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JACQUES ROUBAUD. Je suis un crabe ponctuel. Anthologie personnelle Poésie / Gallimard

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Texte intégral

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JACQUES ROUBAUD

Je suis un crabe ponctuel

Anthologie personnelle

1967-2014

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c o l l e c t i o n p o é s i e

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JACQUES ROUBAUD

Je suis un crabe ponctuel

Anthologie personnelle

1967‑2014

G A L L I M A R D

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© Éditions Gallimard, 1967, pour les extraits de ∈, 1970, pour les extraits de Mono no aware, 1977, pour les extraits de Autobiographie, chapitre dix,

1981, pour les extraits de Dors,

1991, pour les extraits de La pluralité des mondes de Lewis, 1999, pour les extraits de La forme d’une ville change plus vite,

hélas, que le cœur des humains, 2004, pour les extraits de Churchill 40,

2014, pour les extraits d’Octogone, et 2016, pour la présente édition.

Couverture : D’après photo © Philippe Matsas /Opale /Leemage.

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Je ne vois plus le soleil ni l’eau ni l’herbe m’étant emprisonné où nul matin n’a de domaine si dans le cube pur de la nuit je distingue d’autres branchages que sur l’arche des pensées je les chasse je les cache n’ont de place que les lampes la division du clair au sombre au‑devant de moi coupant le visible le peu de monde matériellement étendu à plat oui devant moi accessible partout à mes mains

car tous objets d’ici disparus j’ai suscité soleil pour soleil eau pour eau j’ai fait traverser des monceaux d’opaque à des soleillements d’ailleurs ô soleils en qui j’ai confiance

à quel point vous êtes moi je peux vous montrer à tous dire couleur des bois orange dire rouge et être cru soleils réveillés sur ma langue soleils alentour‑ averses

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Je vis sans hivers sans lieux nul temps n’est plus qu’un autre j’ai cessé d’entendre le bruit que fait l’eau aujourd’hui je ne dis pas le monde est bain de fiel je ne dis pas voici des yeux et des merveilles je suis soir et neutre

le sentier amont n’a pas été poursuivi le temps collectif n’est qu’un savoir et je sais la forme lourde qui m’enserre mais sur le blanc qui se présente je n’écris pas je trouve peu je prends peu dans le blanc des villes je me trappe

s’il y a toujours des voyages dont on ne revient pas semblable une fontaine non de sagesse mais de signes peut‑ être est‑ ce le lieu seulement où je tends qui ne vise pas le futur la pierre le pactole ni le jeu des arbres ni celui des membres des bateaux qui vis sans ciel qui vis sans froid questionnant où dites‑

moi où serai‑ je

J’appartiens au nerf des rues aux murènes aux hiéro glyphes à l’écorce de l’automne au babillage des émaux au don de soi à l’avarice à la grandeur petite ment certes modérément à contresens (pour des siècles minutes heures pour rien pour un point jaune dans le clair)

le tout‑ soleil le feu rond la bave du bleu le buccin le magasin d’os le bois doré l’épagneul ou le chardon le narval je suis je suis aussi le tard qui endort ses

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mouches ou la version des étoiles pas plus nouvelle cependant pas plus sûre

je suis passé par là je sais je vous crois j’appartiens à un temps où tout commence le vide le plasma le calcul le vivant comment pensais‑ je on ne déchiffre pas encore le morse des montagnes

on ne sait pas déduire avec les spores ! (il y avait des fenêtres qui se fermaient un bruit de voitures des querelles un bruit de courses en ce temps je n’avais pas aboli l’immédiat)

Je suis un crabe ponctuel je suis un courrier sans événement mon champ est vide pur balayé de la moindre étoile j’ai voilé de velours la masse bombée de l’œil cet instrument ne détaillera plus que ses poussières

Je ne risque pas de silences je n’oppose que des paroles plates comme des vitres que les pluies rincent et j’ai du goût pour le soir j’ai de l’indulgence pour l’aube il n’y a rien jamais à lire dans ma main

en comptant des grains de riz sur une table de cuisine j’ai assuré ma sainteté une vie de perfection contemple mille fois la même fontaine qui se brise

à partir de moi le temps se discipline comment disais‑ je il y a encore une rivière sensible au froid une île avec des lacs et des aborigènes comment

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combien de poignées de neige jetions nous sur les fleurs grises les pivoines de fumée alors en jouant combien sur les remparts dans les sentiers couverts de liège combien de neiges terriennes jetions nous sur les buissons osselets la prunelle la ronce la réglisse le houx

savions nous combien peu durerait le manteau de neiges dans les vignes les manches sous les ronces noires ou crevées dans l’aire aux barbes des épis combien peu de neiges nouvelles fondraient à des anneaux de fer ou sur la brique du foyer sur l’aire assombrie des braises la neige était précieuse amande rare et tendre peu de jours de peu même pas toutes les années garde vif le goût de neige quand il faisait tomber le vent sur le parchemin des sous‑ bois le golfe inverse des corneilles quand nous éprouvions qu’il n’est que quelques neiges capables d’un creux dans la mémoire capables d’éblouissantes fougères fraîches sur une vitre qu’une bouche à l’aube couvre de buée

il y avait des jours joyaux placés rares dans les années une suite chantante extraite de la suite sans timbre des jours jours de marrons et jours d’ours jours de feux diversement séparés jalonnant éclairant la durée ombre

un arbre présidait à l’équilibre des richesses ses feuilles s’avançaient sur d’invisibles distances de temps du vert au brun un rythme voilé saisissable par le sang

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seulement par vue diffuse par quelque chose comme l’ubiquité des sens

la course était encore longue du ciel dans le ciel où dressaient vents nomades des tentes claires puis sombres et plus longue plus lente était la montée des jours marqués

comme si la vie glissante avait voulu se retenir ajouter sa signature à l’alternance naturelle creuser le duvet de l’enfance rassurer mettre lumière

le temps entier rétréci tient dans le pétale d’une main le soleil est un clou qui est (le soleil) l’axe où s’accélèrent flambent les insectes dans le tournoiement en même temps la tige imperturbable serrée bleue du torrent saumon explose dans la déverse du barrage de montagne les arbres se sont élancés ils n’ont pas eu besoin de vérifier l’air et certains se présentaient épées tenues par le pommeau vert c’est toujours de la même manière que se disperse une touffe d’oiseaux d’abord comme graines et le deuxième temps la courbe inverse qui nie le poids dans la chute

cygnes cygnes juges blancs toujours à l’apogée la grande affaire c’est le temps mais à cela vous ne connaissez rien qui mâchez les jardins l’œil offusqué par d’ovoïdes messages noirs

adieu ils sont adieu les âges cerises ce sont les cercles de la pierre qui rétrogradent vers leur centre dans

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la douve l’immobile qui se prépare dans le fond au fond du très profondément vert

à la fin oublie l’enfance ses oreilles de chien les jeux de cinquante‑deux images qui se répètent toute expérience n’est que miette dans la mandibule énorme qui nous happe pourquoi marcher à reculons retourne toi il n’y a rien

devant sinon un pouce d’espace qui se fige à mesure que nous l’abordons on dit l’avenir et certains voient une plaine d’autres pas c’est une question peu soluble à laquelle nous savons donner de belles réponses funambulesques : premiers pas dans le presque sûr qui deviendra vite le sûrement ensuite je ne sais qui ne deviendra pas moins certain

les heures nous avalent l’une après l’autre on ne s’attardera pas dans les parages on attendra que l’écorce se grave d’elle‑ même sur le canif qui saurait patienter autrement les lendemains s’accrochent comme limailles chacun est emporté parallèlement tu regardes tu regardes tant que tu mourras de rire trottoirs allumettes pioches savons planches monnaies se voilent s’oblitèrent s’effilochent s’embuent se délitent

ce n’est pas vrai je mens tout est faux il n’y a rien en arrière je ne suis pas du monde je ne suis pas non plus du monde que j’étais je ne vis pas un mort me glace le vécu j’avance sous absence je suis le

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chapitre zéro du livre la basse oubliée dans la partition économisant le vide enchaînant des raisons qui n’assurent rien je ne suis même pas retranché je suis nul dépossédé du don d’échange

on a conclu pour moi dans le temps même où je posais mon premier axiome blanc contre noir et la phrase roule où rien ne signifie

quelque part je ne vois plus ou autrement peut‑ être autrement qui rendra le vrai vrai le noir noir ouvrira les yeux sur autre que la mort ?

petit tamis pour pépites petit petit remous dans la grande eau blanche petit menu foin menus celliers fontaine devant les chutes petit cahier où se lira petit morceau de craie petite fable petit marbre sous petit if taillé bas petite histoire pauvrement

malheur pas malin bouche cousue pauvreté confusion pierres petite morale d’agneau bâté petits habitants de polenta de panurgie petits ports d’anchois et d’ail petite porte des lionnes à Mycènes

pentes de l’or et pentes du vin petits sous tassés petitement légère mousse d’un autrement d’un ailleurs petit argent de la jeunesse petit plomb de la fatigue presque pas peu à peu à peine par hasard parcelle hôpital corridor mots petits presque‑ mots paille plaine peureux petits désastres petits petit monde

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je vais bienveillamment entre les blancs silos d’une campagne saoule et rose un peu marelle je suis une roue elle‑ même sur vélo

je vais les vignes repenties sous de la grêle je vais les ruisseaux les peupliers leurs kyrielles musique de mon paysage avec halos

ces blés bottés ce sont sept lieues d’un vallon clos je vais cadastrement par mes contrées agnelles bon ciel émulsion de plumes de chaux de mèches mon enseigne mon nœud de nuages niant les tourbillons de pierres poudres et de moelles mon ciel gros dos où jutent trois nuages pêches laisse‑ moi m’étendre sous tes yeux oscillants maintenant mon bon ciel brasier laiteux Noël

le boulevard est plein de filles perlières – une blonde mangue sur la chaise bleue – – une loutre aux yeux de plomb aux yeux violets – et plus loin la haute douceur dentellière

de vingt ans en jabot blanc où le creux de seins durs ah ce port obtus de mulet ! boulevard serein de filles sémaphores havre des hasards des jambes et des rires toute l’attirance du long jour encore

et ce ciel menhir

qui noircit des bouches sanglantes fort

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ChAMp DE COLzA

tous les cris du monde : les salves d’oiseaux les rires un moteur peinant vers les collines étaient au‑delà du rideau d’arbres je m’allongeai

je voyais venir l’ombre à plat ventre sur les racines les trèfles la tête roulée dans le soleil

je vis l’ombre satisfaite mesurer le champ de colza l’étreindre et du sentier mourir sur moi qui demeurai longtemps brûlant du soleil de l’après‑ midi lourde à mes tempes battait la solitude épaisse le temps avait quitté mes mains toujours j’étais toujours plus loin de mes retours et [je marchai en aveugle à la suite de mes soleils

SUItES pOUR vIOLONCELLE SEUL

la voix qui s’arrachait de la poix du temps non pas voix mais ligne projets de distances qu’il fallait prendre en aveugle d’un seul sens à travers les exemples d’air chuchotant disait sans mots disait sur les blancs du jour sur les noires de la nuit montant encore et toute d’elle‑ même caveau et flore disait la voix frileuse des âges gourds

tombe disait tombe dans mon cœur bruyant glisse dessous la ténèbre os de duvet

jacques résine glisse glisse criant

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et j’étais comme du soir qu’elle buvait la voix arrière la voix longue la sce llée la sombre et signe où je m’enfouissais

ÉLÉGIE : L’âGE

et chacun de vous se retourne sur son Eurydice de fumée qui du regard même se brouille évanouissante sans surseoir ne reste que la licorne du soir fouillant dans le tuf du soir et son œil gros d’escarboucle tourne câlin de gêne embrumé elle vous plaint pour les choses mortelles qui vous ont [consumé depuis votre dernier automne arrêté sur de blancs butoirs avec l’écume les nuages tout ce que l’horizon reçut noir les cigognes qui s’y heurtèrent ou les oies hautes enrhumées puis s’éloigne la licorne vers les avant‑ postes de nuit rousse dans une ultime gambade de robe feuille tendre bleue vous laissant aux lisières rases sans joie sans voix songeurs

[orphées mais vous n’avez pas de chant mais vous n’aurez pas [d’autre chance ! douce eurydice transparente de nos vergers où tant d’azur pleut ah montre‑toi une fois encore nue dans l’herbe étouffée

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LE ChIEN DIt à GUILLAUME

il lui dit le temps est abrogé les étoiles ont besoin d’un verre d’eau puis il se pencha sur la morte qui gèle la terre se couvrait de petits volcans de taupe

bien ou mal le tranchant ce que j’ai des pensées informulées en un rondeau s’assemblèrent sous la conscience qui j’aide connaît l’euphorie du temps dit le chien maussade

la lumière passa son pinceau sur le visage de menthe sur le visage de la morte perdue sous le rutilement d’orge il lui dit c’est moi qui laisse s’établir les morts je

suis le guide et le sifflet la note brève et seule il lui dit je suis écho

JAppEMENt DE LESSIvES et l’aube serrant les poignets du feu contournant le jasmin déserte closerie voilà dissipé mieux qu’un brouillard remis en place éparpillé avec son regard que traversent plan che flaque citron jean dans sa boîte renié reniés regards et regardés inerte la limaille rouge du feu sous l’égale lumière extérieure la cuisine la fenêtre ovale le tilleul voilà l’aube débouchant des vents cuivres pour des yeux pourrait‑ on vitres pourrait‑ on maintenant baquet corbeau pourrait‑ on arrosoirs pins décapés de la nuit non il n’y a pas de on ne peut pas ni feu ni la moindre braise fourrée aucune approche ce sont les très objets absents les trop objets dans

l’aube jappement de lessives 16

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SAINt‑ JEAN MIL NEUf CENt tRENtE‑NEUf

Saint‑ Jean verveine à travers la couronne rouge nul jamais plus ne bondira nul ne verra ni l’œil‑ de‑ fumée ni l’œil‑ de‑ buis n’entendra en aucune année les flammes du plus long jour ce qui vivait à l’envers du cercle de flammes avec l’ordre des flammes bougeant dans le noir

ce qui tremblait chaque année (une marque ? l’espoir ?) ceci a cessé qui fut le possible la

moins lointaine prochaine nuit quand tous les feux vacillaient et le sombre cercle des chants dis ait : hier ô hier à la crête chaude des jeux (lyre charbonneuse des braises qui se brisent) et l’ongle du ciel en nous touchant dans la rue nous couvrait d’étoiles sur la cour blanche et brune

MOMENtS

un figuier

le tocsin des cigales

le barrage langé de ronces sur l’eau détruite

où les pas font bouillir les grenouilles les bulles vertes l’ivresse rires grappillant les vignes

au pied d’une garrigue d’octobre de silex de genièvre la solitude étourdissante d’août en gradins

en chutes d’argile vertes roses grises

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en lavandes

un torrent d’après‑ midi à poings bleus sous les nuages un labour de juin dans les cerises

une goutte de vin timide dans la source au bas du champ le chuintement des couleuvres dans l’herbe

l’eau fuyant contre la joue dans l’immobile dans l’infini guet des poissons sous les rives le cœur fou contre la route chaude un soir et les vents les vents les vents emportés

dans leur fureur de pierres sèches d’amandiers de collines sur les bassins aux quatre coins du manteau de cyprès la grappe des vents la flambée des vents le lézard des vents le vent jeu le vent nocturne de la vendange

descendant vers la route sur les charrettes faisant briller les yeux et boire et voler la robe des chiens d’enfance que tu aimais

JE SUIS MORt

« je suis mort, je crains les voix, la joie, je m’abats sans cesse sur les rêves, mes ongles de mort

poussent s’enfoncent je commande un automne mort et la huitième fenêtre noire rabat

cette odeur qu’Ils voulaient dissoudre dans la nuit mon élément, mon bien, moi, ma figure bleue je ferme la porte en pleurant, je dis adieu et toi, mon frère, sans savoir ! mais tu n’oublies jamais, jamais plus, tu hurles mais ça, l’Allée

des Marronniers aux fleurs Doubles c’est n’est‑ce pas c’est moi si peu ! je pâlis le temps m’est volé

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je deviens une sorte de silence dans les jours je voyage et je nage je suis un pas puis une pierre, un cri dans la chaleur, strident »

JE DIS…

je dis (je nuit aussi, bois) vous dans la lumière cidre d’hiers enjambant les cieux je derrière ce mica je dis bien sûr pou rpre demeure d’un arbre de sous ce mûrier vous myrrhelaie lor douce bée lor je moi encore cherchant par l’avenir gris sou levant vitres je vous fumée vous dis lor lor dis‑ je dans ce coude i‑ mmi‑ nent le nuage dorsal

va dauphin va d’eau rouge dis‑ je changer bouger jamais vous mal j’ai mal de vous ma lore lije

pOUR phILIppE COURRèGE

Avec papiers, crayons, encres, couleurs, avec des signes puis des mots, avec des règles pour les assembler, avec patience et le secours de l’habitude, (mais le silence bravé

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qui corrode ta force et, qui sait ? aussi le ciel verlainien blanc là‑ bas, les cris d’écolier autour), tu construis plus qu’un langage, un objet lourd, beau, accomplissant cet accord difficile de la pensée, de la parole et de la main Artisan des mathématiques je salue

ton exemple et je marque aux hommes de demain désamorçant la magie, ce badaud des nues combien est sûr l’outil forgé par tous et digne, génial ou pas, celui qui bâtit dans les signes

pOUR ROBERt JAULIN

Quel radeau vers l’orénoque vous happe, quel miel plus fin plus puissant parfum enfin que livres, papiers, colloques ? de silences l’on suffoque à déraciner les mains si encombrent vos chemins pédants, hâbleurs ou loufoques sans doute ! mais quelle Image quelle contrée Innocente quels hommes d’avant naufrage chercher en l’immense sente Quels aurez‑vous reconnus mais ici, quels, méconnus ?

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tENzONE

le temps, je crois, est deux, guido, en l’un

« la neige blanche descendue sans vent et l’air tranquille quand apparaît l’aube beauté des femmes et des cœurs savants » temps comme vient de toi parole sauve du semblable, du chant, des moments pleins

« d’où vient l’amour et qui le rend vivant d’où sa puissance son plaisir sa fin » en l’autre ce qui pourrit a péri l’amour de Mandetta de Giovanna leurs lèvres leurs étoffes leurs fourrures ne savoir si furent yeux verts noirs gris quelles chansons quelles nuits les remuèrent quels lieux quelles morts que rien ne signale ?

LE JOUR ESt SUSpENDU…

le jour est suspendu à cette hauteur de pierres touffe l’herbe paraît à la jointure des dalles c’est le coin de la vue qui pénètre par la cassure du rempart (tour du guet rive et le paon robe plissée la chevelure du personnage courbé sur le timbre de l’eau l’arrondie l’harmonique du signal rectangulaire)

panorama bêtes ou gens prairies collines foison d’églises de rues serrées enfouies déployant ce qui résume trop‑

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plein de possessions jusqu’à la vue perdue une île dont les mâts sont tourelles parallèles montantes des vergers loin galopant plus loin détail ultime clocher nécessaire connu qui nous protège

reviens si reviens au château fort de l’œil ouvre devant toi l’épaisseur des choses enfin ordonnées vêtement végétal réparti selon le repos ou selon les fruits robe de pierre robe d’ardoise maisons pas une n’est vide devant toute passant habitant nul n’est montré et te penchant sur la rivière tu la verras tendre vers toi des nuages élever de la rumeur en même temps sa charge bougeante de jardins car l’eau est faite pour enfermer coupe contre coupe tout ce qui habite entre le fond des sols et le ciel

ENtRE LE SIGNE…

entre le signe et son miroir ses plusieurs miroirs qui se brouillent telle vert sur brique la lumière ses buvards cette rivière qui calque la moitié de l’air élève son pan lumineux serpente debout dans l’éloignement vertical le paon d’un créneau et les premiers pommeaux des arbres (arbres à la chaux des fenêtres non de ceux qui bleuiront souterrains dans les collines) cette foule bâtonnets en mouvement sur une arche que l’eau même emporte qui penche avec rires de sa bouche œil des distances serait‑ ce ainsi que tu regardes par l’espace chavirant le paysage oblique diminué la rencontre de la barque avec la flèche de l’église

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est‑ ce ainsi est‑ ce loin ce loin et le regard image où se déverse sans souvenir le lent éclairage accordé la couleur imperturbable où ne participe pas le vent

SI LA vItRE…

si la vitre pétrifie l’enfance qui regarde pendant qu’entre le gel et la vapeur le visage craque qui fait face se fend se dénerve la chaude toile dorée n’est‑ ce pas ainsi de notre vision qui s’ordonna une première fois au‑

dessus de cette ville plaine composite des lombes cités marchandes liège et genève maestricht lyon bruxelles et utrecht bruges au chrétien berceau de nos cinq cents premières années

si bien qu’un plus ancien regard à notre épaule toujours corrige dans un effort vers le modèle vers l’ordonnance le manque (fêlure fièvre) de jardins de places rondes à tilleuls barques lentes badaudes ruelles cheminées notre vision de plus en plus vite incapable qui ne sait plus que s’aveugler tête‑ bêche dans les poches alors se retournant sur sa propre pure substance havre liqueur chapelle vin des prés elle suscite le bourdonnement des roses ou la cloche penchante aigre grise du préau pendant que le ciel jadis se décompose sur le ruissellement de verre et d’acier pendant que se rompent ses cuivres s’évanouissent ses chemins de laine dans l’automne ses airelles ses sonnailles le métronome de ses noëls à fabliaux son

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abondance cerisière descendue en mai vers l’eau des dimanches à bac

vERRE fUSAIN…

verre fusain verre averse cotre cassé où fut caillou fut lait débordé en d’épaisses vitres terreau des échardes d’aiguilles humus de tessons nova des glaces qui volèrent s’achemina vers cette couche crissante s’abîma vers vantail voile verre vosge du verre au long des nasses de charbon ici‑ l’envers au canal triage et stère de bois courbe plain‑ pied du verre causse de verre tarot litres décousus grenat grenaille bruns pont en poudre paon transparent verre qui s’y couche qui prend ce lit qui trébuche se mêle sous ces draps quand la pluie qui se couche fait face à l’opaque trop long chemin émietté de la lumière qui se verre

étendue sur une unique dalle intacte plate débarquée de la péniche kiel 60 qui descendit comme un bouchon le long d’imprévisibles fibrilles de voies d’eau avec laine ciré noir soie verte soyeusement sur verre âcre s’éveillant de la pluie d’août au plafond moins bas du ciel

sur le gravier de verre chaud soudain d’un morceau de soleil au bleu de hauteur contre l’étoffe de verre raide le bras nu le poignet sans mouvement et regarde entre deux lattes du caisson de planches regarde le miroir infracassable pour ballons pour flocons ou nuées la proche et niaise eau boueuse l’ourcque

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eaux sans rivières eaux sans lavoirs babil courses vasques eau l’exotique véritable irréductible dépays quand la bardane veille le pont suinte quand côte‑ à‑ côtent à bicyclette sur le sentier de contre‑halage eau de céruse eau de plâtre eau d’empeigne palettée moulinée eau des golcondes de tôle eau de pêcheurs dans la crème de chiendent (j’ai vécu dans une pièce une ampoule une armoire sans fond s’ouvrait pour accueillir le cri violet des locomotives changeant d’haleine j’ai joué à des barges de sable essorées du canal sous des grues d’ancien minium j’ai écrit un potager au bout des quatre marches du perron j’ai brisé moi aussi de la bière chaude contre le dos de la borne de fonte)

eau sans course regarde eau sans sirènes re‑

garde mieux eau sans doigts qui passeraient entre des pierres dans les saules dans les mousses eau de louche eau soulier attrape la au fragment de miroir regarde et tout visage fond tout front est gris

les nuages passent leur langue l’horizon sèche nous sommes seuls nous sommes plus loin nous sommes seuls de plus sombres tropiques soleil vaisseau sur le matelas de verre le cimetière de verre qui fleurit maintenant et cicatrice soleil soleil craque

((LE ROSÉ…

((le rosé la sempiternelle orange et cerises de feutre vernies le buffet de l’aïeule bourboule) tu fermas la porte

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dont tinte la sonnette de fonte courant en oblique entre les caissons pluvieux des lampadaires (les rideaux bleu nuit housses l’horloge qui baptise l’évier qui mâche dans la tirelire) tu courus sur la berge tirée au crayon noir me rejoindre sous les clochers de lilas)

nuit nuit sur le verre et l’eau rebrousse dans les veines des canaux demain est déchiré d’écluses chemise chemin qui part en flaques ruhr oblongue où tu t’en iras d’où venue qui es venue quand se fermait la main des eaux dont les phalanges de nouveau se déplient nuit au verre tu sors de mon palais éclat palais tesson je te tiens la main par‑ dessus l’effilement de l’eau aussi longtemps que le sol te reste proche puis je marche vers toi dans la perte de vue quand se serrent s’entrecroisent les peupliers des deux rives différentes car

nous sommes seuls nous sommes très loin nul ne passe nul ne devient ici rase terreau ici pré ferroviaire ici poterne ici couleur caroube corbeau ô vie dans des tasses trèfle

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M O N O N O A w A R E

L E S E N t I M E N t

D E S C h O S E S (poèmes empruntés au japonais)

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(le prêtre Mansei) à quoi comparer ce monde

à la vague blanche derrière un bateau parti à la rame

dans l’aube (Akahito) sur la plage de tago

passant je vis la neige tomber

blanc pur

sur le haut sommet du fuji (Hitomaro)

vers l’est

dans le champ le rouge du soleil levant est visible

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me retournant je regarde la lune baisse

(une femme)

comme le dieu du tonnerre illuminant près

des nuages du ciel

quand je te vois j’ai peur

quand je ne te vois pas j’ai mal (le prince Yuge)

avec un mouvement de grands bateaux

sur leur ancre

à la fin j’ai été usé par l’amour à cause d’une enfant d’homme

(Bunya Yasuhide) et l’herbe et l’arbre

changent de couleur mais pour la fleur des vagues

de la grande mer il n’y a pas d’automne

(Hitomaro)

à un bateau je pense

qui voyage caché derrière une île dans le brouillard matinal de la rive d’akashi

vague vague

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(anonyme) le monde

autrefois était‑ il si triste ou l’est‑ il devenu pour moi seulement ?

(un homme)

plus fugitif même que l’écriture de

nombres dans l’eau qui court est d’aimer quelqu’un sans retour

(Ono no Komachi) si fort

mon désir

je retourne ma chemise baie violette de la nuit

(Ono no Komachi) la couleur des fleurs passa

les fleurs elles‑mêmes fanèrent

tandis que vainement je vivais mon temps en ce monde où tombaient les longues pluies

(Ono no Komachi) ce monde est rêve ou

ce monde est réel

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je ne sais pas ce qui est rêve ce qui est réel étant je ne suis pas

(l’empereur Sûtoku) les fleurs à leurs racines

les oiseaux à leur nid ancien sont retournés

mais le lieu de repos du printemps aucun homme ne le sait

(Tsumori Kunimoto) lettre tracée

à l’encre à peine regarde dans le ciel brumeux

les oies retournent

(le dernier poème de Ki no Tsurayuki) le reflet de lune

qui habite l’eau au creux d’une main réel ? irréel ?

j’ai été cela au monde

(le dernier poème d’Izumi Shikibu) hors du noir

dans un chemin noir il me faut entrer sur moi veille lune

de la frange des montagnes

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(Reizei Tamehide) à la lumière

de l’éclair qui peu demeure

j’ai compté le nombre des gouttes de pluie sur les feuilles

(poème d’exil de Sugawara no Michizane) morceau de bois ballotté et

dans les vagues blanches debout et dans le sel qui consume et vers quel amer et obscur

fond de la vaste mer suis‑ je ? (sept poèmes du moine Saigyô, l’errant) au bord du chemin

parcouru d’eau limpide un reflet de saules rien qu’un moment me dis‑ je

interrompant ma marche

comme les bateaux qui reviennent dans les vagues hautes

de la mer d’ashiga je crois que je passerai intact à travers ma vie

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(composé devant le sanctuaire shintô à Ise) bien que j’ignore

si quoi que ce soit ici

honorablement daigne être dans une terreur extrême

mes larmes jaillissent

puisque je pense que le réel

n’est réel en rien comment croirais‑ je que les rêves sont rêves ?

dans un arbre debout près d’un champ désolé

la voix d’une tourterelle

criant pour ses compagnes crépuscule seul terrible

les années ont fui

je n’aurais jamais cru que je devrais de nouveau passer ici j’ai vécu trop longtemps

Nakayama‑ de‑ la‑ nuit

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ici très loin

dans ce creux entre les rocs ici vivant seul ici où nul ne peut me voir

je penserai à des choses

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A U t O B I O G R A p h I E ,

C h A p I t R E D I x

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(43)

pREMIER MOMENt

Mon grand‑ père avait l’habitude de dire : « Il faut arriver à temps dans une gare, pour rater le train précédent. »

Je m’assis sur le quai dans la poussière. Là‑ bas, la locomotive glissait sur l’horizon, vers Contention ou Yuma. Elle abordait le soir rougecolor, de sa voix triple‑

une et déchirante. Les canyons attendaient avec des flèches. C’était un instant d’une mélancolie inexprimable et je m’écriai :

il faudrait savoir se rouler sur cet horizon

comme sur le sable pourquoi manteau vert ?

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je vais disparaître

le soleil dans le dos un avion

passe dans le vieux ciel

sur la ville dorée

ils dorment

et quand je dormirai qui donc pensera la machine à écrire :

à rien.

à cette époque, j’avais deux pantalons. Chaque pan‑

talon avait quatre poches et dans chaque poche il y avait un poème ou un trou. Il n’y avait jamais dans une même poche un poème et un trou : car si je mettais un poème dans une poche, cette poche n’avait pas de trou. pour régler définitivement le problème, je composai mes Trente et un poèmes de poche

tRENtE Et UN pOèMES DE pOChE, 1

j’ai vécu je vivais : LA vIE j’étais moi aussi un passant j’entendais

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ce qu’ils disaient tous les

mondes

tournaient les murs avaient l’air d’être comme avant

CINQUIèME REpOS

Je vous ai déjà longuement entretenu de ma famille et je n’y reviendrai plus. Ma cousine traversait les rues avec un bourbaki sous le bras. « L’algèbre, nous expliquait‑ elle, pénètre par osmose. » Nous passâmes notre baccalauréat avec zéro dans toutes les matières, par le simple jeu des coefficients.

MES DEUx AvENtURES CÉLEStES, UN

j’ai tant regardé le soleil que mon visage s’aplatissa la nuit vient très tranquillement comme un scarabée écoute la

vibration grande auréole où les vers circulent en [silence ils ont perdu leurs bras polygones irréguliers

où sont les immeubles vice‑rois des

nuits les autos et les canards nagent dans

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l’huile les plus étroits parallélépipèdes passent parmi [les microbes je suis historique cro

crocro cro cro crocrod

ril il n’y a pas d’humanité il y a les réverbères et les chien s le caca est toujours un en

fant l’enfant est toujours une oie

la moutarde coule d’un cerveau presque écras é

MA pREMIèRE AvENtURE CÉLEStE

Je regardais le soleil et mon visage s’en trouvait aplati. La nuit venait très tranquillement on aurait dit un scarabée ; il y eut une sorte de vibration en forme d’auréole où des vers de terre circulèrent silencieusement. Mais ils n’avaient pas de bras. Ils avaient perdu, sans doute, leurs pauvres bras polygonaux (quoique pas très réguliers toutefois). Les maisons recevaient délégation de pouvoirs et régnaient sur les coloniaux territoires nocturnes. Je voyais des autos, des canards. tout cela me paraissait extrêmement important ; tout cela m’incitait au commentaire ; un petit enfant surtout, qui se soulevait sur son pot : il regardait sous lui sa crotte, belle comme un autre lui‑ même. Je décidai la réhabilitation des réverbères, qu’on ne voit plus guère dans les poèmes, ces temps‑ ci.

« Je l’aime », m’écrivit‑ il. « Il fait très chaud. Je ne ferme pas la porte. Je reste dans le noir. Dans le lit, nu,

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sous la couverture. Quand elle arrive, elle enlève sa culotte bleue à gros pois noirs et sous moi elle dit :

« jacques, jacques, jacques, jacques, jacques, jacques, jacques, jacques, jacques, jacques, jacques, jacques « ses yeux, alors sont très ronds. Que dois‑ je faire ? » »

ÎLES

dans la mer où les îles sont le gravier, tu as marché avec des jambes de bateau et te voici entrant de nuit dans une baie, où sommeilleront felouques, pirogues ou coracles ; le paquebot file, bouclé d’yeux jaunes, sur les vagues confortables ; les porpoises s’ébrouent, pataugas d’écume ; des poissons‑ lunes femelles accouchent, selon la coutume, sautant en l’air comme des soucoupes et bombardant la surface de leurs bébés ovnis. Accoudé au bastingage, tu fumes un long cigare de minuit dont la rougeur éclaire la gorge laiteuse de ta compagne. Un phonographe dans ton dos nasille une valse. La vitesse hésite, glisse contre la masse sombre de la terre, lourde de jongle, de pihis, de cocotiers

et si ce serait l’île du comte zaroff ?

BLEU

la mer comme un ciel bleu bleu

au‑ dessus le ciel comme le léman

tendre

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REtOUR

M’en revenant par petits sauts, quantas de voiles, entre les longitudes, il m’advint, un après‑ midi de torpeur tropicale, privé de vent, de faire halte sur la mer quelque part en des eaux hantées de vieilles anguilles et de calmars. Notre vue (je parle de mon quartier‑ maître, J.B., et de moi‑ même) s’enfonçait dans la transparence jusqu’où elle en devient opaque. Devant nous, soudain, un navire : désert, abandonné de son équipage, la soupe à la tortue encore fumante dans la cambuse. Ce mystère nous frissonna. Il y avait pourtant une âme à bord. Nous le découvrîmes dans la cale et restâmes bouche bée à contempler, enveloppé de sa longue robe de chambre comme s’il avait froid, soufflant sur ses doigts pour que le sang et l’encre restent fluides, Bartleby écrivant au fond de la Marie‑ Céleste.

SON pORtRAIt : MOItIÉ SUpÉRIEURE

De la ceinture en amont elle était nue, en aval également, mais nous ne nous occupons pas de ces régions pour le moment. Je la priai de se tourner un peu vers la droite, et de tenir le bras gauche levé afin de profiter au maximum du soleil de l’après‑ midi réfracté par les vitres de la grande pièce. M’étant levé pour préciser l’orientation nécessaire je me permis de donner un coup de langue rapide là‑

haut, sous le bras, endroit blond que je trouvai légèrement salé. Je me souvins d’une demoiselle aux yeux violets que j’apercevais parfois dans le métro, il y a une vingtaine d’années, entre les stations gare de l’Est et Saint‑ Michel.

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Je ne parvenais jamais à saisir son regard, infiniment souple. « Bien fait pour elle », me dis‑ je. Mais revenons à notre portrait.

ta tête

un dahlia sur sa tige vertébrale tes sourcils

le sabre turc d’une comète tes fossettes

sont mes petites nièces

tes lèvres sont des yoles jumelles sur la mer Rouge et encore

cheveux : de la poussière d’ozone système stellaire de tes taches de rousseur aisselles criant comme un champ de cigales delta

brodé de petits pommiers

les hommes heureux portent des canotiers

et toutes ces années ils habitaient dans cette chambre étroite où il n’y avait place que pour le lit un placard et une étagère à confitures dans cette chambre proche des toits qui en ce temps‑ là étaient trésor de vert‑ de‑ gris de lumière verte au réveil ou du moins est‑ ce ainsi qu’ils impressionnaient la pellicule des films de ce temps‑ là au dernier étage d’un immeuble de rapport qui en avait six et le gaz sur une rue très passante pendant toutes ces années les années sacco et vanzetti avant que lui ne soit courbé et elle désolée il gagnait quelques

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francs poincaré elle quelques francs poincaré aussi mais ils n’épargnaient pas préférant une dinde aux marrons une savonnette un dimanche à chaville alors parfois vers le trente il ne restait à manger que la confiture qu’on sortait de son pot sur l’étagère après avoir enlevé la housse il faisait froid la cuillère glissait entre les seins au‑ dessous des quatre couvertures du lit aux oreillers luxueux de ces années‑

là près de la poterne des peupliers

UNION LIBRE

a la chevelure de taille de loutre de bouche de bouquet de grandeur d’empreintes de langues de cils de bord d’écriture de nid de buée d’ardoise de champagne de dauphins de poignets de hasard de foin d’aisselles de Saint‑ Jean d’écume d’écluse de mélange de jambes d’horlogerie de sureau d’initiales d’orge de gorge de lit même de torrent de seins de creuset de spectre de rose de rosée de ventre de griffe de dos de nuque de craie de chute de hanches de flèches de balances de fesses d’amiante de printemps de sexe d’algues de bonbons de miroir d’yeux d’aiguilles de boire de bois de niveau de niveau de feu

DÉfINItIf

je mourrai flamme sans bord je mourrai sauf accident les nuages fondant dans la neige le sol comme l’origine au soleil pauvre de l’écho qui ne se meurt pas encore mais voit durer

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une ombre née avec le feu, qui peut l’éteindre et l’étreindre, embrasser, pierre fugace, le son soulever les hauteurs abandonner le bac rive à rive l’appel vaporisé dans le fleuve ordonne ma mort mais dans la flamme h umide de découvrir ce que j’aime au fond banalisé de ce qui ne se peut omettre

autre faux sisyphe mon nom poussé vers le tien l umineusement joint au tien dans la

doublure de cette flamme. penses‑ y.

MADAME REYNOLDS

Madame Reynolds était une Anglaise qui vivait rue de verdun. Comme elle était anglaise elle y vivait cachée et se faisait appeler madame Raynaud. D’être cachée rue de verdun la rassurait. Elle avait confiance. Le soir, elle s’allongeait dans la baignoire et priait : « faites qu’Angel harper meure. My God, I beg you. » Angel harper poussait des hurlements à la radio. Il collectionnait aussi les dents en or. Il avançait dans le coude de la volga.

phOtOGRAphIE

La photographie représente une cour d’école à platanes et marronniers. C’est l’automne ; quelques bogues de marrons sont à terre. Le photographe de la photographie a saisi des enfants en tablier noir. Certains jouent.

D’autres regardent. Ceux qui jouent jouent aux barres.

Je suis sur la photographie, ma position marquée d’une

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croix. Je viens juste de me mettre à courir, à partir de mon camp (c’est ce qu’on peut déduire de ma position, si on a une connaissance, même sommaire, des règles du jeu de barres. Je vais sans doute essayer de délivrer mon meilleur ami, le jeune Q., prisonnier du camp adverse).

Comme je joue avec mes camarades, je ne serai jamais empereur des français.

pORtRAIt DE L’ARtIStE EN LABRADOR

Intérieurement, je suis plutôt beau ; mince, l’œil serein, la chevelure épaisse mais sans beurre ; quand je me regarde en dedans, j’aperçois un visage, buriné avec un rare bonheur par les intempéries de notre siècle ; je le reconnais, ce visage. va, je ne te hais point, malgré ton imperméable c c c décoré d’une larme. Je m’accorderai, sans me flatter, cet ensemble de qualités physiques non moins que morales dont les chiens labradors tirent une juste gloire : la constance, la gourmandise et la maladresse dans les réussites. Dans ma cervelle, un coin d’azur colombophage abrite l’idéal, trou de drapeaux méditants.

Comme il est beau. Avenues péremptoires. Comme je suis beau ! : possibilités pratiquement infinies ; progrès continus quoique assez lents. Disons‑ le, je suis un container ; je suis la gangue de cette chose incommensurable, irréfragable, interne, inouïe : une conscience individuelle.

De mon aire de lancement intérieure, une cohue de fusées sans cesse s’élance vers les étoiles. Citoyenne de l’univers, âme, salut !

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RASOIR D’OCCAM

Mon grand‑ père, appliquant à ses propres rasoirs le principe d’Occam qui règle l’emploi des nominaux, n’en posséda que deux pendant sa vie. Et encore perdit‑ il le premier dans la tranchée en quinze, avec sa première montre et son premier stylo.

Il s’asseyait généralement le matin, vers sept heures, après un petit déjeuner frugal et préparait avec sérieux, dans un bol d’eau très chaude à l’aide d’un blaireau très souple une mousse de savon à barbe si dense si blanche et si compacte qu’il m’en vient encore, après plus de trente ans, l’eau à la bouche.

pour moi, né en des temps dégénérés, si je ne ne suis pas descendu assez bas dans l’échelle humaine pour me servir d’un rasoir électrique, je ne suis, hélas, jamais parvenu à la perfection glaciale du « sabre ».

J’utilise un gilette à lames hebdomadaires stainless steel et de la mousse en bombe william Carlos williams, que je défriche, suivant un ordre ascétique et immuable sur : a) le menton b) la lèvre inférieure c) la joue droite d) la joue gauche e) la lèvre supérieure f) le cou.

Et je me coupe quelquefois, quand j’y pense.

SpIRE D’ORIEL (ChANSON)

le liscour, la roumaette

le bul‑ clanc, la nuit‑ getge, l’ettocave viont et vennent, les ieds dans l’peau volvetirent, mirvellent, s’enlovent

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tourons à drointe, tourons à chaunge chopions la marre, gentéons

varlodons et tanchons au noins au coces du freu et froncotis c’est le mitin, et le madi et le tantoir, et puis le tôt c’est le Mes, soirdames, Bosorin !

ÉvOLUtION

primate de savane sèche, bipède autrefois omnivore, opportuniste, malin et prudent, j’ai été gagné par la crainte en même temps que par la conscience.

Jadis, je m’en souviens, mon cadre naturel était l’herbe, plantée de très peu d’arbres cantonnés au bord du lac où se jetait la petite rivière d’Abyssinie. Lucy, jeune australopithèque gracile, m’aidait à chasser l’hipparion, le crabe, le crocodile, l’éléphant même aux défenses alors dirigées vers le bas comme un vercingétorix.

Lucy est morte, voici trois millions d’années. J’ai conservé près de moi 40 % de son squelette et parfois, au moment de traverser le boulevard sinistre contre la gueule des camions je recule, et je retourne en arrière jusqu’à ma chambre, pleurer à larmes chaudes sur ses vertèbres.

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LES ÉtOILES

Il y a énormément d’étoiles. peut‑ être trop.

Une nuit d’été en provence, au‑ dessus du sol parfumé d’herbes de provence, je les aperçus toutes d’un seul coup avec netteté, frai luminescent dans le compotier céleste et je dis à ceux qui m’avaient suivi sur la colline :

« Grandiose gaspillage ! Savez‑ vous qu’en une seconde la moindre de ces étoiles brûle de quoi chauffer pendant mille siècles la terre. Et derrière chacune d’elles, les voyez‑

vous, les soleils d’antimatière dont parlait Nerval ? » Je me tus. Nul n’osait rompre le silence, le mystère nous imbibait. Une à une, dans la vallée, les lumières du village s’éteignirent, pauvres étoiles humaines. Un chien aboya.

Alors je vis A. frissonner dans les ténèbres : « Rentrons, dit‑ elle. J’ai froid. Il tombe une humidité ! »

AINSI…

Ainsi, à l’approche de la quarantaine, à cet âge où la vie devient aussi fragile que la rosée, je me suis construit, comme le chasseur qui se bâtit une cabane de branchages pour la nuit, comme le ver à soie vieillissant qui fabrique son cocon, un dernier abri pour mon corps. Si je compare cette demeure à celle qui était la mienne autrefois, c’est véritablement une toute petite bicoque. à mesure que ma vie décline, ma demeure rétrécit.

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Ma maison actuelle a trente et un pieds carrés de surface et moins de sept pieds de haut. Comme je n’ai plus besoin d’un domicile stable, sa base est simplement posée à même le sol. Son toit provisoire est de chaume, et des crochets de fer fixent les jointures des pièces de bois. Ainsi pourrais‑ je facilement déménager ailleurs si quelque événement désagréable survenait.

En ce moment je suis arrêté dans la garrigue, près de v.... R.... la C... J’ai construit au midi un auvent, ajouté une petite terrasse de roseaux et à l’intérieur, contre le mur de l’ouest, j’ai mis dans une niche le portrait de Kamo no Chômei, que je déplace chaque jour un peu, de façon à ce que son front s’éclaire aux rayons du soleil couchant.

Au‑ dessus de la porte coulissante j’ai installé une petite étagère où j’ai rangé trois livres de poésie, mes cahiers et un pot de basilic. Une paillasse tressée me sert de lit, une fenêtre s’ouvre dans le mur de l’est. C’est là que je sors ma table de travail. Au sud de ma cabane, j’ai un peu de terre, mon jardin, aux limites marquées par une restanque, un ruisseau et quatre arbres : un olivier, un pin, un figuier, un amandier. Je sème là quelques fraisiers, tomates, melons et salades. J’ai aussi un peu de vigne. Je cultive le tout sans pesticides, sans produits chimiques d’aucune sorte et je n’ai pas beaucoup de récolte car tous les insectes des environs se réfugient chez moi. Mais comme mes besoins ne sont pas grands, je partage volontiers avec eux.

Au printemps je vois les glycines en fleur. Elles s’élèvent à l’ouest comme un nuage violet. Les plantes grimpantes recouvrent les sentiers. Un beau panorama me rend facile la contemplation. En été j’entends les cigales puis les grillons ; en automne je vois passer les palombes fuyant vers le sud aux tempes minces. En hiver, la neige des montagnes se rapproche et les quatre vents

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s’agenouillent. pour l’exécution des tâches quotidiennes, j’ai divisé mon corps en trois : mes mains sont mes domestiques, mes pieds mon véhicule ; mes yeux me servent à la lecture et à la contemplation. Ils donnent toute satisfaction à mon cœur.

Or, comme la lune qui, s’inclinant vers l’ouest, se rapproche de l’arête des collines qui vont la cacher, mes jours sont en déclin. à la veille d’entrer dans les ténèbres de la mort, pourquoi me préoccuper de choses ?

Moi, Jacques Roubaud, j’ai écrit ces pensées dans ma retraite, entre le sixième jour du dernier mois de l’année…

et le cinquième du même mois de l’année suivante pensez à moi

avec indulgence

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D O R S

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nuit nuit et lenoir

pousse sonongle

un silence un silence :

les bruits dont la nuit sèche

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fenêtre ouverte.

àtête de chien.

du noir derrière.

sortant dans le soir.

la nuit je m’éveille et je vois sur le mur le râteau jaune (la lumière jaune de la minuterie dans la cour) je m’éveille et je vois sur le mur le râteau jaune je m’éveille et je vois le mur jaune c’est tout

lumières lumières

sur la pente

s’allumant par

poignées sur la pente

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remontant

lentement du

fond sur la pente que la lumière

lentement vide nuit

nuittu viendras

passous ciel rouge

nuages pas dans la chute de l’air les bruits d’insectes les feuillages tu

vien d ras ce sera nuitici

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nuit sorti

du temps puisrentré

la nuit je m’éveille et je vois dansla nuit mes mains c’est tout

qu’est‑ ce que tu espères ? la nuit

emplit tes mains les livres se poussent les murs empiètent qu’est‑ ce que tu espères ?

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nuit nuittu viendras

jeverrai sur

lemur la boue

jaune d’une lampe venue du de

horsnuit tu vien

drasce sera

nuitje verrai

dansle noir le

noirplus épais

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qu’elle cache nuit tu

viendras nuit nuittu viendrais

les tilleuls noirciraient les fusains les sauges les villages

pousseraient contre les collines

des lumières les collines en seraient noires

dors dorsdors

la nuit te retourne

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comme le vent les feuilles la paume mouillée sur la branche pasde désordre

tOMBEAUx DE pÉtRARQUE

cobla I

Ou le soleil mange les étoiles dans l’aube ou dans la neige tes cheveux prendront rive comme les vents aux fleuves liés de glace si des écueils but amer de ma voile une lumière de collines entre branches m’écarte neuf j’aborde au cours d’un bois contre la lune dans tes bois c’est le soir pas une fleur que la trame de ces notes poisse les nuits comme rimes à la mort

cobla II

poisse des fleurs ou dans le style joyeux si la forêt d’un seul jour sur la terre s’éveille force de ces vers qui voient l’air vibrer des yeux s’emplir d’années‑ laurier qu’ainsi la pente (la nuit jette les eaux

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à ces vallées soit de pluie soit de brume) partout légère (c’est le prix de ce lieu nommé le port mais sans navires) : la vie la nôtre temps du ciel gavé de feuilles

cobla III

Dans ces collines montre le temps aux feuilles qui sont ses rimes ses pleurs je suis joyeux d’avoir son but le port car toute vie aussi d’étoiles en forêts de la terre espère un cours et légère où son lieu

lavé de flamme prend sa force depuis l’air criant les fleuves toutes vallées sont brume où tes cheveux ont les yeux du laurier il sert les bois par la pente de ses eaux

cobla IV

Découpe la nuit là des soirs de la lune devant le ciel là branches dans sa lumière durant des années une rive sous la neige si c’est ton style mais de mort liées nuits balaie de pluie ou glaces sifflant de vents ou de navires crevées voiles sur écueils dépêtre tes vers notes sonnant soient fleurs vautrées au jour depuis l’aube couvre terre qui seule a prix telle entrée en bois neuf

cobla V

partout légère c’est le prix qu’ici neuf paya la pente une nuit sous la lune

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quand la forêt d’un vrai jour fit soleil le notre temps borde ciel toi lumière asservie force qui va vers gommés fleurs compte tes yeux pour d’autres années la neige l’évide port en navires ou d’écueils

s’effrite pleurs est‑ ce un style et les nuits cédées vallées qui disent pluie les vents

cobla VI

Car la glace la broie brume en maint fleuve que précoce bois sans lieu qui n’a plus cours bâilleuse mort d’un poing joyeux sans rimes retire au soir et les eaux restent bois

outrés de voile ma vie presque le but interne l’aube fait que terre fait qu’étoiles vues de la rive au laurier sans cheveux ensablent branches feuilles de ces collines ferrées de notes et l’air où elle rame

cobla VII

Entends mes vers ils ont note mais pas âme comment la pluie gratte glace sur les fleuves ou bien le ciel paît branches en des collines et fait le prix d’un bois où n’a plus cours après année la rive des verts cheveux j’en fais mon style mort à moitié de rimes je happe jour freine aube jusqu’en étoiles frappant la nuit arrime soir des bois de tes navires la voile qui n’a de but

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cobla VIII

Brillons la vie et sans écueils au port cumulons l’air et les fleurs dans la force des longues eaux une lune suit la pente pliant la bruine ni les vents aux vallées pas plus la terre qu’un soleil prés forêt signe de feuilles ni la lumière sans temps ni moins joyeux pour ces nuits de cent fleurs ton rare lieu rouvert neuf pour légère t’entrer laurier frottée de neige sans yeux

cobla IX

Jamais la rive ni le laurier n’a d’yeux que pour la voile reprenant vie au port n’aura de bois en ce lieu que légère table de notes en tuyaux d’air à force d’être la mort la mort aux joyeux pleurs coudra de soir muet d’eaux nues en pente et si branches plongent feuilles de temps sortent glace si la brume des vallées tranche l’aube si la terre tremble forêts

X tornada

Si la terre bouclier d’étoiles de neige mange tes yeux que la pluie que la glace arme ma vie il y aura ce but

épais joyeux peut‑ être nuits tes rimes d’ici la mort

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DEUx ÉCLAtS DE L’âGE DES SAINtS DANS LA vIEILLE pOÉSIE IRLANDAISE

I Ma plume ruisselante voyage sur la plaine de papier brillant averse jaillit sur la page l’encre du houx à la peau verte

II pangmur le blanc et moi avons chacun notre métier son esprit pense à sa chasse et moi je pense à la mienne Je préfère à toute gloire la paix de mon livre, chant du savoir et lui qui ne m’envie jamais aime son métier enfantin parfois après une lutte terrible une souris tombe en son pouvoir et moi je prends dans mon filet un mot difficile à comprendre Même si notre labeur est long nous ne nous dérangeons jamais car chacun aime son travail et chacun en profite seul

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Le travail qu’il accomplit chaque jour est celui pour lequel il est fait et moi je suis préparé au mien : mener l’obscur à la lumière

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L A p L U R A L I t É

D E S M O N D E S D E L E w I S

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vi

monde propre, propre, qui ne trompe pas, qui ne s’absente, et si absent, alors de nulle part ; tu es nulle part, voilà tout.

dans un monde propre tu étais, tu serais, propre monde ; [sinon ici, là ; sinon là, ici ; ici, puis là ; là dans un monde propre, il y a d’innombrables manières [d’exister tous les autres mondes sont de rebut.

ce monde : infiniment au rebut ; par absence mien, toi peut‑ être, dans ce monde propre, indiscernable du mien,

[mais moi cherchant, d’une infinité de mondes

l’un

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xii

silences alternés de carreaux et d’or fenêtres, échappées conditionnelles, soir, mais si le soir, de quel jour ? le monde ne me dit pas, pas cela : c’est un monde poussé vers le dehors tel d’une artère vidé, bat encore,

faible, ou d’une branche divergente presque plus, de peu de sève, de feuilles coupée, sèche.

moitiés de lumière en similitude, chacune seule, très seule, bouche d’étain dans le soir qui ne se décidera pas à me laisser, où que je sois, dormir.

xv la sphère

tant de nuits je me suis enfermé

en cette sphère de craie, sans qu’un démon

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vienne, et à cette place me donne d’une autre vie constatable, la tienne : place du partage et de l’étreinte de la chaleur prochaine à la parole

dont les nuits, froissées ou lisses, sont les draps.

nul démon sérieux ne l’a comblée en réponse à mes appels, d’une forme sensible rappelée du territoire

sans couleur, non concevable, et pour toujours.

même quand aux termes de l’échange, j’ajoutais pour une seule nuit identique, ma mort.

xxi que faire d’un monde

que faire d’un monde qu’on ne dit pas dont nul n’a su nul ne sait rien dire, rien

pas un détail, pas une occurrence particulière accrochée [à une description

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un monde d’une généralité si extrême que l’unique, le sans répétition, y est abrogé dès l’instant que personne ne peut comprendre dont personne dans sa bouche ne sait que faire contourner ce dire, l’expulser d’une syllabe le cracher avec dégoût

un monde d’une imprécision abominable avec lequel je dois vivre

à qui je dois, incessant, le regard ?

xxvii lyrique

ligne chancelante des feuilles,

têtes des sept peupliers anglais, au loin au‑ delà de l’espace bleu et vert concède ta dissolution.

invraisemblable de penser, en juin,

quand ces têtes lointaines, et la touffe, le point

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de ta nudité, sous les langues chaudes des fenêtres s’emplissant de soleils, me faisaient signe, là‑ haut, à la brièveté équivoque de ces matins.

je le savais, je m’en souviens, il faisait beau, de la beauté de l’air qui ne dit rien, pose les heures dans nos mains, et s’en va.

chaleur de l’herbe courte, versée, odeur, et de tes jambes,

couverte.

xxviii que le monde était là

M’endormant je voyais que le monde était là, le monde et tout ce qui s’ensuit :

‘maintenant’ plus petit qu’un point derrière les couleurs immenses et sérieuses.

bourdonnantes années revenues de loin, angle de la rue avec la rue,

effacées traces sous de la pluie,

jaune matériel rassemblé dans la main.

En m’endormant je voyais tout cela : la chaleur et l’ellipse du puits,

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la terre, où les feuilles n’ont plus de poids, l’eau juste et médiane, qui balance.

Je voyais, m’endormant, je voyais cela que j’avais accueilli en des années que je ne savais plus dans mon souvenir : années entières, avec vérité,

c’est‑ à‑ dire, si on veut, avec mort.

Je voulais, et je ne voulais pas, m’endormant, voir ce que trop de fois j’avais vu.

xxx identité

Quelle identité serait tienne, de ta mort ? tu es, diraient certains, la tombe et son dedans,

et la pierre tombale avec ton nom mais cela n’est pas autre chose que dire : vivante, tu étais ce corps vêtu et non vêtu,

ce corps qui contenait ta pensée (ou ton âme) et ce corps aussi portait ce nom, le tien

l’identité ne persiste dans le monde que de cette [analogie tu es, diraient d’autres, telle que te restituent

dans leur souvenir, s’ils se souviennent, ceux qui t’ont, ne serait‑ ce qu’un instant, connue

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ainsi tu serais, mais divisée, changeante, contradictoire, dépendante, par éclipses,

et quand chacun de ceux‑ là sera mort, tu ne serais plus.

et sans doute, ici encore, l’idée de survivance emprunte [aux caractéristiques mêmes du monde de ta vie mais, pour moi, il en va tout différemment :

chaque fois que je te pense, tu cesses.

CARtwRIGht GARDENS : A MEDItAtION

Une, ou deux, ou trois, quatre fois l’an je pose ma valise dans la chambre haute, étroite, et je regarde le demi‑

cercle de rue où je passe avec le Times, un, ou deux, ou trois étages plus bas, à l’heure vide où les cartons de lait viennent d’êtres déposés devant la porte des hôtels, de cet hôtel, toujours le même, je regarde vers les arbres du jardin fermé de grilles entre la rue en demi‑ cercle et la rue droite,

regarde dans cette rue, Marchmont, le Lord John Russell un peu plus loin sur la droite dans la rue, qui a des tables de bois sur le trottoir, un, deux ou trois verres de bière tiède pas tout à fait vides, abandonnés sur les tables quelques minutes avant closing time, ses fauteuils bas, très basses les banquettes crevées où nous sommes assis parmi les vieux gentlemen locaux presque inaudibles et quasi inarticulés, et deux ou trois copines habillées de verts et de roses inimaginables bavardent avec la serveuse dans le même style,

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Références

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