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Temps, discours, argumentation 2011 | n 51 51

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Impr. Rapidoffset, Le Locle Temps, discours, argumentation Institut des sciences du langage et de la communication

T r a v a u x n e u c h â T e l o I s d e l I n g u I s T I q u e

Patrick Morency (Ed.)

Temps, discours,

argumentation

(2)

Responsable de la revue

Gilles Corminboeuf email: gilles.corminboeuf@unine.ch

Comité scientifique de la revue

Marie-José Béguelin, Simona Pekarek Doehler, Louis de Saussure, Geneviève de Weck (Université de Neuchâtel)

Comité de lecture pour ce numéro

Antoine Auchlin (Université de Genève), Cécile Barbet, Gilles Corminboeuf, Alain Kamber, Alain Rihs, Louis de Saussure (Université de Neuchâtel), Bertrand Sthioul (ELCF, Université de Genève)

Secrétariat de rédaction

Claudia Fama, Revue Tranel, Institut des sciences du langage et de la communication, Université de Neuchâtel, Espace Louis-Agassiz 1, CH-2000 Neuchâtel

Les anciens numéros sont également en accès libre (archive ouverte / open access) dans la bibliothèque numérique suisse romande Rero doc.

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© Institut des sciences du langage et de la communication Université de Neuchâtel, 2009

Tous droits réservés ISSN 1010-1705

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Table des matières

 Patrick MORENCY Avant-propos

Temps, discours, argumentation --- 1-4

 Laura BARANZINI

Opposition argumentative et opposition non argumentative: le cas des expressions

italiennes quando et mentre --- 5-18

 Patrick MORENCY

Déjà: un marqueur procédural de

subjectivation --- 19-43

 Louis DE SAUSSURE

Remarques sur l'usage futur du passé

composé --- 45-60

 Alain RIHS

Indicatif, subjonctif et engagement du locuteur

--- 61-74

 Corinne ROSSARI

Le conditionnel dit épistémique signale-t-il

un emprunt? --- 75-96

 Katarzyna M. JASZCZOLT

Le temps comme degrés d'engagement

épistémique --- 97-113

Adresses des auteurs --- 115

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Temps, discours, argumentation

Avant-propos

Patrick MORENCY

Université de Neuchâtel, Espace Louis-Agassiz 1, CH-2000 Neuchâtel patrick.morency@unine.ch

Ce volume a pour but d'analyser les effets dérivés des expressions communément appelées "temporelles'' – temps verbaux, adverbes et connecteurs de temps. Trois articles de ce volume proposent une description et une analyse de ces expressions lorsqu'elles expriment autre chose que la simple temporalité; deux articles ont pour objet l'interprétation épistémique des modes conditionnel et subjonctif et la contribution conclusive de Katarzyna Jaszczolt développe un argumentaire fouillé, à cheval entre la linguistique et la philosophie, en faveur d'une conception résolument modale des temps verbaux.

Il est bien connu que les expressions servant à dénoter le temps (temps verbaux, adverbes et déictiques de temps, connecteurs temporels...) ont aussi d'autres fonctions: argumenter, présenter l'ordre des énoncés plutôt que ce qu'ils décrivent, faire inférer un état de pensée subjectif, etc. Ce numéro a pour but de traiter des cas représentatifs, qui peuvent être considérés de différentes façons et qu'on peut analyser soit:

1) comme l'abandon contextuel de la valeur temporelle première au profit d'une autre valeur non-temporelle;

2) comme un enrichissement au moyen de valeurs discursives, subjectives ou argumentatives qui s'ajoutent à la valeur temporelle de base;

3) comme un effet de sens fondé sur une valeur fondamentalement non temporelle;

4) ou encore que les valeurs non temporelles seraient métaphoriquement dérivées des valeurs temporelles initiales.

La question soulevée dans ce volume concerne donc la problématique du temps en rapport avec celle de l'argumentation et de la structuration discursive ou rhétorique, mais aussi l'expression de la subjectivité au

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moyen d'expressions temporelles et modales. Les contributions de ce volume aborderont ces problématiques sous diverses perspectives.

L'article de Laura Baranzini illustre un cas de synonymie apparente entre deux connecteurs temporels de l'italien dans leurs usages oppositifs. Ces deux connecteurs sont parfaitement interchangeables dans la plupart des cas. Les cas où on ne peut avoir qu'un de ces deux connecteurs permettent de montrer que la caractéristique prédominante de quando est son caractère argumentatif. Baranzini postule que cette capacité argumentative et discursive fournit une description plus convaincante des deux expressions qui rend compte de leurs divers fonctionnements par rapport au mouvement d'opposition créé par les deux termes dans des contextes similaires.

Dans l'article de Patrick Morency, nous verrons comment déjà peut être employé de manière non-descriptive pour exprimer autre chose que la temporalité. L'article passera d'abord en revue la littérature sur le sujet, avant de proposer une approche procédurale qui rend compte de l'ensemble des effets de sens que peut générer cette expression. Il suggère que le noyau sémantique de déjà n'est pas nécessairement temporel, et que le contexte détermine si l'énoncé est temporel, argumentatif ou discursif.

L'article de Louis de Saussure tente d'identifier les contraintes pragmatiques qui permettent l'usage du passé composé avec un adverbe de temps tel que bientôt. Les études précédentes affirment que seuls les verbes aspectuels peuvent être employés dans une telle configuration, et qu'une notion pragmatique de planification doit être accessible aux interlocuteurs. Cette contribution suggère que certains de ces énoncés fonctionnent très bien malgré l'absence d'agentivité, tant qu'ils communiquent une attitude particulière, ou qu'une action doit être adoptée dans le présent pour affecter un état de choses futur.

Dans son article, Alain Rihs entreprend l'investigation des types d'ajustement pragmatique qui ont lieu lorsque l'indicatif alterne avec le subjonctif dans les subordonnées introduites par des verbes d'intellection.

L'auteur soutient notamment que lorsque l'alternance modifie l'attitude épistémique du locuteur, l'éventualité enchâssée est réexaminée en termes de 'possibilité' avec le subjonctif et en termes de 'probabilité' avec l'indicatif.

L'article de Corinne Rossari examine l'usage épistémique du mode conditionnel en français. Après une revue de la littérature sur les différentes traditions qui ont traité du conditionnel, l'article propose une analyse selon laquelle l'usage épistémique du conditionnel est un sous- type de l'usage hypothétique. Le déplacement vers la valeur épistémique est vu comme le résultat d'une interprétation ambiguë entre un point de

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vue rapporté et le discours rapporté. La valeur épistémique vient d'un élargissement du lien sémantique entre la protase et la clause conditionnelle principale.

La contribution de Katarzyna Jaszszolt pose la question du temps comme notion pragmatique psychologique et propose de traiter la référence temporelle par l'intermédiaire d'une fusion représentationnelle dont les sources informationnelles sont d'origines diverses (lexicales, compositionnelles, pragmatiques-inférentielles) dans le cadre de son modèle de la sémantique par défaut (Default semantics). Son modèle plaide pour une redéfinition des niveaux de sens selon des niveaux d'intention, au-delà de la partition classique entre sens explicite et implicite. A travers l'examen d'exemples en anglais, polonais et swahili, elle défend une position radicalement modale du temps: les temps verbaux permettent de déterminer une référence temporelle comme valeur émergente de la modalité épistémique qui joue alors le rôle d'un composant plus fondamental du temps cognitif.

Bibliographie

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Opposition argumentative et opposition non

argumentative: le cas des expressions italiennes quando et mentre

Laura BARANZINI

Université de Genève, 5, rue St-Ours, CH-1211 Genève 4 Laura.Baranzini@unige.ch

L'intento di queste pagine è quello di illustrare un caso di apparente ''sinonimia'' di due espressioni connettive temporali in un loro impiego oppositivo. I due connettivi si presentano, in questo uso, perfettamente intercambiabili nella maggior parte dei casi. Quelle configurazioni che invece non permettono la presenza di uno dei due connettivi (secondo criteri ben diversi da quelli che ne differenziano l'uso temporalmente) permettono di mostrare come la caratteristica predominante di quando sia il suo carattere argomentativo. È questa sua capacità di orientare il discorso, creando una dinamica argomentativa, a fornire la risposta più convincente per una descrizione delle due espressioni che renda conto del loro diverso funzionamento al di là del movimento di opposizione creato da entrambi in contesti simili.

1. Introduction

Il est bien connu que les expressions temporelles sont des entités linguistiques privilégiées au niveau du potentiel textuel et argumentatif.

L'élément le plus intéressant du caractère multifonctionnel de ces expressions réside probablement dans le rapport que les différents emplois, les différentes déclinaisons sémantiques entretiennent entre eux.

La description du processus de passage d'un emploi à l'autre présente en effet des aspects qui peuvent aider dans la compréhension du phénomène de l'argumentativité des expressions temporelles.

Par exemple, on peut rappeler l'observation fondamentale selon laquelle deux expressions quasi-synonymiques dans un emploi particulier ne permettent pas nécessairement toutes les deux un transfert à un emploi différent. Si le passage se faisait à partir d'un noyau sémantique temporel, ou d'un noyau sous-déterminé commun, il faudrait de toute façon pouvoir expliquer l'impossibilité pour certaines expressions de présenter un emploi non temporel.

Il existe en tout cas des expressions quasi-synonymiques qui se retrouvent dans au moins deux emplois sémantiques différents, et c'est justement sur un de ces cas que nous aimerions nous pencher ici. La description sémantique de ces deux connecteurs dans deux emplois (dont un temporel) permettra de montrer que le rapport entre quando ('quand') et mentre

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('pendant que', 'tandis que') n'est pas le même selon la fonction sémantique qu'ils remplissent. En effet on pourra voir que les caractéristiques de différenciation des deux connecteurs – bien connues et décrites dans la littérature – n'agissent pas en emploi non temporel, où la distinction est opérée justement grâce à l'existence ou à l'absence d'un

"pouvoir argumentatif". À côté de l'emploi temporel présenté en (1) on distingue normalement deux classes principales d'emplois non temporels:

un emploi inverse, illustré en (2), et un emploi oppositif, qui nous intéresse ici, en (3):

(1) Si distrae facilmente quando/mentre lavora.

Il est facilement distrait quand/pendant qu'il travaille.

(2) Lavorava da qualche ora quando/*mentre squillò il telefono.

Il travaillait depuis quelques heures quand le téléphone sonna.

(3) Si distrae molto spesso, quando/mentre dovrebbe pensare soltanto al suo lavoro.

Il est souvent distrait, alors qu'il ne devrait penser qu'à son travail.

Ce dernier emploi oppositif des connecteurs quando et mentre est presque toujours traité en tant qu'emploi autonome et indépendant du connecteur temporel, et non pas comme une manifestation de celui-ci. Observons, à ce propos, la description qu'en donnent la grammaire de référence pour l'italien (en parlant des subordonnées oppositives) et un dictionnaire (sous l'entrée quando):

Un'avversativa esplicita è introdotta dalle congiunzioni quando, mentre e laddove [...]1 (Une adversative explicite est introduite par les conjonctions quando, mentre et laddove).

In funzione di congiunzione testuale: col significato di mentre, invece, laddove2 (En fonction de conjonction textuelle: avec le signifié de mentre, invece, laddove).

Dans cet emploi oppositif, les connecteurs assument une valeur de substitution ou de contraste3, et peuvent être quasi systématiquement paraphrasés par des constructions avec invece di (au lieu de) ou invece (au contraire ou par contre). Ainsi que nous l'avons fait remarquer plus haut, la possibilité de substitution entre les deux connecteurs quando et mentre répond à des critères différents (et de nature différente) selon le type sémantique de relation qu'ils véhiculent. Plus précisément, on peut dire qu'à première vue les cas où les deux expressions sont le plus difficilement substituables – tout en réalisant une relation temporelle de

1 Serianni (1997).

2 Sabatini & Coletti (1997).

3 On verra qu'en réalité il est possible d'attribuer une opération de contraste seulement à mentre; quando codifierait plutôt une relation de nature concessive (on distingue ici entre trois types de relations d'opposition: concession, substitution et contraste).

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contemporanéité – sont les cas temporels; il faut cependant remarquer que même dans les contextes d'opposition où la présence des deux expressions est possible l'équivalence n'est pas complète: des effets de sens liés au rapport argumentatif entre les deux propositions p et q sont en effet activés différemment selon l'alternance entre le connecteur quando et le connecteur mentre. Ceci pourrait nous permettre de postuler que les différences au niveau temporel concernent des instructions sémantiques au sens strict, qui interagissent avec le contexte linguistique où le connecteur se trouve, alors qu'au niveau oppositif les différences seraient plus "externes", et auraient le pouvoir de "façonner" le contexte linguistique.

Dans les constructions oppositives avec quando et mentre la valeur temporelle paraît totalement absente. Cependant il s'agit bien de deux expressions qui présentent un emploi temporel très proche et en même temps un même emploi non temporel: ce fonctionnement parallèle laisse imaginer, comme on l'a dit, un caractère sémantico-procédural à la base des deux cas de figure qui en facilite tant l'interprétation temporelle que l'interprétation oppositive; par exemple une caractéristique de l'emploi temporel pourrait permettre – ou pourrait avoir permis diachroniquement – le passage à l'emploi non temporel. Cette caractéristique sémantique ne pourrait toutefois pas, à elle seule, rendre compte de la construction de la valeur oppositive, étant donné que d'autres expressions temporelles similaires, qui peuvent remplacer quando et mentre dans les cas temporels, ne sont absolument pas capables de véhiculer une relation de substitution ou de contraste qui puisse s'approcher de celle qui est associée aux deux connecteurs en question.

Cette flexibilité plus accentuée par rapport à d'autres expressions temporelles "équivalentes" pourrait dériver de leur nature même de connecteur, qui en fait des entités linguistiques plus facilement grammaticalisées, ou bien à la possibilité, par exemple, que la composante temporelle soit moins transparente par rapport à des expressions telles que nel momento in cui (au moment où), ou encore que celle-ci soit inscrite à un niveau sémantique moins profond.

2. Emploi temporel

Le fonctionnement temporel circonstanciel4 des deux connecteurs quando et mentre est bien connu et amplement décrit dans la littérature; on se

4 Cet emploi circonstanciel s'oppose aux constructions inverses et aux constructions oppositives, où la proposition introduite par le connecteur ne peut pas être analysée du point de vue syntaxique en tant que composant non argumental de la proposition principale.

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bornera ici à en rappeler les caractéristiques principales, utiles à notre étude. Dans son emploi "standard" la conjonction subordonnante quando instaure entre deux états de choses un lien temporel de simultanéité (ou de succession immédiate), en situant à un moment donné l'événement décrit dans la proposition principale, ainsi que le ferait un complément de temps à l'intérieur d'une phrase:

(4) Ieri ho ricevuto una strana telefonata quando mangiavo.

Hier j'ai reçu un appel bizarre quand je mangeais.

Dans certains contextes (notamment lorsque l'action est imperfective aussi bien dans la proposition principale que dans la subordonnée) la conjonction quando peut comprendre toute une série d'événements et assumer le signifié universel de "à chaque fois que":

(5) Quando mi rivolgono accuse ingiuste, mi limito a sorridere ed annuire.

Quand on m'accuse injustement, je me borne à sourire et acquiescer.

(6) Quando andava a casa sua, le portava sempre dei fiori.

Quand il allait chez elle, il lui apportait toujours des fleurs.

Cette deuxième possibilité est moins naturelle avec mentre, qui était parfaitement possible dans un exemple comme (4):

(7) ?Mentre mi rivolgono accuse ingiuste, mi limito a sorridere ed annuire.

Il est intéressant de remarquer qu'intuitivement ce qui paraît rendre moins naturelle la présence de mentre réside dans sa précision, sa spécialisation dans l'identification d'une seule portion temporelle précise, simultanée à une autre, en focalisant cette identification temporelle à l'intérieur d'une durée, et non pas un moment globalement observé d'un point de vue externe. Une autre expression qui présente une sémantique de détermination temporelle précise telle que nel momento in cui se révèle aussi plus compliquée à interpréter dans un contexte itératif, ainsi que le montre l'exemple suivant:

(8) ?Nel momento in cui mi rivolgono accuse ingiuste, mi limito a sorridere ed annuire.

Il est toutefois possible de rendre parfaitement itérative l'action de la proposition principale avec le connecteur mentre. Dans ce cas le connecteur lui-même n'activera pas forcément une valeur itérative: la proposition temporelle ne cessera pas d'expliciter le cadre de la durée de référence à l'intérieur duquel se situe chacune des manifestations de l'événement itératif exprimé par la principale.

(9) Mentre andava in ufficio, si fermava sempre a comperare il giornale.

En allant au bureau, il s'arrêtait toujours pour acheter le journal.

La possibilité devrait donc s'offrir de récupérer l'exemple (6) en sollicitant ce type de lecture, mais on voit que (10) reste difficilement acceptable:

(10) ?Mentre andava a casa sua, le portava sempre dei fiori.

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Si l'événement ne peut pas être inséré dans cette durée (comme en (10), où en effet le conflit subsisterait aussi en l'absence d'une lecture itérative), l'acceptabilité reste donc partielle, mais si l'action de la principale permet une lecture interne à la durée de la subordonnée, il est possible de récupérer la lecture présentée ci-dessus, en laissant la fonction itérative à la configuration aspecto-temporelle de l'énoncé:

(11) Mentre andava a casa sua, le comprava sempre dei fiori.

En allant chez elle, il lui achetait toujours des fleurs.

Les temps et modes verbaux qui se présentent dans ces structures sont variés et jouissent d'une certaine liberté d'articulation. On rappellera seulement le cas particulier du subjonctif dans les propositions introduites par quando, qui impose à l'énoncé une lecture hypothétique, en rapprochant le connecteur d'autres expressions telles que se (si) ou nel caso in cui(au cas où):

(12) Quando fosse possibile, mi piacerebbe unirmi a voi.

Si c'était possible, j'aimerais me joindre à vous.

En ce qui concerne l'aspect verbal, mentre présente un nombre sensiblement plus élevé de contraintes; plus précisément, ce connecteur ajoute aux instructions de simultanéité temporelle partiellement partagées avec quando une requête aspectuelle concernant le caractère duratif de l'action exprimée par la proposition temporelle, indépendamment de la qualité de l'action de la proposition principale, par exemple dans l'exemple suivant:

(13) Quando Alfredo seppe dell'inganno, corse da lei.

Quand Alfredo découvrit le piège, il courut chez elle.

(14) *Mentre Alfredo seppe dell'inganno, corse da lei.

On remarque donc que mentre n'est pas compatible avec une succession immédiate de ce genre (mais seulement avec une superposition de deux durées, ou une incidence d'un événement à l'intérieur d'une durée), configuration typique parmi les emplois de quando.

Il est également impossible, pour le connecteur mentre, de paraître dans une structure inverse telle que la suivante:

(15) Alfredo camminava nel bosco, quando scoppiò un temporale.

Alfredo marchait dans le bois, lorsqu'un orage éclata.

(16) *Alfredo camminava nel bosco, mentre scoppiò un temporale.

De même que la précédente, cette inacceptabilité n'est pas inattendue si l'on considère la contrainte en termes de durée de l'action opérée par mentre sur la proposition qu'il introduit, et si en même temps l'on tient compte d'une des caractéristiques définitoires de la structure inverse, c'est-à-dire le caractère ponctuel de l'incidence de l'événement introduit par le connecteur.

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3. Emploi oppositif

Passons maintenant à l'illustration d'un cas prototypique de structure oppositive construite autour de ces deux connecteurs:

(17) Alfredo non fece nulla, quando tutti si aspettavano una sua reazione.

Alfredo ne fit rien, alors que tout le monde s'attendait à une réaction de sa part.

(18) Alfredo non fece nulla, mentre tutti si aspettavano una sua reazione.

Cette structure présente des caractéristiques syntaxiques et sémantiques qui la différencient de la construction circonstancielle; ces mêmes critères de distinction se retrouvent également dans la structure plus connue du quando inverse5. D'une façon analogue, en effet, il n'est pas possible de focaliser la proposition introduite par le connecteur:

(19) È quando si sentì con le spalle al muro, che Alfredo non fece più nulla.

C'est quand il se trouva au pied du mur qu'Alfredo ne fit plus rien.

(20) *È quando all'improvviso scoppiò un temporale, che dormivo tranquillamente.

C'est quand soudain un orage éclata que je dormais paisiblement.

(21) *È quando tutti si aspettavano una sua reazione, che Alfredo non fece nulla6. C'est quand tout le monde s'attendait à une réaction de sa part qu'Alfredo ne fit rien.

(22) *È mentre tutti si aspettavano una sua reazione, che Alfredo non fece nulla.

(23) *Alfredo non fece nulla, proprio/soltanto/persino quando/mentre tutti si aspettavano una sua reazione.

Alfredo ne fit rien justement/seulement/même quand tout le monde s'attendait à une réaction de sa part.

Il est également impossible de détacher la proposition oppositive en position thématique et de l'interroger, et elle ne peut pas non plus se présenter avec une interrogation de la proposition principale (ces opérations sont par contre tout à fait fréquentes dans les emplois temporels, si l'on exclut l'incompatibilité de mentre avec la valeur interrogative):

(24) *Quando/mentre Alfredo non fece nulla? Quando/mentre tutti si aspettavano una sua reazione.

(25) *Che cosa fece Alfredo quando/mentre tutti si aspettavano una sua reazione?

Nulla.

5 Pour ce qui concerne la particularité du statut syntaxique de la "subordination" inverse, ainsi que de la relation que celle-ci instaure entre temporalité et opposition argumentative, cf. Baranzini (2007).

6 Comme d'habitude, les jugements d'agrammaticalité et les marques correspondantes ne sont pas à interpréter de manière absolue; ils sont au contraire assujettis au caractère occasionnel de l'interprétation choisie (ou obligée) et n'ont aucune valeur extra- contextuelle. Les énoncés (21), (22) et (23) sont en effet parfaitement acceptables si l'on choisit une lecture temporelle, comme en (19) (où la lecture temporelle est la seule offerte), ignorant l'interprétation oppositive – pourtant beaucoup plus accessible.

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Ces variantes deviennent de la sorte une solution pour imposer une lecture circonstancielle du connecteur quando, en permettant d'éliminer d'autres lectures éventuelles.

Observons encore que la proposition introduite par le connecteur ne présente pas, dans cette structure oppositive, une mobilité de position comparable à celle qui lui est offerte en emploi temporel circonstanciel non argumentatif, comme en (26) et (27) (tout en permettant une ouverture dans cette direction par rapport à la structure temporelle inverse – qui, contrairement à l'emploi circonstanciel, est orientée argumentativement – moins élastique de ce point de vue, comme on le voit en (28) et (29), où la séquence p quando q est obligatoire):

(26) Sono andato a letto quando è finito il film.

Je suis allé me coucher quand le film s'est terminé.

(27) Quando è finito il film sono andato a letto.

Quand le film s'est terminé je suis allé me coucher.

(28) Stavo dormendo quando è scoppiato il temporale.

Je dormais quand l'orage a éclaté.

(29) *Quando è scoppiato il temporale stavo dormendo.

(30) Alfredo non fece nulla quando tutti si aspettavano una sua reazione.

(31) *Quando tutti si aspettavano una sua reazione, Alfredo non fece nulla.

(32) Alfredo non fece nulla mentre tutti si aspettavano una sua reazione.

(33) ?Mentre tutti si aspettavano una sua reazione, Alfredo non fece nulla.

Plus spécifiquement, on voit que la structure oppositive paraît permettre à la proposition introduite par mentre d'occuper les deux positions (avant ou après la principale), tout en signalant une préférence pour la dernière, alors qu'avec le connecteur quando la position initiale de la séquence est empêchée7.

Pour résumer: la proposition oppositive introduite par quando ou par mentre se distingue de la proposition temporelle circonstancielle par une mobilité réduite, l'impossibilité d'être focalisée (ni prosodiquement, ni lexicalement, ni par clivage), détachée ou thématisée8. Ces

7 On trouve cependant dans la littérature des descriptions différentes. En particulier, la Grande grammatica di consultazione (Giusti, 1991) accepte la construction avec le connecteur en première position aussi pour quando, et non seulement pour mentre. Devant un tel écart de jugement de grammaticalité, la seule réponse significative devrait être fondée à partir d'une étude de corpus qui puisse sélectionner, pour toute occurrence de quando après la principale, son éventuelle valeur oppositive.

8 Cette apparente anomalie du statut informationnel de la structure est en réalité strictement liée au statut syntaxique particulier de q, qui en fait un élément autonome de ce point de vue aussi.

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caractéristiques, ainsi que l'indépendance syntaxico-sémantique partielle de la proposition en q, imposent un rapprochement avec la construction inverse: ici, en effet, on n'a pas non plus affaire à une subordonnée circonstancielle qui fait partie de la structure syntaxique de la principale, mais à une proposition relativement autonome9, tant sémantiquement que syntaxiquement. En outre, comme la structure inverse, la structure oppositive est asymétrique, "orientée", et ne peut pas être systématiquement inversée.

Dans les exemples proposés jusqu'ici, il était presque toujours possible d'interpréter temporellement les énoncés, qui pouvaient devenir, de ce fait, ambigus. En réalité, on peut voir qu'en manipulant les énoncés il est possible de créer les conditions linguistiques ou contextuelles qui favorisent l'une des deux lectures, en supprimant cette ambiguïté. Ce procédé est utilisé par exemple en (34), qui est le résultat de la manipulation de (31) ou de (33):

(34) Alfredo non fece nulla, quando/mentre tutti si aspettavano una sua reazione, ma reagì con forza quando nessuno se lo sarebbe più immaginato.

Alfredo ne fit rien quand tout le monde s'attendait à une réaction de sa part, mais réagit violemment quand personne n'y croyais plus.

Ici on a conservé prioritairement l'interprétation temporelle, mais il est tout aussi possible de résoudre l'ambiguïté dans la direction opposée, c'est-à- dire en éliminant la lecture temporelle et en gardant l'interprétation oppositive, par exemple en utilisant une forme verbale au conditionnel dans la proposition introduite par le mentre. Cette particularité ne se manifeste par contre pas si le connecteur employé est quando, qui ne crée pas de conflit entre mode conditionnel et lecture temporelle:

(35) ?Alfredo non fece nulla, mentre tutti si sarebbero aspettati una sua reazione, e reagì invece mentre pensavano che se ne fosse ormai dimenticato.

(36) Alfredo non fece nulla, quando tutti si sarebbero aspettati una sua reazione, e reagì invece quando pensavano che se ne fosse ormai dimenticato.

Considérons maintenant un autre cas de divergence de comportement des deux connecteurs analysés dans leur emploi oppositif; l'observation de ces exemples nous permettra aussi d'avancer une hypothèse à propos de l'origine de l'incompatibilité rencontrée en (31) entre la lecture oppositive et la position initiale de la proposition introduite par quando. Dans ces deux nouveaux exemples, nous avons une séquence de deux propositions dans l'ordre moins problématique pconnecteurq:

9 Une comparaison avec d'autres formes similaires montre toutefois que tant la rupture énonciative que la rupture syntaxique sont moins fortes que celles opérées par d'autres connecteurs, par exemple invece.

(16)

(37) Ieri Alfredo era riuscito a scrivere quasi venti pagine del suo romanzo, mentre oggi ne ha scritte solamente tre.

Hier Alfredo avait pu écrire presque vingt pages de son roman, alors qu'aujourd'hui il n'en a écrit que trois.

(38) ? Ieri Alfredo era riuscito a scrivere quasi venti pagine del suo romanzo, quando oggi ne ha scritte solamente tre.

Ces deux énoncés présentent une différence d'acceptabilité bien nette, à tel point qu'à un emploi parfaitement naturel avec mentre s'oppose une construction très problématique avec quando. Or, comme une des caractéristiques qui pourraient se révéler pertinentes (puisque liée à la temporalité de cet énoncé) est l'écart entre les niveaux temporels différents des deux propositions (aujourd'hui vs hier, a écrit vs avait pu écrire), il est possible d'avancer l'hypothèse d'un conflit entre le connecteur quando et ce type de configuration temporelle. Par exemple ce connecteur garderait dans cet emploi aussi une contrainte vaguement temporelle de simultanéité; une base temporelle serait donc propre à la sémantique de quando, et les autres emplois en seraient des dérivations différemment enrichies, alors que mentre présenterait un emploi oppositif totalement disjoint du temporel, permettant une séquence de deux propositions à deux niveaux temporellement divergents.

En réalité cette hypothèse se montre malheureusement insuffisante, et ne permet pas de rendre compte de ce même genre de conflit dans bon nombre d'autres énoncés dans lesquels l'on retrouve deux plans temporels écartés, sans que cela en rende moins naturelle la construction, ainsi que le montre l'exemple suivant:

(39) Alfredo sta arrivando da solo, quando/mentre gli è/era stato ricordato più volte di passare a prendere la nonna.

Alfredo est en train d'arriver tout seul, alors qu'on lui a/avait rappelé plusieurs fois de passer chercher grand-mère.

Si la présence du passé composé pourrait offrir une dernière solution pour conserver l' "hypothèse temporelle" (vu que le connecteur pourrait être plus sensible à l'état résultant de l'événement qu'à l'événement en soi), la possibilité d'avoir un plus-que-parfait oblige à une révision totale de celle- ci, car même un état résultant et un point de référence antérieurs au moment où se situe l'événement de la première proposition admettent parfaitement la présence de quando.

On arrive à une hypothèse plus convaincante en comparant des séquences symétriques où le contenu de p est déplacé en q et vice-versa, en choisissant comme paramètre de variation la distribution du contenu en p et en q plutôt que la position respective des deux propositions:

(40) Alfredo non fece nulla; invece tutti si aspettavano una sua reazione.

(41) Tutti si aspettavano una sua reazione, invece Alfredo non fece nulla.

(17)

(42) Alfredo non fece nulla, mentre tutti si aspettavano una sua reazione.

(43) Tutti si aspettavano una sua reazione, mentre Alfredo non fece nulla.

(44) Alfredo non fece nulla, quando tutti si aspettavano una sua reazione.

(45) *Tutti si aspettavano una sua reazione, quando Alfredo non fece nulla.

Autant le connecteur invece que le connecteur mentre offrent donc la possibilité de créer l'opposition entre les deux éléments indépendamment de l'ordre (du contenu) de ceux-ci. Cette propriété commutative qui les caractérise n'est par contre pas prévue par quando, qui introduit une condition d'emploi particulière concernant l'ordre des contenus propositionnels et la priorité logique de l'un sur l'autre10. En d'autres termes, mentre et invece mettent en relation les deux éléments de la séquence sur un plan logique foncièrement symétrique et paritaire, alors que quando introduit une sorte de déséquilibre dans la structure, où un élément a une fonction d' "arrière-plan logique" qui peut être réactivé seulement a posteriori, une fois p énoncé. Essayons d'illustrer cette différence par la comparaison de ces trois variantes:

(46) Giovanni sostiene il partito repubblicano, invece Alfredo vota per il partito democratico.

Giovanni supporte le parti républicain, par contre Alfredo vote pour le parti démocrate.

(47) Giovanni sostiene il partito repubblicano, mentre Alfredo vota per il partito democratico.

(48) Giovanni sostiene il partito repubblicano, quando Alfredo vota per il partito democratico.

Cette antériorité associée à l'emploi oppositif de quando consiste essentiellement en la présentation de l'état de choses en q comme préexistant dans la réalité discursive par rapport à p. L'un des deux états de choses est de fait fonctionnalisé à l'autre, et permet de créer une asymétrie entre les deux propositions dans la mesure où l'état de choses en q (et les inférences qui lui sont associées) est présenté comme préexistant dans le raisonnement: la présentation de l'argumentation se fait en montrant p compte tenu de q e de ce qui en découle, tandis qu'une orientation inverse des deux états de choses impliqués n'est pas possible.

En effet cette nécessité d'interpréter un événement "à la lumière" d'un autre, "par rapport" à un autre, comporte l'activation d'un dynamisme argumentatif presque absent dans les énoncés (47) et (48): le fait d'obliger une telle interprétation de la séquence fait en sorte que celle-ci soit traitée comme argumentative et non seulement descriptive, parce que la mise en

10 Cet aspect est certainement lié aussi à la capacité de quando, plus accentuée par rapport à mentre, de présupposer le contenu de la proposition.

(18)

relation des deux contenus de manière orientée active un ensemble d'inférences qui ne sont pas sollicitées par une simple juxtaposition de deux éléments opposés sans indications d'orientation.

Si on imagine un contexte de description neutre par rapport aux orientations politiques des deux sujets, les deux premiers énoncés paraissent justement adéquats, tandis que celui en (49) est difficilement interprétable comme description sans jugements. Dans ce dernier cas les deux états de choses sont fonctionnalisés l'un par rapport à l'autre, en contraignant l'interprétation vers des conclusions qui rendent compte du rapport qui existe entre p et q (rapport qui, en (47) et en (48), pourrait à la limite ne pas exister du tout, et ne relever que des modalités linguistiques d'exposition, en l'occurrence sous forme de contraste). Le passage se fait donc à partir de deux faits potentiellement indépendants qui se retrouvent dans la même structure seulement pour des raisons métalinguistiques, à deux faits forcément mis en relation entre eux.

Dans ce cas le connecteur crée donc une dialectique entre les deux états de choses et amène à des conclusions sur la base de leur comparaison et de leur opposition: dans cette optique, quando est à considérer comme complètement argumentatif, et finit par montrer un comportement bien plus proche d'une relation concessive par rapport à mentre qui, ne créant aucun dynamisme argumentatif de ce genre, serait plutôt à assimiler à la relation de contraste.

Cette nature "directionnelle", orientée de la structure oppositive avec quando est confirmée par le fait qu'une simple inversion des deux membres de la séquence permet de récupérer l'acceptabilité de (38), comme le montre l'exemple suivant:

(49) Oggi Alfredo ha scritto solamente tre pagine del suo romanzo, quando ieri era riuscito a scriverne quasi venti.

Il se révèle ainsi que la raison du conflit créé par quando était à rechercher dans la difficulté de concevoir q en tant qu'élément logiquement antérieur à p; en inversant les termes, la séquence est beaucoup plus naturelle. Ceci dit, il est évident que l'antériorité chronologique des événements est un aspect qui pourrait paraître fondamental, mais qui en réalité n'est qu'une des manifestations de cette antériorité logique qui fait foncièrement partie de l'univers du discours11. Au sens large il est possible de supposer que dans le connecteur quando se retrouve un des aspects de son emploi

11 S'il est difficile d'imaginer de dissocier un certain type d'antériorité chronologique et l'antériorité logique, il existe du moins des cas de figure où l'antériorité chronologique n'est tout simplement pas pertinente (p.ex. en (47) ou (48)).

(19)

temporel, notamment l'idée de séquence, de direction, typiquement associée aux structures de succession temporelle.

Il arrive toutefois que les contenus mêmes des deux propositions concernées soient facilement mis en relation entre eux indépendamment de la structure, et que cette relation soit déjà analysable en termes d'antériorité; dans ces cas, la structure avec quando et la structure avec mentre se différencient de façon beaucoup moins évidente.

Une dernière possibilité de vérification de ce pouvoir argumentatif de quando réside alors dans l'observation d'énoncés où les contenus ne sont pas, hors contexte, facilement interprétables comme étant en relation de priorité logique entre eux. Ces exemples contribuent à montrer, par l'anomalie de la présence de quando (face à un emploi de mentre tout à fait naturel), que la lecture argumentative est imposée par la présence du connecteur, et que des contenus qui ne s'y prêtent pas rendent l'énoncé problématique:

(50) Il cielo è azzurro, mentre i prati sono verdi.

Le ciel est bleu, alors que les prés sont verts.

(51) ?Il cielo è azzurro, quando i prati sono verdi.

La seule manière de récupérer l'acceptabilité d'un énoncé comme (51) présupposerait son insertion dans un contexte où une dialectique argumentative entre p et q serait pertinente; ce rapport entre les deux propositions devrait être plus complexe par rapport à une simple constatation de deux états de choses en contraste. Si par exemple l'énoncé était une tentative de description d'un dessin, on aurait une acceptabilité parfaite de (50), en tant qu'énoncé descriptif neutre; par contre, pour pouvoir interpréter un énoncé comme (51) on est obligé de reconstruire, par exemple, un contexte de critique envers ces choix de couleur particuliers. A partir de cet effet d'opposition critique, on est amené à tirer des conclusions du genre tu n'as pas bien suivi les consignes ou ton dessin n'est pas réussi, etc.

4. Conclusion

Pour conclure, la réflexion qui émerge de cette analyse réside dans l'importance de la distinction conceptuelle entre la dimension sémantique et la dimension argumentative qui se situent à deux niveaux indépendants.

En effet les deux connecteurs quando et mentre nous ont permis de montrer le passage d'une relation logique temporelle à un emploi où la relation est non-temporelle (en l'occurrence oppositive), sans que cela n'affecte parallèlement la fonction argumentative associée aux deux emplois. Comme dans les constructions inverses, par exemple, la temporalité est accompagnée d'une orientation argumentative: les constructions oppositives n'activent pas nécessairement cette

(20)

composante argumentative par le seul fait de codifier une relation non temporelle (bien qu'il ne s'agisse pas d'un emploi discursif

"métaphorique"12). La force argumentative devient de ce fait un élément discriminant du système, et peut contribuer, comme dans le cas analysé, à résoudre des situations de "synonymie sémantique".

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12 Cf. Morency & de Saussure (sous presse).

(21)

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(22)

Déjà: un marqueur procédural de subjectivisation

Patrick MORENCY

Université de Neuchâtel, Espace Louis-Agassiz 1, CH-2000 Neuchâtel patrick.morency@unine.ch

In this paper we will look at how French déjà can be used non-descriptively to express non-temporality, i.e. argumentative or discursive usages. We will begin with a quick survey of the Literature before re-describing déjà as a procedural expression – we will propose that déjà's core semantic meaning need not necessarily be purely temporal, but is used thus in certain contexts, while in others it is used argumentatively or discursively. This stems from our hypothesis that many temporal expressions – temporal indexicals, adverbs or connectives – are procedural by nature, meaning that their conceptual content, if any, describes relations between clauses or elements of an utterance rather than representing actions, events or objects in the world.

1. Introduction

1.1 Problématique

Nous allons nous intéresser au phénomène des usages non temporels de déjà, usages qui n'ont pas été suffisamment étudiés en tant que tels. Sur la dizaine d'articles consacrés au sujet, la plupart décrivent presque exclusivement les usages aspectuels et temporels de déjà, et expliquent son fonctionnement à partir d'une perspective principalement sémantique.

Nous focaliserons notre attention sur les autres usages possibles en français et nous en ferons l'inventaire; l'utilisation de déjà pour signifier autre chose que la temporalité (ou l'aspectualité) stricte est connue;

cependant les analyses de ces usages ne se font que depuis peu, les chercheurs antérieurs les écartent ou alors les subordonnent aux usages temporels, considérés comme des emplois dérivés de l'interprétation temporelle par défaut (Muller, 1975; Martin, 1978; Franckel, 1989).

Nous proposons une analyse pragmatique à la suite des travaux de Mosegaard-Hansen (2000, 2002) et Tahara (2004), qui sont les premiers chercheurs à s'être intéressés plus concrètement aux usages non temporels de cette expression. Nous nous situerons dans le cadre de la théorie de la Pertinence (Sperber & Wilson, 1995) et de la pragmatique procédurale (cf. Saussure, 2003) pour tenter d'identifier le noyau de sens de déjà, et répertorier et expliquer le fonctionnement des différents usages que l'on peut rencontrer. Nous procéderons à l'examen de déjà avec l'idée que le sens de cette expression est sous-déterminé (au sens de Sperber &

(23)

Wilson, 1995) et que c'est essentiellement le contexte qui fournit l'interprétation adéquate. Nous considérons déjà (comme beaucoup d'autres adverbes et connecteurs de temps) comme une expression procédurale au sens de Blakemore (1987), Luscher (1998) et surtout Saussure (2003). Déjà partage ce statut procédural avec les déictiques – maintenant, ici –, les adverbes de temps – ensuite, enfin –, les connecteurs – alors, donc – et les temps verbaux. Nous allons nous concentrer sur le noyau conceptuel minimal1 de l'expression et exposer comment les éléments contextuels peuvent saturer ce noyau de sens minimal et mener le destinataire vers l'interprétation adéquate de l'intention informative du locuteur. Nous ajouterons que c'est l'équilibre entre l'effort de traitement et les effets cognitifs obtenus selon le Principe de Pertinence qui détermine l'application de la procédure.

Nous pouvons voir d'emblée avec la paire d'exemples qui suit qu'il y a quelque chose de plus que la simple temporalité dans déjà, même avec des usages temporels "standards" (exemple 1):

(1) Marie a déjà mangé son steak.

(2) "À 30 km, c'est déjà trop loin." (titre d'un article de Libération sur le chômage 04/06/08).

L'énoncé non-temporel en (2) n'est en rien un emploi rare ou trop familier;

on trouve ce genre d'énoncés aussi fréquemment que les usages temporels typiques, illustrés par (1). La problématique principale sera de comprendre le fonctionnement de déjà qu'il soit temporel ou non; nous postulerons que le sens "de base" de déjà n'est pas forcément la temporalité mais plutôt un effet subjectif (attitudinal, voire modal). Si nous reprenons l'exemple (1) en supprimant déjà, nous voyons que le destinataire de l'énoncé n'a pas besoin de cette expression pour dériver une interprétation temporelle:

(1') Marie a mangé son steak.

En revanche, il y a bel et bien un sens différent de (1); cette différence se situe au niveau de la perspective subjective du locuteur de l'énoncé. À l'aide de déjà, ce dernier représente une sorte de jugement à propos de l'éventualité décrite en (1). Il est vrai que déjà en (1) ajoute une composante aspectuelle, en focalisant sur un moment précis du procès "manger", mais l'aspect est, à notre avis, secondaire par rapport à la perspective du locuteur. Nous considérons que ce qui est primordial dans l'interprétation de (1) (et d'énoncés similaires), c'est l'information attitudinale que le locuteur transmet avec déjà. En ce sens, déjà possède un aspect modal, ce

1 Nous partons du principe que toute expression procédurale possède un noyau de sens conceptuel qui contient la procédure à appliquer.

(24)

que relèvent également Mosegaard-Hansen (2000) et Tahara (2004). Déjà agit de façon non-vériconditionnelle, il ajoute simplement une information sur le caractère peu plausible du procès avant son constat, ce qui induit la révision d'une hypothèse et c'est ceci qui permet l'effet de surprise dans l'énoncé (et dans d'autres énoncés à l'interprétation similaire).

Notre but est de proposer une perspective plus unifiée de déjà. Dans un premier temps, nous reviendrons sur la littérature consacrée à déjà et évaluerons les propositions faites quant à son fonctionnement. Ensuite nous proposerons une description détaillée des usages (temporels et non- temporels) que peut avoir déjà. Nous proposerons une brève analyse de déjà selon la pragmatique procédurale. Toutes les expressions procédurales ont en commun le fait qu'elles guident le destinataire vers l'interprétation de l'énoncé. Elles diffèrent des expressions conceptuelles en ce qu'elles ne représentent pas un objet du monde (réel ou fictif); ce que leur sémantique minimale et la procédure qu'elles contiennent font c'est déclencher un traitement cognitif instructionnel. Nous avons vu avec les exemples (1) et (1') que déjà introduit un effet particulier; ce sont ces effets de sens que nous allons décrire et analyser, car ce sont eux qui rendront un énoncé plus pertinent. Le locuteur, en disant (1) plutôt que (1'')

(1'') Marie a mangé son steak plus vite que je ne le pensais.

réduit le coût de traitement tout en gardant l'effet de l'attitude de L [je le pensais] et l'effet de "précocité" [plus vite que X]. En résumé, déjà est une expression procédurale dont la sémantique de base serait quelque chose comme 'la relation entre l'éventualité décrite par l'énoncé et la perspective (R) du locuteur'; de plus, nous postulons que cette relation est scalaire, pouvant être temporelle (auparavant-maintenant-après) ou non-temporelle (p.ex.: mal-acceptable-bien).

1.2 Etat de l'art

On trouve plusieurs points de vue sur cette expression. D'une part on perçoit déjà comme une expression temporelle qui peut parfois avoir une interprétation particulière (mais qui reste déterminée par la sémantique temporelle du terme) et d'autre part, on voit déjà comme une expression bien moins figée, temporelle effectivement, mais pas uniquement. Ainsi certains chercheurs décrivent plusieurs usages (ou valeurs) de déjà (entre 3 et 6), mais adoptent souvent la perspective que déjà est un adverbe aspecto-temporel et que les autres valeurs que l'on peut rencontrer sont dérivées à partir de cette valeur temporelle standard. La recherche de la signification sémantique de déjà se base souvent sur la notion de présupposition, en ce sens que déjà introduit des présupposés qui modifient l'interprétation d'énoncés contenant déjà. Nous proposons que ce qui détermine l'interprétation de déjà – que l'expression soit utilisée et

(25)

comprise comme temporelle ou non – se situe plutôt au niveau de l'implicature.

1.2.1 Muller (1975)

L'article de Muller (1975) examine les emplois temporels des adverbes déjà et encore et de leur négation ne…plus ainsi que leur relation aux temps verbaux. Pour Muller, l'utilisation de déjà "comme un substitut des quantificateurs temporels (quelquefois, souvent, etc.)" est jugée commode ou avantageuse2puisque le locuteur n'est pas tenu de justifier la quantité, (l'occurrence=combien de fois / la fréquence de son propos) comme dans l'exemple ci-dessous (repris de Muller, 14):

(3) Je t'ai déjà dit (mille fois) de faire attention.

Dans cette occurrence, le locuteur peut avoir formulé cette mise en garde un nombre indéterminé de fois mais au minimum une fois auparavant pour que celle-ci soit validée par l'utilisation de déjà. L'insertion de déjà dans "je t'ai dit de faire attention" indique la répétition de la mise en garde et traduit une éventuelle exaspération du locuteur. Muller, cependant, note une contrainte spécifique à l'utilisation de ce terme qui n'affecte pas les adverbes quelquefois ou souvent: l'éventualité modifiée par déjà doit "être susceptible de se reproduire" (ibid.). Cette modalité explique, selon lui, l'impossibilité de l'exemple (4) dans le contexte d'un éloge funèbre:

(4) ?? Il a déjà fait du bien dans sa vie.

Il semblerait que Muller ne retienne que l'effet itératif car

(5) Il a déjà fait du bien dans sa vie et/mais n'en fera plus jamais.

n'est ni contradictoire ni étrange; plus globalement, pourquoi devrait-on considérer qu'une éventualité [faire du bien], lorsqu'elle est modifiée par déjà, doive nécessairement pouvoir se reproduire?

(6) Il est déjà mort.

Cette problématique est soulevée à plusieurs reprises (on la retrouve chez Martin, Franckel & Mosegaard-Hansen). Pour Muller, (4) est seulement recevable si on a recours à un contexte surnaturel, qui "suppose le mort capable de poursuivre ses activités depuis l'au-delà", (ibid.). Muller explique que la proposition "Il a déjà fait du bien dans sa vie implique qu'il peut encore en faire" (ibid.: 19). Nous pensons que dire de cet énoncé qu'il

"implique" que X peut encore faire du bien est beaucoup trop contraignant.

Nous pensons que, tout au plus, "Il a déjà fait du bien dans sa vie" véhicule

2 Ou "pertinent" selon la Théorie de la Pertinence et l'approche procédurale que nous adoptons.

(26)

l'implicature (ou implicitation) selon laquelle l'homme en question "peut encore en faire". Du coup, l'étrangeté de cet énoncé prononcé lors d'un éloge funèbre provient de la croyance selon laquelle les actions dans un hypothétique au-delà nous sont inaccessibles, en comprenant "faire du bien" dans un sens plus large (cf. 'élargissement' à la Sperber et Wilson) de

"faire" (ou [*faire] signifie "avoir un effet, sans pour autant le causer directement"). Il est probable que Muller utilisait le terme "implique" dans un sens moins rigide que l'implication logique; quoi qu'il en soit, nous lui préférons "impliciter", ce qui nous mène à considérer (une fois de plus) que la manière dont déjà ou encore fonctionnent dépend surtout de ce que les interlocuteurs peuvent se représenter à propos de la proposition qualifiée par ces expressions.

Muller fait également usage de la présupposition (au sens de Ducrot) pour expliquer le fonctionnement de déjà dans son analyse, ainsi:

(7) L'arbre fleurit déjà.

pose "l'arbre fleurit maintenant" et il propose que ce qui est en question, ce n'est pas le procès lui-même mais son accomplissement. D'après Muller, (7) présuppose en fait que "l'arbre devait fleurir" où l'accomplissement futur de "fleurir" est prévu dans le passé (ibid.: 23-24). Nous pourrions effectivement voir cela comme le contenu sémantique de [arbre] et [fleurir]

autrement dit, qu'il est dans la nature d'un arbre (certains types d'arbres) de fleurir, mais nous oublierons là que l'effet cognitif produit par un tel énoncé n'est pas de dire "il ne fleurissait pas avant" ou "il fleurira", du moins pas comme effet principal, mais sinon que [arbre, fleurir] est survenu plus tôt que prévu. Il s'agit d'un jugement du locuteur à propos du moment de floraison: L pense que P se produira au moment T0 mais s'aperçoit qu'en réalité P se produit à T-1. Comme Muller le dit lui-même

"le procès n'est pas présupposé. Il faut simplement que sa réalisation future soit possible" (ibid.: 27).

Un peu plus loin, Muller propose d'envisager l'importance du "'point de vue' qu'adopte le locuteur – c'est-à-dire de ses présupposés quant au moment où le procès a dû commencer, et doit se terminer" (ibid.: 30) pour expliquer pourquoi l'opposition entre les présupposés de déjà et encore n'est pas toujours chronologique. Afin d'illustrer son propos, il propose les deux énoncés suivants:

(8) La bouteille est déjà à moitié vide (9) La bouteille est encore à moitié pleine

Selon Muller (8) est une formulation pessimiste parce qu' "on est déjà dans le futur où la bouteille sera vide", en (9) au contraire "on continue d'être dans le passé, où la bouteille est pleine" (ibid.). Dans les deux énoncés, il s'agit d'une projection du point de référence (ou perspective) du locuteur,

(27)

mais une fois de plus nous ne voyons pas pourquoi cette projection ne serait pas le cas dans les mêmes énoncés même en l'absence de ces expressions – en d'autres termes, on peut interpréter le pessimisme ou l'optimisme de ces énoncés sans ces adverbes3. Il est vrai que la perspective du locuteur s'en trouve renforcée mais quels autres effets ont déjà et encore dans ces emplois-là? De plus, ils n'empêchent pas les énoncés inverses:

(10) La bouteille est déjà à moitié pleine (11) La bouteille est encore à moitié vide

où un sens différent sera récupéré par les destinataires. Il y a donc un sens aux procès – une directionnalité4 pour Mosegaard-Hansen (2000: 163) – ce qui rend impossible, selon Muller, l'énoncé suivant:

(12) *Il est déjà tôt.

Nous sommes moins catégorique sur l'impossibilité de cet énoncé, il existe au moins un contexte où (12) serait acceptable:

(12') [en parlant à quelqu'un se trouvant dans une autre tranche horaire] Il est déjà tôt ici, je vais me coucher.

Enfin, Muller propose, en guise d'explication d'emplois non-temporels que déjà est paraphrasable par commencer par puisque cet usage "présente le procès sous un aspect inchoatif" (32). Ainsi, un énoncé comme (13), peut être paraphrasé par "Il a commencé d'être là" (ibid.):

(13) Il est déjà là

il semble que ce que le locuteur de cet énoncé communique est plutôt, au minimum: "Il est là, et il a été là avant le moment présent" et peut même aller jusqu'à: "Il est là, était là avant S, et ceci me/te/nous surprend". En revanche, "Je vais déjà y aller" semble mieux exposer l'idée de l'aspect inchoatif – l'article de Mosegaard-Hansen (2000: 167-68) présente plusieurs exemples où déjà, dans des énoncés semblables, ne peut être paraphrasé de cette façon. Nous y reviendrons plus bas. Passons rapidement à deux autres chercheurs dont l'analyse de déjà est proche de celle qui précède.

1.2.2 Martin (1978) et Vet (1980)

Martin et Vet proposent tous deux une approche ancrée sur le traitement des présuppositions que peuvent engendrer certains énoncés contenant

3 Il nous semble que l'axiologie du "bien" et du "mal" dépend plutôt de "pleine" et "vide".

4 Mosegaard-Hansen parle d'usage "comparatif" (cf. section 1.2.4) pour ce genre de cas; pour nous cette "directionnalité" relève de la scalarité dans ces énoncés.

Références

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