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Le mieux peut-il être l’ennemi du bien ?

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Texte intégral

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A propos de l’article : Jaboyedoff M, et al.

Hépatite B et migrants : doit-on mieux faire ? Rev Med Suisse 2014;10:617-21.

Monsieur le rédacteur en chef,

Depuis près de vingt ans, j’accueille à ma con sultation des requérants d’asile et je participe, depuis sa création, au réseau FARMED. L’article «Hépatite B et migrants : doit-on mieux faire ?» de M. Jaboyedoff et collègues a retenu toute mon attention.

Cette étude intéressante permet de con- firmer ce que l’on pouvait suspecter, à sa- voir que 8% des requérants d’asile du can- ton de Vaud sont porteurs de l’AgHBs. Ces résultats sont proches de ceux de Rossi et coll., auteurs d’une méta-analyse récente,1 montrant une séroprévalence de 7,2% en moyenne, avec des taux plus élevés chez les immigrants d’Afrique subsaharienne et de la région Asie-Pacifique respectivement de 10,3 et 11,3%.

Tout au long de l’article, les auteurs uti- lisent en alternance les qualificatifs de mi- grants et requérants alors même que ces deux termes ne sont pas synonymes. Le re- quérant est un migrant particulier et Rossi et coll. différencient à juste titre l’«immi- grant» du «réfugié». Il s’agit là d’une con- fusion qui nuit fortement à la pertinence des conclusions qui s’appliquent aux migrants, mais pas aux requérants d’asile. La grande majorité de requérants vaudois, porteurs de l’AgHBs, sont originaires d’Afrique sub- saharienne (89%). En 2012, le taux global

de reconnaissance des demandes d’asile était de 15,4% (11,7% en 2012).2 Ce taux est certainement beaucoup plus bas chez les requérants, originaires d’Afrique, dont la très grande majorité n’a, aujourd’hui, au- cune perspective d’obtenir un permis de séjour durable. Nombre d’entre eux se re- trouvent en situation précaire, en abris de la protection civile (PC). Il s’agit souvent de patients avec des comorbidités psychia- triques telles que syndrome de stress post- traumatique, troubles anxieux, dont l’ad- hérence aux traitements n’est pas toujours optimale.

L’enfer est, dit-on, pavé de bonne inten- tion. J’ai bien peur que cela soit le cas si l’on devait appliquer à la lettre les propositions faites dans la conclusion. L’hépatite B né- cessite la plupart du temps un traitement long, pour certains patients à «vie», le ris que de développer des résistances est élevé en cas de mauvaise compliance, son coût est important, sous-évalué dans l’article. Il sera certainement souvent bien supérieur aux CHF 13 000.– par an cités dans l’article.

De plus, la transmission peut facilement être prévenue par la vaccination. L’argu- ment de la protection de nouvelles infec- tions dans la population pour justifier un dépistage n’est pas pertinent.

Est-il éthique de poser un diagnostic chez un requérant d’asile après de mul- tiples investigations comprenant le plus souvent une ponction-biopsie du foie, de discuter des complications à long terme et d’un traitement qui ne pourra en aucun

cas être poursuivi dans son pays d’origine alors même qu’il a moins d’une chance sur dix de rester dans notre pays ?

J’ai eu l’occasion de me voir adresser deux patients dépistés depuis le changement de procédure du service infirmier pour requé- rant d’asile. Deux jeunes hommes «NEMs»

(décision de non-entrée en matière pour l’octroi du droit d’asile) qui vivaient dans un abri PC avec l’aide d’urgence. J’ai été frappé par leur détresse, l’angoisse du futur incertain, aggravée par l’annonce de cette maladie asymptomatique. Tous les deux ne sont venus qu’irrégulièrement aux con- sultations et ont disparu sans laisser d’adres- se avant que le bilan puisse être terminé et le traitement débuté.

L’algorithme de dépistage proposé est adapté aux migrants pouvant espérer un séjour de longue durée, ou au bénéfice d’un permis d’établissement. Avant de le pro- poser sans distinction à tout requérant, il serait bon de s’émouvoir des conditions de vie indignes que notre pays impose aux déboutés et de les améliorer.

Dr Cyrille Francillon Médecine interne – Allergologie et immunologie clinique

Rue d’Orbe 27 1400 Yverdon-les-Bains cfrancil@yahoo.fr

Le mieux peut-il être l’ennemi du bien ?

1216 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 28 mai 2014

courrier

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1 Rossi C, et al. Seroprevalence of chronic hepatitis B virus infection and prior immunity in immigrants and re- fugees : A systematic review and meta-analysis. PLoS One 2012;7:e44611.

2 Statistiques en matière d’asile 2013, Office des migra- tions.

Réponse

Nous remercions le Dr Cyrille Francillon pour ses commentaires. Il propose qu’un dépistage de l’hépatite B chronique se fasse seulement chez les migrants qui ont obtenu un permis de séjour permanent. L’argu- ment est que plus de 90% des requérants d’asile provenant de pays à haute endémi- cité sont renvoyés chez eux et qu’ils n’au- ront donc pas accès à une prise en charge médicale adéquate.

Les chiffres de l’Office des migrations, cités par le Dr Francillon, doivent être nuancés. Sur 19 495 renvois prononcés en 2013, 4067 personnes (21%) étaient des cas

«Dublin» et ont donc été renvoyés dans les pays européens où ils avaient déjà déposé une demande d’asile dans le passé. En plus, 6821 personnes (35%) ont été enregis- trées comme ayant quitté la Suisse sans an- noncer leur départ aux autorités.1 Cela veut dire que ces migrants ont potentielle- ment passé dans la clandestinité et vivent probablement toujours en Suisse ou en Eu- rope. Finalement, seule une minorité des requérants d’asile retournent dans leur pays d’origine. En 2014, on estime que le nombre de personnes vivant en Suisse de manière illégale se situe entre 70 000 et 300 000. Le terme migrant nous permet ainsi

de décrire des personnes qui ne sont plus dans un processus de demande d’asile, mais dont le statut est difficile à définir (débouté de l’asile, situations Dublin, sans-papiers, etc.). De fait, cette terminologie doit être souvent nuancée et adaptée, selon les con- textes politico-juridiques des pays.2

Lorsque nous avons analysé la prise en charge de l’hépatite B chez les requérants d’asile dans le canton de Vaud, il y avait trois options : premièrement, nous aurions pu proposer de continuer la politique exis- tante. Comme expliqué dans l’article, cette approche n’était cependant plus défendable, car avec elle 7,8% des requérants d’asile re-

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 28 mai 2014 1217 cevaient une information médicale fausse-

ment rassurante, alors qu’ils souffraient d’une infection chronique. Deuxièmement, nous aurions pu proposer de ne plus nous occuper de l’hépatite B, mais cela va à l’en- contre de la recommandation de l’OMS qui encourage un dépistage plus large de l’hépatite B, ainsi que contre le principe que toute personne résidant en Suisse de- vrait avoir accès à des soins médicaux équitables. Il restait donc seulement l’op- tion de recommander de faire les choses selon les règles de l’art. La non-compliance au traitement n’est pas un argument a priori car un dispositif de prise en charge, adapté aux situations psychosociales, éco- nomiques et statutaires précaires, permet d’assurer la compliance nécessaire. L’effi- cacité des prises en charge des cas de tu- berculose dans ces mêmes contextes le dé- montre. Par ailleurs, les frais de la prise en charge d’une hépatite B chronique ne dé- passent que très rarement CHF 13 000.–

par année. La majorité des patients ne re- quiert en fait pas de médicament antiviral, mais seulement un suivi bi-annuel avec une prise de sang et un ultrason. Des biop- sies hépatiques ne sont que très rarement nécessaires. Pour les patients qui ont une indication pour un traitement, les coûts des médicaments antiviraux de première ligne s’élèvent à environ CHF 5000.– à 8000.– par année. Finalement, nous aime- rions relever que l’indignité des conditions de vie imposées aux requérants, puis aux migrants en situation illégale, porte égale- ment sur un déni d’accès aux soins médi- caux auxquels toute personne, quel que soit son statut, a droit.

En 2013,le département de la Santé pu- blique du canton de Vaud a entendu nos arguments et a décidé de proposer le dé- pistage systématique de l’hépatite B à tous les requérants d’asile. Nous sommes sûrs que cela était la bonne décision, car finale- ment nous ne connaissons aucun exemple

dans l’histoire où il a été plus judicieux de fermer les yeux sur un problème de santé, plutôt que de le gérer de manière adéquate.

Manon Jaboyedoff Faculté de médecine, Université de Lausanne Pr Blaise Genton et Dr Serge de Vallière Centre de vaccination et médecine des voyages Dr Patrick Bodenmann Unité des populations vulnérables Roland Rimaz Centre de santé infirmier – PMU Pr Blaise Genton Service de maladies infectieuses CHUV, 1011 Lausanne serge.de-valliere@hospvd.ch Dr Eric Masserey Service de la santé publique du canton de Vaud Avenue des Casernes 2, 1014 Lausanne

1 Office des migrations. Statistiques en matière d’asile 2013, disponible sous www.bfm.admin.ch/con tent/

bfm/fr/home/dokumentation/zahlen_und_fakten/

asylstatistik/jahresstatistiken.html

2 Urquia ML, Gagnon AJ. Glossary : Migration and health.

J Epidemiol Community Health 2011;65:467-72.

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