• Aucun résultat trouvé

Est-il légitime et utile pour le juge de comparer ?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Est-il légitime et utile pour le juge de comparer ?"

Copied!
26
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

Est-il légitime et utile pour le juge de comparer ?

KADNER GRAZIANO, Thomas

KADNER GRAZIANO, Thomas. Est-il légitime et utile pour le juge de comparer ? In: Marianne Faure-Abbad/Michel Boudot. Obligations, procès et droit savant - Mélanges en

hommage au professeur Jean Beauchard . Paris : LGDJ, 2013. p. 71-101

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44704

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

THOMAS KADNER GRAZIANO Professeur à l'Université de Genève

EST-IL LÉGITIME ET UTILE POUR LE JUGE DE COMPARER?

1. INTRODUCTION

«In no ath er field of intellectual endeavour- be it science, medi- cine, philosophy, literature, architecture, art, music, engineering or sociology -would ideas or insights be rejected sir:zllY because they were of foreign origin. [ ... ] it would be strange

iJ

{in the field oflaw] alone practitioners and academies were obltged ta ignore developments elsewhere, or at least ta regard them as of no prac- tical consequence. Such an approach can only impoverish our law; it cannat enrich it. »1

« When interpreting the Bill ofRights, a court, tribunal or forum [. .. ] (b) must consiaer international law; and (c) may consider foreign law. »2

Il. LE DROIT COMPARÉ - UNE MÉTHODE À DISPOSITION DES TRIBUNAUX ?

1. Est-il illégitime de comparer ? - Les arguments contre l'emploi de la méthode comparative par les tribunaux

a. Manque de légitimation démocratique b. Le système juridique -un système national c. Spécificités de la situation nationale

d. La science juridique -une science largement nationale e. Manque de connaissances du droit étranger

f. Danger du cherry picking

2. Élargir l'horizon -Les arguments en faveur de l'emploi de la méthode compa- rative par le juge

T. BrNGHAM, autrefois juge à la Ho use of Lords, in Widening Horizons-The influence of comparative law and international law on domestic law, Cambridge: CUP, 2010, p. 6; v. dans le même sensE. HoN- mus, "Comparative Law in the Court-Room: Europe and America Compared," in: A. BücHLER/M.

MüLLER-CHEN (éds.), Festschrift für Schwenzer, Vol. 1, Bern: Stampfli, 2011, p. 759 (760, 765).

2 Art. 39(1). Interpretation of Bill ofRights, Constitution of the Republic of South Africa (1996); texte

integral: « When interpreting the Bill of Rights, a court, tribunal or forum (a) must promote the values that underlie an open and democratie society based on human dignity, equality and freedom; (b) must consider international law; and (c) may consider foreign law».

Faculté de Droit et des Sciences sociales - Poitiers

(3)

Mélanges Jean Beauchard

a. Cherry picking- Une appréhension non confirmée par la pratique b. Des informations sur les droits étrangers toujours plus accessibles c. I:accès au droit étranger -l'argument du Droit international privé

d. La méthode comparative- une méthode d'interprétation comme les autres e. La renaissance d'une science juridique européenne

f. La liberté du juge de choisir ses méthodes et moyens de déterminer le droit.

Une idée de justice existant au-delà des frontières

g. Choix de la solution la plus convaincante tout en respectant le système juridique national

h. La force du droit étranger - une force de persuasion i. I:harmonisation douce du droit

3.Résumé

Ill. LA MÉTHODE COMPARATIVE DANS LA PRATIQUE DES TRIBUNAUX 1. Introduction

2. Les bénéfices du recours à la méthode comparative a. Complément à la méthode historique d'interprétation

b. Découvrir et démontrer la diversité des solutions parmi lesquelles le tribunal peut choisir

c. Illustrer les objectifs et les particularités de la solution nationale d. Contrer l'argument qu'une certaine solution conduirait à des résultats

néfastes

e. Soutien juridique pour un jugement de valeur de la cour f. Soutien lorsqu'il s'agit d'affronter de nouveaux problèmes

g.Discussion juridique à lechelle internationale et harmonisation douce du droit

IV. CONCLUSIONS

1. INTRODUCTION

N

ous avons connu Jean BEAUCHARD en tant que juriste extrêmement ouvert, et comparatiste et enseignant passionné. I:expérience de l'enseignement du droit comparé montre que les étudiants, qui seront les juges et avocats de demain, malgré le plaisir intellectuel que puisse leur procurer la comparaison des droits, remettent souvent en cause la légitimité de l'emploi de la méthode comparative par les tribunaux. Ils doutent également de son utilité dans leur future vie pratique3. Par contre, ils reconnaissent rapidement l'utilité du droit comparé pour la législation, soit sur le plan national, soit international, étant donné que les législateurs nationaux

3 Voir aussi A. BuLLIER, Le droit comparé dans l'enseignement- "Le droit comparé est-il un passe- temps inutile ?", RDIC 2008, p. 163 ss, 164 : « cette matière souffre d'un déficit d'image [ ... ] Les juristes sont avant tout des internistes. Ils veulent donner des solutions immédiates et tangibles à leurs étudiants ou clients. La spéculation intellectuelle, si elle est appréciée, ne correspond plus à un monde où l'efficacité et le rendement sont considérés comme essentiels et aller voir ailleurs relève de la curiosité intellectuelle comme pour les digressions élégantes et stimulantes de la philosophie ou de la théorie générale du droit ».

lté de Droit et des Sciences sociales - Poitiers

(4)

Est-illégitime et utile pour le ;uge de comparer ?

et internationaux se fondent, dans leurs procédures de préparation législative, régulièrement sur des recherches comparatives.

Les réflexions suivantes seront consacrées à la question de savoir s'il est légitime pour le juge, dans son raisonnement et lors de son interprétation de la loi nationale, de recourir à la méthode comparative en plus des méthodes classiques d'interprétation.

S'il est légitime de comparer, quelle est l'utilité de la méthode comparative pour le praticien du droit ? Les bénéfices de l'approche comparative justifient-ils l'effort, parfois considérable, qu'exige la comparaison ?

Ces questions sont loin d'être purement théoriques, ainsi que peut l'illustrer un exemple pratique: lors de la privatisation de l'économie d'un Etat d'Europe centrale, un investisseur étranger achète l'une des plus grandes entreprises du pays. L'entreprise, qui est d'une importance nationale (et qui est tao big ta fail), risque de faire faillite mais est sauvée grâce à des investissements de l'Etat, de l'ordre de plusieurs milliards de dollars. L'Etat reproche à l'investisseur étranger de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour sauver l'entreprise, mesures qu'il aurait été obligé de prendre selon le contrat de privatisation ; il lui réclame donc un dédommagement pour les investissements qu'il a effectués pour sauver l'entreprise. La valeur en litige est de plusieurs milliards de dollars.

Le cas est à juger en application des dispositions du Code civil de l'Etat concerné. Il existe encore peu de doctrine, et pas de jurisprudence interprétant les articles applicables (en l'occurrence, des dispositions portant sur la responsabilité contractuelle et délictuelle). En revanche, des dispositions semblables existent dans les codifications des pays voisins, largement commentées et souvent appliquées par les tribunaux de ces pays, qui ont servi de source d'inspiration pour le législateur de l'Etat concerné lors de la codification de son droit civil4.

Est-il, dans un tel cas, légitime pour le tribunal de s'inspirer, lors de la résolution du litige, et lors de l'interprétation du droit national, du droit et de la jurisprudence étrangers ? Les avocats pourraient-ils trouver dans les ordres juridiques étrangers des sources d'inspiration pour proposer aux juges, dans l'intérêt de leurs clients, une certaine interprétation de la loi ?

Les questions de la légitimité de la comparaison par les juges et de son utilité pour les tribunaux ne se posent pas seulement en Europe. Une discussion très animée, entre différents juges de la Cour suprême des Etats-Unis, a contribué à remettre cette question sur l'agenda des comparatistes et des juristes en général.

Cette contribution analysera d'abord les arguments qui plaident pour ou contre la légitimité de la méthode comparative pour le juge lors de l'interprétation de la loi nationale (IL). Sera ensuite démontrée l'utilité de la comparaison par le juge. De nombreux exemples pratiques issus de la jurisprudence des tribunaux en Europe illustreront les raisons conduisant à recourir à la méthode comparative et les multiples objectifs que poursuivent les tribunaux en utilisant cette méthode (III.).

4 Pour d'autres exemples pratiques, v. Th. KADNER GRAZIANO, "Comment enseigner le droit comparé?- Une proposition genevoise". In : F. Bellanger/J. de Werra (éds.), Genève au confluent du droit interne et du droit international, Mélanges offerts par la Faculté de droit de l'Université de Genève à la Société Suisse des juristes, Zurich: Schulthess, 2012, p. 61 ss =Revue de droit de l'Université de Sherbrooke/

CDN (à paraître prochainement).

1 79

(5)

Mélanges Jeon Beouchord

Il. LE DROIT COMPARÉ- UNE MÉTHODE À DISPOSITION DES TRIBUNAUX?

1. EST-IL ILLÉGITIME DE COMPARER?- LES ARGUMENTS CONTRE

L'EMPLOI DE LA MÉTHODE COMPARATIVE PAR LES TRIBUNAUX

Certains arguments semblent, d'emblée, plaider contre le recours à la méthode comparative dans l'interprétation du droit national et contre la légitimité de la comparaison par les tribunaux5.

a) Manque de légitimation démocratique

Selon un premier argument, le juge est lié par la loi, mais uniquement par sa loi nationale ainsi que par le droit international en vigueur dans son pays. Seuls le législateur national et, le cas échéant, un législateur international, auraient la légitimation démocratique nécessaire pour guider le juge dans sa décision. Cette légitimité démocratique manquerait à la loi étrangère qui, de ce fait, ne pourrait ni lier, ni convaincre, ni même inspirer le juge national dans l'interprétation de son propre droit6.

b) Le système juridique - un système national

On affirme, par ailleurs, que chaque disposition légale ou chaque précédent jurisprudentiel interne devrait être vu et interprété dans son propre contexte qui serait un contexte nationatl. Dans les ordres juridiques continentaux, le droit civil est codifié dans un système cohérent, celui du Code national ; dans les pays de Common Law, la case law constitue un corps de jurisprudence qui est également cohérent. Une interprétation qui s'inspire de sources étrangères risquerait de porter atteinte au système de la codification ou de la case law.

c) Spécificités de la situation nationale

Selon un autre argument, chaque disposition législative ainsi que chaque arrêt l'interprétant et l'appliquant à un cas concret, de même que chaque précédent national, est toujours le résultat d'une pesée d'intérêts. Celle-ci aurait nécessairement lieu dans un contexte national prenant en considération les spécificités de la situation dans le pays concerné et le contexte culturel dans lequel elle déploie ses effets. Dans ce sens, Justice ScALIA, juge à la Cour Suprême des Etats-Unis, a, dans un arrêt de 2003 portant sur le droit constitutionnel états-unien, exprimé l'opinion selon laquelle le regard sur le droit étranger serait, au mieux, sans importance et, au pire, dangereux.

Selon lui, la Cour Suprême des Etats-Unis « should not impose foreign moods, fads or

5 Pour un avis très prononcé contre l'emploi de l'approche comparative dans la jurisprudence, v. notam- ment A. ScALIA, Keynote address: Foreign legal authority in the Federal courts, in_American Soci- ety of International Law, Proceedings of the 10151 Annual Meeting (American Society of International Law), Vol 98 (2004), 305 ; disponible aussi in www.jstor.org/pss/25659941 (dernière consultation : 4.12.2012); v. aussi les arguments référés parT. BINGHAM, Widening Horizons (n. 1) p. 4.

6 Très prononcé A. SCALIA, Commentary, 40 St. Louis U. L.J. (St. Louis University Law Journal) [2006]

1119 (1122) : << [we] judges of the American democracies are servants of our peoples, sworn to apply [ ... ] the laws that tho ses peoples deem appropria te. We are not sorne international priesthood empowered to impose upon our free and independant citizen supra-national values th at contradict the ir own >>.

7 Dans ce sens, A. SCALIA (n. 5), ibid.

(6)

Est-illégitime et utile pour le juge de comparer ?

fashions on Americans »8 . Dans l'avis majoritaire de la Cour, Justice KENNEDY avait fait référence au droit anglais et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Selon ScALIA, dans son avis minoritaire, de telles considérations du droit étranger seraient « meaningless dicta »9.

d) La science juridique-une science largement nationale

Certains tribunaux ont, ces dernières années encore, mis l'accent sur le fait que, bien que comparativa est omnis investigatio et que << all forms of higher knowledge consist of comparison »10, le droit resterait une science largement nationale. Ainsi le Tribunal Fédéral administratif allemand a-t-il déclaré, en 1993, que « Die Rechtswissenschaft ist eine national gepriigte Wissenschaft »11 (la science juridique est une science à caractère national). Une cour d'appel allemande s'est expressément ralliée à cet avis dans un arrêt de 2004. Ce dernier portait sur la légitimité d'un accord conclu entre un avocat et son client sur des honoraires d'avocat calculés en fonction du résultat final, Erfolgshonorare ou contingency fees12, valables en droit états-unien mais interdits et jugés contraires aux bonnes mœurs, jusqu'alors, par le droit allemand.

e) Manque de connaissances du droit étranger

D'après un autre argument, il serait évident que le législateur national n'attendrait pas des tribunaux qu'ils connaissent le droit étranger. Cette connaissance serait pourtant nécessaire pour employer correctement la méthode comparative. - Etant donné que les juges ne connaissent pas ou peu le droit étranger, l'emploi de la méthode comparative ouvrirait la voie à l'erreur, au danger d'une mauvaise

8 In : Lawrence et al. v. Texas 539 US 558 [2003], 598 (cas portant sur la constitutionalité d'une loi de l'Etat de Texas interdisant des relations sexuelles entre personnes du même sexe ; jugement selon lequel la loi viole la 'Due Process Clause' de la Constitution états-unienne), p. 598 : « The Court's discussion of the se foreign views (ignoring, of course, the many countries that have retained criminal prohibitions on sodomy) is therefore meaningless dicta. Dangerous dicta, however, since "this Court ... should not impose foreign moods, fads, or fashions on Americans." >>,avec référence à l'arrêt Foster v. Florida, 537 U. S. 990, note (2002) (T. THOMAS) : << Justice Breyer has only added another foreign court to his list while still failing to ground support for his theory in any decision by an American court. Id., at 990. While Congress, as a legislature, may wish to consider the actions of other na- tions on any issue it likes, this Court's Eighth Amendment jurisprudence should not impose foreign moods, fads, or fashions on Americans "·

9 Ibid, p. 573. Dans la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis, il y a une longue tradition de recourir à des sources de droit comparé; v. notamment l'étude de CALABRESI/DoTSON-ZIMDAHL, "The Supreme Court and Foreign Sources of Law: Two Hundred Years ofPractice and the Juvenile Death Pe- nalty Decision", William & Mary L Re v 2005, 743. Voir par rapport à la discussion aux Etats-Unis par ex. A. BARAK, "Comparative Law, Originalism and the Role of a Judge" in A Democracy : A Re ply to Justice Scalia, The Fu/bright Convention, January 29, 2006 ; M. RosENFELD, "Le constitutionnalisme comparé en mouvement: d'une controverse américaine sur les références jurisprudentielles au droit étranger", in P. LEGRAND (dir.), Comparer les droits, résolument, Paris: PUF, 2009, 561; l. EISENBER- GER, "Wer fürchtet sich vor einem Verfassungsrechtsvergleich? Gedanken zur Rechtsvergleichung in der Judikatur des US Supreme Court", JRP 2010, 216 (217) : << Rechtsvergleichung am SC ist beinahe so ait wie die Institution selbst. Ebenso ait wie die Rechtsvergleichungspraxis ist die Kritik daran >>.

10 M. FREELAND, "Introduction: Comparative and International Law in the Courts", in G. CANIVET/M.

ANDENAs/D. FAIRGRIEVE (eds), Comparative Law before the Courts, London : BIICL, 2005, p. xvii.

11 Bundesverwaltungsgericht (BVerwG) (Tribunal administratiffédéral) 30.06.1992, NJW 1993, 276.

12 OLG Celle (Cour d'appel de Celle) 26.11.2004, NJW 2005, 2160.

81

(7)

82 Mélanges Jean Beauchard

compréhension et d'une fausse interprétation13. A ces problèmes s'ajouteraient souvent encore des barrières linguistiques qui rendraient la compréhension du droit étranger particulièrement difficile et qui multiplieraient le risque d'erreur14. Le juge n'aurait tout simplement pas le temps et les moyens qui seraient nécessaires pour systématiquement effectuer des recherches de droit comparé15.

f) Danger du 'cherry picking'

Certaines voix reprochent aux tribunaux de citer le droit étranger de manière très sélective. Il serait toujours possible de trouver du soutien dans quelques pays pour la solution favorisée par la cour ; des solutions divergentes dans d'autres pays ne seraient, par contre, pas toujours évoquées. Dans certains cas, les tribunaux s'appuieraient d'ailleurs sur l'argument comparatif alors qu'ils renonceraient à la comparaison quand la solution trouvée dans le droit étranger diverge de celle préférée par la cour. Il s'agit ici de l'argument du cherry picking, souvent employé par les critiques de l'approche comparative dans la récente discussion aux Etats-Unis et notamment par le juge Antonin ScALIA16 .

Tous ces arguments semblent donc s'opposer à l'emploi de la méthode comparative par les tribunaux.

2. ELARGIR L'HORIZON- LES ARGUMENTS EN FAVEUR DE L'EMPLOI DE LA MÉTHODE COMPARATIVE PAR LE JUGE

Se posent donc, d'une part, la question de savoir si, et à quel point, ces arguments sont convaincants, et, d'autre part, celle de savoir s'il existe d'autres arguments qui plaident en faveur de l'emploi de la méthode comparative lors de l'interprétation du droit national par les juges.

a) 'Cherry picking'- Une appréhension non confirmée par la pratique

Le danger du cherry picking n'est pas une particularité de l'approche comparative.

Ce risque existe déjà par rapport à des avis divergents dans la jurisprudence et la doctrine nationales qui peuvent aussi être utilisés de façon très sélective par les

l3 Voir par rapport à cet argument E. HONDJUS (n. 1) p. 759 (769) : « The high quality of the [foreign]

expert opinions is apparent from the reports on Dutch law. And yet ... wh en reading the expert opinion on Dutch law, I sometimes know al most for certain that a Dutch court would decide different/y now >>.

14 Voir J. STAPLETON, "Benefits of Comparative Tort Reasoning : Lost in Translation", 1 f. Tort L.

(Journal of Tort Law) 2007, 6 (33), parle de« comparative foreign-language law» qu'il faudrait écarter de la comparaison : « [T]he general indifference of North American and Australasian courts and practitioners ta the tort law of foreign-language jurisdictions seems a wise response from inescapable phenomena. For them there is no more ta be reliably derived from foreign-language jurisdictions than from English-speaking a nes[. .. }: moreover, the re are added perils of misinterpretation » ; article publié également in Liber Amicorum Tom Bingham, Oxford : OUP, 2009, p. 773-814. Voir par rapport à ce problème aussi J. BELL, "Le droit comparé au Royaume-Uni", in X. BLANC-]OUVAN (et. al.), L'avenir du droit comparé, un défi pour les juristes du nouveau millénaire, Paris : Société de Législation comparée, 2000, p. 283; B. MARKESINIS/J. FEDTKE, "The Judge as Comparatist", 80 Tulane Law Review [2005- 06] 11 (167).

15 Voir l'expérience rapportée par HoNDIUS (n. 1) p. 759 (773).

16 A. SCALIA, 98 Am. Soc'y Int'l L. Proc. 305 (308): « Addingforeign law[. .. ] is much like legislative his- tory, which ordinarily contains something for everybody and can be used or not used, used in one part or in another, deemed controlling or pronounced inconclusive, depending upon the result the court wishes ta rea ch. [. .. ] The Court's re lian ce has also been selective as ta when foreign law is consulted at ali».

Faculté de Droit el des Sdences sodales - Poitiers

(8)

Est-illégitime et utile pour le ;uge de comparer ?

tribunaux17_ Le danger du cherry picking ne remet donc pas en cause la légitimité de la comparaison, pourvu que cette méthode soit employée de façon aussi sérieuse et équilibrée que toute autre méthode d'interprétation. En effet, de nombreux exemples montrent que les tribunaux n'hésitent pas à citer le droit étranger dans des situations où la solution du droit étranger diverge de celle favorisée par la cour18 .

b) Des informations sur les droits étrangers toujours plus accessibles

Pour que des erreurs et malentendus quant au contenu d'un droit étranger soient évités, et pour que le tribunal ait une base solide pour l'emploi de la méthode comparative, il est effectivement essentiel de fournir au juge ou arbitre des informations sûres, solides et fiables sur le contenu du droit étranger19.

Pour de nombreuses questions de droit, ces informations sont aujourd'hui disponibles. En effet, plusieurs institutions et groupes de recherche ainsi que de nombreux comparatistes contribuent aujourd'hui substantiellement à la diffusion de la connaissance du droit étranger. On peut citer à titre d'exemple notamment les travaux de l'Institut international pour l'unification du droit privé (UNIDROIT), de la 'Commission pour le droit européen du contrat', du 'Groupe d'étude sur un Code civil européen', du 'Groupe de recherche sur le droit privé communautaire en vigueur', de l'Académie des privatistes européens', du Groupe de Trento travaillant sur le Common Core of European Private Law, de la 'Society of European Contract Law' (SECOLA), du 'European Group of Tort Law' et du 'European Centre of Tort and Insurance Law (ECTIL)', ainsi que de la 'Commission on European Family Law', ou encore les Jus Commune Casebooks for the Common Law of Europe, organisés et édités par Walter van Gerven à Leuven et Maastricht, pour ne nommer que quelques travaux, institutions et groupes particulièrement actifs. Certains de ces institutions et groupes comptent parmi leurs membres des chercheurs de tous les Etats européens, d'autres des chercheurs du monde entier. Ils s'occupent de mettre à disposition de véritables bibliothèques contenant des informations fiables et à jour sur le droit des différents pays. La grande majorité de ces informations sont publiées en langue anglaise, permettant ainsi un accès facilité20 .

On peut encore penser aux nombreux articles et analyses comparatifs publiés, par exemple, dans des revues à vocation européenne telles que les European Review of Private Law (ERPL), Maastricht Journal of European and Comparative Law, Columbia Journal of European Law, Zeitschrift für Europiiisches Privatrecht (ZEuP) ou encore la Rivista di diritto pubblico comparato ed europeo, publiés respectivement en langue anglaise, allemande et italienne.

Fournir des informations fiables sur le droit étranger et comparatif, dans des langues facilement accessibles pour le public visé, est donc de la responsabilité des chercheurs et des comparatistes qui utilisent l'approche comparative dans leurs

17 Voir aussi l'argument de Justice Stephen BREYER, Juge à la Cour suprême des Etats-Unis, in : U.S.

Association of Constitutional Law Discussion : Constitutional Relevance of Foreign Court Decisions (2005), Transcript by Federal News Service, Washington D.C., in www.freerepublic.com/focus/f- news/1352357/posts (dernière consultation : 4.12.2012).

18 Voir infra, III.2.c).

19 Voir aussi T. BINGHAM, Widening Horizons (n. 1), p. 4 f., qui rappelle, d'ailleurs, que« few hum an activities are free from the risk of error and judicial decision-making is no exception >>.

20 Une maîtrise de l'anglais, du français et de l'allemand permettrait d'avoir accès à neuf ordres juri- diques européens, dans leurs langues originales, et au droit des Etats- Unis, plusieurs autres Etats de la Common Law, ainsi que certains des Etats faisant partie de l'ancienne famille de droit français.

1 83

Faculté de Droit et des Sciences sociales - Poitiers

(9)

84 Mélanges Jean Beauchord

publications. Dans certains arrêts anglais, les juges ont d'ailleurs expressément constaté que sans ces publications, la comparaison n'aurait pas été possible pour la cour21 .

Dans un cas concret, ces recherches comparatives pourraient aussi être effectuées, et les informations fournies, de manière ad hoc par des instituts de droit comparé ou par des avocats22 formés en droit comparé23 .

Grâce à ces informations sur le droit étranger, des erreurs et des malentendus par rapport au contenu du droit étranger peuvent être évités. Cet argument ne remet, par conséquent, pas non plus en question ni la légitimité ni la praticabilité de la comparaison.

c) L'accès au droit étranger -l'argument du Droit international privé

Dans des cas transfrontaliers présentant des liens plus étroits avec un ordre juridique étranger qu'avec le droit du for, le juge peut, selon les critères de rattachement de son 'droit international privé', même être obligé de résoudre un cas selon un droit étranger exclusivement. L'existence des règles de droit international privé montre que tout législateur estime qu'il est bien possible pour le tribunal et le juge nationaux de s'informer de façon fiable et sûre sur le contenu d'un droit étranger24 .

d) La méthode comparative -une méthode d'interprétation comme les autres

Il est évident que le législateur national n'attend pas des tribunaux (ou des avocats) qu'ils connaissent le droit étranger. Il est également évident que les juges ou les avocats ne peuvent pas recourir à la méthode comparative dans tous les cas.

Concernant les situations dans lesquelles le tribunal ne dispose pas de telles connaissances, il ne pourra pas se servir de l'approche comparative. Dans les cas où le contenu d'un droit étranger est porté à la connaissance du tribunal, celui-ci pourra par contre utiliser l'approche comparative et mettre à profit ces connaissances et arguments supplémentaires en interprétant son droit national.

Le fait que la méthode comparative ne puisse être utilisée que dans certains cas et non dans d'autres n'est pas une particularité de cette méthode. Alors que l'interprétation grammaticale (ou littérale) et peut-être aussi l'interprétation

21 Voir notamment Lord GoFF OF CHIEVELEY in White v. Jones [1995], 2 AC 207, 1 Ali ER 691 (at 705) (House of Lords) : « [I]n the present case, thanks to material published in our lan- guage by distinguished comparatists, German as weil as English, we have direct access to pub- lications which should sufficiently dispel our ignorance of German law and so by comparison illuminate our understanding of our own >>.

22 Ceci était par ex. le cas dans Tabet v Gett [2010] High Court of Australia 12 (21.4.2010), in www.

austlii.edu.au/au/cases/cth!HCA/2010/12.html, ou dans le cas anglais A and others v the National Blood Authority, [2001] 3 Ali ER 289. Voir aussi HEIN KôTz, Alte und neue Aufgaben der Rechts- vergleichung, JZ 2001, 257 (259) : gerade die Anwiilte << sind sich offenbar noch nicht genügend des Umstands bewusst, dass ein für ihre Mandanten günstiger Rechtsstandpunkt si ch in vielen Fiillen auf rechtsvergleichende Argumente stützen liisst >>; E. HONDIUS (n. 1) p. 759 (777).

23 Pour la proposition d'une méthode d'enseignement qui prépare les juristes à ce défi, v. J'auteur de ces lignes, "Comment enseigner le droit comparé?" (supra, 4).

24 Dans certains pays, comme la Suisse, le juge recherche le contenu du droit étranger applicable d'of- fice, v. l'art. 16 al. 1 de la Loi suisse sur le droit international privé (LDIP); dans d'autres, comme en Angleterre, il peut requérir la collaboration des parties ou mettre la preuve du contenu du droit étran- ger, pour certaines matières, à la charge des parties, v. DICEY, MoRRIS & CoLLINS on The Conflict of Laws, 141h ed., London: Sweet & Maxwell, 2006, Volume 1, §§ 9-001 ss; v. aussi ÜRücü, "Comparative Law in Practice: The Courts and the Legislator", in E. ÜRücü/D. NELKEN (eds), Comparative Law-A Handbook, Oxford : Hart, 2007, 411 (414, 418).

Faculté de Droit et des Sciences sociales - Poitiers

(10)

Est-illégitime et utile pour le iuge de comparer ? 1 85

téléologique seront, en tant que méthodes d'interprétation, toujours à la disposition du juge, ceci n'est pas le cas pour d'autres méthodes d'interprétation de la loi. Il en va ainsi notamment de l'interprétation historique qui s'inspire des travaux préparatoires de la loi et de l'interprétation systématique, qui aideront le juge, tout comme la méthode comparative, dans sa recherche de solution à un problème concret dans certains cas et non dans d'autres.

e) La renaissance d'une science juridique européenne

L'argument selon lequel la science juridique serait une science largement nationale ne peut guère convaincre non plus. Pendant une grande partie du XXème siècle, dans les plus grands pays d'Europe continentale tels que la France et l'Allemagne, la science juridique était effectivement une science largement nationale. Dans la deuxième moitié du xxème siècle, des auteurs de plus en plus nombreux ont cependant plaidé pour une internationalisation (ou, plus correctement, une re-internationalisation25)

de la science et de la méthode juridiques26. Ces plaidoyers ont porté leurs fruits.

Dans les pays de tradition anglo-saxonne ainsi que, sur le continent européen, aux Pays-Bas, en Belgique, en Autriche ou encore en Suisse, la science juridique ne s'est jamais limitée au seul droit national. Elle n'a donc jamais été une 'science largement nationale'. Tout au contraire, la doctrine de ces pays, et dans certains parmi eux aussi la jurisprudence, ont une longue expérience de l'approche comparative27.

f) La liberté du juge de choisir ses méthodes et moyens de déterminer le droit. Une idée de justice existant au-delà des frontières

Un autre argument contre l'emploi de la méthode comparative a fait valoir que chaque solution législative ou jurisprudentielle serait le résultat d'une pesée d'intérêts qui aurait nécessairement lieu dans un contexte national et dans un contexte culturel propre à chaque pays28 . Cet argument néglige le fait qu'aujourd'hui, les législateurs nationaux eux-mêmes se fondent, dans pratiquement toutes les procédures importantes de législation et en tout cas en matière de droit privé, sur de vastes recherches comparatives. L'on peut citer quelques exemples de législation de ces dernières années.

Les récentes codifications du droit des obligations dans les pays baltes ont été largement inspirées par des études comparatives. Ainsi, le législateur estonien a suivi, dans sa nouvelle codification, l'exemple du Code civil allemand (et a introduit, par exemple, une partie générale dans le droit des obligations), mais il s'est aussi largement inspiré du droit suisse, du droit néerlandais, du droit du Québec, du

25 Avant la période de la codification du droit, le discours des juristes en Europe était véritablement européen, mené pendant longtemps dans une seule langue, le latin ; v. par ex. R. ZIMMERMANN, The Law of Obligations. Roman Foundations of the Civilian Tradition, Oxford: Clarendon Press, 1996;

idem, "Das rômisch-kanonische ius commune als Grun dl age europaischer Rechtseinheit", JZ 1992, 8;

H. COING, "Die ursprüngliche Einheit der europaischen Rechtswissenschaft", in: Gesammelte Schrift- en, II, p. 137 ss; pour le droit international privé, v. Th. KADNER GRAZIANO, Gemeineuropi:iisches Internationales Privatrecht, Tübingen : Mohr Siebeck, 2002, p. 46-59.

26 Pour des nombreuses références v., par ex., Th. KADNER GRAZIANO, L'européanisation du droit privé et la méthode comparative- Etude de cas, RSDIE 2004, p. 233 ss (251 n. 42) ; idem, Le contrat en droit privé européen -Exercices de comparaison, 2e éd., Bâle: Helbing Lichtenhahn, 2010, p. 6 (n. 3).

27 Références infra, III. Voir aussi E. HONDIUS (n. 1) p. 759 (765) : << It has been suggested that, if one wishes to consider legal research a science, [focusing on domestic developments] is the wrong attitude.

Science knows no borders, and legal science is no exception >>.

28 Voir supra ILe) avec références.

Faculté de Droit et des Sciences sociales - Poitiers

(11)

86 Mélanges Jean Beauchord

droit de la Louisiane, de la Convention de Vienne sur la vente internationale des marchandises de 1980 (CVIM) ainsi que des Principes du droit européen du contrat et des Principes d'UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international29.

Le nouveau Code civil de la Lituanie est inspiré, entre autres, du droit allemand, suisse, néerlandais, suédois, italien, québécois, de la CVIM ainsi que des Principes d'UNIDROIT30 . Le droit polonais s'est inspiré récemment, outre des directives européennes, du droit allemand, du droit néerlandais, de la CVIM et des Principes du droit européen du contrat. Dans les pays d'Europe centrale et d'Europe de l'est, le rôle de la méthode comparative a une telle importance dans la législation moderne que Paul VARUL, ancien ministre fortement impliqué dans les réformes législatives en Estonie et aujourd'hui professeur de droit privé, a pu constater que« the main method used for priva te law in today's legislative drafting is the comparative method »31.

En 2002 a eu lieu la plus importante réforme du Code civil allemand depuis l'entrée en vigueur du Code en 190032 . Les travaux préparatoires de cette réforme, initiée par une directive européenne, ont été largement inspirés par le droit communautaire, des ordres juridiques étrangers, la CVIM, les Principes d'UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international et par les Principes européens du contrat33.

En Chine, d'importantes réformes du droit civil ont eu lieu ces dernières années, avec notamment l'adoption d'un Code contractuel en 1999 et d'un Code de droit réel en 2007. Lors de la préparation du Code contractuel, ont servi de source d'inspiration:

les droits allemand, japonais, taïwanais, la Common law anglais et états-unien ainsi que la CVIM, les Principes du droit européen du contrat et les Principes d'UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce internationat34. Le nouveau Code de droit réel a tiré de l'inspiration des droits allemand, français, japonais, taïwanais et de quelques concepts de la Common Law anglais et états-unien35. En 2002, le projet d'un Code civil chinois a été présenté. La structure du Code suit l'exemple classique pandectiste, toute en s'inspirant, en matière contractuelle, du Code civil néerlandais36 .

Ces divers exemples montrent que la préparation de la législation en matière de droit privé n'a pas lieu dans un contexte purement propre à chaque Etat, mais dans le cadre d'une discussion à l'échelle européenne, voire même mondiale.

Le fait que le législateur utilise lui-même la méthode comparative dans la préparation de sa loi nationale a une implication importante pour l'interprétation du droit : si le législateur s'inspire du droit étranger, car il s'inspire d'une idée de justice existant bien au-delà des frontières étatiques, le juge doit pouvoir suivre cette

29 Comp. P. VARUL, furidica internationa/2000, p. 104 ss.

30 Simona SELELIONYTE-DRUKTEINIENE/Vaidas JuRKEVICIUS/Thomas KADNER GRAZIANO, The Im- pact of the Comparative Method on Lithuanian Priva te Law, European Review of Priva te Law 2013 (à paraître prochainement).

31 Juridica internationa/2000, 104 (107).

32 "Gesetz zur Modernisierung des Schuldrechts", Bundesgesetzblatt 2001, I, 3138.

33 U. HuBER, Das geplante Recht der Leistungsstiirungen, in W. ERNST/R. ZIMMERMANN (Hrsg.): Zivil- rechtswissenschaft und Schuldrechtsreforrn, Tübingen: Mohr Siebeck, 2001, p. 104-107; P. SCHLECH- TRIEM, "Das gepiante Gewahrleistungsrecht", in W. ERNST/R. ZIMMERMANN (Hrsg.), op. cit., p. 205- 224.

34 Voir Liang HuiXING, The Dra ft Civil Code of the People's Republic of China, English Translation, Leiden/Boston : Martinus Nijhoff, 2010, p. XIX, avec des exemples.

35 HUIXING (note 34), p. XX.

36 HUIXING (note 34), p. XXII.

Faculté de Droit et des Sciences sociales - Poitiers

(12)

Est-illégitime et utile pour le ;uge de comparer ?

approche lorsqu'il applique la loi37_ C'est ainsi que l'art. 1 aL 2 du Code civil suisse énonce expressément qu'à « défaut d'une disposition applicable, le juge prononce selon le droit coutumier et, à défaut d'une coutume, selon les règles qu'il établirait s'il avait à faire acte de législateur. » Le juge est donc invité à recourir aux sources d'inspiration et aux méthodes utilisées par le législateur, incluant notamment la méthode comparative38 _ Ceci est vrai, comme le constate explicitement l'art. 1 aL 2 du Code civil suisse, « à défaut d'une disposition applicable »-Il est aussi reconnu aujourd'hui que le juge applique ces mêmes méthodes dans des cas d'incertitude de la loi et lors de son interprétation. Remplir les lacunes de la loi et l'interpréter ne sont que les deux faces de la même médaille39_ Dans le même esprit, la plus haute juridiction allemande, c'est-à-dire le Tribunal constitutionnel allemand, a, en 1953 déjà, reconnu expressément l'emploi de la méthode comparative par les tribunaux pour combler les lacunes de la loi nationale et pour l'interpréter40.

Dans d'autres ordres juridiques, les dispositions légales définissant les méthodes d'interprétation de la loi par le juge se limitent à affirmer des principes généraux, tout en mettant l'accent sur la liberté du juge d'interpréter et, si nécessaire, de développer

le droit41_ Les tribunaux bénéficient par conséquent d'une grande latitude dans

le choix de leurs moyens de déterminer le droit et dans le choix de leurs sources d'inspiration.

Les nombreux exemples cités dans la troisième partie de cette contribution montreront que dans ces pays, les juges emploient la méthode comparative pour combler les lacunes de leur loi nationale et lors de son interprétation, sans qu'ils remettent la légitimité de la comparaison en question42 _

37 Tribunal Fédéral suisse 13.1.1998, ATF 124 III 266 = ]dT 1999 I 414 (1re Cour ci- vile - Neue Schauspiel AG c. Felix Bloch Erben) : 4. [ ... ] Dans l'application de la loi,

<< tous les éléments habituels de l'interprétation doivent être pris en compte (systématique, téléo- logique, et historique : cf. ATF 124 III 126 c. la/aa,_résumé in ]dT 1998 I 614 et aussi, pour le droit comparé, ATF 123 III 473 c. Sc= ]dT 1998 I 311). En ce sens, le TF suit un pluralisme de méthodes et refuse de soumettre les différents éléments d'interprétation à un ordre de priorité (ATF 123 III 24 c.

2a) >> ; en version originale : << 4. [. .. ] bei der Auslegung [sind] alle herkiimmlichen Auslegungselemen-

te zu berücksichtigen (systematische, teleologische und historische : BGE 124 III 126 E. 1a!aa ; auch rechtsvergleichende : BGE 123 III 473 E. Sc), wobei das Bundesgericht einen pragmatischen Metho- denpluralismus befolgt und es ablehnt, die einzelnen Auslegungselemente einer Prioritiitsordnung zu unterstellen (BGE 123 III 24 E. 2a) >>.

38 L'art. 1 al. 2 du Code civil suisse a été inspiré par le juriste français François GÉNY et constitue lui- même, de ce fait, un fruit de l'inspiration au-delà des frontières, P. GÉNY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, Vol. 2, 2e éd., Paris 1919, p. 326 ss (no 204) ; v. aussi Th. HENNING ER, Europiiisches Privatrecht und Methode, Tübingen : Mohr Siebeck, 2009, p. 80, avec références.

39 Konrad ZwEIGERT a écrit en 1949 déjà: <<Si le juge doit donc remplir les lacunes avec la solution qu'il établirait s'il avait à faire acte de législateur, il doit se servir de la méthode du législateur moderne qui élargit tellement l'horizon, c'est-à-dire de la méthode comparative. Si ceci est vrai pour remplir des lacunes, il ne peut en être autrement pour l'interprétation de la loi. Car on ne peut pas opposer les tâches d'interprétation et de comblement des lacunes: les deux tâches ne sont en effet qu'une. Elles ne sont, dans l'éclairage de la norme, que graduellement différentes>>, Rechtsvergleichung ais universale Interpretationsmethode, RabelsZ 1949, p. 5 (9) (traduit de l'allemand).

40 Tribunal constitutionnel (BVerfG), 18.12.1953, BVerfE 3, 225 (244): << Im übrigen haben die Gerichte sich der erprobten Hilfsmittel, niimlich der Interpretation und Lückenfüllung, un ter Verwertung auch der rechtsvergleichenden Methode bedient >>.

41 Voir par ex.les §§ 6 ss du Code civil autrichien (ABGB), art. 1 ss du Code civil espagnol (Codigo civil), art. 1 ss du Code civil portugais (Codigo civil), art. 1 de la loi d'introduction au Code civil italien (Codice civile), art. 6 du Code civil russe, ainsi que les Codes civils estonien(§§ 2 ss), lithuanien (art.

1.3 ss) et lettonien (art. 4 s.); pour de plus amples informations v. Thomas HENNINGER (n. 38), par ex.

p. 437 ss avec de nombreuses références.

42 Pour de nombreuses références v. infra, III.

87

(13)

88 Mélanges Jean Beouchord

g) Choix de la solution la plus convaincante toute en respectant le système du droit national

L'argument selon lequel l'emploi de la méthode comparative risquerait de porter atteinte au système du droit national n'est pas non plus concluant. Il est vrai que, dans toute interprétation du droit national, la systématique normative propre au droit et à la codification nationale doit être respectée. Ce but peut être atteint grâce à l'interprétation systématique qui est l'une des méthodes principales d'interprétation du droit. En effet, comme toute autre interprétation, l'interprétation comparative doit permettre d'interpréter et de développer le droit de manière à ce que, entre plusieurs solutions possibles, celle qui est la plus convaincante soit choisie, tout en respectant la systématique du droit national43. Le but est en effet de« choose the most compelling solution while preserving coherence within his own law »44 .

h) La force du droit étranger- une force de persuasion

Il est évident que le juge est lié par son droit national ainsi que par les dispositions du droit international en vigueur dans son pays. Ni le droit étranger, ni la jurisprudence étrangère n'ont de légitimité démocratique dans le pays du juge.

Par rapport à l'emploi de la méthode comparative, deux conclusions peuvent en être tirées.

Premièrement, tant que le texte de la loi nationale en vigueur dans le pays du juge est clair et que son interprétation ne laisse aucun doute, le juge est lié par la loi de son pays. Il ne peut, en principe, pas dévier du résultat prescrit par cette dernière pour arriver à un résultat divergeant en utilisant l'approche comparative ; ceci est vrai même dans les cas où cet autre résultat lui semblerait plus adéquat, approprié et juste compte tenu des intérêts en jeu45 . Dans de tels cas, il incombera, en principé6,

43 V. par ex., G. CANIVET, "The Use of Comparative Law Before the French Courts", in CANIVET/

ANDENAS/FAIRGRIEVE (eds) (n. 10), p. 183 SS; K. ZWEIGERT, RabelsZ 1949, 5 (16 ss) ; cf pourtant A.

FLESSNER, "Juristische Methode und Europii.isches Vertragsrecht", Juristen-Zeitung (JZ) 2002, p. 14, pour qui, dans une période de renaissance d'un droit privé commun européen et d'un nouveau jus commune, l'interprétation systématique de la loi nationale perdrait de son importance et de sa valeur.

44 H. UNBERATH, "Comparative Law in the German Courts", in CANIVET/ANDENAS/FAIRGRIEVE (eds) (n. 10), 307 (316).

45 Voir par exemple l'arrêt anglais Bell v. Peter Browne & Co., [1990] 2 Q.B. 495, (Mustill L.J.) par rap- port à la concurrence de l'action contractuelle et délictuelle : << Other legal systems seem to manage qui te weil by limiting attention to the contractual obligations which are, after ali, the foundation of the relationship between the professional man and his client [le juge cite le droit français] [. .. ] Nevertheless the law is cie ar and we must apply it >>.

46 Pour des exceptions, v. par ex. Tribunal fédéral suisse, 28.11.2006, ATF 133 III 257 ('perroquets'), 265 cons. 2.4 : << [ ... ] Lorsque l'interprétation d'une loi fédérale donne une réponse claire à une question de droit, cette interprétation fait foi pour le Tribunal fédéral ainsi que pour les autres autorités d'application du droit, conformément à l'art. 191 de la Constitution. Ces autorités ne peuvent donc pas déroger au droit fédéral sous prétexte qu'il serait anticonstitutionnel ou qu'il ne correspondrait pas au droit (futur) souhaitable [ ... ]. Une dérogation à une loi est toutefois possible, lorsque le législateur s'est manifestement trompé concernant certains faits ou lorsque les circonstances ont changé dans une telle mesure depuis la mise en vigueur de la loi qu'une application de la disposition représenterait un abus de droit ». En version originale : << Ergibt die Auslegung eines Bundesgesetzes auf eine Rechtsfrage eine eindeutige Antwort, so ist diese gemiiss Art. 19 Bundesverfassungfür das Bundesgericht und die anderen rechtsanwendenden Behorden massgebend. Diese dürfen daher nicht mit der Begründung von Bundes- recht abweichen, es sei verfassungswidrig oder entspreche nicht dem (künftig) wünschbaren Recht [ ... ].

Eine Abweichung von einer Gesetzesnorm ist jedoch zuliissig, wenn der Gesetzgeber sich offenkundig über gewisse Tatsachen geirrt hat oder sich die Verhiiltnisse seit Erlass des Gesetzes in einem solchen Masse gewandelt ha ben, dass die Anwendung einer Rechtsvorschrift rechtsmissbriiuchlich wird ».

Fatuité de Droit et des Sdentes sodales - Poitiers

(14)

Est-illégitime et utile pour le iuge de comparer ?

au législateur (national ou international) de remédier au problème (s'il y a problème).

Toutefois, les situations dans lesquelles l'interprétation du droit national ne laisse pas place au doute et ne laisse aucune marge d'interprétation au juge sont rares.

Les incertitudes du droit national, les besoins d'interprétation, ainsi que, dans certains cas, les conflits entre des règles traditionnelles de droit civil et des valeurs issues de la constitution, rendent le champ d'application de la méthode comparative extrêmement large.

Deuxièmement, la loi et la jurisprudence étrangères ne peuvent jamais lier le juge nationaL La force du droit étranger ne peut être qu'une force de persuasion, une persuasive authority.

Plus les valeurs partagées d'une société à l'autre sont comparables, plus grande sera la valeur persuasive du droit étranger. Plus une question de droit est politisée dans une société donnée, moins certains acteurs seront ouverts à l'inspiration du droit étranger. Ceci peut probablement expliquer pourquoi la discussion sur la légitimité de l'emploi de la méthode comparative est particulièrement controversée dans le droit constitutionnel des Etats-Unis ces dernières années, alors que l'emploi de cette même méthode va de soi en droit privé états-unien47.

i) Harmonisation douce du droit

Pour finir, l'emploi de la méthode comparative se justifie aujourd'hui également, dans les pays membres de l'Union européenne, par l'appartenance de ces pays à l'Union. Selon l'art. 3 aL 3 du Traité sur l'Union européenne, cette dernière se donne pour objectif, entre autres, d'établir un marché intérieur et de promouvoir la cohésion économique de l'Union. A la réalisation de ce but contribue, notamment, la convergence des dispositions applicables aux relations économiques, comme le droit contractuel, la responsabilité civile extracontractuelle ou, pour certaines questions, le droit des biens. Dans ces matières, une interprétation comparative peut mener à une harmonisation « douce » du droit qui constitue, au moins pour certaines matières, ~ne véritable alternative à l'harmonisation par la législation.

En ce sens, l'ancien Président de la Cour fédérale allemande Walter ÜDERSKY a écrit48 :

« [. _ .] Le juge national n'a pas seulement le droit de se fonder sur les interprétations d'autres ordres juridiques et tribunaux dans son jugement; il a aussi le droit- dans le cadre de l'application de son propre droit et bien entendu toujours en faisant une pesée des intérêts entre tous les points de vue à prendre en considération dans l'inter- prétation et dans le développement du droit -d'attacher de l'importance au fait que la solution entrant en considération sert à l'harmonisation du droit européen. Avec ce raisonnement, il peut, le cas échéant, adopter la solution d'un autre ordre juridique en tant que résultat de la pesée d'intérêts. Avec le processus progressif d'intégration européenne, il devrait appliquer ce raisonnement toujours plus fréquemment [. _ .] ».

3· RÉSUMÉ

Dans la recherche d'une solution juste, le juge bénéficie d'une grande liberté dans le choix de ses sources de connaissance et d'inspiration. Dans de nombreux pays

47 V. les références supra (n. 9).

48 Harmonisierende Auslegung und europiiische Rechtskultur, ZEuP 1994, 1 (3 et s.) (traduit de l'allemand).

1 89

Faculté de Droit et des Sciences sociales - Poitiers

(15)

90 Mélanges Jean Beauchmd

effectivement, les juges sont aujourd'hui convaincus, et ceci à juste titre, que le droit comparé est une des méthodes légitimes d'interprétation de la loi nationale. Les nombreux exemples cités dans la troisième partie de cette contribution montreront que les tribunaux nationaux s'inspirent, lors de l'interprétation du droit national, de solutions étrangères. En effet, d'importantes innovations jurisprudentielles, par exemple des droits anglais, allemand, suisse ou autrichien ont été inspirées de comparaisons, par les tribunaux, avec des solutions en vigueur à l' étranger49 .

Suite à une analyse de l'emploi de la méthode comparative par les tribunaux, entreprise au British Institute of International and Comparative Law, Mads AND EN AS, Duncan FAIRGRIEVE, Guy CANIVET, à l'époque Premier Président de la Cour de Cassation française, ainsi que le juge anglais de la House of Lords LORD GoFF OF CHIEVELY, ont résumé ceci par rapport au rôle actuel de la méthode comparative devant les cours en Europe : « Comparative law is increasingly recognized as an essential reference point for judicial decision-making »50 . Selon Guy CANIVET, « the use of comparative law is essential to the fulfilment of a supreme court's role in a modern democracy »51 . ANDENAS et FAIRGRIEVE arrivent à la conclusion que« Courts make use of comparative law, and make open reference to it, to an unprecedented extent. [. .. ] Comparative law has become a source of law »52 . Tom BINGHAM conclut, lui, que: « Judicial horizons have widened and are widening »53 .

III. LA MÉTHODE COMPARATIVE DANS LA PRATIQUE DES TRIBUNAUX

1. INTRODUCTION

Si c'est légitime, est-il utile et opportun de recourir à la méthode comparative ? Les bénéfices de l'approche comparative justifient-ils l'effort, parfois considérable, qu'exige la comparaison?

Dans certains pays, les juges en sont aujourd'hui convaincus. Une analyse portant sur environ 1500 arrêts du Tribunal Fédéral suisse (TF) a montré que dans environ 10 % de ses arrêts, il fait référence à un ou plusieurs ordres juridiques étrangers54.

En matière de responsabilité civile, ces dernières années, le pourcentage d'arrêts du TF utilisant l'approche comparative dépasse les 20 %55 . Dans d'autres pays sur le continent, les tribunaux font occasionnellement recours à la méthode comparative56 . 49 Voir les références infra, III.

50 In CANIVET/ANDENAS/FAIRGRIEVE (eds) (n. 10), p. V et vii.

51 (N. 10), p. 181.

52 In CANIVET/ANDENAS/FAIRGRIEVE ( (eds) (n. 10), p. XXVii.

53 T. BINGHAM, Widening Horizons (n. 1), p. 3.

54 Voir l'excellente analyse de A. GERBER, "Einflufl des auslandischen Rechts in der Rechtsprechung des Bundesgerichts", in Institut Suisse de Droit Comparé (éd.), Perméabilité des ordres juridiques, Zurich:

Schulthess, 1992, 141.

55 Th. KADNER GRAZIANO, "Entwicklungstendenzen im schweizerischen ausservertraglichen Haf- tungs- und Schadensrecht", in P. JuNG (Hrsg.), Aktuelle Entwicklungen im Haftungsrecht, Bern/Zü- rich/Basel/Genf: Schulthess, 2007, 1, n° 3.

56 Pour la France R. LEGEAIS, "L'utilisation du droit comparé par les tribunaux", RIDC 46 (1994), 347 ; pour l'Allemagne H. KbTZ, "Der Bundesgerichtshof und die Rechtsvergleichung", in C.-W. Canaris et al.

(Hrsg.), 50 ]ah re Bundesgerichtshof: Festgabe a us der Wissenschaft, vol. II, München : CH Beek, 2000, p. 825 ; pour l'influence du droit allemand sur le droit anglais, suisse et autrichien, v. K. ScHIEMANN,

"Aktuelle Einflüsse des deutschen Rechts auf die richterliche Fortbildung des englischen Rechts", EuR 2003, 17 ; H. HONSELL, "Rezeption der Rechtsprechung des Bundesgerichtshofs in der Schweiz", in 50 ]ahre Bundesgerichtshof, vol. II, 927 ; H. KoziOL, "Rezeption der Rechtsprechung des Bundesgerichts- hofs in bsterreich ", in 50 ]ahre Bundesgerichtshof, vol. II, 943; pour les Pays-Bas, v. E. HONDIUS (n. 1) p. 759 (764). V. aussi les contributions in CANIVET/ANDENAS/FAIRGRIEVE (eds) (n. 10).

Fa,ulté de Droit et des Sden(es sodales - Poitiers

Références

Documents relatifs

Déterminez de la même manière, avec d'autres rayons r 9 , r 3 , r 4 , r 5 quatre autres points tn a1 m 3i m^ m, qui satisfassent à la mémo condition ; rapportez-les sur un plan

Les modèles du À,-calcul pur que nous considérons ici (et jusqu'à la section 9) sont essentiellement des domaines de Scott tels que toutes les fonctions continues de D dans D

c-/ Pour quelle production l’entreprise a-t-elle un coût moyen minimum, et quel est ce

De même, les personnes ayant visité l’une des zones soumises à une quarantaine renforcée dans les 14 jours précédant leur arrivée (à la date ou après la

se trouve jamais en lien avec les Patriarches mais renvoie à la voca- tion de Moïse (Ex 3) : elle est attes- tée là pour la première fois dans la Bible. Dans la

En effet, si la reconnaissance de cet argument semble constituer un point para- doxal dans le dispositif de la Charte de San Francisco, du fait qu ’ il reconnaît la possibilité

D'ailleurs ça peut être plus intéressant pour les petits enfants de venir par représentation ( égalité des souches ) plutôt que de leur propre chef : au lieu d'avoir trois

L'adoption (ou « incorporation ») des coutumes internationales en droit canadien a-t-elle un effet quelconque sur le partage des compétences législatives entre la fédération et