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Les fondements démocratiques de la Constitution

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Les fondements démocratiques de la Constitution

TANQUEREL, Thierry

TANQUEREL, Thierry. Les fondements démocratiques de la Constitution. In: Thürer, Daniel, Aubert, Jean-François et Müller, Jörg Paul. Droit constitutionnel suisse . Zürich : Schulthess, 2001. p. 301-315

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:14374

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de la Constitution

THIERRY T ANQUEREL

Table des matières 1. Introduction

II. Le développement de la démocratie helvétique A. Un développement progressif

B. Le suffrage universel C. La démocratie directe

III. L'avènement démocratique de la Constitution A. L'adoption de la Constitution

B. La révision de la Constitution C. La composition du Constituant IV. Le caractère démocratique des institutions

A. La démocratie représentative B. La démocratie directe V. Démocratie et fédéralisme

A. Des logiques antagonistes?

B. La composition du Conseil des Etats C. L'exigence de la double majorité

D. Les limites démocratiques à l'autonomie constÎturÎonnelle des cantons VI. Le principe démocratique dans l'équilibre constitutionnel

Résumé

No, 1 6 6 7 10 13 13 15 18 21 21

26 36 36 37 38 39 40

La ques(Îon des fonclemems démocratiques de la Constitution peut s'examiner sous trois aspects: la légitimité démocratique de la Constitution elle-même, la manière dont la Constitucion concrétise le principe démocratique et les limites que d'autres principes posem à la démocratie. Préalablement, on peut relever, du point de vue historique, que la démocracie helvétique a connu un développemem par étapes, tant pour la réalisation du suffrage universel que pour l'introduction des instruments de démocratie directe.

La légitimité démocratique de la Constitution est assurée, d'une parc, par le fait que celle-ci a été adoptée par le peuple et par les cantons et, d'autre part, par la possibilité donnée à une fraction du corps électoral d'en proposer la révision, ce qui induit une forme de légitimation continue.

Quant à l'application du principe démocratique dans les institutions, elle se concrétise dans l'élection populaire de l'As~emblée fédérale et dans l'élection parlementaire du Conseil fédéral, complétée par des instruments de démocratie directe, référendum et initative, dont la portée est non seulement juridique, mais imprègne l'ensemble du système politique suisse. Les lacunes de ces instruments ont suscité des proposÎ(Îons de réforme qui n'ont, pour l'instant, pas abouti.

Enfin, l'application du principe démocratique est nuancée par le principe fédéraliste, qui assure une représentation accrue aux électeurs des petits cantons, et par l'équilibre constÎtucÎonnei dans lequel elle s'inscrit vis-à-vis des droits fondamentaux.

1. Introduction

Que la Constitution suisse soit démocratique relève de l'évidence. Est-il encore besoin de revenir sur le fait que la «Constitution fédérale n'a jamais eu à se concevoir autrement que

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§ 18

comme l'avènemem et rexpression de la souveraineté populaire»' et que «la Suisse est une démocratie et fière de l'être»2? Toutefois. analyser les fondements démocratiques de la Constitution ne se résume pas à confirmer ces vérités premières. La démarche implique plutôt de partir d'une définition suffisamment simple du principe démocratique pour exa·

miner de quelle manière ce principe constitue à la fois le critère de légitimité de la Constitution et la valeur première sur laquelle ses Însritu(Ïons sont articulées.

2 Contrairement à la Constimcion de 1874. qui ne comportait pas de disposition générale se référam expressément au principe démocratique', la Constitution du 18 avril 1999 inclut dans son préambule. parmi les objectifs du ConsrÎruanr. le renforcemenr de la démocrarie.

Si cette référence explicite offre un appui textuel au caracrère démocratique de la Constitution, elle ne donne cependant pas la clé de ce qu'il faut comprendre précisémenr par démocratie.

3 La doctrine suisse offre des définitions élaborées de cette notion, vue dans une approche globale du foncrionnement des institutions et prenant en considéracion non seulement ses dimensions fonctionnelles, mais aussi la place qu'elle doit donner à l'autOdétermination des êtres humains comme individus et comme êtres sociaux-4. Dans cene optique. divers modèles de théories démocratiques ont été mis en avant~. Au-delà de sa concrérisation juridique.et institutionnelle, la démocratie helvétique s'inscrit bien dans un vécu polirique et sociologique dont l'idéologie. voire le mythe, ne sont pas absenté.

4 rapproche adoptée ici sera plus étroite, reposant sur la conception de la démocratie politique comme le gouvernement du peuple par le peuple, ce dernier se voyant reconnaître le statut d'organe de l'Etat'. Dans l'exercice de ce statut, le peuple. soit, juridiquement, le corps élec<oral, <st appelé à trancher selon la règle de la majorité complétée par le principe d'égalité des électeurs (<<un homme, une VOiX»)8.

KURT EICHE..~BERCER in Commentaire de la Constirucion fédérale. Introduclion à la Constitution fédérale, nO 97 (cir. Introduction).

ANDREAS AUER, Problèmes fondamentaux de la démocratie suisse, ROS 1984 JI, p. 1-110, p_ 13 (cil.

Problèmes Fondamemaux).

PHILIPPE MASTRONAROI, Der Zweck der Eidgenossenschafr ais Dernokratic:, Essay zu einer schweizeri#

s~hen Dernokratietheorie, ROS 1998 II, p. 317- 413, p. 322 (cir. Zweck).

4\ JCRG~PAUL MüLLER, Demokratische Gerechtigkeit, Munich 1993, p. 16.

MASTRONARDI, Zweck (noie 3) p. 325 ss; ID., Demokratietheoretische Modelle - praktisch genUlzt, AlPI PlA 1998, p. 383·394 (cie. Moddle); voir aussi les modèles exposés par PIERRE TSCHANNEN, Srimmrecht und politische Verscandigung, Bâle/Francfort-sur-Ie-Main 1995. p. 240 ss et RE..~E RHINOW, Grundpro- bleme der schweizerischen Dc:mokracie, RDS 1984 Il, p. 111-273, p. 137 ss (cil. Grundprobleme).

AUER, Problèmes fondamentaux (note 2), p. 63 S5; RENE RHINOW, Die schweizerische Oemokrarie im Wandel, Recht 2000, Sondernummer, p. 129#137, p. 129 (cie. Demokratie).

A. .... oREASAuERlGIORGIO MAUNVERNI/M1CHEL HOïTELlER, Droit constitutionnel suisse, vol. I. Berne 2000,

nO 560-561; EICHENBERGER, Introduction (nore 1), nO> 98; lEAN-FRANÇ01S AUBERT, Traité de droie constitutionnel suisse, Neuchâtel 1967, n° 1043 5S (cit. Traité).

AUER/MALINVERNl/HOTTELlER (note 7), nn 596; TSCHANNEN (note 5), p. 206; WALTER HALURiALFRED KOLZ, A11gemeines Staamecht, Bâle/Genève/Munich 1999, p. 68 et 70; RH1NOW, Grundprobleme (note 5), p. 249-250; le principe d'égaliu! d'influence du voce a notamment été rappelé par la jurisprudence du Tribunal fédéral quant il s'est prononcé sur l'admissibilité de quotas de représentation des femmes, ATF

\231\52, \7\/172.

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Partant de cette définition conventionnelle de la démocratie, qui serait évidemment 5 aujourd'hui trop restrictive d'un point de vue socia-politique', il est possible, après avoir très brièvement rappelé les étapes du développement de la démocratie helvétique, d'examiner

da~ls quelle mesure la Consütution est eUe-méme démocratiquement fondée ct comment elle concrétise le principe démocratique dans les institutions qu'elle mer en place.

II. Le développement de la démocratie helvétique

A. Un développement progressif

La Suisse est parfois qualifiée, avec complaisance, de «plus vieille démocratie du mondc),IO. 6 Mais la démocratie helvétique, fondée sur le suffage universel ct les droits populaires, à savoir des Însnumenrs puissants de démocratie direcœ, ne vient pas du fond des âges comme l'héritage précieux d>un descin unique. Elle a une histoirell, relacivement réceme. Cerres, l'ancienne Confécléraüon connaissait, à travers la Landsgemeinde des cancons momagnards, le référendum aux Grisons, ou encore le système corporatif de certains camons urbains, des inscÏtutions garantissant une participation des citoyens à la vie politique que l'on aurait eu de la peine à trouver ailleurs12, mais qui, en raison de la limitacion du cercle desdits citoyens.

restaiem plus aristocralÎques que démocratiques13, Ainsi, à la veille de l'avènement de l'Etar fédéral, en 1848, ni le suffrage universel, ni les instruments de démocraüe directe ne constituaient des acquis.

B. Le suffrage universel

Réservant le droit de voce aux citoyens de la commune, aux membres de la corporation, 7 voire a~ patriciens, et excluant notamment les habitants des pays sujets, les règles régissant le droit de vote dans l'ancienne Confédérationl4 étaient loin du suffrage universel et égal.

Brièvement introduit par la Constitution de la Républlque helvétique. en 17981s, celui-ci reculera sous le régime de l'Acte de Médiation, puis sous celui du Pacte fédéral de 1815". La régénération, dès 1830, devait à nouveau le faire progresser dans les canrons17

, Voir no{ammenc, pour une réflexion sur la démocratie dépassant le cadre ératique, DANIEL THORER, Demokratieprinzip: innerstaadiche, europaisçhc und globale Aspekte. in: SllVIO BORNER/HANS RENTSCH, Wieviel direkce Demokratie vendigt die Schweiz.?, Coire /ZurÎch 1997, p. 121-134.

10 Cf. PIERRE GARRONE, Le suffrage universel el égal en Suisse, in: Revue française de droit constiwtionnc:l 10/1992,p.251-267.p.252.

Il RHIt\OW, Demokratie (note 6), p. 129.

IZ GARRONE (note 10), p. 252; voir aussi les contributions relatives à ces diffùemes instllucions in: ANDREAS AUER (éd.), ~s origines de la démocratÎe directe en Suisse, Bâle/Francfon-sur-le-Main 1996.

13 JEAN-FRANÇOIS AUBERT in Commentaire de la Constitution fédérale, Introduction historique, n" 7 (cit.

Introduction).

11 ID.; GARRONE (note 10), p. 252-253; ALFRED KOLZ, Neuere schweizerische Verfassungsgeschichtc, Berne 1992, p. 9 55; THOMAS POLEDNA, Wahlrechrgrundsatze und kamonale Parlamenrswahlen, Zurich 1988, p. 193-194.

15 G"'RRONE (note 10), p. 253; POlEDNA (note 14), p. 194-195.

16 GARRONE (note 10), p. 253; POI.EDNA (note 14), p. 196-197; Kôl, (note 14), p. 186 S5.

17 POLE.oNA (noce 14), p. 199 ss; KOLZ (note 14), p. 322.

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§ 18

8 La Constitution de 1848 consacrera le suffrage universel masculin au niveau fédéral (art. 63) et dans les cantons, qui pouvaient cependant instaurer un délai d'auente de deux ans pour les Confédérés (art. 42)18, Les femmes étaient cependant privées du droit de vote et les modfs particuliers d'exclusion restaient nombreux". La Constitution de 1874 étendra aux affaires communales le droit à l'égalité électorale des Confédérés et réduira le délai de carence pouvant leur être imposé à trois mois (art. 43 al. 4 et 5). Ce n'est qu'en 1971, après un premier échec en 1959, que le suffrage féminin sera introduit par une révision constitutionnelle approuvée par les électeurs masculins (art. 74 de la Consriturion de 1874, aujourd'hui art.

136 CSc.). Le droit cantonal restait expressément réservé pour les votations et élections cantonales et communales. En 1981, le principe de l'égalité entre hommes et femmes était adopté explicitement (art. 4 al. 2 de la Constitution de 1874). En 1990, le Tribunal fédéral a, sur cette base, contraint, par interprétation conforme de sa Consrimtion, le dernier canton récalcitrant, Appenzell Rhodes-Intérieures, à accorder le droit de vote aux femmes2oSur le plan fédéral. une dernière extension du droit de vote a été réalisée en 1991 avec l'abaissement à 18 ans de l'âge de la majorité civique.

9 Si le suffrage peut être considéré aujourd'hui en Suisse comme universel. au sens usuellement donné à ce terme, le débat sur son élargissement peut encore se poursuivre dans deux directions: d'une part, celle du droit de vore des étrangers. question concrètement abordée ces dernières années dans plusieurs cantons, mais qui pourrait se poser également au niveau fédéral. nocamment en cas d'adhésion de la Suisse à l'Union européenne21; d'autre part, celle d'un nouvel abaissement de la majorité civiquel2

C. La démocratie directe

10 La Constirution de 1848 ne comportait. comme instruments de démocratie directe, que le référendum constitutionnel, qui était également imposé aux cantons, et l'initiative pour la révision de la Constitution. La Constitution de 1874 a repris ces institutions en les complétant par celle du référendum facultatif législatif (art. 89 al. 2). C'était un pas important, mais on était encore loin du développement actuel de la démocratie directe. Celui-ci allait progresser, par étapes, tout au long de la vie de la Constitution de 1874.

Il Ce fur d'abord. en 1891,Ia réforme de l'initiative constiturionnelle avec la distinction entre révision totale et révision partielle de la Constitution. Puis, en 1921, l'introduction du référendum en matière de traités internationaux. En 1949, fut institué le référendum abrogatOire pour les arrêtés fédéraux urgents. Ces deux dernières réformes ont, au demeu- rant, découlé de l'acceptaüon d'initiatives populaires. Les modalités du référendum en matière de traités internationaux ont été affinées en 1977. La même année, le peuple et les cancans ont accepté une augmentation du nombre de signatures requis pour l'aboutissement d'une

18 AUSERT, Introduction (note 13), n° 129 et 136.

1') GARRONE (oore 10), p. 254.

" ATF 1161.359.

En effer, il y aurait alors lieu d'intégrer dans le droit fédéral les droits politiques des citoyens de l'Union non ressortissants suisses en ce qui concerne les élections municipales er l'élection au Parlement européen (an. 8 B du Traité sur l'Union européenne).

n Une motion en ce sens de la Commission des institutions politiques du Conseil national a été rejetée par ce dernier le 6 mai 2000, mais le sujet n'est pas pour autant définitivement éliminé du débat politique.

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demande de référendum et d'une initiative populaire à respectivement 50'000 et 100'000.

En 1987, fut admise la possibilité du double oui en cas de votation sur une initiative et un contre-projet. On peut ainsi définir, dans l'évolution de la démocratie directe, une période de développement proprement dit, jusqu'en .1949, suivie d'une période où seuls des ajustements sont intervenus.

Il convient aussi de relever que de nombreux développements potentiels ont été repoussés 12 par le Constituant - comme l'introduction du référendum financier et administratiP3, celle de l'initiative législative24 ou l'inscription dans la Constitution de délais stricts pour le traitement des initiacives2S - ou par le Parlement, comme la réforme des droits populaires proposée en 1996 par le Conseil fédéral".

III. I:avènement démocratique de la Constitution A. r;

adoption de la Constitution

La Constitution fédérale du 18 avril 1999 porte cette date parce que c'est ce jour-là que le 13 corps électoral suisse. pris dans son ensemble et en même temps considéré par cantons, l'a approuvée27. Elle avait été soumise à un tel sCfmin en vertu de l'art. 123 de la Constitution du 29 mai 1874, dont elle constituait une révision totale. Conformément à l'art. 74 al. 2 de la Constitution de 1874, ont pu se prononcer sur le nouveau texte tous les Suisses et les Suissesses âgés de 18 ans révolus qui n'étaient pas privés des droits politiques pour des raisons légales particulières. La légitimation démocratique de la Constitution actuelle, sous l'angle de son adoption, ne fait donc aucun doute: elle a été approuvée, au suffrage universel, par une majorité du peuple suisse, ainsi que par une majorité de cantons, ou, plus précisément, par une majorité du corps électoral dans une majorité de cantons. Le préambule de la Constitution le souligne d'ailleurs: la Constitution est arrêtée par le peuple et les cantons suissesZ8

On peut relever, au passage, que les règles appliquées pour

r

adoption de la Constitution 14 actuelle avaient été en leur temps adoptées par un corps électoral composé uniquement d'hommes. Ledit corps électoral avait reçu cette compétence de la Constitution précédente, du 12 septembre 1848, qui avait été formellement ratifiée par les cantons et non directement par le peuple29, même si, en pratique, la plupart des cantons avaient procédé à un scrutin

23 En matière de conçessions hydrauliques (1956), de routes nationales (1978), d'installations atomiques (1979), de dépenses militaires (1987), toutes propositions résultant d'initiatives populaires.

24 En 1961, suite à une initiative populaire.

25 En 2000, suite à une initiative populaire.

26 Infra 35.

27 Par 969'310 oui (59,2%) contre 669'158 non (40,8%), avec 12 cantons et 2 demi-cantons favorables contre 8 cantons et 4 demi-cantons opposés (FF 19995306-5307).

28 La Constitution de 1874 indiquait qu'elle avait été adoptée «par la Confédération». Le Conseil fédéral a considéré, avec raison, que la formulation actuelle montre mieux l'origine et la légitimité de la Confédération, Message relatif à une nouvelle constitution fédérale, du 20 novembre 1996, FF 1997 1 1-653,125 (cit. Message).

29 ANDREAS AUER, I.:adoption et la révision des constitutions: de quelques vérités malmenées par les faits, in:

ROLAND BIEBER/PIERRE WIDMER (éd.), Lespace constitutionnel européen, Zurich 1995, p. 287.

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§ 18

populaire à ce sujer30On ne peut donc retracer une filiation démocratique parfaite de la Constitution actuelle. Cette situation est normale et inévitable, car, en remontant l'arbre généalogique d'une constitution, on atteint toujours, tôt ou tard. une rupture avec un ordre constitutionnel précédent. Elle n'a, au demeurant, plus d'importance, du point de vue de la_

légitimation de la Constitution, du moment que l'approbation démocratique du texte actuel·

est incontestable.

B. La révision de la Constitution

15 S'agissant de la révision de la Constitution, le principe démocratique intervient d'~n double point de vue. Il implique d'abord que ce que le peuple a approuvé démocratiquement ne puisse être modifié sans son accord. Il exige ensuite que la Constitution puisse être révisée lorsque sa légitimité originelle s'est épuisée en raison de changements des circonstances.

16 Le premier point signifie simplement que la Constitution démocratiquement approuvée ne peut être révisée que démocratiquement. Cela n'implique pas toujours et partout un strict parallélisme des formes: en France, la Constitution de la Ve République, approuvée par référendum le 28 septembre 1958, peut notamment être révisée par l'Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès, sans participation directe du corps élecroral. A cet égard, la Constitution fédérale du 18 avril 1999, à l'instar de celle de 1874, est plus exigeante: une révision de la Constitution, totale ou partielle, ne peut entrer en vigueur que si le peuple et les cantons l'ont acceptée (art. 195, voir aussi art. 140 al. 1 let. a). La garantie d'une approbation populaire de toute révision constitutionnelle est donc stricte.

17 Quant au second point, il tient compte du fait que le corps électoral peut changer d'avis, parce que sa composition même change au fil du temps et parce que les circonstances ou les conceptions qui justifiaient certaines solutions constitutionnelles ont évolué. La légitimation liée à l'approbation démocratique de la Constitution n'est pas éternelle. La possibilité d'une révision de la Constitution est ainsi un moyen de renouvellement de cette légitimité. -'La Constitution fédérale se caractérise, sur ce plan, par une grande souplesse. L'initiative de la révision, partielle ou totale, de la Constitution n'appartient pas seulement, comme dans la plupart des pays, aux organes politiques élus, mais aussi à un groupe de 100'000 citoyens et citoyennes ayant signé une demande en ce sens (art. 138, 139, 193 al. 1 et 194 al. 1). Quant à l'objet de la révision, il est presque totalement libre. Seules les règles impératives du droit international peuvent le limiter (art. 139 al. 3). Il n'existe, en revanche, pas de limites matérielles autonomes à la révisibilité de la Constitution31I.:exigence de la double majorité - du peuple et des cantons - pour l'approbation de toute révision constitutionnelle constitue certes une concession du principe démocratique au principe fédéraliste, et nous y reviendrons.

Il faut simplement relever ici que cette exigence n'a pas, en pratique, l'effet de blocage que certains lui ont prêté32Sur le nombre très élevé de référendums constitutionnels intervenus

30 AUBERT, Traité (note 7), n° 67 et 68; K6lZ (note 14), p. 608 ss; ANDREAS AUER, Le référendum constitutionnel, in: A.."JDREAS AUER (éd.), Les origines de la démocratie directe en Suisse, Bâle et Franc- fort-sur-le-Main 1996, p. 79-101, p. 95-96 .

.'Il AUERlMAUNVERNr/HoTTEUER (note 7), n° 1368 ss.

32 Cf. notamment RAIMUND GERMANN, Pour une Constitmion fédérale IIEuro-compatible>l, RDS 1990 l, p. 1-16, p. 10; ID., Die Europatauglichkeit der direktdemokratischen Insrttutionen der Schweiz, in:

Démocratie directe - Annuaire suisse de science politique 31/1991, p. 257-269, p. 262 ss; WOLF LIN-

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sous l'empire des Constitutions de 18743) ec 199934, l'avis majoritaire du peuple n'a été privé d'effet, par J'absence d'une majorité acceptante des cantons, qu'à huit reprises35 . Si certaines réformes constitucionnelles importantes ont échoué devant le peuple ou font l'objet de sempiternels reports, les raisons en sont, à notre avis, politiques et non institutionnelles.

Il est ainsi permis d'affirmer que la fréquence avec laquelle le peuple suisse est appelé à se prononcer sur le coorenu de la Constitution et la faculté qu'il possède d'influencer lui~

même cette fréquence ainsi que le choix des questions posées induisent un processus cominu de légitimation démocratique de cerre Constitution.

C. La composition du Constituant

Le Constituant de 1999, comme celui appelé à se prononcer sur d)évenruelles révisions 18 constitutionnelles, comporte deux composantes, le peuple et les canrons suisses.

Le peuple est rout simplement le corps électoral suisse dans son ensemble. Il comprend 19 aujourd'hui les femmes. On peut donc parler véritablement de suffrage universel. Mais on sait qu'il n'en a pas toujours été ainsi. En 1971, c'est un peuple exclusivement masculin qui a g~néreusement octroyé le droit de vQ(e aux femmes. D'un point de vue juridique formel, la démarche était irréprochable. Du point de vue de la légitimation démocratique, on pourrait se demander ce qui fondait, il y a moins de trente ans, le droit exclusif des hommes d'accueillir Ou non les femmes dans le peuple suisse. La question ne revêt, il est vrai, plus qu'un intérêt théorique36

Quant aux cantons, ils SOnt désignés comme parties intégrantes du Constituant. [approbation 20 d'une majorité d'entre eux est nécessaire pour toute révision de la Constitution, les anciens demi-cantons disposant d'une demi-voix, les cantons d'une voix quelle que soit leur population. Cette composante fédéraliste, complétant la composante démocratique du Constituant, est cependant limitée d'un double point de vue. D'une part, la majorité exigée est simple. Ni l'unanimité, qui prévaut par exemple pour les modifications des traités fondateurs de l'Union européenne, ni une majorité qualifiée, comme celle des trois quarts des Etats exigée pour réviser la Constitution des Etats-Unis, ne sont nécessaic(:s. D'autre part, les cantons n(: som pas libres de dérerminer comment ils vont exprimer leur voix. I.:a((.

142 al. 3 Csr. (qui reprend l'art. 123 al. 3 de 1874) ptévoi, que le tésultat du vote populaire d'un canton représente la voix de celui-ci. Le principe démocratique est ainsi, d'une certaine manière, réintroduit dans un mécanisme typiquement fédéraliste.

DER, Schweizerische Demokratie, Berne/Stuttgart/Vienne 1999, p. 18055; contra THIERRyTANQUEREL, La Suisse doit-elle choisir entre l'Europe et la démocratie directe?, RDS 1991 l, p. 187-220, p. 210 S5.

H Soit 334 (non compris le vote du 18 avril 1999), cf. AUERiMALINVERNI/HoITELIER (note 7), nQ 756.

l~ Soit déjà 8 dans les neuf mois qui ont suivi son entrée en vigueur.

}S LINDER (nole 32), p. 180.

3G Mais die s'est encore posée, il n'y a pas si longtemps. à propos de l'octroi du droit de vote aux citoyennes d'Appenzell-Rhodes imérieures.ATF 116 la 359.

(9)

§ 18

IV.

Le caractère démocratique des institutions A. La démocratie représentative

1. I:Assembléc fédérale

21 Selon l'art. 148 al. 1 Cse., l'Assemblée fédérale est l'autorité suprême de la Confédération, sous réserve des droits du peuple et des cantons. Le texte constÎtutionneilui-même rappelle ainsi que, nonobstant la portée indéniable des instruments de démocratie directe, le régime politique suisse repose sur une forte composante représentative. l'un des fondements démocratiques essentiels de la Constitution est donc l'élection des membres de l'Assemblée fédérale au suffrage universel. Ceme légitimation démocratique de l'Assemblée fédérale est d'ailleurs le motif avancé pour justifier la prééminence que lui donne l'arr. 148 al. 1".

22 L:élection des membres du Conseil national se fait, en vertu de l'arr. 149 al. 2 à 4 Cst., au suffrage direct, selon le système proportionnel, dans des circonscriptions cantonales désignant un nombre de dépurés proportionnel à leur popularion. Le système électoral choisi privilégie donc le reflet le plus exact possible des préférences des électeurs, ce qui est encore renforcé par la loi électorale, qui exclut les listes bloquées en permettant le panachage, le latoisage et même le cumul des candidats. Quels que soient ses mérites ou ses défauts sur le plan du fonctionnement des institutions, son caractère démocratique est incontestable.

23 En ce qui concerne le Conseil des Erats, l'art. 150 al. 3 Cst. laisse aux cantons le soin de définir les règles d'élecrion. Le droir fédéral n'impose donc pas aux cantons de prévoir une élection des conseillers aux Etats au suffrage direct. Il fut un temps où plusieurs cantons confiaient à leur parlemenr le soin de désigner leurs représentants au Conseil des Etats.

Depuis 1977, tous les cantons connaissent une élection directe. qui se déroule au système majoritaire sauf dans le canton du Jura. La légitimation démocratique directe de l'ensemble de l'Assemblée fédérale est donc bien une réalité. Elle ne résulte cependant pas, pOlir le Conseil des Etats, de la Constitution fédérale, mais de la convergence, sur ce point, des constitutions cantonales.

2. Le Conseil fédéral

24 Le Conseil fédéral n'est pas élu directement par le peuple, mais par l'Assemblée fédérale, conseils réunis (arr. 157 al. 1 let. a er 175 al. 2 Cst.). Sa légirimation démocratique est donc moindre que celle de l'Assemblée fédérale, parce qu'indirecte. Elle ne fait pas non plus l'objet d'un processus de confirmation continue, comme en régime parlementaire, car le Conseil fédéral, élu pour quarre ans, ne peut être, dans l'intervalle, renversé par le Parlement. Le lien avec le corps électoral est en outre distendu par le mode d'élection lanr du Parlement que du Conseil fédéral, ainsi que par le caractère collégial de ce dernier, qui empêchent l'émergence de dirigeants politiques nationaux appelés quasiment automatiquement à la tête du gouvernement en cas de victoire de leur formation politique. En élisant les parlementaires fédéraux, le corps élecroral indique bien une orientation politique qui se retrouvera dans la

), Message (note 28), p. 384; ULR1CH HAFELIN/W ALTER HALLER. Schweizerisches Bundestaalsrecht, Zurich 1998, n" 149.

(10)

,

~.

§ 18

composition du Conseil fédéral, mais il n'a aucun moyen d'influencer le choix des personnes appelées à y siéger.

Juridiquement. la légitimation démocratique du Conseil fédéral est certes indéniable: li est 25 désigné par un organe lui-même démocratiquement élu par le peuple. Politiquement, eUe pourrait paraître plus faible que celle d'autres gouvernements démocratiques tirant leur mandat d'une élection populaire. La question d'une élection du Conseil fédéral par le peuple revient d'ailleurs périodiquement dans le débat politique. Il n'est cependant nullement cettain que le Conseil fédéral souffre, dans la réalité socio.politique, d'un déficit de représentativité quant à sa capacité d'être reconnu par les citoyens comme le gouvernement légitime de la Confédération38Sur ce point, une modification de son mode de désignation ne changerait sans douce pas grand chose.

B. La démocratie directe ) . Sa place symbolique

Si la démocratie directe, dans son ampleur actuelle, n'a pas été inscrite dès l'origine dans les 26 institutions de l'Etat fédéral suisse, elle en est sans aucun doutt: depuis longtemps la caractérîsdque emblématique. On a pu dire qu'elle était devenue un facteur idemîtaire pour le citoyen suisse et un élément constitutif de l'idée même de l'Etat en Suisse39Limplantation de la démocratie directe dans l'ensemble des cantons confirme cctte tendance. La fonction îdentitaire de la démocratie directe a encore été renforcée ces dernières années par Je débat sur sa compatibilité avec une éventuelle intégration européenne de la Suisse40

La place symbolique - ou, si l'on préfère, idéologique - centrale prise par la démocratie 27 directe parmi les fondements démocratiques de la Consticution ne signfie nullement que son utilisation concrète serait, quant à elle, en veilleuse. Le nombre d'initiatives populaires lancées depuis une trentaine d'années ne cesse d'augmenter. Quant au référendum facultatif.

après une période plus calme qui a suivi l'intégration de tous les grands partis dans le Conseil fédéral en 1958, il a spectaculairement ressuscité dès 197041Enfin, le rythme des révisions constitutionnelles, qui ne se relâche pas, garantit la pérennité active du référendum obligatoire.

La démocratie directe est donc blen vivante non seulement dans les esprits, mais aussi dans les faits.

2. Ses instruments

On peut définir la démocratie directe comme la possibilité pour les citoyens de se prononcer, 28 par un vote, sur des questions concrères, autres que l'éJection de députés ou de gouvernants, sans que cette possibilité ne dépende du bon vouloir des organes élus·n. On parlera de

~ En a sens, KURT EICHENBERGER in Commentaire de la Constitution fédérale, ad arr. 95 aCsr., na 20.

~9 BERNHARD EHRENZEllER, MëgHchkeiren und Grenun der direkten Demokratie, BJM 1999, p. 65-91, p.67.

"'0 Cf. infra 34.

~I AUER/Mou.INvERNI/HoTIELlER (note 7), 768.

~2 ALEXANDER TRECHSEL, Feuerwerk Volksrcchte, Bâle/Genève/Munich 2000, p. 6; AUERIMAuNVERNll H01TELLER (noœ 7), 579 ss.

(11)

§ 18

référendum lorsque l'objet du vote n'esc pas déterminé par les citoyens. d'initiative si une fraction du corps électoral a le pouvoir de soumettre au vote une question qu'elle a elle- même formulée43. Le référendum est obligatOire si un scrutin intervient sans qu'une demande en ce sens ne doive être faite par un groupe de citoyens; il est facultatif lorsqu'un vo(.c populaire n'intervient qu'à la demande d'un certain nombre d'électeurs. La. Constitution fédérale connaît aussi bien l'initiative que le référendum, sans toutefois les aménager de façon symétrique. Ces instruments de démocratie directe sont communément désignés sous le terme de droits populaires44

29 L:iniciatÎve populaire permet à 100'000 citoyens

et

citoyennes de proposer la révision totale ou partielle de la Constitution (art. 138 al. 1 et 139 al. 1 Cst.). Elle n'existe donc, formelle- ment, qu'au niveau constitutionnel. En réalité, comme il n'y a pas de limite matérielle infé~

rieure à la révision de la Constitution, son objet est libre, sous résen'e du respect du droit international impératif (arc 139 al, 3 Csc). Une initiative populaire peut donc même porter sur un objet qui est en fait, de nature administra[Îve4s ,

30 Quant au référendum, il est, on l'a vu, obIlgacoire en matière constÎtutionnelJe (art. 140 al. 1 le[. a et c et al. 2 Cs[.). Tel est également le cas s'agissant de l'adhésion à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales. Le référendum est facultatif, à la demande de 50'000 citoyens, pour les lois fédérales (à l'excep[ion des lois urgentes valables moins d'un an, art. 141Ie[. a e[ b Cst.), ainsi que certains arrêtés fédéraux (art. 141 al. 1 let. c Cst.) et traités intemationaux (art. 141 al. Ile<. d e[ al. 2 Cst.). Le référendum existe donc de manière générale en matière conscitutÎonnelle, législative et pour certaines catégories de traités, mais seulement dans des cas strictement délimités par la loi ou la Constitution en

matière administrative.

3. Sa portée

31 Ce qui vient d'être décrit ne constitue à l'évidence pas un modèle de démocratie directe pure et complète, si tant est qu'un tel modèle puisse être approché. La démocratie suisse, considérée dans son ensemble, est une démocratie représentative dans laquelle SOnt insérés des instru~

mencs de démocratie direcre. Ces instruments ne couvrent cependant pas la [Qcalité du champ politique et ils interviennent dans un processus de décision qui laisse une large place à l'action des o[ganes représentatifs. Pour qu'un référendum aü lieu, il faut bien que l'Assemblée fédérale ait adopté un acte qui lui est soumis. Et lorsqu'une initiative a aboJ.!.ti. c'est encore à l'Assemblée fédérale qu'il convient prioritairement de se prononcer. sur sa recevabilité juridique, sur son bien-fondé politique, ainsi que sur l'opportunité de lui opposer un contre-projet. Ce système a parfois été désigné comme une démocratie «semi-directe», expression que la doctrine considère en général comme insatisfaisame"6. A vrai dire. il n'est sans doute pas nécessaire de

H TRECHSEL (note 42), p, 7-8,

4~ Voir, par exemple, Message (note 28), p. 444 ss, qui traÎte de la réforme des droits populaires.

45 C'était notamment Je cas, du moins dans certaines de leurs dispositions, de l'initiative visant à empécher l'achat d'avions de combat FIA 18 (1<Pour une Suisse sans nouveaux avions de combat», FF 1992 VI 432) et de celle combattant la construction de la place militaire de Rothenthurm (I/Pour la protection des

marais~, FF 19831886).

4G Cf. notamment AUF.R/MALINvERNI/HOlTF.uER (note 7), n" 580; EHRENZELLER (nore 39), p. 74; RrlINOW,

Grundprobkme (note 5). p. 199-200, préfère parler de démocratie représemative imprégnée d'éléments plébiscitaires.

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§ 18 qualifier d'un mot le système suisse pour souligner sa nature mixte et le fait que la portée de la démocratie directe helvétique ne peut s'évaluer qu'en relation avec les autres institutions, organes ou principes posés par la Constitution.

Les instruments de démocratie directe ont d'abord une portée juridique lorsqu'ils sont utilisés 32 avec succès. Lorsqu'un projet législatif est refusé suite à une demande de référendum, il n'entre tout simplement pas en vigueur. C'est arrivé à 69 reprises entre 1974 et juin 2000.

Lorsqu'une initiative populaire est acceptée, ce qui est relativement rare, le texte qu'elle propose est inscrit dans la Constitution: tel a été le cas en 1994, pour la dernière fois, de l'actuel art. 84 Cst. sur le transit alpin,

Mais il est notoire que les instruments de démocratie directe conservent une portée même 33 lorsqu'ils ne sont pas utilisés ou lorsque leur emploi conduit formellement à un échec. Cette portée méta-juridique du référendum et de l'initiative a sans doute été parfois exagérée, Il n'est pas sûr que le référendum, obligatoire ou facultatif, soit, parmi les causes de la lenteur du processus de décision politique helvétique, aussi déterminant que le rappel rituel de son effet de frein peur le laisser penser47, D'autre facteurs - sociologiques, culturels ou historico- politiques - sont, à notre sens, sous-estimés. Il n'est pas non plus certain que les instruments de démocratie directe soient la cause sine qua non de l'établissement de la démocratie de concordance caractérisée par la participation de tous les grands partis au gouvernement et la recherche de larges consensus pour les principales décisions politiques48, Leur suppression ne conduirait pas nécessairement à un régime d'alternance de type britannique ou français.

Il n'en reste pas moins vrai que le référendum joue incontestablement un rôle préventif, le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale cherchant en général à désamorcer les éventuelles oppositions qui pourraient se manifester lors d'une votation populaire. On ne peut pas non plus nier que l'initiative populaire est un facteur d'ouverture du débat politique vers des groupes ou des thèmes auxquels le système représentatif préférerait accorder moins d'importance. Plus largement, on doit admettre que les instruments de démocratie directe modifient les processus de légitimation qui résulteraient d'un système purement représentatif et que tous les acteurs du jeu politique sont obligés d'en tenir compte, Dans ce contexte, l'effet intégrateur des droits populaires doit être souligné.

4. Sa réforme

Nonobstant son élévation au rang d'institution quasi-sacrée de notre ordre constitutionnel, 34 la démocratie directe a fait l'objet de débats qui se sont intensifiés ces dernières années. Si sa remise en cause radicale en faveur d'un système représentatif, qui avait eu un certain écho il ya un quart de siècle49, n'a guère refait surface, la critique de ses lacunes et de ses défauts a connu un regain de vigueur, notamment en relation avec le processus de rapprochement de

47 Cf. p. ex. EHRENZELLER (noce 39), p. 79; LINDER (note 32), p. 255 ss; AUBERT, Introduction (note 13), n° 274; AYMO BRUNEITI, Der «Statu Quo~Bias» und die bremsende Wirkung des fakulcativen Referen~

dums, in: SILVIO BORNERiHANS RENTSCH, Wie=:viel dire=:kte De=:mokratie=: vertragt die=: Schwe=:iz?, Coire=:/Zurich 1997, p. l67-l8l.

48 LINDER (noce 32), p. 240; RHINow, DemokratÎe=: (note=: 6), p. 131-132.

19 Voir RAIMUND GERMANN, Politische Innovation und Verfassungsreform, lkrne=: 1975; ID., Konkordanz- oder Konkurrenzdemokracie?, ROS 1977 l, p. 173-186.

(13)

§ lB

la Suisse de l'Union européenne50 et, plus largement, avec J'émergence des concepts de globalisation et de mondialisation. Pour l'essentiel, les critiques émises se sont concentrées sur trois axes. Le premier est celui de la gouvernabiliré: on s'est demandé si les instruments de démocratie directe permettaient encore à la Suisse de prendre à cemps les décisions qui s'imposent dans un monde changeant toujours plus rapidement et, plus spécifiquement, SI la crédibilité et la cohérence de la poliriq ue étrangère helvétique pouvaient être assurées dans ces conditÎons51Le deuxième axe est celui de l'adéquation: les citoyens sont-ils vraiment appelés à se prononcer sur les questions les plus importantes, comme la logique le youdrait?52 Enfin. la troisième démarche a consisté à traquer les «abus» des droits populaires, que certains ont diagnostiqués dans la répétition d'initiatives visant le même but ou dans la rédaction d'initiatives rétroactivesH .

35 Dans le volet de la révision de la Constitution consacré à la réforme des droits populaires, le Conseil fédéral a formulé en 1996 diverses propositions portant notamment sur l'introduction de l'initiative populaire générale et du téférendum facultatif extraordinaire en matière admi~

nÎsttative et financière, de la facuhé de Her rapprobadon d'un traité soumis au référendum et les modifications législatives en découlant, de la possibilité de présenter des \'arianres en cas de révisions constitutionnelles, ainsi que sur l'augmentation du nombre de signatures requis pour l'initiative constitutionnelle et le référendum facultatif>~. Les Chambres Ont refusé d'entrer en matière sur ce projet. Le Conseil des Etats a cependant décidé de donner suite à une initiative parlementaire de sa Commission de révision constitutionnelle visant à l'élaboration d'un nouveau projet destiné à supprimer les carences des droits populaires. Le débat sur la réforme des droits populaires n'est donc pas clos. Le sort réservé par le Parlement au projet du Conseil ("délaI petmet de penser que seules des modifications de détail é<endant ou précisant les modalirés de ces droits sans les restreindre ont une chance raisonnable d'aboutir.

V. Démocratie et fédéralisme

A. Des logiques antagonistes?

36 Dans la mesure où elle prône la participation des citoyens aux décisions publiques la logique démocratique peur se trouver en relation de complémentarité avec la logique fédéraliste, qui

50 Voir, à ce sujet, notamment AsTRID EPINEy/KARlNE SIEGWART (éd.), Direktc Dcmokratie und Europlii- sche Union - Démocratie directe et Union européenne, Fribourg 1998; JEAN-DANIEL DELLEY (éd.), Démocratie directe et politique étrangère en Suisse, Bâle/Genève/Munich 1999; YANNIS PAPADOPOULOS

(éd.), Présent et avenir de la démocratie directe. Genève 1994; PASCAL MAHON/CHRISTOPH MULLER, Adhésion de la Suisse à J'Union européenne et démocratie directe, in: THOMAS COTTIERlALWlN R. KOPSE, Cadhésion de la Suisse à J'Union européenne - Enjeux er conséquences, Zurich 1998, p. 449-485; ainsi que les références citées fupra note 32.

St Message (nore 28), p. 445. Voir aussi GEBHARD KIRCHGASSNER/URS P. FELO/MARCEL R. SAVIOZ, Die direkte Demokrarie, Bâle/Genève/Munich 1999. p. 2 ss et 17 ss.

52 RHINOW, Demokratie (note 6), p. 132-133.

SJ Message (note 28), p. 446.

H Message (note 28). p. 459 ss et 646 ss. Le Conseil féd~ral n'a pas retenu l'introduction du référendum constructif, mais cetee question a ~té néanmoins soumise au vote du peuple et des cantons le 24 septembre 2000, suite à une initative populajre du parti socialiste (FF 1999 2695 et 2000 2030). Celte iniciacive a été nettement rejetée.

(14)

§ 18 tend à réduire la distance entre les citoyens et le niveau de prise de décision. Cependant, sous l'angle de l'égalité du suffrage dans l'application du principe majoritaire, la logique démocratique peut se heurter au principe fédéraliste de l'égalité des entités fédérées dans leurs droies de participation aux procédures de décision fédérales55. La logique démocracique peut aussi conduire à limiter l'autonomie dont bénéficienc les entités fédérées dans Je choix de leur organisation politique. La Constitution suisse n'est pas épargnée par ces tensions.

B.

La

composition du Conseil des Etats

Selon l'art. 150 Cst., chaque canton délègue au Conseil des Etats deux représentants (un 37 seul pour les anciens demi-cantons), quelle que soit sa population. Il en résulte une sur- représentation des petits cantons qui fait qu'un Conseiller aux Etats z.urichois représente beaucoup plus d'électeurs que son homologue uranais. La contradiction avec la logique démocratique pure est d'autant plus flagrante que le Conseil des Elats dispose des mêmes compétences que le Conseil national et que ses rr:tembres, tous élus au suffrage universel dans les différents cantons, VOtent sans instruction (art. 161 al. 1 Cst.). La composition du Conseil des Etats ne conduit donc pas tant à une représemation fédérale des cantons en tant que tels, sur le lYpe du Bundesrat allemand, qu'à une prime d'influence accordée à la majorité électorale dudit canton 56.

C.

I:ex:igence de la double majorité

La double majorité exigée pour les révisions de la Constitution conduit également à donner 38 un poids plus grand, dans les scrucÏns constitutionnels, aux électeurs des petits cantons57

Comme nous l'avons vu, cette distortion fédéraliste du principe majoritaire reste limitée tant dans sa conception que dans ses effets pratiques5HDiverses propositions ont été avancées pour la nuancer davantage, notamment par une certaine pondération des voix des cantons en fonction de leur population59, mais elles ne semblent pas bénéficier d'un relais politique important.

D. Les limites démocratiques à l'autonomie constitutionnelle des cantons

C'est ici la logique démocratique inscrire dans la Constitution fédérale qui vient nuancer le 39 principe fédéraliste de l'autonomie d'organisation des cantons en leur posant quelques exigences minimales. Ceux-ci doivent se donner une constitution démocratique et ils doivent prévoir au moins le référendum obligatoire en matière constitutionnelle, ainsi que l'initiative populaire tendant à la révision totale de la Constitution cantonale (art. 51 al. 1 Cst.)". Ils

'5 LINDER (no[e 32), p. 179.

S6 Sur ce dernier point, cf. TSCHANNEN (note 5), p. 236, voir aussi LINDER (note 32), p. 196. Pour BLAISE K.."JAPP, Le fédéralisme, ROS 1984 II, p. 275-430, p. 311, l'emorse au principe t:un homme une voix»

est ici justifiée par la protection des minorités.

:;7 LINDER (note 32), p. 180, a calculé que la voix d'un èlec[eur uranais valait celle de 31 électeurs zurichois.

51 Supra nO 17 et 20.

5' LINDER (note 32), p. 182-183.

60 AUER/MALINYERNIIHorrELIER (no[e 7), nO 180-181; HAFELIN/HALLER (note 37), nO 244 ss.

(15)

§ 18

doivent. par ailleurs. accorder le droit de vote en madère cantonale et communale aux Confédérés après trois mois d'établisement au plus tard (39 al. 4 Cst.), ils ne peuvent refuser Je droit de VOte aux femmes61 et doivent respecter la garantie fédérale des droits politiques (art. 34 Cst.).

VI. Le principe démocratique dans l'équilibre constitutionnel

40 La Constitution ne se comente pas de jouir d'une forte légicimation démocratique, originaire et continue. Dans son contenu, elle donne une place centrale au principe démocratique.

Limportance des instruments de démocratie directe en est le signe le plus visible.

41 Cette prédominance du principe démocratique se reconnaît également à travers le refus de l'instÎtu(Îon d'un conuôle de constitucionnalité qui permeurait à des juges de refuser d'appli- quer une loi votée par le Parlement, voire par le peuple62, ou encore dans les réticences que peut encore inspirer une application sans réserve du principe de la supériorité du droit incer- national sur le droit interne.

42 Il reste que la Suisse n'est pas seulement une démocratie, mais également un Etat de droit (art. 5 Cst.) et que la Constitution a aussi pour objet la protection des droits fondamentaux.

Démocratie et garantie des droits fondamentaux vont le plus souvent de pair. La seconde est la condition du bon fonctionnement de la premièré3. Les droits politiques constituent eux- mêmes un droit fondemental. Il est enfin certain que seules les démocraties se soucient véritablement des droits de la personne. Mais les droits fondamentaux peuvent aussi, dans certaines circonstances, constituer une limite à l'exercice de la démocratie. Certaines décisions, comme la naturalisation des étrangers, ne se prêtent pas, sous peine d'arbitraire, aux sc'rutins majoritaires. Par ailleurs, les droits fondamentaux posent un~ limite matérielle à la liberté du législateur démocratique, voire à celle du Constituant. Le principe démocratique, tel que nous l'avons défini, n'est donc pas la référence ultime de la Constitution, mais s'inscrit dans l'équilibre des valeurs érabli par celle-ci.

Bibliographie sommaire

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61 Supra nO 8 .

61 Voir en ce qui concerne le débat parlementaire sur la réforme de la justice, BO/eN 1999, p. 1015 55.

63 MOUER (nOie 4), p. 175 $$.

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Références

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