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Tectonique active, évolution du relief et variations climatiques : Ce que nous disent les formations superficielles

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-02069073

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Submitted on 15 Mar 2019

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Tectonique active, évolution du relief et variations

climatiques : Ce que nous disent les formations

superficielles

Riccardo Vassallo

To cite this version:

Riccardo Vassallo. Tectonique active, évolution du relief et variations climatiques : Ce que nous disent les formations superficielles. Tectonique. Université Savoie Mont Blanc, 2016. �tel-02069073�

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Mémoire pour obtenir le diplôme d’Habilitation à Diriger des Recherches

Riccardo VASSALLO

Tectonique active, évolution du relief et variations climatiques :

Ce que nous disent les formations superficielles

Soutenu le 8 juillet 2016 à l’Université Savoie Mont Blanc

Devant le jury composé de :

Yann Klinger (IPG Paris) Rapporteur

Lucilla Benedetti (CEREGE Aix-en Provence) Rapporteur

Jérôme Lavé (CRPG Nancy) Rapporteur

Yann Rolland (Géoazur Nice) Examinateur

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Table des matières

INTRODUCTION ... 3

I. LES FORMATIONS SUPERFICIELLES DANS MES TRAVAUX DE RECHERCHE ... 7

1. Genèse et enregistrement climatique des terrasses alluviales ... 7

2. Erosion et transport millénaires dans les bassins versants ... 15

3. Datation par 10Be in situ de terrasses alluviales et héritage ... 24

4. Datation par 10Be in situ de morphologies glaciaires ... 27

5. Les formations superficielles marqueurs de la tectonique active ... 34

5.1 Variations temporelles de la cinématique des failles ... 35

5.2 Migration de la déformation à l’échelle d’une chaîne de montagne et à l’échelle d’une zone de faille ... 48

6. Conclusions et perspectives ... 57

7. Références bibliographiques ... 63

II. CURRICULUM VITAE ... 69

III. PUBLICATIONS ... 76

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INTRODUCTION

Dix ans après avoir soutenu ma thèse de doctorat, ce mémoire d’HDR est l’occasion de faire un point sur mon activité d’enseignant-chercheur. Grâce aux expériences vécues au cours de différentes collaborations et à travers des projets scientifiques thématiquement variés, j’ai eu la possibilité de comprendre un peu mieux à chaque étape ce qui me motive à faire de la recherche en Sciences de la Terre. D’une façon générale, pour moi cette recherche doit permettre d’expliquer et de quantifier des phénomènes naturels clairement observables et descriptibles sur le terrain, mais dont l’origine ou l’impact ne sont pas intuitifs. Par exemple, le fait qu’une région aride ne s’érode pas systématiquement moins vite qu’une région humide, ou qu’une faille qui génère des forts séismes n’est pas forcément une faille rapide, ou encore qu’un glacier érode profondément le substratum rocheux en préservant des dépôts récents et mal consolidés sur son chemin. C’est probablement cette conception de la recherche qui a défini l’échelle spatiale et temporelle de mon champ d’investigation privilégié, c’est-à-dire la surface/sub-surface terrestre et le Quaternaire. En effet, ce domaine est probablement le seul qui offre la possibilité d’étudier de manière directe à la fois les formes originales et les sections des objets géologiques qui racontent l’histoire du relief. Qui plus est, il s’agit d’une histoire qui arrive jusqu’à nos jours, et en même temps suffisamment longue pour pouvoir intégrer plusieurs cycles – sismiques ou climatiques. Elle nous renseigne donc sur les événements à venir. Pourtant, cette simplicité apparente de la Géologie du Quaternaire cache une multitude de questions irrésolues sur la dynamique de l’érosion et du transport des sédiments, sur la vitesse d’aggradation, sur le mode d’abrasion du substratum, sur le couplage des facteurs déclenchant une incision, sur la discrimination entre déformation tectonique, gravitaire ou autre. Sans parler du corollaire de la datation de ces marqueurs, réel défi des deux dernières décennies et sujet toujours d’actualité et de controverses.

L’activité d’enseignement qui me mène souvent au milieu des vallées alpines et l’encadrement de doctorants le long des failles des chaînes de montagne asiatiques ou sud-américaines ont certainement contribué à ce genre de questionnements et à la recherche d’exemples de plus en plus parlants. Beaucoup des idées que je vais développer dans ce manuscrit naissent des échanges avec les étudiants (de tous niveaux), des stimulations issues de leurs points de vue, de la nécessité de trouver des arguments et des raisonnements convaincants vis-à-vis de leurs objections… qui peut même aboutir à une profitable remise en question de certaines hypothèses de départ.

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Les expériences de recherche au sein d’équipes variées comme celles de Montpellier, Aix-en-Provence, Nice, Toulouse et Chambéry ont eu une double importance dans ce parcours. D’un côté, elles m’ont fourni la possibilité de côtoyer des scientifiques qui ont contribué à élargir significativement le champ de mes connaissances en géosciences et à prendre conscience de différentes façons de faire et de gérer la recherche. D’un autre côté, elles m’ont permis d’instaurer des collaborations au niveau national et international afin d’intégrer mes compétences dans une approche plus large, qui comprend également la géodésie et la géophysique de sub-surface. Cette progressive ouverture a profité à la construction de projets de recherche de plus en plus orientés vers des implications sociétales, surtout en ce qui concerne l’estimation de l’aléa sismique.

Mes divagations thématiques peuvent donc aller de l’étude du calendrier paléosismique au front de la chaîne himalayenne à la quantification de l’impact de la taille d’un bassin versant sur l’incision fluviatile. Le lien entre ces extrêmes apparents est constitué par les formations superficielles, marqueurs à la fois des processus tectoniques, érosifs et climatiques. En effet, ces objets morphologiques contiennent des informations sur les processus qui ont eu lieu avant leur formation grâce à l’enregistrement sédimentaire et géochronologique des clastes qui les composent, et après leur formation, leurs géométries caractéristiques permettant de quantifier les déformations subies ou les éventuels processus d’érosion auxquels ils sont soumis (Figure 1). L’étude des formations superficielles peut donc révéler plusieurs histoires d’un seul coup. Et puisque ces histoires sont intimement liées, il est à mon avis fondamental de n’en négliger aucune pour toutes les comprendre.

Parmi les formations superficielles, celles qui enregistrent les événements et les processus de la façon la plus complète sont sans doute les terrasses alluviales. Cela est dû en premier lieu à leur mode de formation, dépendant de l’interaction entre les variations climatiques et les mouvements tectoniques, et de la disponibilité de sédiments dans le bassin versant. Leur géométrie longitudinale aux principaux cours d’eau en fait des marqueurs potentiellement continus sur de grandes distances au sein des chaînes de montagne, ce qui permet d’analyser les variations stratigraphiques/sédimentologiques de la source au bassin et les perturbations de la morphologie au travers des structures géologiques. L’abandon sub-instantané des terrasses par l’action fluviatile implique que la surface, subparallèle au cours d’eau d’origine, peut être utilisée comme marqueur chrono-morphologique pour déterminer des vitesses d’incision verticale des rivières ou des taux de déformation par des failles ou par des plis. Enfin, la surface plane et faiblement inclinée des terrasses est un atout dans la préservation

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de leur forme originale vis-à-vis de l’érosion, ce qui est d’ailleurs un paramètre très important

pour la datation par nucléides cosmogéniques produits in situ comme le 10Be.

Figure 1 : Représentation 3D des formations superficielles au sein d’un bassin versant (synthèse inspirée de morphologies observées dans les Alpes, l’Asie Centrale, l’Himalaya et les Andes). Possibles histoires d’exhumation/transport/dépôt pour différents clastes provenant du contexte glaciaire (jaune), gravitaire (violet) et fluviatile (bleu).

Dans l’enseignement de la géologie, généralement on ne prête pas aux formations superficielles la même considération qu’aux formations du substratum rocheux. En cartographie, étant systématiquement discordantes sur le reste, les formations superficielles

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sont plutôt perçues comme des obstacles à la bonne reconstitution des limites géologiques des formations anciennes. A cause de leur faible épaisseur, elles ne peuvent pratiquement jamais être représentées sur les coupes à l’échelle. Enfin, quand on connaît les difficultés pour les dater correctement, certaines appellations qui renvoient à des périodes bien précises du Quaternaire pour des dépôts alluviaux, gravitaires ou glaciaires laissent systématiquement plus d’un doute. Pour toutes ces raisons les formations superficielles sont souvent mal aimées par les étudiants. Voire par leurs enseignants. Leur couleur grise et terne sur les cartes géologiques vis-à-vis des jolies couleurs pétantes des formations anciennes témoigne clairement de ce sentiment. Pourtant ces formations ont une importance fondamentale à tout point de vue.

D’abord les formations superficielles sont pratiquement omniprésentes, et la grande majorité des constructions et activités anthropiques repose dessus. Leur exploitation en termes de matériaux de construction et de réservoirs est essentielle, et tout aussi importante que celle des autres formations géologiques. En Savoie, cet aspect est particulièrement évident lorsqu’on regarde les emplacements des carrières et la configuration des réseaux d’approvisionnement en eau des centres urbains. Enfin, les formations superficielles sont le résultat des derniers événements qui ont modelé le paysage. Elles peuvent donc nous renseigner sur les processus géologiques les plus récents ou en cours et permettre de les quantifier.

Dans la première partie de ce manuscrit je vais montrer, en partant d’une rapide présentation de l’état de l’art relatif à chaque domaine, les potentialités de l’étude des formations superficielles à travers des travaux que j’ai réalisés. Je commencerai par l’analyse de l’enregistrement climatique par les terrasses alluviales et de l’influence du contexte morphologique/hydrologique dans leur formation. Ensuite je montrerai quelles sont les informations que l’analyse du nucléide cosmogénique 10Be in situ peut nous livrer dans les contextes fluviatiles et glaciaires en termes d’érosion et de transport des sédiments. J’illustrerai comment l’étude des formations superficielles, conjointement à l’utilisation de techniques géodésiques et géophysiques, permet d’avancer dans la compréhension de l’évolution de la déformation active d’une région. Je conclurai sur les projets de recherche originaux que j’aimerais développer dans les années à venir.

Dans la deuxième partie je présenterai mon Curriculum Vitae, avec mes collaborations, les encadrements d’étudiants et de jeunes chercheurs, mes responsabilités scientifiques, mon activité d’enseignement, la vulgarisation de la science, et mes publications.

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I.

LES FORMATIONS SUPERFICIELLES DANS MES TRAVAUX DE

RECHERCHE

1. Genèse et enregistrement climatique des terrasses alluviales

Les terrasses alluviales ont suscité l’intérêt des Hommes, avant le mien, depuis la nuit des temps. En effet, les caractéristiques liées à leur composition et leur morphologie ont été largement utilisées au cours de l’Histoire et le sont encore aujourd’hui. L’exploitation de leurs sols limoneux à proximité de cours d’eau a favorisé l’essor de l’agriculture. L’extraction des sédiments sableux et graveleux qui les constituent fournit des matériaux de construction privilégiés en qualité et en quantité. L’usage de leurs surfaces planes et allongées a permis le développement aisé de centres urbains et de grands axes de communication le long des vallées. Et les Géologues ? Beaucoup plus tard, ils ont aussi fini par s’intéresser de près à ces objets. Il

a fallu attendre la 2ème moitié du XIXème siècle pour que des géomorphologues comme

Hitchcock (1857), Gilbert (1877) et d’autres, avec les premières explorations de l’Ouest Américain, comprennent le réel potentiel des terrasses alluviales pour reconstituer la paléogéographie des vallées dans une optique évolutive du relief (Figure 2).

Figure 2 : Premières représentations en carte (A), en coupe (B) et en vue panoramique (C) de terrasses alluviales dans des études géomorphologiques (Hitchcock, 1857 ; Gilbert, 1877).

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C’est en effet à cette époque qu’on commence à considérer les rivières, au même titre que les glaciers, comme des agents naturels capables de sculpter et modifier le paysage de façon profonde. Depuis, les géomorphologues ne cessent de s’intéresser aux trois principaux processus liés à cette action: érosion, transport et dépôt fluviatile. Ce n’est pas tout, avec l’avènement de la Tectonique des Plaques les terrasses deviennent en outre de très bons marqueurs pour quantifier la déformation active à l’échelle d’une faille, d’un pli, ou d’une chaîne de montagne. Cette spécificité fait qu’aujourd’hui l’étude des terrasses alluviales est au centre des grandes questions environnementales et sociétales, qui vont de l’appréhension du climat quaternaire à l’estimation de l’aléa sismique.

La formation d’une terrasse alluviale résulte de l’abandon du lit d’une rivière par une incision verticale. Ce phénomène se produit lors de la rupture d’un équilibre entre charge solide et débit liquide à un moment de la vie d’une rivière (Gilbert, 1877 ; Lane, 1955 ; Bull, 1979) (Figure 3). D’après la relation de Lane, nous avons en effet :

𝑄𝑠× 𝐷50 ∝ 𝑄𝑤× 𝑆

Où Qs est le débit solide, D50 est la taille médiane des sédiments transportés, Qw est le débit liquide, et S la pente de la rivière.

Figure 3 : Balance de Lane (d’après Lane, 1955).

Qs

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Tant que le terme de droite et le terme de gauche sont en équilibre, les sédiments qui se

déposent en un point donné du profil en long du cours d’eau sont immédiatement remobilisés et nous n’observons ni aggradation ni incision. Lors de cette situation (graded condition), les sédiments de la rivière balayent le lit majeur de façon latérale. Si cette période est suffisamment longue, les sédiments peuvent créer une surface d’abrasion aplanie à la base (strath). Par contre si on augmente le terme de gauche relativement au terme de droite, on aura localement accumulation d’alluvions sur une épaisseur plus importante et donc un phénomène d’aggradation. Pour que la rivière incise verticalement son lit et que des terrasses – d’abrasion ou d’aggradation – puissent se créer, il faut que les proportions charge solide/débit liquide s’inversent en faveur de ce dernier. C’est ce que j’ai observé pour la première fois au cours de ma thèse de doctorat dans la vallée de la rivière Bitut, en Mongolie, où j’ai interprété la formation des terrasses d’abrasion comme une conséquence de la diminution de sédiments disponibles dans le bassin versant au cours des périodes interglaciaires, caractérisées par un climat moins aride comparé aux périodes glaciaires (Figure 4).

Figure 4 : Série de terrasses d’abrasion de la rivière Bitut dans la chaîne du Gobi-Altay (Mongolie) abandonnées lors des périodes inter-glaciaires (Vassallo et al., 2007a).

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Plus récemment, j’ai pu constater que ce processus se produit également de façon courante et facilement observable en aval des barrages artificiels à une échelle de temps beaucoup plus courte : les eaux relâchées pauvres en sédiments (hungry waters) cherchent à se réalimenter très rapidement en charge solide en provoquant une érosion systématique du substratum rocheux (ce qui a une conséquence sur le génie civil beaucoup plus immédiate et fâcheuse que les phénomènes inter-glaciaires au fin fond de la Mongolie…).

Une de mes interrogations vis-à-vis de la genèse des terrasses est donc la suivante : quels sont les paramètres macroscopiques en jeu qui déterminent les variations des rapports charge solide/débit liquide à l’échelle d’un bassin versant à l’origine des phénomènes d’aggradation et d’incision ? La réponse la plus intuitive est probablement le climat. Toutefois, en analysant ce paramètre en détail, on s’aperçoit rapidement que la manière dont il intervient n’est pas simple. D’abord, le climat est caractérisé à la fois par une variabilité spatiale – régions tempérées, arides, semi-arides, tropicales, océaniques, polaires, etc. – et par une variabilité temporelle –

cycles de Milankovitch (104-105 ans), variations millénaires et séculaires. D’où deux questions

intimement liées : est-ce que les terrasses alluviales ont tendance à se former à la même époque dans les différentes régions climatiques ? Et est-ce que les terrasses mondiales se créent selon le rythme des basses ou des hautes fréquences des variations climatiques temporelles ?

Les données de la littérature et les études auxquelles j’ai participé montrent que la régionalité du climat joue un rôle important dans la genèse des terrasses. Cependant le rapport de cause à effet est loin d’être évident. Il s’avère que dans la plupart des systèmes fluviatiles, les principales phases d’aggradation se font pendant les périodes froides, tandis que les incisions se font généralement aux transitions des périodes glaciaires/interglaciaires. Ce comportement a été observé aussi bien dans les systèmes sous climat semi-aride de Mongolie (Ritz et al., 1995 et 2006 ; Vassallo et al., 2005 et 2007) ou du Maroc (Arboleya et al., 2008; Delcaillau et al., 2010), que sous le climat tempéré du Nord-Ouest Europe (van den Berg, 1996 ; Bridgland, 2000 ; Bridgland et al., 2004) ou sous le climat tropical du Venezuela (Guzman et al., 2013). Par contre si on prend les grandes rivières sous climat tempéré d’Europe centrale (Antoine et al., 2000 et 2003; Cordier et al., 2004 et 2006) et des Rocky Mountains aux Etats-Unis (Hancock et al., 1999 ; Sharp et al., 2003 ; Hanson et al., 2006), ou les petites rivières d’altitude sous climat tropical (Guzman, 2013), les incisions se font au contraire lors des transitions des périodes interglaciaires/glaciaires. D’autres rivières montrent enfin des cycles de formation des terrasses bien plus courts lors de variations très rapides du climat (variations séculaires ou millénaires), comme dans le Sud de l’Angleterre (Vandenberghe, 1995 ; Bridgland, 2001), dans

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les régions méditerranéennes (Macklin et al., 2002 ; Guzman et al., 2014), ou dans le contexte climatique tempéré mais relativement instable des Alpes du Sud de Nouvelle Zélande (Bull and Knüpfer, 1987).

D’après ces observations, il est difficile de trouver des liens évidents entre régionalité climatique et chronologie des incisions. En effet nous avons à la fois des incisions synchrones pour des régions climatiques différentes et des incisions dyachrones pour une même région. L’analyse détaillée de rivières d’Albanie (climat méditerranéen) et du Venezuela (climat tropical) réalisée par O. Guzman lors de son doctorat sous ma co-direction a permis de décrypter ce signal au vu de l’interaction du climat avec d’autres paramètres. Les fluctuations climatiques ont une influence directe sur l’évolution des précipitations et de la végétation en chaque point d’un bassin versant. Mais les disponibilités à l’échelle du bassin (ou une partie de celui-ci) en eau et en sédiments, qui vont modifier l’équilibre de la balance de Lane, sont modulées par l’altitude, la taille du bassin versant, et par la présence ou non de glaciers en amont. Ainsi en Albanie nous pouvons avoir en même temps de l’aggradation dans les grands bassins versants et de l’équilibre dans les petits lors des périodes glaciaires froides et sèches (Figure 5). Ceci est dû au fait que les grands bassins versants comprennent des zones de haute altitude où les glaciers produisent des quantités importantes de sédiments et où la couverture végétale raréfiée favorise les mouvements gravitaires et l’érosion mécanique des versants. Ces processus alimentent les cours d’eau en charge solide, qui devient donc supérieure au débit liquide. En revanche, dans les petits bassins versants, les pentes désenglacées et relativement végétalisées sont plus stables et ce qui en résulte est une charge solide en équilibre avec le débit liquide. Lors de ces périodes froides, nous observons également des différences au Venezuela, mais cette fois entre les hautes et les basses parties d’un même bassin versant. Dans les parties hautes, où l’action érosive des glaciers tropicaux est encore plus efficace qu’en Albanie, l’aggradation est conséquente (dépôts jusqu’à 80 m d’épaisseur et blocs de 10 m de diamètre). Dans les parties basses, où les cours d’eau ont perdu la majorité des sédiments grossiers, ce qui domine c’est l’incision verticale et l’abandon de terrasses. Ces différences peuvent être accentuées par la variabilité climatique spatiale au sein de la même chaîne de montagnes due à la configuration topographique vis-à-vis de la circulation atmosphérique. Ce type de réponse différentielle du système de drainage entre parties hautes et basses a été également décrit en Bulgarie par d’autres auteurs (Mishev, 1964 ; Starkel, 2003).

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Concernant la fréquence de formation des terrasses, pour des chaînes de montagnes caractérisées par un soulèvement tectonique modéré (0.1-1 mm/an), les résultats sont similaires d’une région climatique à une autre. Dans les cas d’étude des Albanides (Guzman et al., 2014), des Andes de Merida (Guzman et al., 2013), ou des chaînes mongoles de l’Altay et du Gobi-Altay (Vassallo et al 2007; Rizza et al., 2011), nous observons plusieurs terrasses par cycle climatique de Milankovitch. Ce qui est intéressant, c’est que la taille des terrasses – en largeur et en épaisseur de couverture sédimentaire – n’est pas corrélée avec la « taille » des oscillations climatiques auxquelles elles sont associées. Par exemple, au Venezuela, les terrasses principales du Rio Santo Domingo se forment lors de courtes périodes froides et sèches (stadial periods) à l’intérieur d’une longue période relativement chaude et humide (El Pedregal interstadial period). En Albanie la fréquence de formation et de préservation des terrasses est encore plus élevée et apparaît relativement synchrone des événements d’Heinrich (débâcles d’icebergs en Atlantique Nord au cours de la période glaciaire) (Figure 6).

Figure 5 : Rivières en aggradation, en équilibre, ou en incision à la même période (glaciaire) en fonction de la taille du bassin versant (ex. Albanie) ou de l’altitude et de la présence de glaciers (ex. Venezuela).

Modifié d’après Guzman 2013.

ALBANIE

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Figure 6 : La formation de terrasses, en contexte méditerranéen comme en contexte tropical, se fait lors des oscillations climatiques mondiales de 1er ordre (transitions périodes glaciaires/interglaciaires) et

de 2nd ordre (Heinrich events, stadial periods). D’après Guzman (2013).

Il semblerait ainsi que les oscillations climatiques de 2nd ordre soient suffisamment importantes pour déséquilibrer le système et être enregistrées dans le paysage de ces montagnes. Parallèlement, le soulèvement des massifs entre deux événements climatiques engendre des incisions verticales assez conséquentes pour permettre de préserver les marqueurs abandonnés vis-à-vis des périodes d’aggradation successives. La tectonique ne dicte donc pas le rythme de la formation des terrasses alluviales, mais c’est bien elle qui crée le potentiel pour l’incision fluviatile et donc la préservation de ces marqueurs. Cependant, l’incision peut être retardée de plusieurs millénaires – example du Gobi-Altay (Vassallo et al., 2007a) –, voire millions d’années – example du NE Tibet (Craddock et al., 2010) – par des causes climatiques ou de barrages orographiques/lithologiques/géomorphologiques le long des cours d’eau. Paradoxalement, on peut donc parfois observer une phase d’incision fluviatile majeure lorsque la tectonique n’est plus ou très peu active (ce qui réhabilite en quelque sorte la théorie daviesienne du cycle géomorphologique…).

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Ces résultats permettent de répondre aux questions de départ et d’en tirer des implications importantes pour l’utilisation des terrasses alluviales dans des études de morphotectonique ou de paléoclimatologie :

• Pour des zones climatiques très différentes (méditerranéenne et tropicale) les

terrasses peuvent se former aux mêmes périodes ;

• Les terrasses sont la réponse des rivières aux oscillations climatiques mondiales,

mais cette réponse est modulée en intensité et en typologie par des paramètres de premier ordre comme l’altitude, la taille du bassin versant, l’éventuelle présence de glaciers ;

• Les terrasses se forment aussi bien lors des oscillations climatiques majeures

(cycles de Mylancovitch) que lors de celles de moindre intensité et plus haute fréquence (événements d’Heinrich, variabilité séculaire de périodes chaudes/froides) ;

• L’aggradation et l’incision d’une rivière le long de son profil longitudinal sont

des processus le plus souvent diachrones entre la partie basse et la partie haute du bassin versant. Ceci peut être vrai également pour des rivières appartenant à des bassins versants voisins et soumis au même climat ;

• Une même terrasse peut présenter une typologie variable – emboitée ou

d’abrasion – entre les différentes parties du bassin versant.

En conclusion de cette partie, la variabilité climatique apparaît bien comme le facteur principal du déclenchement de déséquilibres le long d’une rivière ; par contre ce sont les paramètres locaux qui vont conditionner le type de réponse de la rivière, ou des différentes parties de celle-ci, en termes d’aggradation ou d’incision. Il en résulte que la corrélation entre les reliques de terrasses le long d’une rivière sur des distances importantes (i.e. >10 km) peut être très hasardeuse si basée sur des critères purement géométriques ou stratigraphiques. Des datations absolues doivent venir supporter ces corrélations dès que le contexte géologique/hydrologique au sein du bassin versant varie. Vice-versa, les terrasses alluviales dans des contextes de soulèvement tectonique modéré peuvent être des bons proxies pour caractériser les oscillations climatiques de haute fréquence, à condition de pouvoir être datées avec une précision suffisante.

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2. Erosion et transport millénaires dans les bassins versants

Grâce à l’analyse géomorphologique et à la mesure des concentrations en nucléides cosmogéniques in situ (TCN en anglais) dans les sédiments des terrasses alluviales et des autres formations superficielles du bassin versant, nous pouvons reconstruire des histoires d’érosion et de transport à l’échelle de quelques milliers d’années.

Depuis les travaux pionniers de Brown et al. (1995) et de Granger et al. (1996), les TCN

(et notamment le nucléide le plus utilisé : le 10Be) ont été largement employés pour déterminer

les taux d’érosion de bassins versants. L’approche se base sur l’hypothèse que les sédiments collectés dans une rivière à l’exutoire d’un bassin versant ont une concentration en TCN accumulée sur les versants lors de l’exhumation du substratum. Cette concentration, pour chaque grain, est inversement proportionnelle au taux d’érosion local sur le versant (plus vite on érode, moins de nucléides ont le temps de s’accumuler). A l’exutoire, le transport des sédiments est supposé être suffisant pour obtenir un mélange représentatif de tout le bassin. On peut ainsi calculer un taux d’érosion moyen du bassin versant (ɛ, en cm/an) en appliquant l’équation suivante :

𝜀 =𝑃 ×

𝐿 𝜌 𝑁

Où P (at/g/an) est le taux de production moyen dans le bassin versant, L (g/cm2) est la longueur

d’atténuation des particules cosmiques dans les roches, ρ (g/cm3) est la densité des roches et N

(at/g) est la concentration en TCN.

Cette équation n’est valable que si deux hypothèses fortes, mais nécessaires, sont réalisées : 1) l’accumulation de TCN durant le transport des sédiments jusqu’à l’exutoire doit être négligeable vis-à-vis du temps d’exposition sur les versants ; 2) l’exhumation en tout point du bassin versant doit être constante dans le temps. Dans mes travaux de recherche, d’un côté je me suis servi de cette approche pour quantifier l’impact des paramètres qui déterminent les taux d’érosion dans différents contextes et de l’autre côté j’ai focalisé mon attention sur les hypothèses qui sont à la base de l’applicabilité de la méthode.

J’ai pu mettre en application cette approche dans les Andes Pacifiques lors de mon post-doctorat au LMTG Toulouse, en travaillant avec Sébastien Carretier et Vincent Regard. Cette chaîne a été choisie pour le fort gradient climatique qui va du Sud Pérou (<10 cm/an de pluie) au Chili Central (>2 m/an) et pour la possibilité d’étudier les processus géomorphologiques

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dans des bassins versants de surface comparable. Un des résultats les plus importants a été la mise en évidence des relations entre les taux d’érosion millénaires et les taux décennaux

vis-à-vis de paramètres clés comme le climat ou la pente, en couplant la méthode TCN (10Be) et

l’analyse des relevés de matière en suspension dans les rivières chiliennes (Carretier et al., 2013). A la fois taux millénaires et taux décennaux dépendent au premier ordre de la pente moyenne des bassins versants, alors que les relations avec le climat sont plus complexes (Figure 7). Ce qui est évident, c’est la différence entre les deux taux d’érosion dans les zones arides, où les taux millénaires sont systématiquement plus élevés (jusqu’à 12 fois). Nous avons interprété cette différence comme le manque d’enregistrement des événements pluvieux exceptionnels, qui sont caractérisés par des fréquences pluri-décennales ou centenaires, et qui peuvent constituer à eux seuls jusqu’à >90% du taux d’érosion d’un bassin versant. Cela signifie que la variabilité climatique à long terme est très importante dans les régions arides, alors qu’elle est quasi-nulle dans les régions plus humides au Sud de 33 °S. De plus, de manière pas forcément intuitive, la variabilité climatique des zones arides se traduit par une efficacité érosive significativement plus importante que la pluviosité élevée et constante qui affecte les zones humides.

Figure 7 : Variations latitudinales des paramètres qui contrôlent l’évolution du relief et des taux d’érosion dans les Andes chiliennes. A : Pente moyenne, précipitations et couverture végétale ; B : Taux d’érosion décennaux (en noir) et millénaires (en rouge) ; C : Carte des bassins versants étudiés ; D : Rapport entre taux millénaires et décennaux. D’après Carretier et al. (2013).

D

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Lors de ce travail, des questions de fond sur les potentialités et les limites de la méthode TCN ont surgi. Est-ce que les sables, échantillonnés de préférence car ayant une statistique imbattable de plusieurs milliers de grains, sont réellement la fraction sédimentaire la plus indiquée pour déterminer le taux d’érosion d’un bassin versant ? Que peuvent apporter les sédiments plus grossiers ? Comment se fait le transfert des différentes granulométries de sédiments depuis la source jusqu’à l’exutoire ? Est-ce que les concentrations mesurées représentent un taux d’érosion ou bien des processus plus complexes ?

Bien que les sables permettent d’échantillonner indirectement tout un bassin versant (ou du moins toutes les parties de celui-ci qui contiennent du quartz), les fractions plus grossières comme les graviers ou les galets ont l’avantage de pouvoir identifier les sources liées à des lithologies précises. L’analyse des concentrations TCN dans ces granulométries (généralement dans ce cas un échantillon est constitué d’un amalgame d’au moins 30 clastes) devrait donc permettre de déterminer des taux d’érosion à l’échelle des zones d’affleurements relatives. La différence de taille des sédiments est cependant un facteur non-négligeable, qui peut biaiser le signal TCN soit relativement au mode d’exhumation des roches, soit relativement au type de transport. Dans l’article de Carretier et al. (2015a) nous montrons que le rapport de

concentrations 10Be entre graviers/galets et sables dépend d’une multiplicité de paramètres, et

il est donc variable selon le contexte géomorphologique (Figure 8).

Figure 8 : Variations latitudinales des rapports de concentrations 10Be entre la fraction grossière

(galets et graviers) et les sables dans les rivières péruviennes et chiliennes. Vis-à-vis des galets le rapport est quasi-systématiquement inférieur à 1, alors que vis-à-vis des graviers le rapport est variable. D’après Carretier et al. (2015a).

(20)

18

Souvent, on ne peut pas discriminer entre plusieurs causes pour expliquer comment la valeur de ce rapport se fixe. Si le rapport entre la fraction grossière et les sables est inférieur à 1, les hypothèses les plus probables concernent la provenance de la fraction grossière, qui se situe dans des zones s’érodant plus vite ou principalement localisées dans les parties basses du bassin versant où le taux de production de TCN est moindre. Si le rapport est supérieur à 1, on peut au contraire penser que les galets/graviers sont plutôt générés par gélifraction/thermoclastie dans les parties hautes du bassin versant où la production de TCN est élevée, ou que le temps de transport de ces sédiments grossiers est long comparé à celui du sable. Enfin, si le rapport est proche de 1, il est probable que le taux d’érosion du bassin versant soit relativement homogène dans toutes ses parties et que les sédiments soient évacués rapidement. D’autres causes peuvent se rajouter, comme : l’attrition qui réduit la taille des clastes – et parallèlement génère des particules plus fines – le long de leur chemin ; un mélange pas très efficace lié aux modes de transport ; la présence de nombreux glissements de terrain profonds ou de glaciers volumineux qui mettent en circulation de grandes quantités de sédiments pauvres en TCN ; le recyclage de sédiments stockés dans des dépôts temporaires.

La variabilité du rapport de concentrations TCN entre fraction grossière et sable montre également que ce qui est enregistré dans les sédiments (donc aussi dans le sable) ne correspond pas toujours à un taux d’érosion moyen représentatif de tout un bassin versant. Ceci a été montré différemment en analysant les taux d’érosion brutes et les taux d’érosion pondérés par le contenu en quartz des différentes lithologies de bassins andins (Carretier et al., 2015b). Dans cette étude, nous constatons que la corrélation du taux d’érosion avec un paramètre morphologique comme la pente moyenne, par ailleurs estimé être un facteur principal de contrôle de l’érosion, est sensiblement améliorée lorsque le « poids » des granitoïdes et de leurs pentes topographiques est pris en compte (Figure 9).

Ce résultat est dû au fait que, dans ce cas d’étude, les lithologies à plus forte teneur en quartz sont probablement aussi celles qui s’érodent plus vite, fournissant ainsi une grande proportion des grains qui se retrouvent à l’exutoire. Les lithologies peu quartziques qui s’érodent lentement sont par conséquent peu représentées dans le mélange final, et donc la quantification d’un taux d’érosion moyen du bassin versant n’est pas possible. Une solution envisageable dans ce genre de contextes est d’échantillonner plusieurs sous-bassins pour avoir une cartographie plus précise des possibles variations spatiales du taux d’érosion. Malheureusement le contrôle lithologique du taux d’érosion n’est pas souvent prévisible a

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19

Figure 9 : Taux d’érosion des bassins versants du Sud Perou et du Nord Chili calculés (A) ne tenant pas compte des proportions de quartz par lithologie, (B) pondérés par les proportions de quartz, (C) en pondérant en plus les pentes associées aux lithologies quartziques, et (D) en

tenant compte uniquement de la contribution des granitoïdes.D’après Carretier et al. (2015b).

Pour suivre l’évolution de la concentration en TCN spatialement et temporellement, nous avons réutilisé les échantillons mesurés lors de ma thèse dans un bassin versant

non-englacé d’environ 80 km2 dans le Gobi-Altay (Mongolie), en climat semi-aride (Vassallo et al.,

2011). Il s’agit de granites du substratum rocheux, de colluvions de pente, d’alluvions dans la rivière active et dans des terrasses âgées entre 5 et 300 ka (Figure 10).

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20

Figure 10 : Vue 3D du bassin versant de la rivière Bitut dans le Gobi-Altay (Mongolie), avec les concentrations 10Be représentées par des cercles. Pour P0, T1, T2 et T3 il s’agit de moyennes pondérées

sur plusieurs échantillons (Vassallo et al., 2011).

A partir du plateau sommital, dans un couloir de blocs granitiques métriques et anguleux, nous observons une augmentation de presque 2 ordres de grandeur de la

concentration 10Be entre la source et le bas de la pente de colluvions sur 500 m de dénivelé

(Figure 11). Cela montre que le transport dans cette partie, purement gravitaire, est lent et surtout loin d’être négligeable en termes de 10Be accumulé. Il faut préciser que ce type de mouvement n’affecte pas la totalité des hauts versants. En effet en 2005, lors d’un fort orage, nous avons été témoins du détachement de gros blocs à partir d’un affleurement de substratum qui ont dévalé toute la pente sur plusieurs centaines de mètres en quelques secondes. Par conséquent, selon leurs sources, les blocs qui se retrouvent dans le réseau de drainage principal peuvent déjà avoir des histoires d’exposition très différentes et plus ou moins complexes.

(23)

21

Figure 11 : A) Morphologie des parties hautes du bassin versant de Bitut ; B) Distribution des concentrations 10Be sur le bord du plateau sommital (substratum) et dans un couloir de blocs métriques

le long de la pente du versant sous-jacent (Vassallo et al., 2011).

Ensuite, une fois les blocs transférés dans le réseau de drainage, le transport peut devenir en moyenne plus rapide, à moins que les sédiments soient piégés dans des formations alluviales relativement durables comme les cônes et les terrasses. Ceci a été probablement le cas d’au moins 4 blocs (sur 19), situés dans le lit actif et sur la terrasse la plus récente, qui ont

des concentrations 10Be entre 4 et 22 fois plus élevées que la moyenne pondérée calculée sur

les autres blocs (Figure 12A). Parmi les blocs restants, dans 2 blocs échantillonnés à leur sommet et à leur base, nous observons une concentration légèrement plus élevée à la base, signe que là aussi un héritage lié à une pré-exposition existe. On peut donc conclure qu’une partie des sédiments accumule des concentrations de TCN non-négligeables – voire très majoritaires par rapport aux concentrations totales – lors des différentes phases de transport gravitaires et fluviatiles. Dans ce cas, quand nous collectons des galets ou du sable (il ne faut pas oublier que

A

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22                                                                             t x f t x s t x n t inh f f s s n n e PoP s e e PoP f e e e Pn Po e C t x C                      , ) . . . 1 . . 1 . . 1 , (

l’abrasion de blocs concentrés donne aussi des grandes quantités de grains de sable sur-concentré !) à l’exutoire du bassin versant, quel type de signal analysons-nous ? Sans doute pas seulement un taux d’érosion.

L’analyse des terrasses alluviales plus anciennes, pour lesquelles nous avons effectué un double échantillonnage en surface et le long de profils en profondeur (environ 2 m), permet également de voir que les épisodes érosifs ne sont pas constants dans le temps. Ces terrasses sont constituées par des dépôts de coulées de boue et de débris, avec des blocs métriques

arrondis enchâssés dans une matrice silto-sableuse. La distribution des concentrations 10Be en

profondeur est régie par l’équation suivante :

Figure 12 : Concentrations 10Be

dans les échantillons de surface (A) et dans les profils en profondeur des terrasses T2 et T3 (B) de la vallée de Bitut. Modifié d’après Vassallo et al. (2007 et 2011).

B A

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23

où C(x, ε, t) est la concentration 10Be (at/g) en fonction de la profondeur, du taux de dénudation de la surface et du temps d’exposition ; Cinh est la concentration de 10Be hérité (at/g); P0 est le taux de production en surface (at/g/an) et Pn, Pμs, Pμf sont les contributions relatives des neutrons, slow muons et fast muons ;  est la longueur d’atténuation des particules dans les roches (g/cm2) ; λ est la constante de désintégration du 10Be (an-1).

Les profils dans les terrasses T2 et T3 montrent des concentrations 10Be qui décroissent

exponentiellement en profondeur avec une faible dispersion selon la loi théorique (Figure 12B). Cela signifie que ces concentrations ont été très majoritairement acquises après le dépôt, avec une composante héritée relativement petite (de l’ordre de 10%) et homogène. Ces résultats impliquent, pour chaque terrasse, une histoire pré-dépôt des sédiments associée à un important épisode érosif qui permette d’exhumer instantanément des roches avec de très faibles concentrations (situées donc à plus de 2 m de profondeur) et un transport assez rapide qui évite les stockages prolongés dans des pièges sédimentaires temporaires. Ce scénario est donc bien différent de celui qu’on vient de décrire pour les périodes « normales ». Si l’on croit aux datations, ces événements érosifs semblent se produire avec des fréquences très faibles, de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers d’années. Cependant, dans le bilan érosif du massif, ils représentent la majorité des volumes exportés. La seconde hypothèse de la méthode TCN pour la quantification des taux d’érosion, qui prévoit des taux constants au cours du temps, est donc également mise à mal dans ce contexte.

Ces résultats et considérations n’ont pas vocation à délégitimer la méthode, mais à prendre conscience que pour pouvoir quantifier le taux d’érosion d’un bassin versant il faut tout d’abord une analyse approfondie de sa géologie et des processus de surface qui déterminent son histoire quaternaire. Ensuite, quand une hypothèse trop simpliste n’est pas applicable, il faut en tenir compte en estimant une incertitude réaliste (et pas uniquement analytique) ou en proposant un scénario plus complexe pour expliquer les résultats. Parfois, il faut tout simplement prendre acte que la méthode n’est pas adaptée au contexte étudié et changer de stratégie, par exemple en décomposant l’analyse sur plusieurs sous-bassins ou sur plusieurs types de marqueurs afin de mieux caractériser les hétérogénéités spatiales et temporelles de l’évolution du relief.

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24

3. Datation par 10Be in situ de terrasses alluviales et héritage

L’analyse de la distribution des concentrations 10Be en profondeur dans les terrasses

alluviales est aussi fondamentale pour mieux comprendre l’histoire pré-dépôt des sédiments et améliorer la datation de ces marqueurs. En effet, trois cas principaux peuvent se présenter :

1) On observe une décroissance exponentielle et une asymptote en profondeur proche de

zéro, ou en tout cas négligeable par rapport à la concentration en surface : dans ce cas on peut considérer un héritage négligeable et l’inversion des données pourra se faire uniquement sur le taux d’érosion et le temps (ex. : Guzman, 2013) (Figure 13) ;

Figure 13 : Tranchée et profil en profondeur au site de Las Piedras dans les Andes de Merida au Venezuela (Guzman, 2013).10Be IC indique l’héritage moyen.

2) On observe une décroissance exponentielle, mais une asymptote en profondeur

non-négligeable par rapport à la concentration en surface : dans ce cas les échantillons ont une histoire pré-dépôt similaire et relativement longue par rapport à l’exposition post-dépôt. On doit donc estimer un héritage moyen et inverser les données en prenant en compte cette valeur (ex. : Oskin et al., 2008) (Figure 14) ;

Figure 14 : Profils en profondeur dans deux cônes alluviaux à Helendale et Lenwood en Californie. (Oskin et al., 2008).

Les bandes vertes indiquent les valeurs d’héritage estimées.

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25

3) On n’observe pas une décroissance exponentielle claire : dans ce cas les histoires

pré-dépôt sont trop différentes et tous les échantillons sont susceptibles d’avoir une composante d’héritage dans leur concentration. On ne peut donc déterminer qu’un âge maximal à partir de la courbe théorique qui passe par l’échantillon le moins concentré en surface et par l’échantillon le moins concentré en profondeur (ex. : Vassallo et al., 2015) (Figure 15).

Figure 15 : Tranchée et profil en profondeur dans la terrasse de Kotrenka, Jammu et Kashmir, Inde (Vassallo et al., 2015). L’âge maximal déterminé est cohérent avec les âges OSL et 14C obtenus au même

site.

Bien entendu, quand des contraintes sur le taux de dénudation de la surface sont disponibles par ailleurs, il faut les prendre en compte dans le raisonnement. Malheureusement ce paramètre reste souvent difficile à déterminer, même si des bornes maximales ou minimales peuvent être estimées à partir des observations de terrain.

Concernant la stratégie d’échantillonnage en profondeur, une question demeure ouverte : faut-il préférer du sable, des amalgames de graviers/galets, ou bien des galets simples ? Puisque cette question est intimement liée à ce qui est écrit plus haut, il me semble opportun d’en toucher un mot à la lumière des considérations précédentes. Nous avons vu que selon le contexte géomorphologique, les différentes fractions granulométriques peuvent accumuler des concentrations TCN pré-dépôt dans des rapports variables : concentration dans les fractions fines supérieure à la concentration dans les fractions grossières ou vice-versa. Nous ne pouvons donc pas savoir a priori dans quelle fraction nous aurons le moins d’héritage.

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26

A ma connaissance, aucune autre étude que celle d’Oskin et al. (2008) et celle que nous avons effectué sur les marqueurs affectés par la faille de Bolnay (Rizza et al., 2015) ne montre en parallèle des résultats sur un double échantillonnage en profondeur dans un dépôt alluvial. A Bolnay, au site d’Armoise Creek, la distribution des concentrations de 10Be dans les amalgames de galets et dans les sables montre clairement que les sables ont une concentration systématiquement plus élevée tout le long du profil (Figure 16). De plus, de façon très inattendue, l’échantillon de sable dans le cours d’eau actif a une concentration encore plus élevée que les échantillons de la terrasse. Le faible relief et le climat relativement aride avec des excursions thermiques diurnes et saisonnières importantes produisent en effet sur de vastes surfaces un régolithe sous forme de sable qui met beaucoup de temps à être évacué du bassin versant. À l’inverse, les galets proviennent de sources plus ponctuelles et sont transportés plus

rapidement lors des rares épisodes orageux estivaux. Ils contiennent donc moins de 10Be hérité

sur les pentes ou dans les cours d’eau non-pérennes. Le parallèle avec les résultats d’Oskin et al. (2008) dans un contexte similaire dans le désert de Mojave en Californie sur le cône de Lenwood est saisissant (Figure 14).

Figure 16 : Profil en profondeur dans une terrasse alluviale déformée par la faille de Bolnay (Mongolie). Le double échantillonnage, amalgame de galets et sables, montre que les sables ont une concentration 10Be systématiquement plus élevée (Rizza et al., 2015, supplementary data).

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27

Le sable présente donc toujours une meilleure statistique que les autres fractions, mais parfois, comme nous l’avons déjà vu plus haut pour la quantification des taux d’érosion des bassins versants, n’est pas forcément la meilleure fraction à utiliser à cause de son mode de formation et de transport. Les graviers, échantillonnés en amalgames d’au moins une trentaine de clastes et qui pourraient être un bon compromis en termes de statistique, dans certains contextes présentent l’inconvénient d’avoir des histoires pré-dépôt très variables, surtout dans les grands bassins versants (cf. Figure 8). Ils risquent donc d’accentuer la dispersion des concentrations le long du profil. Les galets offrent la représentativité statistique la plus faible (généralement 1 claste par niveau de profondeur) et leur transport fluviatile n’est pas toujours le plus rapide, mais ils ont l’avantage que leur source est connue. En outre, ils suivent généralement des chemins plus homogènes et contraints que les autres fractions.

Il n’existe donc pas, à mon sens, une fraction granulométrique intrinsèquement meilleure que les autres. La stratégie d’échantillonnage pour la datation doit elle aussi tenir compte du contexte géomorphologique, et avant tout de la qualité des échantillons qui peuvent concrètement être récoltés aux différentes profondeurs sélectionnées, qui est le plus souvent le vrai facteur limitant. L’important est de garder une cohérence dans l’échantillonnage en termes de granulométrie et si possible, pour les fractions grossières, de lithologie. Plus cette cohérence sera préservée, plus il y aura des chances que les échantillons aient des histoires pré-dépôt similaires et donnent des résultats plus facilement interprétables.

4. Datation par 10Be in situ de morphologies glaciaires

Après plusieurs études en contexte fluviatile, et fortement inspiré par la situation géographique de Chambéry, j’ai décidé de m’intéresser aux problématiques de la datation et à l’appréhension des dynamiques d’érosion/transport en contexte glaciaire. Dans ce contexte, du fait de la durée des périodes d’avancée et de retrait des glaciers (102-103 ans) et de la difficulté d’observation des phénomènes d’érosion au contact glace-substratum, nous n’avons pas accès à un véritable équivalent actuel des processus en jeu. Le caractère « imprévisible » de l’action des glaciers par rapport aux autres agents de façonnement du paysage se rajoute à cette difficulté. En effet, l’incision du relief par la glace ne répond pas à la logique simple des variations verticales d’un niveau de base. Localement, le passage d’un glacier peut laisser intacts des dépôts fragiles ou peu consolidés et en même temps creuser sur des dizaines, voire centaines de mètres dans des roches compactes et résistantes (e.g. la vallée de l’Isère entre

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28

Albertville et Grenoble, Figure 17). Les sédiments transportés sur le fond peuvent avoir une

action fortement abrasive ou au contraire jouer un rôle de protection sur le substratum.

Figure 17 : Vues 3D du relief (Géoportail IGN) et de la géologie (InfoTerre BRGM + Google Earth) de la vallée de l’Isère au niveau de Montmélian. Exemple du caractère « imprévisible » de l’action érosive du paléo-glacier de l’Isère, qui a raboté le substratum calcaire « résistant » de la butte de Montmélian et en même temps préservé les sédiments fluvio-lacustres « fragiles » du dernier interglaciaire.

Il est donc aujourd’hui très difficile de quantifier le pouvoir abrasif local d’un paléo-glacier ou de savoir si une surface a déjà été englacée/désenglacée sans être érodée. De plus, nous avons très peu de contraintes sur la complexité de l’histoire anté-dépôt des sédiments glaciaires. Est-ce que la plupart de ces sédiments sont produits ex novo à chaque glaciation ou est-ce qu’il existe une composante non-négligeable de remaniements d’anciennes moraines et d’autres formations périglaciaires ? Cet aspect a une importance cruciale sur les bilans érosifs

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déterminant pour la datation des formes du relief glaciaire et périglaciaire en tant que marqueurs morphologiques.

Les études récentes sur les morphologies glaciaires utilisent l’analyse par nucléides cosmogéniques (10Be, 26Al, 21Ne, 14C…) afin d’essayer de quantifier les amplitudes des événements érosifs et de dater les périodes d’avancées/retraits de la glace qui leur sont associées (e.g. Stone et al., 2003 ; Miller et al., 2006 ; Golledge et al., 2007 ; Ivy-Ochs et al., 2007 ; Briner, 2009 ; White et al., 2011). En principe, l’analyse des concentrations sur les blocs morainiques ou erratiques permet de dater l’abandon de ces blocs par la glace et le début de leur exposition au rayonnement cosmique (Figure 18). L’avantage de ce type de datation est que l’âge d’exposition des blocs correspond directement au début du retrait de la glace, alors que par exemple les datations par radiocarbone sur la matière organique s’appliquent à des sédiments qui pré-datent ou post-datent les dépôts glaciaires.

Figure 18 : Bloc erratique durant le transport supra-glaciaire (A) et après abandon sur un poli glaciaire (B)(glacier des Bossons, Mont Blanc).

Cependant, plusieurs facteurs qui précèdent ou qui succèdent le dépôt glaciaire peuvent altérer ces âges. D’un côté le facteur « héritage », qui correspond à l’accumulation de nucléides dans les blocs avant leur dépôt final, a pour effet d’augmenter l’âge apparent. Cet héritage est de plus en plus important lorsque l’histoire du bloc est complexe. De l’autre côté les facteurs post-dépôt – c’est-à-dire l’exhumation par ablation de la matrice, la désagrégation des blocs, le recouvrement temporaire par la neige ou d’autres sédiments – ont pour effet de rajeunir cet âge. Pour les facteurs post-dépôt, l’analyse du contexte morpho-stratigraphique permet de procéder à un type d’échantillonnage qui minimise ces effets. Par contre, il est impossible sur le terrain

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d’établir si un bloc contient une composante héritée ou pas. Le problème reste irrésolu et cela oblige les géochronologistes à calculer des âges en formulant des hypothèses rarement vérifiables. Il est en effet pratique courante de considérer comme « fiables » les blocs avec les âges apparents les plus jeunes, car supposés moins riches en héritage. Cela pose néanmoins deux autres problèmes : 1) si les facteurs post-dépôt ont un impact important ils peuvent conduire à sous-estimer l’âge réel ; 2) même en choisissant les blocs les plus jeunes d’une population, on ne peut pas exclure qu’ils contiennent des nucléides hérités.

Une approche complémentaire à la datation de blocs erratiques est la datation de polis glaciaires. Ces surfaces enregistrent également le retrait des glaciers, puisque les nucléides cosmogéniques commencent à être produits dans les roches du substratum une fois que celles-ci ne sont plus recouvertes par l’écran de la glace. Contrairement aux blocs, les polis ne sont pas sujets à un héritage lié au transport, mais ils peuvent toutefois enregistrer plusieurs périodes d’exposition si l’action du glacier n’est pas suffisante pour décaper plusieurs mètres de roche lors de chaque passage et remettre les compteurs à zéro (e.g. Miller et al., 2006 ; Corbett et al., 2009). Ainsi, on peut trouver des blocs erratiques avec des âges apparents post-wurmiens qui sont posés sur des polis glaciaires pré-datant la dernière avancée glaciaire, ou inversement des blocs « rissiens » abandonnés sur des surfaces « würmiennes » (Ivy-Ochs et al., 2007 ; Delmas, 2009). La conversion en âges des concentrations obtenues sur ces morphologies glaciaires n’est donc ni simple ni univoque, mais dépend fortement de notre appréhension des processus érosifs localisés.

Par conséquent, l’étude des polis glaciaires pose également des questions qui relient intimement processus de surface et datation, puisque la signification de l’âge d’exposition apparent d’un poli dépend de l’efficacité abrasive locale du glacier sur le substratum. De plus, nos observations dans la vallée de la Maurienne de polis glaciaires striés, que l’action torrentielle a récemment exhumés en incisant dans une moraine de fond et dans des coulées boueuses sur plus de 10 m d’épaisseur, montrent également que ces surfaces peuvent être mises à l’air libre longtemps après leur formation (Figure 19). Ce genre de scénario pourrait s’appliquer aux cas dans lesquels des blocs « anciens » sont abandonnés sur des surfaces qui ont des âges d’exposition « jeunes » (Delmas, 2009 ; White et al., 2011).

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Figure 19 : Poli glaciaire strié enfoui sous une moraine de fond et des coulées de boue, exhumé récemment par l’incision fluviatile à Pontamafrey (Savoie). Concentration 10Be en surface quasi-nulle.

Pour faire face à ces limites inhérentes à la méthode et mieux comprendre la complexité des processus de surface qui ont une influence primordiale sur les datations, nous avons mis en place une stratégie d’échantillonnage de surfaces polies et de blocs en relation stratigraphique simple afin de lever les ambiguïtés qui dérivent de la superposition de différents processus. En analysant les distributions de TCN dans des carottes extraites de polis et de blocs ayant la même histoire d’exposition post-glaciaire (exemple Figure 18B), nous pouvons tirer des conclusions

de 1er ordre concernant les scénarios d’exposition possibles – exhumation, transport,

enfouissement – de leur histoire ante-glaciaire.

Les sites savoyards de Montsapey, Aussois (vallée de la Maurienne) et Vaudagne (vallée de l’Arve) montrent des résultats similaires : pour un même site, les blocs ont systématiquement des concentrations plus élevées que les polis (Figure 20). De plus, les concentrations des blocs sur un même site sont variables et les échantillons à la base des blocs plurimétriques ont des concentrations non-nulles. Les profils dans les polis présentent des distributions de concentrations qui décroissent exponentiellement vers zéro au-delà de 2-3 m.

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Figure 20 : Concentrations 10Be dans les polis glaciaires (profils) et dans les blocs erratiques

sus-jacents aux sites de Montsapey (A) et Aussois (B) dans la vallée de la Maurienne. Modifié d’après Prud’homme et al. (2013).

Ces résultats signifient que si on avait voulu dater le retrait glaciaire en un site en prenant en considération que les blocs ou que le poli, nous n’aurions pas trouvé un âge identique ! Les différences de concentrations entre les blocs et les polis peuvent dériver d’une pré-exposition non négligeable dans les blocs, ou d’un enfouissement temporaire (moraine ? neige ?) des polis.

La variabilité de la concentration dans les blocs et la présence non-négligeable de 10Be à leur

base sont compatibles avec l’hypothèse d’un héritage accumulé lors de leur exhumation et transport. Ceci n’exclut pas que les concentrations des polis soient également biaisées par une production temporairement diminuée par un recouvrement de leur surface, mais pour le savoir

nous devrions utiliser des nucléides à plus courte demi-vie comme par exemple le 14C.

L’analyse des objets glaciaires plus récents confirme l’interprétation de ces résultats. Le retrait progressif du glacier des Bossons (Mont Blanc) découvre petit à petit des polis, pendant que l’écoulement du glacier vers l’aval vient y déposer des blocs. Nous avons échantillonné un

A B 14.2 ± 1.7 104 at/g 20.5 ± 1.4 104 at/g 16.7 ± 0.8 104 at/g 18.7 ± 0.9 104 at/g 19.3 ± 0.8 104 at/g

Surface poli glaciaire : 12.5 ± 0.5 104 at/g

Surface poli glaciaire : 16.4 ± 2.5 104 at/g

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33

bloc de granite plurimétrique tombé du bord du front glaciaire en 2013, à seulement quelques kilomètres de sa source, avec un âge post-dépôt égal à zéro (Figure 21). La mesure des

concentrations 10Be sur trois cotés a révélé des concentrations non-nulles et différentes. Selon

l’échantillon, nous avons donc des âges apparents qui vont de 700 ans à 1500 ans. Les trois concentrations non-nulles montrent que l’exposition avant le dépôt est loin d’être négligeable. La variabilité de la concentration au sein du bloc peut dépendre de : 1) la phase d’exhumation, lorsqu’un côté est plus exposé au bombardement cosmique que les autres ; 2) un transport saccadé, avec des arrêts plus ou moins longs dans une position donnée dans une moraine ; 3) la fragmentation du bloc même lors du transport. Des blocs comme celui-ci (la majorité ?) sont sans doute exhumés et transportés également par les grands glaciers du passé. Les histoires pré-dépôt de ces blocs, avec parfois des distances parcourues de plusieurs dizaines de kilomètres, sont potentiellement encore plus complexes.

Figure 21 : A) Bloc plurimétrique transporté sur le glacier des Bossons ; B) Le même bloc tombé du front du glacier en 2013. Concentrations 10Be non-nulles et différentes sur 3 côtés (à noter que le côté

le plus concentré présente une patine d’altération).

Le même site des Bossons nous fournit aussi une indication importante concernant les polis glaciaires. En effet, deux échantillons prélevés sur le poli tout juste désenglacé montrent des concentrations non-nulles, associées à des âges apparents de 500 et 1200 ans. Cette exposition a dû se faire lors d’un précédent retrait du glacier – qui a donc déjà été plus petit qu’actuellement – et implique que l’avancée successive du glacier n’a pas érodé suffisamment le substratum rocheux pour remettre le compteur des TCN à zéro.

Il reste donc de nombreuses questions à élucider sur les mécanismes d’érosion/dépôt associés à la dynamique glaciaire. Des réponses pourront être apportées par l’utilisation de

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34

de ces processus qui intègrent les données géologiques – qualitatives et quantitatives – à l’échelle locale et régionale. Un article est en phase de rédaction par Charlotte Prud’homme (actuellement en thèse à Meudon sur un autre sujet) sur les résultats présentés ici et d’autres en cours d’acquisition.

5. Les formations superficielles marqueurs de la tectonique active

Après avoir mieux compris les mécanismes de la genèse des terrasses alluviales et des autres formations superficielles, sondé les limites liées à leur datation par TCN, et constaté leur potentiel d’enregistrement de processus climatiques et érosifs, nous pouvons enfin utiliser ces objets géologiques en tant que marqueurs de la tectonique active. En réalité, dans ma carrière scientifique, j’ai fait plutôt le parcours inverse en commençant à m’intéresser à la détermination de vitesses de failles et de soulèvement de massifs en Mongolie et Sibérie sans bien connaître tous ces aspects qu’aujourd’hui je trouve fondamentaux dans cette perspective. Ce manuscrit est la bonne occasion de remettre les choses dans le bon ordre.

Les travaux fondateurs de la morphotectonique et de la paléosismologie, basés sur l’étude de la géomorphologie et de la déformation des formations superficielles, datent des années 70-80 du siècle dernier (Solonenko, 1973 ; Wallace, 1977 ; Matsuda et al., 1978 ; Sieh, 1978 ; Keller et al., 1982 ; Schubert, 1982 ; Philip et Megrahoui, 1983). Depuis, ces disciplines géologiques ont été appliquées à l’étude de centaines de failles actives partout dans le monde, mais leurs principes fondamentaux n’ont pas changé. L’évolution a concerné principalement le développement des techniques de morphométrie et les méthodes de datation quaternaires qui accompagnent ces études, ce qui a permis une sensible amélioration dans les résolutions spatiales et temporelles des résultats obtenus. La prolifération d’études dans des contextes variés, même si avec des approches devenues « classiques », a néanmoins permis de multiplier les observations afin de mieux comprendre le comportement des failles et de la sismicité. De plus, la prétendue désuétude de l’approche naturaliste ne tient pas compte du fait qu’aujourd’hui elle peut s’intégrer dans une approche plus globale qui comprend également la géodésie et la géophysique de sub-surface.

Je vais présenter les études que j’ai menées dans ce domaine à la lumière des avancées dans la compréhension de l’évolution de la déformation dans les systèmes actifs et de l’apport d’autres techniques.

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35 5.1 Variations temporelles de la cinématique des failles

Je vais illustrer à travers deux exemples dans des contextes géodynamiques différents comment les formations superficielles peuvent nous renseigner sur les variations des régimes tectoniques d’une région et de la cinématique des failles qui en résulte. Le premier exemple se trouve en Sibérie, dans la chaîne de Sayan, région sur laquelle j’ai continué à travailler en collaboration avec mes collègues d’Irkutsk après ma thèse. Les résultats que je vais montrer font référence à six articles issus de cette collaboration, et notamment à ceux d’Arzhannikova et al. (2011) et Jolivet et al. (2013).

Entre les villes d’Irkutsk et Krasnoyarsk, la chaîne de Sayan Est est un relief allongé NW-SE de ~1000 km de long qui culmine à 3500 m d’altitude (Figure 22). Ce relief s’est construit au cours de l’Oligocène-Miocène dans la partie la plus septentrionale de la lithosphère eurasiatique « déformable » au contact avec le poinçon rigide du craton sibérien (De Grave et al., 2007).

Figure 22 : A) Carte tectonique de la région Mongolie-Sibérie (Jolivet et al., 2013) ;

B) Modèle numérique de terrain de la chaîne de Sayan Est à partir des données topométriques GTOPO30 ; C) Image SPOT 3D de la partie méridionale de la faille décrochante senestre de Sayan (réalisée par C. Larroque).

A

B

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