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CHRONIQUE DU MOIS LES BEAUX-ARTS. «La gloire de Victor Hugo» au Grand Palais

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CHRONIQUE D U MOIS

GEORGES CHARENSOL

LES

BEAUX-ARTS

« La gloire de Victor Hugo » au Grand Palais 11 nous paraît aujourd'hui étrange que des cloisons étanches se soient élevées à l'époque romantique entre des hommes qui menaient le même combat : d'une part les poètes, de l'autre les artistes. Je ne connais aucun texte important de Victor Hugo, Alfred de Musset, Lamartine, Vigny sur Delacroix, Géricault, Rude ou Daumicr. Dans la gigantesque exposition du Grand Palais, la Gloire de Victor Hugo, seuls deux modestes dessins de Delacroix sont en rapport avec l'œuvre du poète. L'indiffé- rence que les plus grands écrivains semblent avoir manifestée pour

les meilleurs des plasticiens de leur temps est d'autant plus sur- prenante que le chef de file du romantisme français fut lui-même un peintre de génie. Il nous apparaît incontestablement comme l'un des plus grands dans les deux expositions consacrées à son œuvre graphique ouvertes au Petit Palais et à la maison de Victor Hugo, place des Vosges.

Cette œuvre énorme — plus de trois mille lavis dit-on — non seulement ses contemporains mais lui-même ne paraissaient pas y attacher le prix que nous lui donnons aujourd'hui. Seul Théophile Gautier semble en avoir soupçonné l'importance, et il faudra

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Victor Hugo, lithographie d'Eugène Devéria

attendre le xx* siècle pour qu'Emile Bertaux et surtout Henri Focillon (1) lui rendent pleinement hommage.

(1) On trouve ce texte fondamental, paru pour la première fois dans une revue confidentielle en 1914, dans le remarquable album, Hugo, dessins, qui vient de paraître chez Gallimard. Y sont reproduites et commentées 352 œuvres s'échelonnant de 1817 à 1876.

La gloire de Victor Hugo au Grand Palais, jusqu'au 6 janvier 1986. Soleil d'encre au Petit Palais, jusqu'au 5 janvier.

Dessins de Victor Hugo à la maison de Victor Hugo, jusqu'au 31 janvier.

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LES BEAUX-ARTS 719 Avant d'en venir aux deux expositions essentiellement consa- crées à ses dessins, il faut s'arrêter à celle du Grand Palais, somme d'une prodigieuse richesse. Jamais, sans doute, un auteur n'a été l'objet d'un hommage aussi complet, exprimant les mul- tiples aspects de sa personnalité telle qu'elle était et telle que l'ont vue et ses contemporains et la postérité. Ce ne sont pas moins de 933 peintures, sculptures, estampes, caricatures, photo- graphies, manuscrits, objets de toutes sortes, depuis des timbres et des billets de banque jusqu'à des plaques de lanterne magique, des scènes de théâtre de 1828 à 1984 et des extraits de films tirés de ses œuvres qui s'offrent à notre curiosité.

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Pierre Georgel et ses collaborateurs ont réuni là le meilleur et le pire, nous fournissant une énorme masse de documents, parmi lesquels ils nous laissent libre de faire notre choix. J'ajoute que cette exposition, par son extrême diversité, n'est jamais acca- blante. On peut y passer des heures sans s'ennuyer une seconde.

L'humour est loin d'être absent ainsi qu'en témoignent des photos d'enseignes, de curieuses publicités, voire des blagues à tabac ou des têtes de pipe.

Il ne saurait être question de décrire ce qui pourrait appa- raître comme un gigantesque marché aux puces et qui est, tout au contraire, parfaitement digne du génie qu'il célèbre. L'expo- sition s'ouvre d'ailleurs sur une galerie de bustes des plus signi-

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Juliette Drouet et Victor Hugo, par lui-même

ficatifs. Si l'on excepte les effigies de Dalou et de Rodin, on est frappé par leur médiocrité et on retrouve la même impression d'un décalage entre une œuvre souvent sublime et la représen-

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LES BEAUX-ARTS 721 tation qu'en donnent les peintres. Si les meilleurs sont à peu près absents, il n'en va pas de même, heureusement, pour les graveurs.

Sont largement représentés Daumier, Devéria, Gavarni, Gustave Doré, Grandville ou les Johannot qui ont collaboré à l'illustration de Notre-Dame de Paris. Ce roman célèbre a particulièrement inspiré les peintres, et il faut bien dire que les œuvres contem- poraines du chef-d'œuvre sont affligeantes. Citons la Esmeralda de Charles de Steuben, la Esmeralda enfant de Gaston de Saint- Pierre, la Chèvre de William Gale, tous justement oubliés. Louis

Boulanger, le mieux représenté à l'exposition, pousse le roman- tisme vers la caricature avec, en particulier, la Procession du pape des fous et la Cour des miracles. D'autres œuvres inspirent des artistes de la génération suivante. L a plus célèbre de ces compo- sitions trôna longtemps à la place d'honneur du musée du Luxem- bourg. Il s'agit du célèbre Cain de Cormon exposé au Salon de 1880. Il faut toutefois reconnaître que Hugo a eu plus de chance quand Corot s'est inspiré des Orientales, Puvis de Chavannes et Frédéric Bazille, de Boot endormi.

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Dessins au Petit Palais et à la maison de Victor Hugo

D ans sa volonté encyclopédique l'exposition du Grand Palais fait naturellement sa place à Victor Hugo dessinateur. Elle serait certainement plus importante si deux autres expositions ouvertes simultanément ne mettaient l'accent sur cet aspect capital, long- temps négligé, de l'œuvre de l'auteur des Misérables.

Je disais tout à l'heure que ses contemporains et lui-même n'atta-

chaient pas à ses dessins l'impor- tance que nous leur donnons actuellement, et Pierre Georgel nous apporte sur ce point des pré- cisions passionnantes. Si Théophile Gautier s'y intéresse, il le fait dans des termes qui nous surpren- nent, puisqu'il les compare à ceux de peintres qui nous paraissent maintenant des plus médiocres. Il écrit : « M. Hugo n'est pas seule- ment un poète, c'est encore un peintre que ne désavoueraient pas pour frère Louis Boulanger, C. Roqueplan et Paul Huet. » Quant à leur auteur lui-même, il déclare : « Je n'aurai jamais ima- giné que mes dessins puissent atti- rer l'attention. » Il ajoute : « Ces traits de plume sont plus ou moins

maladroitement jetés sur le papier par un homme qui a autre chose à faire. » Aussi bien, il n'exécute certains que pour amuser des enfants ou pour illustrer ses récits de voyage, voire comme carte de visite que les destinataires ne considéraient pas plus que celui qui les réalisait si on en juge par le petit nombre de celles qui nous ont été conservées alors qu'il s'agit parfois de chefs- d'œuvre. Et ce n'est pas sans réticence qu'Hugo permet au gra- veur Paul Chenay de reproduire un certain nombre de ses dessins dans un album paru en 1862 et qui est un complet échec com- mercial. Depuis qu'ils ont été redécouverts, en particulier par les surréalistes, ils ont donné lieu à des interprétations littéraires qui confinent parfois à la divagation.

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LES BEAUX-ARTS 723 Bien qu'il use presque uniquement de l'encre il m'apparaît comme un peintre véritable et non, dans ses œuvres les plus abouties, comme un simple dessinateur. Laissons à Henri Focillon le soin d'analyser sa technique : « La toute-puissance d'un créa- teur se rit des artifices et des procédés. C'est à ces insuffisances, à ces étrangetés que l'art d'Hugo doit ses qualités expressives et son unité. A l'encre, il mêla du café noir : c'est que le café donne au ton une chaleur et une générosité exceptionnelles, il le vieillit, il le colore. L'artiste se servait de plumes faussées : c'est qu'elles crachent, c'est qu'elles tracent ces linéaments capricieux et déter- minent ces accidents qui prêtent au dessin des formes de vie pitto- resque et suggestive. Parfois, il employait des allumettes cassées ;

alors le trait devenait généreux et large. Sur le dessin primitif commencé par un détail infime, sans préparation d'ensemble, sans ébauche préliminaire, Hugo versait largement l'encre et le café et travaillait dans cette nuit mouvante qu'il répartissait à son gré, en tirant parti des hasards de la catastrophe. » Si lucide que soit l'analyse de Focillon, il omet de parler du pinceau qui a certainement joué un rôle important pour ce qu'on appelle dessins et qui sont le plus souvent des lavis.

On en voit des centaines dans les deux expositions du Petit Palais et de la maison de Victor Hugo, qui a la chance de possé- der les plus caractéristiques et les plus forts, ceux qui font de lui l'un des plus grands peintres de son temps, et on s'étonne

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de lire sous la plume d'un critique aussi lucide que Gaétan Picon cette étrange affirmation : « Hugo a vécu dans l'ordre de la litté- rature, non dans l'ordre de la plastique. » Déjà, en mars dernier, dans la demeure de la place des Vosges, nous avions vu quelques- uns des dessins qu'il exécuta au cours de ses voyages le long du Rhin qui lui inspirèrent le livre dont l'édition définitive parut en 1845. L'exposition actuelle est beaucoup plus importante. Elle complète et amplifie celle du Petit Palais qui, organisée par la Bibliothèque nationale, ressemble beaucoup à celle que nous voyons rue de Richelieu. Bien qu'elle porte le titre très littéraire de Soleil d'encre, elle se veut didactique et révèle au public une part importante de son fonds Hugo formé de la presque totalité des manuscrits et de mille trois cents de ses dessins puisqu'il a légué à la Nationale « tout ce qui sera trouvé, écrit et dessiné par moi ».

La conception qui a inspiré Roger Pierrot, organisateur de l'exposition du Petit Palais, est que l'écrit et le dessiné sont insé- parables. Il l'illustre particulièrement en présentant les trente-six dessins conçus en marge des Travailleurs de la mer. Mais, dans toute l'exposition, les dessins sont étroitement liés aux manuscrits qui se présentent le plus souvent sous la forme insolite de grands registres soigneusement reliés. Ils nous renseignent sur le gra- phisme d'une rare noblesse et sur les méthodes de travail d'un écrivain qui ne surchargeait pas moins ses premiers jets de correc- tions et d'additions que ne le fera bien après lui Marcel Proust.

Dans ces deux expositions, on trouve essentiellement des paysages et peu de portraits, ce qui paraît surprenant. Même celui de son père, daté de 1825, est contesté. En revanche, à partir de 1835, il s'adonne à la caricature, n'hésitant pas à tourner en ridicule Mlle George, l'interprète de Lucrèce Borgia. De l'année suivante date le très beau paysage représentant le château de Fougères, dessiné sur son carnet de voyage en Bretagne. Plus impressionnant encore est son Mont-Saint-Michel qui se découpe à l'horizon écrasé par un immense ciel sombre. L'admirable paysage du Mythen, qu'il dit avoir exécuté le 11 septembre 1839 au sommet du Rigi, mais qui a probablement été complété plus tard, démontre que, contrairement à la légende, Hugo savait user des techniques les plus complexes puisqu'on y trouve mêlées l'en- cre brune, l'encre de Chine, la mine de plomb et l'aquarelle. Au cours de ses voyages sur le Rhin il a été particulièrement impres- sionné par la Tour des rats, qu'il n'a pas représentée moins de quatre fois. Dans le Rhin, il attribue cette fascination à un souvenir d'enfance, la représentation d'une tour semblable étant, dit-il.

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LES BEAUX-ARTS 725 accrochée au-dessus de son lit. Le lavis daté du 27 septembre

1840 compte parmi ses plus hauts chefs-d'œuvre.

Il serait fastidieux de tenter de dresser une chronologie de ces dessins, mais on ne peut manquer de vérifier l'exactitude de la remarque de Pierre Georgel lorsqu'il écrit : «Au cours de l'année 1850, quand le poète paraît frappé de stérilité, le dessin

prend la relève et assume en partie les fonctions dévolues à la poésie. Puis la création graphique décroît sensiblement en 1852- 1853, années de production littéraire intense. » On remarquera particulièrement le lavis relevé de gouache intitulé Vasque au milieu d'un lac. Or cette vasque n'est qu'une petite salière ita-

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lienne de la salle à manger d'Hauteville House à laquelle l'imagi- nation du poète donne des dimensions monumentales. La plus célèbre de ses compositions, le Burg à la croix, ne mesure pas moins d'un mètre vingt-cinq de longueur. Enfin, parmi ces paysa- ges monochromes se détache le surprenant Champignon, grande aquarelle vivement colorée.

Il faudrait encore s'arrêter longuement sur les Taches où n'entre aucun souci de représentation et qui enthousiasmèrent les surréalistes, à qui le petit-fils du poète, Jean-Hugo, les révéla.

Mais j'en ai assez dit pour que l'on puisse mesurer l'extrême diversité de l'œuvre graphique si longtemps négligée de Victor Hugo, et qui nous apparaît aujourd'hui comme l'une des formes les plus hautes de son génie.

GEORGES C H A R E N S O L

L'Association des artistes peintres de la bouche et du pied

a besoin de l'amitié et de l'aide de tous pour soutenir l'effort des jeunes artistes privés de l'usage de leurs mains et qui luttent avec acharnement pour la réalisation de leur idéal : la peinture, le dessin avec l'espoir grâce à leur art de s'insérer dans la société.

S'adresser à la Société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied : 217, route de Schirmeck - 67200 Strasbourg.

Tél. 16.88.28.24.42.

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