• Aucun résultat trouvé

Géographie Économie Société: Article pp.153-161 of Vol.6 n°2 (2004)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Géographie Économie Société: Article pp.153-161 of Vol.6 n°2 (2004)"

Copied!
9
0
0

Texte intégral

(1)

Les régions comme laboratoires de développement axés sur la connaissance :

qu’est-ce qui a changé depuis 1995 ? a Regions as Developmental Knowledge Laboratories : What Changed Since 1995

Philip Cooke

University of Wales, Cardiff

Résumé

À partir d’une réflexion réalisée dans le cadre de la réédition du livre Regional Innovation Sys- tems, cet article présente, sur un plan théorique et empirique, le concept de système régional d’inno- vation. Le concept est analysé par rapport à deux aspects constitutifs de l’activité innovante, à savoir l’infrastructure de gouvernance et la superstructure entrepreneuriale. L’article suggère qu’il y a dif- férents types de systèmes régionaux d’innovation. Le texte distingue trois types : communautaire, réticulaire et centralisé. Le texte aborde les diverses formes que prennent le transfert de technologie, le financement, la recherche, ainsi que la coordination locale et supralocale des acteurs. S’appuyant sur l’intégration de la perspective économique évolutionniste à la théorie du développement régional, l’auteur soutient que les systèmes régionaux d’innovation changent et évoluent en accord avec la glo- balisation, la montée de l’économie du savoir et le déclin des formes productives héritées de l’âge industriel.

© 2004 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Adresse e-mail : cookepn@cf.ac.uk

a Ce texte a été traduit de l’anglais par Juan-Luis Klein. La traduction a été validée et autorisée par l’auteur.

(2)

Abstract

From the reediting of the book Regional Innovation Systems, the author introduces the theoretical and empirical construct called regional innovation system. The concept is analysed as a result of two dimensions of innovation activity, which are the governance infrastructure and the business super- structure. It is proposed that there are distinctive generic types of regional innovation systems. The paper distinguishes three types: Grassroots, Network and Dirigiste. The paper analyses how technol- ogy transfer, funding, kind of research and local and supra-local coordination, as well as business net- working occur in those three types of systems. Integrating evolutionary economic and regional devel- opment theory the paper proposes that regional innovation systems are evolving as their elements shift with globalisation, the rise of knowledge-intensive industry and the hollowing-out of industrial age industries.

© 2004 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : Systèmes régionaux d’innovation ; Région ; Typologie ; Réseau ; Gouvernance.

Keywords: Regional Innovation System; Region; Typology; Networking; Governance.

1. Les systèmes régionaux d’innovation selon les modes de gouvernance 1

Dans une réflexion antérieure sur les modes d’innovation régionale, nous avions distin- gué l’existence de trois modalités (Cooke, 1992) : une de type communautaire, une deuxième de type réticulaire et une troisième de type dirigiste. Ces trois modalités ont été complétées ultérieurement lorsque nous avons pris en compte les modes d’interrelation entrepreneuriale, ce qui a permis de proposer trois types de milieux innovateurs (Cooke et Morgan, 1994). Nous allons exposer les principales caractéristiques de ces différents types, ce qui nous permettra de décrire et de comparer les études de cas présentées dans le livre évoqué ci-dessus et, ensuite, de voir comment ces cas ont évolué en regardant où ils en sont une décennie plus tard.

1.1. Les systèmes de type communautaire

Dans le cas des systèmes régionaux d’innovation de type communautaire, le processus de transfert technologique est amorcé localement, au niveau de la ville ou du district. À

1Ce texte est un extrait remanié de la présentation de la nouvelle version du livre intitulé Regional Innovation Systems (Braczyk, Cooke, Heidenreich, 1998), dont les différents chapitres ont été réécrits et actualisés en fonc- tion de l’évolution récente des cas étudiés. Lorsque la première édition du livre a été publiée, la recherche sur l’innovation régionale était encore à ses débuts. L’approche concernant les systèmes régionaux d’innovation pro- posée dans ce livre interpellait la science régionale par l’intermédiaire de propositions de nature épistémologique et théorique. Il était crucial à ce moment-là d’insister sur le fait que l’activité innovatrice comprenait deux dimen- sions, la première correspondant à l’infrastructure de gouvernance et la deuxième à la superstructure entrepreneu- riale, et que ces deux dimensions donnaient à voir l’aspect à la fois systémique et réticulaire des systèmes régio- naux d’innovation. Cette double dimension de l’activité innovatrice est bien comprise aujourd’hui. Ce qui importe maintenant, c’est moins d’insister sur l’existence des systèmes régionaux d’innovation, que de compren- dre l’évolution de ces systèmes à la lumière des changements économiques et des incertitudes qui ont caractérisé la dernière décennie.

(3)

l’origine, le financement est diffus et peut comprendre des apports provenant de sources diverses, comme des organisations bancaires locales, des chambres de commerce locales, des subventions et des emprunts. Il est probable que les compétences disponibles en recher- che soient très appliquées ou très proches des besoins de la mise en marché. Dans ce cas, le niveau de spécialisation technique est faible et s’oriente vers la solution de problèmes immédiats. La région ne se caractérise donc pas par des compétences technologiques sophistiquées. Finalement le degré de coordination supra-locale est faible à cause de la nature localisée et diffuse des facteurs à la base des processus innovateurs.

À titre d’exemple, le cluster du multimédia de la Californie du Sud a eu, dans une cer- taine mesure, une base communautaire en ce qui concerne sa structure de gouvernance (Scott, 1994). La coordination systémique entre les acteurs, dans ce cas, provient davan- tage de l’intérieur des districts technologiques locaux eux-mêmes que du gouvernement de l’État ou du gouvernement Fédéral. Mais, en 2003, le pouvoir des studios d’Hollywood est devenu hégémonique, intégrant de façon serrée certains autres centres de l’entreprise du multimédia localisés au Canada (Brail et Gertler, 1999), au Royaume-Uni (Cooke et Hughes, 1999), en Asie, ainsi que partout ailleurs aux États-Unis. De cette façon, Hol- lywood est devenu plus globalisé depuis 1995, bien que l’innovation dans le multimédia soit encore le fait des nouveaux professionnels sous-traitants concentrés à Los Angeles, comme le montre Scott dans le livre.

Il y a une décennie, en tant que systèmes d’innovation localisés, les districts industriels de la troisième Italie fascinaient aussi bien les chercheurs que les politiciens. Maintenant, le cluster, génotype des districts industriels, s’est imposé comme base de toutes les straté- gies gouvernementales. Or, en Toscane, l’importance du milieu local dans l’amorce, le financement, l’appui en recherche et la coordination des structures innovatrices, était due justement au fait que le gouvernement régional n’avait pas de politique innovatrice. Con- séquemment, comme le signale Dei Ottati dans le livre, il y avait, dans la région, plusieurs types de systèmes localisés concernant aussi bien la gouvernance que les interrelations entrepreneuriales. Quels changements y a-t-il eu depuis ? La région est-elle devenue un laboratoire de développement axé sur la connaissance ?

En réponse à cette question, Dei Ottati constate trois faits. Le premier concerne une croissance ininterrompue de l’innovation dans les secteurs du vêtement, du meuble et de la chaussure. Le deuxième fait concerne la substitution de l’industrie manufacturière par des services en lien avec la formation de multiples groupes de microentreprises de haut niveau de savoir. Le troisième fait concerne l’acquisition de tanneries latino-américaines par les plus importantes entreprises de la Toscane. Tout cela demande un appui institutionnel à l’innovation plus fort ainsi qu’une coopération constructive à l’échelle régionale, ce qui prend la forme d’un laboratoire de développement axé sur la connaissance. Ainsi, l’inno- vation entrepreneuriale reste locale, mais le soutien à l’innovation est devenu plus large et réticulé.

1.2. Les systèmes de type réticulaire

Dans le cas des systèmes régionaux d’innovation de nature réticulaire, le transfert de technologies se fait à plusieurs niveaux, c’est-à-dire aux niveaux local, régional, national, et supranational. Les montages financiers composites provenant d’ententes entre des ban- ques, des agences gouvernementales et des firmes privées sont plus fréquents. Dans le cas

(4)

d’un système d’architecture réticulaire, les entreprises, grandes et petites, peuvent plus facilement trouver des compétences disponibles ajustées à leurs besoins, aussi bien en ce qui concerne la recherche fondamentale que la recherche appliquée.

Cette situation correspond au district de Bade-Wurtemberg étudié par Heidenreich et Krauss. Pendant la crise de 1984, le Land a mis en place des commissions d’experts pro- venant des milieux de la recherche, des institutions et des industries afin de prévoir les besoins futurs et de planifier la façon de mettre en place les moyens nécessaires pour satis- faire ces besoins. Cet exercice a été répété en 1990. Des secteurs nouveaux tels la santé, les sciences de la vie, ainsi que les technologies de l’information et de la communication, ont alors été classés parmi les priorités de développement. Aussi, bien que l’on trouve dans la région des poches constituées par ces industries axées sur le savoir, leur force repose essen- tiellement sur l’ingénierie avancée, influencée par l’industrie de l’automobile, notamment par Daimler-Benz, mais aussi par Porsche et Audi. Ces caractéristiques axées sur une forte culture réticulaire sont encore présentes, bien que l’on puisse constater un certain degré de centralisation dans les modalités de planification qui se mettent en place.

1.3. Les systèmes de type dirigiste

Dans le modèle d’innovation dirigiste, le transfert de technologie est contrôlé fonda- mentalement par des institutions situées à l’extérieur de la région et au-dessus du niveau régional. Le processus d’innovation est amorcé par des politiques gouvernementales. Le financement est concentré, même si les organisations financières ont dans certains cas des bureaux régionaux décentralisés. La recherche réalisée dans ces cas peut être de base ou fondamentale et rejoint les besoins de l’ensemble des firmes, y compris celles extérieures à la région. Ce type de systèmes est en général très spécialisé et le degré de coordination des acteurs très fort car, dans ces cas, la coordination est assurée par l’État.

Le cas typique de ce genre de systèmes est, bien sûr, celui de la France, dont le gouver- nement, depuis trente ans, a implanté plusieurs infrastructures de recherche d’échelle métropolitaine dans des régions telles Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées et la Bretagne. Il s’en est suivi une politique d’implantation de technopoles qui, tout en incluant des partenariats avec des acteurs régionaux, était orientée d’en haut. Lorsque cette approche a montré ses faiblesses, le gouvernement central a établi des centres de recherche, d’innovation et de transformation technologique régionalisés. Même le capital de risque est essentiellement fourni par l’Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), une structure gou- vernementale décentralisée. L’interaction locale n’était pas très forte, ce qui a été l’une des raisons de l’établissement des centres de recherche locaux. Les réseaux structurés dans le cadre des technopoles ont été ancrés dans des grosses entreprises, comme le montre l’étude du cas de l’industrie aérospatiale à Toulouse, dans le Midi-Pyrénées, réalisée par Alcouffe et Kephaliacos.

La situation a cependant évolué dans cette région. D’abord, depuis la régionalisation amorcée en 1982, le conseil régional est devenu un acteur important dans la structuration du système régional. Ensuite, il s’est mis en place des politiques de type « triple hélice » intégrant l’université, le gouvernement et l’industrie. La France est en train de rattraper le retard qu’elle avait en cette matière par rapport à la Grande Bretagne et aux États-Unis. Par le fait même, on voit, dans le cas de Midi-Pyrénées, une évolution vers le mode réticulaire en même temps que sa principale entreprise, Airbus, se transforme en un concurrent impor-

(5)

tant pour Boeing en ce qui concerne le contrôle du marché de l’aéronautique. On peut aussi citer le cas de la Slovénie qui était dirigiste, quoique fragmentée. Maintenant elle se dirige vers une structure réticulaire, comme l’indique Koschatzky.

2. Les systèmes régionaux d’innovation et les réseaux d’entreprises

La dimension gouvernance, importante parce qu’elle concerne l’infrastructure de sou- tien institutionnel aux entreprises en matière d’innovation, se combine avec l’attitude des entreprises en ce qui concerne, d’une part, les relations avec les autres entreprises de la région et celles du monde extérieur, ainsi que, d’autre part, leur rapport avec les fournis- seurs et les consommateurs. Dans cette perspective, les entreprises peuvent être classées en trois types : locales, interactives et globalisées. À cela, il faut ajouter l’attitude des entre- prises et de leurs partenaires à l’égard de l’innovation. Quel est le rôle joué par les firmes leaders ? Quelle est l’importance de l’activité de recherche réalisée dans l’entreprise par rapport à la recherche réalisée dans des institutions publiques ? Et quelle est la nature du milieu de l’innovation dans lequel œuvrent les entreprises ?

2.1. Systèmes de type localiste

Rapprochons la dimension entrepreneuriale des systèmes d’innovation du degré de con- trôle de celle-ci par la grosse entreprise en ce qui concerne l’investissement. Dans un sys- tème régional d’innovation de type localiste, le nombre d’entreprises endogènes contrôlées par des firmes extérieures a tendance à être faible, tout comme le contrôle extérieur des branches productives importantes. Dans un milieu où la culture entrepreneuriale est loca- liste en matière d’innovation, la portée de la recherche des entreprises est réduite, bien qu’il puisse y avoir des organisations locales de recherche capables de collaborer avec les clus- ters de la région. Dans un tel contexte, il y a peu d’organisations publiques d’innovation et les ressources en recherche-développement sont peu nombreuses, mais on peut y trouver de petites organisations privées fortement impliquées en recherche. Entre les entrepre- neurs, d’une part, ainsi qu’entre ceux-ci et les dirigeants politiques locaux et régionaux, d’autre part, il peut y avoir un haut niveau d’associativité.

Parmi les cas que nous avons observés, la situation de la Toscane est celle qui corres- pond le mieux à ces caractéristiques (Dei Ottati), bien que, dans une certaine mesure, l’on puisse aussi les trouver dans les cas scandinaves, tels ceux du Danemark, étudiés par Mas- kell, ou ceux de la région finlandaise de Tampere, étudiés par Schienstock et al. Dans ce dernier cas, ce qui est remarquable, c’est la consolidation de la mise en réseau des entre- prises parallèlement à leur ferme engagement dans l’économie du savoir. L’emploi dans les technologies d’information et de communication s’y est accru de 125 % et l’entreprise Nokia, par exemple, est résolument imbriquée dans un système de relations de type triple hélice avec les centres de haut savoir financés par le gouvernement et localisés dans le parc scientifique de l’université. On peut affirmer que la clé de l’évolution constatée à Tampere pendant la dernière décennie se trouve dans le renforcement de l’interaction régionale dans le domaine de l’innovation. Dans le cas du Danemark, les progrès de l’engagement dans l’économie du savoir et dans le modèle triple hélice sont bien illustrés par la grappe de la téléphonie sans fil de North Jutland ainsi que par le remarquable complexe de recherche-

(6)

développement en sciences de la vie, qui se classe troisième en Europe, et dont les interac- tions s’étendent jusqu’en Suède. Ce complexe tend à devenir un des premiers systèmes régionaux d’innovation de nature transfrontalière.

Le cas de la région de Thoku, au Japon, étudié par Abe, est aussi intéressant. Ce pays a stagné pendant la dernière décennie. Le principal moteur de la croissance régionale de l’après-guerre, à savoir le ministère du Commerce international et de l’Industrie (le MITI), n’existe plus. La politique appelée « Technopolis » n’a pas donné les résultats escomptés et a été abandonnée, et une bonne part de la production en ce qui concerne les technologies de l’information et des télécommunications a été délocalisée vers la Chine et d’autres pays du Sud-Est asiatique. Ces structures ont été remplacées dans le pays par une nouvelle régionalisation de l’innovation, ce qui inclut l’adoption officielle d’une philosophie inspi- rée des systèmes régionaux d’innovation. Une telle philosophie est appuyée par des politi- ques de mise en réseau des entreprises à l’échelle régionale. Lentement, le Japon, comme la Corée du Sud étudiée par Hassink, évolue vers une structure basée sur le modèle des sys- tèmes régionaux d’innovation. Le cas de la Slovénie, étudié par Koschatzky, montre les signes d’une tendance similaire, évoluant d’un modèle centralisé vers un modèle ouvert et réticulaire.

2.2. Systèmes de type interactif

Dans le cas des systèmes interactifs, l’économie n’est dominée ni par la grande ni par la petite entreprise, mais présente un certain équilibre entre les deux, qu’elles soient endogè- nes ou exogènes. En ce qui concerne la recherche, l’étendue de la combinaison de ces types d’entreprises varie depuis une situation où il y a un éventail de ressources régionales à une situation où les ressources sont essentiellement extérieures. Il y a aussi dans cette modalité une combinaison équilibrée de laboratoires et instituts de recherche publics et privés, ce qui implique la présence des sièges sociaux de grosses entreprises ainsi que d’instances publiques régionales engagées dans la promotion d’une économie basée sur l’innovation.

Des telles régions présentent un haut niveau d’interrelations verticale et horizontale, ce qui se manifeste par la présence de réseaux productifs et d’organisations de type social (forums et clubs).

Si le district de Bade-Wurtemberg, étudié par Heidenreich et Krauss, reste le meilleur exemple du système interactif, on constate que la Catalogne, étudiée par Bacaria et Borrás Alomar, tend aussi à évoluer vers ce modèle. Cette région a une culture entrepreneuriale associative et interactive et est bien dotée en organisations sociales et syndicales. Elle s’appuie sur le partenariat entre ces organisations et le gouvernement régional et elle a développé une culture entrepreneuriale axée sur les réseaux industriels. L’innovation en Catalogne s’est appuyée sur une très forte identité en même temps que la région a déve- loppé une perspective plus internationale, renforcé la recherche-développement de base et augmenté sa flexibilité. Le cas du Québec est aussi intéressant car, comme le montre Latouche, il y a une forte participation des institutions publiques endogènes dans sa culture politique, et, en ce qui concerne l’industrie, une nette orientation vers le développement de clusters et réseaux, bien que cela se passe dans le contexte global d’une forte intervention du gouvernement provincial. Les clusters inscrits dans l’économie du savoir, tels ceux des technologies de l’information et des télécommunications, de l’aérospatiale et des biotech-

(7)

nologies, se sont renforcés, mais l’orientation dans la formulation d’une stratégie axée sur la science et la technologie semble perdue.

2.3. Systèmes de type globalisé

Dans le système régional d’innovation de type globalisé, le contrôle de l’innovation est assuré par des corporations globales, lesquelles sont appuyées par des grappes de fournis- seurs, constituées essentiellement de PME, ce qui rejoint les intérêts des investisseurs. La portée de la recherche dans ces systèmes est plutôt interne et privée, bien qu’il puisse y avoir des infrastructures publiques d’aide à l’innovation dans les PME. L’orientation et la conduction des innovations sont assurées par les plus grosses entreprises.

Les grappes de haute technologie de la Californie illustrent bien ce modèle. Dans cette région, les entreprises affichent des taux de croissance hauts et rapides, contrôlant les four- nisseurs locaux et créant leurs propres cadres de collaboration interentreprises. Par ailleurs, bien que certaines entreprises endogènes, telles Nortel, soient importantes, la province de l’Ontario au Canada, étudiée par Gertler et Wolfe, est dominée par la grosse entreprise, notamment par l’industrie automobile d’origine états-unienne. La récession du début des années 2000 a frappé la région très durement. La faible pro-activité du gouvernement pro- vincial dans les années 1990 s’est presque interrompue, ne se ranimant un peu qu’avec des programmes nouveaux du gouvernement fédéral. Aux Pays-Bas, une constatation sembla- ble peut être faite pour le Brabant, étudié par Boekholt et van der Weele, où les entreprises Philips et DAF dominent largement.

La région de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, étudiée par Heinze et al., et celle du pays de Galles, étudiée par Cooke, constituent des économies de reconversion qui appren- nent à se mettre en réseau et visent à construire des clusters industriels sur les cendres du passé. L’émergence endogène du secteur de l’environnement, dans le premier cas, et la sti- mulation exogène des clusters présentant un niveau très fort d’interaction dans le domaine de l’ingénierie, dans le deuxième cas, témoignent de cette reconversion. Cependant, le pays de Galles a subi des revers majeurs à cause des délocalisations industrielles vers l’Asie. La nouveauté, c’est que le gouvernement a appliqué une stratégie néodirigiste mais sans exer- cer un leadership stratégique. Quant au cas de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le processus innovateur dans cette région est limité à cause de la crise de type japonais qui affecte l’Allemagne. Seules les industries axées sur la connaissance, dans des domaines tels ceux des médias, des logiciels et de la santé, semblent susciter quelque espoir. Dans le cadre de systèmes politiques fortement dirigistes, l’industrie aérospatiale domine, comme dans le Midi-Pyrénées et dans le cas de Singapour étudié par Hing Ai Yun. Avec leurs entreprises de haute technologie et leurs grappes locales de fournisseurs formées autour d’elles, ces deux cas illustrent la recette de Andrew Carnegie pour le succès économique : « Mets tous les œufs dans le même panier, mais fais attention au panier. »

3. Conclusions

L’analyse de l’évolution des régions qui avaient été étudiées lors de la préparation de notre livre publié en 1995 montre que certaines régions ont stagné, d’autres ont conservé leur position, d’autres ont évolué vers des situations où l’économie basée sur le savoir est

(8)

plus intensive, interactive et réticulée, et ce, dans un contexte marqué par plusieurs incer- titudes. Dans ce contexte, les régions qui s’en tirent bien ont une chose en commun : elles ont intensifié leur engagement dans le développement de secteurs productifs axés sur la connaissance et ont renforcé les bases institutionnelles du système innovateur. Ainsi, elles ont progressé dans la construction sociale d’avantages concurrentiels (De la Mothe, 2003).

Comme nous le disions dans l’introduction du livre publié en 1995, la réflexion en ter- mes de systèmes d’innovation dans le cadre régional est associée à l’insatisfaction provo- quée par l’approche nationale de l’innovation. Cette insatisfaction est due au renforcement des infrastructures régionales d’innovation qui a résulté de l’insuccès des approches cen- tralisées. Une approche régionale permet donc de voir l’innovation comme un processus élargi, interactif, où des territoires s’érigent comme des laboratoires de développement axés sur la connaissance.

Le développement de la notion de « système national d’innovation » a permis de grands progrès dans la définition de l’innovation. Mais en termes de politiques de développement, cette notion est insuffisante. Les politiques nationales centralisées sont inadéquates pour faciliter l’innovation en région. Il est clair maintenant que l’innovation est un processus interactif et non linéaire, associé à l’apprentissage institutionnel. Les processus qui prési- dent à la mise en œuvre de pratiques innovatrices agissent à l’échelle infranationale. Ainsi, pour bien comprendre l’innovation, il faut intégrer la théorie économique évolutionniste à la théorie du développement régional.

Cette intégration permet de voir que les systèmes régionaux changent. Ces changements sont provoqués par la globalisation, l’émergence de secteurs industriels intensifs en savoir et la crise des industries de « l’âge industriel ». L’analyse montre que les systèmes régio- naux d’innovation ont pris de la maturité. Certaines régions ont profité des opportunités

Tableau 1

Systèmes d’innovation régionale. Typologie et évolution Réseau

entrepreneurial

Gouvernance du soutien à l’innovation entrepreneuriale

Communautaire Réticulaire Centralisée

Localiste Toscane Tampere

Danemark

Slovénie

Thoku

Interactif Catalogne Bade-

Wurtttemberg

Québec

Globalisé Ontario

Californie Brabant

Rhénanie-du-Nord- Westphalie Pays de Galles

Midi- Pyrénées Gyeonggi Singapour La flèche indique le sens de la direction récente de chaque système lorsqu’il y a eu évolution depuis 1995.

(9)

offertes par la globalisation, l’économie du savoir et la mise en réseau devenant des labo- ratoires de développement axés sur la connaissance. Par contre, d’autres, qui pourtant étaient très avancées il y a dix ans, doivent fournir des efforts désespérés pour conserver leurs acquis et pour résister aux effets de ce que Schumpeter a un jour appelé, fort à propos, la « tempête de destruction créatrice ».

Références

Braczyk, H., Cooke, P., Heidenreich, M. (Eds), 1998. Regional Innovation Systems. London, UCL Press.

Brail, S., Gertler, M., 1999. « The digital regional economy: emergence and evolution of Toronto’s multimedia cluster ». In: Braczyk, H., Fuchs, G., Wolf, H. (Eds), Multimedia & Regional Economic Restructuring.

London, Routledge.

Cooke, P., Hughes, G., 1999. « Creating a multimedia cluster in Cardiff Bay ». In: Braczyk, H. et al., (Eds), Multimedia & Regional Economic Restructuring. London, Routledge.

Cooke, P., Morgan, K., 1994. « The Creative Milieu: a Regional Perspective on Innovation ». In: Dodgson, M.

Rothwell, R. (Eds), The Handbook of Industrial Innovation, Aldershot, Edward Elgar.

Cooke, P., 1992. «Regional Innovation Systems: Competitive Regulation in the New Europe », Geoforum, 23, 365-382.

De la Mothe, J., 2003. Constructing Advantage Through Distributed Innovation, OECD Expert Mission on

« International Knowledge Flows », 25-29 November 2002, Glasgow.

Scott, A., 1994. Technopolis, Los Angeles, University of California Press.

Références

Documents relatifs

Ainsi, par exemple, la descrip- tion en termes d’externalité et de bien public de différentes crises, que ce soit celle du pro- ductivisme agricole ou celle de l’environnement,

Aussi, pour comprendre le rôle de l’innovation dans le développement des territoires, convient-il d’aller au-delà de l’innovation purement technologique et de développer une

1) Le premier est d’ordre explicatif. L’innovation sociale n’est pas gratuite, elle est le produit d’un besoin, d’un désir, d’une aspiration, ou, encore, elle découle

Le quatrième domaine est par son approche le plus territorial, mais peut-être aussi le plus structurel de tous : il souligne l’importance de la structure de la société comme

4 Les études empiriques convergent pour montrer que les réseaux sociaux sont, et de loin, la principale source des effets de proximité, mais il est aussi possible (bien que

Mais les théories d’économie industrielle plus modernes, telle celle voyant les firmes comme des nœuds de contrat (Jensen et Meckling, 1976) ou encore plus celles de Richardson

La toposité significative commune est ce qui permet de vivre ensemble, c’est-à-dire pour chaque acteur individuel de s’inscrire dans un lien/lieu social (des « situations » de

Dans la deuxième rubrique, Perre Filion et ses collègues de l’University of Waterloo et de Wayne State University en arrivent suite à leurs travaux au même constat signalé plus