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La contractualisation du droit du travail djiboutien

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Submitted on 13 Nov 2018

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La contractualisation du droit du travail djiboutien

Ilyas Said Wais

To cite this version:

Ilyas Said Wais. La contractualisation du droit du travail djiboutien. Revue de Droit du Travail, Dalloz, 2017, pp.352-360. �halshs-01920249�

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La contractualisation du droit du travail djiboutien Ilyas Said Wais1

Parmi les normes qui obligent, attachent à autrui, il faut distinguer celles qui procèdent des individus eux-mêmes et celles qui leur sont imposées. En langage juridique, on parle de contrat et de statut pour qualifier ces deux sortes de liens qui « nous tiennent et nous font tenir ensemble »2. L’histoire du droit du travail en Europe fut marquée durablement par une opposition entre le contrat et le statut. En effet, il a été question un temps d’une phase de déclin du contrat de travail avant une période de renouveau3. Même si le mécanisme contractuel n’a jamais été totalement évacué du rapport individuel entre le salarié et l’employeur et ce même au plus fort de l’expansion statutaire4.

Ce mouvement de va-et-vient du contrat de travail trouve une explication dans la variabilité5 ou la réversibilité6 du droit du travail. Plus que les autres branches du droit, le droit du travail est déterminé par les données politiques, économiques et sociales7, évoluant entre logiques contractuelle et statutaire. La logique contractuelle est portée par les politiques de flexibilisation des marchés de travail souvent prescrites, par les Institutions financières internationales (IFI) et/ou les marchés financiers8. Concrètement, elle se traduit par une privatisation accrue de l’encadrement juridique des relations individuelles mais aussi collectives du travail. La protection du statut du salarié n’apparaît plus comme une priorité. Il s’agit de se doter au travers des rapports contractuels de règles supposées être plus en concordance avec les conditions réelles de l’économie. On assiste ainsi à un changement de

1 Docteur en droit du travail, maître de conférences à l’Université de Djibouti.

2 Supiot, A., La contractualisation de la société, in Université de tous les savoirs, Qu’est ce que l’humain ?, vol.

2, Odile Jacob, Paris, 2000, p 158.

3 Cf. Waquet, Ph., Le renouveau du contrat de travail, RJS 1999, p. 383. Sur l’ensemble de cette évolution et sur les différents rôles désormais attribuées à la figure contractuelle, voir notamment Jeammaud, A., La centralité retrouvée du contrat de travail en droit français, Estudos juridicos en homenage al doctor Nèstor de Buen Lozano, 2003 (disponible sur www.bibliojuridica.Org/libros/3/1090/24.pdf).

4 Cf. not. Durand, P., A la frontière du contrat et de l’institution : la relation de travail, JCP 1944, I, p. 337.

5 Cf. Claude, N., La variabilité du droit du travail, Thèse, Droit, Angers, 2010, 355 p.

6 Cf. Lyon-Caen, G., Le droit du travail. Une technique réversible, Dalloz-Sirey, 1997, 99 p.

7 A ce propos, des auteurs ont écrit : « le droit, dans toutes ses branches, reflète les caractères généraux de la société et évolue avec elle. Mais le droit du travail, plus que la plupart des autres disciplines, est déterminé par le jeu des forces en présence et par les données de la politique, de l’économie, de la technique, de la psychologie collective » (Rivero, J., et Savatier, J., Droit du travail, PUF, coll, Themis, 1993, p. 36).

8 Cf. not. Redor, D., Les réformes du marché du travail en Europe, Cahiers français, septembre-octobre 2016, pp.

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paradigme dès lors que les acteurs professionnels sont autorisés à définir eux-mêmes les règles régissant leurs relations avec le parrainage par l’Etat9.

La contractualisation peut être définie comme la prééminence de la logique contractuelle sur la logique statutaire dans l’élaboration et la mise en œuvre des règles du droit du travail. Selon certains auteurs, elle n’est qu’une manifestation des idéaux de la

« régulation » ou de la « gouvernance »10. Elle constitue avant tout une relativisation de la place du législateur. Celui-ci, par la loi, traduit la volonté souveraine du peuple. Dans le cadre et du fait de la contractualisation, la volonté législative n’est plus souveraine. La loi devient relative, d’une part, parce que les pouvoirs du législateur sont partagés, d’autre part, parce que les pouvoirs du législateur sont amoindris11.

Le législateur djiboutien, à l’instar de ses homologues africains12, a longtemps fait primer la logique statutaire sur la logique contractuelle en faveur du salarié. Le Professeur Lachaud écrit à ce sujet : « A Djibouti, la législation nationale, longtemps issue du Code du travail d’Outre-mer de 1952, a incarné, tout d’abord, l’intérêt national par rapport à l’exploitation coloniale, en régulant le comportement des employeurs et, ensuite, le souci d’assurer une sécurité juridique et accrue aux travailleurs. Cette protection et valorisation des travailleurs nécessitant la remise en cause de la liberté contractuelle des parties au contrat de travail »13.

Une telle approche restrictive est remise en cause à partir de la fin des années 90 marquées par la crise économique et financière qui atteint alors le pays14. Le législateur djiboutien opère alors un rééquilibrage des rapports entre salariés et employeurs pour engendrer, in fine, un droit du travail contractualisé, du moins sur certains aspects. Cette évolution est le reflet de la volonté de tenir compte des nécessités économiques en permettant à l’employeur et au salarié de déterminer dans le contrat de travail et, via la négociation collective, dans les conventions et accords collectifs les conditions de leur collaboration.

Notre étude concerne précisément cette tendance à la contractualisation du droit djiboutien du travail. Elle entend mettre en lumière les éléments attestant de la prééminence de cette logique contractuelle au niveau des relations salariales. Afin de déterminer l’ampleur de cette tendance, nous tenterons de l'appréhender à travers ses expressions (I) avant d’envisager ses limites (II).

9 Cf. Ray, J.-E, Du tout-Etat au tout-contrat ?, Dr. soc, 2000, p. 574

10 Cf. Supiot, A., La contractualisation des relations de travail en droit français, in Auvergnon, Ph., (dir.), « La contractualisation du droit social », Comptrasec, Bordeaux, 2003, p. 23.

11 Comme l’écrit Philippe Auvergnon : « Là où il avait un rôle important l’Etat ne disparaît pas, il se fait humble, change de rôle, propose un service d’accompagnement. Il participe directement, passivement ou activement, à une réorganisation des relations entre sources du droit, au changement de formes et de contenus des contrats individuels comme des contrats collectifs » (Cf. Auvergnon, Ph., L’hypothèse d’une contractualisation du droit social dans plusieurs systèmes juridiques, in Auvergnon, Ph. (dir.), « La contractualisation du droit social », Comptrasec, Bordeaux, 2003, p. 14).

12 Cf. Mohamadou, B., La contractualisation du droit sénégalais du travail, Penant, 2012, p.91.

13 Lachaud, J.-P, Marché du travail, emploi et pauvreté à Djibouti : analyse et politiques, OIT, Genève, 2004, p.129.

14 Cf. Said Wais, I., L’évolution du droit du travail en République de Djibouti, Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 2016/1, p 30.

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I- Les expressions de la contractualisation en droit du travail djiboutien

La contractualisation touche tant les relations individuelles du travail que les rapports collectifs. C’est la raison pour laquelle nous envisagerons la contractualisation dans ces deux dimensions, notamment dans deux sous-domaines : la libre détermination du salaire (A) et le renvoi à la convention collective de questions relevant antérieurement de la seule loi (B).

A- La libre détermination du salaire

La détermination du salaire repose sur le principe du laisser-faire et, ce, depuis la loi du 23 septembre 1997 portant aménagement du Code de 1952. Celle-ci précise, dans son article 31, que « la rémunération fixée au contrat de travail résulte des accords d’entreprise, des conventions collectives ou, le cas échéant, d’un accord entre les parties. Aucun plancher de rémunération n’est fixée par la législation »15. Cette initiative législative défait le système de fixation et de révision du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) issu des textes antérieurs. Pareille option ne peut être bien comprise que si elle est replacée dans le contexte des Politiques d'Ajustement Structurel (PAS), qui exigeait un assouplissement des textes en conformité avec l'économie de marché16. En somme, on opère ainsi le passage d'un régime de fixation des salaires basé sur l'intervention des autorités publiques (1) à celui d'une libéralisation totale des salaires (2).

1- La fixation réglementaire des minimas salariaux

L'exigence d'un « salaire minimum garanti » trouve son origine dans les dispositions de l'article 95 du Code de 1952 qui précisaient que les salaires minima interprofessionnels garantis sont fixés par des arrêtés du chef du territoire17. Il s'agit là de salaires minima garantis, c'est-à-dire que ni les conventions collectives, ni les contrats individuels ne

15 Devenu l'article 60 du Code du travail du 28 janvier 2006.

16 Les principaux axes de ces politiques ont concerné l'assainissement des finances publiques, la restructuration des entreprises publiques, la libéralisation du droit du travail, la démobilisation du personnel policier et militaire recruté lors de la guerre civile de 1991-1994, l'amélioration de la politique fiscale, etc. (Cf. not. Hassan Houssein, S., Djibouti: Economie du développement et changements institutionnels et organisationnels, éd.

L'Harmattan, 2007, p. 25).

17 L'arrêté n° 1070 du 31 août 1953 fut le premier texte officiel pris en application de l'article 95 du Code de 1952 (JO CFS du 1er septembre 1953, p. 324).

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pouvaient fixer un salaire inférieur. L'employeur qui rémunérait un travailleur à un taux inférieur au minimum fixé par l'Etat encourait une sanction pénale18.

La prorogation des lois issues de la période coloniale par la loi constitutionnelle n° 1 du 27 juin 1977 a conduit à conférer les prérogatives du Chef du territoire au Chef du Gouvernement, en l'occurrence celle de fixer par arrêté le taux du SMIG19. Ce taux devait, comme l'indique notamment l'article 163 du Code de 1952, être établi en fonction d'un budget minimum vital et des conditions économiques générales20. Mais la loi n'instituait aucun mécanisme contraignant qui obligerait les pouvoirs publics à ajuster périodiquement le salaire minimum. Cette omission législative peut expliquer en partie le fait que le Gouvernement ait relevé une seule fois le SMIG après l'indépendance: c'est en 1980 que le Gouvernement djiboutien a communiqué pour la première et dernière fois des informations sur les résultats de l'application des méthodes de fixation des salaires a minima21. Il s'en est suivi une longue période durant laquelle aucun relèvement du SMIG n'a été fait, et ce jusqu'à sa suppression en 1997.

L'inertie du pouvoir réglementaire en la matière peut s'expliquer par des facteurs économiques. D'une part, le caractère déjà élevé des salaires à Djibouti comparé à ceux des pays voisins laisse en effet peu de marge de manœuvre au pouvoir réglementaire dans un environnement de compétitivité entre Etats22. D'autre part, la faiblesse de l'inflation structurelle, en lien avec la mise en place d'un régime monétaire fondé sur le currency board23a peu ou prou délégitimé le bien fondé d'une quelconque augmentation du SMIG24. Mais ces arguments économiques s'avèrent toutefois insuffisants pour justifier la longue politique abstentionniste du pouvoir réglementaire en matière de fixation de salaire. Ils occultent le problème récurrent de l'inflation importée qui aurait dû amener, à l'instar des

18 L'article 226-b du Code de 1952 dispose que « seront punis d'une amende de 1000 à 4000 F, et, en cas de récidive, d'une amende de 4000 à 10 000 F, et d'un emprisonnement de six jours ou de l'une de ces deux peines seulement les auteurs d'infractions aux dispositions des arrêtés prévus par les articles 78, 95 et 112 ».

19 Cf. Said Wais, I, op. cit., p. 30.

20 « Ces deux références sont dans une certaine mesure contradictoires puisque le budget minimum se fonde sur les besoins du travailleur et que, par conditions économiques générales, le législateur entend les possibilités économiques de l'économie. Mais cette contradiction n'est pas insoluble à condition que l'application de la loi (…) soit purgée de tout malthusianisme économique qu'elle qu'en soit la cause : insuffisance ou mauvaise orientation des investissements, défaut de formation professionnelle etc.» (Cf. Anonyme, Code du travail des TOM, Société d'éditions africaines, Paris, 1953, p. 148).

21 Arrêté n° 80-160/PR/TP fixant les salaires minima interprofessionnels garantis en République de Djibouti

22 Cf. not. Forum économique mondial, Rapport sur la compétitivité en Afrique de 2015, consultable sur le site

internet:http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/Rapport_sur_la_comp%C3%A9tit ivit%C3%A9_de_l%E2%80%99Afrique_2015.pdf.

23 Un currency board ou caisse d'émission est un régime monétaire basé sur l'engagement explicite de maintenir

le taux de change entre la monnaie nationale et autre devise étrangère ( le dollar américain en l’occurrence) et d'assurer une convertibilité automatique de la monnaie nationale. Cet engagement est concrétisé par les restrictions sur l'autorité émettrice de monnaie: l'interdiction de recourir à la planche à billets et de financer monétairement des déficits publics (Cf. not. Mahamoud, I, Mohamed, H., Ponsot, J.-F, Ethique du policy maker et dynamique macroéconomique en régime de currency board: le cas de Djibouti, Revue Ethique et économique, Vol. 12, n° 2, 2015, pp. 30-43).

24 Une étude interne du FMI fondée sur des comparaisons statistiques et une analyse économétrique de l'inflation dans différents régimes de change fixe établit un bilan nettement positif en faveur du Currency Board.

L'évolution de l'indice des prix à la consommation y est en moyenne inférieure de 3,5 points en comparaison du même indice calculé pour les autres régimes de change (Cf. Wolf, H., Ghosh, A., Berger, C., Gulde, A.-M., Currency boards in retrospect and prospect, MIT Press, Cambridge, 2008, p. 81).

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économies développées, à des ajustements périodiques du SMIG, en particulier au profit des travailleurs à bas salaires25.

La loi du 23 septembre 1997 conforte et aggrave en quelque sorte cette longue politique abstentionniste en ouvrant la voie à une contractualisation des rémunérations.

2-Le choix de la contractualisation salariale

La rupture avec le système de fixation des salaires minima a été brutale, radicale et totale. Il s'agit d'une déréglementation de grande ampleur, sans équivalent dans aucune des autres matières du droit du travail ayant trait aux relations individuelles de travail. L'ensemble des dispositions du Code de 1952 relatives à la fixation des minimas salariaux ont été purement et simplement abrogés. Le droit de la rémunération a été entièrement contractualisé.

En droit, rien ne s'oppose désormais à une individualisation quasi intégrale de la rémunération par le biais du contrat de travail. Quant aux conventions collectives de travail, l'article 258 du Code du travail leur permet, sans qu'il s'agisse d'une obligation, de fixer les salaires applicables par catégorie professionnelle dans l'entreprise; elles peuvent également traiter, s'il y'a lieu, des indemnités de services rendus, des heures supplémentaires, des primes d'assiduité, ainsi que des modalités de remboursement des frais engagés par le salarié investi d'une mission. L'énoncé par l'article précité des thématiques sur lesquelles peut disposer la convention collective n'est pas exclusif, le législateur l'ayant précédé de l'adverbe

"notamment".

La fixation des salaires au moyen des conventions ou accords collectifs de travail et du contrat individuel de travail, bien qu'elle ne soit pas obligatoire, est considérée comme la démarche la mieux indiquée en économie de marché26. Le principe de la libre négociation des salaires a vocation à s'appliquer aussi bien dans les entreprises privées que dans les entreprises du secteur public. Mais dans les entreprises où la représentation des travailleurs est inexistante, ceci emporte le risque de l'absence de conventions collectives ou d'accords salariaux. Dans ces conditions, la détermination des salaires sera l'œuvre exclusive du contrat

25 Selon le BIT, «la mise en place d'un salaire minimum revêt une importance primordiale pour les travailleurs qui se situent en bas de la hiérarchie professionnelle. Les femmes, les migrants et autres groupes de populations victimes d'une discrimination fondée, entre autres, sur l'origine ethnique ou nationale, l'âge, le handicap ou l'état de santé sont les premiers concernés puisqu'ils sont majoritairement représentés dans la catégorie de bas salaires et ont moins de chances que d'autres de sortir de cette catégorie » (Cf. BIT, L'heure de l'égalité au travail, Rapport global en vertu du suivi de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux, 2003 (Rapport I (B) , Rapport du Directeur général à la CIT, 91ème session, Genève, 2003, p. 15).

26 Cette démarche, quoi qu'elle n'ait abouti partout à ses fins, fut l'objet d'une promotion accrue en Afrique subsaharienne. Elle fut portée principalement par les chefs d'entreprise qui ne pensaient pas moins que le « SMIG crée des distorsions sur le marché du travail et qu'il est d'un niveau trop élevé » et « qu'il est préférable de substituer une fixation par la négociation collective à une négociation par l'Etat » (Cf. Issa-Sayegh, J., Lohoues- Oble, J., Harmonisation du droit des affaires, Bruxelles, éd. Bruylant, 2002, p. 51).

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individuel de travail c'est-à-dire, le plus souvent, de l'appréciation souveraine de l'employeur27.

B- Les renvois à la négociation collective

De façon générale, il peut être observé que la part de la réglementation étatique s'est réduite depuis l'adoption du Code de 200628. Celui-ci renvoie expressément et exclusivement au droit conventionnel pour le traitement de certains sujets. Il s'agit là d'hypothèses dans lesquelles la norme négociée devient véritablement autonome au regard du droit étatique. Il en est ainsi par exemple en matière de majoration des heures supplémentaires (1), de modulation (2) et d'indemnité de licenciement (3).

1- La majoration des heures supplémentaires

L'article 88 du Code du travail de 2006 dispose que « les heures supplémentaires sont rémunérées à un taux majoré fixé par voie de convention collective ou d'accord collectif ». Le législateur a donc renvoyé expressément la question de la rémunération des heures supplémentaires aux partenaires sociaux. Cette délégation n'est pas en soi une nouveauté puisque le Code de 1952 s'abstenait lui-même de fixer les taux de majoration. Selon les articles 74 et 78 du Code de 1952, il appartenait aux conventions collectives ou, à défaut, à des arrêtés des chefs du territoire, de fixer la rémunération des heures supplémentaires29. La différence, après l'intervention du Code de 2006, réside dans l'absence de renvoi exprès à un texte réglementaire qui ferait office de règle subsidiaire en l'absence de dispositions conventionnelles.

Toutefois, il existe des exceptions aux systèmes de majoration prévus par la loi et mis en place par les conventions collectives. Tout d'abord, les heures supplémentaires ne donnent pas lieu à versement d'une rémunération majorée lorsqu'elles relèvent des dérogations prévues par l'article 84 du Code du travail. Il est prévu, en effet, que dans certaines hypothèses, la durée légale du travail pourrait pratiquement dépasser 48 heures par semaine sans ouvrir droit aux majorations pour heures supplémentaires. Ces dépassements sont de trois ordres, à savoir les équivalences, la récupération d'heures perdues et la modulation éventuellement prévues par les conventions collectives30. Ensuite, deux catégories de travailleurs se voient exclus, de

27 Comme chacun sait, les salariés sont très rarement en position de négocier leur rémunération surtout dans un contexte de crise d'emploi persistante. « L'inégalité économique et la subordination juridique vident de sens la négociation individuelle entre un employeur et un salarié » (Cf. Supiot, A., les syndicats et la négociation collective, Dr. soc. 1983, p. 63).

28 Cf. Said Wais I., op. cit. p. 36.

29 Cf. not. Anonyme, Code du travail des TOM, op.cit. pp. 124-127.

30 Articles 85, 89, 90,92 du Code du travail de 2006.

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droit, du régime des heures supplémentaires. C'est le cas de la majorité des cadres qui ne sont pas soumis aux mêmes horaires de travail que les salariés dits intégrés devant respecter des horaires collectifs. Bénéficiant d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur temps31, ils ont toujours fait l'objet d'un régime particulier32. Cela ressort aujourd'hui encore de certains textes conventionnels33 et de la jurisprudence34 qui excluent la rémunération des heures supplémentaires effectuées individuellement et librement par un gradé ou un cadre en dehors de l'horaire normal de services auquel il appartient. De plus, on observe que des contrats de travail liant certains employés civils au Département de Défense des USA stipulent des durées hebdomadaires de travail de 56 heures et prévoient des possibilités de dépassement sans qu'il y ait lieu à rémunération supplémentaire35. Cette clause contractuelle trouve son fondement dans l'accord international entre Djibouti et les Etats-Unis d'Amérique du 19 février 2003 qui exclut le personnel civil employé au camp militaire américain de la législation nationale du travail36.

Enfin, dans un autre registre, on observe que la plupart des travailleurs de l’économie informelle (personnel domestique, chauffeurs de bus et de taxis, vendeurs de magasins etc.) sont de fait exclus du bénéfice de la réglementation relative à la durée du travail. Les heures de travail sont particulièrement longues pour ces travailleurs aux salaires peu élevés. Ne possédant ni document matérialisant la réalité de leur contrat de travail, ni bulletin de salaire, ces catégories de salariés ne sont pas immatriculées à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS). Il va sans dire que, sauf arrangements aussi exceptionnels que ponctuels, la question du taux des heures supplémentaires ne se pose pas37.

31 Cf. Barthélémy, J., Le temps de travail des cadres, JCP E, 1997, 662.

32 Sous l'empire du Code de 1952, la jurisprudence décidait que les cadres « bénéficiant d'appointements et d'avantages importants, jouissant d'une indépendance trouvant contrepartie dans l'obligation de consacrer le temps nécessaire, aux moments opportuns, à la satisfaction de la mission qui leur est impartie, ne peuvent prétendre au paiement d'heures supplémentaires réservées à ceux qui, assujettis à un travail d'exécution resserré dans le cadre d'un horaire fixe, sont rémunérés à un salaire peu élevé » (Cf. Kirsch, M., Mémento du droit du travail outre mer, juridiction, contrat, salaire, Penant, 1968, pp. 298-299).

33 Cf. not. Article 23 de la nouvelle convention collective des employés de banque du 17 janvier 2011.

34 Tribunal du travail Djibouti du 11 mars 2009 (inédit): un cadre d'une banque s'est vu refusé la rémunération

d'heures supplémentaires parce qu'ils les auraient effectué individuellement et librement en dehors de l'horaire normal de service auquel il appartenait.

35 Des exemples de contrats des employés des fournisseurs des Etats-Unis d'Amérique installés au camp Lemonnier contiennent la clause libellée en anglais comme suit: « the employee's normal workweek shall consist of 56 hours, per week. Employee is a salaried employee, and shall work additionnal hours or days if required by the workload to accomplish assigned duties without additionnal compensation ».

36 Il y a là un paradoxe à voir ce droit vendu comme contractualisé alors qu'il est en même temps contourné,

inapplicable du fait d'un tel accord….

37 On ne peut que souligner ici l'importance de la mobilisation d'un organisme international comme l'OIT pour

faire accéder ces travailleurs au moins à un minimum de droits (Cf. not. BIT, La transition de l'économie informelle à l'économie formelle, Rapport V (I), CIT, 103ème session, 2014; Recommandation n°204 adoptée le 15 juin 2004).

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2- La modulation du temps de travail

L'intérêt du législateur de 2006 ne s'est pas arrêté aux questions intéressant le volume d'heures de travail auquel peut être soumis, à titre individuel, un salarié. Il a fait preuve d'inventivité en consacrant de nouvelles dispositions aux modes de répartition dans le temps de ce volume d'heures. L'introduction de la modulation du temps de travail s'inscrit dans cette logique de modernisation et de flexibilisation des dispositifs d'aménagement du temps de travail38.

La modulation des heures de travail repose sur le constat que dans certaines entreprises ou branches d'activités la masse de travail à exécuter est plus grande à certaines périodes de l'année et que d'autres périodes sont considérées comme "creuses". Les employeurs des entreprises concernées peuvent donc faire varier la durée du travail sur tout ou partie de l'année. Il va s'agir concrètement de réduire la durée de travail en deçà de 48 heures par semaine en saison creuse et de la porter à plus de 48 heures en haute saison, sans compensation au titre des heures supplémentaires39. Ceci constitue évidemment un changement par rapport à la législation antérieure qui, en matière de durée de travail, ne comptait qu'une référence hebdomadaire40 et interdisait par la même occasion la compensation des horaires entre les semaines.

La mise en œuvre de la modulation est subordonnée à l'existence d'une convention collective ou d'un accord collectif agréé par le ministère du Travail qui la prévoit et offre cette possibilité aux employeurs. Hormis cette habilitation ministérielle, la loi ne fixe à la négociation ni de règles qui garantissent l'équilibre des pouvoirs, ni de seuils infranchissables au nom du respect de la santé limitant l'autonomie collective, c'est-à-dire des durées quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, annuelle à ne pas dépasser. A ce propos, il a été relevé que l'absence de disposition indiquant que la durée moyenne de travail ne saurait excéder 48 heures dans le cadre d'une modulation posait des problèmes d'incompatibilité avec la convention n° 1 de l'OIT ratifiée par la République de Djibouti41.

38 Cf. not. Merlin, L., La durée annuelle du travail: une figure en hausse, Dr. soc. 1999, p. 863.

39 Un auteur fait observer que « l'objectif principal est d'adapter l'horaire collectif de travail aux variations de l'activité et de s'extraire d'une logique rigide de décompte des heures supplémentaires dans le cadre de la semaine » (Cf. Lokiec, P., Droit du travail, Tome I, PUF, 2011, p. 374).

40 Aucune équivalence de la durée légale de travail sur une unité de temps supérieure à la semaine n'était envisagée pour décompter la durée du travail et appliquer les règles qui en découlent. L'arrêté n° 1283 du 23 octobre 1953 déterminant le régime des dérogations prévues à l'article 112 du Code de 1952 (JO CFS du 1er novembre 1953, p. 374) ne prévoit ni règles d'équivalence, ni références chiffrées renvoyant à une durée du travail qui ne serait pas hebdomadaire.

41 CIT, 103ème session, 2013, observation CEACR, Convention n° 1, Djibouti.

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3- L'indemnité de licenciement

Malgré le recours généralisé à l'expression "indemnité légale de licenciement", celle-ci n'a jamais été précisément une création de la loi. Celle-ci se contente, sans la rendre obligatoire, de renvoyer aux conventions collectives, indiquant simplement que cette éventuelle indemnité ne se confond pas avec d'éventuels dommages et intérêts. Bien que l'article 258 du Code du travail l'englobe dans la liste des clauses facultatives des conventions collectives42, la plupart de celles-ci l'ont prévue et réglementée. Son régime juridique est donc fixé par les conventions collectives sans que sa nature juridique ait été élucidée de façon satisfaisante. Ni la loi, ni la jurisprudence, ni encore moins la doctrine djiboutienne, n’ont eu à traiter de la question43. Il arrive parfois aussi que le contrat de travail et, exceptionnellement, l'usage, prévoient une indemnité de licenciement. Les travailleurs qui ne peuvent donc se prévaloir ni d'une disposition explicite d'une convention collective ou de leur contrat individuel de travail, ou d'un usage, n'ont aucun droit à une quelconque indemnité de licenciement.

Au final, le droit djiboutien du travail, issu du Code de 2006, a étendu la place du contrat dans la fixation des règles régissant les relations salariales. Néanmoins, cette contractualisation du droit djiboutien, aussi développée qu’elle puisse être, se trouve limitée dans son expansion.

II- Les limites à la contractualisation du droit du travail djiboutien

Les partenaires sociaux ont vu leurs prérogatives s'accroitre avec le processus de réforme du droit du travail engagé en 1997 et confirmé par l'adoption du Code du travail de 2006. Ils ne peuvent cependant tout faire et se heurtent inévitablement à des obstacles à la fois juridiques (A) et extra juridiques (B).

42 Le Code de 2006, à la différence de celui de 1952, n'impose plus des clauses obligatoires aux conventions collectives et dresse à la place une liste indicative de clauses qui pourraient inspirer les partenaires sociaux. Mais concernant l'indemnité de licenciement, le Code de 1952 ne l'intégrait pas dans les clauses obligatoires et se contentait lui aussi d'en faire allusion en renvoyant dans son article 52 au contrat de travail ou à la convention collective.

43 Au sujet de la nature juridique de l'indemnité de licenciement, deux thèses se sont toujours affrontées en doctrine française. Selon la première, l'indemnité de licenciement aurait un fondement rémunératoire. Elle s'analyserait comme complément de salaire correspondant au travail fourni par le travailleur durant ses années de service et le versement seul serait différé pour intervenir lors de la cessation de la relation de travail (Cf. Durand, P., Traité du droit du travail, Tome 2, Dalloz, Paris, 1950, n° 485; Savatier, J., Réflexions sur les indemnités de licenciement, Dr. soc. 1989, p. 125). Pour la seconde, l'indemnité de licenciement aurait un caractère réellement indemnitaire, ayant pour fait générateur la rupture du contrat; elle serait destinée à réparer le préjudice résultant de la perte de l'emploi même si cette réparation est forfaitaire puisque calculée en fonction de l'ancienneté (Cf.

Camerlynck, G.-H., L'indemnité de licenciement, JCP 1957.I. 1391; Mouly, J., A propos de la nature juridique de l'indemnité de licenciement, D. 2008, p. 592).

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A- Les obstacles juridiques

Tout n'est pas "contractualisable" en droit du travail. Cette limite à la contractualisation s'explique par le caractère protecteur du droit du travail justifiant que l'on ne puisse pas déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs. Ainsi, les dispositions d'ordre public constituent une limite à la contractualisation du droit du travail (1). Le principe de perpétuation des dispositions réglementaires antérieures non contraires à la législation en vigueur destiné à combler les prévisibles lacunes de cette dernière constitue également un frein au processus de contractualisation au point même de l'éroder à certains moments (2).

1- La soumission aux dispositions d'ordre public absolu

La règle d’articulation de la convention collective avec les lois et règlements est fixée par l’article 254 alinéa 3 du Code du travail. Cet article dispose que « La convention collective peut mentionner des dispositions plus favorables aux travailleurs que celles des lois et règlements. Elle ne peut déroger aux dispositions d’ordre public ». Le texte invite à distinguer entre l’ordre public relatif auquel les conventions collectives pourraient déroger dans un sens favorable aux travailleurs44 et l’ordre public absolu auquel elles ne pourraient en aucune façon déroger.

En droit du travail, l’ordre public absolu est un écho de l’article 6 du code civil français applicable à Djibouti dans sa version de 188745 posant dans une formule lapidaire : « on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ». L’ordre public est ici considéré comme le caractère des règles juridiques qui s’imposent pour des raisons de moralité et de sécurité impérative dans les rapports contractuels46. On ne peut donc déroger dans quel sens que ce soit à ces règles, elles sont d’ordre public, notamment en droit du travail47.

44 Ce qui est dit ce qu’on peut déroger aux lois et règlements in melius. En revanche, il n’est pas dit si l’on peut on ou non déroger in pejus, toujours évidemment dans le respect des dispositions légales ou réglementaires.

45 C'est le Code civil français dans sa version 1887 modifié d'une part par les diverses lois civiles françaises votées entre 1887 et le 27 juin 1977, à condition qu'elles aient été promulguées aux territoires d'outre-mer et promulguées localement; et d'autre part par les lois votées après le 27 juin 1977 en matière civile qui est en vigueur en République de Djibouti( Cf. Ali Ragueh, M., Essai de sociologie juridique sur la réception du droit du travail français en République de Djibouti, Thèse, Droit, Nantes, 1998, p. 110).

46 Un auteur le considère comme « un moyen de défense des institutions essentielles de la société contre les atteintes que pourraient leur porter les initiatives, non contrôlées, des contractants » (Cf. Flour, J., Aubert, J.- L., Savaux, E., Droit civil, Les Obligations, Paris, A. Colin, 16ème éd., 2014, p. 197).

47 L’ordre public concerne, selon le Conseil d’Etat français, les textes d’origine étatique « qui débordent le domaine du droit du travail » ou « les avantages ou garanties échappant, par leur nature, aux rapports conventionnels » (Cf. CE, 22 mars 1973 (avis), Dr. ouvr. 1973, p. 190, Dr. soc. 1973, p. 514).

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Toutefois, la difficulté réside dans la détermination de ces règles dans la mesure où la référence à la notion d’ordre public fait souvent défaut48. On peut néanmoins les retrouver dans la Constitution, dans la loi. Ainsi, une convention collective ne peut pas comprendre de clauses obligeant l’employeur à n’employer que des personnes adhérant à un syndicat ou à réserver à ces dernières le bénéfice d’un avantage : une telle disposition est contraire à l’article 1er de la Constitution qui interdit les discriminations et affirme le principe d’égalité.

Un accord qui imposerait à l’employeur d’embaucher en priorité les membres des syndicats en place serait tout aussi contraire à l’article précité. De même, il existe des sujets échappant, de par la volonté expresse du législateur, aux rapports conventionnels. Ainsi une convention ne peut pas modifier les conditions d’embauche et de licenciement des travailleurs ainsi que l’organisation et le fonctionnement de l’apprentissage, de la formation professionnelle et de la formation permanente49. En outre, il est interdit aux partenaires sociaux de modifier les conditions particulières du travail des femmes et des enfants. Enfin, en application du principe d’égalité de traitement, il n’est pas possible de déroger aux modalités d’application du principe « à travail égal, salaire égal »50.

Cette idée d’un ordre public absolu insusceptible d’appropriation privée, qu’elle soit ou non avantageuse pour le travailleur, semble parfois remise en cause à Djibouti. Ainsi, l’article 19 de la convention collective du 26 décembre 2011 applicable aux agents contractuels de l’Administration de la République de Djibouti contredit les articles 259 et 58 du Code du travail de 2006 lorsqu’il précise qu’en cas de rupture pendant le congé, l’indemnité compensatrice de préavis sera doublée. Rappelons que l’article 259 interdit formellement aux conventions collectives de modifier les dispositions du Code concernant entre autres les conditions d’embauche et de licenciement alors que l’article 58 impose à la partie responsable de la rupture d’un contrat à durée indéterminée intervenant sans préavis au versement à l’autre partie d’une indemnité dont le montant correspond à la rémunération et aux avantages de toute nature dont aurait bénéficié le travailleur durant le préavis qui n’a pas été respecté. On pourrait avoir le même jugement en ce qui concerne l’article 3 de la convention collective d’Etablissement applicable aux personnels civils des Forces françaises stationnées à Djibouti du 28 juillet 2010 qui ajoute aux conditions légales de recrutement le fait de n’avoir subi aucune condamnation à « une peine afflictive ou infamante ». Outre le fait qu’elle contredit l’article 259 précité, cette disposition conventionnelle apparaît anachronique dès lors qu’elle fait référence à une peine disparue du Code pénal djiboutien.

La violation du principe de l’ordre public relatif est plus difficile à établir51. Suivant la lettre et l’esprit de l’article 254 alinéa 3 du Code du travail, les nouvelles conventions

48 Une auteure s'interroge à ce sujet: « Mais comment savoir si, par sa formulation même, une règle présente un

caractère impératif dans une matière qui, comme le droit du travail, est fortement marquée par le sceau de l'impérativité? Comment savoir, également, si un principe ou une règle, échappe, par sa nature, aux rapports conventionnels ? » (Cf. Poirier, M., La négociation collective, reflet des finalités du droit du travail, Dr. ouvr.

2013, p. 84).

49 Article 259 du Code du travail.

50 Idem

51 Même si le débat djiboutien est encore éloigné de celui qui sévit en France, notamment après l’adoption de la loi « El Khomri » du 6 août 2016 (Cf. not. Borenfreund, G., Les rapports de l’accord collectif avec la loi et le contrat de travail, Revue de droit du travail, 2016, p. 781).

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collectives accroissent, dans l’ensemble, le contenu des droits des travailleurs. Cette tendance trouve sa symbolique la plus forte dans la clause de maintien des droits acquis qu’on trouve dans toutes les conventions collectives. Concrètement, il est prévu dans chaque convention collective que celle-ci ne peut en aucun cas être la cause des restrictions des droits individuels ou collectifs acquis par les travailleurs. En termes chiffrés, on aurait la preuve de l’amélioration de la condition des travailleurs si l’on compare les grilles de salaires prévues par les conventions collectives aux salaires versés avant la conclusion desdites conventions52. On pourrait, en revanche, avec quelque assurance, considérer comme contraires à l’ordre public relatif les dispositions de la nouvelle convention collective des employés de banque qui prévoient la possibilité de rappel d’un travailleur parti en congé en cas de surcroît de travail. Dans ce cas, le travailleur rappelé conserve le bénéfice de son allocation et perçoit son salaire à son retour. Il peut en outre bénéficier pour son congé suivant de deux jours supplémentaires par semaine ouvrée53. Malgré ces quelques garanties, le caractère défavorable de cette prévision, en comparaison avec les règles régissant le fractionnement des congés54 est indéniable. Par ailleurs, concernant les permissions exceptionnelles pour cause de décès ou d’accouchement, la convention collective applicable aux agents contractuels de l’Administration et des Etablissements Publics pose l’obligation d’informer par écrit des causes de son absence, au plus tard dans les 24 h suivant la cessation, et ce sous peine de sanction. Eu égard au court délai prescrit, une telle disposition peut sembler difficile à respecter, surtout en cas de perte douloureuse d’un être cher, et restreint le droit de pouvoir bénéficier pleinement de ces autorisations d’absence.

2- La perpétuation des dispositions réglementaires antérieures conformes à l'actuelle législation

L'article 297-2 du Code du travail dispose que « les dispositions réglementaires antérieures restent en vigueur en tant qu'elles ne sont pas contraires au présent Code ». Une telle disposition a été assurément prise pour remédier aux éventuels vides juridiques dans l'attente de la sortie des textes réglementaires annoncés par le Code de 2006. Cette situation sensé être provisoire a perduré jusqu'à aujourd'hui55. Outre l'insécurité juridique qu'elle peut

52 Il n’est pas sans intérêt de noter que les quelques nouvelles conventions ont été conclues dans une période de

retour à la croissance, de surcroît soutenue. Le taux de croissance du PIB réel a été soutenu sur la période 2007- 2010 (5% en moyenne par an), et ce, en dépit de la crise financière. Cette croissance a été fortement portée par les activités portuaires et les flux d’IDE arrivant dans le pays (Cf. BAD, Djibouti. Document de stratégie-pays 2011-2015, p. 2).

53 Article 28 de la nouvelle convention collective des employés de banque du 17 janvier 2011.

54 L’article 104 du Code du travail dispose qu’ « avec l’accord du salarié, le congé peut être fractionné à condition que le salarié bénéficie d’un repos d’au moins quatorze jours consécutifs, jours de repos hebdomadaire ou jours fériés éventuels compris ».

55 Le Code du travail de 2006 renvoie à 27 textes réglementaires. Sur les 27 textes réglementaires, trois seulement ont été publiés jusqu'à présent et ce, à la différence du Code de 1952, qui fut complété, dans les mois qui suivirent son adoption, par plus de 1500 règlements d'application (Cf. not. Laborde, J.-P, Retour sur la loi n°

52-1322 du 15 décembre 1952 instituant un Code du travail dans les territoires et territoires associés relevant du

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générer, elle semble faire réduire comme peau de chagrin l'espace de négociation normative promu et élargi par le processus de contractualisation. Ainsi, en matière de majoration d'heures supplémentaires, la contractualisation est intégrale, du moins dans les textes, car il n'existe pas de renvoi à un texte réglementaire qui ferait office de règle subsidiaire en l'absence de dispositions conventionnelles. Cette carence textuelle se voit cependant corrigée par l'article 297-2 précité qui réhabilite une partie des dispositions de l'arrêté du 28 février 1975 portant réglementation des heures supplémentaires56. Cet arrêté demeure donc le texte réglementaire de référence en matière de rémunération des heures supplémentaires57.

Toutefois, l'application de ce texte n'est pas exempte de difficultés et d'anachronismes.

Pris sur le fondement de l'article 112 du Code de 1952, ce texte considère que les heures effectuées au-delà de la quarantième heure donnent lieu à des majorations. Or, le législateur de 2006 a porté, pour des raisons de rentabilité économique58, la durée hebdomadaire du travail à quarante huit heures. Cette confusion intertextuelle, pourtant réglée par l'article 297- 2, génère un contentieux dans lequel on retrouve des réclamations de paiement d'heures supplémentaires demandant qu'on fasse courir le décompte des heures supplémentaires à partir de la 41ème heure en lieu et place de la 49ème heure59.

Par ailleurs, nous avons vu que le Code de 2006 se réfère expressément à la convention collective ou au contrat individuel de travail pour l'existence et les conditions d'attribution de l'indemnité de licenciement. Cela signifie concrètement que les travailleurs qui ne peuvent se prévaloir ni d'une disposition conventionnelle ni d’une disposition contractuelle explicite, ne peuvent en principe bénéficier de l'indemnité de licenciement. Cette hypothèse d'absence de toute indemnité de licenciement se voit elle aussi corrigée par un autre arrêté de l'époque coloniale60. Ce texte ne se présente pas comme une règle subsidiaire applicable en l'absence d'alternative conventionnelle ou contractuelle. Ce défaut de précision n'empêche pas, pourtant, les juges d'étendre son application en accordant l'indemnité de licenciement à des travailleurs licenciés sans couverture conventionnelle et issus d'établissements ne rentrant pas dans son champ d'application61. Dans ces conditions, il est permis de s'interroger sur la portée réelle de la contractualisation intervenue et d'affirmer en définitive qu'il s'agit là en grande partie d'une vraie-fausse évolution du droit du travail djiboutien.

Ministère de la France d'Outre-mer, in « L'esprit du droit africain », Mélanges en l'honneur du Professeur P.-G Pougoué, éd. Lamy, Paris, 2014, p. 441).

56 Arrêté n° 75-335-335/SG/CG/ du 28 février 1975, JO TFAI du 1er mars 1975, p. 102.

57 Certaines conventions collectives renvoient même à l'arrêté du 28 février 1975 précité concernant la réglementation des heures supplémentaires. C'est le cas de la convention collective de Djibouti-Télécom d'août 2004.

58 Cf. Procès-verbal de la séance publique de l'Assemblée nationale du 25 décembre 2005 durant laquelle a été adopté le Code du travail.

59 Les juges considèrent, au regard du nouveau droit du travail, valables que les pourcentages de majoration, le décompte des heures supplémentaires devant se faire à partir de la 49ème heure (Cf. not. Cour d’appel de Djibouti du 4 novembre 2012 (inédit)).

60 Arrêté n° 66/24/SPCG du 29 mars 1966 réglementant les conditions générales, d'emploi des travailleurs du commerce, du bâtiment et des ateliers de la Côte française des somalis; modifié par les arrêtés n° 1944/SG/CG du 26 décembre 1968, 72-329/SG/CG du 1er mars 1972, 74-339/DG/SG du 7 février 1974, 80-1062/PR/TP du 22 juillet 1980.

61 Cour suprême Djibouti du 19 mars 2000 (inédit); Tribunal du travail Djibouti du 28 mars 2006 (inédit).

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B- Les obstacles extra juridiques

Depuis l'adoption du Code de 2006, la contractualisation impacte, du moins dans les textes, les relations de travail subordonnées à Djibouti. Dans un certain nombre de domaines, le droit du travail étatique se voit démantelé au profit d'un ordre contractuel ou conventionnel.

Toute une série de souplesses sont désormais possibles, pour peu que les partenaires sociaux arrivent à se repérer dans la multiplicité des modalités et des ambigüités textuelles. En effet, cette souplesse nouvelle ne peut valoir que si les aménagements sont décidés avec un ou des partenaires sociaux matures, organisés et libres.

En pratique, cette autonomie normative semble loin de s'affirmer. Le droit conventionnel a du mal à prendre son essor. La production conventionnelle de normes reste toujours limitée à Djibouti à quelques secteurs professionnels ou entreprises bien déterminées.

On continue à se référer toujours à des conventions datant de l'époque coloniale et contenant des avantages que la nouvelle législation n'a pas maintenus ou ne mentionne plus62. Les causes de ce blocage doivent être recherchées en dehors du droit lui-même. Il y'a d'abord un obstacle "culturel" difficile à franchir, à la démarche contractuelle. Celle-ci suppose la libre négociation, alors que les comportements de ceux qu'on veut aujourd'hui promouvoir comme acteurs sociaux, ont été faits jusque là, et demeurent, de soumission. Le passage de la loi au contrat demande une culture du contrat et de la responsabilité qui peine à exister encore63.

En outre, en dépit de la suppression légale des restrictions administratives à la liberté syndicale64, on n'a pas assisté à une renaissance du syndicalisme. Les obstacles sont ici politiques et leur levée dépendra étroitement de la démocratisation du système. Les syndicats, bâillonnés, par le pouvoir politique, sont restés, du moins jusqu'en 1992, de simples courroies de transmission entre ce pouvoir et la masse des travailleurs, et avaient pour principal rôle de canaliser les flux revendicatifs65. Depuis la grève générale de septembre 1995 et la grande vague de licenciements des dirigeants et militants syndicaux66, les rapports du pouvoir avec les syndicats indépendants demeurent difficiles, se traduisant notamment par des formes diverses et variées: arrestation de leaders syndicaux, clonage syndical, saccage des locaux

62 On pourrait citer, à titre exemple, la convention collective de l'industrie de pétrole du 12 juillet 1974 et celle des hôtels, restaurants et débits de boisson du 15 avril 1957 qui n'ont pas encore été renouvelées. Celles-ci font référence à des durées de préavis variables en fonction de l'ancienneté, à l'accroissement progressif de la durée du congé annuel avec la durée du service, à des conditions très strictes en matière de renouvellement des CDD etc.

63 On retrouve cette absence de culture du contrat dans la majeure partie des pays d'Afrique même si les causes différent d'un contexte à l'autre (Cf. not. Rubbers, B., Roy, A., Entre opposition et participation, les syndicats face aux réformes en Afrique, Revue du Tiers-monde, n° 224, 2015, pp. 9-24).

64 Cf. Said Wais, I, op. cit, p. 32.

65 Les syndicats ont donc été sacrifiés à cette obsédante construction de l'unité nationale, qui nécessitait, d'après ses théoriciens le primat du parti, et comme le disait Madeira Keita : «…si le parti est l'expression des aspirations réelles du peuple, s'il est le porte-parole, s'il est l'instrument pour la réalisation de l'Etat, il n'y a aucune raison que les organisations syndicales dont le programme constitue une partie du programme du parti politique ne se trouvent pas en harmonie avec la formation unique » (Cf. Keita, M., Le parti unique en Afrique noire, Présence africaine, 1960, pp. 267-273, réédité en 2012, 2012/1, n° 185-186, p. 180).

66 Cf. not. Ebo Houmed, A., Djibouti, tensions socio-politiques sur fond de succession, L'Afrique politique, 1997, p. 105.

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syndicaux etc67. Le secteur privé n'est pas épargné par cette politique liberticide. En effet, forts de la phobie antisyndicale du pouvoir politique, bon nombre d'employeurs n'hésitent pas à transgresser les libertés et droits syndicaux68.

Enfin, malgré la suppression officielle de l’obligation de respect du SMIG, les services compétents de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) continuent de refuser d’enregistrer toute déclaration de travail rémunérée en deçà d’un plancher égal au salaire minimum mis en place par la nouvelle convention collective des agents de l’Administration et des Etablissements Publics de décembre 2011. Une telle attitude traduit moins l’opposition à une fixation contractuelle intégrale des salaires que la crainte d’une aggravation de la précarité des travailleurs, source éventuelle d’explosions sociales69. La combinaison de tous ces éléments de fait, résultante de conceptions autoritaires et dirigistes des autorités djiboutiennes, ne peut que faire voler en éclats les espoirs de liberté suscités par le processus de contractualisation.

67 Cf. not. FIDH, Observatoire pour la protection des droits de l'homme, Djibouti, Les défenseurs des droits économiques et sociaux paient le prix fort, août 2006, p. 17.

68 Les propos de Mohamed Ali Ragueh datant de la fin des années 90 peuvent encore s'appliquer au contexte actuel: « les exigences du développement économique que l'élite a élevé au premier rang des priorités, font des syndicats professionnels (le cas de l'UDT), lorsqu'ils exercent leur fonction, des centrales suspectes, voire semeuses de troubles (…)» (Cf. Ali Ragueh, M., op. cit, p. 147). Cf aussi Brass, J.-N., Djibouti's ununsual ressource curse, Journal of Modern African Studies, Vol. 46, n° 46, 2008, p. 523.

69 L’exigence d’un tel plancher pourrait, en revanche, avoir deux effet pervers : la soustraction du champ d’application du droit du travail de gros contingents de travailleurs renvoyés de fait au secteur informel et la confortation du travail dissimulé.

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