P.-A. Bart
Depuis quelques années, nous vivons une révolution dans le domaine du traitement des maladies inflammatoires, grâce à l’arrivée des médicaments dits «biologiques». Anticorps mo
noclonaux, protéines de fusion, inhibiteurs de cytokines ou cytokines à part entière, ces différents agents ont comme cibles différentes étapes ou mécanismes immunologiques impliqués dans les patholo
gies inflammatoires cliniquement rencontrées en immunologie, en rhumatologie, en gastroentérologie, en néphrologie, en pneumologie, en neurologie ou en mé
decine de transplantation pour la majeure partie, mais aussi en dermatologie, pour ne citer que les principales disciplines qui ont recours à ces substances.
Ces agents biologiques ont grandement modifié l’attitude thérapeutique dans nombre de maladies particulièrement sévères et invalidantes, telles que la ma
ladie de Crohn ou la polyarthrite rhumatoïde. Réservés tout d’abord à des situa
tions de maladies réfractaires, ces médicaments sont passés, pour certains, dans la pratique courante, et sont même parfois utilisés comme traitement de pre
mier choix. Leur tolérance est habituellement bonne, et le fait que leur action soit ciblée et spécifique, et qu’elle mime des mécanismes physiologiques, pour
rait laisser à penser que les répercussions indésirables de ces médicaments sont modestes, voire inexistantes. On sait cependant qu’il n’en est rien : tout le monde se souvient de la malheureuse issue du protocole clinique (dénommé ensuite : Elephant man clinical trial), réalisé en 2006, où l’administration d’un anti
corps antiCD28 avait conduit au développement d’une «tempête cytokinique»
chez les volontaires, menant rapidement à une insuffisance multiorganique.1 Les exemples des conséquences défavorables des agents biologiques sont devenus légion : on reconnaît bien maintenant la nécessité d’exclure une tuber
culose chez des patients à qui l’on projette de donner des anticorps antiTNF ;2 on a suivi avec attention les analyses et investigations consécutives à l’appari
tion de leucoencéphalopathies multifocales progressives (LEMP, ou en anglais, PML : Progressive multifocal leucoencephalopathy), complication infectieuse due au virus JC (polyomavirus) chez des patients ayant reçu un traitement de natalizumab (inhi
biteur des intégrines a4b1 et a4b7), dans un contexte de sclérose en plaques ; complication infectieuse que l’on a par ailleurs également décrite ensuite avec l’utilisation d’autres agents biologiques (comme le rituximab ou l’efalizumab, par exemple).3
Allergy-immunology
Do we have to be afraid of biological agents ?
Biologicals are now fully part of our daily the
rapeutic strategies. However, even if their high specificity seems to induce less risk compa
red to older or classical immunosuppressive drugs, there are not harmless especially re
garding infectious but also immunological and allergic issues. Recent attempts to better characterize the different types of reactions to biologicals should be reported, allowing us better understanding of the risk to maintain these therapies or defining how to improve the methods to use them.
Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 106-7
Les médicaments biologiques (biologicals) font maintenant partie de notre arsenal thérapeutique quasi quotidien. Cepen- dant, même si leur grande spécificité peut faire croire à une plus grande innocuité que les médicaments à visée immuno- logique plus classiques et plus anciens (immunosuppresseurs), ils ne sont pas dénués de tout risque, infectieux en particulier, mais aussi immuno-allergique. Des tentatives récentes en vue de mieux caractériser ces différents types de réactions méri- tent d’être signalées, car elles nous permettent de mieux nous positionner sur les conséquences potentielles de l’utilisation de tel ou tel médicament biologique, sur le risque de mainte- nir ce type de thérapie, ou à l’inverse sur les possibilités de le poursuivre selon des modalités mieux définies.
Allergo-immunologie
2. Faut-il se méfier des agents biologiques ?
nouveautés en médecine 2010
106
Revue Médicale Suisse–
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19 janvier 2011 Dr Pierre-Alexandre BartService d’immunologie et d’allergie CHUV, 1011 Lausanne
pierre-alexandre.bart@chuv.ch
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Ainsi, de par cette utilisation plus large et plus fré
quente, on peut s’attendre à voir apparaître des consé
quences diverses des agents biologiques. De plus en plus, nous sommes sollicités pour avis dans le cadre de réac
tions immunoallergiques liées à leur utilisation, et en par
ticulier suite à l’usage d’infliximab et de rituximab. Il n’est pas toujours facile dans ces cas de distinguer entre une réaction de type allergique (anaphylactique ou anaphylac
toïde) et une réaction à base plus «immunologique». En ce sens, il faut souligner l’excellent travail de notre collègue bâlois le Pr A. Bircher et de son groupe, en vue de mieux caractériser ces réactions.4 En effet, dans leur papier ré
cent, ils proposent une classification en cinq types majeurs de réactions qui permettent de couvrir aussi bien les ef
fets liés à l’action voulue de ces substances (qu’il faut par
fois surveiller de près tout de même !), que les conséquen
ces indésirables, immunologiques ou allergiques. Dès lors, l’utilisation de cette classification est d’un notable secours quand il s’agit de prendre position sur l’origine et le mé
canisme d’un problème survenu durant la perfusion ou l’administration d’une thérapie biologique, ou lui faisant suite. L’identification d’une «déviation immune» – comme l’induction de manifestations proches d’un lupus érythé
mateux systémique, par exemple – consécutive à l’admi
nistration de telle ou telle substance aura des conséquen
ces quant à la poursuite du médicament bien différentes de celles liées à une réaction de type allergique.
etque faireencasderéaction
allergique
?
On a beaucoup parlé ces dernières années de l’impor
tance du développement d’anticorps dirigés contre les anti
TNF. En effet, on a attribué à ces anticorps, au moins en partie, la baisse de l’efficacité de ces substances dans cer
taines pathologies, comme la maladie de Crohn, ou la poly
arthrite rhumatoïde. Mais tout n’est pas encore entière
ment clair, et se pose la question de l’utilisation d’un autre anticorps antiTNF lorsque l’on a observé une baisse d’ef
ficacité du premier.5 En effet l’arrêt d’un médicament sur
vient parfois pour d’autres raisons, du registre cette fois de l’allergie : il peut s’agir de simples réactions cutanées, mais quelquefois aussi de sévères réactions systémiques, IgE
médiées ou non.6 Ce type de réactions a un impact non négligeable car, outre la mise en danger de la vie du pa
tient, il va conduire à la cessation immédiate du traitement, en présence souvent d’une valeur thérapeutique considé
rable ! Ainsi, à la demande de nos confrères gastroentéro
logues et rhumatologues notamment, nous avons considéré certaines demandes de réintroduction d’infliximab ou de rituximab pour des patients chez qui la réaction présentée était très suspecte d’être de type allergique, et où toute autre alternative thérapeutique s’était soldée par un échec.
Des schémas de désensibilisation ont alors été adaptés de la littérature,7,8 et ont permis de réintroduire ces agents biologiques de manière satisfaisante chez la plupart des patients, non sans observer parfois quelques manifesta
tions anaphylactiques, rarement aussi importantes qu’ini
tialement. Reste maintenant à déterminer si l’apparition de ces anticorps, de type IgE ou autres, est aussi corrélée au développement d’autres anticorps responsables de la perte de l’efficacité de la substance. Il est, pour l’heure, encore trop tôt pour le dire…
1 Sandilands GP, Wilson M, Huser C, et al. Were monocytes responsible for initiating the cytokine storm in the TGN1412 clinical trial tragedy ? Clin Exp Immu nol 2010;163:516-27.
2 Lalvani A, Millington KA. Screening for tuberculosis infection prior to initiation of anti-TNF therapy. Auto- imm Rev 2008;8:147-52.
3 * Berger JR. Progressive multifocal leukoence pha lo- pathy and newer biological agents. Drug Safety 2010;33:
969-83.
4 ** Scherer K, Spoerl D, Bircher A. Adverse drugs
reactions to biologics. JDDG 2010;8:411-26.
5 Bartelds GM, Wijbrandts CA, Nurmohamed MT, et al. Anti-infliximab and anti-adalimumab antibodies in relation to response to adalimumab in infliximab swit- chers and anti-tumour necrosis factor naive patients : A cohort study. Ann Rheum Dis 2010;69:817-21.
6 Vultaggio A, Matucci A, Nencini F, et al. Anti- infliximab IgE and non-IgE antibodies and induction of infusion-related severe anaphylactic reactions. Allergy 2010;65:657-61.
7 * Duburque C, Lelong J, Iacob R, et al. Successful
induction of tolerance to infliximab in patients with Crohn’s disease and prior severe infusion reactions.
Aliment Pharmacol Ther 2006;24:851-8.
8 * Castells MC, Tennant NM, Sloane DE, et al.
Hyper sensitivity reactions to chemotherapy : Out co- mes and safety of rapid desensitization in 413 cases. J Allergy Clin Immunol 2008;122:574-80.
* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
Implications pratiques
Les réactions immuno-allergiques liées aux traitements bio- logiques sont de plus en plus souvent rapportées
Il vaut la peine de s’y attarder, car leur classification est dé sormais mieux codifiée, les moyens diagnostiques existent, et les possibilités de poursuivre dans ce contexte de tels traitements aussi
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