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LA GUERRE D ALGÉRIE. COMPTE-RENDU DU 8 ème ATELIER D HISTOIRES POPULAIRES

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LA GUERRE D’ALGÉRIE

témoignages et échanges avec Rémi Serres et Robert Siméon samedi 21 septembre 2013 à la Salle des Fêtes de Vaour

COMPTE -RENDU DU 8

ème

ATELIER D ’HISTOIRE S

POPULAIRE S

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1 A noter que la popula�on de confession Israélite avait obtenu le statut de citoyen français en 1889 (décret Crémieux).

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Quelques repères concernant l’Algérie depuis le début de la colonisa�on

La colonisa�on a débuté en 1830 avec le débarquement de 37 000 hommes et la prise d’Alger. Une forte résistance s’organisa autour d’Abdelkader, qui fit sa reddi�on en 1847.

La colonisa�on se poursuivit passant d’une occupa�on restreinte, tout d’abord dans l’Oranais et l’Algérois, à des missions de peuplement «colonisa�ons auxiliaires de la conquête », jusqu’aux fron�ères actuelles avec le Niger, avec des confisca�ons de terres et des campagnes publicitaires dans la métropole.

En un siècle (de 1840 à 1936), la popula�on européenne est passée de 35 000 âmes à près d’1 million de personnes répar�es de la manière suivante : 50% de Français, 30 % d’Espagnols, 20 % d’Italiens et de Maltais.

Dans le même temps, la popula�on autochtone est passée de 2 millions à 8 millions de personnes (forte poussée démographique).

Relevons qu’à aucun moment au cours de la colonisa�on, une situa�on de paix et de pacifica�on n’a abou�. Des soulèvements eurent lieu tout au long de l’occupa�on française dont l’insurrec�on de 1871 en Kabylie.

En 1881, le code de l’indigénat fait des musulmans des citoyens de seconde zone.

La citoyenneté français n’était accessible à la popula�on autochtone qu’en abandonnant leur confession musulmane. Un projet de loi en 1936 prévoyant l’accès à la citoyenneté sans renoncement, fut rejeté par le Parlement français1.

Ce�e situa�on de division et d’inégalité abou�t en 1945 aux manifesta�ons, d’abord pacifiques, de Sé�f, de Guelma et du Constan�nois. Manifesta�ons qui furent l’objet d’une forte répression (plusieurs milliers de morts).

Dès lors, le mouvement na�onaliste se radicalisa et opta pour la lu�e armée.

Un comité révolu�onnaire d’unité et d’ac�on fut créé en 1954 et le 1er novembre l’insurrec�on des Aurès déclencha « La Toussaint rouge ».

La guerre d’Algérie commence alors et ne se terminera qu’en 1962 avec les accords d’Évian.

Durant ces huit années de conflit, le pouvoir central français alterna entre une poli�que de négocia�on et d’ouverture et une poli�que ferme et militaire : La première prome�ait aux Algériens de confession musulmane, dès 1956,

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la reconnaissance de leur pleine citoyenneté. La seconde répondait par l’arresta�on de chefs na�onalistes (par exemple de Ben Bella) et par la bataille d’Alger (1957).

A noter que durant ce�e bataille, menée par les parachu�stes (6000 paras) du Général Massu, l’État français a établi et formalisé des méthodes de guerre contre-insurrec�onnelle qui ont été ensuite enseignées dans « l’école des Amériques » et pra�quées par toutes les dictatures d’Amérique La�ne. Les méthodes appliquées (l’u�lisa�on du con�ngent, les massacres, les tortures, le terrorisme) divisent l’opinion publique en métropole et dans le monde en�er.

En 1958, De Gaulle arrive au pouvoir et proclame sa volonté de maintenir l’Algérie Française en faisant de tous les Algériens des Français « à part en�ère ».

Il lance un plan de développement économique basé essen�ellement autour du pétrole.

Le FLN refuse ce�e « paix des braves », le conflit se poursuit.

En 1959 De Gaulle annonce « le droit au peuple algérien à l’autodétermina�on », et des négocia�ons s’entament en 1960 avec le FLN.

L’ins�tu�on militaire refuse ce�e poli�que jusqu’à tenter en 1961 un putsch qui avorta.

A Alger, l’Organisa�on de l’Armée Secrète est créée pour poursuivre la lu�e à tous prix afin de conserver l’Algérie Française. Elle mul�plie les a�entats en Algérie mais aussi en métropole.

En avril 1962, les accords d’Évian sont approuvés par référendum par 91 % des votants de France métropolitaine, les électeurs des 4 départements d’Algérie sont exclus de ce scru�n.

En clause annexe, ces accords autorisaient la présence militaire française durant cinq années dans les bases militaires du Sahara ou se réaliseront entre- autres, les premiers essais nucléaires français.

2 La guerre d’Algérie ne fut reconnue par l’État français qu’en 1995, par le gouvernement Jospin, auparavant on parlait des événements d’Algérie.

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Quelques chiffres

En 7 années de guerre2, l’État aura déployé sur le sol algérien 400 000 hommes (la rota�on fait qu’il y aura plus d’ 1.5 millions d’hommes mobilisés).

Ce conflit aura fait en nombre de vic�mes : 30 000 soldats français, de 30 à 90 000 harkis, de 4 à 6 000 civils européens et de 300 000 à 1.5 millions d’algériens.

On assistera à l’exode de plus d’1 million de Français d’Algérie vers la France.

Loin de se pacifier, l’Algérie con�nuera à traverser des périodes de violence (par exemple le massacre des harkis abandonnés sur place par l’État français).

La présenta�on des deux intervenants de la soirée

Robert Siméon

Je suis né en 1941 et j’ai été appelé au service militaire en juillet 1961, 9 mois avant la signature des accords d’Évian. Je suis d’origine parisienne, d’une famille d’ouvriers, un pe�t Français comme il y en avait tant et comme il y en a encore tant aujourd’hui, sans histoire remarquable, sauf :

- que mes parents étaient proches du par� communiste

- que j’étais appren� typographe dans la presse parisienne (mé�er tradi�onnellement acquis à la cri�que sociale)

- et que j’ai fréquenté des mouvements d’émancipa�on : Auberges de Jeunesse, Service Civil Interna�onal…

Durant ces années-là ma conscience citoyenne (comme on dirait aujourd’hui) a mûri de par mes fréquenta�ons, notamment durant mon appren�ssage dans la presse parisienne, où je côtoyais des ouvriers, tous syndiqués, qui militaient poli�quement ou pour la défense des Droits de l’Homme. Ainsi pe�t à pe�t j’ai été convaincu que ce�e guerre était un véritable scandale et que je ne pourrai pas l’accepter ; je ne pourrai pas par�r là-bas faire ce�e guerre.

Des années ont passé, et en 1961, j’ai laissé mon « saint-jean » c’est-à-dire mes ou�ls de typographe et je suis par� travailler sur des chan�ers d’urgence du Service Civil Interna�onal, notamment en Suisse. Là, le 25 avril 1961, quand

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les généraux faisaient leur putsch en Algérie, s’est imposée à moi la décision défini�ve de refuser de faire ce�e guerre.

J’avais déjà eu des contacts avec des pacifistes ; le plus connu d’entre eux, Louis Lecoin, à qui j’ai soumis mon problème de conscience, m’a exposé les conséquences de mon refus si je persistais : je serai arrêté, puis inculpé pour insoumission, désobéissance, jugé par un tribunal militaire et condamné à la prison, pour des années peut-être. Il m’a indiqué un pe�t groupe, dénommé Ac�on Civique Non Violente, qui jusqu’à présent manifestait contre les camps d’ assigna�on à résidence.

Les assigna�ons à résidence, c’était les internements d’Algériens, arrêtés au faciès, ou quand ils étaient soupçonnés, en métropole, d’avoir co�sés au FLN, ou quand ils avaient été ramassés avec des tracts dans la poche, ou pire ; ils étaient alors enfermés dans ces camps, sans jugement.

Et puis un jour de fin 59, il y a eu André Bernard et Pierre Boisgon�ers, deux objecteurs de conscience, qu’aujourd’hui on appelle réfractaires.

Ils ont été frapper à la porte de l’Ac�on Civique Non Violente pour leur demander:

« qu’est-ce que vous faites pour soutenir les réfractaires qui refusent de par�r en Algérie ? »

Les militants de ce groupe de non-violents ont réfléchi aux condi�ons du sou�en à ces réfractaires et ont proposé :

- d’ouvrir des chan�ers d’entraide bénévole, surtout dans les bidonvilles de la région parisienne, où habitaient des travailleurs nord-africains dans des condi�ons inhumaines ;

- d’écrire une le�re au Président de la République et au ministère des armées en expliquant que nous refusions de par�ciper à ce�e guerre, mais que é�ons prêts à par�r en Algérie, sous l’égide d’une organisa�on interna�onale, pour venir en aide aux popula�ons algériennes vic�mes de la guerre.

Évidemment, le pouvoir français ne pouvait pas accepter cela, et on connaissait les conséquences de notre engagement : il nous enverrait ses gendarmes pour nous arrêter sur les chan�ers. Et cela s’est passé ainsi, on a été inculpé tour à tour. Nous é�ons une trentaine, ce n’était pas beaucoup mais c’était quand- même un pe�t groupe témoin. Ces trente furent donc arrêtés, inculpés, jugés, condamnés, certains plusieurs fois, et nous sommes restés enfermés jusqu’à ce que notre peine soit purgée.

A par�r du 19 mars 1962 nous é�ons théoriquement libérés de notre engagement réciproque, mais pas de nos condamna�ons, qui ont été jusqu’à

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leur accomplissement, ou jusqu’en décembre 1963, jusqu’à ce que le statut des objecteurs de conscience soit voté, le 23 décembre de ce�e année-là.

C’est l’ac�on décidée pour dénoncer la guerre d’Algérie qui nous semblait être le moyen le plus logique et efficace, car quand on était arrêtés puis jugés, les copains de l’Ac�on Civique Non Violente média�saient l’affaire en l’exposant sur la place publique.

On manifestait fréquemment ainsi, dans des lieux symboliques. Je me souviens place Bellecour à Lyon, ou à Nancy, devant les grilles du château de Stanislas.

On s’enchaînait sur des grilles pour tenir le plus longtemps possible, pour être vus, pour témoigner, et que notre ac�on interroge le plus grand nombre de passants.

Rémi demande à Robert :« A ta sor�e de prison, qu’est-ce que tu as fait? » - Et bien moi, j’ai été condamné à 18 mois de prison, c’était une peine moyenne. J’ ai été libéré fin juin 1963, mais ce temps de prison n’était pas suspensif de l’obliga�on du service militaire, qui restait obligatoire. Alors je suis par� clandes�nement pendant un mois, pour revoir ma famille, puis j’ai répondu à l’ordre d’appel, et j’ai accepté l’uniforme, mais j’ai refusé de porter les armes. On m’a versé dans un corps d’infirmiers, et j’ai été libéré en mars 1964, quand ma demande pour bénéficier du statut d’objecteur de conscience a été accepté.

La trentaine de copains qui cons�tuaient ce groupe de résistants venaient d’horizons philosophiques différents (des chré�ens catholiques, des protestants, un juif, des agnos�ques ….). Nous é�ons différents, mais fraternels et solidaires entre nous. On s’était engagés sur un texte revendica�f pour la durée de la guerre, donc valable jusqu’au 19 mars 1962.

En guise de pe�te conclusion : à quoi cela a-t-il servi ? Quel a été l’impact de notre résistance à la guerre sur le plan na�onal ?

En Algérie, il semble qu’on ait été méconnu, ignoré. Auprès de certains comba�ants algériens, du FLN, on allait à l’encontre de ce qu’ils recherchaient, de leur stratégie.

Pour eux, l’objec�f, c’était d’entraîner la popula�on contre le colonisateur et nous on était perçu comme des gens dérangeants... On allait à l’encontre de ce�e poli�que.

En France, on a eu des sou�ens, mais pas de l’Église, pas du par� communiste,

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pas du par� socialiste. Du PSU, oui, né en 1959 de l’opposi�on à ce�e guerre.

Après la guerre, une chape de plomb est tombée sur ce�e affaire, et tous les aspects de ce�e histoire ont été oublié, jusqu’en 2001, quand on a cherché à nous retrouver à quelques-uns, et puis tous. On a décidé de se réunir en 2003, de faire connaître notre histoire, d’écrire un bouquin, de faire un film, un site internet et de nous cons�tuer en associa�on, pour raconter notre histoire et témoigner.

C’est ainsi que je suis parmi vous aujourd’hui.

Rémi Serres

Moi j’étais mieux que Robert, j’étais discipliné et donc je suis allé à la guerre.

J’avais 20 ans. Un jour, je reçois une feuille de route, c’était le service militaire.

Normalement, on faisait les classes en France et on partait en Algérie quand on savait faire la guerre. Mais comme j’étais chasseur avant, il l’ont deviné sans doute, ils m’ont envoyé directement là-bas.

Donc j’ai fait mes classes en Algérie au premier régiment des �railleurs algériens, régiment disciplinaire. Je n’avais rien fait de mal mais voilà il y avait de la place là.

Pendant quatre mois on t’apprend à faire la guerre et surtout à obéir, chercher à comprendre c’est déjà chercher à désobéir, donc tu n’as pas à savoir pourquoi tu fais cela mais tu le fais.

Donc c’était très dur, il y avait des coups, des marches dans la nuit, des pompes où tu disais « le caporal est un lion et moi je suis un con » pour t’humilier un peu plus.

Et puis on t’apprenait à �rer, à �rer sur des cibles, à entretenir les armes, à comprendre comment fonc�onne une arme. Et puis au bout de quatre mois, tu étais prêt pour aller faire la guerre.

De là nous sommes allés au 117 ème régiment d’infanterie et là c’était assez tranquille parce que c’était dans la plaine de la Mé�dja. On gardait les pieds noirs, des gens assez riches et il fallait une garde pour chaque ferme, c’est-à- dire une sec�on d’environ 20 personnes.

On a aussi par�cipé à la compagnie centrale qui avait pour mission d’approvisionner les autres compagnies, en arme, en muni�on, en cinéma.

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On a tout découvert quand on arrivait là-bas. Nous on venait de la montagne.

Dans nos campagnes on ne savait rien, on n’avait pas la télévision, très peu de journaux, un peu de radio très peu et donc on découvrait l’Algérie, on découvrait la guerre. On allait là-bas sans savoir ce qu’on allait faire et très vite on a compris qu’ on était tombé dans un piège et qu’on venait défendre des intérêts qui n’étaient pas les nôtres.

Dans les chambrées, on était à l’époque pas très cul�vés et pas très futés, mais on comprenait que ce�e guerre on ne la gagnerait pas. En face de nous, il y avait une armée ridicule c’est-à-dire qu’il y avait des gens avec des fusils de chasse et quelques armes qu’ils arrivaient à nous piquer. Nous on avait l’ar�llerie, l’avia�on, il y avait 400 000 permanents là bas (plus d’un million cinq cent mille soldats qui sont passés là-bas durant les neuf ans). Malgré cela on ne pouvait pas gagner la guerre parce que la popula�on était et soutenait la guérilla.

Donc très vite, on a compris qu’on était là et qu’il fallait a�endre que cela passe. Quand on était là-bas plus ques�on de repar�r. Et déserter! Comment faire quand on est sur des pitons rocheux ?

Comment revenir en France? Alors quand t’étais là-bas tu étais obligé d’y rester!

Après ces dix mois où l’on était un peu planqués, nous sommes par�s dans les montagnes, là où s’est passée la guerre. C’était pas la guerre de 14 mais la guerre quand-même et on a découvert la misère.

On a compris qu’il y avait une différence entre les Européens et les indigènes.

Les indigènes c’était le niveau juste au-dessus de l’esclavage, ils vivaient très pauvrement, trois brebis, un âne, une chèvre, des figues, des olives et cela s’arrêtait là.

Dans les villages il n’y avait plus personne, plus personne en âge de comba�re.

Quand le FLN arrivait dans un village et voyait un homme en âge de comba�re il lui disait « tu viens avec nous sinon …… » Et si nous arrivions les premiers et bien nous lui disions la même chose. Donc il y avait des familles où des frères, l’un était au FLN et un autre avec nous. Il y avait des harkis qui avaient choisi de l’être mais d’autres non. C’était presque une guerre civile entre eux.

Parfois il y avait des drames, quand on partait en opéra�on, certains ne voulaient pas venir et voulaient garder le poste car ils savaient que dans ce�e région ils pouvaient �rer sur leur frère.

Dans ces villages il ne restait plus que les femmes, les vieillards et les enfants.

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Et quand on fouillait dans ce village, il me reste le regard de ces femmes avec leurs enfants dans leurs jupes et qui se demandaient quand on par�rait...

Je ne parle pas des viols ni de tout ce que vous avez entendu parler.

Il y avait des zones interdites. Pour faciliter la guerre on repoussait les popula�ons dans les vallées ou dans les centres et ils avaient 48 h pour qui�er le village. Au bout de 48 h, l’avia�on pilonnait le village et on �rait sur toutes les personnes qui restaient dans ces zones interdites. Ils n’avaient pas le choix, ils délaissaient leurs troupeaux et partaient avec un minimum de provisions.

Ces paysans déjà pauvres perdaient tout.

Tous les pitons de Kabylie étaient occupés, c’était une armée d’occupa�on, on restait sur place et le soir on allait tendre des embuscades autour des villages car les fellagas, il fallait bien qu’ils mangent et donc ils descendaient au village.

La troupe qui était placée la première avait peu de perte et l’autre beaucoup.

C’était un peu la chasse, avec des gagnants et des perdants. Car finalement, tu prends plaisir à faire la guerre et avec le recul on se dit qu’on n’était plus des hommes. On était devenus des robots et on écoutait ce que disait le chef.

La misère, les zones interdites, les villages brûlés, les suspects…

Un suspect c’est une personne qui se retrouvait à un endroit et à un moment où il ne devait pas être. Il était amené et systéma�quement torturé. On le relâchait ou pas, parce qu’on avait tous les droits là-bas.

La poli�que de l’époque avait donné les pleins pouvoirs à l’armée, on n’avait pas de compte à rendre. Et c’était très facile, on avait « la corvée de bois »: elle consistait à prendre un prisonnier, on lui disait « on va te lâcher » et puis on lui

�rait dessus tout simplement et sur le compte-rendu on disait qu’il avait voulu s’échapper. Donc très peu de prisonniers avaient la vie sauve.

Le plus terrible de tout c’était la torture. Je me souviens de l’épicier du village, qui à tort ou à raison avait ravitaillé les fellagas, il avait été pris et torturé. Et le lendemain nous é�ons deux ou trois qui ne nous é�ons jamais fait à ce�e histoire de torture, on va le voir dans son cachot et on lui demande ce qu’il lui est arrivé : « Au début, ils m’ont tapé et moi j’ai tapé mais je n’aurai pas dû ».

Je vois encore ce�e femme en faisant mon tour de garde qui après avoir été torturée et arrosée d’eau, a été jeté nue dehors pas une nuit glaciale.

J’ai vu des prisonniers qui sous la torture ont dit « il y a une cache à tel endroit ».

On va à l’endroit, il n’y a pas de cache, et l’adjudant de compagnie se met à le taper. J’ai conduit des bêtes toute ma vie, je n’ai jamais tapé pareil.

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On faisait l’école au village et le militaire qui faisait l’école était protégé par un pe�t groupe.

Nous distribuions des bonbons à des enfants et un enfant refuse le bonbon en disant : « je ne veux pas de tes bonbons, hier vous avez tué mon père ».

On a vu aussi des morts parmi nous et un soir de retour d’opéra�on il y avait seize lits vides.

Voilà ce que j’ai vécu en Algérie pendant quinze mois.

Et puis il y a eu le retour, on avait envie de raconter ce que nous avions vu mais personne ne voulait savoir parce que ce�e guerre c’était la honte de la France, nous é�ons les occupants et eux c’était les occupés. Donc on était pas très à l’aise pour parler de ce�e guerre.

Nous pensons à ce que nous aurions dû faire là bas. Et cela nous travaille car on ne se culpabilise pas sur ce qu’on a fait mais sur ce qu’on n’a pas fait.

Quand nous entendions du poste une personne qui criait toute la nuit, nous aurions dû à 4 ou 5 aller voir le capitaine, le prendre par la veste et lui dire arrête sinon on va te faire la même chose. Seulement voilà, fallait être courageux parce qu’on risquait la mort ou le conseil de guerre.

Mais avec le recul, il y a bien des gens pendant la guerre de 40 qui ont caché des juifs au péril de leur vie. On n’a pas été si courageux mais on avait 20 ans et pas la culture, ni la maturité poli�que que nous avons maintenant.

Ce qu’on aurait dû faire aussi, c’est se me�re du côté des fellagas et comba�re ensemble le colonialiste. Ce n’était pas la France qui était coupable c’était le colonialiste.

Après quand tu arrives dans le civil et que tu as rendu ton paquetage, t’essaies de faire ta vie avec. Et la vie te prend, le travail te prend, la famille te prend et tu essaies d’oublier.

Et après le temps passe et un de nos enfants, notre fils est devenu objecteur insoumis. Il a fallu plaider cela et il m’a demandé d’aller témoigner à son procès et j’ai dit que la guerre était une connerie et le service militaire, qui était l’école de la guerre, était une connerie aussi.

Cela a réveillé ce qui était éteint pendant 40 ans...

Quand tu arrives à la retraite à 65 ans, tu as le droit à une retraite de comba�ant de 630 € par an aujourd’hui. Et je me suis dit qu’est-ce que j’en fais de ces sous,

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il est taché de tout ce que je viens de dire, je ne peux pas le prendre ? Au procès de notre fils, j’ai connu les gens du COT (Comité des objecteurs tarnais)...

Nous avons créé ensemble une associa�on qui s’appelle « Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis contre la guerre (4ACG)». Nous avons démarré à 4 et aujourd’hui nous sommes 140 sur toute la France, des adhérents , c’est-à-dire ceux qui versent la totalité de leur retraite. N’importe qui d’entre vous peut devenir amis moyennant 25 euros et donc il y a autant d’amis que d’adhérents.

En tout nous sommes trois cent, nous sommes très riches et nous avons 70 à 80 mille euros à distribuer et faut en faire quelque chose.

Nous nous sommes cantonnés à la Pales�ne et à l’Algérie et nous redistribuons cet argent à des associa�ons œuvrant pour la paix. Pour vous en citer quelque unes : à Tizi Ouzou, nous accompagnons des femmes et des jeunes dans la créa�on de micro-entreprises. Nous essayons de soutenir un centre culturel et éduca�f en Pales�ne. Nous avons essayé d’aider un village hautement symbolique dans la Kabylie, un village qui essaie de faire revivre l’agriculture en plantant des arbres, des figuiers, des oliviers et nous avons par�cipé à acheter un micro-bus pour amener les enfants à l’école... Donc voilà ce que nous essayons de faire de notre argent.

Nous avons mis deux ans pour organiser deux voyages vers l’Algérie. Ces voyages nous ont permis de redécouvrir ce pays et surtout de reprendre contact avec ceux qui étaient hier nos ennemis. C’était très émouvant, une dame a dit : « j’ai vu des gens de 70 ans pleurer d’un côté comme de l’autre ». Nous sommes reçus comme des frères. On leur a foutu sur la gueule pendant 10 ans mais ils ne doivent pas s’en rappeler, en tout cas nous sommes les bienvenus.

Nous rencontrons des municipalités qui organisent des rencontres avec des anciens moudjahidins. Nous essayons de travailler avec les écoles de là- bas, comme on a fait en France pour leur dire que la guerre, ce n’est pas la solu�on.

Et puis pour vous raconter mais je ne sais pas si j’y arriverai parce que c’est dur:

nous é�ons reçus par une municipalité à côté de Constan�ne où nous avons parlé de nos différentes associa�ons. Un gars de 55 ans se lève et dit « vous avez tué mon père, ma mère, vous avez tué le père et la mère de ma femme »…

Ceux qui les avaient tués, c’était le bataillon basé à tel endroit juste à côté...

L’un d’entre nous se lève, pas très à l’aise, et dit : « moi, j’étais dans ce bataillon et c’est peut-être moi qui ait tué votre père » . Pardi, il y a eu un moment

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s’est levé ce ma�n, je voudrais que ce gars vienne manger à la maison ». Voilà ce qu’on essaie de faire humblement, nous essayons de nous réconcilier avec ce peuple.

Un deuxième point qu’il ne faut pas oublier. En assemblée générale, on donne la parole aux nouveaux adhérents et là, les gens vident leur sac et certains disent « c’est la première fois que j’arrive à parler de la guerre ».

A la dernière assemblée générale, un nouveau se lève et dit « moi j’ai pas besoin de micro, je parle fort et je vais vous raconter ...», il démarre très fort et à la fin il se met à pleurer.

Voilà ce que nous essayons de faire, à notre niveau. C’est émouvant et j’ai du mal à vous le dire... Nous nous retrouvons déjà pour nous faire du bien car nous en avons besoin. Et aussi on essaye de faire quelque chose de mieux que la guerre avec le peuple algérien.

Les ques�ons et discussions avec le public

Robert, vous disiez qu’à l’époque, votre ac�on était très peu connue en Algérie et pas forcément bien vue des comba�ants algériens. Pourquoi ? Robert répond que le mouvement des réfractaires souhaitait s’interposer entre les belligérants. Or le FLN �rait sa légi�mité de la lu�e armée. S’interposer, c’était aller à l’encontre de sa poli�que.

Rémi décrit alors la guerre de pouvoir que le FLN (une poignée de dirigeants

« planqués » à l’étranger) a livré à l’ALN (4 à 5000 comba�ants de l’armée de libéra�on na�onale basés en Kabylie). Des opposants aux FLN ont été éliminés.

Dans la salle, une personne décrit le chemin du FLN après l’indépendance avec, en 1965 le coup d’État du colonel Boumedienne qui renverse Ben Bella et sa poli�que de gauche. A ce moment les Européens, qui on tenté d’aider la reconstruc�on du pays, fuient le pays. Des Algériens sont exilés en France.

C’est le cas de Mohammed Harbi, un historien de la guerre d’Algérie qui était

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membre du FLN et fut emprisonné par les Français. Durant la période 62-65, Harbi a par�cipé au développement de l’autoges�on dans les campagnes (comme ça c’était fait en Aragon dans les années 36).

Le PC et le PS n’ont pas soutenu les actes de résistance à la guerre ?

Le PC, le PS et l’Église catholique ne pouvaient pas encourager le refus du port de l’uniforme pour que l’armée con�nue à marcher.

Les Protestants ont eu une autre a�tude. Le PC avait comme mot d’ordre de ne pas empêcher les jeunes adhérents de par�r en Algérie mais de noyauter de l’intérieur le système militaire. Est-ce que ce�e posi�on a eu des effets le 25 avril 1961 au moment du putsch des Généraux ?

Quelques prêtres catholiques ouvriers de la région lyonnaise sont rentrés en résistance à leur façon.

Un intervenant souligne le fait que Guy Mollet et les socialistes étaient au pouvoir et conduisaient ce�e « grande opéra�on de police ». François Mi�errand ministre de ce gouvernement a eu ce�e phrase : « L’Algérie c’est la France .

Y-a-t’il eu, en Algérie, des mouvements poli�ques indépendants du FLN ? Une personne précise que d’autres mouvements indépendants et socialistes comme celui de Messali Hadj ont existé. On prend acte de ceci après 1962 dans une revue de l’Interna�onale situa�onniste. Camus a été lié à quelques-uns de ces mouvements (voir Camus et les libertaires – 2012 – (Égrégores édi�ons).

Avez-vous eu des liens avec des associa�ons de harkis?

Rémi dit que les Algériens d’ Algérie ne parlent pas des harkis. Ils sont considérés comme des « traîtres qui avaient le choix de comba�re ou pas leur peuple ».

Robert précise que les harkis étaient des Algériens enrôlés parfois de force dans des sec�ons militaires. Ils avaient souvent les rôles de chauffeur, can�nier, facteur, etc. dans les camps de regroupement. Ces personnes ont été obligées de qui�er l’Algérie en 1962. Robert pense que le FLN a eu besoin pour asseoir sa légi�mité après la guerre de ses héros, de ses martyrs mais aussi de ses traîtres, et les harkis ont été u�lisé comme tels. Le FLN a durcit ce�e représenta�on des harkis dans l’imaginaire populaire algérien.

Les pays limitrophes ont-ils été solidaires de leurs frères arabes ?

Robert pense que la Tunisie le Maroc et l’Égypte l’ont été puisque les dirigeants du FLN pouvaient s’y cacher. A noter que ces pays avaient déjà obtenu leur

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indépendance. L’Algérie avait une situa�on différente puisqu’elle possédait du pétrole, et surtout plus d’un million d’Européens y vivaient, sur une popula�on totale de 9 millions. En 1954, dans toutes les sphères de la société française, il semblait impensable que l’Algérie acquière une indépendance totale.

Au moment de l’appel, qu’est-ce qui se disait de la guerre dans les foyers ? Rémi se souvient qu’à son départ, on disait que ce n’était pas une guerre mais juste une pe�te rébellion. Les troupes allaient « pacifier la région » et les rebelles devaient être rapidement maîtrisés par la supériorité de l’armée française. A son retour il a été marqué par le silence qui se faisait autour de la guerre. Personne ne voulait savoir quoi que ce soit. Il pense qu’il y avait une honte par effet rétro de 39/45 où les Français avaient lu�é pour se libérer de l’envahisseur.

Robert, au moment des faits, as-tu trouvé des personnes qui comprenaient ta posi�on?

Robert répond qu’il y en avait dans les milieux pacifistes. Il n’a eu aucun sou�en dans le syndicat de la presse parisienne, mais par contre les discussions étaient fréquentes dans certains ateliers.

C’était difficile pour lui d’affronter la famille et son entourage, sa démarche pouvait être considérée comme de la lâcheté.

Une personne explique comment la guerre d’Algérie a servi d’école pour l’élabora�on de « stratégies de contre-guérilla ». Doctrines et pra�ques ont été formalisées puis exportées notamment en Amérique du sud. En France, ces stratégies sont u�lisées dans les grandes villes, en banlieue notamment, contre des popula�ons maghrébines. Ce�e personne propose à l’associa�on 4ACG d’aider financièrement un ou des projets des communautés de sou�en an�-répression qui travaillent dans ces banlieues.

Pour conclure la soirée, Robert nous invite à réfléchir sur ce�e no�on de

« résistance à l’ordre établi, et à la désobéissance civile».

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C’est surtout l’Histoire des Puissants que l’on apprend à l’école, que l’on nous raconte dans les grands médias : celle des

«grands hommes» et des grands évènements, celle du Progrès, celle des vainqueurs en fait. Une Histoire officielle, monolithique et inévitable.

Les histoires des gens ordinaires, de leur quo�dien, de leurs tenta�ves pour s’organiser entre eux, pour résister, sont le plus souvent ignorées. Certains chemins ont été laissés de côté par la majorité, certaines manières de vivre et certains savoir-faire ont été mis au rancard par les pouvoirs en place.

Pourtant les brèches, parfois incroyables, ouvertes par des mouvements populaires ou intellectuels qui ont ensuite été étouffés sont dignes d’intérêt.

C’est à ces brèches et à ces chemins d’une surprenante actualité, que les ATELIERS D’HISTOIRES POPULAIRES seront consacrés.

Les conférences sont ouvertes à tous et visent à susciter le débat, y compris sur notre époque et notre avenir.

Es subretot l’istòria dels poderoses que s’apren a l’escòla, que se conta dins los grands mediàs: aquela dels

« òmes grands » e dels grands eveniments, aquela del progrès, aquela dels venceires en fach.

Una istòria oficiala, monoli�ca e inevitabla.

Las istòria del monde, de la vida vidanta, de tenta�vas per s’organizar entre eles, per resis�r, son lo mai sovent ignoradas. D’unas dralhas son estadas daissadas de costat per la majoritat, d’unes biaisses de viure e d’unes saber far son estats mes de costat pels poders en plaça.

Ça que la las brècas, de còps incresable, dubèrtas per de moviments populars o

intelectuals que son puèi estats amagats, son dignes d’interés.

Son a aquelas brècas e a aquelas dralhas d’una susprenenta actualitat, que los TALHÈRS D’ISTÒRIAS

POPULARAS seron consacrats.

Las conferéncias son dubèrtas a

totes e an per tòca de provocar

la discu�da, a mai sus nòstre

temps e nòstre devenir.

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