• Aucun résultat trouvé

Syndicalisme aux marges du salariat: le cas du secteur de l’économie domestique genevois

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Syndicalisme aux marges du salariat: le cas du secteur de l’économie domestique genevois"

Copied!
101
0
0

Texte intégral

(1)

Master

Reference

Syndicalisme aux marges du salariat: le cas du secteur de l'économie domestique genevois

GUEX, Romain

Abstract

En Suisse comme ailleurs, les organisations syndicales sont amenées à répondre aux défis rencontrés face aux transformations des économies contemporaines. Ce travail propose d'étudier au prisme des théories du renouveau du syndicalisme, la mise en place et le développement des pratiques syndicales dans le secteur de l'économie domestique genevois.

En nous appuyant sur une méthodologie d'enquête qualitative, nous avons pu montrer, dans un premier temps, comment ces pratiques s'insèrent dans les stratégies de renouveau des syndicats en Suisse. Dans un second temps, nous avons pu dépasser les oppositions théoriques entre pratiques de suivi individuel et pratiques de mobilisation collective en montrant comment leur articulation permet, dans notre étude de cas, l'organisation d'une catégorie de travailleureuses particulièrement isolé.e.x.s.

GUEX, Romain. Syndicalisme aux marges du salariat: le cas du secteur de l'économie domestique genevois. Master : Univ. Genève, 2021

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:156147

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

S YNDICALISME AUX MARGES DU SALARIAT

L E CAS DU SECTEUR DE L ÉCONOMIE DOMESTIQUE

G ENEVOIS

Romain Guex Septembre 2021

Mémoire de Master en socioéconomie sous la direction de la professeure Claudine Burton-Jeangros

Université de Genève – Institut de démographie et socioéconomie https://www.unige.ch/sciences-societe/ideso/

(3)
(4)

Remerciements

Je tiens à remercier les personnes ayant accepté de me rencontrer dans le cadre de ce travail de recherche. Le temps accordé par les secrétaires syndicales d’Unia et du SIT, déjà fortement mobilisées durant la période de Covid, s’est avéré essentiel à la bonne réalisation de ce travail.

J’aimerais dans un deuxième temps remercier Claudine Burton-Jeangros, directrice de ce mémoire, pour les encouragements et les précieux conseils donnés tout au long du travail, mais également pour sa patience et sa disponibilité. Je remercie par la même occasion Julien Fakhoury d’avoir accepté de participer en tant que membre du jury à la soutenance de ce mémoire et toute l’équipe de l’Étude Parchemins au sein de laquelle j’effectuai en 2019 le stage à l’origine de ce travail. La convivialité des échanges ayant pris place durant cette période a fortement contribué à nourrir ma réflexion.

Je tiens également à remercier Loïc Pignolo pour les échanges enrichissants ayant permis d’approfondir les enjeux relatifs à l’illégalité des échanges économiques qui caractérisent le secteur de l’économie domestique.

Merci finalement à Angie, Loni, Jazon, Cansu, Barbara, Angel, Noémie, Max, Tim, Julie et Joey pour l’indéfectible soutien apporté au quotidien.

(5)

TABLE DES MATIÈRES

1. INTRODUCTION ... 1

2. LES THÉORIES DU SYNDICALISME ... 4

2.1LES THÉORIES CLASSIQUES DU SYNDICALISME ... 4

2.1.1 De la fin du XIXème au début du XXème siècle ... 4

2.1.1.1 La conception moraliste ... 5

2.1.1.2 La conception psychologique ... 6

2.1.1.3 La conception des affaires ... 7

2.1.1.4 La conception réformiste ... 8

2.1.1.5 L’approche révolutionnaire ... 9

2.1.1.6 Conclusion sur les théories classiques ... 10

2.1.2 Les théories du syndicalisme de l’après-guerre : les théories de la deuxième vague ... 10

2.1.2.1 La perspective unitariste ... 11

2.1.2.2 La perspective pluraliste ... 12

2.1.2.3 La perspective radicale ou d’économie politique critique ... 14

2.1.3 Les apports de la sociologie du travail française ... 15

2.1.3.1 La contribution de Michel Crozier ... 15

2.1.3.2 La théorie de la régulation de Jean-Daniel Reynaud ... 16

2.1.3.3 Le syndicalisme comme mouvement social d’Alain Touraine ... 17

2.2.LES VARIÉTÉS DU SYNDICALISME : DE LA CRISE À LA THÉORIE DU RENOUVEAU SYNDICAL ... 20

2.2.1 Des variétés de capitalismes aux variétés de syndicalismes ... 21

2.2.2 De la crise au renouveau du syndicalisme ... 23

2.2.2.1 Une variété de défis ... 24

2.2.2.2 Les facteurs explicatifs du déclin syndical : mondialisation, désindustrialisation et transformations des marchés du travail ... 25

2.2.3 Le modèle théorique de Carola M. Frege et John Kelly ... 28

2.2.3.1 Les dimensions du renouveau syndical ... 28

2.2.3.2 Les stratégies de renouveau syndical ... 31

2.2.3.3 Expliquer le choix des stratégies de renouveau syndical ... 33

3. PRÉSENTATION DE L’ÉTUDE DE CAS ET MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ... 36

3.1ÉTUDIER LES PRATIQUES SYNDICALES ... 36

3.2MÉTHODOLOGIE ET MATÉRIAUX DANALYSE ... 38

4. ÉTUDE DE CAS ... 41

4.1CARACTÉRISTIQUES ET TENDANCES SYNDICALES EN SUISSE ET À GENÈVE ... 41

4.1.1 Le syndicalisme en Suisse : caractéristiques principales ... 41

4.1.2 Évolutions du syndicalisme en Suisse : entre crise et renouveau ... 43

4.1.3 Unia Genève et le SIT : deux syndicats interprofessionnels aux trajectoires différentes .... 47

4.1.3.1 Unia Genève ... 47

4.1.3.2 Le SIT ... 48

4.2LE SECTEUR DE LÉCONOMIE DOMESTIQUE : DE LA THÉORIE AU CONTEXTE GENEVOIS ... 49

4.2.1 Travail domestique : insertion dans les rapports sociaux et caractéristiques principales ... 50

4.2.2 Le secteur de l’économie domestique en Suisse et à Genève ... 53

4.3ANALYSE DES PRATIQUES SYNDICALES DANS LE SECTEUR DE LÉCONOMIE DOMESTIQUE À GENÈVE ... 55

4.3.1 L’historique des pratiques syndicales dans l’économie domestique : enjeu d’idéologie syndicale ... 55

4.3.1.1 Syndicats et main d’œuvre étrangères : de l’Überfremdung à l’Opération Papyrus ... 56

4.3.1.2 Syndicalisme dans l’économie domestique : justifications et représentations des actrices syndicales ... 58

(6)

4.3.2 Les pratiques syndicales dans le secteur de l’économie domestique : du suivi individuel à la

mobilisation ... 61

4.3.2.1 Enjeux et limites du suivi individuel ... 62

4.3.2.2 Du suivi individuel à la mobilisation : le passage au collectif ... 67

4.3.2.3 Enjeux et limites de l’action collective dans le secteur de l’économie domestique ... 72

4.2.3.3 L’action syndicale dans le secteur de l’économie domestique : continuité des pratiques et diversité des stratégies ... 76

5. CONCLUSION GÉNÉRALE ... 81

6. ANNEXE : GUIDES D’ENTRETIEN ... 84

7. BIBLIOGRAPHIE ... 88

(7)

Liste des abréviations

CGAS : Communauté genevoise d’action syndicale CRCT : Chambre des relations collectives de travail CSC : Confédération des syndicats chrétiens CTT : Contrat-type de travail

CTT-Edom : Contrat-type de travail pour les travailleurs de l’économie domestique EEE : Espace économique européen

FCTA : Fédération des travailleurs du commerce, des transports et de l’alimentation

FSCG : Fédération des syndicats chrétiens de Genève

FTMH : Fédération des travailleurs de la métallurgie et de l’horlogerie LTr : Loi sur le travail

OFS : Office fédéral de la statistique

OIT : Organisation internationale du travail RTS Radio télévision suisse

SIB Syndicat de l’industrie et du bâtiment

SIT Syndicat interprofessionnel des travailleuses et des travailleurs URSS Union des républiques socialistes soviétiques

USS Union syndicale suisse

(8)

Liste des figures

Figure 1 : Les conceptions classiques du syndicalisme ... 5 Figure 2 : Les quatre dimensions du renouveau syndical ... 29 Figure 3 : Modélisation des choix de stratégies de renouveau syndical ... 35

(9)

1. Introduction

Quelle est la place des syndicats dans le monde contemporain ? Alors que la globalisation et la libéralisation de l’économie ont changé les équilibres institutionnels qui caractérisaient la période des trente glorieuses (Boyer, 2020), le syndicalisme est considéré comme étant entré en crise depuis la fin des années 1980. Cette crise du syndicalisme est généralement associée à un processus d’affaiblissement continu des syndicats se traduisant par la baisse tendancielle des taux de syndicalisation (la part des travailleureuses syndiqué.e.x.s1 sur la totalité de la population active).

La Suisse ne fait pas exception à la règle et la baisse tendancielle des effectifs syndicaux s’observe depuis trois décennies alors que 876'302 personnes étaient affiliées à un syndicat en 1990 contre 698'989 en 2019 (OFS, 2019; USS, 2020). En 1990, le taux de syndicalisation s’élevait quant à lui à près de 25% (Oesch, 2011a). Selon les chiffres fournis par l’Union syndicale suisse (ci-après : USS), ce taux n’est plus que d’environ 17% en 2019 (USS, 2020).

Au-delà des statistiques témoignant de la baisse des membres des syndicats, c’est le rôle social joué par le syndicalisme qui demande à être repensé. Or, si à la fin des années 1990 certain.e.x.s ont vu dans cette baisse une crise irréversible des syndicats, condamnés à disparaître, ces derniers continuent d’exister et de jouer un rôle de premier plan dans les systèmes de régulation du travail contemporain.

Mais quel est ce rôle ? Comment a-t-il évolué et en quoi est-il amené à se transformer dans le futur ? Pour répondre à ces questions, de nombreux.euse.x.s chercheureuses ont contribué à théoriser le syndicalisme. Que ce soit dans les travaux d’économie ou de sociologie, le syndicalisme comme objet théorique s’est vu appréhendé et défini de manière différente en fonction des champs disciplinaires qui s’y sont intéressés. Une littérature abondante s’est ainsi attachée à identifier les causes et les facteurs explicatifs des évolutions du phénomène syndical au cours des dernières décennies. Si la crise du syndicalisme contemporain semble faire consensus, un pan entier de la littérature est consacré à ce que de nombreux auteurices appellent le renouveau syndical. Dans cette perspective, les organisations syndicales, loin d’être passives

1Dans ce travail, nous utilisons des formes d’écriture inclusive et épicène afin de reconnaître les différentes identités de genre invisibilisées par la binarité de la langue française. Les formulations contractées (ex : travailleureuse ou les pronoms iel/iels) ainsi que l’utilisation de points (ex : salarié.e.x.s ou ouvrier.ère.x.s) sont mobilisées à cet effet.

(10)

face aux problèmes rencontrés, ont développés des stratégies afin de répondre aux défis posés par les évolutions des sociétés contemporaines (Nizzoli, 2017).

C’est à la suite de cette littérature déjà abondante que le travail présenté ici propose une analyse du syndicalisme dans le cas du secteur de l’économie domestique genevois. Pour le moins spécifique, cette thématique constitue une porte d’entrée afin d’analyser certaines des dimensions de la transformation du salariat et des modalités d’actions collectives contemporaines.

Le travail domestique représente une forme contemporaine de travail particulièrement invisibilisée. Blandine Destremau et Bruno Lautier (2002) soulignent la double occultation, physique et sociale, marquant ce type d’emploi. S’opérant d’une part dans le cadre de la sphère privée, le travail domestique est également invisibilisé par la production de services, souvent non-déclarés, généralement non pris en compte dans la production de valeur nationale. Le faible intérêt académique accordé à ce type d’emploi découle, selon les auteurices, de la dépolitisation marquant le rapport entretenu par les médias, les politicien.enne.x.s, mais également les chercheureuses avec le travail domestique (Destremau et Lautier, 2002). Le contexte genevois permet de nuancer en partie ce constat.

Les origines de ce travail trouvent leur source dans la mise en place par le canton de Genève de l’Opération Papyrus, une politique temporaire de régularisation des personnes vivant dans le canton sans statut de séjour valable ou plus communément appelées « sans-papiers ». Cette politique proposait une normalisation de la situation de toutes les personnes répondant à cinq critères énumérés au préalable par le canton sur une période allant de février 2017 à décembre 2018. Il a été montré dans quelle mesure le rôle joué par une large coalition d’associations de défense des sans-papiers et des syndicats genevois a été primordiale dans la mise en place du projet, mais également dans la constitution des dossiers individuels des personnes concernées.

Parmi ces organisations, deux syndicats, le Syndicat interprofessionnel des travailleuses et des travailleurs (ci-après : SIT) et Unia Genève ont été actifs tout au long du processus et plus particulièrement dans le secteur de l’économie domestique. La population clandestine genevoise étant en grande partie composée de migrantes latinoaméricaines travaillant dans ce secteur d’activité (Flückiger, Ferro-Luzzi, et al., 2012), les deux syndicats ont joué un rôle de pionniers dans l’organisation et la mobilisation des travailleureuses de ce secteur. Si le secteur de l’économie domestique est également thématisé au national avec la mise en place d’instruments de régulation s’appliquant à tous les cantons, la proactivité des syndicats

(11)

genevois dans ce secteur constitue, comme le souligne les syndicalistes rencontrées, une véritable exception en la matière.

L’ambition de ce travail est dès lors d’analyser les pratiques syndicales genevoises dans le secteur de l’économie domestique au prisme des théories du syndicalisme et en particulier de celles dédiées au renouveau syndical. Nous proposons, pour ce faire, la réalisation d’une étude de cas portant sur l’action du SIT et d’Unia Genève dans le secteur. Après avoir effectué une revue de la littérature centrée sur le développement des théories du syndicalisme et de ces principaux courants, nous passerons dans un deuxième temps en revue les théories du renouveau syndical. Il nous paraît important de mentionner que, bien que cette littérature se fonde sur une analyse comparative des différents cadres nationaux, elle s’articule essentiellement autour des formes de syndicalisme existant en Europe occidentale et en Amérique du Nord.

Après la réalisation de notre revue de la littérature, nous présenterons le cadre méthodologique permettant la mise en place de notre étude de cas. Afin de mener à bien cette dernière, nous mobiliserons, en plus de la littérature existante, des entretiens réalisés avec des acteurices-clé de l’activité des syndicats dans le secteur ainsi qu’un corpus d’analyse documentaire constitué auprès des organisations étudiées.

Nous présenterons dans un premier temps les caractéristiques du syndicalisme en Suisse et plus particulièrement des deux organisations qui nous intéressent avant de nous focaliser sur le secteur de l’économie domestique. Nous passerons finalement à l’analyse des pratiques syndicales dans ce secteur au prisme de la théorie du renouveau syndical. Dans cette analyse, nous mettrons en évidence les représentations du rôle et de la définition du syndicalisme portées par les acteurices permettant de justifier l’action des syndicats dans le secteur avant de nous concentrer sur les enjeux de l’articulation des pratiques de suivi individuel et de mobilisation collective au sein des stratégies d’action des syndicats.

(12)

2. Les théories du syndicalisme

Dans cette première partie, nous proposons une synthèse des théories du syndicalisme ainsi qu’un bilan de la situation actuelle des développements théoriques en la matière. La littérature accompagnant l’émergence et les évolutions du mouvement syndical est abondante et la multiplicité des approches et courants s’y étant intéressé rend impossible une revue complète de la littérature. Nous nous appuierons sur des ouvrages et articles de synthèse présentant les principales théories du syndicalisme et leurs évolutions. Nous commencerons par présenter, à l’aide des travaux de Renaud Paquet, Jean-François Tremblay, Éric Gosselin (2004) et de Yanick Noiseux (2008), les théories du syndicalisme et leurs évolutions historiques. Nous passerons ensuite en revue l’état actuelle des théories, les défis soulevés par ce qui est communément appelé « la crise du syndicalisme » pour discuter enfin des enjeux de la rethéorisation du phénomène autour de la question du renouveau syndical.

2.1 Les théories classiques du syndicalisme

Dans leurs travaux, Paquet et al. (2004) proposent une revue de la littérature anglo-saxonne présentant les principales théories du syndicalisme. À travers l’analyse d’un corpus théorique (Poole, 1981 ; Perlman, 1958 ; Hyman, 1989 ; Larson et Nissen, 1987 ; cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004), les auteurs établissent deux périodes distinctes dans le développement des théories du syndicalisme. La première s’étend de la fin du XIXème siècle aux années 1930 et contient, selon les auteurices, les principaux développements théoriques prenant le syndicalisme comme objet d’étude principal. La deuxième période est consacrée au champ des relations de travail à travers le développement de l’approche systémique des relations industrielles même si, nous le montrerons plus loin, d’autres courants se sont également développés durant cette période (Noiseux, 2008).

2.1.1 De la fin du XIXème au début du XXème siècle

Inspirée des travaux de Perlman (1958, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004), la première période est structurée autour de cinq courants théoriques distincts, catégorisés autour de la fonction sociale et économique attribuée au syndicalisme.

Avant de reprendre un par un chaque courant (cf. Figure 1), il semble important de souligner que, bien que n’adhérant pas tous à la pensée marxiste, ces courants ont toutefois été influencés

(13)

par cette théorie politique, que ce soit en tentant de s’en distancier ou s’alignant sur ses développements. Les auteurs insistent ainsi sur la distinction entre théorie et idéologie. Si la première est définie comme « [fournissant] une interprétation ou une explication systématique dérivée de données observées au sujet d’un objet particulier [ici, le syndicalisme] » (Paquet, Tremblay, et al., 2004, p. 296), l’idéologie représente quant à elle « un ensemble d’idée et de croyances » permettant de représenter des éléments importants du contexte dans lequel une théorie est conçue.

Figure 1 : Les conceptions classiques du syndicalisme

Source : tiré de Paquet, Tremblay, et al. (2004)

2.1.1.1 La conception moraliste

La première approche est définie comme la conception moraliste du syndicalisme (Paquet, Tremblay, et al., 2004). Cette conception éthique du mouvement syndical présente ce dernier comme une institution dont les objectifs ont une valeur morale. Théorisé dans les écrits religieux, comme les encycliques Rerum Novarum de Léon XIII et Quadragesimo Anno De Pie XI (1891 et 1931, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004), mais également par des penseurs tel que Richard Ely (1886, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004) et John Ryan (1906, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004), cette conception du syndicalisme s’inscrit dans le courant plus large du socialisme chrétien qui influencera fortement, au 19ème siècle, la mise en place de politiques d’assistance préfigurant le développement des assurances sociales au siècle suivant (Castel, 1995). Le syndicalisme est alors conçu comme ayant un rôle à jouer dans le rééquilibrage du rapport de force existant dans la relation d’emploi, au détriment des salariés.

C’est en développant chez ces derniers des valeurs morales telles que la discipline et la responsabilité que les syndicats pourront limiter les effets négatifs du capitalisme. Un rôle d’élévation de la société toute entière est porté par le syndicalisme amené à proposer des

(14)

réformes pour assurer une plus grande justice sociale (Paquet, Tremblay, et al., 2004). Ces principes moraux sont érigés en réaction à la doctrine économique libérale du « laissez-faire » considérée comme la cause principale de la misère ouvrière et dont seraient issus la grogne populaire, le mécontentement et les envies révolutionnaires. C’est donc également par souci de préserver l’ordre établi que l’Église se penche sur la question syndicale. En prônant l’adhésion à toute une série de principes moraux, elle ambitionne de pacifier les conflits sociaux issus de la relation de travail, tout en ne reconnaissant pas le système capitaliste comme la source des problèmes économiques et sociaux. La propriété privée de moyens de production n’est pas remise en question et constitue même un droit naturel. Dans ce cadre, le syndicalisme est perçu comme un moyen de créer une véritable fraternité ouvrière. Cette dernière, guidée par les principes moraux de l’Église, permettrait de mener à bien les réformes nécessaires à l’accroissement de la justice sociale, prévenant ainsi toute action révolutionnaire. Le syndicat, comme agent de régulation sociale d’une société bienveillante, porte également un rôle éducationnel permettant le maintien de l’ordre établi, dont les abus sont certes contestés, mais qui n’est fondamentalement pas remis en question (ibid.).

2.1.1.2 La conception psychologique

La seconde conception proposée dans la typologie de Perlman (1958, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004) est la conception du syndicalisme comme réponse aux besoins psychologiques des salarié.e.x.s. Développée en particulier par Thornstein Veblen (1904, cité dans Paquet, Tremblay et al., 2004) et reprise par la suite par d’autres auteurs (Hoxie, 1921 ; Parker 1920 ; Tannenbaum 1921 ; cité dans Paquet, Tremblay et al., 2004), cette approche présente le syndicalisme comme un instrument émergeant pour répondre aux besoins psychiques découlant d’un déséquilibre entre les besoins individuels des travailleureuses et la réalité du monde industriel (Paquet, Tremblay, et al., 2004). Avec l’apparition de la machine et de nouvelles formes d’organisation du travail en usine, la révolution industrielle plonge le prolétariat dans la misère. Les travailleureuses ont plus de difficultés à satisfaire leurs besoins, que ce soit dans une perspective moraliste reprenant à son compte les théories des tares pathologiques caractérisant le prolétariat ou par les thèses de la perte de statut social lié à l’industrialisation, le syndicat est alors défini comme porteur d’une fonction instrumentale. Son action doit en effet permettre, en se concentrant sur les revendications répondant aux besoins des travailleureuses, de rétablir un équilibre dans les conditions de vie du prolétariat. C’est donc un rôle éphémère qu’est amené à jouer le syndicalisme dans cette perspective théorique.

(15)

Une fois les besoins des salarié.e.x.s satisfaits, les syndicats perdent leurs raisons d’être. Nous pouvons noter également que dans cette approche, la multiplicité des organisations syndicales s’explique par les besoins spécifiques exprimés par chaque catégorie d’ouvrier.ère.x.s auxquels les organisations cherchent à répondre (ibid.).

2.1.1.3 La conception des affaires

La troisième conception présentée est celle du syndicalisme comme institution d’affaires. Dans cette perspective, les structures politiques et économiques du capitalisme sont acceptées par un syndicalisme dont l’objectif sera avant tout d’assurer aux membres qu’il représente une juste part du système. Théorisée principalement par John R. Commons et Selig Perlman, cette approche s’inspire de l’étude du syndicalisme états-unien et de son développement. Elle présente l’émergence des syndicats non pas comme un résultat de la lutte des classes, mais bien comme découlant de l’expansion de l’économie de marché. Les ouvrier.ère.x.s, du moins dans le contexte nord-américain, ne serait pas mobilisé.e.x.s par une conscience de classe universelle, mais motivé.e.x.s par des problèmes communs émergeant du milieu de travail. Le concept de job consciousness est employé par Commons (1918, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004) pour décrire les préoccupations différenciées qui poussent les salarié.e.x.s à s’organiser au sein d’un syndicat. L’hétérogénéité des situations de travail, la multiplicité des enjeux politiques, économiques et sociaux qu’elle entraine, confèrent au mouvement syndical une forte diversité tant du point de vue du nombre d’organisations que des moyens d’actions. La fonction sociale des syndicats, dans la conception affairiste, consiste ainsi à défendre et améliorer les conditions de travail des salarié.e.x.s bien loin de constituer une classe sociale homogène et conscientisée.

Pour les tenants de cette conception, l’importance de l’évitement des situations de monopoles (même au niveau syndical) est une condition nécessaire à la bonne marche du système économique et à la capacité d’assurer une juste répartition des richesses aux membres de la société. Cette conception du syndicalisme s’inscrit ainsi dans une tendance idéologique profondément antimarxiste et propose une vision pluraliste du syndicalisme dont le rôle n’est pas de participer à la gestion de la production, mais de revendiquer de meilleures conditions de travail et une sécurisation du salariat (Paquet, Tremblay, et al., 2004).

(16)

2.1.1.4 La conception réformiste

La conception suivante propose une vision du syndicalisme comme agent des réformes sociales.

Cette perspective, théorisée par Sidney et Beatrice Webb (1897, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004) et reprise par George E. Barnett (1926, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004) diffère des trois précédentes dans le sens où elle attribue au syndicalisme une fonction de transformation des structures économiques et politiques. Pour les Webb, l’action collective menée par les travailleureuses au sein des organisations syndicales ne visent pas simplement à améliorer les salaires, mais participe à une démarche plus large de réduction de la domination du patronat sur la classe ouvrière. Le syndicalisme a, dans cette perspective, une fonction de réduction des injustices, là où le processus d’industrialisation éloigne les travailleureuses de la propriété des moyens de production. Cependant, ce courant ce détache du marxisme dans sa version révolutionnaire en n’ambitionnant pas de renverser le système capitaliste, mais plutôt de mener, grâce à la coopération entre mouvement ouvrier et patronat, à l’avènement d’un État socialiste (Noiseux, 2008). Selon les Webb, les syndicats disposent pour ce faire de deux outils : l’approche de la règle commune et l’approche de la limitation (Paquet, Tremblay, et al., 2004).

La première consiste à uniformiser les conditions de travail de touxtes les travailleureuses par le biais de la négociation collective alors que la deuxième représente une forme de protectionnisme limitant l’accès à certains métiers afin d’augmenter le pouvoir des négociations des ouvrier.ère.x.s déjà employé.e.x.s. Les syndicats seraient d’ailleurs, selon les Webb, guidés par trois doctrines distinctes : l’intérêt propre, l’offre et la demande et le salaire de subsistance.

La première doctrine postule que l’intérêt des membres de l’organisation prime et que rien ne peut être fait qui nuise ou aille à l’encontre de cet intérêt. La deuxième s’apparente au syndicalisme d’affaires et met en avant le rôle de la négociation collective dans la fixation du prix du travail. Au sein d’un cadre légal préétabli, les acteurices collectif.ve.x.s tenteront, du côté du travail, d’obtenir les meilleurs salaires et les meilleures conditions de travail tandis que les employeureuses chercheront à minimiser le coût de la main d’œuvre. L’État, figure neutre dans cette lutte d’intérêts, est l’arbitre des négociations portant sur les arrangements établis concernant la répartition des profits générés par le système économique. La doctrine du salaire de subsistance se définit comme une revendication syndicale permettant d’assurer un niveau de vie correct aux ouvrier.ère.x.s. Elle vise, selon les Webb, à assurer à chaque groupe de travailleureuses les conditions nécessaires à l’accomplissement de ses fonctions dans l’appareil social. De ces trois doctrines découlent une multiplicité d’entités syndicales façonnées en fonction de l’importance donnée à chacune d’elles. Finalement, le rôle joué par le syndicalisme

(17)

dans ce courant théorique est de nature essentiellement économique en participant à une certaine démocratisation des processus de production industrielle (ibid.).

2.1.1.5 L’approche révolutionnaire

Comme mentionné plus haut, la théorie marxiste et le système idéologique qu’elle véhicule occupent une place fondamentale dans la conception du syndicalisme. La place centrale de cette théorie a poussé les courants décrits précédemment à y faire référence et à se positionner que ce soit pour adhérer ou remettre en cause les thèses marxistes.

Rappelons que, selon Marx, le système capitaliste de production oppose la classe dominante capitaliste, qui contrôle l’économie et le système politique, à la classe ouvrière qui est privée du contrôle des processus productifs et politiques. Les intérêts antagonistes de ces deux classes rendent la lutte inévitable entre le prolétariat dont la plus-value est exploitée et la bourgeoisie cherchant à maintenir sa domination. Si pour Marx la finalité de cet antagonisme de classe ne peut mener qu’au renversement du capitalisme, le rôle accordé aux syndicats dans cette transformation sociétale diffère chez les héritier.ère.x.s de sa pensée (Paquet, Tremblay, et al., 2004b).

Dans ce que Paquet et al. (2004) appellent la vision pessimiste, principalement diffusée par Lénine et Trotsky, la conscience de classe nécessaire au renversement du système capitaliste ne peut émerger de la classe ouvrière elle-même. Le rôle de l’élite intellectuelle, concentrée au sein du parti communiste conçu comme un organe externe, est décrit comme primordiale. Les syndicats, considérés comme trop proches de la classe ouvrière, ne seraient pas à même de faire émerger cette conscience de classe et ne joueraient alors qu’un rôle secondaire dans la mise en place du climat révolutionnaire (Paquet, Tremblay, et al., 2004).

D’autres adeptes de la théorie marxiste soulignent en revanche l’importance des syndicats dans la création d’une conscience de classe par leur capacité à regrouper l’ensemble de la classe ouvrière et à créer une homogénéité dans un prolétariat uni autour de la défense de ces intérêts.

Le syndicalisme représente, dans cette optique optimiste, un instrument primordial de la mise en place de la révolution ouvrière (ibid.).

Une autre tendance révolutionnaire se développe en parallèle de l’interprétation marxiste, il s’agit de la mouvance révolutionnaire anarchosyndicaliste. Pour ce mouvement, l’objectif à atteindre est la démocratie industrielle dans laquelle les ouvrier.ère.x.s, libéré.e.x.s du salariat,

(18)

possèdent les moyens de production et jouissent de la plus-value de leur travail. Les moyens d’action prônés sont essentiellement liés à l’entrave du système économique capitaliste. De la grève aux techniques de sabotage industriel, les membres des syndicats sont appelé.e.x.s à mettre en place des pratiques visant à bloquer la production. Ces pratiques témoignent du rejet de l’action politique institutionnelle dont les chances de succès sont considérées comme nulles au sein du système capitaliste (ibid.).

Pour conclure, les conceptions révolutionnaires du syndicalisme se distinguent des conceptions précédentes par le fait qu’elles conçoivent comme impossible la réalisation des objectifs de défense de la classe ouvrière au sein du système capitaliste. Les intérêts des classes antagonistes étant irréconciliables, elles insistent sur le rôle mobilisateur des syndicats, impliqués dans l’organisation du salariat et la mise en place d’un contexte révolutionnaire, plutôt que dans la négociation. Plus particulièrement au sein de la tendance anarchosyndicaliste, les objectifs de démocratisation syndicale d’inclusion sont mis en avant comme moyens de renforcement de la lutte ouvrière.

2.1.1.6 Conclusion sur les théories classiques

Les théories classiques de la première période ont contribué à construire le syndicalisme comme objet théorique. Bien que les approches récentes tendent à étudier le syndicalisme de manière indirecte à travers la prise en compte d’objets spécifiques, les théories classiques représentent un apport essentiel au moment d’étudier les représentations portées par les acteurices sur le rôle et les fonctions des organisations syndicales.

2.1.2 Les théories du syndicalisme de l’après-guerre : les théories de la deuxième vague Dans leur revue de la littérature, Paquet et al. (Paquet, Tremblay, et al., 2004) présentent la deuxième vague de théorisation du syndicalisme comme centrée sur les effets du syndicalisme.

Le contexte propre à la période suivant la seconde Guerre Mondiale, que l’on connaît sous le nom de trente Glorieuses, a éloigné le débat théorique opposant socialisme et capitalisme pour privilégier des analyses plus fonctionnelles du syndicalisme. Cela n’empêchera pas, comme nous le verrons plus loin, les différents courants de cette deuxième vague de s’intéresser aux fondements idéologiques de l’action syndicale.

(19)

Si pour Paquet et al. (2004) les apports théoriques de cette deuxième vague sont presque exclusivement attribuables au courant promu par l’École de relations industrielles, nous nous appuierons sur les travaux de Yanick Noiseux (2008 et 2011) pour présenter les contributions d’autres écoles de pensées sur le phénomène syndical avec notamment les apports de la sociologie du travail française.

Avant de nous atteler à cette tâche, présentons rapidement la perspective unitariste qui caractérise la conception du syndicalisme de l’économie classique et s’inscrit dans une approche antisyndicale.

2.1.2.1 La perspective unitariste

Ce courant théorique, largement développé dès les années 1940, propose une contre-perspective remettant en cause le bienfondé de l’organisation des travailleureuses au sein des organisations syndicales. Dans cette approche, issue de la psychologie industrielle et de l’économie classique, les différences fondamentales d’intérêts entre les travailleureuses et les détenteurices de capitaux sont niées et les syndicats sont considérés comme contre-productifs. En effet, en nuisant aux mécanismes d’ajustements structurels du libre marché, ils poussent à la hausse les coûts de la main d’œuvre contribuant par la même occasion à la hausse des taux de chômage (Paquet, Tremblay, et al., 2004).

La théorie économique classique de Henry Simons (1944, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004) et Friedrich A. Hayek (1938, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004) considère les syndicats comme des monopoles dont les objectifs conduisent à une augmentation des coûts de la production dans le but de garantir à une minorité de travailleureuses un avantage salarial. Les revendications salariales portées par les syndicats sont autant d’entraves à la bonne marche des entreprises. Elles mènent non-seulement à la réduction de la production, mais également à une baisse de la consommation globale. En empêchant les mécanismes de libre marché (seuls à- même de satisfaire les intérêts collectifs et individuels) de suivre leur cours, l’activité syndicale péjore la situation de touxtes les acteurices économiques. Comme tous monopoles, les syndicats doivent donc être abolis afin de permettre à l’activité économique d’atteindre son niveau d’équilibre le plus efficient (Paquet, Tremblay, et al., 2004).

De manière similaire, l’École de Chicago, avec en tête de file le plus célèbre tenant du courant monétariste Milton Friedman (1951, cité dans Noiseux, 2008), présente les syndicats et les

(20)

négociations collectives comme des entraves à la flexibilisation du marché du travail nécessaire au bon fonctionnement de l’économie. L’activité syndicale est alors la source de la limitation de l’accès à l’emploi, de l’augmentation des coûts de production et de l’obstruction de la libre concurrence. Cette approche nie par la même occasion le rôle joué par les syndicats dans l’amélioration historique des conditions matérielles d’existence de l’ensemble du salariat (Noiseux, 2008).

Nous pouvons encore mentionner les approches managériales des sciences de la gestion et l’École des relations humaines fondée par Elton Mayo (1933, cité dans Noiseux, 2008), qui, s’inscrivant dans cette perspective unitariste, nient le bienfondé de l’intervention syndicale dans les relations de travail. Dans cette optique, l’activité des syndicats découle de l’incapacité des méthodes de gestion à résoudre les situations de conflits pouvant apparaître dans les relations de travail. En ce sens, il agit comme « un remède de charlatan » (Noiseux, 2008, p. 312) dans les situations où les tensions existant entre la satisfaction des besoins des travailleureuses et les logiques de gestion seraient mieux appréhendées par la recherche psychologique et l’analyse rationnelle.

Les différentes écoles de pensée de la perspective unitaristes nient ainsi l’utilité de l’action syndicale pour le bon fonctionnement de l’économie en insistant sur les nuisances occasionnées par l’organisation du salariat et la nécessité d’abolir le phénomène syndical, ou du moins, d’en limiter la portée.

2.1.2.2 La perspective pluraliste

Contrairement à l’approche unitariste, l’approche pluraliste prend comme point de départ la diversité des intérêts existant au sein du système capitaliste. Le bon fonctionnement de la société capitaliste repose donc sur la mise en place de mécanismes de régulation. En rejetant le postulat marxiste de la lutte des classes, l’approche pluraliste conçoit le syndicalisme comme un « des acteurs du sous-système social des relations industrielles, lequel est cimenté par le partage d’une idéologie commune » (Paquet, Tremblay, et al., 2004, p. 309). Les travaux de John T. Dunlop (1958, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004), repris plus tard par Allan Flanders (1970, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004) ont contribués à définir ce courant.

Pour Dunlop, qui s’intéresse au contexte états-unien, la mise en place de tels systèmes de régulation, et donc le développement du syndicalisme, est déterminé contextuellement (souvent

(21)

au niveau national) par différentes variables comme la structure du marché du travail et la technologie. Si les syndicats se sont développés historiquement dans les secteurs d’importance stratégique, le rôle du soutien d’institutions de contrôle, comme l’État, est décrit comme primordial dans le développement du mouvement syndical. En reprenant certains aspects du syndicalisme d’affaires, la perspective pluraliste définit comme but ultime de l’action syndicale l’amélioration de la condition des travailleureuses à travers une meilleure répartition des profits, une sécurité de l’emploi et une protection face à l’arbitraire. L’outil privilégié pour atteindre ces objectifs est la négociation de la règle de travail afin d’encadrer et de limiter l’exercice du droit de gérance au sein des entreprises (Paquet, Tremblay, et al., 2004).

L’École des relations industrielles se développe par la suite avec les travaux d’Allan Flanders qui, en se concentrant sur le contexte anglais, proposent un modèle d’explication de l’action syndicale basé sur six dimensions : les intérêts institutionnels de l’organisation, les relations politiques internes d’un syndicat et du mouvement syndical, les facteurs subjectifs internes de l’organisation, l’environnement économique et les conditions de marché, la technologie et les procédés de production, les normes sociales acceptées et les valeurs culturelles. En s’intéressant aux relations patronales-syndicales, à la régulation conjointe du milieu de travail et à la négociation collective, Flanders pose cette dernière comme l’outil privilégié de l’action syndicale. Elle ne suffit en revanche pas à atteindre les objectifs sociaux des syndicats et, ce qui représente une différence notable avec Dunlop, ne constitue pas l’entier de l’action syndicale (Paquet, Tremblay, et al., 2004).

Ce courant sera par la suite repris par les auteurices de l’approche stratégique. Cette approche réactualise le courant dunlopien rendu caduc par la mondialisation de l’économie du fait de son ancrage dans une perspective nationale. Dans cette perspective, la vision systémique des relations industrielles est rapprochée des théories de l’action prônant une position volontariste des acteurices sociaux.ale.x.s Elle appelle les syndicats à s’engager dans la gestion interne des entreprises tout en mettant de côté des postures plus revendicatives. C’est en abandonnant la confrontation que les syndicats seront en mesure de se profiler comme des acteurs incontournables du système des relations industrielles et pourront obtenir des améliorations des conditions de travail au sein des entreprises (Noiseux, 2008).

(22)

2.1.2.3 La perspective radicale ou d’économie politique critique

Cette approche s’inspire directement du cadre théorique marxiste et place au centre de son analyse la nature de la relation d’emploi, les conflits qui la traversent ainsi que l’asymétrie des relations de pouvoir entre les parties qui la composent. Elle scrute notamment les rapports de force entre les employeureuses et les syndicats, mais également les relations entretenues respectivement avec l’État. Cependant, et contrairement à la perspective révolutionnaire, l’approche d’économie politique ne s’intéresse que peu au syndicalisme comme outil privilégié de la lutte des classes. Elle centre son analyse sur les phénomènes entourant la relation de travail qui découlent directement de la structure des inégalités sociales produites par le système de production capitaliste (Paquet, Tremblay, et al., 2004). Pour Richard Hyman (1989, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004) les conflits ouverts dans les relations patronales-syndicales sont rares du fait de la constante coopération que doivent entretenir les parties pour assurer la continuité de la production. Que ce soit à travers les stratégies individuelles des travailleureuses ou par des tentatives d’humanisation des pratiques de gestion, la relation d’emploi, bien que caractérisée par un lien de subordination, tend à se pacifier en s’appuyant sur la coopération des employé.e.x.s. Dans cette perspective, le rôle des syndicats est alors de mobiliser pour permettre une action collective structurée et efficace à même de répondre au mécanisme d’exploitation capitaliste. Hyman insiste cependant sur les effets ambigus de l’organisation des travailleureuses sur la conflictualité des relations d’emploi. En effet, que ce soit par la formalisation de revendications ou la mise en place de négociations, l’organisation collective aboutit souvent à une pacification de la relation d’emploi. Les accords passés avec les employeureuses et l’institutionnalisation des négociations permettent une plus grande prévisibilité et empêchent l’expression ouverte du conflit. En se concentrant, par exemple, sur les enjeux monétaires par l’entremise des négociations collectives, les organisations syndicales découragent les revendications visant certains enjeux de pouvoir caractérisant les relations d’emploi. Le syndicalisme, tout en incarnant une figure d’opposition, permet alors d’assurer la continuité de la production et constitue en ce sens une composante essentielle du système capitaliste (Hyman, 1989, cité dans Paquet, Tremblay, et al., 2004).

(23)

2.1.3 Les apports de la sociologie du travail française

Dans cette partie, nous nous intéressons aux apports de la sociologie française du travail dans la conceptualisation du syndicalisme. Nous nous appuierons sur les travaux de Yanick Noiseux (2008; 2011) et commencerons par présenter brièvement quelques exemples de travaux notamment ceux de Michel Crozier, Jean-Daniel Reynaud avant de nous arrêter plus longuement sur l’apport substantiel de la sociologie d’Alain Touraine et de sa théorisation du syndicalisme comme mouvement social.

2.1.3.1 La contribution de Michel Crozier

Dans sa contribution au traité de sociologie du travail de Pierre Naville et Georges Friedman (1962, cité dans Noiseux, 2008), Michel Crozier fait un tour d’horizon des recherches sociologiques portant sur le syndicalisme et met en avant cinq modes d’appréhension du syndicalisme : les points de vue génétique, structurel, fonctionnel, idéologique et le point de vue du changement (Noiseux, 2008).

Le point de vue génétique regroupe les travaux, souvent de nature historique, cherchant à identifier les besoins auxquels le mouvement ouvrier et l’émergence du syndicalisme répondent. Il recoupe d’une part l’interprétation dite « héroïque », qui pose l’émergence du syndicalisme comme une création volontaire et rationnelle de petits groupes d’acteurices, et d’autre part l’interprétation marxiste orthodoxe, qui établit une correspondance entre la technologie et la création des syndicats, ces derniers ayant émergé lors de la révolution industrielle (ibid.).

Le point de vue structurel s’intéresse quant à lui à la forme interne que prend le mouvement ouvrier. Les formes d’organisation que prennent les syndicats, de la bureaucratie syndicale ainsi que des rapports de pouvoir au sein des organisations sont analysés tout comme les relations entre le salariat et les syndicats. Crozier fait état de trois niveaux d’organisation caractérisant l’activité syndicale. Dans une perspective évolutionniste, les syndicats se sont organisés sur une base territoriale puis professionnelle et finalement industrielle dans une conception de maturation des organisations syndicales. Dans son analyse des problèmes de la bureaucratie et de concentration du pouvoir, l’auteur distingue deux modèles d’organisation : l’organisation en confédération et l’organisation en fédération. La première, caractérisée par une forte prévalence d’organes interprofessionnels organisés sur une base territoriale, possède un caractère plus

(24)

politique, tandis que la deuxième, correspondant à un modèle unitaire, aura tendance à se focaliser sur des objectifs économiques (ibid.).

Le point de vue fonctionnel s’intéresse au rôle joué par le syndicalisme dans la société globale.

Selon Crozier, les syndicats sont souvent abordés à travers des approches juridico-économiques portant sur les procédures de négociations collectives et l’émergence de nouvelles normes dans le droit du travail à travers la mise en place de conventions collectives. Les négociations collectives représentent ainsi la fonction principale des syndicats (ibid.).

Le point de vue idéologique s’intéresse au rôle joué par le levier idéologique dans la progression du mouvement ouvrier. Pour Crozier, son importance a souvent été surestimée dans la compréhension du syndicalisme et il est nécessaire d’y associer une analyse des pratiques syndicales afin d’éclairer les divergences pouvant exister entre les postures officielles et la pratique de terrain. Crozier propose une lecture évolutionniste et dualiste de la posture idéologique. Cette dernière serait, à son origine, d’orientation révolutionnaire avant de se rapprocher d’une posture réformiste témoignant de l’évolution de la position des syndicats dans la structure des négociations collectives. L’apparition de périodes de crises sociales tend cependant à raviver la posture révolutionnaire qui permet aux syndicats de s’imposer alors qu’elle subsiste sous une forme conventionnelle dans les périodes de stabilité (ibid.).

Finalement, le point de vue du changement s’intéresse au mouvement ouvrier dans son ensemble et à la question syndicale en considérant non seulement les syndicats comme des acteurs indispensables à l’équilibre des systèmes sociaux, mais également comme des vecteurs originaux de transformations des sociétés et de changement social (ibid.). C’est notamment l’approche théorique proposée dans les travaux d’Alain Touraine que nous développerons plus loin.

2.1.3.2 La théorie de la régulation de Jean-Daniel Reynaud

Dans ces travaux regroupés dans la théorie de la régulation sociale, Jean-Daniel Reynaud développe une analyse des relations professionnelles considérées non seulement comme un lieu de confrontation d’intérêts économiques opposés, mais également comme un espace dynamique, destiné à la production de règles. Dans cette approche, les syndicats sont considérés comme des acteurs dont les interactions et les jeux noués avec les autres participant.e.x.s à cet espace contribuent à l’établissement de règles provisoires ou à l’expression de conflit. Reynaud

(25)

se concentre dès lors sur l’analyse des conventions collectives car elles permettent d’étudier à la fois les conflits des relations professionnelles, le processus de négociation et le produit provisoirement stabilisé des interactions entre les acteurs sociaux. Dans une perspective sociojuridique, ces conventions sont alors considérées comme un objet juridique hybride issu des négociations entre les acteurs privés et publics et dotés d’un caractère à la fois réglementaire et contractuel. Elles peuvent s’appliquer tant à l’échelle de l’entreprise qu’au niveau national et se décliner dans une logique sectorielle ou interprofessionnelle. Elles constituent un instrument de construction du droit du travail pragmatique s’appuyant sur les réalités techniques, économiques et sociales du monde du travail. Développant une approche semblable à l’approche pluraliste de l’École des relations industrielles, nous ne nous arrêtons pas plus longuement sur les travaux de Jean-Daniel Reynaud et passons à l’analyse du syndicalisme comme mouvement social proposée par Alain Touraine (Noiseux, 2008).

2.1.3.3 Le syndicalisme comme mouvement social d’Alain Touraine

Alain Touraine s’engage dès la fin des années 1950 dans l’étude du rôle du mouvement ouvrier dans la transformation de la société. C’est à travers le concept de mouvement social qu’il appréhende la question du syndicalisme et son rôle en tant que vecteur de changement social (Noiseux, 2008). Un mouvement social, dans la sociologie de Touraine, est défini comme la combinaison de trois principes : le principe d’identité, le principe d’opposition et le principe de totalité (Milly et Delas, 2015).

« 1. Le principe d’identité est la définition de l’acteur par lui-même. Un mouvement social ne peut s’organiser que si cette définition est consciente ; mais la formation d’un mouvement précède largement cette conscience. C’est le conflit qui constitue et organise l’acteur. […]

2. On doit définir de la même manière le principe d’opposition. Un mouvement ne s’organise que s’il peut nommer son adversaire, mais son action ne présuppose pas cette identification. Le conflit fait surgir l’adversaire, forme la conscience des acteurs en présence. […]

3. Enfin, il n’existe pas de mouvement social qui se définisse uniquement par le conflit.

Tous possèdent ce que je nomme un principe de totalité. Le mouvement ouvrier n’a existé que parce qu’il n’a pas considéré l’industrialisation seulement comme un instrument du profit capitaliste, mais a voulu construire une société industrielle non capitaliste,

(26)

anticapitaliste, libérée de l’appropriation privée des moyens de la production et capable d’un développement supérieur Le principe de totalité n’est rien d’autre que le système d’action historique dont les adversaires, situés dans la double dialectique des classes sociales, se disputent la domination. » (Touraine, 1973, cité dans Milly et Delas, 2015, p.210)

Un mouvement social conscient de son identité, qui connaît son adversaire et lutte pour le contrôle de l’historicité (qui renvoie au principe de totalité) est alors doté d’une capacité d’action stratégique et est à même de jouer un rôle dans le changement social. C’est dans cette perspective que Touraine analyse la transformation du rôle des syndicats depuis la Première Guerre Mondiale jusqu’à nos jours. Le syndicalisme serait passé d’une posture politique purement défensive organisée autour d’intérêts spécifiques à une dynamique de mouvement social impliquant une prise en compte plus large des phénomènes économiques et sociaux.

Occupant une nouvelle fonction dans les prises de décisions économiques avec la mise en place du régime fordiste, les syndicats deviennent alors des acteurs historiques. Le mouvement ouvrier devient le mouvement social central de la société industrielle engagé dans la lutte des classes opposant les ouvrier.ère.x.s aux propriétaires des moyens de production. Les organisations syndicales remplissent dès lors une double fonction : celle de codécisionnaire dans la mise en place de politiques économiques et celle de force d’opposition révolutionnaire portant les revendications du monde ouvrier. Pour Touraine, l’orientation de la politique syndicale dépendra du plus ou moins grand investissement des syndicats dans les prises de décision économiques mais également de la structure interne des organisations syndicales (Milly et Delas, 2015).

L’auteur présente une typologie des syndicalismes correspondant au rôle tenu par les syndicats dans diverses sociétés en différenciant le syndicalisme d’opposition, le syndicalisme de contrôle et le syndicalisme associé au pouvoir (Touraine, 1962, cité dans Noiseux, 2008).

Le syndicalisme associé au pouvoir est une forme de syndicalisme entièrement subordonnée à un projet politique que l’on retrouve avec les syndicats existant en URSS au cours du 20ème siècle. Sous cette forme, le syndicalisme ne laisse aucune place aux autres formes que sont le syndicalisme d’opposition et le syndicalisme de contrôle. Le syndicalisme d’opposition se caractérise par une posture révolutionnaire dans une situation où la classe ouvrière est en position de faiblesse. Les actions syndicales s’engagent dans une lutte quotidienne hostile aux

(27)

compromis politiques et adoptant une vision englobante et révolutionnaire de la société. Ce n’est qu’avec le renforcement de la classe ouvrière et les conquêtes de garanties d’acquis sociaux que les sphères politiques et syndicales tendent à se rejoindre et mènent à l’abandon progressif de la posture révolutionnaire. Dans la société industrielle et avec les transformations économiques et sociales que cette dernière a entrainées, le syndicalisme d’opposition est progressivement délaissé en faveur d’un syndicalisme de contrôle accordant la priorité à la participation des syndicats dans la gestion du système économique. Si les revendications ne prennent alors plus une forme révolutionnaire, le syndicalisme de contrôle ne cesse pas pour autant d’être un mouvement social. Même en acceptant les cadres nationaux et économiques existants, il s’active sur le plan local et national afin de les modifier et continue de porter les revendications des personnes qui occupent les positions les plus précaires au sein du salariat.

N’étant pas complètement détaché de la sphère politique qu’il anime ou soutient, il est cependant indépendant des organisations politiques dans la mesure ou le contrôle de l’emploi et des conditions de rémunérations de la main d’œuvre constitue son domaine d’activité propre.

Les limites du syndicalisme de contrôle reposent alors dans la tendance toujours croissante à assumer une fonction de gestionnaire des relations d’emploi pouvant faire apparaître ce que Touraine nomme des formes de « syndicalisme antisyndical » menaçant l’unité du mouvement ouvrier (Noiseux, 2008).

Dans la suite de ses travaux, l’auteur présente ce qu’il considère être la fin du mouvement ouvrier lorsque, sous l’effet de l’hétérogénéisation du salariat, l’unification du mouvement ouvrier est compromise par l’affaiblissement de la conscience ouvrière (ou principe d’identité).

Le mouvement ouvrier cesse dès lors d’être le principal moteur de la transformation sociale et cède sa place aux nouveaux mouvements sociaux (écologistes, féministes, pacifistes, etc.) centrés sur d’autre enjeux sociaux que le travail et l’économie. Dans ce contexte, le rôle du syndicalisme est transformé et est amené à assumer une fonction de plus en plus politique en s’associant notamment aux partis socio-démocrates. Si le renforcement du rôle politique des organisations syndicales ne signifie pas un affaiblissement des luttes syndicales, le syndicalisme cesse cependant d’occuper une place centrale dans la conflictualité sociale et d’être l’acteur principal du changement social. Soulignons encore que selon Touraine, s’ils souhaitent conserver une pertinence en tant qu’acteur de la transformation sociale, les syndicats doivent dépasser les actions centrées sur la défense des acquis sociaux et se profiler sur d’autres enjeux afin de créer des alliances avec les nouveaux mouvements sociaux (Vaillancourt, 1991, cité dans Noiseux, 2008).

(28)

Alain Touraine propose d’une certaine manière une perspective évolutionniste du syndicalisme semblable aux théories de la maturation du syndicalisme que nous avons déjà abordées plus haut. Dans le passage à la société post-industrielle, le rôle des syndicats est amené à se transformer pour se rapprocher de plus en plus de la sphère politique, cessant dès lors d’être un vecteur du changement social (Noiseux, 2008).

Nous serons amenés à nuancer ce constat dans la section suivante où nous passerons en revue la littérature s’intéressant dès la fin des années 1990 aux formes de renouveau (ou revitalisation) du syndicalisme. Dans cette littérature, l’importance du rôle joué par les syndicats dans les processus de mobilisations et d’organisations de travailleureuses ainsi que les nouvelles pratiques syndicales tendent à réaffirmer la capacité de ces derniers à se profiler comme de véritables acteurices du changement social dans les sociétés contemporaines.

2.2. Les variétés du syndicalisme : de la crise à la théorie du renouveau syndical

Le syndicalisme est généralement considéré comme étant entré en crise depuis la fin des années 1980. La référence à la crise du syndicalisme s’exprime d’ailleurs moins comme la conséquence d’un événement soudain que par un processus continu d’affaiblissement des syndicats, traduit notamment par une baisse tendancielle des taux de syndicalisation. Le nombre de personnes syndiquées parmi l’ensemble des travailleureuses ne cesse en effet de décroître depuis les années 1990. Selon l’Organisation internationale du travail (ci-après : OIT), le taux mondial de syndicalisation, soit le nombre de personnes syndiquées par rapport à la population active globale, s’élevait à 36% en 1990 contre un taux de 18% en 2016. Cette tendance généralisée à la désyndicalisation connaît toutefois des exceptions au niveau régional, notamment en Afrique du Nord et en Amérique du Sud où les syndicats semblent afficher une résistance à la baisse du nombre d’adhérent.e.x.s (Visser, 2019).

Si les indicateurs quantitatifs d’adhésion ne sont pas dénués d’importance - notamment parce qu’ils sont fréquemment mobilisés par les organisations syndicales elles-mêmes - ils ne sauraient résumer à eux seuls la complexité des transformations et des tendances ayant traversé le syndicalisme depuis la fin des Trente Glorieuses. Ces transformations ont également été accompagnées d’un renouveau des théories du syndicalisme. Dans le chapitre qui suit, nous présenterons brièvement les théories récentes adoptant une approche comparative des syndicalismes avant de nous concentrer sur les théories du renouveau syndical. En mettant l’accent sur la capacité d’action stratégique des organisations syndicales, cette littérature passe

(29)

en revue les réponses apportées par ces dernières aux différents défis rencontrés depuis la fin des années 1970.

2.2.1 Des variétés de capitalismes aux variétés de syndicalismes

En économie politique, une littérature institutionnaliste domine la production académique notamment du fait de la prolifération de travaux appartenant au courant des variétés du capitalisme qui se développe dès le début des années 2000. Ce courant influencera fortement la littérature s’intéressant au phénomène syndical. Le courant des variétés du capitalisme cherche à analyser, à travers l’étude comparative des différents contextes nationaux, les mécanismes de régulation des marchés qui composent les capitalismes contemporains. Les travaux pionniers de Hall et Soskice (2001, cité dans Bernaciak, Gumbrell-McCormick, et al., 2014) aboutissaient à une classification dichotomique des économies de marché occidentales entre les économies libérales de marché et les économies de marché coordonnées représentées respectivement par les modèles états-uniens et allemand. Ces deux modèles sont ainsi compris comme des idéaux- types se distinguant par des configurations spécifiques (et mutuellement exclusives) d’arrangements institutionnels déterminant le type de régulation des marchés constituant les économies capitalistes. Selon Hall et Soskice, c’est d’ailleurs autour de ces idéaux-types que les économies occidentales seraient amenées à converger sous l’effet d’une homogénéisation progressive des formes institutionnelles autour de ces deux modèles. Par la suite, de nombreux travaux ont cherché à affiner cette analyse en complexifiant les modèles originaux par l’ajout de variables telles que l’intervention étatique dans la régulation économique. Ils auront pour conséquences la remise en cause de la thèse de la convergence proposée par Hall et Soskice et la proposition de typologies plus élaborées (Bernaciak, Gumbrell-McCormick, et al., 2014). La perspective comparative mobilisée dans ces travaux a fortement influencé la littérature des relations industrielles amenant les chercheureuses de ce champ à développer des typologies des différents régimes de relations industrielles des pays occidentaux. C’est notamment le travail réalisé par Magdalena Bernaciak, Rebecca Gumbrell-McCormick and Richard Hyman dans leur ouvrage (2014). Les auteurices présentent une classification des régimes européens de relations industrielles en quatre catégories distinctes. Iels mobilisent des éléments tels que le degré d’institutionnalisation des négociations collectives, les taux de syndicalisation et de couverture, les divisions idéologiques traversant le mouvement syndical ou encore les relations entretenues entres les syndicats et les partis politiques et l’État (Bernaciak, Gumbrell- McCormick, et al., 2014).

(30)

La première catégorie est celle des pays nordiques, centrée notamment sur l’étude de la Suède, du Danemark, de la Norvège et de la Finlande. Ces pays possèdent généralement des systèmes de relations industrielles fortement institutionnalisés comprenant des organisations représentants tant bien les intérêts des travailleureuses que des employeureuses. Dans ces systèmes, il existe une division des organisations syndicales spécialisées dans la représentation des différents types d’emplois (ouvriers vs cols blancs) plutôt qu’autour de différences idéologiques. Ces pays possèdent d’ailleurs les plus forts taux de syndicalisation européens notamment du fait de l’existence dans la quasi-totalité de ces pays du système de Gand. Ce système délègue la gestion de l’assurance-chômage volontaire et le versement des prestations aux salarié.e.x.s aux syndicats tout en garantissant son financement par des subventions étatiques proportionnelles aux dépenses des organisations syndicales. Les travailleureuses étant amené.e.x.s à adhérer à un syndicat afin de toucher les prestations de l’assurance, ce système représente une forte incitation à la syndicalisation. Finalement, la forte présence des partis socio-démocrates dans les gouvernements a mené au développement d’un État social de type égalitariste dans la plupart des pays nordiques (ibid.).

La deuxième catégorie comprenant l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, les Pays-Bas et la Belgique est regroupée sous l’appellation « groupe central ». Dans ces pays, il existe généralement de fortes traditions de négociations collectives, la plupart du temps insérées dans les mécanismes d’institutions tripartites. Si les taux de syndicalisation dans ces pays sont généralement bas, la généralisation des négociations collectives dans les différents secteurs de l’économie ainsi que les mécanismes d’extension législative des accords collectifs assurent un taux de couverture de la main d’œuvre plutôt élevé. L’État social est en général construit sur les principes Bismarckien et s’éloigne du modèle égalitariste des pays nordiques. Les systèmes de gouvernement de coalitions, dominant la plupart des formes politiques des pays du groupe central, renforcent le rôle de partenaire social accordé aux organisations syndicales impliquées dans de nombreuses étapes de l’élaboration de politiques publiques (ibid.).

Dans la troisième catégorie labellisée « pays du sud », on retrouve la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Dans ces pays où l’historique du mouvement social a été marqué par une forte présence communiste, les relations industrielles sont généralement de type conflictuel.

Dans cette configuration, une faible importance est accordée aux négociations collectives dans la régulation de l’emploi qui se fonde généralement sur les processus de législation et d’extension. Ces pays présentent ainsi à la fois de faibles taux de syndicalisation et des taux de couverture élevés dans un système où le rôle des organisations syndicales en tant qu’acteurices

Références

Documents relatifs

Dans la démarche déductive, c'est un test a posteriori, qui permet de vérifier la justesse d'une hypothèse ou les performances d'un bâtiment (c'est par exemple le principe

De fait, même si le contexte très structuré dans lequel les interactions ont lieu n'est pas favorable à l'échange libre entre salarié et syndicaliste, dans certaines interactions,

En post-partum, la danse restait présente malgré une incontinence urinaire d'effort chez 5 danseuses. Il incombe notamment au médecin généraliste de prescrire les activités

La politique commerciale de la Mairie de Paris prend en fait plus de sens si on la replace dans le contexte du regain d’attachement et d’intérêt pour l’échelon local,

► Dans la plupart des pays Européens de l'ouest, le trouble commence à y être médiatisé chez les enfants mais plus rarement chez les adultes.. En Amérique et donc aussi au

Dans cette perspective, la doctrine par laquelle Kant fait du souverain bien la fin ultime nécessaire de notre conduite ne paraît pas pouvoir échapper aux

facilite  pas  les  choses

The method was also found to be useful as a part of the procedure for filling in the gaps in the sea level data from the tide gauge stations at the Adriatic coast if