ACTIVITÉ PROTÉOLYTIQUE DE L’APPAREIL
GASTRIQUE D’OISEAUX GRANIVORES ET CARNIVORES
Claire HERPOL
Laboratoire de
Zoo!hysiologie
de l’Université de Gand(Belgique)
14, rue del’Université,
Gand(Belgique)
DireGteur : PT Dr G. VAN GREMBERGEN
SOMMAIRE
Les données
quantitatives
sur le contenuenzymatique
des estomacs des oiseaux que l’on trouvedans la littérature sont
généralement
peuprécises
et deplus,
concernentprincipalement
lesgrani-
vores.
L’activité
protéolytique
d’extraits de tissus du ventricule succenturié et dugésier d’espèces granivores
et carnivores a été déterminée par la méthode de titration au formol selon SORENSEN.Le ventricule succenturié est le
siège
d’une haute activitépepsique, plus
encore chez les oiseaux carnivores que chez lesgranivores.
.
Le
gésier
desgranivores
ne contient pasd’enzymes protéolytiques.
Dans celui des oiseaux car-nivores,
par contre, nous avons trouvé une activitéprotéolytique
certaine, que la littératurespécia-
lisée ne mentionne nulle part.
INTRODUCTION
I,’appareil gastrique
des oiseaux se compose de deuxparties distinctes,
tant sur leplan morphologique
que sur leplan physiologique.
Ce sont le ventricule succen-turié ou estomac
glandulaire
et l’estomac musculaire ougésier.
Sur le
plan physiologique
il estgénéralement
reconnu que le ventricule succen-turié a pour fonction
unique
de former lescomposants
du sucgastrique, puisque
la nourriture ne
séjourne
quequelques
instants dans cecompartiment (S T eiN-
MET Z E R
,
i 9 2 4 ).
Legésier
par contre neparticipe
nullement à l’élaborationd’enzymes
mais il est lesiège
de ladigestion
par lapepsine, principal composant
du suc gas-trique, qui
y trouve des conditions d’acidité favorables(HE RPOL
et VANGREMBER-GE N
,
ig6i). I,es glandes
dugésier
contribuentuniquement
à la formation d’un revê-tement intérieur de koïline. La
présence
de ce revêtement et l’action de la massemusculaire du
gésier
aident à mener à bien la fonctionmécanique
de cet organe,laquelle
estparticulièrement importante
chez lesgranivores.
L’appareil gastrique
desRapaces
seprésente
d’unefaçon
un peudifférente,
surtout sur le
plan morphologique.
Le ventricule succenturié forme le sucgastrique
et celui-ci exerce son action dans le
gésier,
mais aussi dans la cavité même du ventri- culesuccenturié,
lesproies
desRapaces
étant souventtrop grandes
pour être con-tenues par le
gésier,
même s’il est extensible. La masse musculaire dugésier
esten effet fort peu
développée
etl’organe broyeur caractéristique
desgranivores
seprésente
ici comme unesimple poche
dilatable dont le revêtement intérieur de koï- line est peuimportant
ou mêmepratiquement
inexistant.La littérature ne nous offre que fort peu de données
quantitatives
sur le con-tenu
enzymatique
des organesdigestifs
desoiseaux ;
ces données concernentprinci- palement
lesgranivores.
Le but du
présent
travail a été l’étudecomparative
etquantitative
de l’activitéprotéolytique
des estomacsd’espèces granivores
et carnivores(Rapaces).
MATÉRIEL
ETTECHNIQUES
Les recherches ont été effectuées chez
cinq espèces
d’oiseaux, dont deuxgranivores,
le Poulet (Gallusdoineslicus)
et lePigeon domestique (Columba
liviadomestica)
et troisRapaces,
dont deux diurnes, le Faucon crécelle(Falco
tinnunculus tinnunculus L.), la Buse variable(Buteo
buteo buteo L.)et
unRapace
nocturne, la Chouette chevêche (Athene noctua vidalüB REHM ).
Pendant la courtepériode passée
en laboratoire les oiseaux furent nourrisrespectivement
degraines
commerciales et de viande rouge.L’oiseau est tué par
décapitation, après
unjeûne
de 24heures, cequi
nous permet d’estimer lecontenu
enzymatique
desglandes
stomacales dans des conditionscomparables.
Le ventricule suc-centurié et le
gésier
sontprélevés séparément, soigneusement
lavés,puis
séchés sur dupapier
filtre.Après
détermination dupoids
frais, ils sonthomogénéisés
avec r3o ml de solution NaCI 7 p. r o00dans un
appareil
Ultra-turrax. L’extrait ainsi obtenu estemployé
comme tel ou conservé englacière pendant
au maximum 36 heures en yajoutant
un peu dethymol
peurprévenir
ladécomposition.
L’activité
protéolytique
des extraits a été déterminée par la méthode de titration au formol selon SORENSEN. Nous avons suivi laprescription
de RONA( 1931 ,
p. 259et 289)mélangeant
50 ml de solution de caséine(d’après
HAMMARSTEN de la firme Merck nu2242) et 10ml d’extrait de tissu stomacal. LepH
estajusté
à l’aide de NaOH N ou de HCI N aux valeurs désirées, allant depH
1,0à
pI3
9,0. Les mesures depH
ont été effectuées avec unpII-mètre
Beckman modèle Géquipé
deses électrodes
classiques.
Au début de l’expérience etaprès
24heures d’incubation à 400C, corres-pondant
à latempérature corporelle
élevée des oiseaux, onprélève
20ml dumélange précité
et l’ony
ajoute
10ml d’une solution de formol contenant de laphénolphtaléine.
La titration se fait alorsavec une solution de NaOH 0,2N. La différence entre les deux titrations donne l’activité
protéoly- tique
de l’extrait.Chaque
essai estaccompagné
d’un contrôle pour éviter les erreurs dues à l’auto-digestion
de la caséine, l’extrait étantremplacé
par 10ml d’eau distillée.RÉSULTATS
Les résultats obtenus sont rassemblés dans les tableaux i et 2. Les valeurs du
pH
sont celles mesurées au début del’expérience,
car nous avons pu constaterqu’elles
restent relativement constantes, cequi
fait que nous avons estimé inutile l’addition de solutionstampons, qui pourraient
par ailleursprésenter
ledanger
d’influencer la
protéolyse. L’activité protéolytique
de l’extrait stomacal estexprimée
en ml de solution NaOH o,2 N, calculés par gramme de
poids frais, pour permettre
une
comparaison
aisée.DISCUSSION
Il ressort des tableaux i et 2
qu’il
existe une activitéprotéolytique plus
oumoins élevée en milieu acide. La
majeure partie
de cette activité] est
sans aucundoute due à l’action de
pepsines.
Il est néanmoins certain que d’autres enzymes,présents
dans les extraits detissus,
sont enpartie responsables de-l’action
caséinc-lytique. Ainsi, l’hydrolyse
dans larégion
allant depH
4,0 àpH
5,o estpartiellement
due à la
présence
decathepsines,
tandis que d’éventuellesexopeptidases peuvent également
contribuer à lacaséinolyse,
dans une mesuredépendante
des conditions depH.
Selon DE RyexF( 19 6 2 )
l’activitéoptimale
de ladipeptidase gastrique
dupoulet (substrat : glycyl-glycine)
se situe aux environs depH 8,5.
I,e même auteurdétermina les activités d’amino- et
carhoxypeptidases respectivement
aux valeursde
pH 8, 0
et 4,2.Ces diverses considérations nous amènent à conclure que l’activité
protéoly- tique
notée auxpH
lesplus
acides(pH
i et2 )
nepeut pratiquement
être duequ’à
une activité
pepsique.
En effet selon les données de la littérature lepH-optimum
se situe aux environs de valeurs 1,5 à 2,2.
Que
le ventricule succenturié soit une sourceparticulièrement
riche enprotéi-
nase active en milieu acide n’a
jamais
été controversé et nos résultats dans ce do- maine sont enparfaite
concordance avec les données de la littérature(S T URK IE, 1954-FARNER, 19 6 0 , etc.). Cependant lorsqu’il s’agit
de résultatsquantitatifs
nousnous trouvons la
plupart
dutemps
devant des données peuprécises.
PLIMMER etRos!nAt,!
( 1922 )
font état dedigestion plus
ou moinsrapide,
tandis que HEWITT et SCHELKOPF( 1955 )
donnent une vague idéequantitative
en discernant une acti- vitépetite,
moyenne etgrande,
tout en se limitant à l’étudecomparative
des diversorganes du tractus
digestif
depoulets
seulement. Il en est de même pour VERHEYEN( I943
) qui
constate que le sucgastrique
desRapaces
diurnes estplus puissant
quecelui des Hiboux.
F p
iEDMAN
(I939)!
par contre, compare les teneurs enpepsine
de sucsgastriques,
sécrétés à la suite
d’injections
combinéesd’acétylcholine
etd’histamine,
et constateune concentration
plus
élevée( 1
024 unitésMett)
chez lePoulet,
que chez lePigeon (
144
unitésMett) ;
R.JE UNIAUX ( 1959 )
faitcependant
remarquer que si l’on tientcompte
de la teneur relative parrapport
aupoids
del’organe,
laquantité
depepsine
est
plus grande
chez lePigeon.
Pour les deux
granivores étudiés,
nous ne pouvons que confirmer les résultats de R.J EUNIAUX .
Lacomparaison
des moyennes du tableau i les concernant montreen outre que l’activité
peut
varier dusimple
auquintuple,
avec une réserve résultant d’unepart
de certaines variations individuelles reconnues dans ce domaine et d’autrepart
dudegré d’imprécision
de la méthode.Remarquons cependant
que nos résultats montrent une réelle concordance au sein d’une mêmeespèce.
Les
Rapaces
semblent avoir une teneurparticulièrement
haute enpepsine.
Nousvoulons limiter notre
comparaison
au Faucon. Si nous avonscommuniqué
les résul-tats obtenus
sur
deux autresespèces,
c’estsimplement
à titred’information, puisqu’il
serait
dangereux
de baser une conclusion sur les résultats d’une seuleexpérience.
Lahaute teneur en
protéinases
estprobablement
à considérer comme une corrélationentre
l’équipement enzymatique
et lerégime
alimentairecarnivore,
riche en pro- téines. C.]E UNIAUX (ig6i)
aremarqué
que si les corrélations entre lamorphologie
de
l’appareil digestif
et lerégime
alimentaire sontévidentes, l’adaptation
des sécré-tions
digestives
des vertébrés à leurrégime alimentaire,
se limite à certaines varia- tionsquantitatives,
dont il n’est pas aisé depréciser l’importance.
Le résultat le
plus surprenant
de nosexpériences
est d’avoir mis en relief l’acti- vitéprotéolytique
certaine del’estomac,
ditmusculaire,
desRapaces. Rappelons
que de nombreux chercheurs ont mis l’accent sur l’absenced’enzymes
dans la muqueuse dugésier
du Poulet et ontprouvé
que YAMAMOTA(cf.
von BuDV!xBROCm195 6,
p.
3 88)
avait tortquand
il écrivait en 1937 que legésier
du Poulet sécrétait de lapepsine.
Nos résultats sur lesespèces granivores
confirment d’ailleurs leur thèse.Mais il serait
dangereux
degénéraliser
ces conclusions en lesappliquant
auxespèces carnivores,
tel que le fait BROWNE(rg22),
p.exemple, qui
estime que legésier
desoiseaux carnivores ne doit être considéré que comme une
expansion
membraneuse du ventriculesuccenturié,
libre en tout cas de toute muqueuse sécrétoire.Le tableau 2 montre clairement que nous nous trouvons devant une activité
protéolytique
nette chez les oiseaux rapaces et prouve en outre que ces résultats sont individuellementreproductibles.
Laprotéinase
àoptimum
acide formée dans legésier
ne
peut
certesqu’améliorer
le rendement de ladigestion
desproies
de ces oiseaux.Reçu pour
pziblicalio;i
ell a:’n7 i96!SUMMARY
PROTEOLYTIC ACTIVITY IN THE STOMACH OF GRANIVOROUS AND CARNIVOROUS BIRDS
The literature is very poor in
quantitative
values ofproteolytic activity
of thedigestive
tractof birds, and furthermore most of the available data concern
granivorous
birds.Using
S6RENSEN’Sformoltitration,
we haveattempted
to determine theproteolytic activity
ofthe
glandular
and the muscular stomach ofgranivorous
and carnivorous birds.The results
expressed
in cc NaOH 0,2N/g
fresh tissue aregiven
in tables i and 2.As
expected,
theglandular
stomach shows ahigh proteolytic activity
in acid medium. Carni-vorous birds have a
higher pepsin
content thangranivorous,
whichprobably
is to bebrought
in cor-relation with the
high protein
content of the food. Theglandular
stomach of thepigeon
containsabout 5 times as much enzyme as that of the chicken
(table
i).The muscular stomach of
granivorous
birds does not contain any enzyme. On the contrary that of carnivorousspecies
has a realpepsine
action(table 2 ).
This was the mostsurprising
result of our
experiences,
for it was never stated in the literatureconcerning digestion
of birds.RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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