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PORTUGAL ET ANGOLA. ORSQUE le Portugais Galvao s'empara de la Santa Maria LA KEVOE N* 14 1

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PORTUGAL ET ANGOLA

ORSQUE le Portugais Galvao s'empara de la Santa Maria en pleine mer des Caraïbes, avec une équipe d'ailleurs

* •* essentiellement espagnole, les yeux du monde se tournèrent vers l'Angola. On prévoyait, sur la foi de vagues rumeurs, que Galvao tenterait de donner coprs à son acte insurrectionnel, en débarquant dans cette province portugaise d'outre-mer, à Benguela ou à Luanda, où il estimait, non sans raison, que régnait un esprit d'opposition au président Salazar. Mais l'Angola n'était pas mûr et Galvao n'était pas le maître de son bateau. Enfin il y avait eu, pendant la prise de la Santa Maria, un mort et des blessés, le premier mort et les premiers blessés d'une guerre civile dont les Portugais ont la crainte et l'horreur. L'acte insurrectionnel n'eut pour effet que de recimenter une unanimité, un moment entamée, autour du gouvernement.

Quand, quinze jours plus tard, après une escale à Madère, la Santa Maria libérée, toucha Lisbonne, plus de cent mille Por- tugais l'accueillirent et l'acclamèrent sur les rives du Tage et le président Salazar faillit être étouffé par l'enthousiasme de la foule lorsqu'il traversa les quais pour monter à bord du paquebot.

Ainsi ce gouvernement dont la presse occidentale, avec un entê- tement suspect, ne cesse d'annoncer la faillite et la fin, démontrait- il d'une façon claire et sans équivoque, que ses assises populaires demeuraient profondes.

Les réactions de l'Angola auraient-elles été les mêmes ? C'est la question qu'on pouvait se poser avant les derniers événements.

L a tradition veut que, depuis la fin du x v ie siècle, cette province ait toujours été la terre des têtes brûlées, des aventuriers et même des exilés politiques. Une sourde opposition à la métropole s'y est

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manifestée, principalement depuis la fin de la deuxième guerre mondiale quand ce pays a commencé de connaître un soudain essor qui a fait passer sa population d'origine européenne de 50.000 à 200.000. On a parlé d'un nouveau Brésil qui, à l'exemple du premier, finirait par se détacher du Portugal pour voguer vers son propre destin. Des hommes d'affaires ont même envisagé un moment de tenter de lier leur sort à celui de l'Afrique du Sud, du Sud-Ouest Africain et de la Rhodésie pour former une vaste fédération à laquelle se serait jointe la province de Mozambique. Mais ce rêve est trop contraire à la nature du Portugais que des liens affectifs gardent attaché à son pays d'origine et qui réprouve la dure politique à"'apartheid de ces états séparatistes. En débarquant dans un des ports de l'Angola, Galvao n'aurait certainement pas rencontré l'accueil qu'il attendait, et ses espoirs de créer une dissidence auraient été ruinés dès les premiers jours bien que Lisbonne n'ait entretenu, jusqu'à ces derniers temps, que de très faibles forces de police en Afrique et la valeur d'à peine un régiment pour un territoire grand comme quatorze fois la métropole.

La tentative de Galvao était condamnée d'avance et il est probable qu'il le sut, ce qui en expliquerait la fin assez absurde.

Les journalistes de tous les pays qui passèrent dix jours à l'attendre à Luanda en furent pour leurs frais. Lassés, ils repartirent : Galvao triomphait en sécurité au Brésil et l'Angola n'avait pas bougé.

Un peu plus de patience aurait récompensé ces chasseurs de sen- sations. Quarante-huit heures après leur départ, trois cents Noirs des faubourgs de Luanda, armés de catanes, ces longues serpes coupant comme des rasoirs la canne à sucre, drogués au chanvre et à l'alcool, attaquaient la prison de la ville. La police avait eu vent de la chose et la garde était prête. Des projecteurs furent braqués sur les assaillants. Près de cent d'entre eux tombèrent.

Les autres s'enfuirent dans les rues de Luanda coupant au hasard quelques têtes de policiers noirs et de passants blancs. Sept en tout.

Le signal était donné, mais pas par Galvao. Son coup avait fait long feu. Néanmoins, le prestige du Portugal s'en était trouvé atteint. Les Etats-Unis avaient ouvertement pris parti pour l'insurgé et la presse occidentale s'était gorgée de son exploit.

L'autorité du président Salazar avait été publiquement bafouée et, même si elle sortait renforcée de cette épreuve, une brèche restait ouverte. Par cette brèche, la U. P. A. (Union des Peuples Angolais) tentait de pénétrer en force le soir de l'attaque de la

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P O R T U G A L E T ANGOLA 195 prison de Luanda. L'acte insurrectionnel de Galvao n'intéressait que les Portugais d'origine européenne. C'était une affaire entre Blancs qui se disputent le pouvoir, et une dernière chance pour Delgado, le général exilé volontaire au Brésil, de se remettre en scène. Tandis que l'acte insurrectionnel de la U. P. A. était la première étincelle du nouvel incendie que la subversion allumait en Afrique.

A l'attaque de la prison de Luanda, succéda le 15 mars une violente flambée terroriste dans le Nord de l'Angola. Toute la région du Congo portugais qui a une frontière commune avec le Congo ex-belge se soulevait avec une soudaineté qui foudroya les Européens. Le premier jour, plus de cinq cents Blancs et mulâtres furent massacrés dans leurs fermes et dans les postes où ils tenaient des commerces. Une sauvagerie inouïe marqua ce massacre. Les Noirs s'attaquèrent d'abord aux femmes et aux enfants selon des consignes très précises. Dans les journées qui suivirent, la liste s'allongea et c'est vraisemblablement plus de mille victimes civiles qu'il faut compter maintenant, exécutées dans des conditions si atroces qu'il est pratiquement impossible de les dire.

* * *

Frappés de stupeur, les Portugais mirent quelques semaines à comprendre qu'il ne s'agissait pas d'accidents sporadiques, mais d'un plan concerté qui les vouait à l'extermination, qu'ils fussent de gros ou de petits fermiers, des amis des Noirs, ou des employeurs sans foi ni loi. On avait frappé pour semer la terreur, et pour pro- voquer une réaction telle que désormais les deux communautés se haïraient pour toujours. Le fait est que la réaction fut sans pitié. Bien que d'un naturel doux et tranquille, le Portugais n'est pas un enfant de choeur. Son tempérament le porte à des colères brèves mais sanglantes. La milice qui s'organisa spontanément après les événements du 15 mars, engagea le combat avec des moyens de défense rudimentaires mais efficaces. Pendant un mois, le Congo portugais fut voué à des attaques terroristes et à des répliques anarchistes qui l'ensanglantèrent. Des hordes noires se jetèrent à l'assaut des postes administratifs défendus par une poignée de blancs, de mulâtres et de policiers indigènes. Ces assauts ne furent pas tous repoussés malgré des pertes insensées du côté

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de la rébellion. Il fallut évacuer des villages, des bourgades, toutes les fermes.

L'arrivée des premiers contingents de la métropole renversa la situation. La rébellion, à son tour, fit le vide. Plus de cent mille hommes, femmes et enfants prirent le maquis, c'est-à-dire la forêt.

Et pas n'importe quelle forêt, la forêt tropicale, drue, étouffante, pourrie, malsaine, dangereuse à chaque pas, mais impénétrable.

L'armée venue de la métropole se trouva devant un tto maris land incroyable : un district entier de l'Angola était devenu un désert semé de quelques points de résistance où des miliciens blancs enfin armés convenablement montaient la garde et vivaient dans la hantise de l'attaque. Les routes étaient encore inondées des dernières pluies de l'été austral. Quand le 15 mai, le plafond bas des nuages annonça la saison sèche, le cacimbo, et qu'on put s'élan- cer sur les pistes, ce fut pour constater qu'elles avaient été sabotées avec une patience et une technique que l'on n'aurait jamais soup- çonnées chez les insurgés du 15 mars qui, le corps peinturluré, brandissant des catanes et des sagaies, s'étaient jetés sur les fermes et les postes administratifs.

Sur la portée de la première réaction portugaise, la presse occi- dentale a pieusement recueilli les informations de la presse marxiste.

On a parlé de trente mille morts chez les insurgés, d'un véritable génocide. Evaluations parfaitement incontrôlables et purement fantaisistes. Rien ne permet de les justifier, et si, après l'attaque d'un seul poste comme celui de Mucaba, on a pu dénombrer près de cinq à six cents morts rebelles sur le terrain, ce chiffre n'est pas à porter au compte des autorités portugaises, mais de celui des dirigeants de l'insurrection qui ont poussé leurs troupes à la mort la plus inutile.

En fait, l'administration civile a dû se replier dans la capitale du district, à Carmona, et le pays est abandonné aux deux forces qui s'évitent et se frappent à l'aveuglette : l'armée et la rébellion.

Le Congo portugais leur est livré. Les cadavres disparaissent et nul ne les retrouve. Les Noirs ne font pas de prisonniers et l'armée n'a guère le temps ni les moyens d'en accumuler dans des camps.

Quant aux conditions de la lutte, elles ont pris dès le début une tournure telle qu'il est difficile de faire marche arrière. La U. P. A.

s'est acquise la complicité des sorciers et les sorciers ont convaincu les insurgés que les morts ressusciteraient le jour de la victoire si leurs corps n'étaient pas mutilés. En revanche, les Européens ne

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PORTUGAL ET ANGOLA 197 ressusciteront pas si on les découpe en morceaux. Tous les Blancs massacrés dans les premiers jours furent à peu près impossibles à reconnaître. En face de ces méthodes, les lois de la guerre perdent de leur logique, la peur tue la peur, la dignité humaine ne vaut plus cher.

* *

En trois mois, cependant, la guérilla a changé de visage : les armes volées aux Blancs ont renforcé l'armée des catanes et à la frontière des deux Congo s'est développé un vaste trafic avec l'armée de Kasavubu. On a échangé des mitraillettes et des treillis contre de l'alcool. Enfin, des instructeurs ont passé la frontière et les embuscades, comme les attaques, ont perdu leur caractère anar- chique. Les contacts sont moins fréquents mais plus meurtriers pour les forces de l'ordre qui tentent de rétablir les voies de com- munication et de les protéger, ne serait-ce que pour le libre accès à leur soutien logistique, l'aviation ne pouvant suppléer à tout.

Il a suffi de deux mois pour que le district du Congo s'installe dans la guerre. Les villes et les postes sont devenus de petites forte- resses toujours sur le qui-vive d'où l'armée lance des patrouilles, porte secours aux points faibles et prépare ses offensives pour reprendre les villes et les bourgades perdues.

Mais on ne saurait oublier qu'il s'agit d'un territoire de près de 200.000 km2, montagneux, couvert de forêts où chaque jour de l'année la nuit de douze heures tombe sans pitié, et que d'autre part les forces régulières ne se montent pas à plus de six ou sept mille hommes venus de la métropole, non encore habitués au cli- mat de l'Afrique et pour qui la guérilla est une inconnue. Le miracle qu'on attendait de ces troupes fraîches n'est pas encore arrivé.

Peut-on l'escompter ? C'est là toute la question que se pose le Portugal. Engagé dans une longue guerre d'usure, il lui faudra de l'argent et des hommes, encore de l'argent et des hommes, toujours de l'argent et des hommes.

La rébellion le sait, et, au contraire du Portugal, elle a le temps, elle commence d'avoir les moyens, son réservoir d'hommes est inépuisable et elle a, pour elle, le Conseil de Sécurité de l'O. N. U.

qui par trois voix contre deux abstentions (la Grande-Bretagne et la France) a demandé une enquête en Angola. La surprise doulou- reuse a été, pour les Portugais, le vote par deux fois hostile des

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Etats-Unis. De violentes manifestations contre l'Ambassade amé- ricaine à Lisbonne et contre le Consul Général à Luanda, ont sym- bolisé la colère d'un pays entier contre une nation amie qui l'aban- donnait au moment le plus difficile de son histoire. Car il n'en faut guère douter — le Portugal traverse une crise intérieure et exté- rieure qui met en péril une œuvre de plus de trente ans. L'Angola peut être la pierre d'achoppement du président Salazar, comme sa confirmation.

Jusqu'au début de cette année, le Portugal avait ignoré les problèmes coloniaux. Son empire d'outre-mer restait intact après la démonstration de fidélité de Goa, dernier comptoir européen aux Indes, menacé par Nehru, sauvé par la ferme décision de ses habitants. En Extrême-Orient Timor et Macao sont restés posses- sions portugaises alors que la France, la Hollande et la Grande- Bretagne ont dû tout abandonner, exception faite pour Hong-Kong toléré par la Chine de Mao-Tsé-Toung qui entend garder une porte ouverte pour ses trafics avec l'Occident. En Afrique, Cap Vert, Sao Tomé, La Guinée, l'Angola et le Mozambique demeuraient portugais. Cette situation insolente quand on la compare aux effondrements de la France et de la Grande-Bretagne en Afrique dans un monde en évolution rapide, ne peut s'expliquer que par la fidélité du Portugal à une politique humaine et sociale définie voilà déjà des siècles par Henri le Navigateur, entrée dans les mœurs et comprise du plus grand nombre. L'expansion portugaise s'est, de tout temps, placée sous le signe de l'égalité du genre humain, pensée éminemment catholique qui a inspiré aussi bien les missionnaires que les conquérants. Le Portugal apportait une culture et une structure politique là où il n'y en avait pas ou guère.

Mais cette culture et cette structure n'éliminaient en aucune façon les particularités ethniques, respectaient les originalités de chacun et cherchaient plus à convaincre qu'à imposer, à charge pour le colonisé de répondre quand on lui demandait sa nationalité : « Je suis Portugais ». Ainsi les colonies d'Afrique et d'Extrême-Orient, étaient-elles des provinces où le racisme perdait sa raison d'être.

On dira que c'est une façon d'escamoter le problème, et que les escamotages n'ont qu'un temps, mais quand ce temps compte quatre ou cinq siècles, force est de s'étonner qu'il soit brutalement remis en cause du jour au lendemain, en plein x xe siècle.

Cette remise en cause, le Portugal ne l'a pas vue venir. Bonne foi et aveuglement l'en ont empêché. Depuis Yalta, l'Occident a

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PORTUGAL ET ANGOLA 199 perdu pied et Lisbonne qui n'avait pas participé à la dernière guerre mondiale (si ce n'est en cédant à l'ultimatum américain sur les Açores) pouvait difficilement croire que l'alliance russo- américaine et la victoire sur l'Allemagne auraient pour consé- quence le démantèlement de l'Occident en perte de prestige, le réveil de nationalismes éteints depuis des siècles et ressuscites arti- ficiellement par la subversion marxiste. Dans les limites de ses frontières, le Portugal avait mené une existence sage, trop sage au gré de certains. L'Etat équilibrait ses budgets à un écu près, luttait contre l'analphabétisme, promouvait lentement les masses ouvrières et paysannes, créait son infrastructure, consolidait sa monnaie et plantait des arbres dont il faudrait des générations pour goûter l'ombre. Pour ce pays au sol ingrat et à l'industrie encore timide, les provinces d'outre-mer faisaient fonction de pou- mons. Sans ces poumons, il risque l'asphyxie. L'Angola est l'un d'eux. En désorganisant l'économie angolaise, le plan communiste tourne une difficulté qu'il n'avait pu résoudre au Portugal même.

* * *

Sur l'origine, la direction et les ambitions de la rébellion dans le district du Congo le voile est tombé depuis peu. Deux partis ont révélé leurs intentions à Konakry et à Léopoldville, le Mouvement pour la Libération de VAngola, M. P. L. A. et Y Union des Peuples Angolais, U. P. A. En apparence, il ne s'agit que de mouvements nationalistes dont le but est de proclamer l'indépendance de l'Angola pour en faire un état souverain comme les autres nou- veaux états d'Afrique. En fait, il s'agit de mouvements purement marxistes dont les dirigeants, Lucio Lara pour le M. P. L. A.

protégé par Sekou Touré, Robert Holden, Annibal Mello et Pinto de Andrade pour la U. P. A. protégés par Kasavubu, sont des agents communistes instruits et formés dans les écoles de cadres de Prague, Moscou et Pékin. Comment ces agents ont pu ouvrir un bureau à New-York malgré les renseignements que ne doivent pas manquer d'avoir sur eux la Central Intelligence Agency de M. Allen Dulles, reste un mystère pour les Portugais. Comme reste un mystère l'attitude hostile de presque toute la presse américaine qui ne publie que les informations en provenance de la rébellion et des photos truquées. Le Portugal découvre ainsi

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avec une certaine naïveté et beaucoup de retard, que la solidarité atlantique est un leurre dans un monde où deux démagogies adverses s'affrontent et vivent de surenchère.

Gela dit, on ne saurait laver le Portugal de tout péché. L'accrois- sement soudain de la population européenne en Angola depuis 1945 atteste assez que cette province n'a commencé de retenir vraiment l'attention des Portugais qu'à une date récente quand la culture du café a pris une extension foudroyante dans le district même du Congo qui est, aujourd'hui, à feu et à sang. Maintenant encore, l'Angola est un pays sous-colonisé et sous-peuplé avec 4 millions de Noirs et 200.000 Portugais d'origine européenne.

D'immenses espaces restent abandonnés que l'on pourrait sinon industrialiser, du moins cultiver pour élever le niveau de vie de la population indigène. Des richesses souterraines, manganèse, pétrole, uranium, fer, n'ont encore donné lieu qu'à une relativement faible exploitation. En fait, tout s'est passé comme si le café avait fasciné les capitaux portugais. 1960 a vu la production s'élever à plus de 150.000 tonnes représentant les deux tiers du revenu angolais absorbé en grande partie par les Etats-Unis. Il y a eu ruée sur le café comme il y eut ruée sur l'or au Klondyke. De grandes fazendas exploitent des étendues de 5 à 6.000 hectares, bien que la moitié de la production reste le tribut de petits propriétaires noirs ou blancs.

La Junte du café qui centralise la récolte, établit les cours et dirige l'exportation a-t-elle toujours respecté ces petits proprié- taires ? La question se pose. Une classe moyenne bourgeoise noire se créait dans le district du Congo. Il est certain qu'elle eut à lutter contre les grandes entreprises dévorantes et qu'elle n'a pas toujours gagné. Il est certain aussi que les conditions de la main-d'œuvre respectent approximativement les lois internationales du travail.

Il est certain enfin que c'est Luanda qui a profité de la fortune du Congo Portugais. L'extension de la capitale a été fabuleuse. En quinze ans, la vieille ville coloniale posée au bord de sa très belle baie, a perdu son style. A sa place, s'est installée une ville ultra- moderne de gratte-ciel, de grandes avenues, d'usines montées avec les dernières techniques. Une folie de spéculation s'est emparée des industriels et des hommes d'affaires luandais. Mais cet accrois- sement de richesse est resté fictif. On est venu en Angola pour y faire fortune non pour y rester et la majorité de l'émigration por- tugaise se dirige toujours vers le Brésil, les Etats-Unis, et la France.

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PORTUGAL E T ANGOLA 201 Tandis que le café devenait l'un des grands atouts de la richesse du Portugal, l'Angola négligeait son infrastructure et continuait d'utiliser sa main-d'œuvre comme par le passé. Le pays manquait de routes, de ponts, d'aérodromes, de ports, d'écoles. On construi- sait des bureaux et des villas, mais pas de cités ouvrières pour le nouveau prolétariat qui se formait. Dans ces dernières années, le déséquilibre s'est aggravé. Peu s'en sont inquiétés. Le Portugais a longtemps vécu avec l'idée que son absence de racisme, son catholicisme, sa faculté d'adaptation aux mœurs et aux climats tropicaux, résolvait toutes les questions. C'était ne pas compter sur les exemples voisins, sur l'insurrection du Congo Belge et les ambitions des nouveaux chefs de la Guinée, du Mali, du Nigeria, du Ghana.

Dans une brochure que j'ai sous la main, je trouve cependant ces préoccupations. Elle est l'œuvre d'un industriel portugais qui a de grands intérêts en Angola et que l'évolution politique, sociale et démographique de l'Afrique a depuis longtemps alerté. En une vingtaine de pages, Manuel Vinhas a rassemblé le fruit de ses observations et de ses prévisions. A travers l'optimisme qui est de rigueur dans le patriotisme portugais, on y trouve cette idée dominante : « En toute vérité, je crois que nous avons été selon les époques et les circonstances presque parfaits, que nous avons établi la justice, la discipline et la bonté dans les rapports humains.

Ce qui était suffisant ne l'est déjà plus. Notre manière d'être, notre tropicalisme lusitanien, que nous n'avons appris ni sur les bancs des écoles, ni sur ceux des universités, mais qui était et est au fond des cœurs de nos soldats, de nos missionnaires, de nos paysans, de nos commerçants et même de nos exilés, a réalisé l'extraordinaire miracle que représente notre présence en Afrique et la possibilité de la perpétuer.

« Seulement, pour la perpétuer, on ne pourra plus se contenter des qualités et des défauts, si souvent transformés en vertus, florissant naturellement chez un peuple de sang mêlé et dont le plus humble des représentants métropolitains illettrés et va-nu-pieds porte avec insouciance la certitude intime, impressionnante, de pouvoir se réaliser en tant qu'homme et en tant que Nation, en quelque coin du monde.

« Non, les bateaux ne se construisent plus avec les pins de Lei- ria. On peut aller de Lisbonne à Luanda en quelques heures. La presse et la radio pénètrent partout, véhiculant les idées, bonnes

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et mauvaises. Le goût de la nouveauté et l'ambition des biens matériels réveillent les consciences. Non, on ne peut plus ignorer une prodigieuse et rapide évolution, malheureusement pas tou- jours bien orientée, on ne peut plus attendre les yeux fermés que les résultats positifs du passé se prolongent éternellement. Atti- tude facile, mais paresseuse, fausse et inutile. Les maladies et surtout les méthodes d'infection sont nouvelles. Elles se traitent avec des remèdes adéquats qui se doivent d'être nouveaux, sans pour autant oublier la grande leçon de la médecine de tous les temps.

« On a ignoré ou refusé de prendre conscience de l'évolution sociologique des peuples de l'Angola, surtout en ne tenant aucun compte de l'amélioration de leur niveau de vie. » (1)

* * *

Les voix qui parlent ainsi ne se perdent plus dans le désert.

L'armée portugaise, dont beaucoup d'officiers ont compris le caractère de la guerre qu'on faisait au Portugal (un petit groupe très écouté aujourd'hui est passé par l'école d'Arzew en Algérie et bénéficie des expériences de l'armée française), cette armée entend utiliser des méthodes qui ne sont pas seulement répressives.

Trop peu nombreuse, mal équipée, pauvre, il lui faudra se faire comprendre de la métropole et maintenir un juste équilibre entre un prolétariat qui aspire à une promotion et des Européens qui ont soif de certitudes matérielles. Son combat n'est pas gagné.

Pour l'avoir observée pendant deux semaines, pour avoir suivi avec angoisse ses opérations, je peux entretenir un certain espoir.

Il n'en faut pas beaucoup plus à un peuple déterminé qui lutte le dos au mur, seul, abandonné de ses alliés pour conserver en Afrique une civilisation blanche. Des changements radicaux sont déjà intervenus, et ce que l'armée française avait en vain tenté d'imposer pour garder l'Algérie à la métropole, l'armée portugaise l'a obtenu pour l'Angola : les pouvoirs civils et militaires sont réu- nis dans une seule main, celle du Général Deslandes au nom d'ori- gine française, un général d'aviation, un des hommes forts du Portugal. La jeunesse aussi l'a emporté au gouvernement. Des hommes qui venaient de l'opposition catholique ont renforcé l'auto-

(1) Aspectos Actuáis de Angola Lisbonne, 1961.

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PORTUGAL ET ANGOLA 203 rite du Président Salazar. Le professeur Adriano Moreira, ministre d'Outre-Mer, est l'un d'eux. Je ne citerai que ces mots de son dernier discours : « Nous avons vu quelques-uns des grands hommes de notre temps couverts de fleurs par des adversaires qui se répan- daient en louanges sur leur profonde sagesse d'hommes d'Etat.

Et nous avons pu constater également que le résultat de ces triomphes consistait exactement à abandonner, et très souvent à trahir les intérêts que ces hommes avaient reçu la mission de défendre, sans retirer de cet abandon la moindre compensation utile ! Mais ils nous ont permis tout au moins de tirer une leçon de cette expérience à savoir que le risque de combattre n'est pas plus grave, dans la pire des hypothèses, que le risque de transiger.

Si l'expérience des autres peut profiter à quelques-uns, nous n'avons pas d'autres conclusions à tirer de l'histoire la plus récente du conflit de notre époque. »

Tout pronostic serait ridicule. Le Portugal lutte en Angola autant contre ses erreurs passées que contre, un ennemi qui sait ameuter l'opinion internationale et trouve son principal soutien dans la politique du nouveau président des Etats-Unis. Mais si le Portugal succombe en Angola, il perdra une à une toutes ses autres possessions, et se retrouvera petit pays d'une petite Europe.

Qu'il réussisse à rétablir la paix, à surmonter ses erreurs humaines et sociales et il aura donné à de plus grands que lui une leçon qui pourrait changer bien des choses au « sens de l'Histoire. »

M I C H E L DÉON.

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