• Aucun résultat trouvé

La brèche n° 7

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "La brèche n° 7"

Copied!
54
0
0

Texte intégral

(1)

T. LAPP

Un fantôme dans l'Education Une équipe de recherche Deux ans après que demeure-t-il d'une classe Freinet en français ? M: LAUNAY

La pédagogie Freinet à l'Université J. LEMERY

L'heure des bilans R. MERLE

La technologie ct les filles M.T. MACHE

Expression globale ct machine l'opascupe

Sous-commission maths

Démarrage dans le premier cycle G. FRANCOIS

C'est du Propp ! J .P. GODFROI

Un moyen d'expression le roman-photo

G. CRISTINI La sacra-sainte note. J. MARIN

Notation et répression D. MAIN

Enseigner le dessin J. GUYON

Biologie : Et si vous avez une classe bloquée '!

H. GALTIER

Corre~ondance naturelle

Mort

-

13

" 15

-

18

25

- 27

• 29

32

35

37

38

39

40

41

Chrmùque de la répression 46 Commission "Luttes contre la

répression" SO

A. SPRAUEL

Regard sur. .. l'enfant et l'expression dramatique de P. Lecnhardt - Sl

dans l'éducation

"Le rôle

des

documentalistes dans

l'équipe

pédagogique"

"le rôle

des

documentalistes dans l'utilisation des 10 °k" ,

"l'action pédagogique en

salle

de lecture : rôle des docu- menta

1

istes

-bi bi i othécai

res''.

Ces

trois questions

pourraient être complétées par une mul- titude d'autres questions

concernant

le rôle

des

documenta- listes dans les

différentes étapes

de l'action pédagogique.

Le

ou

la

documentaliste

: qui

est ce

personnage important?

sont

les textes officiels

qui

le

situent

dans

"l'école",

dans un

"établissement",

dans le "corps

enseignant" ?

Ce

personnage

dorit officieusement on

s'accorde

à recon- naître l'utilité

et

plus

encore

la nécessité pour l'école nou- velle

:

- "Le renouvellement de l'école passe par les centres do- cumentaires". M

.

Hassenforder,

chargé

de recherches

à

I'I.N.R.D.P.

-

'~

.. Sans les S.O.I., dont ils (les

documentalistes)

sont res- ponsables, les établissements scolaires seraient des infirmes privés de l'organe moteur ; la rénovation pédagogique telle qu'on peut la concevoir maintenant serait impensable, im- possible". Les

Amis

de

Sèvres,

no 71, 1973,

par

Marcel

Sire.

Ce

personnage

n'existe

pas dans

les

Textes

Officiels :

aucun statut ne définit son

rôl

e, ses

droits,

ses devoirs.

Les vici

ssitudes des

documentalis tes

ressemblent à

une farce de mauvais

goût.

"On" vente

ce service

unique

et

"on"

renchérit

sur son

intérêt, mais

on

lui refuse une

existence

légale ; point n'est besoin

de développer ce que cela suppose

de mépris pour la

personne des

documentalistes.

"On" leur

demande

d'organiser

un service ouvert à

tous, devant

satisfaire

les besoins du plus grand nombre (avec le plus

souvent des

moyens dérisoires)

; "on"

veut bien re-

connaître que ce service est

indispensable

et qu'il

joue un rôle important pour l'école

rénovée,

mais

"on" refuse

de dire officiellement

que ce service

n'est rien

sans celle ou celui qui

le

crée.

On refuse

au

Documentaliste

sa

dignité de responsabilité.

Il faut que

ces choses-là soient sues.

Organiser un

C.D.I.P., mettre sur pied

une

Bibliothèque

d'élèves

constituent

des

actes pédagogiques

importants, et il

est scandaleux

que

quinze ans après

la mise

en

route du

premier Service

de Documentation, R

1 EN

n'ait

été entre-

pris pour doter les personnels

de ces services

d'un

statut

qui n'en ferait plus les fantômes

exploités de

l'Education

ex-Nationale.

Aux dernières nouvelles, il

semblerait

que le Ministère de l'Education

se

propose de présenter un projet de

statut avant

mars 1975. Ce qui tout de même

est étrange, c'est

que dans

son

plan de réforme, Monsieur Haby n'ait pas fait la moindre

allusion au C.D.I.

ni

à son

personnel. Af- faire à

suivre ...

~ hérèse LAPP l

Documentaliste,

a~

CES

Lamartine

2200 SUIS

NS

-

Le 18

fevner

1975

·

(2)

d'une classe f re inet en français ?

Le compte rendu qui suit a été rédigé par une équipe de recherche qui souhai- terait obtenir très rapidement Pos réactions, Pos suggestions après la lecture de ce texte ... afin d'infléchir ces recherches en fonction de POS idées. C'est pour laisser

à

chacun sa liberté de réaction et de critique qu'il est présenté de ma- nière anonyme.

En 1972-73 un camarade de J'ICEM avait une classe de troisième mixte de type II : 23 filles, 1 0 garçons de 13 à 16 ans.

Que leur r.este-t-il de cette année marquée par un enseignement en pédagogie Freinet ? C'est cc que nous avons essayé d'élucider dans Je cadre d'une recherche d'équipe en "sciences de l'éduca- tion".

- Notre équipe : 5 enseignants, trois femmes, deux hommes, pratiquant ou connaissant plus ou moins Ja pédagogie Freinet, très différents d'âges, de caractères ou d'engagements, unis par les hasards de l'Université et un intérêt certain pour cette recherche.

- Notre hypoth.èse : Dans la diversité de leurs études actuelles (plusieurs lycées teclmiques ou classiques de villes différents)

de leurs milieux familiaux - de leurs âges

- de leurs personnalités,

leur vie commune en classe de français de troisième a dû cultiver chez ce groupe d'élèves des

"techniques de vie" caractéristiques qui doivent encore marquer leurs comportements.

En recherchant donc leurs points communs actuels il devrait être possible de cerner progressive- ment ces "techniques de vie" communes.

- Nos méthodes :

1 - Préciser, en discutant avec des enseignants Freinet au second degré ayant des élèves de 3e et de 1 ere les "techniques de vie" possibles

à

caractériser. Définir une grille d'indices et de facteurs pour guider notre observation.

(Cette grille s'est affinée après les premiers interviews où nous l'avons testée).

2 - Interviewer tous les anciens élèves de cette troisième, seuls, ou en groupe de trois ou quatre, pendant une ou deux heures. Chaque interview était animé par deux d'entre nous, semi- clirectif, enregistré st~r minicasseHe.

3 - Prendre des notes pendant les interviews ; réécouter les enregistrements tous les cinq chez nous, et en discuter en équipe après chaque séance.

Evidemment nous n'avons pas été toujours d'accord pour interpréter tel ou tel passage des inter- views. Nous avons alors cherché comment poser des questions aux interviews suivants pour limiter les ambiguïtés.

4 - Nous sommes débutants en la matière et nous avons cherché à susciter les critiques ex- térieures sur notre travail, ·~

*Critique des faits : notes des élèves, responsabilités assumées dans les associations - étude d'autres élèves.

* Critique des gens :

a) les élèves eux-mêmes. Il a été convenu que notre premier compte rendu serait communiqué aux élèves et qu'il serait discuté dans une réunion générale enregistrée.

b) les camarades ICEM : ce même premier compte rendu étant diffusé pour recueillir des obser- vations (1).

c) les collègues qui enseignent actuellement

à

ces élèves et dont - quelles que soient leurs "mé- thodes" - les jugements sont utiles

à

confronter aux nôtres.

d) le professeur qui suit 'notre "mémoire" et dorit les critiques peuvent suggérer des améliorations de méthodes, des recherches complémentaires et surtout aider éventuellement d'autres camarades qui feraient ultérieurement des recherches identiques.

(1) adresser vos remarques relatives à ce texte à : Daniel MORGEN, Ecole maternelle, rue du Nord - 67 WISSENBOURG qui les fera parvenir à l'équipe - Merci.

(3)

LES PIUJ\111-:I{S IŒSULTATS Le souvenir

Tous ks élèves ont gardé un souvenir intense de cc cours tic frarH,:ais. Quel que soit leur tempé- rament ils le présentent comme une période "formidable" "chouette" "sensationnelle" qu'ils vou- draient revivre.

Cette unanimité de fond se nuance beaucoup dans la forme. Certaines élèves en gardent une nos- talgie émerveillée que rehaussent les mornes aspects de leurs études actuel)es. Il s'en dégage une impression de ''paradis perdu" que certaines espèrent retrouver lorsqu'elles "s'occuperont de jeunes";

cette classe devenant un "modèle" à recréer.

D'autres, moins nombreux, ne s'attardent pas aux regrets et situent leur troisième comme un mo- ment important de leur développement mais associé ;i une préadolescence qu'ils sont en train de dépasser.

Tous souhaiteraient que leurs enseignants présents ou à venir créent une "relation pédagogique"

semblable à celle de ce professeur.

L'IMAGE DU PROFESSEUR

Avec des nuances dans l'expression, tous manifestent une grande affection pour leur prof. De leurs récits se dégage ce qui leur parait essentiel dans la relation pédagogique :

1 - le professeur "n'écrase" pas les élèves. On peut discuter avec lui, manifester un point de vue, sans se faire "remettre à sa place".

2 - il s'intéresse à chacun des élèves, connaît ses problèmes, sait se rendre disponible, dis- cute avec chacun les projets de travail. On peut aller le voir lorsque quelque chose ne va pas

dans le travail ou la vie personnelle. ·

Il y a lù un aspect "précepteur" et "père" qu'il faudrait approfondir. Tous les élèves ont parlé de leur relation propre au professeur. individuelles et de petits groupes.

3 - il est exigeant. Il est caractéristique que tous les élèves aient noté cela comme une qua- lité valorisante et enrichissante. "je n'aurais jamais osé présenter à X ... certains travaux que je re- mets à certains professeurs cette année". Là encore cette notion d'exigence, de culte de la qualité, mériterait des études poussées.

4 - c'est lui qui crée le groupe. "Depuis, nous nous sommes peu revus entre élèves et je n'ai plus reparlé à certains depuis la troisième". Pourtant la classe de troisième est toujours dési- gnée ·par un "nous" ... suivi d'un verbe au passé. "Cette année, clans ma classe, nous ne sommes que dix et uous ne nous connaissons pas". Le professeur a créé un "groupe-classe" que chacun re- grette et n'a pas retrouvé depuis.

Mais il semble que les élèves ont vécu plus qu'élucidé la façon dont l'enseignant les a aidés à s'in- tégrer à un groupe, à se valoriser par le groupe.

5 - c'est lui qui anime, qui crée le dynamisme, l'enthousiasme de créer, seul ou en groupe, et de socialiser cette création dans le groupe. Une discussion générale sur ces deux points per- mettrait sans doute de les préciser par des illustrations qui pourraient aider des enseignants en tâtonnement.

6 - en conclusion apparaît un vaste problème : celui de l'attachement des élèves au profes- seur et de la difficulté que certains élèves ont ou ont eu à le vivre à certains moments. "On ne fait pas l'économie de l'affectivité". Mais c'est peut-être là que les tâtonnements sont les plus éprouvants.

7 - les élèves étaient très conscients des aspects exceptionnels qu'avait cette classe de fran- çais. Ils se sentaient observés par le reste du collège. L'isolement relatif du professeur dans J'équipe pédagogique et dans J'ensemble de l'institution ne leur échappait pas.

En début d'année, certains s'étaient irrités de ces "nouvelles" méthodes pédagogiques, certains pa- rents avaient été réticents. La fierté de chacun à nous dire que les résultats au BEPC avaient été brillants montre que cet environnement avait renforcé la cohésion du groupe ... et l'attachement à leur professeur.

LES TECHNIQUES DE VIE CARACTERISTIQUES 1 - Une grande facilité de communication.

Nous étions pour les élèves des étrangers venant questionner avec un magnétophone. En quelques minutes la discussion était cordiale, sans réticences. Au bout d'une demi-heure les échanges étaient personnels, directs. Ce comportement est loin d'être habituel avec des élèves de 1ère - alors qu'ici il a été généra

1.

(4)

économiques. Il serait donc très intéressant, en liaison par exemple avec les conclusions de la

"commission Emmanuel", d'analyser comment un type de pédagogie permet de dépasser à ce ni- veau verbal les handicaps socio-économiques (1). D'autre part, on reproche aux élèves de lycée d'utiliser un vocabulaire très pauvre en nuances : machin, true. choses. vachement. bof etc. lei.

toutes s.ections unifiées, le voc<tbulairc est précis, les nuances ne portant que sur l'utilisation plus ou moins fréquente de mots abstraits.

3 - Une grande aptitude à l'analyse et ù l'auto-analyse.

Ce qui nous a sans doute le plus surpris - habitués plus souvent à entendre discuter sur des choses extérieures - un livre, un spectacle, un événement nous avons été plongés à chaque inter- view clans une élucidation déjà bien approfondie de ce que chacun sentait, pensait, désirait ; de la façon dont chacun situait ses relations avec son environnement.

Sur ce fond commun une grande diversité se manifeste dans les conséquences socin-psychologiques de cette attitude. Aux deux extrêmes un élève : "je sais me poser beaucoup de problèmes mais je n'ai pas appris à les résoudre" ce qui entraîne une certaine amertume ; un autre se sent apte à résoudre les problèmes qu'il se pose quant à ses engagements, ses options ou ses perspectives d'avenir et ce que nous avons vu de ses relations nous semble confirmer ses dires. Entre ces deux extrêmes cette sensibilité d'analyse mène à différentes formes : générosité sentimentale, sentiment d'impuissance sociale, méfiance vis-à-vis de toute structure sociale, rejet de tout engagement syn- dical ou politique.

4 - Une socialisation certaine mais sélective. ·

L'aisance à vivre dans des petits groupes ne semble pas déboucher clans une véritable intégration · sociale. Nombreux sont ceux qui rêvent d'un îlot de bonheur phalanstérien qu'ils aspirent à ani- mer ; nombreux sont ceux qui sont délégués de classe (mais : "les délégués ça ne sert pas à grand' chose").

Par contre la plupart semblent pessimistes sur les possibilités sociales d'aller vers till mieux être.

Les critiques contre la société et les gens qui y sont intégrés sont nombreuses "train-train, con- fort matériel". Un élève est engagé clans un comité écologique, un autre rêve d'un rassemblement contestataire, un seul s'affirme partisan de l'engagement syndical et politique.

5 - Un intense besoin de créer.

Ce pessimisme social semble reposer sur une aspiration générale ct intense à créer. Chacun parle de ce que la classe de troisième lui a permis de produire. Mais depuis ? on a essayé, ct puis, ou bien "c'est tombé à l'eau", ou bien "ça n'était pas pareil". Rapidement il est resté un besoin de création plus qu'un pourvoir de le réaliser : le cahier de création poétique n'a plus circulé, on a renoncé aux montages. Néanmoins, il a circulé 13 ou 14 mois, ce qui à l'expétience n'est pas si mal, c'est la coupure des vacances 74/75 qui lui a été fatale, plus l'impossibilité de mettre SW'

pied la structure nouvelle (rencontres directes) qui aurait donné une nouvelle impulsion à l'en Ire- prise. De plus, phénomène important : il a intégré 2, 3 filles hors du groupe 3eme.

Il y a eu aussi le ·montage poétique des secondes C réalisé entièrement de manière autonome, présenté en classe,· au groupe Freinet.

Un jour peut-être, si un nouveau X ... est institutionnellement au centre du groupe ! ...

HYPOTHESES POUR UNE MISE EN PERSPECfiVE

Avant de recueillir les premières critiques sur l'état actuel de notre recherche il reste à esquisser une synthèse de toutes les réflexions tâtonnantes que nous avons faites à l'occasion de ce travail.

Non pour dire c'est bien ou c'est mal : par rapport à quelle échelle de valeur ? Non pour quanti- fier un processus éducatif : où sont les unités de mesure ?

Mais pour essayer de situer cette classe dans une histoire pédagogique, dans le cursus de formation des élèves et dans les perspectives que peuvent se donner des professeurs du secondaire. Freinet était le - seul - maitre d'un groupe-classe pendant de nombreuses heures hebdomadaires.

Dans le second degré plusieurs professeurs disposent d'une à six heures par semaine. De nouveaux problèmes se posent. Panni ceux qui m'ont été le plus perceptibles je formulerai :

1 - Les professeurs sont "spécialisés". Quel est l'apport de cette spécialisation sur la part édu- cative de chaque maitre ? Quel est l'apport difficilement remplaçable de chaque "discipline" ?

2 - Le "groupe" enseignant forme souvent une équipe éducative bancale. Quelle part de l'effort est-il bon de consacrer à la marche de cette équipe, et quelle part au fonctionnement de la "spé- cialité".

(1) Sur 33 élèves, 19 sont de famille ouvrière - Parmi les profêssions des parents on trouve aussi ingénieur (1), agent de maîtrise (3), employés, artisans ..

(5)

3 - Un maitre "Freinet" est souvent isolé dans son action éducative au sein de cette équipe. Il est amené à "compenser" ce que les autres n'apportent pas. Dans l'intérêt des élèves, compte tenu de ce qu'est l'action pédagogique des collègues, compte tenu de la spécificité de la matière enseignée, comment intégrer cette "compensation" dans la vie des quelques heures de classe qu'on assume ? Comment un prof de français compensera-t-il pour ses élèves les effets d'un enseignement d'histoire scolastique ?

Comment créer des pratiques vraiment coopératives lorsqu'on ne dispose que de quelques heures ?

*

- --

'LE JOURNAL SCO . LAIRE AU SECO N D DEGRE

Si notre travail de réflexion sur le journal scolaire commence à prendre forme (voir le prochain dossier), si nous sommes convaincus de l'importance du journal au second degré (en particulier pour son rôle socialisant irremplaçable, surtout pour nous qui ne voyons les élèves que quelques heures par semaine), il faut bien dire que, dans les faits, la situa- tion du_jou~nal secondaire n'est guère florissante : les journaux de classe sont relativement peu nombreüx et -

à

part quelques exceptions - de qualité ... modeste. Cer-tes, les con---- ditions précaires dans lesquelles ils sont réalisés expliquent en grande partie ces résultats. · Nous pensons pourtant qu'il suffirait de peu pour obtenir une amélioration sensible du contenu et de la présentation.

Le but du chantier que nous lançons serait de recenser les journaux secondaires qui pa- raissent en France, d'aider les classes qui les réalisent par une critique constructive et des conseils pratiques, de susciter d'autres journaux, etc.

Ce travail pourrait aboutir à une chronique dans La Brèche, et à une EXPOSITION sur les divers aspects du journal pour le congrès de Bordeaux. Nous proposons également l'édition en fac-similé d'un journal, ou d'extraits de plusieurs journaux, comme cela a été fait pour le premier degré.

Ce chantier est animé par une équipe d'adultes et d'adolescents du Groupe second degré de Gironde.

C'est pourquoi nous vous demandons votre journal à l'adresse suivante :

d'envoyer un exemplaire de Jean DUBROCA

1, rue Leconte de Lisle 33120 - Arcachon Rappel : adressez également un exemplaire

à :

chaque numéro de

- Michel VIBERT, CEG, 14440 Douvres-la-Délivrande (qui s'en sert pour alimenter les Gerbes, mais vous pouvez aussi envoyer simplement des textes)

- Annette DAVIAS, lycée, 38480 Pont-de-Beauvoisin (qui s'en sert pour alimenter BT2 Magazine, mais vous pouvez aussi envoyer simplement des dossiers, des comptes rendus d'enquêtes e.t d'interviews ... ) ·

- ICEM - BP 25l - 06406 Cannes.

(6)

A L'UNIVERSITE

C'est Freinet. je crois, qui a inventé le mot d'ordre "De la matemellc à l'Université". Pourtant, on trouve maintes trJces. dans l'oeuvre de Freinet et dans le mouvement de l'Ecole Moderne, d'une certaine méfiance à l'égard de rUniwrsit.! et des universitaires, méfiance résumée dans les mots "scolastique" et "accumulation de connaissances"

opposés à l'épanouissement, au travail productif, au tâtonnement expérimental, bref, à la vraie vie. Et derrière cette méfiance, il y a sans doute l'intuition ou la certitude que l'Université, sommet de la hiérarclùe du système éducatif dans notre société (sommet qui est souvent dans les nuages, et donc moins visible que cet autre massif hiérarchique appelé "corps des Inspecteurs généraux, 1 nspecteurs d'Académie et Inspecteurs Départementaux") joue la fonction que Nizan attribuait aux intellectuels en général : celle d'être les "chiens de garde" du système poli- tique et économique. Mais, par ailleurs, Freinet distinguait, dans la masse des universitaires, quelques "vrais savants", comme Henri Wallon. Et c'est avec amitié que le mouvement de l'Ecole Moderne accueille les universitaires.

Au-delà du désir de Freinet de penser et de pratiquer une éducation complète de la maternelle à l'Université, au- delà des méfiances nécessairement engendrées par la division du travail et les barrières sociales et administratives (barrières renforcées par une tradition qui remonte au Moyen Age, c'est-à-dire à la naissance même des Universités), le moment semble déjà venu d'un véritable travail en commun entre les éducateurs de tous ordres, de tous ni- veaux ct de toutes spécialités. Ce travail n'est pas et ne sera pas l'apanage de la seule pédagogie Freinet. Mais, puisqu'en ce qui me -concerne c'est le mouvement Freinet qui m'a donné l'envie et l'occasion, depuis 4 ans, de confrontrer mon travail universitaire aux expériences de mes collègues des autres secteurs éducatifs, et de mener avec eux des tâches communes, il peut être utile de présenter un premier ensemble de réflexions et d'observations sur ces 4 années d'expé-riences.

Le plus important n'est pas, pour l'instant, le développement, dans le mouvement Freinet, de préoccupations thé- oriques .qui sont le pain quotidien des universitaires. Le plus intéressant est d'abord le mouvement contraire : celui de la pratique pédagogique inspirée par le mouvement Freinet, inspirant à son tour et renouvelant l'enseignement universitaire et lui apportant même parfois des éléments de découverte, soit pour l'enseignement, soit pour la ·

recherche. Ce début de diffusion du mouvement Freinet dans les universités est d'ailleurs inséparable d'un reJiou- veUement amorcé en 1968 et qui a permis l'éclosion, dans la plupart des Universités de France et du monde, d'expériences multiples. L'expérience de l'Université de Vincennes, par exemple, procède de la mênie volonté ·con- temporaine. Dans cet _échange permanent d'idées et d'expériences, il est difficile de dire ce qui est inspiré par le mouvement Freinet -et ce dont ce mouvement bénéficie. Il suffit pour l'instant d'indiquer ce que la pédagogie Freinet apporte à· un universitaire qui se réclame d'elle.

LES CRITERES D'UN TRAVAIL UNIVERSITAIRE DE TYPE FREINET

Les critères valables pour la défmition d'une ~'classe Freinet" dans l'enseignement élémentaire me sernblen t éga- lement valables pour la définition d'un enseignement et d'une recherche universitaires partant des mêmes postulats et utilisant les mêmes techniques que Freinet. Tout part de l'expression libre des étudiants et des enseignants.

Cette expression libre s'organise en un travail coopératif qui n'exclut pas, mais au contraire suppose et stimule la recherche individuelle. Ce· travail coopératif tend naturellement à la communication sociale, par la correspondance, l'imprimerie et les moyens audiovisuels, à la fois pour profiter des expériences et recherches faites ailleurs, pour faire connaître les travaux- du groupe, et pour susciter les critiques et suggestions venues de l'extérieur. Cet exemple de techniques et d'outils (expression libre, coopérative, moyens de communication) constitue par lui-même une méthode, c'est-à-dire un ensemble cohérent de moyens en vue d'une fin.

Cette fm, c'est l'épanouissement des individus dans une société ou l'homme ne serait pas un loup pour l'homme, ni un danger mortel pour les autres animaux et végétaux. Reprenons, à propos de chacun de ces critères, le tra- vail accompli dans une Université quelconque. Je donnerai quelques exemples pris dans l'Université où je travaille actuellement (l'Université de SAO-PAULO, au Brésil), mais des exemples analogues pourraient être pris aussi bien en France ou aux Etats-Unis, avec d'autres professeurs de tempérament différent et dans d'autres spécialités.

L'EXPRESSION LIBRE, COMPATIBLE AVEC LA SPECIALISATION ET LA PROGRAMMATION SOUPLE Beaucoup admettent désormais que les .techniques de l'expression libre et notamment du texte libre, sont valables dans les classes maternelles, élémentaires et secondaires, mais se demandent si elles ont encore un intérêt à l'âge

(7)

adulte ou quasi-adulte, quand la personnalité est déjà à peu près formée, ct exige elle-même de se spécialiser dans un cadre social pré;établi. Pour apprendre à s'exprimer et à communiquer, dit-on, les techniques Freinet sont bonnes.

Mais sont-elles encore nécessaires pour des étudiants et enseignants qui sont censés savoir s'exprimer et communiqucr.

et dont la fonction est d'acquérir et d'approfondir un savoir spécialisé, en perdant le moins de temps possible dans des tâtonnements, même expérimentaux ? Pour répondre à cette question, il faut se situer dans les conditions concrètes du travail intellectuel, au sein d'une Université.

Tout d'abord, beaucoup d'étudiants sinon beaucoup d'enseignants, en tout cas beaucoup d'adultes éprouvent de nonv breuses difficultés pour s'exprimer et pour communiquer avec autrui. Pour tous ceux-là, qui n'ont pas appris dans

1

les années antérieures à s'exprimer librement et utilement, ou plutôt qui ont désappris à être libres, les techniques Freinet de l'expression libre restent précieuses. Beaucoup d'étudiants et d'enseignants ont encore à apprendre la dis- tinction du texte libre, vraiment libre, exprimant en profondeur la personnalité de chacun, et du texte à sujet 1 libre, fait en un temps et en un lieu imposés et selon des règles imposées. Mais là n'est pas l'essentiel : l'essentiel n'est pas de pallier les carences d'un apprentissage ou d'un manque de formation antérieur, ou de faire disparaître des inhibitions créées par un système pseudo-éducatif antérieur. Tâche dont on ne peut se désintéresser, mais qui n'est pas la mission principale impartie à l'Université.

L'Université étant le lieu de la liaison organique de l'enseignement et de la recherche scientifique, que vient y faire l'expression libre ? Le sérieux de la recherche n'exige-t-il pas une programmation pré-établie ? Les pro- grammes universitaires devant être approuvés par les conseils pédagogiques ou scientifiques de l'Université, pour être imprimés avant le début des cours, sont établis par les professeurs plusieurs mois avant l'ouverture de l'année universitaire, sans consultation possible des étudiants qui suivront ces cours : sans doute les "commissions pari- taires" qui discutent de ces programmes comprennent des représentants des étudiants; mais la plupart du temps ces représentants ne peuvent qu'approuver les propositions des professeurs, et surtout, ce ne sont pas eux qui suivent les cours dont ils approuvent les titres. Pratiquement aucun des étudiants qui suivent un cours n'a réel- lement discuté du titre et du programme de ce cours. Comment, dans ces conditions, réintroduire l'expression vraiment libre, qui implique le libre choix des complexes d'intérêt et des problèmes qui définissent un travail intellectuel véritable, ainsi que le libre choix de la démarche et de la programmation provisoire qui permettent d'approcher de la solution de ces problèmes ? D'ailleurs, un étudiant est-il capable de discuter d'un sujet sur le- quel il n'a encore aucune compétence ?

La réponse concrète à ce premier type de questions, ou plutôt la manière qui nous parait correcte de poser le problème, part du fait que tout programme de recherche et d'enseignement universitaire est toujours provisoire, même s'il est imprimé, même s'il a fait l'objet de délibérations de conseils d'Université, voire de Conseils des Ministres, et qu'il doit toujours être soumis, comme une simple proposition, comme un simple point de départ, au groupe d'étudiants et de chercheurs qui ne sont inscrits (parfois obligatoirement) pour suivre ce programme.

On ne peut jamais imposer une idée, pas même l'idée que 2 et 2 font 4, à moins que l'on prenne l'acquies- cement rapide des étudiants pour une véritable conviction. Il ne faut pas hésiter, me semble-t-il, à consacrer 2 ou 3 séances de cours à discuter réellement du titre du cours et du programme proposé, et à le modifier en fonc- tion des intérêts réels des participants. Il faut même résister à l'impression de déception que de bons étudiants peuvent éprouver et formuler lorsque les premiers cours ne sont pas des discours de professeur posant clairement les problèmes et marchant résolument vers leur solution. Il faut que les étudiants aient la possibilité concrète (ce qui suppose des moments longs et nombreux où le professeur cède la parole à ceux qui veulent la prendre et aussi des moments où le professeur aide ceux qui n'osent pas parler, à ébaucher leurs premières questions),

d'hésiter, de tâtonner à la recherche des vrais problèmes qu'ils veulent poser en profondeur. C'est le rôle du profes- seur de concilier les impératifs techniques d'un programme où l'acquisition de tel ensemble pré-établi de connais- sances semble nécessaire au progrès, et les intérêts ou problèmes réels des étudiants. Il faut ( 1) se méfier d'un -acco-rd trop rapide d'un grou·pe d'individus qui ne se COJUJaissent pas, sÛr un objet de COUrS et Sur un programme

pré-établi par un seul d'entre eux, fût-il le plus compétent. D'ailleurs au bout de 5 à 6 semaines, le dévelop- pement du cours, de la recherche et de la réflexion, et des échanges d'infom1ation, amène souvent, surtout si les étudiants travaillent persoru1ellement, à remettre en cause un premier plan du cours, même longuement mûri.

L'exemple le plus récent que je puis donner de cette procédure où, apparemment, on commence à "perdre du temps", est un cours de "pos-graduaçao" (séminaire de maîtrise et de doctorat) de littérature française à l'Uni- versité de Sao-Paulo.

Tout cours de pos-graduaçao à I'U.S.P. doit être approuvé plusieurs mois à l'avance, par la Commission de Pos- Graduaçao de la faculté concernée (en l'occurrence, la Faculté de Plùlosophie, Lettres et Sciences Humaines) sur la base d'un dossier comprenant le titre de 12 séances obligatoires de cours semestriel et la bibliographie propo- sée par le professeur. Heureusement, la tradition fait qu'il est adnùs que le professeur puisse changer, en fonc- ( 1) Ces mots "il doit", "il faut", etc. 11 'expriment dans cet article que ma résolution personnelle ; ils ne sauraient indiquer que la pédagogie Freinet doit être imposée d'wte manière quelconque, ou s'arroge une quelconque auto- rité : par définition, elle se présente comme un tâtonnement, elle se pratique, elle se propose, elle se discute.

1

(8)

ti on du progrès de ses recherches, le contenu de cc progranunc. J'ai donc proposé aux étudiants, à la première séance. 2 plans de cours possibles : celui que j'avais élaboré plusieurs mois auparavant pour la Commission de Pos-Graduaçao. et celui que j'avais élaboré la veille du premier cours, en fonction du progrès de mes réflexions et de mes recherches. A vrai dire, je ne tenais pas plus au second plan qu'au premier, et je les avais proposés tous deux aux étudiants, surtout pour les inciter à en élaborer eux-mêmes un troisième, meilleur que les 2 précé- dt>nts et qui tiendrait compte de toutes les propositions, curiosité ou questions fonnulées par chacun d'eux. Il fal- lut 3 sem:lines. c'est-à-dire 2 séances et demie (chaque séance étant de 3 heures) pour arriver à un plan cohérent et int~g:rant toutes les questions ou intérêts des étudiants sur le sujet, "Aspects poétiques, sociaux et linguistiques dt' la traduction : domaines français ct brésilien." Le titre du cours ne fut pas remis en cause, mais il était loi- sible de trouver un sous-titre qui résumât avec plus de précision le ou les problèmes réels qui avaient été cons- truits et découverts en ce début de cours. Ce temps ne fut pas perdu, mais gagné : chaque étudiant eut ainsi · l'occasion de choisir et de penser par lui-même les problèmes théoriques et pratiques de la traduction, de constater qu'il pouvait produire un ensemble plus ou moins cohérent de questions sinon de réponses, que le choix de ces questions déterminait le type des éventuelles réponses, et d'apporter quelques petits éléments d'information en même temps que d'en recevoir. Le plan de cours définitif fut sans doute relativement proche, dans ses grandes lignes, des préoccupations exprimées par le professeur par ses 2 premières ébauches, mais, dans le détail, il dif- férait profondément de ce que ce professeur aurait fait tout seul. Et surtout chaque étudiant s'était engagé dans

. une recherche personnelle qui était un élément du nouveau plan d'ensemble.

Le même processus, adapté à l'objectif partiel de chaque séance, était valable pour le détail des cours : chaque étudiant acceptait de repenser, avant chaque séance, le programme prévu pour chacune d'elle ; il avait le droit de perturber, par de nouvelles propositions, voire par des textes libres, ce qui avait été prévu initialement. Ces propositions pouvaient être faites soit n'importe quand, soit au début même du cours, soit (ce qui était l'idéal), à la fin du cours précédent, ce qui donnait aux autres une semaine pour y réfléchir. Au bout de 4 à 5 semaines, du groupes des 15 étudiants concernés se dégagèrent un étudiant et une étudiante qui, par la qualité et J'assi- duité. de leurs propositions, se révélèrent susceptibles de prendre la responsabilité de la direction de séances entières sinon de J'ensemble du cours. Par ailleurs le plan primitif avait prévu, selon la technique classique des séminaires, des exposés ou travaux faits à tour de rôle par chaque participant.

Ce type de programmation souple de la recherche libre n'est pas seulement valable pour les lettres ct sciences hu- maines ou sociales. Il semble également possible, et déjà réalisé, en mathématiques, en architecture et urbanisme, et pourrait, adapté aux conditions techniques de la recherche en laboratoire ou en clinique, être appliqué aux sciences physiques et naturelles. Le test-clef de son utilité devrait être donné par un professeur de médecine. De toutes façons, il se pratique dans de nombreux groupes de recherche et n'est pas, à lui seul, spécifique de la pédagogie Freinet. Il n'est qu'un élément de cette pédagogie, et ne la définit que s'il est lié organiquement à d'autres tech- niques qui restent à examiner.

LE TRAVAIL COOPERATIF LIE AUX OBJECTIFS iNDIVIDUELS ET AU "CONTROLE DES CONNAISSANCES"

La prise en charge par le groupe de la définition de ses objectifs, c'est-à-dire du programme universitaire, et du développement de ce programme, est déjà un travail coopératif lié à l'individualisation des recherches, mais elle n'est qu'un des aspects, individuel, du travail coopératif. En fait J'organisation de la coopération universitaire, ou la transformation du cours en coopérative éphémère de production intellectuelle, suppose bien d'autres facteurs, économiques, sociaux, psychologiques, culturels, voire politiques qui sont organiquement liés au travail intellectuel lui-même.

Dans l'actuel champ des idées pédagogiques en cours, ces affinnations doivent se distinguer de 2 conceptions op- posées : celle du "non directivisme" déformation française de "l'attitude centrée sur le client" (formule de Rogers, très proche de celle de Freinet qui préconise "l'attitude centrée sur l'enfant"), déformation qui cache souvent, sous forme d'un prétendu "laisser faire", une manipulation ou une volonté de puissance d'autant plus nocive qu'elle n'est pas avouée ; et celle d'un collectivisme technocratique, soumis, sans réappropriation personnelle, à des impératifs fixés par la société ou par un "patron" habile à canaliser "démocratiquement" toutes les énergies par- ticipantes. La pédagogie Freinet conçoit la coopérative scolaire ou la coopérative universitaire comme une petite société constituée pour un but éducatif ou scientifique commun, où le maitre a sa part à prendre, tout comme les élèves, ni plus, ni moins. Ni ."directivisme", ni "non-directivisme". Ni "culte de la spontanéité", ni "planification autoritaire". La formulation de la Charte de J'Ecole Moderne, qui a défini en 1968 les 10 grands principes de la pédagogie Freinet, reste cependant très imparfaite à cet égard, non seulement parce que, l'étudiant n'étant pas un enfant, la Charte de l'Ecole Moderne s'interdit par son vocabulaire, une généralisation "de la maternelle à l'Uni- versité" ; mais surtout parce que, réagissant légitimement contre tout enseignement "centré sur l'adulte" (et en fait centré sur la hiérarchie administrative et sociale en vigueur), elle semble ignorer la dialectique du travail édu- catif : la pédagogie Freinet, quoi qu'elle-même ait pu dire souvent, n'est pas centrée sur J'enfant, mais sur la relation égalitaire, sur le respect réciproque du maitre et de ses élèves, et sur leur coopération librement consentie de part et d'autre.

(9)

Dans le champ des idées sociales, la coopérative scolaire ou la coopérative universitaire ù la manière de Freinet est aussi ù distiuguer de toul '\;oopéralivismc" cl de toute doctrine qui prélcnùrai! que la solution des problèmes ~~cn­

nomiqucs cl sociaux serail dans la généralisation des coopératives de producliou cl de consomnwtion. Saus 1hlltlc le mouvemeul Freiucl a-l-il choisi. comme moyen de production de ses outils pt;dagogiques, la forml' coupéralivc (l.a Coopérative de I'Emcignemcnt Lulc). Mais la coopérative éphémère de travail intellcclucl dont nous parlons sur k plan pédagogique peut déhoucher, si elle réalise des productions récupérables par la wc..:ié!é. aussi bien sur un "hol- ding" que sur une entreprise d'Etal ou que sur un réseau de coopérutives. C'est aux étudiants ct enseignants eux- mêmes, s'ils produisent quelque chose d'utile à d'autres, de contrôler l'utilisation de leur production, quelle que soit la fonne, conunercialc ou non, de sa diffusion.

Ainsi, une fois fixé le but de l'éphémère coopérative de production intellectuelle que représente le cours ou le.

séminaire, une fois établie la programmation souple qui n'est qu'un des moyens d'atteindre le but, il faut préciser les autres moyens : la répartition des tâches, par exemple celle des présidents de séance, celles des secrétaires qui font les comptes rendus de séance, celles des intendants ou trésorier. Même dans l'hypothèse optimiste (ou plu- tôt utopique dans l'état actuel de misère des Universités) où une Université prendrait matériellement en charge la totalité des besoins de l'enseignement et de la recherche, il faut encore que les professeurs ou les étudiants assurent matériellement un certain nombre de tâches, ne serait-ce que les tâches de communication avec les ateliers de reproduction. Ne serait-c.e que pour gagner du temps individuellement, ils sont amenés à payer personneUement un certain nombre de services. Tout cet aspect matériel du travail intellectuel a intérêt à être organisé collectivement.

L'individualisation même du travail et des tâches suppose la polycopie des programmes individuels et collectifs per- mettant à chacun de travailler seul et de s'i11tégrer librement dans le travail du groupe. Il faut d'ailleurs accepter de ne pas assurer la réalisation de certaines parties du programme, quand l'administration universitaire ne peut ou ne veut pas en assurer les conditions matérielles, ou quand les étudiants eux-mêmes ne souhaitent pas en prendre partiellement la charge. On voit ici comment l'appréciation "réaliste" des possibilités économiques ou financières peut influer directement sur la définition des objectifs scientifiques ou pédagogiques d'un cours. C'est pourquoi la pédagogie Freinet, loin d'être une "fuite pédagogisante" hors des vrais problèmes, ne peut que contribuer à la prise de conscience des syndicats d'enseignants et d'étudiants pour 1 'obtention de meilleures conditions de travail.

Bref, dans l'état actuel des mentalités, la forme "contractuelle" des rapports des professeurs et des étudiants semble encore la condition première de toute difficulté, dès lors que les "parties prenantes" de ce "contrat péda- gogique" ne sont pas une poussière d'individus voulant tirer chacun à hue et à dia. Le point de départ

inévitable est, dans l'enseignement public, la présence du maitre, première partie prenante ; si c'est un enseignant Freinet, il ne lui faut pas plus de 5 secondes pour être, quel que soit son âge, pam1i les étudiants, et pour leur offrir 50

"'o

de la tâche à accomplir, sans perdre de vue que cette première formulation du contrat est très insuf- fisante, l'idéal étant, pour que la relation soit véritablement égalitaire, que la part du maître, si le nombre des étudiants est de x, tende vers 1 .

x

Jean-Jacques Rousseau disait bien mieux cela dans l'Emile : "faites-en vos égaux afin qu'ils le deviennent". L'idéal est que surgissent du groupe quelques individualités capables de formuler dans un premier temps les désirs-chefs, les problèmes-clefs autour desquels se cristallisent des équipes dont le jeu fera la vie du groupe et permettra la progression rapide vers le but à atteindre. Ce but impliquant que tous les étudiants atteindront un certain "niveau"

de connaissances .• il faut prendre garde que les porte-paroles des équipes n'étouffent pas, mais au contraire encou- ragent les débuts d'initiative et d'expression de leurs camarades plus inhibés. On retrouve ici, mais appliquées en souplesse sur un plus long laps de temps, ct seulement à l'initiative des participants, des techniques de "démocra- tisation" de la conduite des réunions, les "Philips 6 x 6, etc., la fragmentation des grands auditoires en petits groupes, les échanges entre groupes, qui évitent la polarisation sur un unique "meneur de jeu". La "part du maître", comme disait Freinet, ne doit pas excéder 50

%

de la tâche à accomplir et dès que se révèlent parmi les étudiants des individualités désireuses d'assurer leur part, il n'y a que des avantages à ce que la part du maître diminue en temps : ce qu'eUe perd en quantité, elle le gagnera en qualité et en intensité. Jusqu'au mo- ment où le but est atteint : le groupe n'a plus alors réellement besoin du professeur, il peut se passer de lui, soit épisodiquement, soit définitivement. Ce moment arrive parfois plus tôt qu'on ne le pense. C'est pourquoi, systématiquement, profitant d'une autre tâche à accomplir dans l'Université, je m'absente volontairement, le plus tôt possible dans le semestre, de mon cours, en priant les étudiants de travailler seuls très sérieusement : à chaque fois ils sont surpris d'avoir si bien travaillé, de n'avoir pas "perdu leur temps". Cette technique a évidem- ment ses limites et ses dangers : à chacun, et au groupe lui-même de les sentir et de les surmonter.

La limite absolue est la limite temporelle de la durée du cours. Dans le meilleur des cas, le professeur d'Univer- sité travaille avec ses étudiants pendant 3 ou 4 heures par semaine pour un même cours ou séminaire n'excérlant pas 20 ou 25 étudiants ; la plupart du temps, les étudiants sont partagés entre plusieurs cours et plusieurs pr~

fesseurs qui n'ont en général que peu de rapport entre eux, et dans le cas le plus difficile, celui des étudiants salariés, ces étudiants sont tiraillés entre leur travail universitaire et leur gagne-pain. Il est légitime qu'ils cherchent à "profiter" du professeur le plus possible. C'est au professeur de montrer que son aide n'est pas essentiellement liée à sa présence, mais à la. qualité de ses recherches, à son imagination, et à l'amitié et l'estime réciproques qui naissent de la relation de travail. II est également légitime que le professeur fasse comprendre que la qualité de

(10)

ses recherches, à son imagination, et à l'ami!ié cf l'cstintc n\ctproqucs qui naissent de la relation de travail. Il est également légitime que le professeur fasse comprendre qur la C(Ualité de son travail dépendra de la qualité du tra- vail des étudiants, ct qu'il ne serait pas lui-même rrH.::otH:tgé ù travailler avec eux s'ils ne foumissaient pas le travail qu'il attend d'eux.

Mais la limite la plus profonde est au cœur du sysil-lllr universitaire, système de diplomes, de notes chiffrées ou codées en lettres, A,B,C,D, etc., qui sont des équivaknb de l'argent : ce sont vraiment des "valeurs", des unités de valeur capitaüsables, au ~ens où l'on parle de valeur bour$ièt( Les "notes" ce sont des billets de banque, des dollars, que l'on vendra ultérieurement en échange d'une place. d'un .,;lllploi, d'une carrière. Or, rien n'est plus contraire au véritable esprit d'entreprise, c'est-à-dire au véritable c~p• it de tccherche et de création, à J'amour du risque que la course à la note, la servilité à l'égard du profcssem dans le hut d'obtenir un bon point. Et pourtant le tableau des notes ct des diplômes est la clef de voûte du systôme univc1sitairc. Comment faire en sorte que cc système (ou du moins l'ensemble de ses effets nocifs, soit neutralisé au Sl~in de l'Université, pour permettre, dans le monde "intéressé"

qu'est le monde capitaliste, le fonctionnement correct d'u1u: coopérative éphémère de travail intellectuel, où l'on n'ira pus cacher ù l'uutrc. sa meilleure idée, comme s'il s'agis,~tl d'un ulout à garder en main pour gagner seul la partie ? /\Vcc bien des tâtonnements, l'unique solution que j'ai trouv(:e pouf résoudre la contradiction entre le système uni- versitaire at:tuel fondé sur l'esprit de concurrence, cl la p~dagogie Freinet, fondée sur l'esprit d'émulation réciproque et d'entr'aide, est d'indiquer aux étudiants qu'en tant C[UP professeur rémunéré par l'Etat, je suis seul responsable devant l'administration des notes finales qui setvutl ;) le 11r délivrer lrur diplôme, mais que je m'engage, s'ils acceptent de travailler vraiment en groupe à consacrer la ckrnic~H' séance de cours, la séance de conclusion et d'évaluation, à la discussion collective des critères d'appréciation cl de l'application de ces critères au travail individuel de chacun. Cha- cun est invité à y réfléchir et à présenter ses sue,r,estions pendant tout le semestre, en sc rappelant que l'essentiel n'est pas lu note finale, simple conséquence, mais 1<: lt.tvail tt!cl accompli. Je me refuse à mettre lu moindre note chiffrée ou lettrée avant le dernier jour de cours, nul" s1 l'administration m'y oblige, ct même dans ce cas, il est facile d'obtenir que ces notes obligatoires aient peu ck poids pur rapport au précepte de La Fontaine : "Travaillez, prenez de la peine, c'est le fonds qui manque le moins".

En revanche, je prends d'abondantes notes sur les intnvention~ orales ou autres des étudiants et les encourage à multiplier les traces écrites de leur travail, jusqu'<! la réussite de leur tâche individuelle ou collective de recherche ainsi se constitue le dossier individuel de chaque étudiant, sans aucune perte de temps bureaucratique ; ainsi puis-je à chaque instant fournir à l'administration autant de notes qu'elle me demandera (pour ridiculiser celte technique, on dira que je note même la manière dont un étudiant ouvre ou ferme une porte), en précisant bien que la note finale

Ill' sera pas nécessairement la résultante arithmétique de ces indiœs provisoires. Ainsi peut-on échapper, semble-t-il, au faux dilemme : si le professeur note seul, son jugement rbque d'être subjectif ct injuste, ct s'il fait participer les étudiants à la notation, c'est un démagogue el les diplômes qu'il signe n'ont aucune valeur. L'cssénticl est ce qui a été réellement produit, du point de vue intellrctucl, pendant le semestre de cours : l'essentiel est cet ensemble de dossiers indjviducls ou collectifs, qui résument ou Mtaillcnt le travail de chacun et de tous. S'il en a le temps, le Président de la République, le Ministre de l'Education Nation;~lc, le Président de l'Université, ou n'importe quel col·

lègue, étudiant ou chercheur, pourra y jeter ou y làitt' jeter 1111 coup d'oeil : il pourra ù coup sür constater que le groupe d'étudiants en question, cette bizarre coopétativc de travail intellectuel éphémère, a fait ce que la société attendait d'elle et a peut-être fait mieux encore. D'ailleurs, il arrive que cette coopérative éphémère élabore des pro- duits durables, des articles, des brochures, cles livres, des émissions radiophoniques ou télévisées, des affiches, des montages audiovisuels, etc. Dans ces conditions, celle histoire de notes chiffrées ou let !rées qui font perdre tant de temps aux professeurs, est vraiment une toute petite llistoirc, sans grand intérêt, même si les étudiants, les parents ct l'adnlinistration, défonnés par une longue twdjtion et conditionnés par le système social, y attachent une grande importance. Quel poids réel peut avoir l'ensemble des milliers de notes chiffrées ou lettres délivrées par un professeur pendant toute sa carrière, à côté de la moindre idée neuve C(Ue cc professeur aura apportée à ses étudiants et à la société ? Examinons donc les produits de ces idées neuves : !cs outils et les produits de la communication, 3e série de critères étroitement liée aux 2 premières séries que sont le couple "expression libre/programmation" et le couple

"coopérative/individualisation" pour définir un trav:1il universitaire de type Freinet.

LES OtiTILS ET PRODUITS DE LA COMMUNICATION : COIUŒSPONDANCE, COMPTES RENDUS, 11\fPRJMERJE, FILMS, JOURNAUX, LIVRES, MATERIAUX AUDlOVISUELS, MACHINES, ETC.

On a pu observer, aux précédents niveaux de l'analyse, l'intetvcnlion de divers outils de communication, soit au sein mème du groupe, soit entre ce groupe (petite société provisoire) et les autres groupes ou la grande société. Sans langage,, sans communication, pas de recherche scientifique. la recherche scîcntifiquc est toujours faite pour d'autres, et, en définitive, pour la société qui la nourrjt, la consomme ct la consacre.

L'équivalent naturel, dans la recherche scientifique, de la correspondance inter-scolaire chère à Freinet au même titre que l'imprimerie à l'école, est la correspondance inter universitaire, ou la correspondance tout court, dont la fonction est d'ouvrir le cours sur la vie et sur la vie et sur le 1este de la société ct du monde. La correspondance in ter-uni- versitaire, qui peut s'amorcer avant le début d'un cours entre un professeur et quelques-uns de ses collègues à l'autre

(11)

bout du monde ou à l'autre bout de la viUe t(e téléphone sert aussi à quelque chose) intervient clans la formulation même du sujet de ~ours ct dans les esquisses de programmation. Rien n'est plus utile que de perturber apparemment et volontairement son propre cours par l'intervention provoquée d'un professeur avec lequel on n'est pas d'accord, mais que l'on estime et que l'on invite à participer aux discussions de groupe dont on est responsable.

Il est bon aussi d'inviter les étudiants à écrire :1 un tel, dont on connaît l'adresse, ct qui est certainement celui qui peut le mieux, s'il le veut, répondre à telle question. Ces pratiques sont le$ pratiques naturelles de tonte recherche scientifique. Pourquoi ne pas les généraliser, pourquoi ne pas inviter les étudiants à organiser entre eux, ct avec d'autres étudiants de diverses parties du globe, une correspondance sur des sujets d'intérêt commun, qui sont préci- sément les objets de recherche du cours ?

1\ l'Université de Sao-Paulo, où sont systématiquement orgamses, pour les étudiants salariés, des cours du soir portant sur le même sujet que les cours du matin ou de l'après-midi, le journal scolaire cher à Freinet trouve aussi une fonc- tion naturelle : il permet aux étudiants du matin et à ceux du soir de communiquer entre eux, ct de briser un peu leur isolement réciproque. Dans cette perspective, la technique du compte rendu de séance est extrêmement utile elle permet au professeur de mieux connaître cc que les étudiants retiennent du cours et ce qui est mal assimilé ;

les étudiants, secrétaires de séance, notent par exemple dans ces comptes rendus des faits ou des propos qui ont échappé au professeur, et surtout si les comptes rendus sont polycopiés pour la séance suivante, ils permettent de mieux voir l'unité et la progression des discussions et recherches en cours ; enfin, s'ils sont diffusés, hors du groupe, ils permettent de recevoir en échange de nombreuses informations, critiques ou suggestions. Indépendamment de sa fonction de communication, le compte rendu écrit est aussi un excellent exercice intellectuel, qui demande de la pré- cision, de la clarté, ct, pourquoi pas, la capacité de choisir des détails vivanîs ct donc de l'imagination ct de la personnalité : le meilleur compte rendu sera critique et exprimera le point de vue personnel du secrétaire, après avoir été fidèle aux points de vue des autres.

Du manuscrit au texte dactylographié et polycopié, on peut passer, si l'on est assez exigeant ou assez amoureux du travail bien fait et bien présenté, à la brochure, à la revue, polycopiée ou imprimée. J'ai fait, à l'Université de Sao- Paulo, en compagnie de Michel-Edouard Bertrand et de quelques collègues intéressés, l'expérience de J'imprimerie à l'école en apportant, dans un amph.ithéâtre où étaient réunis environ 70 étudiants de Jère, 3e ct 4C année de licence de français, une petite imprimerie Freinet. Nous disposions de 2 heures : 20 minutes ont d'abord été nécessaires pour déconditionner les étudiants, pour leur expliquer ce qu'était un texte vraiment libre, ct les aider à comprendre les différences entre le texte libre et ses contrefaçons. Puis, j'ai prié ceux qui le désiraient de consacrer 20 minutes à faire un texte libre quelconque, en une langue quelconque, ils pouvaient ou ne pas le faire, ou le faire sur place, ou aller le faire sur la pelouse du campus au soleil. Un groupe de 2 alla au soleil travailler sur la pelouse, les autres restèrent dans la salle, et au bout de 20 minutes environ, la moitié d'entre eux nous apportaient chacun leur texte.

La moitié de ces textes ·était en français, l'autre moitié en portugais du Brésil Oc présume que les élèves de 4e an- née ont écrit en français, et ceux de 1ère année en portugais) ; il y eut aussi un texte en anglais, un texte en allemand, et, quelques jours plus tard, un texte en japonais (car le texte libre ne dépend pas de l'horaire des cours ; et il y a une importante population d'origine japonaise à Sao-Paulo). La moitié des textes portait sur des revendications pédagogiques (moins de grammaire, plus de liberté ! ) l'autre moitié, sur des thèmes personnels, mi- sentimentaux, mi-idéologiques. Nombreux étaient les textes de ton humoristique, mais deux ou trois étaient des cris d'angoisse. Deux ou trois textes étaient nettement politiques et se plaignaient de la censure ou de l'atmosphère de peur qui pesait sur leur travail et peut-être sur leur vie. Craignant une provocation toujours possible, Michel Bertrand per- dit dans sa poche l'un de ces textes et je ne pus le lire ; à la fin de la séance, 2 ou 3 étudiants demandèrent à récupérer leur texte. Reproduisant le scénario du film l'Ecole Buissonnière, j'indiquai aux étudiants qu'on ne pourrait imprimer tous ces textes en même temps, mais qu'on pouvait les lire tous et choisir ceux que l'on imprimerait les premiers, pour les communiquer aux étudiants de groupe du soir. Chacun lut son texte à haute voix ; certains de- mandèrent à un autre, ou à un professeur de lire leur texte. Après un court échange de vues, les étudiants votèrent sur les trois textes qui les avaient le plus intéressés ou qui semblaient le mieux exprimer les préoccupations de la majorité du groupe.

Les 3 étudiants, auteurs de ces textes, devant leurs camarades, utilisèrent alors pour la première fois, l'imprimerie, composèrent leur texte sur les composteurs Freinet, et en imprimèrent assez d'exemplaires pour eux-mêmes et pour leurs camarades du matin et du soir. On imagine que, si cette imprimerie portative restait à la disposition d'un groupe d'étudiants pendant toute une année, en dehors des heures de cours et sous la responsabilité d'un professeur faisant confiance à ses étudiants et jouissant lui-même de leur confiance et de la confiance de l'administration, cette année serait productive. En deux heures, tous les mécanismes de la communication écrite, orale et imprimée avaient été mis en jeu, découverts, démystifiés et expérimentés, dans leur attrait; dans leurs dangers, dans leur productivité.

L'Université de Sao-Paulo se plaint, comme beaucoup d'autres, du fait que ses étudiants ne savent plus écrire, rédiger, s'exprimer correctement par écrit : le mal a été aggravé, ces dernières années, par la pratique, poussée jusqu'à l'ab- surde, de recmtement par concours sur questionnaire à choix multiple ("mettez une croix dans la case représentant la réponse choisie") ; le retour à la rédaction sur un sujet permettant à chacun de dire quelque chose, parmi les épreuves du "vertibular", est un premier palliatif. Deux heures d'expression libre avec les outils de Freinet·montrent que rien n'est perdu, et qu'il suffit de redonner un peu de liberté vraie (même surveillée) à ces étudiants, pour

(12)

qu'ils recommencent à penser intelligemment et personnellement, c'est-à-dire à étudier.

Dans l'exemple précédent, il s'agissait d'étudiants débutants mélangés à des étudiants de 3e et 4e année. Dans l'exemple du cours de "pos-graduaçao" que nous avions donné au début de cet article, il s'agissait d'étudiants très avancés. Pas plus que la pédagogie Freinet ne dépend d'une spécialité, elle ne dépend nullement d'un niveau d'âge ou de formation: même si, historiquement, elle a commencé à se développer au niveau élémentaire. La finalité de tout enseignement universitaire étant de former des chercl1eU1S par l'exercice même de la recherche, le moyen de communication cl la production essentielle est précisément cc que, dans les sociétés savantes, on appelle "la com- munication", la conclusion, sous forme écrite ou orale, d'une recherche, les résultats obtenus et l'indication des pro- cédures, des preuves, des raisonnements utilisés pour atteindre ces résultats. Une bonne communication peut tenir en une phrase, ou en. un livre. La production d'articles ct de livres, collectifs ou non, est la meilleure preuve de l'efficacité des techniques Freinet dans l'enseignement supérieur. Sans connaître l'ensemble de ces teclllliques, mais en utilisant l'une ou l'autre d'entre elles, et surtout en recréant l'esprit qui les a inventées et qui, en tâtonnant, a élaboré ce qu'on peut maintenant appeler une méthode - un chemin qui marche - dir:~it Pascal - une nouvelle génération d'assistants ct de professeurs d'Université, dès av:~nt 1968 (nous en avons retrouvé des traces nombreuses dès 1964) a déjà produit en France et à l'étranger, des travaux scientifiques ou littéraires jugés valables par leurs collègues, qui, en l'occurence sont les seuls juges possibles. Que ces professeurs et étudiants jugent ou non utile de se référer à Freinet lorsqu'ils réfléchissent sur leurs expériences pédagogiques ou scientifiques, qu'ils ignorent même le nom de Freinet importe peu : depuis bientôt 50 ans le nom de Freinet a l'habitude d'être oublié ou même censuré, ce qui n'a p~s empêché son oeuvre de se développer.

0 0 0

II est clair que Freinet n'a pas tout dit ni tout fait, et que les textes de Freinet et du mouvement de l'Ecole Moderne sont à la fois très riches d'expérience.et insuffisants pour rendre compte de cette expérience. Les mots- clefs de la pédagogie Freinet, "texte libre", "travail", "tâtonnement expérimentai", "coopérative", "milieu aidant", qui ont fait leurs preuves dans la pratique, demandent, ainsi que les expériences qui les ont inspirés ou s'en sont inspiré, des analyses qui en découvriraient les présupposés, peut-être les limites, en même temps que les secrets de leur fécondité.

Le temps semble venu de procéder, au sein du mouvement Freinet et hors de lui, à une confrontation rigoureuse, où collaboreront théoriciens et praticiens, entre la pédagogie qui se réclame de Freinet, et celles qui se réclament, par exemple de Wallon, de Piaget ou de Rogers.

L'étude des rapports de la pédagogie et de la société, de la pédagogie et de l'idéologie, de la pédagogie ct des sciences, est sans doute le point stratégique, ou le lieu géométrique de ces éventuelles confrontations, et appelle donc des confrontations encore plus serrées, celle de Freinet et de Marx, celle de Freinet et de Bachelard.

Sans préjuger des résultats de ces travaux, qui seront nécessairement longs, on peut prévoir que le "tâtonnement expérimental" de Freinet se libérera progressivement d'une idéologie empiriste héritée du XJXe siècle, et fera peau neuve, dans son langage et surtout dans la pratique. Les universitaires sauront-ils et voudront-ils pratiquer vraiment l'interdisciplinarité, et travailler avec les commissions spécialisées de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne, par exemple les commissions "Architecture scolaire", "Mathéntatiques", "Langues", "Formation des professeurs",

"Théâtre", "Psychologie", "Histoire", "Formation des adultes" ? Les instituteurs du mouvement Freinet sauront-ils et surtout voudront-ils faire accueil à ces universitaires, c'est-à-dire, surtout prendre eux-mêmes en charge l'effort de réflexion théorique que semble nécessiter la seconde moitié du xxe siècle ? Nous pensons que oui : comme il arrive souvent, la théorie a pris du retard sur la pratique ; si ce retard devait s'accentuer, il en résulterait un étiolement de la pratique èlle-même ; car les hommes aiment savoir où ils vont, et même les pédagogues, surtout dans les périodes inquiètes, veulent savoir où mène la pédagogie ; et précisément le tâtonnement expérimental a · pour but de trouver le meilleur chemin pour les buts qu'on sc propose, et d'abord de choisir entre les différents buts possibles. Bref, entre ces 2 ensembles que sont la pédagogie Freinet et l'Université, il y a de multiples rapports, et leur intersection, théorique et pratique, sera bénéfique pour l'un comme pour l'autre.

Michel LAUNAY

*

Références

Documents relatifs

Il est difficile de mieux préciser les contours de cet « ajustement » mais il est sûr que l’évolution économique mondiale sera en grande partie déterminée par les mesures

Dans son «contrat France 2005», le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin propose ainsi de porter de 180 à 220 heures le contingent légal d’heures supplémentaires, ce qui ramène à

Il est non moins clair que ce travail n'est possible que par l'existence d' un matériau de départ qui aura fonction de matrice : ce matériau nous paraît

Les Américains se sont lancés dans une révolution des affaires militaires avec des hommes sous les drapeaux, des porte-avions d’où l’importance du budget militaire qui

Le temps médian avant progression a été de seulement 4,2 mois (6). La réponse au traitement, dans notre cas, ne peut être attribuée au seul trastuzu- mab, en raison de son

y Prendre la feuille noire A4 dans le sens de la hauteur et s'aider du gabarit (fiche- outil n°4) pour tracer la silhouette du personnage au crayon HB.. y Découper avec précision

On dit que les entités de l’élément cuivre Cu et Cu forment un couple d’oxydoréduction noté par convention (Cu / Cu) et représenté par une l’équation formelle : Cu + 2 e ⇄

Elle fit un rêve étrange : elle entrait dans l'isba de Baba yaga.. Baba yaga les yeux exorbités voulait