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Partie 1 : prolégomènes

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Partie 1 : prolégomènes

1. De la souveraineté nationale à la libéralisation

Ce chapitre peut de prime abord sembler ennuyeux et trop juridique. Nous pensons cepen- dant que ce serait une erreur de passer sous silence les évolutions du droit, car le droit n’est jamais qu’une traduction des rapports sociaux ou rapports de force entre États, entre États et populations, entre États et agents économiques, entre les différentes composantes des pouvoirs publics,… En ce sens, le droit est une porte d’entrée intéressante surtout pour un domaine traditionnellement aussi régulé que le transport aérien où, pour faire simple, tout ce qui n’est pas autorisé est interdit.

1.1. Avant la libéralisation : souveraineté nationale et accords bilatéraux

1.1.1. La souveraineté nationale étendue au domaine aérien

En 1919, la Convention Internationale de Paris réunit les vainqueurs de la première Guerre Mondiale dans le but d’établir une charte internationale concernant le contrôle et le déve- loppement du transport aérien à l’échelle mondiale. Dès l’article 1er de la Convention, il est indiqué que les États exercent une souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de leur territoire.

À Chicago, fin 1944, la fin de la Seconde Guerre Mondiale est proche et s’y tient une nou- velle conférence internationale sur l’aviation. Le moment paraît en effet opportun de repo- ser les bases du développement du transport aérien commercial dans le monde. Les États- Unis, dotés d’une aviation civile domestique très développée et n’ayant pas été ravagée par la guerre, souhaitent un large accord multilatéral et libéral, mais doivent essuyer le refus des autres pays participants. En conséquence, la Convention de Chicago et ses annexes1 qui résultèrent de la conférence confirmèrent la souveraineté nationale absolue décidée en 1919, d’une part, et arrêtèrent que les modalités d’accès aux marchés se fixeraient sur base de conventions bilatérales entre États d’autre part. Seul le droit de survol et d’escale tech- nique sont automatiquement échangés entre les pays signataires de la Convention. Pour le reste, l’article 6 de la Convention est très clair : « Aucun service aérien international régu- lier ne peut être exploité au-dessus du territoire d’un État contractant ou à l’intérieur de celui-ci, sauf avec une permission spéciale ou toute autre autorisation dudit État et à condi- tion de se conformer aux termes de ladite permission ou autorisation ».

La Convention de Chicago a pour originalité de combiner multilatéralisme et bilatéralisme : – un multilatéralisme dans les principes et la création de l’ICAO / OACI (Organisation de

l’Aviation Civile Internationale), institution permanente rattachée à l’ONU ;

– faute d’accord multilatéral complet, un bilatéralisme à l’échelle des échanges de droits de trafic et du fonctionnement économique des services aériens.

À partir de là, les discussions quant à l’échange des « droits de trafic », exprimés par les

« libertés de l’air », se feront essentiellement sur une base bilatérale. Des conventions entre États auront pour objet l’échange de droits d’exploitation (survol et escale technique) et de

1 Plus précisément, il s’agit de la « Convention relative à l’Aviation Civile Internationale » et des annexes

« Accord relatif au Transit des Services Aériens Internationaux » (dit aussi « Accord des deux Libertés ») et « Accord relatif au Transport Aérien International » (dit aussi « Accord des cinq Libertés »). La Convention de Chicago est entrée en vigueur le 4/4/1947.

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trafic (accès au marché) mais également les capacités, les tarifs, les compagnies autorisées à exploiter telle ou telle route. En 1985, on comptait 23 000 accords bilatéraux relatifs au transport régulier entre 200 pays et 16 000 aéroports (OCDE, 1988), à tel point que Grard (2004) qualifie l’échange aérien international sous régime bilatéral comme relevant du

« commerce administré ». Tout accord implique un important travail des administrations et des diplomates, et le processus menant à un accord est parfois long et tortueux1.

Selon les négociants en présence — puissance des États et de leurs compagnies, dévelop- pements escomptés, marchés nationaux, position géographique par rapport aux flux de tra- fic —, les accords iront du libéralisme au protectionnisme. Ainsi, l’accord dit des Bermudes I, signé en 1946 entre les États-Unis libre-échangistes et le Royaume-Uni alors protection- niste est un compromis entre libre-échange et régulation : les États-Unis ont accepté que les tarifs appliqués soient ceux fixées par l’IATA tandis que la Grande-Bretagne a cédé sur le fait que la capacité ne soit pas équitablement répartie entre les deux pavillons mais a priori laissée libre en fonction du jeu des compagnies. Plus protectionnistes, les pays latino- américains ont longtemps mené la vie dure aux négociants états-uniens, en particulier le Venezuela, l’Argentine et le Brésil, soit les pays présentant les trois plus importants mar- chés locaux et les principaux points d’entrée régionaux en provenance des États-Unis ou d’Europe (Folliot, 1985). On peut difficilement nier que « le libéralisme et le protectionnisme correspondent moins à des positions de doctrine qu’à l’expression, dans une situation politi- que et économique donnée, d’un rapport de forces dans les relations aériennes bilatérales » (Folliot, 1985), même s’il était sans doute plus juste de parler d’un rapport de forces éco- nomiques et/ou géopolitiques s’exprimant par le biais des relations aériennes.

Précisons enfin que la Convention de Chicago est un texte souvent vague ou ambigu, mais telle était semble-t-il la condition pour parvenir à la signature d’un accord. Il pêche par au moins deux problèmes non-résolus à ce jour : la définition des services réguliers et non- réguliers d’une part2, et la définition de certaines libertés de l’air d’autre part.

1.1.2. Les libertés de l’air

D’un point de vue géographique, les droits d’exploitation et de trafic sont le mieux définis par les « libertés de l’air » (Figure 2)3. L’appendice IV de l’acte final de la Conférence de Chicago (Accord relatif au Transport Aérien International, dit aussi « Accord des cinq Liber- tés ») définit cinq libertés de l’air : deux première relatives à l’exploitation et trois suivantes relatives à l’accès au marché. Symptomatiquement, il y est historiquement question de

« privilèges » accordés par un État à un autre. Toutefois, dans les définitions données ac- tuellement par l’OACI, on parle tout de même de « droit ou privilège ». Nous les reprenons ici afin de montrer à quel point le transport aérien régulé disposait de peu de libertés.

1 Pour un organigramme complet, voir Midttun (1992).

2 La Convention de Chicago ne donnant pas une définition claire des services réguliers, l’OACI se penchera sur la question en 1947 (étant entendu que les services non-réguliers correspondent à ce qui ne sera pas défini comme régulier). Cinq années furent nécessaires pour arriver à une définition simple des ser- vices aériens internationaux réguliers reprenant quatre conditions cumulatives : minimum deux États impliqués, aéronefs accessibles au public, publication des horaires et régularité de l’offre constituant ain- si une série systématique de vols. Cette simplicité ne fit pas l’affaire de suffisamment de pays membres et le texte ne fut pas ratifié par assez de pays pour être adopté. L’OACI se remit au travail entre 1977 et 1980, sans plus de succès. Dès lors, les règles de définition varient selon les pays et nombre d’accords bilatéraux prendront le soin de préciser ce qui est entendu par service régulier par leurs signataires (Fol- liot, 1985). Le problème est cependant résolu à l’intérieur des espaces qui ont aboli la distinction, comme aux États-Unis et en Union Européenne.

3 Précisons que les incertitudes relatives à la définition des 5e et 6e libertés, et donc la variabilité des in- terprétations qui en résulte, ont rendu ardue la réalisation de cette figure d’apparence élémentaire. Ont finalement été consultés un avocat spécialisé en droit aérien (qui en perdit son latin) et les spécialistes de l’Administration belge de l’Aéronautique, que nous remercions ici.

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Figure 2 : les libertés de l’air

Voici les définitions données par l’OACI (1996) dans son Manuel de la réglementation du transport aérien (Figure 2) :

1. Première liberté de l’air : « le droit ou privilège accordé par un État à un autre ou plusieurs autres, dans le cadre de services aériens internationaux réguliers, de survoler son territoire, sans y atterrir ».

2. Deuxième liberté de l’air : « le droit ou privilège accordé par un État à un ou plu- sieurs autres, dans le cadre de services aériens internationaux réguliers, d’atterrir sur son territoire pour des raisons non commerciales ».

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3. Troisième liberté de l’air : « le droit ou privilège accordé par un État à un autre État, dans le cadre de services aériens internationaux réguliers, de débarquer, dans le terri- toire du premier État, du trafic en provenance de l’État dont le transporteur a la nationa- lité ».

4. Quatrième liberté de l’air : « le droit ou privilège accordé par un État à un autre État, dans le cadre de services aériens internationaux réguliers, d’embarquer, dans le terri- toire du premier État, du trafic à destination de l’État dont le transporteur a la nationali- té ».

5. Cinquième liberté de l’air : « le droit ou privilège accordé par un État à un autre État, dans le cadre de services aériens internationaux réguliers, de débarquer et d’embarquer, dans le territoire du premier État, du trafic en provenance ou à destination d’un État tiers. »

La 5e liberté de l’air pose depuis toujours des problèmes d’interprétation. Sa définition même semble varier selon les sources, fussent-elles autorisées (Guillot, 1970 ; OACI, 1996)1.

Figure 3 : problèmes de définition de la 5e liberté de l’air.

A, B et C sont des États, dont sont respectivement issues les compagnies AA, BB et CC.

Source : OACI (1996).

1 Deux problèmes se posent en effet (Cheng, 1962 ; OACI, 1996) :

où se trouve l’État tiers par rapport aux États qui échangent ou accordent des droits de 5e liberté ? Celui-ci peut se trouver en position aval, intermédiaire ou amont, ce qui a poussé Cheng à définir autant de formes de 5e liberté (respectivement 5e liberté du point au-delà, du point intermédiaire et du point antérieur) ; les deux premières sont équivalentes, car de toute façon les trois États doivent être d’accord, donc la position relative de B et C en aval de A n’a guère d’importance ; par contre, la 5e liberté du point antérieur est plus spéciale, car passe par le pays de la compagnie, et est au- jourd’hui souvent qualifiée de 6e liberté.

dans le cadre d’un vol A-B-C, selon que l’on considère le vol complet (origine et destination vérita- bles) ou les différents tronçons parcourus qui forment autant de coupons différents dans le billet délivré (méthode de l’origine et de la destination par coupons ou tronçons de vol), la classification des libertés de l’air ne change pas ou au contraire change selon les tronçons (Figure 3).

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Quatre autres libertés de l’air sont souvent citées. Celles-ci sont officieuses car ne figurent ni dans la convention de Chicago, ni dans ses annexes, ni dans les versions ultérieures. Les organisations officielles (et les juristes) parlent donc dès lors de « soi-disant libertés ».

L’OACI prend toutefois la peine de les définir, sous cette réserve sémantique.

6. Sixième liberté de l’air : « le droit ou le privilège, dans le contexte de services aériens internationaux réguliers, de transporter, en passant par l’État dont le transporteur a la nationalité, du trafic entre deux autres États. »

Ici aussi il y a matière à interprétation. Certains considèrent la 6e liberté comme la sim- ple juxtaposition de deux vols impliquant des 3e et 4e libertés. D’autres la voient comme une variante de la 5e liberté (dite « du point antérieur »). D’autres, enfin, estiment qu’il s’agit d’une liberté spécifique dite 6e liberté. Dans ces deux derniers cas, on se situe hors des classiques des droits « naturels » de 3e et 4e libertés. Les tenants de la pre- mière interprétation sont plutôt les pays ou compagnies se situant au point intermé- diaire (jadis, typiquement Sabena avec son hub européen à Bruxelles) ; les tenants de la deuxième ou troisième interprétation sont plutôt ceux localisés en périphérie des flux de trafic (par exemple le Royaume-Uni par rapport à l’Europe continentale).

7. Septième liberté de l’air : « le droit ou le privilège, accordé par un État à un autre, dans le contexte de services aériens internationaux réguliers, de transporter du trafic entre l’État qui accorde ce droit ou privilège et un troisième État quelconque sans obliga- tion d’inclure dans cette opération un point du territoire de l’État bénéficiaire. »

8. Huitième liberté de l’air (cabotage consécutif) : « le droit ou le privilège, dans le contexte de services aériens internationaux réguliers, de transporter du trafic de cabo- tage entre deux points du territoire de l’État qui accorde le droit ou privilège au moyen d’un service qui commence ou se termine dans le territoire de l’État dont le transporteur étranger a la nationalité, ou (en rapport avec la septième liberté de l’air), à l’extérieur du territoire de l’État qui accorde le droit ou privilège. »

9. Neuvième liberté de l’air (cabotage pur) : « le doit ou le privilège de transporter du trafic de cabotage de l’État qui accorde ce droit ou privilège au moyen d’un service ef- fectué entièrement à l’intérieur dudit État ».

En vertu de l’Accord relatif au Transit des Services Aériens Internationaux1, les deux pre- mières libertés sont échangées entre les pays originellement signataires de l’accord multilatéral de Chicago et entre ceux qui l’ont ratifié par la suite (Figure 4). L’Accord relatif au Transport Aérien International, précité, prévoit que les États négocient, sur une base bilatérale, l’accès aux 3e, 4e (droits dits « naturels ») et 5e libertés de l’air. Dans la pratique, les 6e à 9e libertés sont éventuellement discutées, mais c’est très rare ; elles ne sont généralement offertes que dans le cadre d’un accord multilatéral libéral complet, telle la libéralisation européenne, ou dans des situations de « désespoir » de pays pauvres visant ainsi à être tant bien que mal connectés à d’autres États (Dobruszkes et Mwanza wa Mwanza, 2007).

1 Annexé à l’Accord de Chicago. Dit aussi « Accord des deux Libertés ».

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Figure 4 : les signataires de l’accord sur le transit international

Dans le cadre de la présente thèse, nous ne considérerons comme 5e liberté que la liberté du point au-delà (et sa jumelle du point intermédiaire), tandis que la 6e liberté sera pour sa part considérée comme une liberté de l’air à part entière (Figure 5).

Figure 5 : les libertés de l’air (version simplifiée)

(7)

1.1.3. Le contenu des accords bilatéraux

Classiquement, les accords bilatéraux comprennent trois parties : l’accord proprement dit, une annexe et un mémorandum (OCDE, 1988).

Dans sa forme non-libérale, l’accord précise typiquement que les relations aériennes entre les deux pays signataires doivent être opérées par une ou plusieurs compagnies désignées par chacun des deux pays, que ces compagnies doivent être effectivement contrôlées par ces pays (pouvoirs publics ou actionnaires privés), que les tarifs sont établis par les compa- gnies dans le cadre des règles de l’IATA puis approuvés par les deux gouvernements et que les compagnies des deux pays doivent opérer sur une base loyale (capacité et accès au marché). Enfin, l’accord non-libéral interdit en général les 6e à 9e libertés de l’air.

L’annexe de l’accord non-libéral précise la liste des aéroports entre lesquels l’accord vaut et précise dans quelle mesure il peut être fait usage de la 5e liberté de l’air.

Enfin, les mémorandums, souvent confidentiels, modifient certains points de l’accord de base.

Dans une version libérale, l’accord peut être assoupli en tout ou partie, voire conduire à un accord de ciel ouvert (« open-sky ») entre les signataires, auquel cas l’accès au marché est libéralisé au moins en ce qui concerne les cinq premières libertés de l’air. Les États-Unis sont actuellement les champions de la signature d’accords open-sky (Button et Taylor, 2000) : l’OMC recense 86 accords open-sky signés entre 1992 et 2002, dont 59 impliquent les États-Unis1 (Figure 6) (OMC, 2005).

Figure 6 : la toile des accords open-sky états-uniens

ennes. Les

Cela dit, les États-Unis semblent plus enclins à exporter le libéralisme qu’à l’importer : les négociations UE – USA en vue d’établir un accord open-sky transatlantique butent sur le cabotage intra-USA, que ceux-ci ne veulent pas offrir aux compagnies europé

1 Signés avec des pays aussi variés que les Pays-Bas, le Chili, la Roumanie, le Bénin ou la Slovaquie.

(8)

États-Unis ont évidemment beau jeu de dire que des vols USA-UE-UE ou UE-UE ne sont en général pas du cabotage mais de la 5e liberté vu le fractionnement de l’Union en une ving- taine d’États.

Exemples de contenu des accords bilatéraux : Voir annexe 2.

1.2. La libéralisation du ciel européen

« Pour jouer avec profit, avec plaisir, pour jouer, en somme, librement, il faut des règles du jeu » (J. Naveau, 1996).

1.2.1. Libéralisations, dérégulations, privatisations, (re)régulations

Ces termes abondent dans le discours contemporain, en particulier les trois premiers, sans qu’ils soient toujours bien définis. On peut même dire que la confusion est souvent de mise.

Eberlein (1998 et 1999), s’appuyant sur Grande (1994), nous aide à y voir clair.

La libéralisation est un assouplissement voire un abolissement des restrictions de mise sur le marché. Si monopole il y avait, elle entraîne inévitablement une « dé- monopolisation » puisque de nouveaux producteurs sont admis sur le marché.

Elle ne doit pas être confondue avec la dérégulation, qui est un assouplissement voire une abrogation des lois, statuts ou règles au moyen desquels la puissance publique tente d’influencer le comportement du secteur privé. Dans son acception européenne la plus gé-

out les libéralisations, dans ien des domaines. La construction européenne vise en effet avant tout l’efficience écono-

r et al.,

Ces

tion soin de décider du

libé vei libé

(re)régulation qui combine donc « marché plus libre » et « plus de règles » (Eberlein, 1998 et 1999). Un régulateur œuvre et veille alors à la concrétisation et à la bonne appli- cation des principes de la libéralisation préalablement décidée.

Dans différents domaines, l’État passe donc d’un rôle actif dans la définition et la production à un rôle de gardien du marché libéré (quant ce rôle n’est pas transféré aux organes de l’Union, en particulier la Commission). Tout au plus accepte-t-on qu’il se mêle plus intime-

nérale, la régulation est l’imposition de règles publiques restreignant la liberté des acteurs [privés mais aussi publics]1.

La libéralisation ne doit pas être confondue avec la privatisation, qui est un changement de forme juridique d’entreprises publiques qui prennent le statut d’entreprise privée, éven- tuellement à la faveur de la vente de tout ou partie des parts de l’État au secteur privé.

La « grande œuvre » de l’Union Européenne concerne avant t b

mique et considère la concurrence comme le meilleur moyen d’y parvenir (Cartelie

1996). Marchés des biens, de services et de capitaux, services publics en réseaux,… sont ainsi progressivement et inlassablement libéralisés.

libéralisations ne s’accompagnent pas nécessairement de privatisations ni de dérégula- s (Varone et Genoud, 2001). L’Union laisse en général aux États le

statut des entreprises publiques, tout en bannissant ou restreignant souvent leur finance- ment par les pouvoirs publics, ce qui peut de fait pousser à la privatisation2. En outre, les

ralisations sont presque systématiquement encadrées par un nouveau contexte légal qui lle à ce que le marché « libéré » fonctionne de manière « fluide ». C’est le paradoxe des ralisations qui, pour fonctionner selon les règles du marché, appellent une

1 Il faut noter que le terme « régulation » n’a pas le même contenu en Europe et aux États-Unis. En Eu- rope, il a tendance à être utilisé pour désigner l’ensemble de la législation, du pilotage macro- économique et du contrôle social. Aux États-Unis par contre, il renvoie au contrôle et au soutien d’activités justifiés par les défaillances du marché (monopole, externalités négatives,…) (Majone, 1994).

2 Par ailleurs, les limites imposées aux États membres quant à leurs dépenses publiques sont également un incitant à la vente, partielle ou totale, des « bijoux de famille ».

(9)

me

entreprises publiques ou privées mais appartenant à l’État sont soit cantonnées à des seg- ents bien précis (missions de services publics), soit priées d’agir conformément aux règles

1

ttendus ou constatés) de la libéralisation par rapport à un certain nombre d’objectifs ou valeurs ou « contraintes » ;

en effet aux égalités sociales et territoriales, au fait que l’efficience économique ne conduit pas à

t ui peuvent conduire à des ob-

du marché. Pour ne pren- blics français les plus libéraux acceptent sur la desserte aérienne de la Corse, no-

ements précisent les nouvelles règles et les

1.2.2. Le nouveau cadre législatif européen

a libéralisation du ciel européen n’a été rendue possible que par la voie législative de

t de mesurer chemin parcouru et détaille le troisième et principal paquet de mesures, qui scelle la si-

t

nt des services publics résiduels, mais là aussi dans le respect des règles établies. Les m

et contraintes du marché, donc comme une entreprise privée .

On distingue généralement deux niveaux de régulation (Varone et Genoud, 2001) :

– la régulation de premier ordre vise le respect, par les acteurs privés et publics, des rè- gles du jeu libéralisé ; elle vise à supprimer les barrières à une « loyale concurrence » (selon l’expression consacrée) et suppose donc une stricte application du droit de la concurrence ; l’État exerce ici une responsabilité dite managériale ;

– la régulation de second ordre vise à corriger les résultats (a

il s’agit de proposer ou en tout cas de permettre une compensation des perdants, qu’il s’agisse de catégories de personnes ou de territoires, ou d’autres thématiques (par exemple l’environnement) ; l’État exerce ici une responsabilité dite politique, théorique- ment au nom de l’intérêt général2.

On peut donc comprendre la régulation de second ordre comme la limite de la sphère de la libéralisation économique, selon une logique libérale. Cette sphère se heurte

in

l’équité e aux politiques sectorielles menées par ailleurs et q jectifs s’écartant des résultats de la stricte application des règles dre qu’un exemple, même les responsables pu

qu’un régime d’obligation de service public porte

tamment au nom de « l’intégrité territoriale » de la République.

La libéralisation du ciel européen suit bien ce schéma. L’Union ouvre quasi totalement le marché (du moins pour les compagnies communautaires). Cette libéralisation oblige les États à abolir un lot conséquent de législations nationales pour les remplacer par les nouvel- les règles communautaires. Les nouveaux règl

exceptions. Il n’y a aucune obligation de privatisation mais le financement public des com- pagnies (recapitalisations, aides temporaires, soutien à l’exploitation) est sévèrement enca- dré et devient l’exception soumise à l’appréciation « de Bruxelles »3 (cf. infra).

1.2.2.1. Un processus européen par étape L

l’Union Européenne, dont le droit s’impose sans discussion possible aux États membres. Un accord multilatéral « classique » entre ceux-ci eût été probablement plus difficile à adopter, mettre en œuvre et gérer au quotidien. Comme l’écrit Naveau (1996), « les délicats aban- dons de souveraineté [nationale] requis par la libéralisation ne pourraient se faire qu’au travers d’une législation communautaire ».

La libéralisation européenne fut un long chemin, qui déboucha sur trois « paquets » de me- sures (Tableau 1). L’annexe 3 dresse un historique de la libéralisation, perme

le

tuation ac uelle.

1 Tout au plus l’État imposera des « nominations politiques » et diverses décisions dès lors qu’elles ne violent pas les règles du marché, par exemple la forte incitation à desservir tel aéroport à condition que ce soit rentable, la localisation de telle branche de l’entreprise publique dans telle région (par exemple le Crédit Lyonnais à Euralille),…

2 Nous écrivons « théoriquement » car il est difficile de croire que l’État serait monolithique et neutre vis- à-vis des composantes sociales de nos sociétés.

3 Selon l’expression en vigueur hors Belgique.

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L'implémentation de la libéralisation du ciel européen

Mesures Liaisons Adoption Entrée en vigueur*

1er paquet intra-UE 14/12/1987 au plus tard le 31/12/1987

2e paquet intra-UE 24/07/1990 01/11/1990

3e paquet intra-UE 23/07/1992 1/1/1993 sauf cabotage (1/4/1997) Décision suite à l’accord EEE UE - reste de l'EEE 21/03/1994 1/7/1994 sauf cabotage (1/4/1997)

Accord UE / Suisse UE - Suisse 21/06/1999 01/06/2002

Convention de Vaduz intra-AELE** 21/06/2001 01/06/2002

rs mesures transitoires

uisse, Norvège, Islande et Liechtenstein

* ho

** S

Tableau 1 : les principales étapes de la libéralisation du ciel européen

selo t1 est adopté

ception des mesures ansitoires dont le cabotage pur (9 liberté). Il concerne tous

C’est avec le 3e paquet que la libéralisation du ciel communautaire prend toute son ampleur, n un calendrier collant avec l’agenda de l’Acte Unique. Le troisième paque

en juillet 1992 pour être appliqué à partir du 1er janvier 1993, à l’ex

tr e les services aériens commu-

l

son siège social

squ’au 1/4/1997 ; fondamentale- nautaires. Alors qu’aux États-Unis la libéralisation a « simplement » consisté à libéraliser un marché national déjà intégré, la libéralisation européenne crée un marché intérieur multina- tional en abolissant et interdisant les accords bilatéraux entre pays membres.

1.2.2.2. Le troisième paquet de mesures Ce ui prévoit principalement :

– l’existence d’un statut de transport aérien communautaire, délivré par un État à toute compagnie qui satisfait aux conditions énoncées par le règlement du Conseil ; il y a no- tamment lieu d’avoir son principal établissement et, le cas échéant,

dans un pays membre et d’être détenu et effectivement contrôlé en majorité par un ou des États membres et/ou ressortissants des pays membres ; incidemment, ce règlement fait sauter les entraves qu’avaient imposées la plupart des États membres à l’investissement étranger dans leurs compagnies ;

– que tout transporteur détenteur d’une licence communautaire peut opérer n’importe quel vol intra-communautaire et en quantité voulue, sauf transitoirement le cabotage pur (9e liberté2), laissé à l’appréciation des États ju

ment, l’échange des droits de trafic cesse d’être bilatéral et conditionnel pour devenir communautaire et automatique ;

la liberté tarifaire ; –

Ces aux règles de concurrence et le

– –

du Royaume d'Espagne et du Royaume-Uni » ;

– l’élargissement des possibilités d’imposer des obligations de service public (OSP), et la possibilité, nouvelle, de verser une compensation financière à l’exploitant ;

– diverses exemptions, régimes particuliers et mesures transitoires.

mesures confirment la soumission du transport aérien

pouvoir de la Commission à déclarer les exemptions, et à enquêter et « juger » (en fait ren- dre des décisions) sur les entraves à ces règles.

Les exceptions, régimes particuliers et mesures transitoires : les obligations de service public ;

Gibraltar n’est pas soumis à la libéralisation « jusqu'à ce que soit mis en application le régime prévu dans la déclaration conjointe faite, le 2 décembre 1987, par les Ministres des Affaires Étrangères

1 Règlements 2407/92, 2408/92 et 2409/92, concernant respectivement la licence des transporteurs aé- riens, le libre accès au marché et la liberté tarifaire ; règlements 2410/92 relatif aux modalités d’application des règles de concurrence ; règlement 2411/92 (JOUE L240 du 24/8/1992).

2 Le cabotage consécutif (8e liberté) est quant à lui libre dès le 1/1/1993.

(11)

– les Açores et les îles grecques sont exemptées de la libéralisation jusque fin juin 1993, é de reconduction de deux fois deux ans1 ;

ont protégeables par les États jusqu'au 1er avril 1997 sauf s’ils

e 2

aximum 3 ans ;

ité des transporteurs, les autres États pou- décision ;

ts de trafic lorsque se posent des ques- tion ; ici aussi les règles sont bien défi- nies et les restrictions ne peuvent durer que trois ans ;

– clause provisoire permettant de ne pas donner les droits de trafic si la réciprocité est impossible du fait de la saturation d’un aéroport ;

– les obligations de service public permettent de fixer les tarifs ;

– en cas de dérive des tarifs vers le haut, ou de tendance générale à la baisse mettant en péril l’état financier du secteur, les États membres peuvent « sauvegarder » les tarifs, selon un cadre et une procédure à nouveau bien définis ; les États membres, voire toute personne légitimement intéressée, peuvent demander à la Commission d’enquêter et rendre une décision ;

– exemptions diverses et variées trop longues à détailler ici.

Concrètement3 :

– Gibraltar : en suspens ;

– îles grecques : un premier prolongement de 5 ans a été conclu, mais pas de second comme cela aurait pu être décidé ; les îles grecques ont donc été soumises à la libérali- sation à partir du 1er janvier 1998 ;

– la répartition des capacités dans un même système aéroportuaire semble n’avoir été mise en œuvre qu’au niveau des systèmes aéroportuaires de Milan et Paris, tout en ayant été cassée par la Commission Européenne qui ne l’estimait pas fondée4 ;

– la restriction des droits de trafic pour les raisons environnementales, de sécurité ou de saturation n’a pas été appliquée à ce jour ;

– il n’y a pas eu d’enquêtes pour dérive des tarifs ; – la dernière exemption a pris fin en juillet 2005.

avec possibilit

– les marchés nationaux s

constituent le prolongement de services internationaux (8 liberté) ;

les concessions exclusives relatives au marché domestique peuvent, sous certaines conditions, être maintenues durant m

– les routes pour passagers entre aéroports régionaux à faible trafic (moins de 30 000 passagers par an) peuvent sous certaines conditions ne pas être ouvertes à la concur- rence pendant deux ans ;

– les États peuvent répartir le trafic entre aéroports d’un même système aéroportuaire*, sans discrimination de nationalité ou d’ident

vant saisir la Commission qui enquête et rend une – les États peuvent restreindre l’exercice des droi

tions de sécurité, d’environnement et de satura

1 Sur proposition de la Commission tranchée par le Conseil.

2 Rien n’oblige cependant les États à attendre cette date.

3 Source : Commission Européenne, administrations grecque et portugaise de l’Aviation Civile (entretiens téléphoniques en juin 2005).

4 Dans le cas parisien, la France prit prétexte d’une saturation d’Orly pour faire barrage à l’arrivée de la TAT britannique (1993), et l’envoyer à Charles de Gaulle. La Commission en fut saisie et condamna la France, estimant qu’il n’y avait pas saturation et constatant une discrimination évidente fondée sur la nationalité du transporteur, un régime différent s’appliquant à des transporteurs d’autres nationalités (Balfour, 1994).

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1.2.2.3. Une libéralisation étendue aux partenaires de l’EEE et partiellement à la Suisse

Espace Économique Européen : libéralisation sans réserves

Les pays membres de l’AELE* non-membres de l’UE et signataires de l’Espace Économique Européen (EEE*), soit actuellement la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein1 sont soumis à la libéralisation du ciel de l’UE et ses modalités depuis le 1er juillet 1994, suite à l’Accord sur l’Espace Économique Européen signé en 1992 et à une décision du Comité mixte de l’EEE de mars 1994. A ce titre, les transporteurs et aéroports des trois pays mentionnés sont consi- dérés comme n’importe quel autre transporteur communautaire.

La Suisse : une première étape

La Suisse, qui n’est membre ni de l’UE ni de l’EEE (mais sera intégrée à l’espace Schengen probablement en 20082), a signé avec l’UE en juin 1999 un accord sur le transport aé- rien entré en vigueur en juin 2002. Celui-ci prévoit l’application par la Suisse de nombreux actes communautaires, dont le troisième paquet de libéralisation et les règles de concur- rence. Les aides d’État sont proscrites sauf exception (mesures sociales ou de développe- ment économique des régions à niveau de vie particulièrement faible ou sous-emploi grave3).

Cependant, le marché libéralisé est limité puisqu’il ne concerne que le segment international entre la Suisse et les pays membres, pour les compagnies communautaires d’abord et pour les compagnies suisses deux ans plus tard. En d’autres termes, les transporteurs suisses n’ont pas librement accès au marché intérieur communautaire et les compagnies commu- nautaires n’ont pas librement accès au marché domestique suisse. Il est toutefois prévu de lancer des négociations dans les cinq ans afin d’éventuellement lever ces limitations et donc pleinement intégrer la Suisse au marché unique aérien.

Dès lors, très logiquement, les mesures qui empêcheraient, fausseraient ou restreindraient la concurrence (et seraient, dans l’UE, a priori incompatibles avec le marché commun), sont déclarées relevant du droit et des autorités suisses dès lors qu’elles ne concernent que le commerce en Suisse4.

Pour l’anecdote, signalons enfin que l’adhésion de la Suisse à la libéralisation du transport aérien simplifie la question du régime applicable à la desserte de l’aéroport binational fran- co-suisse Euroairport Bâle – Mulhouse5.

Norvège, Islande et Lichtenstein vs Suisse :

Question subsidiaire : les membres non-UE de l’EEE ont-ils librement accès, par vol interna- tional, au marché suisse au même titre que les compagnies de l’UE ? Inversement, les com- pagnies suisses ont-elles librement accès, par vol international, au marché de ces trois pays ?

L’accord UE – Suisse mentionné plus haut ne couvre pas ces relations. Cependant, la Convention de Vaduz, signée en 2001 et faisant évoluer l’accord originel de 1960 fondant l’AELE, libéralise le transport aérien international6 entre ses quatre membres, dont la Suisse, selon des modalités proches de la libéralisation façon UE. Comme pour l’accord Suisse – UE, le cabotage est donc exclu de la libéralisation.

1 La Suisse est le quatrième pays membre de l’AELE non-EU mais n’a pas rejoint l’EEE. L’Autriche, la Fin- lande et la Suède ne sont plus visés par ces accords depuis leur entrée dans l’UE. Enfin, le Liechtenstein a rejoint l’EEE le 1er janvier 1995 mais n’est pas directement concerné par la libéralisation du ciel dans la mesure où ce pays n’est doté ni en aéroports ni en compagnies aériennes.

2 Suite au résultat favorable d’une votation populaire en 2005.

3 Article 13.

4 Article 10.

5 Il faudrait toutefois un accord intégrant totalement la Suisse à l’espace communautaire du point de vue aérien et une entrée dans l’espace Schengen pour faire de cet aéroport un aéroport comme les autres.

6 En particulier son annexe Q.

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On en arrive donc à la situation résumée par le tableau ci-dessous.

Vers EEE

Depuis UE25 Norv., Isl., Liech. Suisse

UE25 EEE Norvège, Islande,

Liech.

tout vol pour toutes les compagnies de l’EEE tout vol Suisse – EEE pour les compagnies suisses et de l’EEE Suisse tout vol Suisse – EEE pour les compagnies

suisses et de l’EEE

tout vol domestique pour les com- pagnies suisses Tableau 2 : les liaisons européennes concernées par la libéralisation (situation 2006)

Les territoires particuliers :

Les possessions britanniques (Falkland,…), danoises (Groenland, îles Féroé), néerlandaises (Aruba, Antilles néerlandaises) et françaises hors DOM (Polynésie française, Nouvelle Calé- donie,…) soit ne font pas partie du territoire communautaire tout en bénéficiant d’un régime dit d’association1, soit, mais c’est plus rare, en font partie mais sans que le Traité ne s’y applique2. Dans tous les cas, ils ne sont pas concernés par la libéralisation du ciel façon UE.

Par contre, les DOM français (Guadeloupe, Guyane française, Martinique et Réunion), les Açores, Madère et les îles Canaries font partie intégrante de l’UE, mais leur situation éco- nomique et sociale « aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de pro- duits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développe- ment, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l'application du présent traité à ces régions, y compris les politiques communes »3. Quoi qu’il en soit, la libéralisation du transport aérienne s’y applique.

1.2.3. Pourquoi la libéralisation ?

Dès les années 1960, des scientifiques se sont interrogés sur le besoin de conserver le ré- gime régulateur contraignant (voir par exemple Levine, 1965 ou Jordan, 1970). Leur avis n’a alors guère été entendu et, comme bien souvent, les idées novatrices ont triomphé au moment où « l’on » estimait en avoir besoin. Il nous semble donc intéressant de poser la question du pourquoi de la libéralisation et donc de l’option libérale4.

La force économique des États-Unis et de leurs compagnies explique probablement que ce pays se soit le premier lancé dans l’aventure de la libéralisation de son transport aérien na- tional (liberté pour les compagnies nationales sur le marché national). La puissance poten- tielle des compagnies britanniques, si elles étaient réunies, explique sans doute, avec la conviction ultra-libérale de M. Thatcher, que la Grande-Bretagne ait suivi.

L’Union Européenne attendit une décennie pour libéraliser son propre ciel puis être rejointe en cela par les autres pays de l’Espace Économique Européen et partiellement la Suisse, également pour les seules compagnies de ce bloc. Au terme de cette libéralisation, l’UE et ses associés constituent du point de vue secteur aérien presque un État unique.

L’avènement annoncé au 1er janvier 1993 du marché unique sans frontières intérieures, fondé sur la libre circulation (des marchandises, des personnes, des services et des capi- taux), rendit logique une libéralisation du transport aérien en tant que vecteur important des échanges communautaires. C’est d’ailleurs là la seule motivation officielle de la libérali-

1 Articles 182 et suivants plus annexe II du Traité instituant la CE (version consolidée de 2002).

2 Article 299 du Traité instituant la CE (version consolidée de 2002).

3 Article 299 du Traité instituant la CE (version consolidée de 2002).

4 Nous remercions ici Paul Magnette, professeur et directeur à l’Institut d'Études Européennes de l’ULB, qui nous a aidé à hiérarchiser les facteurs (entretien en septembre 2006).

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sation qui figure dans les attendus du règlement 2408/92 offrant le libre accès au marché pour les transporteurs communautaires1.

Nous pensons cependant qu’il faut se replacer dans un contexte plus large et inclure des considérations non-écrites. On peut alors mettre en avant deux motivations plausibles, qui renvoient l’une au libéralisme actuellement défendu en général par les institutions euro- péennes et l’autre à la prétention européenne de puissance mondiale.

1.2.3.1. La trame de fond : du paradigme keynésien au paradigme néolibéral

Les libéralisations comme ingrédient palliatif de la crise structurelle :

Dès la fin des années 60, le déclin du taux de croissance de la productivité annonce la chute du taux de profit des entreprises et une longue crise économique structurelle. A partir de 1979-80, les élites intellectuelles, politiques et économiques balaient progressivement le consensus keynésien au profit d’un nouveau paradigme dit néo-libéral (Dixon, 1998). Selon Duménil et Lévy (2000), celui-ci n’a d’autre but que de restaurer le taux de profit des en- treprises privées mis à mal par la phase B du 4e cycle économique de Kondratieff. Dès lors que les salaires sont bloqués (voire diminuent en termes réels) et que l’État ne soutient plus massivement l’économie, la question de la solvabilité des marchés devient en effet cruciale.

Pour y répondre, diverses mesures sont mises en œuvre afin d’étendre la sphère mar- chande (privatisations et libéralisations), développer des marchés nouveaux (libéralisations permettant de faire sauter certains verrous jadis imposés par les États et limitant les volu- mes de production ; mondialisation qui permet d’étendre spatialement le domaine des fir- mes transnationales et de faciliter leurs opérations internationales). Dans ce cadre, la libre- concurrence devient le dogme qui permet de justifier tout et n’importe quoi, malgré le fait que celle-ci s’appuie sur des postulats scientifiques pour le moins très fragiles (Sapir, 2003).

La réceptivité de l’Union Européenne :

Si le changement de paradigme est la « variable lourde », quel y fut le poids de l’Union Eu- ropéenne dont on sait qu’elle est aujourd’hui clairement libérale ? Selon Scharpf (2000), l’UE a plus agi comme réceptrice (effet de levier) du nouveau paradigme que comme créa- trice, d’autant que différents États membres l’ont précédée dans la voie néo-libérale.

Une fois les acteurs européens convertis au néo-libéralisme, le contenu libéral d’une partie des dispositions du Traité de Rome a utilement été appelé à la rescousse. Rédigé en période keynésienne, celui-ci reprend plutôt les idées d’avant-guerre mais, s’agissant d’un compro- mis, il mélange libéralisme et gardes-fous permettant diverses régulations étatiques. La question sera alors souvent de savoir quels principes doivent l’emporter, les uns et les au- tres en appelant à tel ou tel article ou à telle ou telle interprétation.

Depuis le revirement néo-libéral des années 80, les institutions européennes ont largement opté pour l’arsenal libéral (strict contrôle des dépenses des États membres, politique monétariste, libéralisations,…) uniquement tempéré par la difficulté d’atteindre l’unanimité.

Ceci se note clairement dans les textes légaux et dans l’action de la Commission.

Au niveau des textes, on rappellera que le Traité instituant la Communauté Européenne2 indique dès son article 3 (g) que l'action de la Communauté comporte « un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché intérieur », alors que les services pu- blics, habilement rebaptisés « services d’intérêt économique général3 », n’apparaissent qu’à

1 Les autres attendus sont des considérations techniques ou des justifications des écarts prévus par rap- port au libre-marché intégral (obligations de service public, mesures transitoires,…). Les attendus du projet de règlement, tel que soumis au Conseil et au Parlement européens ne sont pas plus détaillés.

2 Version consolidée, JOCE du 24/12/2002.

3 Appellation qui elle-même semble succéder à la notion de « service universel » qui, dans le vocabulaire européen, remplaçait celle de « service public » traditionnellement utilisée dans les États de droit roma- no-germanique par opposition aux pays de droit anglo-américain. Dans les pays de droit romano- germanique, on a longtemps considéré que les personnes publiques étaient seules à même de représen- ter l’intérêt général ; ainsi, on y décidait que certains secteurs / certaines activités relevaient de l’intérêt général pour que leur gestion / leur accomplissement relève d’un monopole public de droit. Le service

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l’article 16. Difficile également de ne pas rappeler le cas du projet de Traité Constitutionnel Européen (TCE). Alors qu’un tel texte est censé organiser le fonctionnement des institutions et garantir un certain nombre de libertés fondamentales, le projet de TCE apparaît surtout comme un moyen de cadenasser quasi définitivement les options libérales de l’Union, ôtant ensuite toute possibilité de décider par voie politique des grandes orientations économiques (Sapir, 2006). Ainsi, dès la partie I, l’article 4 — portant sur les « Libertés fondamentales et non-discrimination » — garantit « la libre circulation des personnes, des services, des mar- chandises et des capitaux ». Le fait que l’Union adhère à la Convention européenne de sau- vegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales semble moins important puis- que cela ne vient qu’à l’article 9 (2) de cette même partie. Quant à la « Charte des droits fondamentaux de l'union », qui prévoit notamment l’interdiction de la peine de mort, elle ne constitue que la partie II.

Quant à la Commission, elle œuvre pour libéraliser progressivement tout ce qui est possible, compte tenu des rapports de force du moment au sein du Conseil (et plus récemment du Parlement du fait du principe de co-décision). Son allié de fait a souvent été la Cour Euro- péenne de Justice. Consultée par des tribunaux nationaux ne sachant comment trancher certaines affaires au regard du droit européen (question préjudicielle) ou saisie par la Com- mission, c’est souvent elle qui impose une stricte application des dispositions du Traité de Rome (assurant ainsi sa propre légitimité). La Commission emboîte alors traditionnellement le pas pour rédiger de nouvelles législations conformes aux décisions de la Cour. Depuis l’Acte Unique, la Commission a également profité du fait que divers domaines, dont les transports, ne requièrent plus l’unanimité mais la majorité qualifiée, ce qui permet dans une certaine mesure d’outrepasser les pays récalcitrants.

Les fonctionnaires européens, un terreau sociologiquement fertile pour le libéralisme ?

Le libéralisme des institutions permanentes de l’UE n’est-il pas renforcé par un facteur so- ciologique dans le chef de ses fonctionnaires compte tenu de leur position sociale (salaires élevés) et symbolique (élite recrutée par concours) ? Poser une telle question implique de résoudre le vieux débat entre ceux qui pensent que « les élites n’ont pas nécessairement les idées de leur sociologie »1 et ceux qui en sont moins convaincus et parmi lesquels on peut, sans prendre trop de risques, citer Pierre Bourdieu. On se contentera ici d’apporter quelques éléments de réponse.

Georgakakis (2002) indique que la sociologie des fonctionnaires européens est très mal connue car peu étudiée, alors même que la Commission dispose du leadership institutionnel au sein de l’Union. La sociologie des acteurs européens se limite essentiellement à de rares recherches sur les pères fondateurs et sur les commissaires. Il y voit pour cause, entre au- tres, le fait que, pour faire avancer les choses, la Commission évite la confrontation avec ses partenaires et concurrents. Pour ce, elle recherche le compromis donc institutionnalise la négociation comme pratique de gouvernement et valorise les procédures, ce qui brouille la lisibilité de son travail voire de son existence en tant qu’acteur du changement. Il en dé- coule une dénégation de la nature politique de son travail et donc un désintéressement de la sociologie des acteurs européens, si ce n’est ceux qui bloquèrent le processus tel De Gaulle. Dans les faits, l’étude de l’Union Européenne a été et est encore surtout le fait des économistes (principaux bénéficiaires des demandes d’expertise), des juristes spécialisés en droit communautaire (du fait des interrogations sur les formes possibles d’organisation) et des politologues mais dans le cadre des relations internationales. Smith (2002) abonde en affirmant que « les activités des commissaires restent encore une ‘boite noire’ pour les sciences sociales ».

universel est plus « ouvert » dans la mesure où il combine les objectifs du service public (accès à tous, prix abordable, continuité,…) avec la concurrence et sans exclusivité publique dans l’exercice de la fonc- tion. Le service public traditionnel est centré sur les tâches et leur exercice public, tandis que le service universel se centre sur les seules tâches. Pour une discussion approfondie, voir Poullet, van der Mens- brugghe et al. (1996).

1 P. Magnette, entretien en septembre 2006.

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Quoi qu’il en soit, Georgakakis (2002) souligne le fait que si les agents de la Commission Européenne en sont arrivés à incarner l’intérêt communautaire, c’est grâce à un processus de production et d’intériorisation de croyances qui passe notamment par l’activation de

« valeurs communautaires » pour mobilier les fonctionnaires et la « routinisation » de la croyance dans le caractère supérieur de l’intérêt européen. De nombreux fonctionnaires semblent voir leur action comme relevant de la technique ou de l’expertise, et non de la politique. Abélès et Bellier (1996) vont dans le même sens en constatant que pour ces agents, la politique se trouve plutôt dans les manœuvres nationales anti-Europe plutôt que dans le contenu idéologique du projet européen. Abélès (1996) va même plus loin en affir- mant que le souci principal des agents de la Commission est de « produire une image aussi épurée que possible de la machine communautaire ». L’absence officielle d’enjeux politiques et de rapports sociaux se retrouve dans la communication de la Commission, directement inspirée des méthodes prônées par les experts en marketing pour rendre l’information

« conviviale » et souvent a-politique, au point, selon Smith (2002), de « pasteuriser ses propres politiques ». En résumé, l’action communautaire se drape dans les draps blancs mystificateurs d’un intérêt supposé supérieur et qui transpire du haut vers le bas de la hié- rarchie administrative européenne.

Il faut y ajouter, en suivant Eichener, cité par Majone (1994), que les fonctionnaires euro- péens ont un profil sociologique très différent de celui de leurs homologues nationaux. Ils sont très motivés, polyglottes, cosmopolitains et ouverts à l’innovation. Leurs conditions de recrutement et de carrière sont favorables à la défense d’idées nouvelles et à la poursuite d’une stratégie de réglementation innovatrice allant au-delà des « tabous » existant au sein des États membres. Majone ajoute que les experts nationaux peuvent également trouver auprès de la Commission, à l’occasion de réunions « techniques », une écoute favorable à leurs idées dont on ne veut pas dans leur administration nationale1.

Tout ceci pour dire que les fonctionnaires européens, en particulier la grande masse des universitaires n’étant pas aux postes les plus élevés, ne baignent manifestement pas dans un milieu critique face au corpus libéral. Serait-il osé d’ajouter que les conditions favorables dont ils jouissent en termes de revenus et d’avantages divers — très largement supérieurs à ceux que l’on peut escompter dans une administration nationale, voire dans différents sec- teurs privés — ne doit guère les prédisposer à s’interroger sur l’adéquation des politiques menées eu égard à d’hypothétiques objectifs sociaux ? Pourquoi critiquer un système qui vous nourrit plus que décemment ?

1.2.3.2. La montée en puissance de l’Union Européenne face aux États-Unis : Les institutions européennes et le projet européen s’affirment de plus en plus comme un bloc intégré désireux de peser sur la scène internationale, quitte à entrer en conflit avec les États-Unis, sur le plan commercial ou géopolitique, l’UE balançant entre concurrence avec eux et co-gestion du monde dans le sens de leurs intérêts communs (Magnette et Remacle, 2000). Dans cette optique, dépasser le cadre des États et imposer une économie fonction- nant selon les règles du marché permet, pense-t-on, d’être mieux armé face aux économies concurrentes. Naveau (1992) ne dit pas autre chose en affirmant que « la contemplation toute proche des mega-carriers américains émergeant des eaux troublées de la dérégle- mentation donnait une image très présente, et très pressante, du péril de l’anachronisme [du cadre des États-Nations] ». Un anachronisme jusque là difficile à sur- monter, comme l’a par exemple montré Delepiere (1974) avec le projet de consortium Air Europe qui aurait consisté, si les négociations avaient abouti, à mettre en commun les moyens et la stratégie des cinq principales compagnies de l’Europe des Six).

Sans se focaliser sur le transport aérien, Defraigne (2004) indique que la crise entamée en 1973 a rendu impossible le maintien du fort soutien financier des États à leurs champions nationaux et que la démultiplication de ces derniers — parallèlement à la fragmentation de

1 Est ainsi cité le cas d’un inspecteur britannique qui, via des réunions tenues à Bruxelles, a réussi à faire intégrer dans un projet de directive européenne ses idées sur l’évaluation des risques liés aux équipe- ments mécaniques et dont on ne voulait pas entendre parler en Grande-Bretagne. La directive a depuis lors été approuvée et ses idées avec.

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l’Europe — était de plus en plus dérisoire face aux gigantesques moyens mobilisés par les États-Unis pour soutenir leurs « prime movers ». En outre, le contrôle de plus en plus strict des aides d’État pousse à de nombreuses privatisations, éventuellement après un ren- flouage public des entreprises concernées, et les pays membres de l’UE ne s’entendent pas sur la nécessité d’une politique industrielle par secteurs d’activités. Ils laissent donc au mar- ché, via l’option de la libre concurrence, le soin de « rationaliser » les secteurs d’activités et de constituer des champions européens capables de rivaliser avec les autres champions en particulier américains.

Il est donc plausible que les autorités européennes aient pensé que la libéralisation du ciel européen assainirait le secteur tout en le fortifiant, les compagnies survivantes étant plus à même de concurrencer leurs consœurs états-uniennes ou asiatiques. Cette position est en tout cas de mise après la libéralisation, comme en témoigne le fait qu’en 1994, la Commis- sion a finalement accepté l’aide d’État à la restructuration d’Air France (sous conditions), notamment au motif que « une véritable restructuration d'Air France contribuera au déve- loppement du transport aérien européen en améliorant sa compétitivité ; elle est donc conforme à l'intérêt commun1 ». Va dans le même sens le fait que les rapprochements (al- liances, entrées dans le capital,…) voire les fusions entre compagnies sont généralement acceptées par la Commission2, avec des conditions « supportables », malgré les entraves à la concurrence qu’elles peuvent constituer par le renforcement des positions dominantes. Si la Commission est favorable à la concurrence, elle semble donc plus intéressée encore par la constitution d’une industrie aérienne puissante et qui compte à l’échelle mondiale. Ce- pendant, on est encore loin de la constitution de compagnies européennes transnationales, la constitution du groupe Air France – KLM étant de ce point de vue une exception3.

1.2.3.3. Le rôle des lobbies et des États membres

Si la libéralisation du transport aérien est la conséquence logique du marché unique, renfor- cée par le libéralisme des institutions européennes et leur préoccupation du poids de l’Europe dans le monde, demeure néanmoins une double question :

1. La Commission a-t-elle été « autonome » pour promouvoir la libéralisation du transport aérien ou a-t-elle été influencée par des groupes de pression ? La question n’est pas anodine car on sait que cette institution est particulièrement perméable aux intérêts dé- clarés du grand patronat4. Jennar (2004) montre à quel point les groupes de pression représentant ses intérêts sont chez eux à la Commission, au point que le contenu de leurs propositions se retrouvent, parfois à peine modifié, dans des avis de la Commis- sion voire dans les traités et autres actes législatifs. Par ailleurs, Mac Mullen (1997), étudiant le profil des commissaires européens, montre que ceux-ci ont un profil (en ter- mes d’âge, d’éducation et de parcours professionnel) typique des titulaires de hauts pos- tes dans les administrations nationales, mais aussi qu’ils ont pour la plupart, de par leurs fonctions antérieures, une large expérience de la négociation avec les entreprises privées, les syndicats et les groupes d’intérêt. Le principe même de la consultation de lobbies est de mise depuis les débuts de la CEE et constitue même une philosophie de la Commission qui y voit entre autres un moyen de contribuer à sa légitimité (Mazey et Ri- chardson, 2006). Plus récemment, la consultation externe a d’ailleurs été officiellement érigée en principe et institutionnalisée ; dans ce cadre, la Commission écrit qu’en

« accomplissant son devoir de consultation, la Commission veille à ce que ses proposi- tions soient techniquement viables, concrètement réalisables et fondées sur une appro- che ascendante. En d'autres termes, toute consultation digne de ce nom sert un double objectif en contribuant à une amélioration qualitative des politiques et en renforçant la

1 Décision 94/653 (JO L 254 du 30/09/1994, p. 73-89).

2 Qui les examine au travers de la législation européenne sur les concentrations (voir Rivoal, 1997).

3 On notera d’ailleurs qu’à ce stade, les deux marques commerciales (Air France et KLM) sont conservées.

4 Le petit ou moyen patronat n’ayant pas nécessairement les mêmes intérêts.

(18)

participation des parties intéressées et du public en général »1. Un win-win en quelque sorte, au nom de la « qualité » et du « réalisme » des régulations publiques…

2. Pourquoi les États membres ont-il finalement accepté une libéralisation qui n’avait préalablement pas leurs faveurs ? Se sont-ils simplement inclinés face à la décision de la Cour Européenne de Justice dans l’affaire dite « Nouvelles Frontières » (voir annexe 3) ? Ou ont-ils intrinsèquement évolué sur la question et plus généralement sur le libéra- lisme ? Ont-ils à ce point eu peur de la force des grandes compagnies états-uniennes ? Répondre à ces deux questions n’est ni évident ni le sujet direct de notre thèse. Elles impo- sent en outre de connaître l’opinion des « flag carriers* » et l’état des interactions entre celles-ci et leurs États de tutelle ou d’origine pour savoir si l’un a influencé l’autre. On se limitera donc à donner quelques éléments qui mériteraient une analyse plus poussée2.

Concernant le lobbying à destination de la Commission, Kyrou (2000) traite du cas du transport aérien, malheureusement seulement pour deux dossiers postérieurs aux trois pa- quets de libéralisation. Il donne cependant un descriptif des deux principaux lobbies réunis- sant les compagnies aériennes.

Les « flag carriers » sont réunis au sein de l’Association of European Airlines (AEA), associa- tion créée en 1954 par les présidents d’Air France, KLM, Sabena et BEA (ancêtre, avec la BOAC, de BA), sous le nom Air Research Bureau, le siège étant installé à Bruxelles.

L’appellation actuelle date de 1973 (19 membres). L’AEA compte aujourd’hui 30 compa- gnies membres qui sont presque toutes le principal transporteur, petit ou grand, de leur pays. Le siège a été maintenu à Bruxelles dès lors que l’AEA s’est mise à faire office de groupe de pression auprès des institutions européennes, dans les années 80. La majorité simple suffit à prendre une décision mais le consensus est recherché.

Initialement, il n’y avait pas au sein de l’AEA de consensus favorable à la libéralisation. Le clivage opposait les grandes compagnies que sont British Airways, Lufthansa et KLM aux plus petites compagnies et à Air France qui voulait protéger son important marché inté- rieur3. Au milieu des années 80, l’AEA parvint au consensus en faveur d’une libéralisation progressive. Diverses compagnies ont finalement accepté la libéralisation en échange d’une recapitalisation. Il fallut toutefois attendre la préparation du 3e paquet pour que l’AEA joue pleinement un rôle de lobby en alimentant la Commission, le Conseil et le Parlement. Clai- rement, l’AEA ne fut pas le moteur de la libéralisation : elle a emboîté le pas tardivement afin de limiter la casse et tenter d’influencer les textes en sa faveur4. L’AEA fut donc défen- sive et non offensive. Ceci ne rend que partiellement plausible la première raison potentielle de la libéralisation (volonté d’extension des marchés dans un contexte où la demande est limitée). On notera d’ailleurs qu’aucune compagnie européenne n’était membre de l’European Roundtable of Industrials à l’époque où ce lobby, qui rassemble de nombreux champions nationaux, fut, selon l’aveu même de Jacques Delors, l’une des principales forces motrices lors de la confection du Livre Blanc de la Commission en 1985 qui fut la base du grand marché de 1992 (Balanya et al., cité par Defraigne, 2004).

Les compagnies régionales sont, quant à elles, réunies au sein de l’European Region Airlines Association (ERA). Précisons d’emblée que le fait que ces compagnies se réunissent dans une association distincte de l’AEA témoigne de la divergence des intérêts entre flag carriers, héritant des positions dominantes de la période régulée, et des compagnies régionales qui n’ont généralement pas profité des largesses et de la bienveillance des États pour se déve- lopper. Fondée en 1980 par 5 membres, l’ERA compte actuellement 222 membres soit 67 compagnies aériennes, 40 aéroports et 115 autres intéressés5. Parmi les compagnies mem-

1 Communication de la Commission des Communautés Européennes, Vers une culture renforcée de consultation et de dialogue - Principes généraux et normes minimales applicables aux consultations en- gagées par la Commission avec les parties intéressées, COM 2002/704, 11/12/2002.

2 Beau sujet pour un mémoire ou une thèse en sciences politiques.

3 Les choses évoluèrent au sein d’Air France avec la présence de Bernard Attali comme président (1988- 93, donc après que fut décidée la libéralisation), le développement du réseau TGV qui restreignait le marché intérieur et la perspective d’un rapprochement avec UTA et donc Air Inter qui placerait Air France en position dominante sur le marché intérieur. Source : interview de Jacques Naveau, août 2005.

4 Source : interview de Jacques Naveau, août 2005.

5 Fabricants d’avions, fournisseurs de services,…

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