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(1)

L ’ innovation en cancérologie à travers la presse scienti fi que et médicale

Les mutations des histones concourent à l ’ oncogenèse*

O

n sait depuis longtemps que des mutations onco- géniques affectent de nombreux gènes qui codent des protéines responsables de régulations épigénéti- ques : les enzymes catalysant les modifications post- traductionnelles des histones comme EZH2, les protéines impliquées dans le remodelage de la chromatine comme ARID1A sont les exemples les mieux connus.

Quelques mutations des histones elles-mêmes ont été identifiées dans certains cancers mais n’ont pas été recherchées de façon systématique ; c’est sur leur identification que porte ce travail, ainsi que sur les mécanismes selon lesquels ces mutations concourent à l’oncogenèse.

Les mutations déjà identifiées concernent les histones H3 et siègent sur des sites classiques de méthylation, les résidus K27 et K36 le plus souvent ; ces résidus mutés ne peuvent plus être substrats des enzymes qui catalysent leurs modifications post-traductionnelles et les mutations empêchent écriture, lecture et effaçage des marques des histones. C’est ainsi que la mutation H3 [K27M] se rencontre dans les trois quarts des gliomes pontiques diffus et la mutation H3.3[K36M] dans 95 % des chondroblastomes et d’assez nombreux cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS), mais ces mutations ou d’autres se rencontrent occasionnellement dans diverses localisations cancéreuses. La mutation H3 [K27M] agit comme inhibiteur dominant-négatif du complexe d’écriture PRC2, conduisant à une réduction de la triméthylation en H3K27me3, donc à la perte de son rôle de silencer transcriptionnel. De même, la mutation H3[K36M] entraîne la perte de la di- et tri- méthylation d’H3K36 et une augmentation compensa- trice du niveau de H3K27me3, qui recrute le complexe de lecture PRC1 en des régions intergéniques, conduisant à la dé-répression des gènes du système Polycomb : il en résulte un blocage de la différenciation mésen- chymateuse qui est suffisant pour induire un sarcome chez la souris.

Partant de ces données connues, les auteurs ont dressé un catalogue des mutations rencontrées dans les gènes codant les histones dans une grande variété de cancers.

Les bases de données ont ainsi révélé un total de 4 205 mutations faux sens dans 3 143 échantillons provenant de 3 074 patients à travers 183 types de cancer ; 598 échantillons contenaient plusieurs mutations. Toutes les familles d’histones peuvent présenter des mutations.

Du fait de la dispersion de ces mutations sur un vaste ensemble de gènes, leur prévalence a été minimisée

jusqu’à maintenant ; pourtant, en les regroupant, leur prévalence globale est de l’ordre de celle d’oncogènes reconnus comme BRCA2, TET2, SMAD4 ou NOTCH1: elles sont présentes dans environ 3 % des tumeurs.

Afin de comprendre le rôle oncogénique de ces muta- tions, les auteurs se sont adressés à des tumeurs présentant une faible charge mutationnelle (inférieure à dix mutations par mégabase) pour éliminer le rôle potentiel des mutations trop nombreuses de certaines tumeurs. Un total de 1 921 tumeurs a été analysé selon ce critère. Il est possible d’identifier des profils mutationnels particuliers dans diverses localisations cancéreuses : les cancers du pancréas se distinguent des cancers du col en ce

H3 E97K

K36M K27M E105K R131C G34R D81N E73K E105Q K4M R83C R2G G34V E73Q E133Q R134T Q5H E50D D123H D106N

Mutation

Nombre de mutations

0 5 10 15 20

Figure 1.Prévalence des mutations somatiques faux sens les plus fréquentes de lhistone H3 dans les 1 921 tumeurs

étudiées. Les barres vertes désignent les sites connus de modications post-traductionnelles et les lettres violettes

les résidus homologues des mutations Sinde la levure.

Figure 1.Prevalence of the most frequent somatic missense mutations for histone H3 among the 1,921 tumours analysed.

Green bars denote sites of known post-translational modications; purple lettering denotes residues homologous

to yeast Sinmutations. 019.0175

Sélection et décryptage

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qui concerne les mutations de H3 et, réciproquement, certaines mutations affectent de préférence tel ou tel type de cancer. Les mutations classiques des oncohistones ont été retrouvées (H3[K27M] dans les gliomes, H3[K36M]

dans les cancers des VADS, etc.) dans les tumeurs où leur présence était connue et dans d’autres types tumoraux.

En outre, des mutations inattendues ont été identifiées, avec une fréquence comparable à celle des mutations classiques, au niveau des résidus E105, E97 et R26 de H3, par exemple (figure 1). Les mutations de la région N-terminale n’affectent pas toujours un site de modifica- tion post-traductionnelle, mais en sont voisines (R26 proche de K27, par exemple). En revanche, certaines de ces « nouvelles » mutations sont situées dans la région globulaire des histones (E105 et E97 de H3, E76 de H2B, par exemple) et l’interprétation de leur rôle doit se faire de façon différente.

Les auteurs ont comparé ces nouvelles mutations avec celles présentes dans certains mutants de levure, appelés Sin (pour switch-independent, car elles abrogent la dépendance vis-à-vis du système SWI/SNF de remodelage de la chromatine pour la régulation de l’expression des gènes). Ce sont précisément ces mutations que l’on identifie dans les tumeurs humaines en dehors des

sitesN-terminaux où se produisent les modifications post- traductionnelles. Cela permet de faire l’hypothèse que ces mutations perturbent la structure même de la chromatine et l’empaquetage de l’ADN dans les nucléosomes.

Comme on connaît le rôle important que jouent les complexes SWI/SNF dans le contrôle de l’expression des gènes, ces mutations pourraient être responsables d’alté- rations de l’expression d’oncogènes ou de la mise en place de processus développementaux, au même titre que les mutations oncogéniques fréquentes que l’on rencontre dans les gènes qui codent les protéines de ce complexe (ARID1A,SMARCA4, etc.)

Plusieurs autres mécanismes potentiels peuvent permet- tre de comprendre le rôle oncogénique de ces mutations du domaine globulaire des histones ; ils ne sont d’ailleurs pas exclusifs : l’étude structurale des histones révèle que, dans l’espace, certains résidus de la partie globulaire des histones se trouvent à proximité des sites des modifica- tions post-traductionnelles, et que les changements d’amino-acide, dans toutes les histones, se font fréquem- ment de E vers K ou Q ou de D vers N, créant ainsi de nouveaux sites potentiels de méthylation ou d’acétyla- tion. Par ailleurs, certaines mutations des histones H2A et H2B interfèrent avec la zone de contact de ces deux

Hétérochromatine

SauvageMutant

Incorporation d’oncohistones

Altération de I’activation et/ou de la répression

Oncogenèse

Euchromatine

Figure 2.Modélisation de leffet des oncohistones sur la chromatine. En sincorporant dans la chromatine, les histones mutantes (en rouge) altèrent les propriétés physico-chimiques et fonctionnelles de la chromatine. Ces effets peuvent se produire même lorsque l’histone mutante est en faible concentration par rapport aux autres histones de la même famille, en raison d’un effet

dominant négatif de telles mutations.

Figure 2.A model for the effect of oncohistones on chromatin. By incorporating into the chromatin polymer, mutated histones (in red) may alter the biophysical and/or functional properties of chromatin. These effects may occur

when the mutant histone is present even at low concentrations in comparison to histones of the same family, due to the dominant-negative effect of such mutations.

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histones au niveau de ce que l’on appelle l’acidic patchdes nucléosomes et pourraient ainsi être responsables de la désorganisation de ces derniers.

En abaissant encore le seuil de charge mutationnelle à deux mutations par mégabase, les auteurs ont ensuite cherché à confirmer le rôle pilote (driver) de certaines mutations. H3[K27M] (site de modification post-traduc- tionnelle), H3[E105K] (type Sin) et H2A[E56Q] (acidic patch) font ainsi partie de ce petit pool d’une vingtaine de mutations que l’on peut considérer comme ayant un rôle moteur dans l’oncogenèse. Un phénomène négatif est signalé par les auteurs : certains résidus d’histones ne sont jamais mutés, même dans les tumeurs ayant une charge mutationnelle élevée, un grand nombre de mutations passengerdevraient s’y trouver, ne fût-ce que pour des raisons statistiques ; c’est ainsi que les résidus F25, A45, L85, V107, L115 et T120 de l’histone H2A ne sont jamais

mutés. Malgré le fait qu’ils ne sont pas porteurs potentiels de modifications post-traductionnelles, ils semblent

« protégés », sans doute parce que des mutations qui les affecteraient seraient létales pour la cellule.

Il nous faut donc sans doute intégrer ces données nouvelles dans la vaste collection des mécanismes de l’oncogenèse ; les auteurs suggèrent que ces histones mutantes ont des effets dominants négatifs sur les processus physiologiques dépendants de la chromatine, et qu’à ce titre leur étude doit être abordée de façon originale si l’on veut comprendre leur implication dans l’oncogenèse (figure 2).

* Nacev BA, Feng L, Bagert JD,et al. The expanding landscape of

oncohistonemutations in human cancers.Nature2019 ; 567 : 473-8. Doi : 10.1038/s41586-019-1038-1

Jacques Robert

Vers des thérapies ciblées pour les cancers du pancréas

Deux articles sur les cancers du pancréas, articles dont l’importance n’échappera à personne, viennent de para- ître, l’un dansCancer Cell, une revue qui s’est établie au premier rang des journaux consacrés à l’oncologie, l’autre dans Cell, revue généraliste majeure qui concurrence Nature et Science. La survie à cinq ans des patients souffrant d’un cancer du pancréas ne dépasse pas 5 % et l’incidence de ces cancers ne fait qu’augmenter dans les pays occidentaux, pour des raisons toujours mal connues.

La chimiothérapie n’a que peu d’efficacité, et la seule thérapie ciblée ayant montré un intérêt est l’erlotinib, un

inhibiteur de tyrosine kinase dirigé contre l’EGFR.

L’événement oncogénique majeur se situe au niveau des mutations du gèneKRAS, et les mutations de plusieurs gènes suppresseurs de tumeurs (TP53,CDKN2A,SMAD4, BRCA2 etTGFBR2) viennent contribuer à la progression tumorale : aucun des gènes pilotes de l’oncogenèse pancréatique n’est « ciblable » par les outils disponibles.

La recherche doit s’intensifier si l’on veut améliorer le pronostic de ces cancers, dont la mortalité pourrait dépasser celle des cancers du poumon dans le courant de la prochaine décennie.

La voie de l ’ EGFR au premier plan de l ’ oncogenèse pancréatique*

D

e nombreuses équipes développent des modèles transgéniques pour identifier de nouvelles cibles : les tumeurs portant la mutation inductible K-RASG12D régressent rapidement si l’on inhibe l’expression de cette dernière. On sait que le développement des cancers du pancréas requiert l’expression d’EGFR en raison du rôle majeur de ce récepteur sur la métaplasie des acini en canalicules, un processus physiologique qui devient oncogénique en présence de mutations deKRAS. Certes, l’expression d’EGFR est moins cruciale pour la progression tumorale une fois que des mutations de p53 sont survenues, mais elle continue à jouer un rôle comme en témoigne l’efficacité de l’erlotinib, limitée mais reproductible. L’équipe de Mariano Barbacid est partie du principe que la combinaison d’un inhibiteur d’EGFR avec un autre effecteur actif sur une des voies ouvertes par ce récepteur pourrait permettre une synergie utilisable en thérapeutique.

Le modèle de souris transgéniques utilisé est relativement sophistiqué et je ne le détaillerai pas. Il permet, comme d’autres modèles transgéniques, l’expression ou l’extinc- tion spécifique des gènes dont on veut étudier le rôle. Les auteurs sont partis du fait que deux kinases, CDK4 (progression dans le cycle cellulaire) et C-RAF (associée à B-RAF dans l’activation de la voie des MAP kinases) sont essentielles pour le développement des tumeurs du poumon porteuses de la mutation K-RASG12V, ce qu’ils avaient montré antérieurement sur un autre modèle. Par ailleurs, l’extinction de ces deux kinases ne provoque pas de toxicité rédhibitoire comme l’extinction de MEK1/2 ou d’ERK1/2. Ils ont donc utilisé comme point de départ une lignée de souris exprimant de façon conditionnelle dans le pancréas un allèleKrasmuté en G12V (Kras+/) et ayant perdu toute expression deTp53(Tp53–/–), qu’ils appellent KPeC et qui développe des tumeurs pancréatiques caractéristiques. À cette lignée murine, ils ajoutent,

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toujours de façon conditionnelle, une extinction d’Egfr associée soit à l’expression d’une CDK4 kinase dead (CDK4K35M), soit à l’extinction de Raf1 (le gène qui code C-RAF). Les résultats sont surprenants (figure 1) : l’association de l’extinction d’Egfr et de l’expression de CDK4K35M ne modifie pas la survie des souris alors que l’extinction simultanée d’Egfr et de Raf1 empêche tout développement tumoral.

Afin de savoir si l’extinction simultanée de ces deux gènes capitaux de la voie des MAP kinases dans l’organisme entier (et pas seulement dans la tumeur) ne provoquait pas de toxicité inacceptable, ils ont étendu leur étude en la réalisant de façon systémique, toujours de façon condi- tionnelle ; les sourisEgfr–/–présentent les signes caracté- ristiques de la toxicité des inhibiteurs d’EGFR, en particulier au niveau cutané ; les souris Raf1–/– ne présentent pas de signe toxique particulier ; et les souris ayant la double extinction ne présentent pas de signe toxique supplémen- taire par rapport aux souris Egfr/. Il semble donc que cette approche soit possible sur le plan thérapeutique.

À l’aide d’un modèle transgénique complémentaire, les auteurs confirment la survenue de tumeurs lors de l’induction de la mutation de K-RASG12V (figure 2A), et leur régression complète dans la majorité des souris lorsqu’elles ont subi une extinction simultanée deEgfret

100 80 60 40 20 0

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45

Survie (%)

Âge (semaines)

0 0

10 20

20 40 60 80 100

30 40 50 60 70

Âge (semaines)

Survie (%)

A

B

Figure 1.Effet du ciblage d’Egfr,Raf1etCdk4sur le développement des tumeurs pancréatiques murines KPeC (définies parKras+/G12VetTp53–/–). (A) Survie des souris KPeC

témoins (noir), des souris KPeC avecCdk4K35M/K35M(orange) et des souris KPeC avecEgfr–/–etCdk4K35M/K35M(gris). Leffet

de la combinaison de lextinction dEgfret de la mutation kinase-deaddeCdk4nest pas supérieur à leffet de chaque altération séparée. (B) Survie des souris KPeC (noir), des souris KPeC avecRaf1–/–(rouge), des souris KPeC avecEgfr–/–etRaf1+/–

(bleu), des souris KPeC avecEgfr+/–etRaf1–/–(rose) et des souris KPeC avecEgfr–/–etRaf1–/–(vert). Leffet de la combinaison de

lextinction dEgfret deRaf1est synergique, surtout lorsque les altérations sont présentes à létat homozygote.

Figure 1.Effect of Egfr, Raf1 and Cdk4 targeting on the development of murine pancreatic KPeC tumours, defined by

Kras+/G12Vand Tp53–/–. (A) Survival of control KPeC mice (black), KPeC mice with Cdk4K35M/K35M(orange), and KPeC mice with Egfr–/–and Cdk4K35M/K35M(grey). The combined effect of Egfr ablation and the kinase-dead Cdk4 mutation is

not higher than the effect of either alteration alone.

(B) Survival of KPeC mice (black), KPeC mice with Raf1–/–(red), KPeC mice with Egfr–/–and Raf1+/–(blue), KPeC mice with Egfr+/–and Raf1–/–(pink), and KPeC mice

with Egfr–/–and Raf1–/–(green). The combined effect of Egfr and Raf1 ablation is synergistic, especially when the

alterations are present in homozygous state.

A

B

900

600 500 400 300 200 100 0

0 1 2 3 4 5 6 7 8

Volume tumoral (mm³)

Semaines d’induction C1

C2

Volume tumoral (mm³)

Semaines d’induction 25

20 15 10 5 0

0 1 2 3 4 5 6 7 16

R3

R1

R5 R6 R4 R2

Figure 2.Effet de lextinction simultanée dEgfret deRaf1sur les tumeurs pancréatiques murine KPeC. (A) Volume tumoral

estimé par imagerie par ultrasons chez des souris KPeC témoins exposées à linducteur de la mutationKrasG12V. (B) Volume tumoral chez des souris KPeCEgfr–/–etRaf1–/–

exposées à linducteur de la mutationKrasG12V. Figure 2.Effect of simultaneous ablation of Egfr and Raf1

in murine KPeC pancreatic tumours. (A) Tumour volume estimated by ultrasound imaging in control KPeC mice exposed to the KrasG12Vmutation inducer. (B) Tumour volume of KPeC mice with Egfr–/–and Raf1–/–exposed

to the KrasG12Vmutation inducer.

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deRaf1(figure 2B). Toutefois, quelques souris ont vu leur tumeur reprendre sa progression après régression quasi complète. L’analyse des tumeurs révèle que niEgfr, ni Raf1ne sont exprimés dans ces récidives, éliminant ainsi l’hypothèse d’une recombinaison, un problème rencontré dans les modèles transgéniques ; pourtant, la voie des MAP kinases est fonctionnelle dans ces tumeurs. De plus, quelques souris ayant subi l’extinction simultanée deEgfr et deRaf1développent une tumeur lors de l’induction de l’expression deKrasmuté ; ces tumeurs n’expriment pas non plusEgfr, niRaf1, et ont également une voie des MAP kinases fonctionnelle. Les auteurs ont donc identifié deux types de résistance, acquise et intrinsèque, au « traite- ment » combiné (figure 3). Ils peuvent s’expliquer par l’apparition de mécanismes de progression indépendants de la voie des MAP kinases, ou par l’apparition de nouvelles mutations en aval de RAF ; le second type peut s’expliquer en outre par l’activation oncogénique (apportée par K-RASG12V) d’une autre variété de cellule pancréatique, non dépendante d’EGFR et de C-RAF pour proliférer.

Après mise en culture des cellules présentant les deux types de résistance à l’extinction combinée deEgfret de Raf1, les auteurs ont pu montrer d’importantes différen- ces entre les deux types de cellules résistantes. Soulignons d’abord que les deux types cellulaires expriment bien l’activation des protéines des voies des MAP kinases et de la PI3 kinase, et qu’elles activent une ou des voies aboutissant à l’activation de STAT3, alors que les cellules provenant des tumeurs K-RASG12V (sans la double extinction) et les cellules sensibles à la double extinction (provenant de reliquats de tumeurs régressives) ne présentent pas cette activation. C’est au niveau du transcriptome qu’apparaissent les différences entre les deux types de cellules résistantes (figure 4). Les tumeurs de type « non-répondeur » (résistance intrinsèque) expri- ment un profil caractéristique des cancers épidermoïdes du pancréas, alors que les tumeurs de type « résistance acquise » expriment un profil compatible avec les autres types de cancers pancréatiques.

Le passage au « monde réel », non transgénique, s’est montré tout à fait convaincant : une dizaine de tumeurs Volume tumoral (mm3)

Semaines d’induction 0

0

1 2 3 4 5 6 7

20 40 60 80 100 120 140

N1 N2

N3 N4 200

150

100

50

0

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Volume tumoral (mm3)

Semaines d’induction T2

T1

A

B

Figure 3.Apparition de la résistance des tumeurs pancréatiques de souris KPeC ayant subi lextinction dEgfret

deRaf1. Volume tumoral estimé par imagerie par ultrasons chez des souris KPeCEgfr–/–etRaf–/–exposées à linducteur

de la mutationKrasG12V. (A) Apparition retardée de la résistance (résistance acquise). (B) Apparition immédiate

de la résistance (non-répondeurs).

Figure 3.Occurrence of resistance of murine pancreatic KPeC tumours after ablation of Egfr and Raf1. Tumour volume was estimated by ultrasound imaging in KPeC Egfr–/–and Raf1–/–

mice exposed to the KrasG12V mutation inducer.

(A) Delayed occurrence of resistance (acquired resistance).

(B) Immediate occurrence of resistance (non-responders).

RC1

Cdhr5 Erbb5 Ctnnd1 Fzd4 Cdh10 Krt36 Tnfrsf11a Gata5 Hnf4a Foxa2 Hnf1a Frat1 Krt19 Frat2 Porcn Msln Klf5 Lrp5 Camk2d Gata6 Ctnna1 lkbke Ralgds Ctnnb1 Krt20 Tnfrsf21 Krt79 Cdh1 Cdh6 Fgf13 Pdgfb lgfbp3 Stat5a Krt18 Krt8 Cdh23 Cacybp Hat1 E2f1 Gli3 Cdk1 Cdk7 Jun Hhip Fzd9 Rbbp4 Kif7 Scos1 Sin3b Krt27 Etv1 Sox12 Rbpj Snai2 Socs5 Ptgs2 Row maxRow min

Arrb1

RC2 RC3 NC1 NC2 NC3

Figure 4.Heat mapmontrant la signature génique de cellules de cancer du pancréas présentant le phénotype de résistance acquise (RC1, RC2, RC3) et celles présentant le phénotype de non-réponse demblée (NC1, NC2, NC3).

Figure 4.Heat map of the gene signatures of pancreatic cancer cells exhibiting the phenotype of acquired resistance (RC1, RC2, RC3) and those exhibiting the phenotype of intrinsic non-response (NC1, NC2, NC3).

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pancréatiques humaines, présentant des mutations de KRAS et deTP53, ont été transplantées chez des souris (PDX, patient-derived xenografts) après avoir subi un knockdown par shRNA des gènesEGFR et/ou RAF1.

Les tumeurs ont une croissance ralentie aprèsknockdown de chacun de ces gènes, mais leknockdownsimultané des deux gènes abolit la prolifération tumorale dans neuf cas sur dix (figure 5). En revanche, l’approche pharmacolo- gique s’est révélée décevante, en ce sens que nous ne disposons pas d’inhibiteur spécifique puissant de C-RAF : les auteurs ont dû se contenter de l’association du géfitinib ou de l’erlotinib avec le knockdown deRAF1.

Les résultats (figure 6) encouragent vivement la poursuite d’une recherche active–et urgente–d’inhibiteurs de C- RAF : le jeu en vaut la chandelle !

* Blasco MT, Navas C, Martín-Serrano G, et al. Complete regression of advanced pancreatic ductal adenocarcinomas upon combined inhibition of EGFR and C-RAF. Cancer Cell2019 ; 35 : 573-87. Doi : 10.1016/j.ccell.2019.03.002

Jacques Robert

Un récepteur nucléaire est impliqué dans la prolifération des cellules souches des cancers du pancréas**

O

utre les gènes impliqués dans l’oncogenèse pan- créatique (j’en ai cité quelques-uns en préambule de ces deux brèves), un certain nombre de gènes sont associés aux capacités métastatiques de ces cancers : on les a identifiés par analyse des populations tumo- rigènes, chimio-résistantes, présentant les caractéris- tiques des cellules souches et en cours de transition épithélio-mésenchymateuse. Ces marqueurs sont en particulier le CD44, le CD24, le CD133 (prominine 1,

gènePROM1), MSI2 (musashi RNA binding protein 2) ou l’oncogène MET.

Voulant aller plus loin, les auteurs ont combiné diverses techniques de biologie moléculaire (séquençage des ARN [RNA seq], immunoprécipitation de la chromatine [ChIP]

et CRISPR pour mieux cerner les altérations moléculaires et les programmes transcriptionnels associés au caractère agressif des cancers du pancréas. De façon inattendue, ils ont identifié le RORg comme régulateur des cellules

800

600

400

Volume tumoral (mm3) 200

0

0 6 12

Jours

18 24

EGFR c-RAF GAPDH

shRNA: E1 R1 E/R

Figure 5.Un exemple de tumeur dérivée d’un cancer pancréatique humain transplanté chez la souris (PDX).

(A) Contrôle parWestern blotde l’extinction par shRNA des gènesEGFRetRAF1. (B) Courbes de croissance tumorale après

extinction par shRNA de l’expression de ces gènes.

: contrôle (noir) ; E1 : d’EGFR(bleu) ; R1 : extinction de RAF1 (rouge) ; E/R : extinction

simultanée des deux gènes (vert).

Figure 5.An example of a patient-derived xenograft (PDX) of a pancreatic tumour in mice. (A) Western blot showing control

for shRNA-mediated ablation of EGFR and RAF1.

(B) Tumour growth curves.

control cells (black); E1: ablation of EGFR (blue);

R1: ablation of RAF1 (red); E/R: simultaneous ablation of both genes (green).

50

30

10 1

0 3 6 9 12

Augmentation relative

Jours

Figure 6.Dans le même PDX, inhibition pharmacologique de la croissance tumorale par le géfitinib ou l’erlotinib (anti-EGFR)

associée ou non à l’extinction par shRNA deRAF1. Mêmes codes couleur que pour lafigure 5.

Figure 6.In the same PDX, pharmacologic inhibition of tumour growth by gefitinib or erlotinib (EGFR inhibitors)

combined or not with shRNA-mediated RAF1 ablation.

Same colour codes apply as infigure 5.

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souches de ces cancers : son expression augmente lors de la progression tumorale, son blocage génétique ou pharmacologique entraîne une déplétion complète du compartiment des cellules souches ; et le traitement de souris porteuses de tumeurs autochtones de cancer pancréatique conduit à des réponses majeures.

Les auteurs sont partis d’un modèle de cancer pancréatique mis au point antérieurement chez la souris, KPf/fC, qui exprime dans les cellules souches le marqueur musashi (Msi2) pour distinguer les cellules souches des cellules proliférantes. Toute une série de signatures géniques caractérisent ces cellules, que je ne peux recopier ici : elles sont reliées à des ensembles de caractères de progression tumorale, de processus développementaux et métaboli- ques que l’on associe au caractère souche. Ils ont alors procédé à une étude par CRISPR sur le génome entier des populations cellulaires souches et non-souches et cons- truit la carte des réseaux d’identification des programmes impliqués dans l’oncogenèse pancréatique (figure 1).

Les voies Wnt, Hedgehog, Hippo sont fortement suractivées dans les cellules MSI2+, comme on pouvait s’y attendre, mais des gènes inattendus figurent au tableau de chasse : Onecut3 (one cut homeobox 3), Tudor3 (tudor domain containing 5, gène Tdrd5), plusieurs gènes impliqués dans le métabolisme lipidique et bien d’autres, que les auteurs ont bien l’intention d’explorer plus à fond ultérieurement afin de savoir si leurs produits peuvent constituer des cibles thérapeu- tiques pertinentes. Les auteurs découvrent aussi l’im- plication de voies de signalisation de l’immunité par les cytokines (IL-10, IL-34, CSF-1R, etc.) déjà connus pour leur rôle dans le micro-environnement tumoral mais pas dans les cellules tumorales elles-mêmes. En se focalisant sur les facteurs de transcription, ils découvrent aussi des facteurs connus pour leur rôle dans l’oncoge- nèse et la progression des cancers (Sox9, Foxa2) mais surtout des récepteurs nucléaires (ou apparentés) dont le rôle était inconnu dans les cancers pancréatiques :

Cell migration/

Axon guidance

Cell adhesion/

Tight junction

Developmental pathways/

Proteasome

Pluripotency/

Stem Cells

Lipid metabolism/

Nuclear receptor pathway Cytokine signaling/

Immune pathways Cell matrix interactions

Figure 1.Réseau des interactions présentes dans les cellules des cancers pancréatiques. Le réseau est initié par une série de gènes caractéristiques des cellules souches (triangles) et les interactions protéine-protéine sont analysées selon le degré d’expression

différentielle des gènes. Cercles rouges : enrichissement en gènes de cellules souches ; cercles bleus : enrichissement en gènes de cellules non-souches ; cercles gris : pas d’expression différentielle. Les fonctions des groupes

de gènes sont tirées deGene Ontology.

Figure 1.Network of interactions present in pancreatic cancers. The network is seeded by a series of genes that are typically expressed in stem cells (triangles), and protein-protein interactions are analysed as a function of the level of differential gene

expression. Red circles: enrichment in stem cell genes; blue circles: enrichment in non-stem cell genes; grey circles:

no differential expression. Gene functions are taken fromGene Ontology.

Sélection

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Arntl2, Nr1d1 et RORg (gèneRorc). C’est sur ce dernier que les auteurs vont faire porter leurs efforts, tout simplement parce qu’il leur a semblé le plus facilement

« actionnable ».

Qu’est-ce que RORg? Nous disposons d’un panel impor- tant de « récepteurs nucléaires », cette famille de facteurs de transcription activables dans le cytoplasme par divers composés comme les hormones ou les vitamines

liposolubles (œstrogènes, progestérone, androgènes, thyroxine, vitamines A et D, xénobiotiques et bien d’autres molécules) et dirigés alors vers le noyau pour reconnaître leursresponse elements, sites d’activation de la transcription ; un certain nombre reste « orphelin » pour n’avoir pas de ligand connu... Il en est ainsi des trois récepteurs ROR (RORa, RORb, RORg), voisins des récep- teurs de l’acide rétinoïque dont ils tirent leur nom

5 4 3 2 1 0

Cellules souches Cellules non-souches Expression relative de Ρορχ

Cellules KPf/fC

Pourcentage de cellules RORγ

Tissu normalPancr éatite

PanIN (1)PanIN (2) PDAC Échantillons

de patients

Tumeurs KPf/fC transplantées 80

60 40 20 0

*

****

*

*

*

*

shCtrl shRorc 2,0

1,5 1,0 0,5 0,0

4,0 4,5 5,0 5,5 6,0 6,5 Volume tumoral (cm3)

Semaines après transplantation

A B C

Figure 2.Rôle de RORgdans les cellules de cancers pancréatiques murins et des cancers pancréatiques humains. (A) Expression deRorcdans les cellules KPf/fC souches et non-souches. (B) Expression deRORCdans des échantillons de pancréas humain

normal, de pancréatite, de néoplasie pancréatique intra-épithéliale (PanIN) et dadénocarcinome pancréatique (PDAC).

(C) Croissance de tumeurs KPf/fC transplantées chez la souris avec ou sans extinction deRorcpar shRNA.

Figure 2.Role of RORg in murine pancreatic cancer cells and human pancreatic cancers. (A) Rorc expression in KPf/fC stem and non-stem cells. (B) RORC expression in samples of human normal pancreas, pancreatitis, pancreatic intraepithelial

neoplasia, and pancreatic ductal adenocarcinoma. (C) Tumour growth of KPf/fC cells transplanted in mice before and after shRNA-mediated Rorc ablation.

A

1,25 1,00 0,75 0,50 0,25 0,00

Nombre de cellules par puits

Véhicule seulSR2211 1 µM SR2211 3

µM

*

****

*

**

**

Nombre de cellules CD133+ (106) Véhi

cule seul Gemcitabin

e SR2211

Gemc itabine + SR2211

B

5 100

4 3 2 1 0

50

0

0 20 40 60

Jours de traitement

Survie (%)

C

Vehicle SR2211

HR = 0,16

Figure 3.Inhibition pharmacologique de RORgpar le SR2211. (A) Effet du SR2211 sur la formation dorganoïdes de cellules KPf/fC en trois dimensions. (B) Effet de la gemcitabine, du SR2211 et de leur combinaison sur la prolifération de cellules KPf/fC CD133+.

(C) Survie des souris porteuses de tumeurs autochtones KPf/fC traitées par le SR2211.

Figure 3.Pharmacologic inhibition of RORg by SR2211. (A) Effect of SR2211 on 3-D organoid formation of KPf/fC cells in culture.

(B) Effect of gemcitabine, SR2211, and their combination on CD133+KPf/fC cell proliferation. (C) Survival curves of mice bearing autochthonous KPf/fC tumours treated by SR2211.

Sélection

(9)

(retinoic acid receptor-related orphan receptors). RORg était connu essentiellement pour son rôle dans la différenciation des lymphocytes T-helper 17, un lignage impliqué dans l’induction de l’inflammation et de la destruction tissulaire qui caractérisent certaines patholo- gies inflammatoires et immunes. Il est impliqué égale- ment dans le métabolisme de certains médiateurs lipidiques.

Son expression dans le pancréas normal est faible ; elle est en revanche élevée dans les tumeurs murines KPf/fC, plus particulièrement dans les cellules souches (figure 2A). Ces différences se retrouvent dans les tumeurs humaines (figure 2B). Dans le modèle murin utilisé, l’extinction du gèneRorcpar shRNA s’accompagne d’un effet majeur sur le développement tumoral (figure 2C).

Comme RORg était connu pour être impliqué dans les maladies auto-immunes, des inhibiteurs sont déjà disponibles, comme le SR2211, et les auteurs ont pu rechercher si leur effet était semblable à celui de l’extinction du gène. C’est bien le cas (figure 3A) : il entraîne une déplétion importante, d’un facteur 3, du compartiment des cellules souches, et d’un facteur 11 lorsqu’il est associé à la gemcitabine qui, seule, est sans effet (figure 3B). Le SR2211 multiplie par deux la survie des souris porteuses de la tumeur KPf/fC et diminue le

risque de décès d’un facteur 6 (figure 3C). Passant des tumeurs murines autochtones aux tumeurs pancréati- ques humaines transplantées chez la souris, les auteurs obtiennent des résultats équivalents, que ce soit sur des lignées continues ou des PDX (patient-derived xeno- grafts) (figure 4).

Je passerai sur les implications immunologiques des découvertes des auteurs – il faudra bien qu’un jour j’apprenne l’immunologie...–et je passerai aussi sur tout ce qui ne concerne pas RORgdans cet article (en particulier une sous-famille originale de récepteurs couplés aux protéines G [GPCR], appelés MEGF [multiple epidermal growth factor (EGF) repeat]), pour conclure que ce renouveau des études moléculaires des cancers du pancréas est le bienvenu. Aux laboratoires pharmaceu- tiques et aux cliniciens maintenant de voir plus loin, une fois juchés sur les épaules des biologistes... Et à ces derniers la mission d’identifier de nouveaux marqueurs

« actionnables » des cellules les plus malignes présentes dans les cancers du pancréas.

** Lytle NK, Ferguson LP, Rajbhandari N,et al. A multiscale map of the stem cell state in pancreatic adenocarcinoma.Cell2019 ; 177 : 572-86. Doi : 10.1016/j.cell.2019.03.010

Jacques Robert

Des réseaux neuronaux pour comprendre et anticiper l ’ évolution des cancers*

O

n sait que l’oncogenèse résulte de l’accumulation de mutations somatiques pilotes (drivers), dont un grand nombre ont été maintenant identifiées ; mais il en existe certainement encore beaucoup d’autres, plus rares, qu’il reste à découvrir. De plus, la progression des cancers

met en jeu de nombreuses interactions entre les gènes porteurs de ces mutations ainsi que celles de nouveaux gènes encore mal identifiés. Les auteurs de cet article ont utilisé l’approche des réseaux neuronaux pour comprendre la séquence d’acquisition des mutations

3

2

1

0

0,0 0,5 1,0 1,5

Semaines de traitement

Volume tumoral (cm³)

Gemcitabine

SR2211 + Gemcitabine

*

****

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 0

2 4 6 8 10

Volume tumoral relatif

Semaines de traitement

***

*** ***

**

Gemcitabine

SR2211 + Gemcitabine

A B

Figure 4.Inhibition pharmacologique de la croissance de cellules de tumeurs humaines transplantées chez la souris.

(A) Tumeurs provenant de cellules de cancers pancréatiques humains à croissance rapide. (B) Tumeurs provenant directement de patients (PDX).

Figure 4.Pharmacologic inhibition of pancreatic human tumour cell growth after transplantation in mice.

(A) Tumours originating from fast-growing human pancreatic tumour cells. (B) Patient-derived xenografts.

Sélection

(10)

oncogéniques dans les adénocarcinomes colorectaux et pulmonaires et identifier de nouvelles mutations pilotes « cachées » dans la charge mutationnelle de ces cancers. Cette approche permet d’élargir la compréhension des mécanismes de progression tumorale–avec, à la clef, l’identification de stratégies thérapeutiques originales.

Devant l’immensité du paysage mutationnel des cancers, comment trouver des bases rationnelles permettant de suivre la progression de la maladie ? Dans les cancers colorectaux, le développement tumoral a été modélisé, depuis la formation d’adénomes bénins jusqu’à la cons- titution de carcinomes invasifs et métastatiques, en passant par une série de stades histologiques, l’acquisition des mutations pilotes se faisant suivant une séquence temporelle bien définie. Ce modèle a servi également pour expliquer la progression d’autres types d’adénocar- cinomes. On peut donc postuler, si la séquence des événements est connue, que des algorithmes pourraient être établis pour reconstituer la séquence des mutations somatiques dans leur dynamique complexe et établir des prédictions permettant d’anticiper leur survenue.

C’est une tâche qui relève de mathématiques sophisti- quées, d’intelligence artificielle et de réseaux neuronaux capables d’apprentissage, et je suis bien démuni pour expliquer la méthodologie suivie par les auteurs. Cette méthodologie met en jeu des réseaux delong short-term memory, qui sont un type derecurrent neural network: cela n’apprend rien aux béotiens mais, après tout, chaque science a son langage et son jargon, et si PCR,western blotset CRISPR-Cas9 n’ont (presque) pas de secrets pour le biologiste moyen ou l’oncologue, ces termes doivent paraître ésotériques aux mathématiciens... En tous cas,

appliqués à une courte série de mutations ordonnées dans une séquence temporelle, ces réseaux peuvent prédire la nature des mutations suivantes de la série, et les auteurs ont montré que ces prédictions correspondaient bien à ce que l’on observe. Il a été possible en outre de découvrir de nombreuses paires gènedriver- gènepassengerassociées à la gravité de la maladie, montrant que bien des gènes considérés comme simples passagers sont en fait impli- qués dans la progression des cancers.

Je ne retiendrai que quelques résultats (ceux que j’ai compris...). Cet algorithme, à partir des 20 premières mutations identifiées dans une tumeur, permet de prévoir avec une excellente probabilité la charge mutationnelle globale des tumeurs (figure 1). Il permet également de prévoir la survenue des mutations suivantes lors de l’évolution d’une tumeur, connaissant au départ les mutations déjà identifiées à un stade précoce, en particu- lier lorsqu’elles affectent des gènes de réparation de l’ADN (MLH1etMSH2pour les adénocarcinomes coliques,DDX5 et CHD1L pour les adénocarcinomes bronchiques). La séquence d’apparition des mutations peut ainsi être prédite, mais avec une restriction importante : c’est la séquence d’apparition des mutations de gènespassenger qui est prédite, et non celle des mutations des autres drivers, ces dernières survenant indépendamment les unes des autres. Une autre prédiction est l’identification des gènespassengerdont les mutations sont associées de façon spécifique à celles de tel ou tel gènedriver: cela permet de faire l’hypothèse que ces gènespassengercontribuent en fait à la progression des cancers en coopérant avec les gènes driverconnus. Les auteurs ont ainsi construit des réseaux d’interaction entre les deux types de gènes mutés (figure 2).

0 2 4 6 8 10

0,5 0,52 0,54 0,56 0,58 0,6

Log du nombre de mutations Log du nombre de mutations

Adénocarcinomes coliques Adénocarcinomes pulmonaires

Score déterminé par l’algorithme Score déterminé par l’algorithme 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0

1 2 3 4 5 6 7 8

Rho = 0,89, P = 0 Rho = 0,88, P = 0

Figure 1.Corrélation entre la charge mutationnelle prédite par le calcul d’un score (en abscisses) et la charge mutationnelle réelle (en ordonnées), dans les adénocarcinomes coliques (à gauche, n = 619) et les adénocarcinomes pulmonaires (à droite,

n = 183). Les coefficients de corrélation de Spearman sont de 0,88 à 0,89 et la significativité très élevée (p<10-7).

Figure 1.Correlation between mutational load, predicted by score computation (abscissa), and actual mutational load (ordinates) in colon adenocarcinoma (left, n = 619) and lung adenocarcinoma (right, n = 183). The Spearman coefcients

of correlation correspond to 0.88 - 0.89 with a very high level of signicance (p<10-7).

Sélection

(11)

Un autre résultat important, qui vient confirmer le rôle de ces mutations de gènes passenger dans la progression des cancers, est le suivant : la charge mutationnelle de ces « interacteurs » est prédictive de la survie des patients (figure 3), et cela autant pour les adénocarcinomes du

côlon que pour ceux du poumon. Ces gènes interacteurs ne sont pas distribués de façon aléatoire : en utilisant les classifications fonctionnelles de Gene Ontology, les auteurs montrent qu’ils appartiennent aux mêmes familles fonctionnelles que les gènes driverauxquels ils Adénocarcinomes coliques

Gènes driver Gènes interacteurs

Gènes driver Gènes interacteurs AX6MED23

MAXSLC26A3 MAEA

GTF2A1 ENG ACTL6B THOC5 RASA2 PHLPP1 PAX2 CRIM1 RASAL3 PDE6C EML4

PDE4B VASNUBAI SLC3A2 PMS2 ZFYVE9 RBL1 NUP153 HIF1A

FGF2 DPYSL2

CREB3L1 FEZF2

ZFPM1POTEFHELQSELEP CNOT1 CHD4 CHD9 SMAD4 KRAS

ATMMED12TP53 WT1 ARID1A NF1 CREBBP

EPN1

CD4LPHN2EGFR SMARCA4

LTK EOMES

Adénocarcinomes pulmonaires

MAT2B GPR68 MAP3K19

CC2D2A CCDC14

CEP135

CEP78KIAA1009PCM1 RPGRIP1

TUBGCP5 EDNRA RHOQ CSNK1D GSK3B EHBP1 RPS6KA6NEK1

MAP3K4 APC ATRX

TRIO CEP290 AXIN2

DNMT3A

Module 1 Module 2 Module 1 Module 2

FOXM1SUPT16H RASAM2MP17

CNOT1 ATP1B4

TACR3 TAF4 NR3C1 GATA3 EPAS1 RFC1NGF

MED15 NTF3 SLC17A9 RB1CC1

PLK2 KDM6B

GFAP DAPK1

BUB1 KEAP1

MGA SMAD4

BRAF NTRK2

TP53 PIK3CA ATM

NF1

MMP2 MAP2K4

Figure 2.Réseaux d’interactions entre mutations des gènesdriver(au centre) et celles des gènespassengerassociés, ou interacteurs (en périphérie). Deux modules ont été définis pour les cancers coliques (à gauche) comme

pour les cancers pulmonaires (à droite).

Figure 2.Networks of interaction between driver gene mutations (centre) and passenger (or interactor) gene mutations (periphery). Two modules are defined for colon cancers (left) and lung cancers (right).

Adénocarcinomes coliques module 2

Log-rank P = 0,06

Fraction de survive

Jours

3 500 3 000 2 500 2 000 1 500 1 000 500 00

0,2 0,4 0,6 0,8 1 1,2

n = 18

n = 36 Adénocarcinomes coliques

module 1 1,2

1

0,8

0,6

0,4

0,2

00 500 1 000 1 500 2 000 2 500 3 000 3 500

Fraction de survie

Jours

Log-rank P = 3,5e-04

n = 17

n = 37

Charge mutationnelle des interacteurs élevée Charge mutationnelle des interacteurs faible

Figure 3.Courbes de survie selon Kaplan-Meier de patients atteints de cancers du côlon, extraits de la base de données du TCGA (The Cancer Genome Atlas), dont la tumeur présentait une charge mutationnelle élevée ou faible au niveau

des gènespassengerdu module 1 (à gauche) et du module 2 (à droite).

Figure 3.Kaplan-Meier survival curves for tumours with a high or low mutational load of passenger genes (interactors) of module 1 (left) or module 2 (right) from colon cancer patients extracted from the TCGA database.

Sélection

(12)

sont associés par le fait qu’ils sont mutés simultanément.

Parmi les fonctions de ces gènes selon Gene Ontology, on trouve en commun aux adénocarcinomes du côlon et du poumon les fonctions partagées entre driver et interactor suivantes : motilité cellulaire, régulation du développement cellulaire, différenciation, processus de développement mésenchymateux, tous processus impliqués, non dans l’oncogenèsede novo, mais dans la progression métastatique des cancers.

Cet article apporte, à mon avis, une contribution majeure à la compréhension des cancers. Les mutations des gènes driver déterminent la route de l’oncogenèse et leur survenue n’est pas directement prédictible à partir du reste du paysage mutationnel, alors que les mutations des

gènes passenger sont souvent liées à celles de drivers spécifiques et peuvent être prédites de façonfiable. Les driverssont bien, en somme, sur le siège du conducteur et emmènent avec eux une série de passagers qui sont loin d’être passifs et que l’on pourrait nommer, c’est ma proposition, desnavigateursqui facilitent la conduite et peuvent éventuellement prendre le relais quand le conducteur est fatigué (c’est-à-dire inhibé par une thérapie ciblée efficace)...

* Auslander N, Wolf YI, Koonin EV. In silico learning of tumor evolution through mutational time series.Proc Natl Acad SciUSA 2019 ; 116 : 9501-10. Doi : 10.1073/pnas.1901695116

Jacques Robert

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