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L'exégèse détaillée des erreurs n'est pas d'un moindre enseignemejtt que celle d~s vérités. J. RosTAND.

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(1)

E - No 4345

.,·.

1

\-

7

JA~

YIER 1962

tfOIJRNU nmtJntJX

HEBDOMADAIRE JUDICIAIRE Edmond Picard

1882- 1899

ÉDITEURS:

MAISON FERD. LARCIER, S. A.

LIRE DANS CE NUMERO :

La Vie du Droit :-Dividendes décrétés SJprès le décès de l'usufruitier, par A. Le Hon.

Léon Hennebicq 1900- 1940

39, rue de& Minimes

BRUXELLES

Chronique judiciaire : La Vie du Palais : Appel d'Afri- que. - Cours et conférences : « Droit ·aérien et droit de l'espace». - Les deuils jud~ciaires : Le bâtonnier Jea;n Huyberechts. - Coups d'œil sur nos lois : Pénalistes amateurs. - Echos : Une motion de la Conféren des

· bâtonniers.

Le procès Galilée

A Rome, le 22 juin de l'année 1·633, au ma- tin, un vieillard se présente devant le tribùrtal du Saint-Office, siégeant dans le couvent do- minicain de Santa Maria novella~· construit sur un temple romain dédié à Minerve, déesse de l'intelligence et de la sagesse (*) .

A genoux, revêtu de la chemise blanche des pénitents (1) , il fait face à une assemblée de cardinaux en rohe rouge.

Une longue sentence déclare absurde et hé- rétique l'opinion que le soleil ·soit le centre immobile du monde (2).

L'opinion que la terre tourne et se meut autour du soleil est déclarée fausse et erronée.

. L'accusé est condamné pour avoir trans- gressé une interdiction formelle d'enseigner ces opinions, qui lui avait été signifiée dix-

huit ans auparavant. ·

Le tribunal se déclare cependant disposé à lui épargner la peine capitale, à condition qu'il abjurât ses erreurs et cette hérésie.

Le vieillard entame alors une pénible lec- ture : « Moi, Galileo Galilei, fils de· feu Vin- cente Galilei de Florence, âgé de soixante-dix ans, . . . agenouillé devant . vous, très éminents et révérends cardinaux grands inquisiteurs dans toute la chrétient.; contre la·. perve:r:sité hérétique ... » (3) .

Puis, avouant avoir. enfreint l'ordre notifié, il déclare «abjurer et maudire d'un cœur sincère et avec une foi non simulée )) les opi- nions qu'on lui reprochait.

Ayant juré encore 'que s'il devait rencontrer un hérétique, ou présumé tel, il le dénonce- rait au Saint-Office et aux inquisiteurs, le con- damné fut autorisé à Ae retirer.

Les titres et qualités du condamné confé- raient à cette cérémonie le caractère d'une humiliation publique retentissante.

Patricien de Florence, premier philosophe (*) Discours prononcé à la séance sÜlennelle de rentrée de la Conférence du Jeune Barreau d'Anvers, le 4 novembre 1961.

(1) Détail controversé: G. Bouchard, un témoin de la cérémonie, selon G. de Santillana, (Le procès de Galilée, note II, p. 453) l'affirme dans une lettre du 29 juin 1633. - Ed. Naz., XV, p. 166; - con- tra : Martin, Galilée, p. 202, e.a.

L'exégèse détaillée des erreurs n'est pas d'un moindre enseignemeJtt que celle d~s · vérités. ·

J. RosTAND.

~ .

..

e.t mathématicien de Son Altesse le Grand Duc

· :ie Toscahe, professeur aux universités de ·Pa- doue et de Pise, Galilée · - depuis vingt ans . ~ était un, personnage illustre, à l'ayant-plan de l'actualité.

Toute l'Europe savante connaissait sa repu- tation et ses opinions, et les polémiques qu'il menait contre . la science officielle avaient · · éveillé l'attention d'un· large_· public.

Depuis plus· de trois siècles, le procès Ga- lilée alimente ·des controverses :acharnées.

Dés portraits tendancieux du condamné se sont formés au fil du temps.

, Galilée fut-il le précurseur héroïque, qui aurait lancé à la face des cardinaux ce· défi vengeur « Et pourtant elle tourne.! )) (4) ? .

. Ou hien était-il .le ·s:. , ant incompris, màlàde et brisé par la torture, que la ptenace du bû- cher aurait poussé à l'acceptation d'une abju- ration publique ?

Aucune de ces visions romancées ne corres- pond aux éléments du d~ssier Galilée.

Mais les récits faisant appel à notre goût de la mythologie influencent hélas plus durablement le jugement des hommes qÙe l'analyse froide de la réalité. ·

Aussi nous posons la question : Les contro- verses 'sùscitées· par l'affaire Galilée se justi- fient-elles · ét quelles sont les conclusions que l'on doit en tirer.? ·

Avant de parler du drame, situons le décor.

Dans la mosaïque des Etats italien~, des con- flits de préséance et de souveraineté jetaient

le trouble. .

La. Papauté inspirait et soutenait contre la Réforme une lutte sans mere:, mais dont

qs-

sue restait incertaine.

En s'insurgeant contre l'universalité de l'Eglise, la Réforme avait dissocié les . peuples de l'Europe que la théocratie rom;:tine a··rait tenu associés dur~t tout le moyen· âge (5) . , L'Europe des nations, l'Europe des patries était en train de naître. ·

Dans une France déchirée par les complots, les révoltes et les cabales, Richelieu s'impo- sait comme l'homme que la Providence avait donné à son Roi. .. , selon les mots de Louis XIII ( 6) .

(4) La première trace de ce mot soi-disant histori- que se retrouverait chez un chroniqueur allemand, cité la première fois en 1761 par l'abbé Irailh, selon A. Van Rooy, «De veroordeling van Galilei en de onfeilbaarheid der Kerk )), dans Katholieke Vlaamse Hogeschooluitbreiding, n° 88, 1906, p. 35·

Un conflit localisé à l'origine, la guerre de Trente Ans, s'était étendu progressivement, ainsi qu'un incendie qui sè propage (7).

Englobant d'abord toute l'Allemagne, le conflit avait gagné les Etats limitrophes, puis l'Europe entière. .

L'unification · • de l'Allemagne, par tous les moyens, . constituait le but essentiel de l' em- pereur Ferdinand II, . que soutenait la' Ligue cathoUque ·(8 ) ..

Miüs Jean 't Serclaes, comte de Tilly, n'avait pu éviter· l'écrasement de . son armée, malgré . les . charges. désespéré~s ·de ses cavaliers à ca-

saque·. rouge.

•Pendant que les lansquenets de W allens te in se. payaient· par le. pillage des Etats allemands, les .merdmaires · et les aventuriers errants ral- liaient l'armée' commandée par l'hérétique Gustave-Adolphe· de Suède.

. Celui-ci négf)Ciait une alliance avec le Pape lorsque la mort le s~prit.

Les théories sur la connaissance du monde se trouvaient engagées dans une évolution in- éluctable.

Le siècle résonnait encore de récho lointain des récits merveilleux tissés autour des voya- ges de Christophe Colomb, de Magellan, de Marco Polo.

La nécessité d'utiliser des méthodes scien- tifiques nouvelles devenait évidente. Mais, les défenseurs de l'enseignement des Anciens se refusaient à l'admettre. .

Tiraillée dans tous les sens, l'opinion était troublée.

Ma Albert Lilar, faisant l'éloge de l'huma- nisme à cette même tribune trouva ce rac- courci saisissant : « Désormais tout est . pos- sible;· mais tout devient inceriain. )) (9).

Dans un pareil climat, les voix criant à l'hérésie, susciteront un écho naturel.

· Car n'est-il pas vrai, hélas, que l'into- lérance des hommes grandit souvent lorsqu'ils commencent. à douter d'eux-mêmes ou du hien- fondé des thèses qu'ils défendent.

C'est dans ce climat et dans ces perspectives qu'il ·faut considérer le procès Galilée. ·

** *

Le décor étant esquissé, quels sont les faits.

Galilée, jusqu'à l'âge de quarante-six ans, avait vécu dans l'obscurité relative d'un en- seignement des mathématiques.

Un travaiLtechnique le lance sur ln voie de la célébrité et de la renommée.

n':

·annonce en 1610, avec quelque mise en scène, la construction d'une lunette astro- nomique, - reproduite d'après une descrip- tion reçue de Hollande (10) .

(7) Maxime Petit, p. 135.

(8) Pour ces détails et les suivants cf. e.a. J. Pi- renne, Les grands courants de l'Histoire, Il, pp. 563- 568; - René Pinon, «Histoire diplomatique)) dans Histoire de la nation française, pp. 185 et seq.; - (2) Un texte français de la sentence se retrouve

dans Santillana, op. cit., p. 358, et Koestler, Les som- nambules, note 5, p. 559, reproduisant les extraits donnés par le Recueil des Gazettes nouvelles et rela- tions de toute l'année 1633, par· Théophraste Renau-

dot, 1634· n° 122, p. 531. (5) Pour ces détails historiques et les suivants : · Santillana, p. 235.

Le texte original se retrouve dans l'Edizione Na- ûonale italienne des œuvres de Galilée, publiée sous la direction de Favaro, volume XIX, p. 402.

(3) Un texte français de l'abjuration se retrouve dans Santillana, op. cit., p. 385 et Koestler, op. cit., note 6, p. 563. Texte original dans Ed. Naz., vol.

XIX, p. 406.

Histoire. générale des Peuples, sous la direction de Maxime Petit, pp. I et seq., 56, 76 et seq.; - J. Pi- renne, Les grands courants de l'Histoire, pp. 620- 621; - Lammel, Galilei, pp. 18-19.

( 6) Paroles de Louis XIII dans les discussions au moment de la fuite de Marie de Médicis en 1631. - Voir Maxime Petit, op. cit., p. 125.

(9) Albert Lilar, «Eloge de l'humanisme)), dis- cours de rentrée de la Conférence du Jeune Barreau d'Anvers, le 30 novembre 1935; - Buschman, An- vers, 1936, p. 26.

(1o) « Sidereus Nuncius ... )), à Venise, T. Ba- glioni, 1610, dans Ed. Naz., vol. III; Galilée lui- même n'a pas prétendu avoir inventé la lunette que

(2)

L'imagination de ses contemporains fut véri- tablement déchaînée par les perspectives que l'usage d'une pareille lunette paraissait ouvrir.

Les marins et les soldats discutaient de son influence sur la science militaire, les femmes frissonnaient à l'idée qu'un inconnu pouvait les observer de très loin, et les bourgeois s'inquiétaient, comme toujours, se deman- dant si le fisc n'allait pas les surveiller ainsi de plus près !

Et la lune, que l'on put mieux observer, n'était plus seulement un globe d'argent sus- pendu dans l'azur. On crut y découvrir des continents et des mers, des montagnes et des plaines.

De là à prétendre que la lune pouvait être habitée, il n'y avait qu'un pas, que les plai- santins et les poètes franchirent aisément (11).

· Quelles pouvaient être les mœurs et les croyances des habitants de la lune ? Question fort inquiétante !

En Angleterre, le poète théologien John Donne s'écria : « L'homme a tissé un grand filet, pu:is l'a jeté sur les cieux, ·et les cieux maintenant sont à lui. » (Ignatius 351).

** *

L''engouement du public entoura Galilée de l'auréole d'un personnage à la mode.

Mais les astronqmes et les philosophes sco- lastiques, attachés à l'enseignement d'Aristote et de Ptolémée, y virent le présage d'un ef- fondrement de leur monopole de la Vérité.

Trois ans plus tard, en 1613, Galilée discute dans un petit ouvrage, en italien, la décou- verte de taches sur le soleil (12).

Cette découverte confirmait, - disait-il, - les opinions qu'avait publiées soixante-dix ans aUJparavant un certain C01pernic, chanoine polonais, docteiir en droit canon, ... 'un peu médecin, et féru d'astronomie (13) .

Copernic avait repris et développé une théo- rie ancienne du mouvement de la terre autour du soleil (14). Par hasard - il faut le dire, car il partait d'un raisonnement erroné - (15) Copernic énonçait une hypothèse qui s'avère- rait exacte.

Certains théologiens estimaient que quelques passages de l'Ecriture Sainte contredisaient formellement l'opinion reprise par Copernic.

Si le soleil ne tournait pas autour de la terre, comment Josué avait-il pu arrêter le soleil dans Gabaon ? (Josué 10-12).

Que devenait le passage du psaume dix- neuf : « Et le soleil, semblable à un époux qui sort de sa chambre, s'élança dans la car- rière avec la joie d'un héro,s » ... si le soleil était immobile (Psaume XIX, 6) ?

** *

Un professeur de mathématiques, désirant prouver à une douairière l'orthodoxie d'une thèse astronomique, allait provoquer une dé- cision dont les conséquences secoueraient le monde chrétien.

l'on nommera plus tard «de Galilée». L'opticien hollandais Lipperhey en avait fait dès 1608 une de- scription détaillée ayant servi à Galilée. - Voir Wohlwil, Galilei und sein Kampf, p. 224; - Des- sauer, Der Fall Galilei, p. 30.

(11) De nombreux voyages dans la lune furent écrits à l'époque e.a. par Cyrano de Bergerac, Voyage dans la lune; - Kepler, Songe d'un voyage dans la lune, publié en 1634; - Koestler, p. 398.

(12) « Istoria e demostrazioni intorno alle macchie solari ... », Rome, Mascardi, 1613, Ed .. Naz., vol. V.

(13) De 1·evolutionibus orbium coelestium, Ire éd., Nuremberg, 1543·- Réimpressions, Bâle, 1566; Am- sterdam, 1617. - Cf. Armitage, The world of Co- pernicus, p. 109.

(14) Cette théorie était déjà celle de Pythagore de Samos et Philolaus (cité par Copernic lui-même, chap. 7); - également d'Héraclite et Aristarque (Co- pernic, chap. 10); - Armitage, op. cit., pp. 28 et seq.; - également Nicole de Cuse (Uimmel, Galileo Galilei, pp. 18 et seq.) et Nicole Oresme (Koestler, 189).

(15) Cf. Armitage, pp. 113 et seq.

Voici comment.

Au cours d'un dîner. officiel à la Cour de Florence, la Grande Duchesse douairière, dis- cutant les opinions de Copernic, avait mis en doute leur orthodoxie (16).

Galilée, à qui l'incident fut rapporté, se mit en tête de démontrer leur conformité aux en- seignements de l'Eglise (17).

Il affirmait de plus la nécessité d'interpréter l'Ecriture Sainte à la lumière des hypothèses coperniciennes.

Une chose entraînant l'autre, Galilée bien- tôt en arrive à faire des observations en ma- tière de théologie aux cardinaux et même jus- qu'à la personne du Pape (18).

Puis, s'irritant de voir que l'on ne parta- geait pas ses opinions sur l'urgence d'une in- terprétation nouvelle, Galilée décida de se rendre à Rome pour convaincre le Pape lui- même.

Une lettre d'un contemporain, Monseigneur Querengo au cardinal d'Este, décrit son acti- vité dès son arrivée : «Nous avons ici M.

Galilée qui dans des réunions d'esprits cu- rieux les émerveille et les étourdit en soute- nant comme véritable la théorie de Copernic ...

Il lui arrive souvent de parler au milieu dt1 quinze ou vingt personnes... Il réussit d'extra~

ordinaires prouesses... Avant de réfuter les arguments de ses adversaires, il les développe et les renforce lui-même ... de sorte qu'en les démolissant ensuite il rend ses adveriSaires encore plus ridicules. >> (19).

C'est une excellente méthode pour triom- pher un instant et se faire des ennemis pour la vie (20).

Galilée avait-il la manière qui convenait pour convaincre le Pape ?

On peut en douter !

L'ambassadeur du Grand Duc de Toscane, nous dit dans un rapport : « Le Pape actuel, détestant les arts libéraux et ces manières de penser, ne supporte pas toutes ces nouveautés et subtilités. » (21).

Il semble d'ailleurs que Galilée se montrait parfois quelque peu « casse-pieds>>. Car la lettre de l'ambassadeur Guicciardini poursuit : cc Il est véhément, et absolument pris et pas- sionné pour cette cause, à tel point qu'il n'est pas possible, si vous êtes près de lui, de lui échapper».

N'obtenant pas audience, Galilée persuada le jeune cardinal Orsini, âgé de 22 ans, de plaider sa cause.

Le jeune Orsini ne réussit qu'à fâcher le Pape, qui décida sur-le-champ de consulter une commission d'experts théologiens (22).

Celle-ci déclara que l'hypothèse émise par Copernic était hérétique (23).

(16) Cf. Koestler, op. cit., p. 415, et la lettre du Père Castelli du 14 déc. 1613, décrivant la scène, Ed. Naz., vol. Xl, p. 6os.

(17) D'abord sous la forme d'un opuscule intitulé Lettre à Castelli, Ed. Naz., V, p. 281, l'année sui- vante, sous forme d'un ouvrage de ca. 40 pages, Lettre à la Grande-Duchesse Christine, Ed. Naz., V, p. 309; - cf. Koestler, pp. 416 et seq.

(18) Dans des lettres à Mgr Dini, qu'il demandait de communiquer au cardinal Bellarmin et si possi- ble au Pape. - Koestler, pp. 427 et seq. (Lettres, Ed. Naz., V, 291-298-305; XII, 183; - cf. lettre Mgr Dini à Galilée, du 7 mars 1615, Ed. Naz., XII, p. 151; e.a. p. 162; 173·

(19) Lettre de Mgr Antonio Querengo au cardi- nal Alessandro d'Este, citée par Santillana, op. cit., p. 137, Ed. Naz., XII, p. 226.

(20) Dixit Koestler, p. 434·

(21) Lettre de l'ambassadeur Piero Cuicciardini à Cosimo II, Grand Duc de Toscane, Ed. Naz., XII, p. 242; en français dans Santillana, p. 142.

(22) Cf. Koestler, p. 436, et sur les arguments exposés au Pape, pp. 435 et 447· Ces arguments, basés sur l'existence des marées seront développés plus tard dans le <<Dialogue». - Voir Ed. Naz., VII, pp. 425 et seq.

(23) Texte de l'avis des théologiens, Ed. Naz., XIX, p. 321.

Mais un fait capital est à souligner : ~ cardinaux du Saint-Office, plus prudents, de·

cidèrent de ne pas entériner la consultation.

L'ouvrage de Copernic fut simplement sus- pendu comme nécessitant quelques corrections (24). Quant à l'avis des théologiens, il restera dans les dossiers, et pendant dix-huit ans il sera ignoré du monde.

Pour éviter que cette première escarmouche avec l'Inquisition ne nuisît à la réputation de Galilée, les plus hauts dignitaires de l'Eglise avaient usé de leur influence.

Parmi eux, au premier rang, le prince Maf- feo Barberini, cardinal humaniste, protecteur des arts, poète à ses heures et admirateur dé- claré de Galilée (25) .

Quelques années plus tard, il monte sur le trône pontifical sous le nom d'Urbain VIII.

Une protection invulnérable semblait assu- rée à Galilée dans ses controverses avec les tenants de la science tirée d'Aristote. Ce serait pourtant cet élément qui entraînerait sa chute et son humiliation.

Au mois de juin 1632 la parution d'un ouvrage intitulé cc Dialogue des deux princi- paux systèmes du Monde, de Ptolémée et de Copernic», fit sensation (26).

Désireux de s'instruire, un homme interroge deux compères sur le mouvement des corps célestes. L'un est simplet et crédule : il se nomme Simplicio et défend les thèses d' Aris- tote et de Ptolémée.

L'autre, Salviati, est un brillant penseur : il défend les thèses de Copernic et ridiculise les justifications de Simplicio.

Soudain le livre est confisqué par ordre des inquisiteurs du Saint-Office : le Pape lui-même avait ordonné la constitution d'une commis- sion spéciale d'enquête.

Que s'était-il passé ?

A la fin de l'ouvrage, Simplicio, vingt fois confondu po·ur sa sottise, développe un raison- nement inattendu. Il spécifie que c'est l'argu- ment d'une personne très éminente et très docte, devant l'opinion de qui l'on doit se taire (27).

Or l'argument de Simplicio, dans un con- texte qui le ridiculisait, était une théorie que le Pape lui-même avait exposée à Galilée.

Terminant son ouvrage par ce que l'on a nommé << un pied de nez au Pape », Galilée crut peut-être à une plaisanterie destinée à ridiculiser le suffisant ami Barberini.

Mais l'ami Barberini était dans l'entre-temps devenu le Pape Urbain VIII chez qui le res- pect de sa propre position et la raison d'Etat devaient décupler l'indignation.

Ce trait étonnant était caractéristique chez Galilée.

Entraîné par le feu de la polémique, il avait plus d'une fois déjà perdu le sens des propor- tions.

Certains hommes ne se contentent pas d'avoir raison. Il faut encore que ce soit pour les motifs qu'ils ont choisis eux-mêmes.

Les ennemis de Galilée sautèrent sur l'oc- casion pour alimenter la colère du Pape.

Il se révèla que l'imprimatur avait été lit- téralement extorqué à la censure romaine, par des manœuvres douteuses et qu'un accord préalable sur la forme de l'exposé avait été rompu (28).

Mais l'enquête amena également un vert- table coup de théâtre, aussi éclatant qu'inat- tendu.

(24) Texte du décret de la Congrégation de l'In- dex, extrait en français dans Santillana, p. 150, dans Ed. Na.-z., XIX, p. 322.

(25) Il dédia même à Galilée un poème intitulé Adulatio perniciosa. - Texte du poème dans San- tillana en traduction française, note 2, p. 440.

(26) << Dialogo ... », Florence, Landini, 1632, dans Ed. Naz., vol. VII.

(27) Dialogo >>, Ed. Naz., vol. VII, p. 488, 24.

(28) Sur les manœuvres par lesquelles l'imprima- tur avait été obtenue, voir Koestler, p. 463; - San- tillana, pp. 220-221.

(3)

L'avis des théologiens, oublié depuis dix- huit ans et qui déclarait hérétique de croire à l'immobilité du soleil, revint à la surface.

Mais il y avait plus grave encore : les inquisiteurs y joignaient le procès-verbal d'une injonction notifiée à la même époque à Gali- lée, par notaire et devant témoins (29).

Elle contenait une interdiction d'enseigner en aucune manière les théories de Copernic.

Le renvoi devant le tribunal devenait inévi- table.

Le 12 avril 1632 Galilée comparaît pour la première fois devant les inquisiteurs dans le palais du Saint-Office.

Galilée ne dénie pas qu'une injonction lui eut été faite, mais déclare ne pas se souvenir du mot « enseigner » ni de la clause « en aucune manière » (30).

Depuis trois siècles les discussions autour de la notification du notaire se poursuivent, car seule une copie, non signée, nous est connue.

Une longue liste de citations, établie à l'in- tention des juges, révèle des passages où Ga- lilée traite d'imbéciles ou d'idiots ceux qui n'admettent pas l'opinion de Copernic (31).

** *

Mais en secret, le procès prit une tournure nouvelle.

De curieuses tractations furent engagées en- tre Galilée et le commissaire général de l'In- quisition.

La correspondance de ce dernier a été re- trouvée, dans les archives du cardinal Fran- cesco Barberini, secrétaire du Saint-Office et neveu du Pape (32). ·

On .négocia une indulgence contre une con- fession.

Galilée fit les aveux convenus; il demande même par deux fois l'autorisation de prouver à ses lecteurs qu'il ne tient pas pour vraies les thèses condamnées (33).

Il promet, selon ses paroles, « de les ré- futer de la manière la plus efficace possible, que la grâce de Dieu voudra bien lui inspi- rer».

Six semaines plus tard eut lieu le dernier interrogatoire prévu par la procédure.

Une menace verbale de torture précéda les questions (34).

Galilée répètera trois fois, sous serment, que depuis le décret de 1616 il ne croyait plus à la théorie de Copernic, mais tenait pour indiscutable l'opinion de Ptolémée.

(29) Comme tout tribunal, celui du Saint-Office tient au secret de ses archives. Mais le dossier Galilée est connu pour avoir été emporté en partie par Na- poléon pendant l'occupation de Rome, en 18u, et copié pour le reste lors de la fuite du Pape, pendant la révolution italienne de 1848. - Le Vatican auto- risa la publication par l'Epinois, puis le gouverne- ment italien patronna l'Edition Nationale par Favaro comprenant les pièces du procès.

Cf. Martin, Galilée, notes p. 395 et Bosman:s, La nouvelle édition des pièces, pp. 5 et 13.

Texte du procès-verbal du notaire en français dans Santillana, p. 325, avec fac~similé de la fin non si- gnée, p. 329. - Sur l'état des controverses au sujet de la notification, cf. Koestler, note 10, p. 557·

(30) Extrait de l'interrogatoire en français dans Santillana, pp. 295 et seq.

Texte original de Ed. Naz., vol. XIX, pp. 336 et seq., et l'Epinois, Pièces du procès, ff. 413 et seq.

(31) Voir Santillana, pp. 307-308. Ed. Naz., pp. 349 et seq.

(32) Voir Santillana, p. 312. - Texte de la lettre découverte en 1833 du commissaire général Firen- zuola au cardinal Francesco Barberini, Ed. Naz.,

xv, p. 106.

(33) Texte Santillana, p. 307; - Ed. Naz., p. 344·

(34) Même les panégyristes de Galilée sont d'ac- cord sur le fait que ce fut une formalité . . - Santil- lana, p. 368 et not. 5, p. 451; - Martin, pp. 127 et seq.

C'était, ma foi, rin remarquable parjure ! (35).

Il aurait été facile d ),, le prouver, si toute la procédure ne s'étau''' transformée en une comédie quasi convenue d'avance.

Le lendemain, la sentence fut rendue.

Sur les dix cardinaux au nom de qui elle est prononcée, sept seulement la signèrent (36).

Galilée sera condamné à une peine de pri- son qui ne trouvera qu'une application théo- rique (37).

Pendant trois ans, il devra réciter, une fois par semaine, les psaumes de la pénitence.

Le procès Galilée était terminé (38).

L'affaire Galilée allait commencer.

** *

Les premières conséquences furent classi- ques et banales.

En Italie naquit un marché noir où les savants, les moines et les prélats se disputè- rent les exemplaires du dialogue, dont le prix centupla (39).

Ils voulaient savoir ce que contenait le livre condamné.

Mais la chute et l'humiliation d'un savant connu, favori d'un Pape en fonction, frap- pa l'imagination de l'Europe chrétienne et suscita des controverses sur la signification de l'événement.

Bientôt un sentiment de profonde inquié- tude naquit.

L'Eglise désirait-elle imposer le texte de l'Ecriture Sainte comme une source de con- naissance dont la science ne pouvait pas s' écar- ter?

L'enseignement traditionnel, fût-il anachro- nique, serait-il protégé par l'autorité, même s'il fallait frapper un savant illustre et renom- mé?

En France, Descartes, ayant appris la con- damnation de Galilée, alla même jusqu'à brû- ler quelques écrits ( 40) .

Les savants crurent que l'indépendance dans l'étude et dans l'enseignement paraîtrait une atteinte à l'autorité de la Sainte Eglise.

Certains s'abriteront derrière d'hypocrites subterfuges ( 41) .

D'autres en viendront à conclure que la science et la foi sont inconciliables.

Ils proclameront que toute croyance est un défi lancé à la raison.

D'autres savants enfin finiront par se taire.

Ainsi naîtra ce que l'écrivain catholique Da- niel-Rops nomma « La rébellion de l'intelli- gence» (42).

Puis le malentendu initial grandit et s'ac- crut. Le ton et l'argumentation des controver- ses, les insultes et les anathèmes empêcheront l'examen des· problèmes et des positions.

Le mur qui séparera les camps adverses de- viendra bientôt infranchissable.

Les uns affirmaient que le principe de la liberté dans la recherche scientifique devait être absolu.

(35) Cf. une lettre de Galiilée à Diodati en 1629 (Ed. Naz., XIV, p. 49). « ... Je suis certain que ce sera une confirmation très complète du système de Copernic», 29 oct. 1629.

(36) Voir Santillana, p. 384. Martin, pp. 133 et seq.

(37) Koestler, p. 475·

(38) Le dialogue fut mis à l'index. Decreta/es, 16 juin 1633; voir en français cette décision Santil- lana, p. 363.

(39) Voir Santillana, p. 404; le prix du volume, à l'origine un demi-écu, s'éleva jusqu'à 40 ou 6o écus.

( 40) L. Petit de J ulleville, Histoire de la littéra- ture française, Paris, 1897, IV, p. 472; - Santillana, p. 394·

(41) D'escarres inventa l'étonnante théorie d'un «vortex>>. La terre est entourée par un tour- billon d'air. L'ensemble tourne mais la terre restait immobile par rapport à ce vortex. - Armitage, p. 151.

(42) Daniel-Rops: titre du chapitre de l'« Ere des grands craquements» traitant e.a. de l'affaire Galilée.

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Les autres répliquaient que l'obéissance aux dogmes était le premier devoir de tout chré- tien.

Plus personne ne se préoccupa de savoir si les principes et les dogmes étaient réellement mis en cause par la condamnation de Galilée.

Pourtant un examen attentif et dépouillé de toute passion eût permis de constater qu'en ordonnant une enquête contre Galilée, ni le Pape ni son entourage n'envisageait la con- damnation d'une hérésie.

Le principe des thèses de Copernic n'était même pas en cause; on désirait seulement quelque mesure vigoureuse pour réprimer ce que l'on jugeait présomption dangereuse et insulte à la dignité du chef de l'Etat.

Mais une fois l'enquête lancée, les charges contre Galilée avaient fait boule de neige et un accident avait fait dévier le procès de son but initial.

Sous la pression des événements politiques de l'époque, confrontés avec des nouveautés dont le caractère insolite les troublait, hantés par la nostalgie de l'unité du moyen âge, les juges de Galilée crurent à la nécessité de le condamner.

Plusieurs cardinaux pourtant désapprou- vaient ce procès qu'ils considéraient comme une aventure dangereuse ( 43) .

Mais la crainte de diminuer la réputation du tribunal et de compromettre l'autorité des in- quisiteurs avait prévalu contre le désir d'ar- rêter des poursuites mal engagées.

L'histoire contemporaine, et l'histoire de France en particulier, connaissent quelques autres procès qui n'auraient jamais été enta- més si l'on avait pu en prévoir l'aboutisse- ment.

Ah ! certes, il eut fallu ;plus d'hommes cou- rageux pour exiger que l'on examinât quel était dans le procès Galilée, le problème réel.

Mais lorsque le cri d'hérésie retentit dans le siècle, la crainte d'être soupçonnés à leur tour rend timorés les courageux et silencieux les timides.

Dans de pareilles circonstances les erreurs de jugement seront toujours fréquentes.

Et nous en souffrirons tous, car les erreurs des tribunaux constituent des injustices !

** *

Ainsi une première conclusion se dégage de ce procès.

Le tribunal du Saint-Office, pour éteindre un conflit limité, avait employé une force de frappe disproportionnée à son objet.

Il provoqua ainsi des réactions en chaîne, dont les effets s'étendront pendant plusieurs siècles encore.

Devant un problème insolite, dans un climat d'insécurité, les hommes sont toujours tentés d'éliminer toute contradiction.

Mais, lorsque la signification d'un procès continue à inquiéter les hommes au-delà des frontières et en dehors du temps, c'est qu'il renferme quelque élément, ... lui conférant une résonance toujours actuelle.

Le climat politique et moral de l'Europe rappelle étrangement celui de la guerre de Trente Ans.

Après des retournements d'alliances, après une alternance de victoires et de défaites, la fin des combats n'apporte pas la paix.

Des empires puissants se sont écroulés et morcelés; les ennemis d'hier sont les parte- naires d'aujourd'hui; les négociations les plus étonnantes ont mené aux coalitions les plus inattendues.

Comme au XVIIe siècle le hasard capricieux (43) Cf. sur l'attitude des cardinaux Maffeo Barbe- rini et Caetani, lors de l'enquête de 1615, lettre. de Buonamici, Ed. Naz., XV, 111; - Santillana, note 7, p. 436; - Sur l'attitude du cardinal Bentivoglio, lettre Niccolini, Ed. Naz., XV, p. 94; - Santillana, p. 353·

(4)

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des combats divisa l'Allemagne par une fron- tière absurde, mais dont l'existence constitue un fait.

Comme au temps de la Réforme, à l'Est des peuples disparates et désunis sont rassem- blés, par la persuasion ou par la force, sous la bannière de chefs politiques affirmant dé- tenir la voie nouvelle pour le salut des hom- mes.

La politique de l'Europe et même du monde occidental tout entier paraît s'inspirer d'un renferme quelque élément lui co'll!férant une d'avant 1939, ou même d'avant 1914 ~t d'évi- ter ensuite les erreurs commises.

Et l'incertitude sur le bien-fondé de cette politique favorise une tendance nouvelle à re- courir aux affirmations de principe.

Comme dans l'affaire Galilée, l'acharnement et la passion des débats contribuent à masquer ou déformer les problèmes réels.

Ceux qui voudraient que l'on examine si les grands principes - démocratie - liberté - justice - sont véritablement en cause dans toutes les querelles font figure d'hérétiques.

Pourtant l'apôtre Paul dit dans l'épître aux Corinthiens : « 0 portet haereses esse >> - il est utile qu'il y ait des hérétiques (I, Cor.

XI, 9).

Et n'est-il pas vrai que maintes fois, c'est le choc provoqué par leurs opinions qui révèla aux orthodoxes les perspectives nouvelles d'un problème devant lequel les formules tradition- nelles s'avéraient insuffisantes.

Mais l'enseignement le plus actuel du procès Galilée c'est celui-ci :

A certains moments de l'histoire, il est dan- gereux de s'obstiner à défendre sans les véri- fier toutes les affirmations transmises par la tradition.

Des conceptions étroitement nationalistes et même régionalistes continuent à prévaloir dans notre Europe rétrécie.

Partout l'on crie que pour construire l'Eu- rope Unie certains veulent modifier trop et trop tôt.

Pourtant le cours de l'histoire démontre que les civilisations meùrent et que les révoltes naissent lorsque l'effort d'adaptation aux réa- lités nouvelles se fait trop peu et trop tard.

Aussi, la nécessité de revoir certaines de nos opinions devrait être acceptée comme un réflexe de prudence, plutôt que rejetée comme une marque d'audace inopportune.

** *

A l'époque de la Renaissance, l'effondre- ment des certitudes anciennes constitua une des plus profondes- sources de trouble et de déséquilibre.

Puis le siècle des philosophes avait divinisé le Progrès et la Raison.

Ce mythe encore puissant au siècle dernier semble avoir perdu aujourd'hui de son éclat prestigieux ( 44) .

Mais certaines de nos opinions actuelles ne se maintiennent à leur tour que par la nos- talgie du passé.

Sur le plan politique, les exigences sou- daines des peuples d'Afrique et d'Asie boule- versent nos conceptions de l'équilibre du mon- de.

Prenant conscience de leur force d'expan- sion, les peuples colonisés sont poussés à la revendication avec toute l'impatience et l'in- justice des adolescents qui réclament leur droit de vivre.

Si quelques-uns continuent à proclamer une vocation naturelle de la race blanche à répan- dre la civilisation dans le monde, l'ardeur de leurs cris ca-che mal l'accent du désespoir.

Sur le plan de la science, des expériences troublantes bouleversent les conceptions tradi- tionnelles.

(44) Cf. le chapitre «Le renouveau idéaliste spi- ritualiste», dans Histoire Générale des Civilisations, tome VI, pp. 481 et seq.

Par exemple : le professeur Petrucci ferti- lisa en laboratoire un ovule humain. Il garda en vie pendant vingt-:neuf jours, un organis- me dont le développement à terme, constitue- rait un être humain ( 45) .

Le Père Teilhard de Chardin, il y a quel- ques années déjà, disait :

« Que la chose nous plaise ou non, com- prenons donc enfin que rien, absolument rien, n'empêchera jamais l'homme d'aller en toutes directions, et plus spécialement en matière de biologie, jusqu'à l'extrême bout de ses puis- sances de recherche et d'invention. » ( 46) .

Des perspectives redoutables se découvrent.

Aux confins de la politique et de la science d'autres problèmes, démesurés, nous attendent.

L'avenir des hommes ne se réalisera plus seulement sur la terre.

Gagarine et Sheppard ont fait irruption dans les espaces infinis, dont le silence éternel ef- frayait Pascal ( 4 7) •

Le vacarme de leurs fusées se répercute en- core dans le monde

A peine commençons-nous à entrevoir la portée de !'·expérience que déjà la passion d'une compétition interplanétaire empêche l'examen objectif des questions qui surgissent.

Sur le plan de la morale enfin, la puissance monstrueuse des armes nucléaires confère à certaines objections de conscience un accent nouveau.

Un savant peut-il, ou doit-il, refuser son concours à des recherches visant à la destruc- tion collective d'une partie de l'humanité ?

Après d'étranges débats, un des chercheurs atomistes les plus en vue, le professeur Op- penheimer, fut démis de ses fonctions parce que ses opinions personnelles sur la respon- sabilité morale du savant paraissaient héréti- ques dans le cadre de la politique de son pays.

Et que dirions-nous si quelqu'un déclarait aujourd'hui : « Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l'Europe, ou bien qui fût utile à l'Europe et préjudiciable au genre humain, je la regar- derais comme un crime. »

Ce n'était pourtant pas un esprit subversif qui tenait ce propos; c'était Montesquieu ! (Pensées, 11. 741.492) (48).

** *

Aujourd'hui le développement de la science a transformé la mégalomanie de certains hom- mes •en une menace mortelle pour l'Europe et pour le monde tout entier.

Pour pouvoir affronter ce danger, il faudra mettre les institutions et les doctrines en con- cordance- avec les nécessités de notre temps.

Nous n'échapperons pas indéfiniment aux problèmes qui assaillent l'Europe, en répé- tant qu'il est trop tôt pour réformer.

L'Empire romain lorsqu'il s'effondra et se morcela, était doté d'institutions juridiques et administratives que l'on ne voulait pas réfor- mer, pour ne pas troubler leur perfection.

Déjà, devant leur inefficacité grandissante, les généraux de la fin de l'empire s'en mo- quaient, puisque, quand ils le désiraient, c'étaient leurs légionnaires qui faisaient la loi.

Le recours à l'argument d'autorité, à la ré- pression, peut pendant quelque temps mas- quer les symptômes d'une décadence, mais ne peut jamais remédier aux causes profondes.

** *

Soutenir que tout changement soit nécessai- rement un progrès, expose à se tromper sou- vent.

Mais affirmer que l'ordre établi repose tou- (45) Petrucci, voir l'Express, 26 janv. 196I.

(46) Teilhard de Chardin, cité dans Jean Rostand, Science fausse, et fausses sciences, p. 134.

(47) Pascal, Pensées, III, 206.

(48) Montesquieu, éd. Pléiade, p. 98J.

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jours sur des idées vraies, intangibles, éte.~:­

nelles, n'assure pas non plus un monopole de la vérité.

S'abstenir de crier à l'hérésie -devant une solution qui nous étonne, telle est la première condition pour faire face aux nombreux pro- blèmes de l'heure.

Mais il en est une autre.

Il nous faut regarder l'avenir avec un esprit ouvert, afin de voir le monde tel qu'il est et les hommes tels qu'ils sont.

Si nous pouvons les comprendre dans leur réalité objective et non à la lumière défor- mante de nos espoirs et de nos passions, alors, au-delà des mythes consolateurs, des idéolo- gies claironnantes, du pessimisme défaitiste, nous pourrons apprendre à les accepter et les aimer.

Alors, nous pourrons vivre et chanter et chercher ensemble le chemin vers un monde meilleur.

José GUNZBURG.

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