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JUSQU'AU BOUT DU MYSTERE

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JUSQU'AU BOUT

DU MYSTERE

R o man policier inédit

LE GLAIVE

COLLECTION POLICIÈRE LES EDITIONS DU PUITS-PELU 10, RUE JULIETTE-RÉCAMIER LYON

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CHAPITRE 1 e r

— Daurigny, le patron vous demande. Il paraît que c'est pressé.

Ainsi interpellé à peine eut-il paru sur le seuil de la salle réservée à Messieurs les Inspecteurs, Charles Daurigny eut un mouvement d'impatience.

— Alors, pas même le temps de respirer ! Il se secoua à la façon d'un caniche. La pluie qui alourdissait sa gabardine s'éparpilla en menues gout- telettes que reçurent en plein visage deux de ses collègues absorbés dans une palpitante belote qui se jouait sur un coin de table.

— Et alors, vous ne pourriez pas faire attention !

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s'exclama l'un, appartenant à la Brigade mondaine et, de ce fait, très soigné dans sa tenue.

Mais déjà Daurigny fonçait à travers la pièce dont l'atmosphère, lourde de fumée où se mêlaient les émanations des pipes et des cigarettes, aurait pu faire concurrence au brouillard que les naturels de Londres nomment, purée de pois. Il s'arrêta de- vant une porte à laquelle il frappa.

Tout de suite, une voix impérative lui donna l'or- dre d'entrer et l'inspecteur se trouva devant le Com- missaire Lhortier, chef de la Brigade Criminelle.

— Vous voici enfin, Daurigny; voilà une heure que j'attends votre retour ! fit une voix dépourvue d'aménité.

— Patron, je m'occupais de cette affaire. Le chif- fonnier trouvé assassiné dans sa cahute de la zone.

— Passez le dossier à l'un de vos camarades.

Facile à débrouiller, pas?

— Crime de l'ivresse. Une rixe après boire. Le meurtrier est en fuite mais il n'a pas pu aller bien loin. Tout le désigne, du reste.

— Bon, j'ai quelque chose de plus intéressant à vous confier.

Sur son bureau, Lhortier consulta quelques notes hâtives qu'il venait de prendre.

— Transportez-vous immédiatement avec l'Ins-

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pecteur Floche, avenue de la Grande-Armée, au garage Ginès. Un homme assassiné vient d'être découvert dans une voiture. Police-Secours a été alerté. J'ai l'impression qu'on patauge, d'après le coup de téléphone que le grand chef a reçu. Filez vite et du tact. La victime est un homme riche, con- nu. Je m'en remets à vous.

— Merci, patron. J'aurais aimé emmener avec moi le petit Boiselier. Un nouveau, mais qui a du cran.

— Au fait, pourquoi pas? Je garde Floche, jus- qu'à nouvel ordre. Emmenez votre petit copain, si ça vous chante. Au revoir, mon vieux et bonne chance !

En trombe, Charles Daurigny refit le chemin déjà parcouru par lui. Au passage, il se pencha vers un jeune homme qui semblait compulser un dossier avec une grande attention.

— Boiselier, j'ai quelque chose pour toi. Du nanan ! Libre ?

— Toujours, pour travailler avec vous, Dauri- gny !

— Parfait; alors, en route.

Dans la cour de la P.J. les deux inspecteurs montèrent dans l'une des petites autos noires qui attendaient. Daurigny donna à l'agent chauffeur

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l'adresse du garage. Et ce fut le départ pour le quartier de l'Etoile. Tandis que la voiture filait le long des quais en direction de la place de la Concorde, Raymond Boiselier cribla son compagnon de questions auxquelles le policier était bien inca- pable de répondre.

C'était la manière du Commissaire Lhortier de lancer ses collaborateurs sans leur tracer un plan et les ligoter par de strictes directives : « Rien de plus pernicieux que d'aborder une affaire crimi- nelle avec des idées arrêtées d'avance. A chacun de se débrouiller et de prendre ses responsabilités. » De l'affaire de l'avenue de la Grande-Armée, Dau- rigny ne savait rien, si ce n'est qu'un homme avait été tué et que le corps venait d'être découvert dans un garage.

Paisiblement, il bourrait sa pipe et en tirait avec une visible délectation, des volutes de fumée bleue.

On arriva ainsi presque à l'extrémité de l'avenue de la Grande-Armée. Devant le garage indiqué, deux agents montaient une garde mélancolique, défendant impitoyablement l'entrée aux journalis- tes déjà alertés et à une poignée de passants, qui s'étaient mêlés aux voisins dès l'arrivée du car de la police.

L'inspecteur exhiba sa carte et passa sans diffi-

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cultés. Dans le garage étaient rangées, aussi près que possible les unes des autres, des voitures de toutes marques et de toutes dimensions. Des hom- mes circulaient, affairés. Un petit groupe demeurait immobile devant une « Aronde » peinte en gris pâle dont les deux portières de gauche béaient sur des sièges bas, capitonnés d'un drap de même tein- te. Une superbe voiture dont Daurigny apprécia tout de suite l'élégance.

Pour le moment, la voiture était vide, mais l'un des assistants que Daurigny venait de reconnaître pour le commissaire du XVII arrondissement, ve- nait d'enjoindre à l'un de ses hommes de prendre place au volant.

Encadré par des agents en civil, un garçon d'en- viron vingt-cinq ans, cotte bleue de mécanicien et mains encore tachées de cambouis, montrait un visage hagard et ahuri.

— Ils tiennent déjà le coupable, fit Boiselier déçu à l'oreille de son collègue. On se sera déran- gés pour rien.

— A savoir, répondit Daurigny qui avait ma- nœuvré pour se trouver tout près de celui que le Commissaire foudroyait de son regard hostile.

— Ce que vous racontez ne tient pas debout, Haltuin, je vous en avertis charitablement. Si vous

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persistez à ne pas dire la vérité, je vous coffre im- médiatement. Vous vous débrouillerez avec ces messieurs de la P.J.. Vous voilà prévenu !

— M'sieur le Commissaire, je puis pas vous dire autre chose que ce que je sais.

— Bon, résumons-nous. Vous aviez pris, à vingt- deux heures, la garde de nuit du garage. Vous deviez être relayé ce matin à sept heures. C'est bien cela?

— Oui, Monsieur le Commissaire. Jusqu'à deux, trois heures, les clients rappliquent, puis, généra- lement, c'est le calme plat; on peut pioncer jusqu'au jour.

— Vous étiez endormi lorsque cette voiture est entrée, conduite par son propriétaire?

— C'est-à-dire, je commençais à m'assoupir.

— Vous connaissiez parfaitement Monsieur Le- thière-Berthier ?

— Ça, c'est certain. Depuis que je suis employé chez Monsieur Ginès, m'sieur Berthier est un client, je peux même dire un excellent client. Il paye au mois le remisage de sa voiture. Une place spéciale lui est réservée afin qu'il puisse entrer et sortir sans difficultés. Quand il a une réparation à faire faire, c'est toujours au patron qu'il s'adresse. Pas vrai, Monsieur Ginès?

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— Et vous persistez dans l'affirmation qu'il était lui-même au volant de sa voiture.

— Bien sûr ! Même qu'il m'a dit : « Bonsoir, Paulot ! » Paulot, c'est mon diminutif.

— Il est donc bien établi que vous ne pouviez faire erreur et prendre un inconnu pour M. Ber- thier.

— Pour ça non, Monsieur le Commissaire.

Un homme entre deux âges, visiblement très ému, lui aussi, approuvait d'un signe de tête les dires de son employé.

— Voyons, que s'est-il passé ensuite? Parlez ! C'est assommant à la fin d'avoir à vous arracher les mots les uns après les autres !

— C'est l'émotion, Monsieur le commissaire.

J'ai pas l'habitude de causer à la Police. Et puis, tout ça, vous le savez puisque vos agents sont arri- vés aussitôt et qu'ils ont vu le macchabée. Moi, ça me fait quelque chose de me rappeler tout çela !

— Si votre conscience était au repos, vous n'éprouveriez aucune crainte de la Justice de votre pays.

— Sûr qu'elle est en repos, mais pour ce qui est de l'émotion, j'ai de l'émotion, y a pas d'erreur.

Enfin voilà, d'ailleurs, tout ce que je sais : je l'ai déjà dit devant vous et les types de Police-Secours,

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les photographes surtout, qui étaient d'un curieux.

Y voulaient savoir si on n'avait rien bougé... et la portière, et les coussins, surtout le cadavre ! Vous en savez quasiment autant que moi. C'est comme si vous y aviez été, à part le coup que ça m'a fait quand Sosthène Léger, (Sosthène, c'est le laveur de voitures) a poussé un grand cri et m'a appelé en disant : « Viens voir, Paulot ! Y a un maccha- bée ». Faut vous dire qu'à ce moment-là, il n'avait pas encore découvert la dame.

— Il y a aussi une femme? glissa Boiselier dans l'oreille de son compagnon.

Mais, pour la seconde fois, Daurigny lui imposa silence et demeura un peu à l'écart, évitant de si- gnaler trop tôt sa présence au Commissaire de l'arrondissement.

— Après, intima ce dernier au témoin de plus en plus déconcerté.

— Après, dame, je me suis précipité et j'ai vu un corps immobile, plié en deux sur le volant. Je me suis approché avec Sosthène, mais sans oser toucher à rien. Pourtant, Sosthène me disait : « Vas- y mon vieux. Je me suis sans doute trompé. C'est un type qui a pris une cuite, voilà tout ! » Moi, tout de suite, j'ai eu le pressentiment qu'il s'agis- sait de tout autre chose.

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— Et d'où vous venait cette intuition? Placé comme nous l'avons trouvé, le corps ne présentait aucune trace de violence, pas la plus petite tache de sang n'était visible.

— Mais puisque je vous dis et redis que Mon- sieur Berthier avait quitté le garage après avoir rangé sa voiture. Même que j'avais refermé la por- tière derrière lui en lui criant : « Bonsoir, Monsieur Berthier ! »

— A-t-il répondu à votre salut?

A cette question proférée par une voix inconnue, tous les acteurs du drame se retournèrent. Le Com- missaire de Police se trouva juste nez à nez avec l'inspecteur de la P.J.. Il ne parut pas autrement enchanté de cette rencontre à laquelle, pourtant, il devait s'attendre.

Les deux hommes se serrèrent la main.

— Ah ! c'est vous, Daurigny. Je suppose que le patron vous a chargé de cette affaire.

— Naturellement; c'est à la brigade criminelle de mener l'enquête, parfaitement commencée par vous, mon cher Commissaire.

— D'accord, nous verrons ça tout-à-l'heure.

L'affaire ne me paraît pas comporter un insonda- ble mystère.

En parlant, M. Tubert lançait un regard du côté

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de Paul Haltuin, regard qui ne laissait aucun dou- te quant aux soupçons qui pesaient sur le méca- nicien.

— Notre service a été alerté. Je viens donc pour- suivre l'enquête que vous avez, je le vois parfaite- ment conduite.

Il était dit que l'infortuné Paulot ne verrait pas se terminer rapidement un interrogatoire qui le bouleversait. D'une porte intérieure sur le vitrage de laquelle le mot « Bureau » était inscrit en let- tres noires, un homme vêtu d'une blouse blanche s'avançait vers le groupe des policiers.

— La jeune femme vient de reprendre ses sens.

— Est-il possible de l'interroger, docteur? de- manda le Commissaire Tubert.

— Je ne crois pas. Elle paraît tout-à-fait in- inconsciente et ne prononce que des mots sans suite. Tout en lui donnant mes soins, j'ai procédé à l'examen du cadavre. Oh ! un examen succint bien entendu et qui sera complété par mes con- frères de l'Institut Médico-Légal. De prime abord, je puis affirmer que la victime a été tuée par une balle de revolver tirée à bout portant par quelqu'un qui se trouvait tout près de la victime. Le canon de l'arme a dû toucher presque le maxillaire droit.

La balle a tranché la carotide. Le patient a été, im-

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médiatement étouffé par le sang et n'a pu profé- rer ni cri ni appel, mais il a fallu au meurtrier un sang-froid remarquable car, ainsi que vous pouvez le constater, le siège du conducteur se trouvant à gauche, l'assassin a dû faire une demi torsion pour tirer. Cela a dû être rapidement exécuté sans quoi la victime se serait aperçue du danger et aurait pu, d'un revers de bras, détourner l'arme.

— Pardon, Docteur, fit très doucement Dauri- gny, qui avait suivi avec la plus grande attention les conclusions du médecin, il pourrait y avoir une autre explication.

— Laquelle? fit sèchement le Commissaire Tu- bert.

— Celle-ci. Le meurtrier était peut-être assis derrière le chauffeur, sur la banquette arrière. Dans ce cas celui-ci, occupé à manoeuvrer son volant n'aurait pu prévoir le geste...

— Impossible. Dans le cas que vous dites, le projectile aurait eu une direction d'arrière en avant.

Il y aurait de grandes chances que la balle soit res- sortie à la hauteur de ce que l'on nomme la pom- me d'Adam. Or, ce n'est pas ce qui a été constaté.

La trajectoire de la balle est parfaitement nette. Le coup, tiré de haut en bas, elle s'est nichée dans la clavicule gauche qui est brisée.

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— Eh ! bien, suggéra Raymond Boiselier qui paraissait prodigieusement intéressé, l'homme était peut-être gaucher?

Sans paraître remarquer le visage fermé du Com- missaire Tubert, Daurigny questionna :

— Vous avez parlé d'une dame. Où se trouvait- elle quand le meurtre a été découvert?

— Juste entre la banquette de derrière et celle de devant, recroquevillée sur le tapis. Elle baignait dans une mare de sang...

— C'est la vérité, intervint Paulot, même que Sosthène et moi, quand on a téléphoné à Police- Secours, on a dit qu'il y avait deux assassinés. Pas vrai Sosthène?

— Sûr, elle ne bougeait pas et son visage était tout couvert de sang noir ! C'était horrible !

— Cette femme, quand la voiture est entrée dans le garage, vous ne l'aviez pas remarquée à côté de Monsieur Lethière-Berthier?

— Non, et voilà ce qui est extraordinaire ! On n'y avait pas pensé; mais quand M. Berthier est arrivé, pas plus que lorsqu'il est reparti à pied, je n'ai vu, à côté de lui, une passagère. Ça se remar- que, une dame assise dans une bagnole. Je me sou- viens que la portière d'avant est demeurée un mo- ment grande ouverte. Et la dame portait une robe

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claire et des fourrures blanches. Malgré les taches de sang, c'était encore visible. Et puis, je vous le dis, Monsieur Berthier est sorti seul, ça, j'en don- nerais ma tête à couper. Non, il a fallu que le pau- vre type revienne ici par quelque moyen diabolique afin de se faire estourbir dans sa propre voiture, à côté d'une dame qu'on n'avait jamais vue en sa compagnie.

— C'était donc la coutume de votre client de venir ranger sa voiture accompagné d'une dame?

Ce fut le garagiste qui répondit à la question de l'Inspecteur.

— Mon Dieu, cela pouvait arriver. Mon mal- heureux client était garçon. Il demeurait à Enghien, comme j'ai eu l'honneur de le dire à Monsieur le Commissaire. Les soirs où il rentrait chez lui, on ne le voyait pas. Les autres soirs, c'est-à-dire quand il passait la nuit à Paris et reprenait son « Aron- de » le matin suivant — parfois fort tard dans l'après-midi —, il était généralement en joyeuse compagnie. Des camarades, des dames aussi... Vous

saisissez ?

— Il avait une liaison?

— Je ne crois pas, mais je ne saurais affirmer.

A mon idée, c'étaient plutôt des amies de rencon- tre. Oh ! des femmes très chic !

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— Dans quelques instants, j'espère, vous pour- rez être mis en face de cette personne ainsi que votre personnel. Vous nous direz si vous l'aviez déjà vue en compagnie de la victime.

— A votre disposition, Monsieur l'Inspecteur, mais je me trouvais là quand on l'a sortie de la voiture et que l'on a lavé le visage recouvert de sang. Il m'a bien semblé que je la voyais pour la première fois.

Tandis que le Commissaire Tubert posait de nouvelles questions au patron du garage, Dauri- gny, discrètement, s'était écarté du groupe. Sans doute jugeait-il qu'un examen plus approfondi des lieux serait plus utile à son enquête. Toujours sui- vi de son jeune collègue, il se dirigea vers le bureau de M. Ginès, en ce moment envahi par les services de l'Identité Judiciaire. Tandis que des agents spé- ciaux s'efforçaient de relever les moindres emprein- tes et que les photographes prenaient les derniers clichés, les deux collègues se glissèrent dans la petite pièce d'où l'on pouvait, par une baie vitrée, suivre tout ce qui se passait dans le garage.

A demi étendue sur le confortable fauteuil de cuir du patron, une femme, les yeux hagards, sem- blait encore en proie à une demi-prostration. En silence, Charles Daurigny l'examinait curieusement.

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Paul Haltuin n'avait pas menti. Elle avait dû baigner dans une mare de sang, tout le sang échap- pé des veines de la malheureuse victime. Sa robe de soirée était maculée de sinistres taches brunes.

Du sang coagulé s'attachait à la chair nue des bras et de la gorge. La chevelure en était hideusement engluée. Toute la vie de l'homme assassiné s'était écoulée sur elle en un tiède ruisseau qui, une fois tari, avait laissé, écroulé sur son volant, un hom- me à jamais muet.

Daurigny ne s'attarda pas à ce lamentable spec- tacle. Le docteur Fabry ne s'était pas trompé. Il était prématuré d'essayer de tirer quelque rensei- gnement de la malheureuse femme. Dans une sor- te de cabinet de toilette faisant suite au bureau, un corps inerte qu'un drap blanc recouvrait, éten- dait sur une table que l'on avait transportée là, sa longue forme rigide.

Sans hésiter, l'Inspecteur écarta le linceul. Minu- tieusement, il examina la blessure, se pencha sur le visage exsangue. Sur la paroi de la gorge, un trou béait à peine. On aurait eu du mal à le remar- quer si, tout autour, la chair n'avait été noircie par la déflagration. Tout le sang des artères était ce- pendant passé par ce minuscule orifice. De toute évidence, le coup avait été tiré à bout touchant.

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Le mort pouvait avoir une trentaine d'années à peine. Les traits, amenuisés et comme sculptés dans de la cire, avaient dû être charmants. On n'avait pas encore songé à clore les paupières. Les yeux étaient grands, d'un marron foncé qu'une sorte de buée bleuâtre ternissait depuis que l'éclat de la vie les avait abandonnés. Les longs cils, bruns com- me la chevelure lustrée, la ligne mince des sour- cils arqués sur ce front large mais un peu bas, le dessin des lèvres charnues, au coin marqué par une légère fossette, tout concourait à donner à ce visage, désormais immobile, une beauté quasiment émouvante.

— Pauvre type, murmura Daurigny, plus api- toyé qu'il ne l'était d'habitude en présence d'un cadavre auquel s'intéressait surtout son instinct de policier. Pauvre type ! Il ne s'attendait guère à cette fin de soirée. Je suppose que cette mort fera couler bien des larmes.

Sur une chaise, les vêtements du mort étaient prèts à être emportés dans les laboratoires de la P.J.. Charles Daurigny constata que l'assassiné por- tait un smoking, un pardessus fantaisie : ses des- sous étaient de bon goût. Rapidement, par suite d'un réflexe professionnel, Daurigny nota sur son calepin les adresses des différentes maisons d'où

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provenaient ces vêtements. Il accorda un long exa- men aux chaussures. Leur semelle était encore maculée de sang. Machinalement, il en nettoya une afin de se rendre compte de la pointure qu'il jugea être du trente-neuf. Puis, son regard s'attarda sur les pieds du mort, encore recouverts de chausset- tes de soie.

— Un corps de sportif, constata-t-il encore.

Bah ! tout cela ne nous servira guère puisque l'iden- tité n'est pas douteuse.

Faisant signe à son collègue, il quitta la pièce et revint se mêler au groupe des enquêteurs. On était en train de photographier la voiture et les autos qui voisinaient avec elle. Un photographe, grimpé à l'intérieur relevait les empreintes qui pouvaient se trouver sur les différents objets que le conduc- teur avait eu à portée de ses mains.

— Vous ne vous occupez pas de la dame? de- manda Boiselier à son chef de file tandis que tous deux passaient devant l'inconnue à laquelle une in- firmière, récemment arrivée, prodiguait ses soins.

— Oh ! celle-là, il se passera du temps avant qu'elle puisse déposer.

Comme il s'approchait de l'auto sanglante, la- quelle paraissait être le pivot de toutes les recher- ches comme si les enquêteurs avaient espéré décou-

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vrir, parmi les coussins de drap gris-perle, la clef de la tragique énigme, l'inspecteur se baissa et, sans avoir été aperçu de personne si ce n'est de son jeune compagnon, il glissa dans sa poche le petit objet que sa main venait de saisir : un porte- billets sur lequel se trouvait une initiale en ar- gent : « G ».

Le Commissaire divisionnaire avait achevé d'in- terroger le mécanicien comprenant bien que, pour le moment du moins, il n'en tirerait rien. Paul Haltuin gisait, effondré sur une chaise qu'il avait fallu lui apporter tellement le malheureux parais- sait à bout de forces.

Satisfait, M. Tubert jetait un regard de mépris sur cette victime qu'il jugeait mûre pour des aveux complets. D'ailleurs, sa tâche était pour ainsi dire terminée puisque la P.J. était à pied-d'œuvre. Ses services seraient seulement chargés de veiller sur l'immeuble où le crime avait été commis, sur ses alentours aussi et à se livrer à des identifications quant au personnel du garage et à sa clientèle. A ces Messieurs de la Brigade Criminelle, la besogne délicate, mais aussi, les honneurs de la réussite, qui, d'après lui, ne se ferait pas attendre.

— Eh ! bien, mon cher Commissaire, cela

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s'éclaircit un peu? questionna Daurigny, d'un air innocent.

— Cela me paraît déjà parfaitement clair, Ins- pecteur.

— En vérité?

— Certes ! Si vous aviez été là dès le début, vous partageriez ma manière de voir qui est aussi celle de mes collaborateurs.

— Et, peut-on savoir?

— Pourquoi pas? D'autant plus qu'en regagnant mon commissariat, je serai forcé de faire une dé- claration à la Presse si je suis assailli par les re- porters.

— C'est peut-être un peu prématuré et je crois que la P.J. seule, prendra ce soin, quand nous le jugerons utile.

— Mais réfléchissez, Inspecteur ! La chose est lumineuse ! André Lethière-Berthier arrive hier soir, ou plutôt, aux premières heures de ce matin, à son habituel garage où le mécano Paul Haltuin aurait dû se trouver seul. Je dis : aurait dû, car il est probable que l'assassin était déjà là et atten- dait sa victime. L'auto entre. André Berthier est au volant. Il range sa voiture à sa place habituelle;

une place de choix qui lui évite d'emprunter les rampes et de conduire sa voiture vers les étages

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supérieurs, d'où perte de temps à l'aller et au re- tour. Au moment où il va la quitter, la portière s'ouvre, un homme monte sur le marche-pied et tire à bout portant.

— Il faut admettre que cet homme a agi avec une rapidité foudroyante, car ni Berthier, ni sa compagne... Au fait, que faisons-nous de la dame dans tout cela? La dame invisible, si j'en crois la stupéfaction de Paul Haltuin?

— Paul Haltuin peut mentir. Et puis, si la per- sonne se dissimulait dans le fond de la voiture?

A cette heure, le garage devait être imparfaitement éclairé...

— En tous cas, elle a dû parfaitement distinguer le geste criminel et elle n'a eu ni un cri, ni un geste d'avertissement afin de sauver son ami menacé?

— Cela sera promptement éclairci par cette fem- me elle-même. J'attends l'ambulance qui la trans- portera à l'hôpital Beaujon. Elle parlera...

— Si la mémoire lui revient.

— Que voulez-vous dire, mon cher?

— J'ai l'impression — oh ! une impression tout- à-fait personnelle — que cette femme a perdu la mémoire, et, peut-être la raison.

— Vous l'avez donc examinée? Compliments, je ne vous savais pas médecin.

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— Et si le docteur Fabry partageait cette in- tuition?

— A vrai dire, Messieurs, intervint le patricien que le commissaire interrogeait du regard, l'hébête- ment, la torpeur que j'ai pu constater depuis que la patiente a repris connaissance, ne sont pas de très bon augure. Elle porte, d'un mouvement ma- chinal, sa main à sa tête pour indiquer la douleur qu'elle ressent. A l'hôpital elle sera l'objet d'un examen plus approfondi, mais des jours s'écoule- ront, je le crains avant que l'on puisse la question- ner utilement.

— Je viens de faire une tentative qui a complè- tement échoué, avoua l'infirmière qui venait de rejoindre le groupe en train de discuter.

— Et sur les vêtements, vous n'avez trouvé au- cune marque?

— Aucune, Monsieur l'Inspecteur, ni celle des maisons où les effets ont été achetés, ni les initia- les de leur propriétaire. Pas même un mouchoir sur elle.

— Il a dû disparaître avec son sac à main, fit tranquillement Daurigny.

— Au fait, c'est exact. Cette femme devait pos- séder un sac à main, de l'argent, et ce sac n'a pas été retrouvé.

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Le Commissaire s'adressait plus particulièrement au patron du garage et au laveur de voitures, Sos- thène. Tous deux firent un geste d'ignorance.

Alors, il fit signe aux deux agent qui encadraient le mécano, déjà traité pour ainsi dire, en prévenu.

— Si vous n'y voyez aucun inconvénient, mon cher collègue, fit-il s'adressant à l'Inspecteur de la P.J. qui ne semblait pas disposé à prendre des initiatives, je voudrais mettre ce garçon en face de la personne. Quand on l'a retirée de la voiture, elle était méconnaissable, mais, maintenant, ses traits évoqueront peut-être un souvenir...

Tout en parlant, il faisait peser un regard lourd de sous-entendus sur le mécanicien.

La jeune femme n'avait pas bougé du fauteuil sur lequel on l'avait à demi étendue. C'était un tra- gique contraste que celui des taches dont elle était souillée et de l'élégance de sa toilette de bal. Une ample robe de satin dont le rose pâle s'harmoni- sait presque avec le ton de son éblouissante carna- tion de blonde. Une rougeur de fièvre avait envahi les pommettes et lui donnait presque l'apparence de la santé. Au corsage, une large plaque de brillants scintillait, malgré la pauvreté du jour qui péné- trait parcimonieusement dans ce bureau qu'aucune ouverture directe n'éclairait.

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La chevelure, humide encore de l'eau qu'on y avait versée afin de la débarrasser des caillots ag- glutinés, avait la couleur du bronze doré. Sombre dans son épaisseur, le moindre reflet y allumait des chatoiements d'or et de cuivre. Une merveilleuse créature, faite pour le luxe et la joie.

— Qui est-ce? fit impérativement M. Tubert, s'adressant à Paul Haltuin.

— Comment voulez-vous que je le sache? Je ne fréquente pas des poules de luxe comme celle-là !

— C'est la première fois que vous l'avez vue en compagnie de M. Berthier?

— La première fois que je l'ai vue, ça oui ! Quant à dire qu'elle était avec Monsieur Berthier, ça, non. Je soutiendrai le contraire jusqu'à la mott.

Monsieur André était seul, tout seul quand il est sorti de l'auto, et quand il a traversé le garage pour partir. Je puis le jurer ! Donc, je n'ai vu la dame que lorsque je me suis penché sur le corps pour voir s'il s'agissait d'un poivrot, comme l'avait dit Sosthène. Elle était par terre, sur le tapis, en- tre les deux banquettes. Nous l'avons crue morte, elle aussi.

— Voyons, tâchez d'être logique. Vous ne pen- siez pas avoir affaire à un mort, c'est vous qui venez de le déclarer.

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