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ÉTUDES, REPORTAGES ET RÉFLEXIONS. GORDON, DAVID ET NICK Petit glossaire pour un étrange rituel

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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JEAN-PIERRE NAUGRETTE

GORDON, DAVID ET NICK Petit glossaire

pour un étrange rituel

Pour François Cornilliat

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ans l’avion qui me ramenait des États-Unis, dans la nuit du 6 au 7 mai dernier, je dois confesser avoir manifesté une certaine nervosité. Rien à voir avec quelques menues turbulences, au décollage de Newark, vite dissipées par un superbe coucher de soleil sur le cap Cod de melvillienne mémoire, ni avec les menaces engendrées par le vilain volcan islandais au nom imprononçable, mais rappelant Voyage au centre de la Terre. Ni au fait que je devais me résigner à recroqueviller mes jambes pendant huit heures dans un espace confi né, coincé entre mon plateau-repas, mes couver- tures, mon coussin, mon livre, et mes écouteurs impossibles à fi xer de manière durable sur mes oreilles. Non, ce qui me rendait nerveux était que, dans la soirée du 6, devaient être donnés les résultats des élections anglaises. Or, j’avais beau tapoter, aucun écran de bord ne donnait les résultats, j’avais beau chercher, aucun journal non plus.

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Interrogée, une hôtesse, surprise, dut confesser son ignorance en me conseillant prestement de me rasseoir et de rattacher ma ceinture.

Il fallut attendre le retour à Paris, et le branchement câblé sur BBC World, pour pouvoir suivre en direct (live) pendant plusieurs jours, et vingt-quatre heures sur vingt-quatre ou presque, les étranges et très dramatiques événements résultant de ces élections qui devaient porter la semaine suivante David Cameron au 10, Downing Street, avec l’appui de son nouvel allié libéral-démocrate (Lib-Dem), Nick Clegg. On donnera ici un glossaire des mots-clés permettant de comprendre ce qui s’est passé dans ce pays si familier, si proche, et si lointain, si exotique à la fois, par bien des côtés, ne serait-ce que par sa sémantique politique.

ÉLECTIONS : en anglais, elles ne sont pas « législatives » comme chez nous, mais « générales » (general election). La différence d’ap- pellation est d’importance. Dans cette monarchie parlementaire où la reine par défi nition n’est pas élue et où les lords sont nommés, c’est l’élection de la Chambre des communes qui décide de tout.

Avec un scrutin à un tour (et non deux comme en France), c’est le parti arrivant en tête (fi rst-past-the-post-basis) qui accède en principe au pouvoir, et le chef dudit parti qui devient Premier ministre. La reine ne fait qu’entériner ce choix.

MP : d’où l’importance du titre de député, accolé à chaque apparition télévisuelle. En France, il n’y a guère que la Chaîne par- lementaire (LCP), qui vient de fêter ses 10 ans, pour le faire. En Angleterre, même le Premier ministre est, avant toute chose, MP (member of Parliament). Quoi qu’il arrive, c’est son plus grand titre de gloire. Être membre du Parlement n’est pas rien. Question de circonscription, de territoire, voire de terroir.

PM : dans ce régime parlementaire, en choisissant un chef de parti, les militants élisent quelqu’un qui, en cas de victoire, devient automatiquement Premier ministre. C’est comme si on savait à l’avance qu’en cas de victoire socialiste en France, Martine Aubry dirigerait le pays. Il y a plus, ou pire. En cours de mandat, il arrive qu’un Premier ministre mis en minorité dans son propre parti doive quitter le pouvoir, et être remplacé par quelqu’un qui n’a pas été élu directement : ainsi Margaret Thatcher remplacée par John Major, ou Tony Blair, qui entre 1997 et 2007 n’a jamais perdu la moindre élection. Gordon Brown lui a succédé à cause de la guerre en Irak.

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Impensable en France. Ainsi Brown est-il devenu Premier ministre sans avoir gagné d’élection, ce qui a pesé lourdement dans la balance lorsqu’a été émise l’hypothèse d’une coalition Labour-Lib-Dem : les Tories ont alors clamé haut et fort qu’un Premier ministre n’ayant pas été victorieux risquait une fois encore de rester à Downing Street.

SOMBRE GORDON : malgré une manœuvre de dernière minute, Gordon Brown a échoué. Qui est-il au juste ? À la place du fl am- boyant Tony Blair, cet ancien chancelier de l’Échiquier réputé pour sa gestion stricte de l’économie New Labour pendant dix ans, ancien joueur de rugby (jeu dans lequel il a perdu un œil dans sa jeu- nesse) rugueux et râblé, s’est révélé sous son plus mauvais jour.

Dans les débats télévisés (une première en Angleterre), soit il était sur la défensive, ne proposant rien de bien neuf ou d’alléchant, soit il attaquait ses adversaires de manière discourtoise (unfair), allant même, dans le dernier débat, jusqu’à accuser David et Nick de vou- loir réduire les dépenses hospitalières au point d’abréger la vie des patients atteints d’un cancer. Sa formule, alors, en disait long : « Je répugne à dire cela… [I hate to say this] mais je suis obligé de le dire. » Cet homme blessant est en réalité un homme blessé : il ne s’aime pas en tant que Premier ministre, et peut-être tout court. Il se hait lui-même. Parlant de son comportement catastrophique vis-à-vis de Gillian Duffy, une électrice de 66 ans, une veuve de Rochdale, qu’il avait traitée, le 28 avril dernier, de « bornée » (bigoted) sur le délicat sujet de l’immigration des pays de l’Est, alors qu’il remontait dans sa voiture sans savoir que le micro attaché à sa veste fonc- tionnait encore, il a même avoué qu’il n’était pas un bon Premier ministre. Un comble lors d’un dernier débat censé faire changer le cours des choses. De fait, avec son mauvais (sour) caractère, le sombre Gordon ne pouvait s’entendre avec le rayonnant Nick Clegg, malgré des programmes voisins sur le papier.

PARLEMENT SUSPENDU : l’expression est revenue sans cesse, les Anglais n’en revenaient pas eux-mêmes. Alors que jusqu’à présent, les majorités étaient franches et nettes, ils ont eu un « Parlement suspendu » (hung Parliament), un cas d’école rarissime ayant per- mis aux étudiants de Sciences Po d’apprendre, s’ils l’ignoraient, une expression utile pour la suite de leurs études. Le danger de para- lysie guettait soudain la vie politique britannique. Au lieu d’une majorité absolue permettant de gouverner, surgissait le spectre des

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tractations, des manœuvres de couloir, des négociations secrètes des états-majors entre eux, à huis clos, dans les coulisses (behind the scenes). Alors que les Allemands savent faire avec depuis long- temps, alors que les Français s’en méfi ent comme de la peste depuis la défunte IVe République, les Anglais, eux, n’y sont pas habitués.

Le système de scrutin à un tour ne peut fonctionner vraiment que si un cheval passe nettement le poteau. Or ici, c’est comme si une photo fi nish n’en fi nissait pas d’être développée. Ce qui s’est passé dans les jours qui ont suivi l’élection peut en réalité être considéré comme une sorte de deuxième tour larvé, souterrain, qui n’osait pas dire son nom. Remarquons aussi que ce « Parlement suspendu » a eu le mérite télévisuel de suspendre littéralement l’attention du public, rivé à ce qui se passait devant et dedans les ministères, comme lorsque Gordon Brown a rencontré secrètement Nick Clegg dans les locaux du ministère des Affaires étrangères, et que tout le monde l’a su. Et pendant ce temps-là, devant le 10, Downing Street, une foule de journalistes avaient, les yeux rivés sur la porte laquée en belle peinture noire anglaise, avec l’immuable bobby attendant ses ordres sur le trottoir.

10, DOWNING STREET : impensable en France. Alors que nous avons l’aristocratique et inaccessible Hôtel Matignon, sans doute une survivance de l’Ancien Régime, les Anglais ont cette maison en brique grise, apparemment modeste, protégée par de simples grilles noires, avec ce numéro en cuivre sur la porte, comme dans tant d’autres maisons du pays. C’est la maison du Premier ministre.

Tout le monde, même les Anglais, a été frappé de la rapidité avec laquelle, une fois son départ annoncé, Gordon Brown, sa femme et leurs deux enfants (tiens, ils avaient deux jeunes enfants ?) ont quitté les lieux en quelques heures. Sans doute préparaient-ils ce départ depuis plusieurs jours déjà, mais quand même. La presse a parlé alors en termes de déménagement ou d’emménagement (move out, move in) comme s’il s’agissait de simples particuliers. Assemblé sur le trottoir, le personnel de la maison a applaudi à la fois les partants et les arrivants, dans une ambiance qu’il faudrait qualifi er de fami- liale et bon enfant.

UNESORTIESHAKESPEARIENNE : Michael Billington, l’éditorialiste du Guardian en date du 13 mai, n’y va pas par quatre chemins en qua- lifi ant la sortie de Gordon de « shakespearienne. » Il cite Macbeth :

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« Il n’ y a rien eu dans sa vie d’aussi honorable que la manière dont il l’a quittée » (acte I, scène IV, 7-8), paroles de Malcolm à propos du comte de Cawdor exécuté. Certes, Gordon, sentant la partie perdue, a eu l’élégance d’annoncer sa démission en tant que chef du Parti travailliste. Mais n’était-ce point là une ruse ultime, une sorte de gage de la dernière chance donné aux Lib-Dem, une sorte de troc :

« vous voulez ma tête, soit, je vous la donne, si elle fait obstacle aux négociations avec le Labour » ? En principe, l’annonce de sa démis- sion à la tête du Parti travailliste aurait dû précipiter sa démission ipso facto de la tête du gouvernement. Or il y eut décalage. Mauvais signe… En prenant le pouvoir sans que Tony Blair ait été battu, le sombre et taciturne Gordon n’a-t-il pas commis une sorte de meurtre politique dont il ne s’est jamais remis ? Si son départ du 10, Downing Street, femme et enfants marchant dans la rue à ses côtés, concrétise selon l’éditorialiste une belle circularité qui fait écho à l’arrivée des Blair en mai 1997, on peut aussi y déceler une trace d’ironie fatale, puisque Gordon a semble-t-il téléphoné à Tony avant d’annoncer sa démission. Les deux dernières années, de l’aveu même de Gordon, ont été « sanguinaires » (feral), mot ambigu en anglais qui désigne aussi les rites funéraires. Pour la première et dernière fois peut-être, Gordon, fl anqué de son épouse, est apparu plus humain, touché au vif par les critiques, n’hésitant pas, depuis le siège du Parti tra- vailliste, où il recevait une belle ovation des militants, à battre sa coulpe en s’attribuant, lui qui avait donné l’impression de faire de la résistance depuis l’annonce des résultats, toute la défaite. Déjà, lors de la fameuse gaffe avec Mrs Duffy, il s’était décrit comme « pécheur pénitent », relent de presbytérianisme écossais qui décidément pla- çait le diplômé de l’université d’Édimbourg sur le terrain dangereux de la contrition. Élu de Dieu, Gordon n’avait plus envie d’être élu par les électeurs. Il était déjà sur un autre terrain. À n’en pas douter, ce Macbeth repentant sera bientôt fait lord.

VISITE À BUCKINGHAM PALACE : une fois la coalition formée sur un compromis politique acceptable, les choses sont allées très vite.

Gordon est monté dans sa voiture présenter sa démission à la reine, qui a accepté le départ du Right Honourable Gentleman Gordon Brown : c’est ainsi qu’on appelle les députés, en des termes moraux fl agrants. Puis il est rentré à Downing Street faire ses valises. David Cameron et sa femme sont ensuite montés dans une Jaguar gris

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souris, et ont pris la même direction. La vue de leur cortège par hélicoptère avait de quoi faire frémir : à peine quelques voitures d’escorte, et le risque de se faire prendre dans les embouteillages comme n’importe quel citoyen aux heures de pointe. Puis David et Sam (Samantha, une belle jeune femme au tailleur bleu) ont péné- tré dans le palais. David est resté avec la reine une vingtaine de minutes, un record. Que se sont-ils dit ? Grâce au fi lm de Stephen Frears, The Queen (1), qui montre l’arrivée de Tony et Cherie Blair en 1997, on peut deviner que David était ému : il est tout jeune, 43 ans, le plus jeune Premier ministre depuis 1812. La reine, elle, en a vu d’autres. D’autres que lui. Toute la série depuis 1953. Un autre record. Innovation dans le protocole : sitôt adoubé, David est apparu sur une photographie offi cielle en compagnie de Sa Majesté.

Derrière eux, on aperçoit un Guardi ou un Canaletto, diffi cile à dire. Ballet des Jaguar : exit l’un, entre l’autre, tels des acteurs sur la scène. Encore Shakespeare. La reine, elle, reste.

10, DOWNING STREET, RETOUR : le couple Cameron est apparu devant le n° 10, où l’attendaient les micros. David a fait un discours ferme et fl amboyant, plein de promesses qu’il cherchera à tenir.

Sam, elle, est restée sagement en retrait. Rien à voir avec Cherie Blair. C’est alors qu’on a vu quelque chose d’incroyable : Sam est enceinte. Le détail est important, lorsqu’on sait que le couple a perdu un enfant en bas âge. Une fois le discours terminé, David a consenti à sourire, il s’est tourné vers elle, elle a souri, visiblement fi ère de son brillant Premier ministre de mari. On leur a ouvert la porte. Ils ont franchi le seuil, sous les applaudissements du personnel. Avant même d’entrer, ils étaient déjà chez eux (at home).

COUPLES : image de couple, promesse de fertilité. Mais la plu- part des journaux ont titré sur un autre couple, celui formé par David et Nick. Ainsi le Guardian du jeudi 13 mai : « Les jeunes mariés au n° 10 » (The Happy Couple at Number 10). Dans ce pays où l’homosexualité, d’abord férocement persécutée à l’époque d’Oscar Wilde, est devenue largement plus tolérée que chez nous, personne n’a vu d’intention sémantique maligne dans la description appuyée de ce couple de jeunes hommes qui se ressemblent – seule différence de pedigree : David est allé à Eton puis à Oxford, Nick à la Westminster School puis à Cambridge –, qui se sont pris par le bras ou par l’épaule dans un ballet savant de tapes amicales au cours

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duquel, comme l’analyse Peter Collett, c’est toujours David qui a eu la dernière main. Un nouveau couple ? Un conservateur a même susurré : « Si j’étais à la place de Samantha, je serais inquiet de voir David partir avec le voisin. » C’est ce même couple, à peine formé, qui a donné une extraordinaire conférence de presse, dans le rose garden du n° 10, jusqu’ici inconnu du public. Arrivant tous les deux sur la pelouse ensoleillée, ils ont donné un numéro digne de Jerry Lewis et de Dean Martin dans les années soixante. Incroyablement à l’aise et décontractés, surtout lorsqu’un journaliste perfi de a rap- pelé à David que dans la campagne, lorsqu’on avait demandé au leader conservateur quelle était sa dernière blague, celui-ci avait répondu : « Nick Clegg. » Au rappel de cette réplique, Nick a alors fait mine de partir, furieux. Mais il arborait un grand sourire. David, plus pince-sans-rire, souriait moins. Mais le tandem, à peine formé, semblait déjà bien rodé, et soudé dans la jeunesse et l’intelligence.

On peut se demander combien de temps durera ce couple-là, mais il ne faut pas bouder son plaisir face à cet étonnant rituel, cette leçon de démocratie et d’humour, ce mélange subtil de tradition et d’in- novation que nous ont offerts en une semaine, du jeudi 6 au jeudi 13 mai, nos voisins et amis anglais, sous la haute bienveillance et protection de la reine.

1. Voir Jean-Pierre Naugrette, « God save the Queen », Revue des Deux Mondes, janvier 2007.

Jean-Pierre Naugrette est ancien élève de l’ENS, et professeur à l’Institut du monde anglophone (Paris-III). Spécialiste de Stevenson et de Conan Doyle, il a codirigé le volume R.L. Stevenson & Sir A. Conan Doyle : aventures de la fi ction (Terre de brume, 2003) issu du colloque de Cerisy-la-Salle. Il a traduit le Cas étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde (Le Livre de Poche bilingue), le Creux de la vague (GF- Flammarion) et le Chien des Baskerville (La Bibliothèque Gallimard). Auteur de plusieurs romans, il a fait paraître en 2009 un recueil de nouvelles, Retour à Walker Alpha, aux éditions Le Visage vert.

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