Rites, cultes e t religions
S é p u ltu re s
n a t o u f ie n n e s
e t
d'autres
Fanny Bocquentin (UMR 5809 - Laboratoire d'Anthropologie
des populations du passé, Université Bordeaux 1)
François R. Valla (UMR ArScAn - Ethnologie préhistorique)
Le Natoufien est connu au Levant entre 13000 e t 9500 av, J.-C. environ. On le rencontre de la boucle de l'Euphrate au Néguev e t d e la M éditerranée au désert syro-jordanien. Il est considéré co m m e le m om ent des premières expériences sédentaires e t certains auteurs se d e m a n d e n t si l'on n'a pas p ro cé d é alors aux premières manipulations qui d e va ie n t conduire au contrôle des nourritures végétales e t carnées. Parmi les indices d e la sédentarité natoufienne, on m entionne la présence d'une architecture d e constructions semi- enterrées circulaires ou ovalaires groupées en petits « villages », auxquelles sont associées dans le Carmel, la Galilée e t le bassin du Jourdain un grand nom bre d e sépultures (N > 350) qui font la m atière du présent exposé, Avant d e présenter les tom bes e t leur contenu, disons quelques mots de leur distribution dans les gisements et de leur relation avec l'architecture.
En dehors de leur fréquence, les sépultures natoufiennes se distinguent par leur diversité : chaque site offre des pratiques variées e t un peu différentes de celles des autres gisements. De plus, lorsqu'on dispose de stratigraphies longues on constate que les pratiques funéraires ch a n g e n t a v e c le temps sans atteindre l'uniformité.
+ 12 + 11 + 10 + 9 + 8 + ? + 6 + 5 + 4 + 3 +
H104
L E G E N D E :
Abri 73 : murs circulaires ou semi-circulaires
i46| : structures annexes (75 ï : fosses
| | : A b ri 131 et ses structures annexes
H20 : squelettes
Fig. 1. Plan d 'u n s e c te u r d u site d e M a lla h a a u N a to u fie n a n c ie n o ù débris e t sépultures s'interstratifient
Fanny Bocquentin e t François R. Valla
À M allaha, site d e plein air, les tom bes les plus anciennes sont le plus souvent individuelles. Leur relation à l'architecture est difficile à établir parce que l'origine des fosses ne se laisse quasi jamais observer. Elles sont creusées dans les dépôts antérieurs et on observe qu'elles sont groupées à l'em p lacem ent de murs e t de sols qui les recouvrent (Fig. 1). C ette situation ne peut p o u rta n t pas être généralisée. Ainsi, dans la grotte d'Hayonim, les morts de la période ancienne sont plutôt repoussés à la périphérie des constructions, regroupés dans des sépultures collectives ou dans des unités sépulcrales (fosses individuelles creusées successivement dans les limites d'un espace com m un à toutes). Les pratiques se m odifient au Natoufien récent. M allaha connaît alors des sépultures en fosse qui contiennent plusieurs individus. Certaines d e ces fosses pourraient avoir é té rassemblées dans un espace non construit. D'autres o n t é té creusées dans les remplissages de constructions abandonnées. Dans la grotte d'Hayonim l'activité architecturale est minimale à c e tte é p o q u e et les sépultures interviennent au-dessus des structures plus anciennes ou dans leur remplissage. Le Natoufien s'achève sur un co u rt épisode final connu surtout à Mallaha. Les pratiques funéraires sont à nouveau infléchies. Les morts sont presque toujours inhumés seuls. Leur rapport a v e c les constructions est très variable mais, semble- t-il, jamais nul c e qui s'exprime dans des stratigraphies com pliquées où sols e t tom bes se recoupent. Peut-être le lien le plus lâche est-il l'enterrem ent sur le site une fois celui-ci a b a n d o n n é com m e habitat. Il ressort d e ces brèves remarques qu'un lien fort unit sépultures et h a b ita t dans la région souvent considérée com m e le centre du d é ve lo p p e m e n t du Natoufien, mais c e lien a d m e t une grande variété d e formes qui doivent être à c h a q u e fois étudiées pour elles-mêmes.
Fig. 2. Structures 215 (m ur e xte rn e ) e t 228 (a p p a re illa g e in te rn e ) e t restes hum ains q u i o n t
é té trouvés à l'in té rie u r d e c e tte d e rnière structure (sur c e tte p h o to g ra p h ie son t visibles,
d e g a u c h e à dro ite, u n e m a n d ib u le , un fra g m e n t d 'o c c ip ita l e t c a lc a n é u s )
P h o to g ra p h ie F. Valla
D'autre part, les restes humains trouvés hors co ntexte sépulcral sur les sols d 'h a b ita t en place, par exemple, ne sont pas exceptionnels. Le plus souvent on p e u t suspecter qu'il s'agit d'ossements issus d e sépultures sous-jacentes arasées ou perturbées par l'am é nagem ent d'une nouvelle structure ou le nivellem ent d'un niveau d 'o ccu p a tio n . Dans certains cas, pourtant, le c a ra c tè re délibéré du d é p ô t ne fait aucun doute. On citera, par exemple, la d em i-calotte crânienne d é co u ve rte sur un des sols les plus anciens du site de M allaha (Valla, 1988) ainsi que les os écrasés entre les pierres d e fondatio n d'un grand foyer du Natoufien final du m êm e site (Valla e t al. 2002) (Fig. 2),
La répartition géograp hique non aléatoire des sépultures sur le territoire natoufien et sur les sites eux- mêmes nous informe d'e m blée du caractère partiel d e notre compréhension des pratiques funéraires, plus encore dans c e contexte culturel qu'ailleurs. L'éclectisme, maintes fois souligné (Fiedel 1979 ; Perrot & Ladiray 1988 ; Bar-Yosef & Belfer-Cohen 1992), qui caractérise le traitem ent du ca d a vre dans la région Carmel- Galilée, renforce le sentiment d e n'avoir accès qu'à une part infime d e la m ultiplicité des gestes mortuaires qui a pu exister. De c e qui a pu être observé jusqu'à présent se d é g a g e toutefois une tram e où l'on reconnaît des pratiques partagées par plusieurs groupes e t d'autres qui apparaissent spécifiques à un site.
Rites, cultes e t religions
Le recrutem ent funéraire, bien que variable d'une co m m unauté à l'autre, est partout sélectif. Les échantillons de population disponibles ne sont pas, en effet, représentatifs d'une population naturelle dans sa com position par âg e e t par sexe (Belfer-Cohen e t al. 1991 ; Bocquentin e t al. 2001). Les individus concernés par ces exclusions sont essentiellement les femmes e t les jeunes enfants. Durant la période ancienne, la grotte d'Hayonim apparaît co m m e un espace sépulcral spécialisé où une majorité d'hommes jeunes ou encore adolescents ont été inhumés. Les femmes fo n t l'objet d'une sélection sévère et, au-delà d e 30 ans, aucune d'elle ne serait présente (Bocquentin, en préparation). Ailleurs, le c a ra c tè re le plus distinctif du recrutem ent est l'exclusion, partielle ou totale, des enfants d e moins d e 1 an ou d e 5 ans. Un recrutem ent spécialisé peut é g a le m e n t être mis en é v id e n c e à l'éch elle des ensembles sépulcraux. Les ensembles collectifs num ériquement les plus importants co n ce rn e n t une m ajorité d'enfants ; d'autres ensembles plus petits sont réservés aux adultes. Par ailleurs, le d é p ô t simultané d'un hom m e e t d'une fem m e dans la m êm e sépulture a p paraît exceptionnel. Le plus souvent, les associations co n ce rn e n t des adultes du m êm e sexe ou bien des enfants avec des adultes (Bocquentin, en préparation).
L'inhumation primaire simple est le traitem ent le plus courant des cadavres à l'époque natoufienne. Toutefois, 23 % des défunts bénéficient d e funérailles en plusieurs temps, identifiées g râ ce à la découve rte de sépultures primaires a y a n t fa it l'objet d e prélèvements (3 %), ou bien d e sépultures secondaires (20 %). Il n'y a, sur un m êm e site, a u cu n e com plém enta rité entre les os prélevés e t les os inhumés, ni dans la composition ostéologique des, ni dans leur fréquence, ni dans la fraction d e population concernée. Plusieurs indices suggèrent que les prélèvem ents ne sont pas fortuits mais program m és dès le d é p ô t primaire du cadavre. C'est dans la grotte d'Hayonim qu e les dépôts secondaires
sont les plus fréquents, n o tam m ent à la période récente d e l'occu pation du site. Dans c e contexte, le d é p ô t d'os est systém atiquem ent associé à une inhumation primaire : le c a d a v re est déposé dans le fond de la fosse qui p e u t être surcreusé en gouttière, e t les os disloqués viennent le recouvrir. Les nombreux restes humains brûlés d e Kébara — à l'état sec pour la p lu p a rt — posent la question d e l'existence de crémations dès le Natoufien, C ependant, les os ont été soumis à une tem pérature peu élevée e t leur com bustion est incom plète e t hétérogène, de sorte q u e le c a ra c tè re d é lib é ré d e c e tte pra tiq u e d e m a n d e à être confirm é par la d é co u ve rte de cas similaires.
Malgré leur diversité, les positions d'inhum ation ne sont pas aléatoires, mais fo n t l'objet du plus grand soin. L'orientation des cadavres varie sensiblement d'un site à l'autre. En cas d'inhum ation en grotte ou à proximité d'une grotte, l'axe d e la ca vité apparaît com m e une orientation préférentielle. La position la plus fréquente est l'inhumation sur le c ô té (48 % des cas), droit ou g a u ch e sans préférence. L'inhumation sur le dos est aussi relativem ent fréquente (38 %) ; les positions assise ou ventrale sont plus exceptionnelles
(14 % des cas). La flexion des membres revêt des Fig. 3. H104 in h u m é a v e c un c h io t (Perrot & Ladiray, 1988) degrés divers. A ucune règle n'apparaît clairement.
Seule l'extension des membres inférieurs fa it l'objet d e certaines, puisqu'on ne trouve c e cas de figure que dans les contextes d'inhumations en grotte d e la période ancienne, en décubitus dorsal, les membres supérieurs en extension ou semi-flexion. A ucune liaison à l'âge, au sexe, à la période, n'a pu être observée parmi les positions d'inhumation. Un traitem ent pré-sépulcral est évident dans certains cas d e contraction extrême des corps (25 % des cas) : l'étude ta p h o n o m iq u e des sépultures confirm e qu e les cadavres o n t pu être enveloppés entièrem ent dans des sacs ou bien qu'une partie du corps sim plem ent a été m aintenue au moyen de liens.
Au Natoufien ancien, il pe u t arriver que le m ort soit inhumé a v e c de la parure (18 % des sépultures primaires les mieux connues d e c e tte période), Par la suite, c e tte pratique disparaît. La parure est com posée de pendeloques en os, d e coquillages (le test d e d e ntale d om inant largem ent les assemblages) et, plus rarement, de canines d e renard. La parure en contexte funéraire a p p a ra ît moins diversifiée que celle trouvée en contexte domestique, c e qui suggère que l'assemblage est proprem ent funéraire. La signification d e ce tte parure a été longuem ent d é b a ttu e (Belfer-Cohen 1995 ; Byrd & M onahan, 1995). Il a p paraît que les hommes jeunes e t les adolescents sont les sujets le plus fréquem m ent associés à la parure (Bocquentin, en préparation) soulignant, sans doute, le rôle social e t identitaire de celle-ci. Toutefois, il n'est pas certain que la parure ait eu le m êm e rôle d'un site à l'autre : sa fréquence, sa com plexité et son contexte, du moins, sont peu com parables.
Fanny Bocquentin et François R. Vaila
À El Wad, elle nous semble en relation a v e c un événem ent exceptionnel, d a v a n ta g e q u 'a ve c un individu en particulier. À Mallaha, la parure est sobre ; on ne pe u t exclure, dans c e cas, qu'elle ait été portée quotidiennem ent. Des dépôts funéraires ont pu exister aussi au Natoufien a n cie n e t o n t perduré jusqu'à la p ériode récente ; au Natoufien final, en revanche, aucun n'est encore clairem ent attesté. La reconnaissance d e dépôts d e c e type se heurte à l'ancienneté des fouilles e t à la nature des couches, très riches en matériel, dans lesquelles ont é té creusées les sépultures. Le matériel d e broyage e t les anim aux — représentés sym boliquem ent par un reste ou bien déposés entiers dans la to m b e — constituent la m ajorité des dépôts répertoriés. L'association d'un jeune chiot a v e c le ca d a vre d'une fem m e â g é e a p p a ra ît com m e l'une des plus rem arquables du Natoufien (Fig. 3).
Par tous les aspects du rituel funéraire natoufien auxquels on a encore, e t par l'organisation de l'espace sépulcral que l'on observe, le traitem ent du ca d a vre a p paraît répondre à des préoccupations multiples qui dépassent la simple gestion sociale du corps défunt. Il semble que l'on puisse déceler, ainsi, dans le m ode d e répartition des sépultures, le té m o ig n a g e d'un a tta ch e m e n t fort au territoire. L'alternance de la zone habitée a v e c la zone sépulcrale, à toutes les étapes de l'occu pation du site, donne le sentiment que l'appropriation du lieu est, de c e tte façon, sans cesse renouvelée. La sépulture e t c e qu'elle c o n tie n t sont aussi, sans doute, l'occasion d e réaffirmer l'identité propre du groupe et les liens qui l'unissent aux com m unautés voisines, D'autre part, le traitem ent mortuaire différencié en fonction d e critères liés à l'âge ou au sexe reflète, sans doute, des statuts sociaux bien définis. Les associations d'individus en sépultures collectives e t le groupem e nt de tom bes dans un secteur délim ité p la id e n t en faveur d'une cohésion sociale forte, du moins à la période récente de l'o ccu p a tio n du site de Mallaha.
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