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Être vu, se voir, se donner à voir : les dires de soi en situation d'étiquetage par des "patients" de la psychiatrie dans une communication publique

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Academic year: 2021

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(1)

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Submitted on 10 Nov 2011

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situation d’étiquetage par des ”patients” de la psychiatrie dans une communication publique

Martine Dutoit

To cite this version:

Martine Dutoit. Être vu, se voir, se donner à voir : les dires de soi en situation d’étiquetage par des

”patients” de la psychiatrie dans une communication publique. Education. Cnam, 2009. Français.

�tel-00639967�

(2)

Centre de Recherche sur la Formation École doctorale « Arts et Métiers »

THÈSE PRÉSENTÉE EN VUE DE L’OBTENTION DU TITRE DE DOCTEUR EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION

(FORMATION DES ADULTES) PAR

MARTINE DUTOIT

S OUS LA DIRECTION DE J EAN -M ARIE BARBIER P ROFESSEUR , CNAM

Membres du Jury

E BERSOLD Serge, Professeur, Université Strasbourg II J ODELET Denise, Directrice d'études, EHESS

K OMITES Pénélope, Conseillère Technique chargée du Handicap, Conseil Régional Ile de France

Être vu, se voir, se donner à voir

Les dires de soi en situation d’étiquetage

PAR DES "PATIENTS" DE LA PSYCHIATRIE DANS

UNE COMMUNICATION PUBLIQUE

(3)

A mon père, à ma mère, pour avoir toujours "cru" en leurs enfants, don de confiance qui m’a permis de faire ce chemin,

A Clément et à Paul, à qui j’espère l’avoir transmis.

Merci à celles et ceux qui m’ont ouvert le cœur et l’esprit.

Merci à celles et ceux qui ont contribué à cette aventure, ces personnes

"étiquetées" toujours et partout, celles qui s’engagent à leurs côtés, toutes et tous compagnons de route,

Merci à celles et ceux qui ont accepté d’être les correcteurs attentifs et exigeants de la rédaction de cette thèse.

Merci à mes compagnes et compagnons du séminaire de thèse qui ont contribué généreusement à sa réalisation.

Merci à Jean-Marie Barbier pour avoir toujours su, avec talent et

générosité, accepter, susciter, stimuler, encadrer le débat d’idées et

accompagner la construction et la réalisation de cette thèse.

(4)

SOMMAIRE

SOMMAIRE... 3

EXPÉRIENCE ET QUESTIONNEMENT... 6

ETRE CONFRONTE AUX MOTS QUI ASSIGNENT ... 6

Au commencement … ... 6

Une pratique professionnelle... 8

Questionnement et enjeux... 9

LA RECHERCHE ... 12

La démarche de recherche ... 12

Exposition de la recherche ... 14

CHAPITRE I : LES PRATIQUES DE CATEGORISATION... 17

1. 1 LA FONCTION DE CATEGORISATION ... 17

1. 1. 1 Catégoriser ... 17

1. 1. 2 Être catégorisé... 21

1. 1. 3 Faire avec le fait d’être catégorisé... 24

1. 2 LA CATEGORISATION DANS LES "METIERS DE LA SOCIETE"... 26

1. 2. 1. Les pratiques administratives ... 26

1. 2. 2 Le travail social ... 27

1. 2. 3 Les pratiques médicales... 30

1. 2. 4 L’éducation et la formation ... 31

1. 3. LA CONSTRUCTION DU "PATIENT" PAR L’INSTITUTION PSYCHIATRIQUE ... 34

1. 3. 1 La rencontre malade/psychiatre : une étape du processus d’étiquetage ... 35

1. 3. 2 Les voies de la construction du patient... 38

1.3.2.1 Le dossier médical ... 38

1.3.2.2 L’interaction entre acteurs de l’équipe soignante ... 39

1.3.2.3 Les cadres interprétatifs mobilisées par les professionnels... 41

1.3.2.4 L’organisation des services... 42

1. 3. 3 Du diagnostic à l’étiquette sociale ... 44

1. 4 LA CATEGORISATION PERÇUE PAR LES PATIENTS ... 48

CHAPITRE II ETIQUETAGE, PERCEPTION DE L’ETIQUETAGE, REPRESENTATION DE SOI ET COMMUNICATION SUR SOI ... 54

2. 1 NOMINATION ET ETIQUETAGE ... 55

2. 1. 1 La nomination... 55

2.1.1.1 Faire exister et mettre en ordre ... 55

2.1.1.2 En mettant en relation plusieurs "rapports au monde" ... 56

2.1.1.3 Pour pouvoir agir ... 58

2. 1. 2 L’étiquetage... 60

2.1.2.1 Faire exister dans un ordre social ... 60

2.1.2.2 En utilisant le stéréotype comme catégorie "naturelle"... 61

2.1.2.3 Pour agir avec/sur autrui... 64

2. 2 EXPERIENCE DE L’ETIQUETAGE : ETRE VU COMME. ... 66

2. 2. 1 Une situation d’exposition de soi ... 68

2. 2. 2 Une confrontation aux normes qui s’imposent à soi ... 69

2. 2. 3 Un vécu de stigmatisation... 72

2. 3. LE TRAITEMENT DE L’ETIQUETTE PAR LES SUJETS ETIQUETES, SE VOIR COMME ... 74

2. 3. 1 S’inter-percervoir ... 76

(5)

2. 4 LA COMMUNICATION SUR SOI, SE DONNER A VOIR COMME ... 93

2. 4. 1 Communiquer ... 94

2.4.1.1 La notion d’intention d’influence ... 94

2.4.1.2 La notion de sens et de signification... 95

2.4.1.3 La notion d’adresse... 97

2.4.1.4 La notion de polyphonie ... 98

2. 4. 2 Communiquer sur soi... 99

2.4.2.1 Les présentations de soi dans la communication ... 100

2.4.2.2 Les stratégies de présentation de soi... 104

CHAPITRE III PARLER DE SOI ... 106

3. 1 PARLER DE SOI EN SITUATION DE COMMUNICATION PUBLIQUE... 106

3. 1. 1 Objectifs et contexte de la production ... 107

3. 1. 2 Acteurs... 108

3. 1. 3 Réalisation du tournage... 109

3. 1. 4 Montage... 111

3. 2 L’OBJET : LES DIRES DE SOI EN SITUATION D’ETIQUETAGE ... 112

3. 3 HYPOTHESES : LIENS ENTRE ETIQUETAGE, VECU DE L’ETIQUETAGE ET PRESENTATION DE SOI ... 114

3. 4 CHOIX DES OUTILS METHODOLOGIQUES ... 116

3. 4. 1 Traitement du matériau ... 119

3. 4. 2. Construction d’indicateurs de perception de l’étiquetage... 121

3. 4. 3 Construction des adresses ... 123

CHAPITRE IV DIRES DE SOI, IMAGES DONNEES ET ADRESSES... 127

4. 1 CARACTERISTIQUES DES SEQUENCES ET DES ENONCIATIONS PAR DES ACTEURS ... 127

4. 1. 1 Le temps de parole des intervenants... 127

4. 1. 2 Le découpage séquentiel de la situation de communication et les marques de locution ... 129

4. 1. 3 Attitudes des acteurs... 134

4. 1. 4 Les graduations vocales ... 137

4. 2 LES IMAGES DONNEES... 139

4. 2. 1 Images que l’acteur donne de lui-même ... 140

4. 2. 4 Images que l’acteur donne de la maladie... 145

4. 3 L’ADRESSE DES ACTES DE COMMUNICATION... 148

4. 3. 1 Analyse des adresses ... 150

4. 3. 2. Les énoncés adressés au "grand public" ... 152

4. 3. 3 Les énoncés adressés aux soignants ... 153

4. 3. 4 Les énoncés adressés à soi, "pour soi" ... 154

4. 3. 5 Les énoncés adressés aux membres du groupe... 155

CHAPITRE V DIRES DE SOI ET DYNAMIQUE DES SUJETS ... 156

5. 1 LA MATRICE DOMINANTE DE PRODUCTION DES ENONCES SUR SOI... 156

5. 1. 1. Logique de construction des énoncés de Caroline ... 157

5.1.2 Logique de construction des énoncés de Marc ... 159

5.1.3 Logique de construction des énoncés de Thierry... 161

5. 2 DYNAMIQUES DES SUJETS... 164

5. 2. 1 Stratégies des acteurs ... 164

5.2.1.1 Typologie des positionnements choisis par les acteurs ... 165

5.2.1.2 Types d’opérateurs d’ostension de soi et d’influence des cadres interprétatifs des destinataires... 166

5. 2. 2 Pour influencer les représentations qu’autrui a de soi... 166

5.2.2.1 Les comportements d’ostension de soi ... 169

5.2.2.2 Ostension de soi et rapport au groupe d’appartenance... 170

CHAPITRE VI ETRE VU, SE VOIR, SE DONNER À VOIR COMME… ... 174

6. 1 LA SITUATION D’ETIQUETAGE : ETRE VU COMME ... 176

6. 1. 1 Un processus d’assignation identitaire ... 176

6. 1. 2 Un vécu de mise à l’épreuve... 179

6.1.2.1 Un vécu de confrontation à la norme et le sentiment d’avoir commis une faute ... 180

6.1.2.2 Un vécu d’étrangeté et de perte des repères familiers... 180

6.1.2.3 Un vécu de ne plus pouvoir en sortir ... 180

6.1.2.4 Un vécu de stigmatisation... 180

6.1.2.5 Un vécu de menace du stéréotype... 181

(6)

6.1.2.6 Un vécu de menace de contamination ... 182

6. 2 L E RETENTISSEMENT DE L ’ ETIQUETAGE : " SE VOIR COMME " ... 182

6. 2. 1 Affiliation, intériorisation de la maladie et intégration d’un point de vue sur soi : l’endossement de l’étiquette... 183

6.2.1.1 Une intériorisation de la contrainte du soin et de la maladie ... 184

6.2.1.2 Une intégration du point de vue de l’autre... 185

6.2.1.3 Endosser l’étiquette pour faire valoir ses droits... 186

6.2.1.4 Endosser l’étiquette pour re-éprouver un sentiment le contrôle de la situation... 187

6. 2. 2 Appartenance à un groupe, développement de compétences et préservation de l’image de soi... 188

6.2.2.1 Développement de compétences sociales ... 188

6.2.2.2 Préservation d’une ‘bonne’ image de soi collective et individuelle... 189

6. 2. 3 Rappel du passé et transformation des cadres interprétatifs... 190

6. 3 COMMUNIQUER SUR SOI A PARTIR D’UNE EXPERIENCE D’ETIQUETAGE : "SE DONNER A VOIR COMME"... 192

6. 3. 1 Communiquer sur soi à autrui... 193

6.3.1.1 Hypothèses faites par les locuteurs sur les destinataires et stratégies d’influence. ... 194

6.3.1.2 La pertinence des sujets étiquetés en situation de communication ... 196

6. 3. 2 Communiquer sur soi à soi : dynamique argumentative et dynamique de construction de sens .... 198

6.3.2.1 Ostension de soi et construction de sens pour soi ... 198

6.3.2.2 Dires sur soi pour soi ... 199

SE RECONNAITRE COMME…... 203

POUR CONCLURE ... 203

PERSPECTIVES PRAXEOLOGIQUES ... 203

Reconnaître le processus d’étiquetage ... 203

Se reconnaître dans le processus d’étiquetage... 205

En faisant l’expérience d’autres situations ... 205

En jouant sur les modèles de référence... 206

En créant une visibilité positive du groupe d’appartenance... 206

En jouant avec les étiquettes... 207

PERSPECTIVES EPISTEMIQUES... 208

Apports de cette recherche ... 208

Limites ... 209

BIBLIOGRAPHIE... 212

OUVRAGES ... 214

EXTRAITS D’OUVRAGE ... 228

ARTICLES DE REVUES ... 228

REVUES ... 231

SEMINAIRES, COLLOQUES, JOURNEES D’ETUDE... 232

THESES, ECRITS DE FIN D’ETUDES ... 233

DOCUMENTS AUDIO VISUELS & SITES ... 233

ANNEXES ... 233

TABLE DES ANNEXES ... 233

(7)

EXPÉRIENCE ET QUESTIONNEMENT

Pour int rod uire ce t rav ail, je propo se d e reveni r su r mo n p arcou rs pers onn el et profes sion nel qui écl ai re mo n rapp ort à l’obj et d e cett e rech erch e et mo n positi onn em ent d e p rat ici en n e au ssi bi en que de ch erch eure. En effet, ces deux po sitio nn em ent s se nou rriss ent l’un l’aut re. En effectu ant ho nn êtement un trav ail d e rech erch e do nt l’obj et est p ro ch e d es préoccup ati ons d es perso nn es s ti gm atis ées par l a m al ad ie mental e, j’es père con tri buer à sout en ir de nou velles p ratiq u es so ciales.

ETRE CONFRONTE AUX MOTS QUI ASSIGNENT

Au co mmen cement …

Il y a m on hist oi re, cell e d ’u ne p erso nn e a yant t rans form é ses al éas bio graphi qu es en en gagem ent p ro fessio n nel et milit an t, s’i nv ent ant su r l e tard app renti e ch erch eu re et se déco uv rant en capacit é d e p rod uire, p eut -êt re, un discou rs su ffis amm ent ét a yé po ur q u’il soit d e qu elq ue ut ili té so ci al e. C’est en li sant G. Devereu x (Devereux , 1 980 ) que s’es t lev é un coi n du voil e, celui qui reco uv re pu diqu em ent l ’o bs cu r ob jet de la rech erch e, les motiv ati ons de la cherch eu re, et l ’écl ai re s ur l ’én erg ie d éplo yée p ou r men er un e tell e ent rep ris e.

Nous, ma mère, mes quatre frères et moi-même, étions conviés par le bureau d’aide sociale de

la Mairie à venir chercher les chaussures qui nous permettraient de passer un hiver les pieds

au chaud et au sec. Je passerai sous silence la thématique de la chaussure qui dans la culture

du pauvre est omniprésente. Je n’évoquerai ici que le cri horrifié de ma mère découvrant que

lesdites chaussures, en excellent cuir au demeurant, étaient d’une couleur d’un jaune

inimitable, sans doute assorti à la peinture verte des murs des écoles de cette époque, et qui

de façon quasi instantanée désignaient les bénéficiaires des secours, démunis en tout genre,

en un mot les chaussures des pauvres. Ce jour-là, un peu gênés par la réaction publique de

notre mère, nous quittâmes les lieux, sans chaussures. Nous étions entrés, par l’expérience, au

cœur de la problématique complexe de "l’assistance" et de ses enjeux de dignité pour les

personnes "assistées".

(8)

Des expériences me reviennent en mémoire 1 :

Sans d out e, un év én em ent a o ccup é pl us de place d ans m a v ie et d ét ermin é plus encore mo n rap port à mon o bjet de rech erch e : l ’his toi re de mon p ère, d e son p ass age p ar l’i n stituti on ps ych iatri q ue. C es ex péri en ces ont fait d e moi d’abo rd u ne p erso nne con cernée, pui s une act ri ce en gagée aup rès d e perso nn es en s ou ffrance ps ychi qu e et el les moti v ent touj ou rs l a ch ercheure en quête de com préh en sion d e ce qu e j’ap pel ais i ntuiti v ement, en ent rant en rech erch e, des p ro cessus de cont re-éti qu etage.

J ’av ais app ris au ssi dan s cett e ex p érience famil ial e ce qu ’est un e m al adi e hont eus e. Plus t ard, je déco uv ri rai ce qu e Goffm an app ell e l e st i gm at e (Goffman, 1975).

J ’av ais don c déjà ét é con fron tée à l a pu issance des m ots qu i as si gn ent, des mots q ui o nt u n effet d e créati on d ’u ne réali té tant p ou r l es pers onn es , q ue pou r l eu r ent ou rage.

Quelques années plus tard, abordant des études littéraires, en rivalité avec une autre étudiante, je me retrouvai à nouveau renvoyée à mes origines sociales, la culture n’effacera jamais, me dit- elle, mes manières de charretier. Je croyais avoir oublié ces expériences qui, de fait, ont influencé la manière de considérer "l’autre de l’assistance" dans mon métier d’assistante sociale.

Ma première réaction avait été l’impossibilité de penser que quelqu’un de singulier, comme

tout un chacun fait de "bric et de broc", petit ouvrier, dont la dignité avait été d’avoir travaillé

depuis l’âge de quatorze ans et d’avoir élevé cinq enfants, puisse être considéré comme fou à 50

ans. Qui était cet homme que je croyais connaître ? Son suicide inaugurait mon entrée dans le

monde de la psychiatrie et mes premiers pas sur un chemin pour comprendre.

(9)

Une pratiqu e p rof es sionnel le

Dans l ’imm éd iat d ’u ne prati qu e profess io nnelle qu e je d écou v rai s, je réalis ais que l es p ro fessio n nels , co mme l es autres m emb res de mon en tou rage, percev ai en t la malad ie ment ale comm e u n dest in, u n destin i mplacabl e, s ans issu e.

Peu à p eu , au fil d e mes an nées d’ex p éri en ce en t ant qu ’assis tant e s ocial e en ps ychi at rie (Dutoi t-S ola, 199 7 et 199 9) j ’ai d év elo pp é d ’autres relat ions av ec les p erso nn es d ites mal ad es m ent al es, j usqu ’à créer u n e as soci ati on, qui se donn e po ur obj ectif de l eu r perm ett re de port er tém oi gnage s u r leur hi stoi re et de l es aid er à fai re v aloi r u n d roit au reco urs d ans l es situ atio ns d e discrimi nation s et d’att eint es à l a di gnit é (Deut sch, Dutoit -So la, 2 001 ). Mes rel ati ons aux perso nnes dési gn ées com me m alades, p ati en ts, fo us m’ont con duit e à d écon stru ire ces cat égo ri es. J e me sui s int erro gée sur leurs faço ns d’être soi d an s u ne con fron tat ion à u n e no rm e s ocial e, in carn ée p ar d es institu tion s, et mi ses en s cène d an s les rappo rts ent re soi gn ants et soi gn és.

Const at d érou tant et sans d out e d éran geant pou r l es p ro fessio nn els : l a

En réfléchissant à l’histoire de mon père, je me rappelle avoir été soulagée lorsque le psychiatre avait mis en doute le diagnostic de paranoïa posé par son confrère en proposant celui de mélancolie. Qu’est-ce que cela changeait au destin tragique de mon père ? Rien sans doute. Pourtant les connotations négatives sont, sans conteste, moindres dans la mélancolie, laquelle me renvoyait aux grands romantiques du XIXe siècle dont je m’étais nourrie intellectuellement. La paranoïa, par opposition était, dans mes lectures, presque toujours associée aux grands criminels.

J’en mesurais, au fil du temps, les effets, dont l’un des moindres est ce ton compassé ou

admiratif des personnes "non initiées" saluant le courage de travailler avec "ces gens-là". Je

rencontrais des familles soulagées de pouvoir substituer à l’étiquette de malade mental celle

de handicapé, atteint de maladie génétique ou neurologique. Elles éprouvaient ainsi un réel

soulagement d’échapper à l’image du parent défaillant, responsable, mais aussi au risque de

contagion, d’assimilation, d’être ainsi "logé à la même enseigne".

(10)

perso nn e d éb ord e p resq ue to ujou rs du cadre d e s a p ris e en charge, int erro ge et mo difie l es fron tières d es s ys t èm es les mi eux agen cés . En s omm e, l a perso nn e n e s e rédui t p as à son s ym ptô m e, et cel a fais ait ains i éch o av ec m es pro pres ex péri en ces : je n e v oul ais p as me rédui re à mo n ap part en an ce soci al e, à la p art non n égo ci abl e d e la pl ace q ui sem bl ait m’av oi r ét é assi gn ée.

Cett e rech erch e s e n ourrit d e ces ex p éri ences et d e mon histo ire pers onn ell e, car d u pl us lo in q u’i l m’en s ouvi en n e, l a con fron tati on à l a d ifféren ce et à l a questio n jam ai s él ucidée d e l a no rm alit é est u ne co nst ant e d e mon his toi re de vie. Ma recherch e n e s ’ins crit-ell e p as , vol ens nol en s, d ans une strat égi e d e con trer les effets d e l’éti qu et age ? Ce n’est s ans d out e p as u n has ard si mo n premi er o bj et ét ait centré su r l e co ntre ét iqu et age. Ne fais ai s-j e p as, incons ci emm ent, u n e con fusi on ent re o bj et et o bj ect if d e m a rech erch e ? Mon obj ecti f, non av ou é, ét ant s an s do ute une val oris ation des co nst ru ctio ns identit aires d e ceux qui un jou r se s ont v us, comme mo i, co nfront és aux mots qui assi gn ent. En co mmen çant cett e rech erch e j ’ét ais p ersu ad ée d e t rou ver ces strat égi es de cont re-ét iqu et age, qu elq ue ch os e v en ant cont rer, cont rev eni r, con trecarrer ces as si gn atio ns, cett e réduction de s oi à des défini tion s univo qu es et s omm aires. Un e faço n d e s e cons truire en réact ion, un e rév olt e en q u elqu e s ort e, dont on p ou rrait mett re à j ou r l es pro cess us d e s a con struction , d u m oi ns en retrouv er l es traces .

Ques tionn emen t et enjeux

Cett e rech erch e vi s e à ex plo rer l es rép ercu ssio ns d’un e perceptio n d e

l'éti qu et age. L’éti q uet age a u ne fo ncti on s ocial e de régul ati on et

d’o rgani sation d es rapp ort s so ci aux et i l crist allis e à un mo ment don n é d es

fi gu res s ocial es qui nou rri ss ent l es si gn i ficati ons const ruit es par l es acteurs

(11)

L’étiq uetage, i ci cel ui d es p ati ents /us agers de l a p s ychi at ri e 1 , sera an al ys é au trav ers de ce q ue les éno n cés, comp o rtements, réacti ons de ces act eu rs , perso nn es "éti qu et ées " l ai ss ent paraît re d e ce q u’il s o nt "perçu " d e cet étiq uet age. Il fau t ent end re "p erçu " comm e le fait de s aisi r, m êm e intuiti vem ent, l e sens de ce qui s e p asse d an s le fait d’être en gagé av ec d’aut res d an s un e rel ation , c'est -à-dire d’ent en dre i ci le s ens commun du terme : ce q ue l a p ersonn e comp rend , cap te, en sit uation de cett e assi gnat ion identit aire et comm ent elle y réagit sp écifi qu em ent. Il s ’agi t d e mettre en lumière l es rép ercuss ions d e l ’étiqu et age perçu s ur l a m ani ère de se p rés ent er, en situ atio n d ’in teraction et d e comm u nicatio n p ubli qu e, et d’an al ys er les strat égi es id enti tai res d 'affirm ati on et d 'ostensio n en gagées pou r influ en cer les co nst ru ctio ns de sen s d 'un d estin at ai re.

J ’utilis e i ci l ’ex pres sion l es "di res d e so i", qu i cri stallis e l a faço n d e parl er de s oi, d e s e p rés ent er en situ atio n d e co mmuni cation et qui résul te, d e façon toujo urs p rov isoi re, de négo ci atio ns av ec l es au tres et aussi av ec s oi-mêm e.

En effet, l ’affirm ati on i dentit aire est fo rtem ent d ép end an te d es éch an ges, des interact ion s av ec l es aut res d ans d es acti ons sit uées (Flahault, 2006, 74) 2 . Dans ma cult ure profes si onn ell e, où l e référenti el ps ych an al yt iq ue est p régn ant , sont valo ris és l es mécanism es in con scient s. À rebo urs p roviso ire de cett e cult ure, j’ai pris l e p arti de m’i nt éress er à ce qui ch ez l a p erson n e, diagnos tiqu ée p ar ai lleu rs ps ych otiq ue o u s chizop hrène, affl eu re à s a p ro pre con sci ence. Ce qu e la p erso nn e est en cap acit é d e di re d’ell e-m êm e, en cap acit é d e d écri re et de n omm er d e s es rappo rts au m ond e. Elle est , comm e tout un ch acun, un e person ne q ui doit réso ud re d es p ro bl èm es d e rapp ort à aut rui , négo ci er un e ou d es images d ’el le-m êm e dans un envi ron nement soci al , agi r dans cet en vironn em ent . J e pens e, en effet, qu e t out es les perso nn es so nt san s cess e co nfro ntées à un trav ail d e définit ion et de redéfi nitio n d e soi d ans les relat ions int erp erson nel les.

1

Les désignations qui ont cours dans le champ de la psychiatrie sont celles de patients, notamment lorsque la personne est hospitalisée, et d’usager lorsqu’il s’agit de leur représentation dans les institutions. De même, la notion de santé mentale est utilisée pour englober à la fois la psychiatrie, médecine spécialisée, et les différentes déclinaisons du soin dans la cité auprès de populations ne relevant pas d’un diagnostic de maladie psychique mais plutôt d’une souffrance psycho -sociale.

2

En référence à la distinction faite par Flahault entre conscience de soi et sentiment d’exister impliquant la

nécessaire relation aux autres.

(12)

Le "j e" d e l ’affi rmatio n id enti tai re se con struit au co ntact d es aut res, parti culi èrem ent d an s les mom ents d e n égociati on des im ages de s oi p ou r soi et d es im ages d e so i pou r aut rui, dans les i nteraction s et l es in terrel ati ons soci al es . Les prés en tatio ns de soi d éfi n issent p ro viso irem ent ce qu e n ous revendi quo ns co mme notre "id entit é" et nous p ermet tent de nous représ ent er comm e act eu r et s uj et d e n otre vi e.

À qu els co mp romis , av ec ell es -m êm es, les pers onn es , obj et de dési gn atio ns et d’assi gn atio ns s o cial es, so nt-ell es cont rai ntes ? À qu ell e red éfiniti on d’ell es - mêm es sont -ell es obl igées d e con sentir po ur êt re aid ées, soi gn ées, éd uqu ées ? Qu ’est-ce qu ’il advi ent d e la représ en tat ion d e soi et d u v écu d’u n sentim ent d’in tégrit é, co rrélé à celu i de di gni té, dan s cett e évalu atio n de s oi p ar d es perso nn es so ci al em ent aut ori sées p ar leu r savoi r et/ ou l eu r pl ace so ci al e ? De quelle affirmat ion id entit ai re s ’agit -il po ur l es p erson nes étiq uet ées ?

Qu els p ro cessu s permett ent d ’affi rm er un "je" dans la co nfront ati on à l a norm e ? Qu’es t-ce q ue ce "j e po ur s oi " d ans cette co nfron tat i on ? Constat an t, par aill eu rs, qu e l a parti cul arité d e l a m al adi e ps ychiq ue co nstruit l e m al ad e en le renvo yan t du côté d e la trans gressi on de l ’hum ai n et d e l’o rd re so cial , d’o ù l es sti gm at es qui p erd urent , t an d is qu e la miss ion de la méd eci ne ps ychi at riqu e os cill e touj ou rs ent re con trôler et soi gner (Fo ucault , 2 003 ).

Les enj eux d e cette recherch e s ont li és à ceux d e l a prati ci enn e et de l a

militant e vis ant l a prom otio n d es "u sagers " d e l a ps ych i atri e en tant qu e

cito yen s et part en ai res d es s yst èm es de soin s. À ces enj eu x de p raticienn e

sont co rrél és des en jeux d e comp réh ensi on d es p ro cess us à l’œuv re. Mi eux

com pren dre l es n égoci atio ns en gagées ent re l a p erso nn e étiqu etée et l es

représ ent ants étiq uet ants d es i nst an ces s oci al es est sus cepti b le d e perm ett re

d’agi r su r les effet s vécus comm e st i gm atisants p ar l es perso nnes sou mis es à

des prati qu es de d ési gn atio n et d ’assi g nati on p arti culi èrem ent fo rt es. Cet

(13)

Si le ch am p d’i nv esti gat ion est, au dép art, cel ui d e la ps ychi atri e, l a rech erch e s 'in scrit d ans l e ch am p de l a form ati on d es adul tes, et con cern e don c t ous les dom ai nes so ci aux p ro fessi onn els d e l 'int ervent ion au près d es perso nn es (Édu catio n, fo rm atio n, s ant é et so ci al). En effet, dans to us ces dom ain es se trouv e les "situ ati ons édu catives " li ées aux enj eux et process us d’étiq uet age mis es en évid en ce d an s cett e t hès e.

LA RECHERCHE

La déma rche de recherch e

Cett e recherch e est cell e de l a fill e, l'as sist ant e so ci al e, la milit an te en rel ati on av ec u n p ère di squ ali fi é, des p erso nn es en demand e et des us agers réagiss ant . Tout es et tous p ris d ans d es j eux d 'étiqu et age, no us en con nai sso ns le s en s p ratiq ue (Bou rdi eu, 1 994 ) fo rm alis é d an s l a prés ent e rech erch e.

Du fait d e mon i ns cri ptio n p ro fessio nn ell e d ans l e ch amp de p ratiq ues et d’in terv ent ion d e l a ps ychi at rie et de l a sant é ment ale, j ’ai cent ré l 'obj et d e ma rech erch e su r le discou rs d es p ati ent s/us agers de l a ps yc hiat ri e et choi si d’an al ys er les perception s de l’éti qu et age et l a const ru cti o n de st rat égies d 'affirmat ion d e s oi en référen ce à cet te perceptio n, et ce à trav ers un e comm uni cation d e ces p ati ents/ us agers en direction d es soi gn ants et du grand publi c.

Les d on nées coll ect ées, vi en nent d e m on ex p éri en ce p ro fessi onn ell e, l es intervi ews et d 'u ne présent atio n vid éo . Mon ex p éri en ce p rofessi onn ell e de vin gt ans d 'ass ist ante so ci al e m 'a p ermis la t ravers ée de p res qu e t out l’ens embl e d es disp ositi fs d e p ris e en charge so ci al e et ps ychi at riqu e et d e part ager, av ec les p ati ents , cett e conn ai ssance d es s ys tèm es intra et ex tra- hospi tali ers, d es s ys tèm es dits de réin sertio n ou d e réh abilit atio n. De pl us, dep uis pl usi eu rs an nées, j e con tri bu e activ em ent au d év el opp em ent d e ce qu’on app ell e la sant é ment ale. Le term e de s ant é m ent al e, do nt tout l e mon de se réclam e, est int rod uit, po ur l a p remière en Fran ce p ar Kou chn er 1 et reco uv re d es accepti ons différen tes , all ant du pl us p rès de l a mal adi e au pl us

1

La première journée de la santé mentale est organisée en 1999 par B. Kouchner, alors Ministre de La Santé,

faisant référence explicitement à la notion d’usagers et de santé mentale.

(14)

près de la cito yen n eté. J ust em ent , m on i mplicati on en s ant é ment al e co nsist e à accom pagn er l e mouv em ent d e p arti cip atio n d es p ati ent s en p s ychi at ri e, dev en us us agers en s ant é m en tal e. Ce mo uvement ch erch e à amélio rer l a p ris e en ch arge p s ychi at riqu e, à fai re reconn aît re l 'ex p ressio n cito yen n e et l'ex p erti se d es us agers.

D'aut res do nn ées p rovi enn ent des int erv iews réalis ées po ur une émi ssio n d e radio gran d pu bli c 1 . Elles s ervent à mo nt rer l a s péci fi cit é d e l a q ues tion d e l a foli e et d e l a malad ie m ent al e qui , régu lièrem ent, est o bj et d’in terro gati on dan s l es m éd ias et perm et d ’ill ust rer l es enjeux de p résent atio n d e s oi d es perso nn es, m al ad es ment al es, q u e j’avais pu id ent ifi er durant t out e m a pratiq ue profess ion n ell e à l ’h ôpit al ps ychi at riqu e. En effet, les in tervi ews perm ett ent d e m ett re à jou r l es att ent es sup pos ées d es au diteurs, to ut en offrant un e vari ét é de mis es en s cèn e d e leur id en tit é de p ati ent s. Une trois ièm e so urce de donn ées est co nstit u ée d 'un e p résent atio n vidéo 2 , à visée de fo rmation , réalis ée p ar des p atients ch erch an t un e id ent ité coll ectiv e, cell e d’u sagers en sant é ment al e. Ce d ocument m’a in téress é en p remier lieu p ar ce que di sent l es p erso nnes film ées. En effet, d 'un e p art, l es po sition nem ents de ces p ati ents de la ps ychi at rie inform ent d ’u n e p art su r les enj eux d e con struction du s en s de ch acun e d es p erson nes qui se présent e et su r l es enj eux d e rep rés ent ations coll ectiv es de leu r grou pe d’app art en an ce ; d ’aut re part, l e matéri el vi déo offre au -d el à d es dis cou rs tenus , des i ndi cation s ph ysi qu es (gestes, m imiqu es, et c. ) précieuses pou r l’obs erv ati on des man ières de se mo ntrer, de s e prés ent er.

À parti r de ces différent es don nées , j’ai cho isi d e rest rei nd re l’an al ys e à d eux

obj ets i mb riqu és : la p ercept ion d e l’éti qu etage et l es st ratégies de

prés ent atio n d e s oi. La p ercepti on d e l ’ét iqu et age n 'est accessib le qu e p ar

inférence, d ans l ’an al ys e d es images de soi, qu 'ell es soi ent indivi du ell em ent

(15)

des j eux d e négo ci atio ns en tre pers on nes étiqu et ées et rep résent ants d es institu tion s q ui étiq u ett ent

Exposi tion d e la recherch e

Dans un p rem ier temps, no us ex plo ro ns la fon ctio n so ciale de cat égori sat ion (chapit re 1 ), d an s laq uell e s 'ins crit n otre obj et d e rech erch e. Il s ’agit d’ex plorer ce qu e les act eu rs 1 soci aux repèrent co mme l e fait de "cat alo guer"

et d’"êt re catal o gué". Not re ex plorati on d es faits so ci aux rel ev ant d e cette fon cti on d e cat égorisati on no us con dui ra à l’ex ami ner d ans le cadre d e différent s cham ps d e p rat iqu es d’i nterv enti on s ur aut rui et , en parti cul ier, celui de l ’admini stration, d e l a m éd ecin e, du travai l so ci al, d e l ’édu catio n et de la form ati on des adult es.

C’est à t rav ers un rel ev é de faits, de catégori sati ons et d e n omin atio ns, q ue nous mo ntrons qu ’il s’agit bien d’un e fonction so ci al e ordi nai re, largem ent répandu e. Nous ess ayo ns ai nsi d e l a caract éri ser en no us i nt erro geant s ur l es effets d’as si gn ati on rep érés p ar l es acteurs.

De m ême, dans cett e recherch e, il s em b le j udi ci eux d e po rt er un e at tentio n parti culi ère à la q uestion sp éci fiqu e d e l a cat égo ri e "p ati ent en ps ych i atri e", ce qui est u ne s econ de façon de met tre en cont ex te not re obj et d e recherch e puisq ue nou s t ravai l lons à p artir des di res d e ce même publ i c. C ett e mis e en con tex te a po ur but d’aid er l e l ecteur à comp ren dre l e po sition nem ent d es acteurs fi gu rant d ans not re m atéri au , puisq u’i ls so nt p ati ents , sui vis en ps ychi at rie d ep uis de lon gu es an nées .

1

En référence à la définition du sujet de Dosse : « se connaissant agissant et se pensant ayant une action sur le

monde » (2005,12), nous déclinons la notion de personne sous deux dénominations liées, comme acteur dans son

rapport à la société où elle agit et comme sujet lorsqu’elle se pense et se vit comme agissante.

(16)

Dans un d eux ièm e temp s (chapitre 2), nou s ex poso ns l e cadre th éo riqu e organi sé aut our d e d eux question s : la no minat ion et la cat égo ris atio n. Sero nt don c utilis és t rois o rient atio ns th éo riqu es. Des outils th éori q ues su scep tibl es de rend re com pte d es p ro cessus d ’étiqu et age: t els qu e nou s l es entendo ns, ils con cern ent d es s ujets hum ains , mais fonction nent s elon u ne lo giqu e p ou r parti e s embl ab le aux pro cess us d e nomi n atio n qu i, eux , o nt t rai t à d es o bj ets du mo nd e. Des ou t ils th éo riq ues rel ati fs à l a p ercept ion de l eu r p ro pre étiq uet age p ar les suj ets co n cern és , qui s’effectu e d ans l’es pace de l’int ersu bjecti vit é. Enfin d es outi ls th éo riqu es relat ifs à l’ap pro ch e des comm uni cation s s ur soi. Nou s fero ns l ’h yp oth ès e qu e l es présent ati ons d e so i de p ati ents d an s ces situ ation s sont li ées à leu rs d yn amiq ues plus glo bales de con struction id enti taire et à l eu rs strat égi es d’ost ensi on d e so i .

Il s ’agit d e p rés ent er les référent s th éo ri q ues qui in fo rm ent cette recherch e et qui so uti end ro nt l 'interp rétation des résult ats . Ces référents th éo riqu es s’in scriv en t d an s l 'envi ro nn em ent épi st émol o giq ue d’un e app ro ch e interact ion nist e, con stru cti vist e et holi sti que.

Dans un troisi èm e t emps (ch apit re 3 ), l 'o bjet , l es h yp oth ès es et l e matéri au d e cette rech erch e et l es cho ix méth odol o gi qu es q ui o nt été les n ôt res, so nt ex pos és.

Dans un q uat ri èm e temps (ch apit re 4 et 5 ), nous d onn ons à voi r le d éroul é d es différent es anal ys es men ées dans cett e rech erch e et l es st rat égi es d ’os tensio n de soi d es p erso nn es étiq uet ées qui en d écoul ent.

Le d erni er ch apit re (ch api tre 6 ) rend com pte d an s un premier temp s des

résult ats d e cet te recherche et d e l eu r int erprét atio n. Pui s, no us propo son s un e

app ro ch e in édit e d’u n p ro cessu s ex péri en tiel id enti fi é ain si : "êt re vu , s e voi r

et s e don ner à voi r comme", s el on l es tro is ax es : l a situ ati on d’éti qu etage et

(17)

« Le R oi : Pou rq uoi met s-t u des étiq uet tes

sur t out , po ur justi fier t es sent iments ?

Beck et : Parce qu e, s ans étiq uet te, l e m ond e

n’au rait plu s de forme, mon prin ce…

Le Ro i : Et c’est im port an t qu e l e mond e ait un e fo rm e ?

Beck et : Capit al, m on pri nce, o u sinon

on n e s ait plu s ce qu’on y fai t […] »

(ANOUILH, 1972, 26)

(18)

CHAPITRE I : LES PRATIQUES DE CATEGORISATION

CONTEXTE SOCIAL DE LA RECHERCHE

Le fait de catégo ri ser et/ ou d ’être cat égo ris é, êt re "cat al o gu é" comm e le disent famili èrem ent les p erson nes , fait parti e d e l ’ex péri en ce comm un e d es interact ion s et com muni cat ion s hum ain es. Il s urvi ent d ans les ci rco nst an ces les plus di vers es et éch app e le plu s s ouv ent à l a con science des act eu rs.

Pour abo rd er ce qu i con stitu e l e cont ex te soci al d e not re obj et de rech erche, trois ét ap es ont été néces sai res. La p remi ère consi ste en une coll ect e de témoi gn ages, d ’articles, d ’ex traits d ’ou v rages, où s era mi se en évid en ce un e fon cti on d e cat égo ri sati on p résente d an s la vie s oci al e. La deux i ème étu die les fo rm es parti cu lières q ue rev êt un e t el le fon cti on dans l es méti ers vi sant à interv eni r su r au trui. Enfin , la troisi èm e anal ys e pl us p récis ém ent cett e mêm e fon cti on en ps ych i atrie.

1. 1 LA FONCTION DE CATEGORISATION

1. 1 . 1 Catég ori ser

En lit tératu re, q uelq ues mots su ffis ent à fai re n aît re u n p erso nnage ; q u elqu es

traits sail lants l ui do nnent un e id en tité so ci ale et u ne p erson n alit é. L’écriv ain

esq uiss e les traits d e caract ère d ’u n pers o nnage à parti r d ’él ément s disp arat es

(compo rt em ent s, s it uati ons , d es cripti ons …) et c’est au l ect eur d’ét abli r par

inférence qui est ce person nage. C’est au l ect eur d e ret rou ver les att rib ut s

d’u n gro up e, d ’un obj et, d’un e situ ati on. Voi là comm ent Balz ac d écrit l e

not aire, l a p erson ne d ev en an t ph ys i olo gi qu ement l ’in carnation de s a

(19)

La lectu re est un e const ru ctio n (Am oss y, Herschberg Pierrot, 2007, 73) : c’est à parti r d’un e rep résentati on coll ectiv e et cultu rell e, d ’o res et déj à famili ère, que l e lect eu r d égage le s ch èm e stéréot ypé. Il n’ y a p as d ’activit é de l ectu re possi ble sans référence à des st éréot yp es, qu ’ils s oient d e fo rme (s yn t ax e, lex iqu e, st yl e) o u de cont en u (t hèmes, s ymb ol es, st ruct ures d u récit, séq uences n arrativ es , et c. ). Ai nsi, app rendre à li re c’es t au ssi app rend re à maît ris er d es stéréot yp es, d es s cen arii famili ers, partagés p ar un e comm un aut é cul turel le don née.

Certai nes t yp ol o gi es so ci ales s ont d ési gn ées p ar des n éo lo gi s mes qui on t p ou r fon cti on d e défini r précis ément la pl ace occup ée s oci al em en t, par ex em ple :

"RM Ist e", "smi card ", "troisi èm e âge", "san s dom icil e fix e". Il est s ouv ent possi ble d e d at er l eur ap pariti on dans l es tex t es o ffi ciels. C es d énom in ation s fix ent d e l a so rte l ’identit é d es p erson n es co ncern ées, avec l’i dée qu ’elles rend raient com pte d e façon qu asi inst an tanée d e leur façon d ’être et d e viv re.

Vous voyez un homme gros et court, bien portant, vêtu de noir, sûr de lui, presque toujours empesé, doctoral, important surtout ! Son masque bouffi d’une niaiserie papelarde qui d’abord jouée, a fini par rentrer sous l’épiderme, offre l’immobilité du diplomate, mais sans la finesse, et vous allez savoir pourquoi. Vous admirez surtout un certain crâne couleur beurre frais qui accuse de longs travaux, de l’ennui, des débats intérieurs, les orages de la jeunesse et l’absence de toute passion. Vous dites : Ce monsieur ressemble extraordinairement à un notaire. Le notaire long et sec est une exception. Physiologiquement parlant, le notariat est absolument contraire à certains tempéraments.

H. Balzac, tome 2, Des Français peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle

publiée par L. Curmer de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 10 vol.

(20)

Auss i, n omm er ou renomm er un e cat égori e de p ers onn es peu t d ev eni r u n enj eu po ur po uvoi r agi r su r ell e.

De m êm e, l es p erso nnes d éjà "sti gm ati s ées " d ans un e cat égori e so ci al em ent dév al ori sée peuv ent , à l eu r t ou r, s e démarqu er (ou l ’êt re par d ’aut res d an s l’ex empl e ci -d ess ous in cis e) d ’un grou pe ju gé en co re plu s n égativ em ent .

Le terme "Beur", et ses déclinaisons : le (la) "beur de service": expression utilisée pour désigner un enfant d'immigré ayant été nommé à un poste important en sous-entendant que sa nomination est plus due à son origine ethnique qu'à ses compétences et "rebeu" en verlan,

«s’est imposé en France comme une appellation […] que les intéressés se sont donnés à eux- mêmes par dérision, c’est-à-dire par une manière de revanche sur leur sort auquel ils n’arrivent pas à donner un nom qui serait leur vrai nom ; appellation de revanche aussi, par l’ironie, la seule arme dont on dispose pour dire le monde social et la position qu’on y occupe» mais aussi

«appellation encore qui s’est imposée à eux pour devenir […] une hétéro-dénomination que la population dénommée de la sorte, à son corps défendant, est bien obligée, en raison de son hétéronomie précisément, de reprendre à son compte»

A. Sayad, Les Maux à mots de l'immigration, 1990, entretien avec J. Leca. Issu(e) de l'immigration. Identités, mobilisations et représentations des jeunes d'origine maghrébine, Politix, n°12, pp. 7-24, cité par D. Simeoni, "L'institution dans la langue: lexique et pensée d'État",

Le nouveau code, intitulé « Code de la justice pénale des mineurs », consacre le changement de terminologie, le tribunal pour enfants devenant le « tribunal pour mineurs » et le juge des enfants devenant le « juge des mineurs ». Le magistrat de la cour d’appel délégué à la protection de l’enfance devient le délégué à la protection des mineurs […].

Rapport de la commission de propositions de réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative

aux mineurs délinquants, André VARINARD, 15 avril 2008.

(21)

Ces d énom in atio ns peu vent don c être dat ées, cert ain es d ’aill eu rs n e nous parl ent plu s. Par ex empl e, l es gris ettes décrit es au XIXe siècl e et qui n e reco uv rent plus aucu ne réalit é so ci al e.

Il est commu ném en t admi s d e nomm er u n e p erso nn e s an s t rav ail "chôm eu r".

C’est po urquoi dans la mani ère d e lire une catégo rie, la perso nn e rév èl e souv ent plus d e cho ses s ur ell e-m ême q ue s ur celui dont il parl e, ce qui fait dire à S artre

« Il y a bien une 'racaille' qui prospère dans ces zones déshéritées de nos grandes villes. D’ailleurs, le mot lui-même est employé par les habitants (en verlan courant, les jeunes disent 'caillera’). Ce sont des bandes organisées […] qui font régner ‘leur loi’ (celle du milieu) sur ‘leur territoire’, par l’intimidation, voire la terreur. Ces gens-là sont très minoritaires. Mais auprès d’une population jeune, en échec scolaire, stigmatisée par le chômage, la précarité, l’instabilité familiale, la démission parentale, ces ’caïds’ jouissent d’un certain prestige : ils ont de la ’maille’ (du fric) et tout ce qui va avec ».

B. Langlois, Politis, 10 novembre 2005,

http://udas.org/Dossiers/Etat_urgence/05-11-14%20Etat_d%27urgence.htm

« La grisette n’est plus exclusivement une femme dite du peuple. Il y a des grisettes qui sortent de bon lieu. En général, la grisette a eu des malheurs […]. On reconnaît une grisette à sa démarche, au travail qui l’occupe, à ses amours, à son âge, et enfin à sa mise ».

E. Desprez, Les grisettes à Paris, le Livre des Cent-et-Un publié par la librairie C. Ladvocat de 1831 à 1834, http://www.bmlisieux.com

Victime de la société et/ou profiteur de l’aide sociale et/ou pestiféré, quasi-contagieux, rappelant à chacun que « ça n’arrive pas qu’aux autres ».

E. Pierru, Guerre aux chômeurs ou Guerre au chômage, Bellecombe-en-Bauge, Edition du Croquant,

2005.

(22)

« Si vous voul e z conn aî t r e un honnêt e homme, cher che z quel s vi ces i l hai t l e pl us chez l es aut r es : vo us aur ez l es l i gnes de f or ces de ses ver t i ges et de ses t er r eur s, vo us r espi r er ez l ’ ode ur qui e mpest e sa bel l e â me ». ( Sar t r e, 1952, 40) En règle gén éral e, d ans l a vie so ci al e, l es dénomi nat ion s d es gro up es s oci aux serv ent à cat égo ris er et à ci rcons cri re u ne i dentit é so ci al e, un st atut et un e place.

1. 1 . 2 Être ca tégo ri sé

Dans l e lan gage cou rant, l es p erso nn es d isen t as sez s ouv ent "êt re cat alo gué"

pou r si gni fi er l e fait "d ’être cat égo ris é" et cl ass er. Le di ctionn ai re d e la lan gu e fran çais e défi nit ainsi cet te not ion : class er en l e j u geant qu el qu ’un ou quelqu e chos e d e mani ère d éfiniti ve. Nous ret rou von s les i n grédi ents d’un e catégo ris atio n (cl ass er), à parti r d ’u n ju gem ent (l e pl us s ou ven t n égati f). Ce sent iment d e n égati vité o u d e d év alo ri sati on est ren fo rcé par le fait qu e catégo ris er ou catal o guer s 'ap pliqu e aussi un e ch os e. À trav ers ce res senti et la mani ère d e l’ex prim er, s’ex prim e un e "n atu ralis atio n " d es cat égori es , au sen s d ’un e s ubst an tivat ion (l e p au vre, le j eu ne, et c.), crist allis ant d es représ ent ati ons ex pli cit es et impli cit es .

Les cat égo ri es cons truit es s ocial em ent sont d ét ermin ant es dan s le s ens où c’est à p arti r d ’elles que vo nt êt re co nst ruits n os rap po rts au mond e et n os identit és. D’un e p art, ces catégo ries ap paraiss ent fréq u emm ent comm e d es entit és perçu es com me "n at urell es ", qui ne p euv ent êt re i nt erro gées ; d ’aut re part, no mb re d ’act eu rs d ans l a sociét é vo nt se recon naître d an s les cat égo ri es issu es d e ces p ro ces sus d’att ri butio n d’i den tités so ci ales et vont l es utili ser pou r rend re compt e d’eux -m êm es et/ ou d e l eu r s itu atio n.

Les ex em pl es q ue nous avon s coll ectés con cern ent l es effets d’un e

catégo ris atio n négat ive, vu e, en général, so us l’an gl e d’un vécu d ’u ne

assi gn atio n id entit ai re qu i cont rain drait l es pers onn es à s e d éfend re soi t p ou r

(23)

Un ju gem ent n égati f po rté a p riori s ur la p erso nn e réd uit son id ent ité perso nn ell e à des st éréot yp es att rib ués à u ne cat égorie de p erson nes discrimi nées so cialement et cel a m êm e lors qu e la pers onn e réussit au pl an soci al , comm e l e mo ntre l ’ex empl e ci -d es sous d’un artist e cél èb re.

On vo it la com plex ité d e ces réacti ons dans l e t émoi gn age d ’un e femm e poli cière qu i p arl e de s a di ffi cult é d ’êt re femm e d ans un méti er d’homm e, mais aussi du fait d’êt re fran çais e i ssu e d e l’im mi grat i on, lo rsqu e les déli nqu ant s s ont "évi demm ent " is sus d e l ’immi grati on.

Quelques exemples recueillis sur la toile :

« Depuis son plus jeune âge mon fils est catalogué comme "le petit surdoué". Il a actuellement 2 ans et je commence à ne plus savoir quoi penser ».

http://forums.famili.fr 2007

« Je suis catalogué avec ma "tête d'arabe", c'est sûr qu'on ne va pas aller plus loin .»

« Comment voulez vous que je puisse me dire que je ressemble à Jean ou Paul si dès le début je suis catalogué ? »

http://www.dailymotion.com avril 2007

« Je suis un auteur classique avec des idées pas classiques. Mais comme tous les autodidactes - je les appelle les ignares - on doit toujours en savoir plus. »

V. Mortagne, "Charles Aznavour le plus grand des crooners" Le Monde du 21/2/07

Parlant de ses collègues « ils nous mettent dans le même paquet », mais dit-elle, bien qu’elle ait francisé son nom, en parlant de son origine « j’en suis fière, mais je ne m’en vante pas », indiquant ainsi ses efforts pour faire oublier cette différence. En situation, lorsqu’elle vient de recueillir une plainte : « je n’arrivais pas à dire maghrébin [silence] c’est fou pourtant c’est pas une insulte ! », elle s’étonne de ressentir un malaise et se justifie en évoquant les mérites de sa famille.

JB Callot, "Cinq femmes à l’école de police" Fr3, 10 août 2007, 20h30 (Documentaire 2006 –

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Le terme "exclusion", par exemple, né dans un modèle théorique (Karsz, 2000) s’est répandu à travers la société depuis les années 1980, passant du langage sociopolitique au langage courant, au point d’être intériorisé par les personnes comme une façon de parler de soi, d’exprimer son vécu des effets de la discrimination. C’est comme si les événements étaient vécus désormais à travers le prisme déformé de "ce que je pense qu’autrui pense de moi" qui me vis comme exclu.

Un e p erso nn e, co nsi dérée comm e m al ad e mental d écrit so n ex clus ion .

Ce qui est d écrit , c’est un v écu d ’assi gnati on à u n e place vue comm e n on négociable et l a s ou ffran ce d e la p erson n e li ée à ce v écu (Dut oit, 200 7).

À p arti r d e ces ex emples, on p eut di re qu’un e des caractéri stiqu es d e ce q ue viv ent l es p erso nnes catal o gu ées n égativ em ent d ans les sit uation s d’in teract ion , c’est q ue ces situ ati ons co mportent p resq ue to ujou rs pou r ell es la m en ace d u ju gem ent d ’aut rui qui p ro voqu e, de manière défensiv e, d e la méfiance en vers aut rui et, en co ns équ ence, d es dou tes su r soi, comm e o n pou rra l e v éri fi er pl u s loi n.

Il nou s faut con stat er qu e le fai t de s e s entir cat al o gu é ren voi e le pl us so uv ent

« Être exclu […] c’est être sans argent en début de mois car toutes mes économies sont placées par la curatelle ; c’est subir le regard froid et glacé des gens ; entendre siffler par derrière sur sa pauvreté, subir les violences des jeunes enfants ; c’est pour être assigné à résidence à Caen à cause du traitement et de la curatelle ; c’est subir ses propres désirs inassouvis sur des dames d’organismes se chargeant de nous autres handicapés ; c’est voir un avenir incertain par la mort ou la retraite des personnes de confiance que je connais et qui sont les seules à me connaître depuis longtemps et auxquelles je me raccroche comme à une bouée de sauvetage. C’est subir tout cela, être fou et timide, et accentuer sa souffrance par toutes les difficultés dans le monde extérieur comme je vous les ai citées précédemment ».

T. Willeme, Mégaphone, Advocacy-France, Juin 2005

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1. 1 . 3 Fa ire av ec l e fait d ’être catégo ris é

C’est p ar s es cons équences so ci al es et ses effets s ur eux -mêm es, qu e l es acteurs perçoi vent l e fait d ’être catal o gué et s ans dout e dév el opp ent des strat égi es p ou r "faire av ec". Lo rsq ue ces cat égori es sont p erçue s négati vement, la p erso nn e p eu t s e percevo ir en retou r nég ativ em ent . C ’est parce qu e l es st éréot yp es att ach és à ces cat égo ri es sont part agés qu’ils décl en ch ent un senti ment d e h ont e p ou r celui qui s e t rou ve ass imil é à u ne catégo rie "di scrédit ée" s o cial em en t.

Si ces st éréot yp es sont p art agés , il s n e s ont p as forcément accept és , p ou r aut ant il s sont en co re détermi nants d ans la rép ons e, l es réacti ons, l es st ratégi es des p erson nes ainsi "catal o gu ées ".

Appartenir à une élite par son Quotient Intellectuel « l’élite cognitive est transnationale. Par exemple, l’élite cognitive française se sent plus de points communs avec les membres des élites cognitives italiennes et allemandes qu’avec par exemple les routiers et les boulangers. Non ? ».

Blog sur C. Murray, Human Accomplishment : The Pursuit of Excellence in the Arts and Sciences, HarperCollins Publishers, 2003, rédigé en janvier 2004.

Enrichir son identité : « Je n'ai découvert que récemment que j'étais un travailleur du savoir. En fait, je suis architecte logiciel chez un petit éditeur […] j’ai appris beaucoup de choses qui ont complètement changé la vision que j’avais de mon travail ».

Cité par J-F Dortier "Les professionnels de l'intelligence : portrait de groupe",

Annie Ermaux décrit ainsi l’humiliation. « Il n’y avait pas que la maîtresse du cours préparatoire […] les filles… qu’est-ce qu’il fait ton père ? Epicier, c’est chouette, tu dois en manger des bonbons ! tout doux, tout chaud au début, on ne s’y attend pas, je suis fière, heureuse. Et d’un seul coup, la poignée de mots […] Café aussi ? Il y a des bonhommes saouls alors ? C’est dégoûtant ! ma faute, j’aurais dû me taire, je ne savais pas. »

Et le sentiment d’être, comme par "nature" différente : « Toutes les autres vivent pour elles, elles écoutent, elles écrivent, elles vont tranquillement aux cabinets et moi je les regarde écouter, écrire, aller aux cabinets. Quand j’entre dans la classe, je deviens moins que rien, un paquet de petits points gris qui se pressent contre les paupières, en fermant les yeux. J’ai laissé mon vrai monde à la porte et dans celui de l’école je ne sais pas me conduire ».

A. Ernaux, Les armoires vides, folio, p 60-62

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Dans un aut re d e ses romans, di rect em ent auto bio graph iqu e, Erm aux décrit l e com portem ent d e son père con fron té aux ami es de s a fill e d evenu e univ ersit aire. Vou lant en so mme com p ens er l’im age n égat ive q ue ce p ère sent ait p es er sur l ui, il m ont rait ains i par ce compo rt ement mêm e cett e infério rit é q u’il vo ul ait pou rt ant comp ens er.

Dans un rom an récen t, Pen nac, devenu p rofess eu r et rom anci er, comm ent e so n vécu d e "can cre".

Il y a do nc u n us age so ci al des cat égo ries ainsi créées qui condi tion ne l e con tact ent re gro up es et la ren cont re entre p ers onn es q ui réd u it l’in co nnu à du con nu, créant vis -à-vis d e cet aut re et/o u ces aut res d es att ent es d e

« Mon père était heureux d’accueillir ces jeunes filles si bien élevées, leur parlait beaucoup, par souci de politesse évitant de laisser tomber la conversation, s’intéressant vivement à tout ce qui concernaient mes amies. Il se mettait en quatre […] quand la famille d’une de ces amies me recevait, j’étais admise à partager de façon naturelle un mode de vie que ma venue ne changeait pas. En donnant un caractère de fête à ce qui, dans ces milieux, n’était qu’une visite banale, mon père voulait […] passer pour quelqu’un qui a du savoir-vivre. Il révélait surtout une infériorité qu’elles reconnaissaient malgré elles. »

A. Ernaux, la place, folio, p. 93

« Voilà un gosse qui, dès le départ, se retrouve sous le feu des regards adultes réprobateurs.

Celui, angoissé, de sa famille qui a peur pour son avenir. Celui, hostile, du prof qui lui en veut d’être l’incarnation de son propre échec : un élève qu’il est incapable de faire progresser […]

comment pourrait-il être heureux, le cancre ? Où puiserait-il la force de s’en foutre réellement ? Ce qu’il va faire, c’est compenser. S’inventer un personnage pour exister malgré tout, devenir agressif en tendant de s’imposer par la force ou se réfugier dans la bande. Le cancre a peur.

Cette peur le verrouille. Il la fuit dans le rejet. »

D. Pennac, Chagrin d’école, Gallimard 2007. Interview in Télérama n°3013, 13-19 octobre 2007.

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1. 2 LA CATEGORISATION DANS LES "METIERS DE LA SOCIETE"

Nous avon s rel ev é, comm e p ertin en ts, q uel qu es ex empl es de dis cou rs s o cial mont rant un e fon cti on parti culi èrement mani fest e de cat égo ris atio n dans les méti ers v is ant l 'int erven tion su r au tru i. Ces prati qu es profes sionn ell es vis en t à mo di fier l es acti v ités , l es com po rtem ents d ’autres suj ets . Les fon ctio ns d’assi gn atio n p ro pres à cett e catégo risati on co nst ruis ent des répon ses institu tion nalis ées à l’égard d ’aut rui.

1. 2 . 1 . L es p ra tiqu es ad minis trati ves 1

La fo nct ion so ciale de catégo ris atio n est an ci enn e. On const at e d éj à en 1 841 que défin ir l a m end i cit é p erm et au M ai re et Dép uté de R ou en d’in trodui re un e justi ficati on de l ’acti on q u’i l d écid e de m en er.

Plus d ’u n si ècl e pl u s tard , l e t ém oi gn age d ’u n fon cti onn ai re de l a P réfect ure de Poli ce d écrit les cri tères d e ju gem ent permett ant d’att rib uer un d roit d e séjo ur à d es ét ran gers.

1 selon A. Ogien, Concevoir les pratiques de l'intervention sur autrui (séminaire public, CNAM 2005) : le caractère bureaucratique d'une activité est défini par cinq critères exposés par Max Weber dans son analyse de la domination légale : a) spécialisation des tâches et fonctions ; b) relations impersonnelles et codifiées ; c) statut reconnu de fonctionnaire ; d) système de direction hiérarchique ; e) importance des documents écrits comme garants de la bonne exécution de la mission confiée à un agent.

« En général, la mendicité se recrute de paresseux que rien ne peut faire travailler. Le plus grand nombre ont été élevés dans cette pratique dès l'enfance » et de décrire son action en direction des mendiants « J'ai d'abord fait signifier aux valides de tout sexe qu'ils eussent à se pourvoir d’ouvrage, parce qu'ils ne seraient pas tolérés mendiant […]. La plus grande partie de cette population céda donc à mes injonctions ; et je vis qu'il ne restait qu'un petit nombre de rebelles, trop faible pour embarrasser l'action de la justice ».

Suppression de la mendicité à Rouen par M. Henri Barbet Maire et Député de Rouen Annuaire des cinq départements de l'ancienne Normandie publié par l'Association normande à Caen chez H.

Le Roy en 1841. http://www.bmlisieux.com.

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Ces crit ères d e j u gement s ont rarement d éfi nis dans des circu lai res officiel les, qui n 'i ndi quent qu e l 'ob jecti f à attei nd re, mais s ont pou rtant bi en à l'œu vre d ans l es p ratiqu es éval uativ es d es fon ctio nn aires in vest is du po uvo ir de cont rôl e so ci al. Ainsi s e crée u ne catégori e d ’ét ran gers "accept ab les " aux yeux d es fon ctio nn ai res.

1. 2 . 2 Le tra vail so cial

Les politiques sociales déterminent des actions spécifiques et des prestations visant des populations ciblées et prises en charge par des travailleurs sociaux. Ainsi dans ce texte de la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales) destiné à une réflexion des professionnels du travail social, nous voyons l’évolution des dénominations et leur rapport à la prise en charge par les travailleurs sociaux.

« Pour décider d’attribuer telle ou telle carte, il y avait plusieurs facteurs à prendre en compte : il fallait vérifier auprès des services actifs qu’il ne s’agissait pas d’un délinquant, et puis ça dépendait aussi de l’intérêt que présentait l’étranger. Il y a tout de même un facteur d’utilité […]. En tant que fonctionnaire, on était investi d’une mission de service public, d’une mission de défendre l’État et les intérêts de l’État.»

Entretien de Bernard, fonctionnaire de la Préfecture de Police, de 1950 à 1974, p. 173, analysé par A. Spires, Étrangers à la Carte, l’administration de l’immigration française en France (1945-1975), Paris, Grasset, 2005.

Signalement émanant d’un fonctionnaire des Renseignements Généraux, daté du 11 octobre 1966, faisant suite à une circulaire du Ministère de l’Intérieur aux préfets, concernant le rapatriement des oisifs : « Amar B. entré en France en 1956 ne justifie d’aucun moyen d’existence avoué, mène une existence oisive, ne faisant aucun effort pour trouver du travail et se complaisant en la compagnie de ces jeunes qui hantent le quartier latin et qu’on appelle beatniks, sans toutefois en présenter le caractère hirsute ».

Circulaire du 17/4/64 du Ministère de l’Intérieur aux préfets concernant le rapatriement des

oisifs, A.P.P., dossier n° 3000334, (Spires, 2005, 215).

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Dans l es ann ées 1 960, l e S ervice So ci al Fami lial No rd -Afri cain, ch argé d’in terv eni r au près d es famill es m i grantes ori gin ai res d u M aghreb, d éfi nit l es

"M usul mans " en ins i stan t su r leurs "m œu rs parti culi ères ".

Dans l es rappo rts des édu cateurs, les mots util is és, la mani ère p arfois

"d irect e" d e d ési gn er, d e sti gm atis er l a ou l es p erso nn es d éviantes, p eu v ent être rel ev és, t émoi gnan t du regard pos é et, p ar voi e de cons équ en ce, d es pratiq ues q ui s ’ y ratt ach ent.

« La place des familles monoparentales dans la société a varié et varie entre exclusion, rejet, invisibilité, banalisation. […]. L’utilisation du terme "monoparental" en tant que catégorie statistique par l’INSEE en 1981 et son utilisation à l’occasion du recensement de 1982 ont permis l’entrée dans les catégories démographiques d’une réalité ancienne ; quelques années plus tôt, la catégorie "parent isolé" définie par l’intervention publique avait contribué à légitimer des situations de plus en plus répandues mais ignorées des politiques, et donc laissées à la charité et assistance : 'De tout temps, des enfants ont été élevés par un seul parent, mais il était inconcevable de regrouper dans une même catégorie des situations qui se retrouvaient aux deux extrêmes de la hiérarchie sociale : la veuve de guerre au sommet de l’échelle, la fille-mère tout en bas' (Drieskens, 2000). […] Les femmes monoparentales sont souvent explicitement devenues une cible du travail social en raison de leurs faibles ressources ou de leurs spécificités ».

Dossier de la CNAF, Les représentations dans le temps et l’espace des familles monoparentales, Dossier d’étude n° 42, mars 2003, Université Rennes 2.

« Ce sont leurs "mœurs particulières" qui les séparent des populations "autochtones" et qui expliquent aux yeux du service le racisme, dont ils font l’objet, l’origine des problèmes sociaux et de l’inadaptation des Algériens […]. Les Arabes, les Musulmans en particulier font l’objet d’un traitement paternaliste et ethnocentriste qui se focalise sur les femmes, souvent victimisées au regard de leur culture d’origine. A contrario, les représentations dominantes produisent une perception négative des hommes immigrés, disqualifiés comme époux et comme pères. Leur religion, quant à elle, est perçue, aujourd’hui comme hier, comme facteur d’aliénation et comme un obstacle majeur à l’intégration des immigrés. » Ainsi, dans les années 1960, les pères musulmans ont souvent été disqualifiés. «Les rapports d’activité du Service Social Familial Nord-Africain les caractérisaient comme 'peu enclins à évoluer, certains n’ayant aucune vocation à la vie moderne, parasites, exploitant la législation sociale et l’assistanat ». Tandis que ce même service social va s’intéresser aux femmes « qui font le choix de se couper de leurs origines ».

F. Guélamine, Les faces cachées de la "différence culturelle", Le travail social face au racisme :

Contribution à la lutte contre les discriminations, Paris, ENSP, 2006.

Références

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