifier l économie, développer les infrastructures de base et les secteurs sociaux pour doper la croissance et réduire la pauvreté. Autant d ambi tions qui, comme par coïncidence, se rapprochent assez étroitement des objectifs assignés à la gestion durable.
Parmi les pistes possibles pour diversifier l économie nationale, la forêt est la plus porteuse. Entre la création d une industrie de transform ation du bois, qui limite voire, annule l exportation des grumes, et l écotourisme, la mise en valeur des ressources forestières offre une plus large gamme. Le créneau de l écotourisme est, en effet, très porteur, car la demande est de plus en plus forte. Or le Gabon dispose d importants atouts en la matière, comme le souligne un responsable de Wildlife Conservation Society (WCS)
« Le Gabon figure parmi les 3 et 4 pays dans le monde à avoir un potentiel remarquable en matière d écotourisme. C est une filière renouvelable, contrairement au pétrole, et un secteur rentable, qui peut très vite atteindre un taux de croissance de 18 %. Selon nos projections, on peut espérer écotouristes en . Si le pari de l écotourisme réussit, le pays pourra
permanents. http://www.gabon-vert.com/les-actions/filiere-bois/gestion-durable-des-forets (Consulté le
08/05/13)
15 se prévaloir d être l un des plus grands sanctuaires de faune et de flore du XX) siècle »
20. A travers cette projection, l ONG rejoint ainsi la vision du Président Omar Bongo qui avait pour ambition de faire du Gabon « la Mecque de la nature »
21. Nous retenons donc comme troisième constat, une préoccupation fondamentale et globale qui va au-delà des questions forestières : la diversification de l économie.
De ce dernier constat, découlent sans doute des actions qui pourraient être présentées comme nuisant à la durabilité. Comme nous le verrons au cours des développements de cette thèse, de nombreuses actions portent toujours atteinte à la gestion durable des forêts (déforestation non contrôlée, prospection minière dans un parc national,... . Si la volonté d appliquer la gestion durable des forêts ne manque pas, il reste du chemin à parcourir dans l application des lois. Le dernier constat qui motive ainsi notre problématique est la persistance ou la résurgence de menaces sur la forêt.
Il faut ajouter à ces constats le fait que l intérêt croissant de divers acteurs pour la forêt gabonaise accroit sa lisibilité. Ainsi, la forêt du Gabon est de plus en plus cartographiée, étudiée, donnant lieu à des productions documentaires sur son état, la production de bois...un espace qui semble plus ouvert pour les chercheurs et les promoteurs de l exploitation forestière. Cependant, cette lisibilité reste le fait d experts, d ONG internationales ou encore d administratifs.
Dans un contexte d épuisement annoncé des réserves pétrolièr es disponibles au Gabon, de mondialisation des questions forestières et environnementales avec les nouveaux processus de financement de services écosystémiques, de pauvreté croissance...
l exemple du Gabon comme principal terrain d étude offre l opportunit é de la représentativité des États "en développement" accordant une place importante aux ressources forestières. En tant que laboratoire de la gestion durable des forêts, le cas du Gabon présente un territoire propice à la constitution d un groupement d ac teurs, de
20
Cité par Muriel Devey, « Gabon : un après-pétrole qui se met lentement en place », http://www.afriquechos.ch/spip.php?article2297 (Consulté le 08/05/13)
21