1058 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 11 mai 2011
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Cœur et tai chi ; Viagra des montagnes
Notre fameuse médecine occidentale (celle dite basée sur les preuves) peut ne pas être allergique à des pratiques généralement mal comprises car nées et codifiées sous d’autres cieux. Une preuve nous en est aujourd’hui apportée avec une publication des Archives of Internal Medicine.1 Elle concerne le tai chi et l’insuffisance cardiaque. On ne détaillera pas, ici, ce que peut être le tai chi (ou taï-chi- chuan) tant d’un point de vue pratique que symbolique. Disons simplement que cet art martial chinois d’inspiration taoïste est, hors de Chine, souvent perçu comme une forme particulière de gymnastique à visée sanitaire et préventive souvent appréciée par les per- sonnes âgées. En position verticale, les mou- vements à mains nues ont à la fois une con- notation martiale (esquives, parades, frappes, saisies…) et «énergétique».
Il s’agit à la fois de mouvements fluides et circulaires, d’exercices d’équilibre et de dé- placement du poids associés à des techni- ques de respiration et de concentration in- terne. La pratique régulière du tai chi est parfois conseillée par certains praticiens pour réduire le risque de chute et améliorer l’équi- libre des personnes âgées. Elle pourrait aider au contrôle de l’hypertension artérielle. Qu’en est-il dans l’insuffisance cardiaque systoli- que ? C’est ce qu’a voulu savoir une équipe américaine dirigée par le Dr Gloria Y. Yeh (Beth Israel Deaconess Medical Center, Har- vard Medical School, Boston) afin de confir- mer ou d’infirmer les rumeurs (positives) existant dans ce domaine.
L’équipe a recruté entre mai 2005 et sep- tembre 2008 un groupe de 100 patients (âgés en moyenne de 67 ans) présentant une frac- tion d’éjection ventriculaire gauche égale ou inférieure à 40%. La moitié d’entre eux a suivi un programme de trois mois de tai chi. L’ob- jectif était d’évaluer par comparaison l’im- pact de cette pratique sur la fonction car- diaque mais aussi sur la qualité de vie des patients. Résumons au plus court les conclu- sions : la pratique du tai chi a été ici associée à une augmentation significative des amé- liorations dans la qualité de vie, l’humeur et les états émotionnels des patients. «Le tai-chi semble être une alternative sûre à l’exercice physique d’intensité faible à modérée classi- que chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque, résume le Dr Yeh. Le tai chi est point de vue
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… le Viagra s’est échappé incognito des alcôves douillettes pour rejoindre les camps d’altitude …
Cœur et tai chi ; Viagra des montagnes
sûr, bénéficie d’un bon taux d’adhé- sion des patients et peut apporter beaucoup de bénéfices dans la qua- lité de vie, l’auto-efficacité et l’hu- meur des patients atteints d’insuffi- sance car diaque systolique.» C’est sans dou te là un point essentiel quand on con naît l’impact de la perception de la qualité de vie dans les affec- tions chroniques.
Et qu’en est-il de notre médecine basée sur les preuves lorsqu’il s’agit d’étudier un élargissement des indi- cations d’une spécialité médicamen- teuse à des fins qui ne sont pas stric- tement thérapeutiques ? L’histoire nous est rapportée par The Sunday Times qui vient d’annoncer qu’une équipe d’alpinistes britanniques al- lait, fin mai, s’attaquer à l’Eve rest en expéri- mentant les effets sur l’oxygénation hu- maine, en très haute altitude, du sildénafil (Viagra). L’équipe sera menée par David Hempleman-Adams, un habitué des plus hauts sommets et attaquera l’Everest par sa face nord.
Le médecin accompagnateur de l’équipe (le Dr George Rodway) est un expert en mé- decine de haute altitude dont le camp de base est situé à l’Université de l’Utah. Outre le recours au Viagra sur les poumons, les al-
pinistes expérimenteront l’impact de diffé- rents régimes alimentaires afin de déterminer s’il y a mieux, dans une telle situation, que le régime hypercalorique traditionnel des alpi- nistes. La seule femme membre de l’équi pe ne devrait participer qu’à cette deuxième partie de l’expérience.
Ce n’est pas la première fois que le Viagra est testé à d’autres fins que l’amélioration de la fonction érectile masculine. En 2004, une étude allemande avait ainsi été menée sur des alpinistes dans un camp de base du mont Everest, à une altitude de près de 5000 mètres avant d’être publiée dans les Annals of Internal Medicine.2 Les auteurs (travaillant au Centre hospitalier et à l’Université Justus-
Liebig de Giessen) estimaient alors fournir les preuves que le sildénafil était la première molécule permettant d’accroître les capacités physiques dans des conditions d’hypoxie sévère et ce en altitude comme au niveau de la mer.
En 2006, une étude (en double aveugle contre placebo) menée par des chercheurs de l’Université de Stanford et publiée dans The Journal of Applied Physiology s’était intéressée aux effets du Viagra sur des cyclistes péda- lant à une altitude simulée de 4000 mètres.
Conclusion : la prise de sildénafil permettait, chez certains d’entre eux, d’obtenir une amé lioration des per- forman ces de l’ordre de 40% sans que rien de tel ne soit observable au niveau de la mer.
Depuis, la question de l’utilisation du Viagra à des fins de dopage non pas sexuel mais sportif est omniprésente. A dire vrai, cette question est publiquement soulevée depuis près d’une décennie. «Déjà en 2001, nous avions signalé dans la presse sportive que le Viagra, médicament commercialisé pour les troubles de l’érection, s’était échappé prati- quement incognito des alcôves douillettes pour rejoindre les camps d’altitude afin de limiter le "mal aigu des montagnes", écrivait fin 2007 le Dr Jean-Pierre de Mondenard, spécialiste de médecine du sport sur le site d’information francophone Rue 89. L’équipe du professeur Martin Wilkins, du Centre national britannique de cardiologie de l’Hô-
pital Hammersmith de Londres, a démontré que l’enzyme qui gênait l’afflux du sang dans le pénis chez des personnes en difficul- tés érectiles provoquait aussi des difficultés respiratoires dans un air appauvri en oxy- gène. (…) L’une des études consacrées au sildénafil a eu pour théâtre le Mont Blanc.
Douze volontaires ont été héliportés ven- dredi 11 juillet 2003 à l’Observatoire Vallot (4360 m) près du plus haut sommet des Alpes où ils ont testé pendant six jours les effets secondaires du Viagra. (…) Douze hom- mes, âgés d’une cinquantaine d’années, ont pris du Viagra alors que, parallèlement, ils pédalaient sur des vélos d’appartement et étaient suivis par quatre médecins présents.
Résultat ? La moitié ayant pris du Viagra avait des performances nettement supérieures, et respirait bien mieux. Leur circulation san- guine était aussi plus fluide.»
Les preuves sont là. Faut-il interdire le Viagra chez les vélocipédistes ?
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
1 Yeh GY, McCarthy EP, Wayne P, et al. Tai Chi exercise in patients with chronic heart Failure. Arch Intern Med 2011;171:750-7. doi:10.1001/archinternmed.2011.150 2 Ghofrani HA, Reichenberger F, Kohstall MG, et al. Silde-
nafil increased exercise capacity during hypoxia at low altitudes and at Mount Everest base camp : A rando- mized, double-blind, placebo-controlled crossover trial.
Ann Intern Med 2004;141:169-77.
D.R.
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