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Les avatars de la Zone franc face à l'euro 124.

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Les avatars de la Zone franc face à l'Euro

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Philippe HUGON Professeur Paris X CERED - GEMDEV

124 Cette communication s'inspire d'éléments d'un ouvrage en cours sur la Zone franc rédigé en collaboration avec J.Coussy.

Nous tenons à remercier Jean Michel Debrat, directeur adjoint de la Caisse française de développement pour ses précieuses remarques.

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Les transformations en cours et prévisibles de la Zone franc doivent être, au préalable, resituées dans le contexte de la globalisation financière et de la transformation du Système monétaire européen en Union monétaire.

Dans un contexte de déréglementation, de décloisonnement des marchés et de désintermédiation, c'est-à-dire de globalisation financière, l'on observe une unification du marché des fonds prêtables, une interdépendance des espaces financiers et monétaires internationaux qui débordent ou transcendent les espaces nationaux. Le Système monétaire international (S.M.I.) est caractérisé par un nombre limité de monnaies clés nationales flottant librement entre elles et de monnaies nationales, convertibles et non convertibles, ancrées par une parité fixe ou glissante à une monnaie clé ou à un panier de monnaies.

L'espace réseau financier et les marchés des changes demeurent différenciés avec des pôles hégémoniques. Le Système monétaire international est structuré autour du dollar US et du mark avec émergence du yen et possibilité de constitution de trois pôles monétaires. Si moins d'un tiers des pays adoptent un flottement de leur change, plus des deux tiers ont des monnaies rattachées à d'autres monnaies (26 au dollar US, 14 au franc français, 9 au rouble...) ou sont ancrées à des paniers de monnaie. Un nombre croissant de monnaies vernaculaires se rattachent à des monnaies véhiculaires (Bourguinat) qui permettent l'acceptabilité, la liquidité et la stabilité permettant la prédictibilité. Les francs CFA sont ainsi rattachés au franc français par une parité fixe (éventuellement ajustable). Celui-ci, fluctuant autour d'un cours pivot au sein du S.M.E., est ancré de fait au mark et doit se transformer en euro qui flottera vis-à-vis des monnaies clés.

L'Union européenne constitue un ensemble régional intégré qui pèse fortement dans l'économie mondiale (27 % du PIB mondial, 37 % des exportations, 47 % des investissements directs accueillis, 23 % de l'épargne mondiale, 40 % du marché des obligations, 50 % du marché des changes, 20 % de la capitalisation boursière). Le Système monétaire européen, avec ancrage des monnaies sur le mark, limite les fluctuations de change et doit conduire à la monnaie unique le 1er janvier 1999 pour un certain nombre de pays membres. L'euro doit jouer alors un rôle important comme instrument d'échange (4/5ème de la première zone d'échange se fera en euro alors qu'actuellement 50 % des exportations mondiales sont libellées en $US), instrument de réserves (la part des réserves de change officielles des Banques centrales libellées en dollar est passée de 70 % en 1980 à moins de 60 % aujourd'hui avec un poids croissant du mark) et unité de compte (40 % des obligations se font en dollars contre 70 % en 1980. L'euro sera un facteur essentiel d'attraction des capitaux, notamment d'Asie, en jouant à la fois sur la confiance, la constitution d'un espace intégré et une politique monétaire crédible. De nombreuses inconnues demeurent concernant notamment le nombre de pays concernés, les taux de conversion adoptés le jour "J" et le niveau du change. Un euro fort se traduirait par des taux d'intérêt faibles mais par une faible compétitivité commerciale européenne. L'intégration de l'Europe du Sud, à plus faible niveau de développement, pèserait en faveur d'un euro plus faible.

La mise en place du Traité de Maastricht aura une incidence importante sur l'évolution de la Zone franc et des Unions monétaires et, au-delà, sur les relations que l'Union européenne nouera avec l'Afrique subsaharienne. Elle sera un des avatars (au sens de

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métamorphose) qu'aura connu la Zone franc qui demeure l'une des rares zones monétaires de la période coloniale tout en ayant fortement évolué depuis sa constitution.

Nous rappellerons les grands traits de la Zone franc (I) avant de différencier, les réformes internes en cours depuis la dévaluation des FCFA (II) et les réformes prévisibles et envisageables dans le contexte de l'Union monétaire européenne (III).

I. LES GRANDES CARACTÉRISTIQUES DE LA ZONE FRANC

Rappelons certaines caractéristiques bien connues de la Zone franc et ses transformations.

La Zone franc, au sens strict, combine :

- un système de change fixe (déterminé par le Conseil des ministres) où le pays leader (et indirectement l’Union européenne) conditionne le taux de change nominal, influence les taux d’intérêt et les taux d’inflation et donc le taux de change effectif bilatéral;

- des Unions monétaires caractérisées par une monnaie commune, des Banques centrales multinationales et une unité de la politique monétaire;

- un espace monétaire et financier tutélaire où le Trésor garantit la convertibilité des francs CFA grâce aux comptes d’opérations, incite au respect des règles et favorise la crédibilité de la politique monétaire.

Les accords entre la France et ses partenaires africains regroupés dans la BCEAO et la BEAC garantissent la crédibilité de la zone, moyennant respect de certaines règles : libre transférabilité des fonds, parité fixe vis-à-vis du franc français, harmonisation des réglemen- tations des changes, pool des devises, participation du Trésor français à la gestion des Instituts d’émission, limitation à 20 % des recettes budgétaires propres de l'État des avances des Banques centrales aux États. Compte tenu des taux rémunérateurs élevés, la quasi totalité des devises des États membres était versée en 1997 au compte d'opérations.

La Zone franc a été historiquement et demeure davantage qu'un simple bloc monétaire du fait de l'unification des règles de change, de l'utilisation de la gestion des réserves. Elle est un sous système monétaire qui a historiquement été lié à l'espace colonial fermé, puis s'est intégré progressivement au système monétaire européen et au système monétaire international [Sandretto, 1994]. Elle diffère d’une zone monétaire optimale125 définie selon Mundel comme un espace économique où les facteurs de production sont mobiles et où les régions sont touchées de manière parallèle par les chocs. La politique monétaire commune ne s’accompagne pas de la coordination des politiques économiques notamment budgétaires (essentielle selon le modèle Mundel/Fleming). Les pays africains de la zone sont peu interdépendants (les échanges intra-régionaux sont limités, les facteurs de production sont peu mobiles); ils sont insérés dans des conjonctures extérieures non synchrones et instables. Les effets des chocs ne sont pas simultanés. L’essentiel des devises est apporté par des financements extérieurs. La valeur de la monnaie garantie par la France est indépendante des indicateurs réels de l'économie des pays membres. Dès lors, les critères de convergence internes permettant une monnaie commune sont moins importants qu’en Europe. Par contre, le rôle de tiers garant du Trésor français, les mécanismes coopératifs notamment des comptes d’opérations et les flux d'aide sont essentiels. L’histoire de la Zone est là pour le confirmer.

Une des questions centrales, depuis la dévaluation des FCFA, est devenue celle de la transformation des Unions monétaires en Unions douanières et en Unions économiques et

125 Une zone monétaire optimale est “un groupe de pays aux échanges de marchandises fortement intégrées, autorisant la libre circulation des facteurs et ayant des monnaies effectivement convertibles, une zone où l’instauration d’une politique monétaire commune et du taux de change pratiquement fixe apporte aux nations concernées des avantages potentiellement élevés” Mc Kinnon (1963).

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donc de convergences permettant de fonder de véritables Unions monétaires s'éloignant progressivement de la tutelle du Trésor français.

La Zone franc, au sens large, est également plus qu’une simple zone ou qu’un système monétaire compte-tenu des mécanismes de coopération et des interdépendances qui existent entre les pays membres.

Elle est un espace de circulation asymétrique des capitaux privés, d'investissements publics, et de répartition de l’aide publique où les entrées de flux publics sont compensées par des sorties de flux privés. Elle demeure caractérisée par le poids des intérêts des firmes françaises. Elle est un espace politique, linguistique, financier marqué par des relations privilégiées avec l’ancienne métropole. Le rôle de tiers garant du Trésor assurant la crédibilité, s'accompagne de celui de prêteur en dernier ressort. Dès lors, les arguments techniques risquent de masquer des considérations politiques [Coussy].

Selon certains, la monnaie CFA est ainsi étrangère à la société qu'elle prétend normer.

La monnaie, lien social, est au coeur d'une légitimation par le pouvoir, d'une confiance par les marchés et d'une crédibilité par les politiques, notamment de la Banque centrale. Les francs CFA ont une convertibilité conventionnelle; la monnaie CFA ne constitue pas un symbole de souveraineté. La légitimation par le Trésor français l'emporte sur la convertibilité de marché.

La Zone franc a toutefois connu d'importants avatars depuis sa création. Elle a changé de configuration avec le retrait de plusieurs pays africains (Madagascar, Mauritanie), et l’entrée de nouveaux (Guinée équatoriale et Guinée Bissau). Née de la volonté initiale d’isoler l’empire colonial du marché international et de créer un espace préférentiel, elle s’est adaptée à des bouleversements aussi profonds que la décolonisation, l’abandon des préférences impériales, la flexibilité des changes, la convertibilité du franc français et la disparition des contrôles des changes. D’espace commercial préférentiel, elle est devenue un espace financier privilégié; de système centralisé et hiérarchique de défense externe de la monnaie dans un espace protégé, elle est devenue une institution plus souple de coopération monétaire; toutefois les relations asymétriques ou de domination inintentionnelle demeurent entre la monnaie clé ou véhiculaire et les monnaies satellites ou vernaculaires. Reposant sur des principes d'orthodoxie monétaire, elle a connu d'importants déséquilibres financiers rendant nécessaires des politiques de stabilisation et d'ajustement interne et conduisant à un rôle croissant des institutions de Bretton Woods. Depuis les conventions de 1972 (pour la zone BEAC) et 1973 (pour l’UMOA), les Unions monétaires fonctionnent sur le principe contractuel d’une adhésion volontaire. Les réformes d'octobre 1989 (pour la BCEAO) et d'octobre 1990 (pour la BEAC) ont conduit à une plus grande libéralisation financière. La Zone franc a connu ainsi de profondes réformes dont la plus récente a été la mise en oeuvre d'une intégration institutionnalisée après la dévaluation des FCFA.

La dévaluation des francs CFA du 12 janvier 1994, accompagnée d'une mise en oeuvre d'une intégration par les règles, au sein de l'UEMOA et la CEMAC, était rendue nécessaire par les dysfonctionnements observés depuis le milieu des années quatre vingt. Elle apparaissait également aux yeux de certains comme une préparation à l'entrée de la France, et donc des pays africains de la Zone franc, dans l'Union monétaire. Progressivement, la légitimité par le rôle de garant du Trésor doit tendre à s'estomper. La crédibilité des politiques des Banques centrales peut conduire à une confiance permettant une convertibilité de marché.

Les convergences des économies peuvent fonder une monnaie unique.

Depuis la doctrine d'Abidjan exposée par le premier ministre Balladur en juillet 1993 et la dévaluation de janvier 1994, les règles du jeu ont largement changé. Les pays africains membres de la Zone ont perdu leurs droits de tirage automatique. La France est devenue un prêteur résiduel qui se situe en second rang par rapport aux institutions de Bretton Woods, et qui intervient après mobilisation des multilatéraux notamment la Banque africaine de développement. Le bouclage du TOFE n'est assuré que si des politiques d'équilibre sont

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jugées satisfaisantes. Dans le cadre des programmes d'ajustement, la mise en oeuvre des politiques d'équilibrage financier conduit, de fait, à une certaine convergence des politiques des pays membres. La mise en place de systèmes de surveillance et d'indicateurs de convergence aboutit à une coordination des politiques budgétaires qui permet de fonder une monnaie unique sur des bases internes davantage que sur la garantie du Trésor. Il en résulte une certaine normalisation des relations des pays africains avec l'ancienne "mère nourricière".

Celle-ci doit permettre de retrouver une certaine crédibilité pour les pays de la Zone et mobiliser les capitaux publics et privés de la part des bilatéraux notamment européens qui ne voient plus dans la Zone une chasse gardée ou un pré carré.

II. LA DÉVALUATION DES FCFA ET LES RÉFORMES D'INTÉGRATION RÉGIONALE

La dévaluation des FCFA était devenue nécessaire du fait de la perte des performances des économies de la Zone (notamment de la Côte d'Ivoire et du Cameroun) et du refus des institutions de Bretton Woods d'apporter leur financement à défaut de retour à la compétitivité. Les économies africaines de la Zone, qui avaient connu relativement de meilleurs résultats que les pays hors Zone durant les 25 premières années postérieures à l'indépendance, avaient subi depuis 1985 une conjonction de la dépréciation du dollar, de la baisse des cours des matières premières, d'un surendettement extérieur qui rétroagissait sur la dette interne et d'une perte de compétitivité extérieure.

II.1 La dévaluation

La dévaluation des FCFA du 12 janvier 1994 s’est éloignée des conditions classiques d’un ajustement de change. Elle n'a pas modifié officiellement les règles de fonctionnement de la Zone. Elle a sanctionné un échec relatif de l'ajustement réel. Elle a concerné une Zone à monnaie convertible, caractérisée par une faible inflation, par un contrôle de la masse monétaire et par une absence de pénurie de devises. Elle a été accompagnée par un très fort allégement de la dette extérieure et par des aides extérieures importantes. La forte dévaluation devait créer un choc et constituer un “remède purgatif”. Les effets de la dévaluation ont différé fortement de ceux attendus dans un pays où existe une marché actif des capitaux. Dans la Zone franc, les marchés financiers sont embryonnaires; le principal actif financier est la monnaie.

Plus de trois ans après, les effets de la dévaluation réparatrice sont multiples et difficiles à démêler. Les systèmes d'information sont peu fiables. De nombreux facteurs exogènes, tels les cours des matières premières ou les appuis financiers interviennent dans les résultats économiques et financiers rendant difficile l'imputation de l'effet dévaluation. Celle- ci a été accompagnée de nombreuses réformes qui ont eu des effets macro-économiques et changé la structure des incitations auprès des opérateurs privés et publics. La relative réussite de la dévaluation a été également liée à la mise en oeuvre de séquences de politiques correspondant à un rythme acceptable des réformes. Les effets récessionnistes à court terme doivent être acceptés pour mettre en oeuvre les réformes structurelles dont les effets n’apparaissent qu’à moyen et long termes. Cette acceptabilité des séquences résulte des appuis financiers, permettant de supporter le coût et la maîtrise des mouvements sociaux et politiques. Il a fallu un dosage délicat entre une certaine thérapie de choc et des mesures compensatoires qui ne devaient pas, in fine, neutraliser cette thérapie.

La dévaluation des francs CFA de janvier 1994 a, globalement, répondu aux attentes.

Dans un environnement international favorable, les effets à court terme ont été dans

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l'ensemble positifs (amélioration du compte d'opération, de la balance courante et des finances publiques, maîtrise de l'inflation...). Les rythmes de croissance du PIB ont été de 5 % par an en 1995 et en 1996. Plusieurs pays ont bénéficié d'une réduction de 67 % du stock de leur dette (termes dits "de Naples") et d'une renégociation de la dette multilatérale en 1997.

L'inflation a été contenue. Le taux de change effectif réel s'est durablement déprécié (il était en 1996, base 100 en 1990/1993, de 72). Par contre, les problèmes structurels de faible investissement, de compétitivité insuffisante et d'endettement difficilement gérable continuent de se poser. La reprise de l'investissement privé, exception faite de la Côte d'Ivoire résulte, de manière significative, des seuls investissements pétroliers. Les investissements permettant un changement de spécialisation internationale et de structure industrielle demeurent en attente.

L'environnement institutionnel et la confiance sont insuffisants pour relancer l'investissement productif.

II.2. Le maintien des règles de la Zone franc

Les réformes de la Zone monétaire étaient d’autant plus délicates que celle ci était restée, durant près de 50 ans, un îlot de relative stabilité monétaire dans un environnement devenu très instable et que l’édifice monétaire s’était progressivement déconnecté des conditions économiques et financières des pays membres.

En principe, les règles officielles de la Zone franc ont été maintenues. La convertibilité liée aux comptes d'opérations demeure malgré des limitations concernant les billets. La liberté des transferts est assurée malgré certaines pratiques bancaires contraires aux principes. Le taux de change reste fixe vis-à-vis du franc français. Il y a maintien de l'unité monétaire. Le Trésor français continue d'apporter sa garantie et de contribuer à la crédibilité des politiques.

L'appui financier des institutions de Bretton Woods et de la France a été important (remise de dettes, fonds spécial de développement).

Mais la dévaluation a eu une signification symbolique et politique. Elle a été perçue comme la rupture du cordon ombilical avec la "mère patrie "ou la "mère nourricière".

Derrière elle, se sont posées les questions de confiance de la part des opérateurs et de crédibilité des institutions et des politiques économiques. Elle a signifié un changement des attentes et des anticipations des agents. Elle a conduit certes à un taux de change plus réaliste et a fortement stimulé les exportations dans un contexte de cours favorables mais elle a fait disparaître la certitude dans la fixité du taux. Elle a conduit à des transferts financiers positifs dont ont bénéficié les économies d'Afrique, mais elle n'a pu constituer, à elle seule, une réponse durable à un endettement extérieur non gérable notamment pour le Cameroun et la Côte d'Ivoire. Le changement de parité, les atteintes à la convertibilité et à la libre transférabilité ont conduit, dans un premier temps, à des turbulences et le plus souvent à un attentisme de la part des opérateurs. Il y a eu certes amélioration des avoirs extérieurs et des comptes d'opération du fait de la balance commerciale et des aides extérieures, mais le maintien de l'inconvertibilité des billets a constitué un signal négatif.

II.3 L'intégration régionale institutionnalisée

La dévaluation a été mise en oeuvre dans le cadre d'Unions monétaires. Elle a été réalisée conjointement avec la mise en oeuvre d'une réforme fiscalo-douanière et la mise en place de nouvelles institutions la CEMAC et l'UEMOA. Les traités de l'UEMOA et de la CEMAC empruntent beaucoup au Traité de Maastricht comme au Traité de Rome modifié par l'Acte unique. Ils traduisent une intégration fortement institutionnalisée soutenue par une volonté politique [Lelart, 1996]. Les séquences envisagées sont toutefois inverses à celles de l'Union européenne. Il s'agit de passer d'Unions monétaires à des Unions douanières et à des

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Unions économiques et de mettre en place une "intégration par les règles". Il s'agit ainsi de créer les conditions d'internalisation des Unions monétaires vis-à-vis de la puissance tutélaire et de fonder une monnaie unique sur une convergence et une interdépendance des économies et la mise en place de politiques orthodoxes créant confiance et crédibilité vis-à-vis des marchés.

Les réformes en cours visent à améliorer l’environnement institutionnel [Guillaumont P.

et S, 1993], à réduire les marges d’action discrétionnaires des gouvernants, et à autonomiser le pouvoir monétaire et judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique. La sécurité juridique et l’autonomie du pouvoir judiciaire semblent aussi importantes qu’une bonne politique monétaire pour attirer les capitaux. Elles peuvent conduire selon la distinction de de Melo et al (1992) à un effet de dilution des préférences (en isolant les instances de contrôle et le pouvoir judiciaire des lobbies nationaux) et à un effet de création institutionnelle. Mais il y a dans la décision asymétrie de préférences et subordination des préférences des États à une décision supranationale qui en privilégie certains.

II.4 Les divergences d'évolution des deux Unions

Le changement de parité a tendu à différencier les deux Unions monétaires. Il a tendu, également, à distendre les liens entre les Unions monétaires et le Trésor français. Il a créé des risques de stratégies de cavalier libre de certains pays ne pouvant respecter les critères de performance et refusant de se plier aux règles communes.

Dans l’ensemble, le processus d’intégration régionale est beaucoup plus avancé en Afrique de l’Ouest autour du pôle ivoirien qu’en Afrique centrale du fait notamment des oppositions entre le Cameroun et le Gabon et de l'absence de volonté politique d'intégration.

L'évolution de l’UEMOA

L'UMOA est devenue le jour même de la dévaluation UEMOA (Union économique monétaire ouest africaine). Le Traité de l'UEMOA est compatible avec la CEDEAO au niveau ouest africain (la CEAO a disparu) et avec l'OMC au niveau multilatéral. Il concerne les réformes institutionnelles, la finance, la politique commerciale et les coordinations de politique économique.

Un nouveau jeu de pouvoirs, qui tendent à réduire la position dominante de la BCEAO même si celle-ci demeure prédominante, est en cours. Les deux organes communautaires de l'UMOA demeurent, la Conférence des chefs d'États et la BCEAO. Une innovation concerne la mise en place d'une Commission proche de la Commission européenne. Elle a un pouvoir législatif, exécutif et est gardienne du Traité. Les réformes en cours (réforme des instruments de la politique monétaire, surveillance multilatérale des soldes budgétaires, assainissement des compagnies d’assurance, harmonisation du droit des affaires, organismes de prévoyance sociale, Institut Afristat ...) vont dans le sens d’un transfert de souveraineté au niveau régional qui permet de renforcer les mécanismes de coopération. Instaurant un dispositif de surveillance multilatéral inspiré du Traité de Maastricht, le Traité de l'UEMOA introduit une forme de subsidiarité et de transfert de souveraineté au niveau des politiques économiques. La BCEAO est la colonne vertébrale de l'UEMOA. Elle est très puissante tant par les crédits qu'elle accorde aux États, que par la volonté politique qui s'y exprime, que par une stratégie de placement de ses membres dans les instances dirigeantes ou que par le rôle de son gouverneur, originaire de l'économie dominante de la région. Elle tend à s’autonomiser par rapport au Trésor français. Elle a vu son rôle se renforcer à la suite de la dévaluation en bénéficiant des gains de change; ses créances douteuses étaient limitées à 30 à 40 % du total les deux premières années de la dévaluation. En revanche, la mise en place du traité de l'UEMOA a conduit à des institutions qui concurrençaient le monopole de la BCEAO et qui

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donnaient plus de pouvoirs aux représentants des différents pays membres de l'UEMOA. Les bailleurs de fonds tendent à appuyer ces institutions et considèrent que la crédibilité de l'UEMOA est d'autant plus forte que tous les centres de décision ne se trouvent pas à l'intérieur de la Banque centrale.

Un processus d’intégration financière est en cours. On observe une harmonisation des réglementations bancaires (commission supranationale de contrôle des banques), une harmonisation de la fiscalité sur l’épargne, la création de nouveaux instruments financiers dans un contexte de réhabilitation des systèmes bancaires, des compagnies d’assurance et des systèmes de prévoyance sociale. La bourse d’Abidjan, dont la dimension reste très limitée, est en voie d’assainissement. La diversification des produits financiers des acteurs institutionnels, de nouveaux produits d'épargne anonymes et défiscalisés, la création de titres négociables permettant aux entreprises d’avoir accès à des fonds longs et stables, la titrisation de la dette publique peuvent permettre de réactiver le marché monétaire et financier régional à partir du pôle ivoirien. De nombreux organismes régionaux ont été créés (observatoire régional des statistiques, conférence interafricaine de prévoyance sociale, pôles régionaux de formation économique et financière, conférence interafricaine du marché d’assurance, organisation pour l’harmonisation des affaires...)

Le Traité de l'UEMOA vise également à la création d'une Union économique : marché commun doublé d'une Union douanière, harmonisation des législations, coordination des politiques sectorielles nationales, convergence des politiques économiques et des performances des États membres [Lelart, 1996]. Il est prévu une politique de concurrence commune et une politique commerciale unique. Selon les mesures prises à Ouagadougou en mai 1996, une baisse des droits intra-régionaux a été réalisée et un prélèvement communautaire de solidarité (PCS) de 0,5 % de la valeur des importations constitue un mécanisme de compensation faisant suite à la TCR de l’ex-CEAO. Il est prévu pour le 1er janvier 1998 la disparition des droits internes, la mise en place d’un TEC, une harmonisation fiscale, un code communautaire d’investissement et une harmonisation de la circulation des travailleurs et des capitaux.

Un Conseil de convergence a été mis en place depuis 1992. Il a retenu trois critères budgétaires : le solde courant hors intérêt de la dette, le solde primaire de base (solde précédent moins les dépenses d'investissement financées par le budget), et le solde primaire global (qui comprend les dépenses d'investissement et les intérêts de la dette). Ces critères sont complétés par d'autres critères macro économiques de convergence nominale [Bourgain, 1995; Pinto Moreira, 1995].

La coordination entre la politique monétaire supra-nationale et les politiques budgétaires qui restent nationales, est assurée, de fait, par le respect des programmes du FMI qui conduisent à une convergence de fait des politiques budgétaires. La mise en place d'un système de surveillance multilatérale favorise également une coordination entre la politique monétaire et les politiques budgétaires. Dans le cas vraisemblable où des pays tels le Mali, le Bénin ou le Burkina Faso sortiraient de l'ajustement, la coordination, sous tutelle FMI, pourrait céder la place à une convergence sous surveillance. Le traité de l’UEMOA ne prévoit pas toutefois une automaticité des politiques économiques. Le conseil des ministres qui dirige l'UEMOA définit la politique monétaire et de crédit avec deux objectifs peu compatibles :

"assurer la sauvegarde de la monnaie" et "pourvoir au financement de l'activité et du développement des États membres". L'indépendance de la BCEAO est beaucoup plus réduite que celle de la future banque européenne. La Banque centrale peut dans les limites des 20 %

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financer les États. Le rôle du Nigeria demeure enfin déterminant vis-à-vis de l'évolution de l'UEMOA126.

L'évolution de la CEMAC

L'intégration au sein de la CEMAC est beaucoup moins prononcée. Il s'agit d'une zone où les pays pétroliers ont peu intérêt à nouer des liens, où l'absence de leadership apparaît et où les interdépendances et infrastructures communes sont très limitées. Le Traité de la CEMAC du 15 mai 1994, qui n'était pas ratifié fin 1996, prévoit deux organisations, l’UEAC et l’UMAC. Il fait suite à l'UDEAC qui ne s'accompagnait pas de traité d'Union monétaire mais seulement d'accords de coopération et d'une Banque centrale commune la BEAC. Il n'y a ni Conférence des chefs d'État, ni Conseil des ministres mais seulement un Comité monétaire regroupant les ministres des Finances. Le Conseil d'administration de la BEAC définit la politique générale de la Banque. Le traité de la CEMAC préconise la convergence des politiques économiques mais ne prévoit pas de surveillance multilatérale. Les pays membres de l’UDEAC sont contrastés, même s'ils sont, pour la quasi totalité, exportateurs de pétrole (grande diversité des milieux, des populations, sous-peuplement, grandes difficultés de communication...).

Les tendances d’éclatement de la BEAC sont beaucoup plus grandes du fait du poids des forces centrifuges. La BEAC ne joue pas un rôle fédérateur. Elle a des mandats flous par rapport à la BCEAO. La coopération par des institutions monétaires communes est moins forte au sein de la BEAC (comité monétaire mixte). Le plafond de réescompte reste l’instrument privilégié de la politique quantitative. Il y a attribution par pays sur la base de la position extérieure nette compatible avec les prévisions d’activités des entreprises. Les concours aux Trésors publics concernent les avances et les découverts du compte courant. Il y a diversification des taux.

II.5 Les relations commerciales intra-africaines

La spécialisation des pays africains sur des recettes primaires, la faible croissance économique, l'existence d'États rentiers privilégiant les relations bilatérales avec les bailleurs de fonds, la mise en place de l'ajustement sur des bases nationales sont autant de facteurs lourds limitant la coopération et l'intégration régionale. Il importe toutefois de nuancer ce point en prenant en compte les pratiques transfrontalières des "acteurs du bas", les réussites de certaines coopérations sectorielles et la relative réussite de l'UEMOA [Coussy et Hugon, 1992].

Les relations régionales se heurtent à de nombreux obstacles non monétaires tels la faiblesse des transports, le faible potentiel économique et l'attractivité commerciale limitée (cf. les tests des modèles de gravité de Foroutan ou de Laporte, 1996). Les variables structurelles (commerce potentiel lié à la taille des économies, aux facteurs politiques et géographiques) et attraction commerciale (liée à des faibles coûts de transport et à des proximités socio-culturelles) sont les principaux facteurs explicatifs du commerce régional.

En revanche, les politiques économiques influençant le commerce potentiel (politiques économiques et cambiaires) et l'attraction commerciale (accords régionaux) jouent un rôle peu significatif. Le commerce potentiel se rapproche des flux observés (malgré le calcul de Mansour 1989). Les accords régionaux ont été peu créateurs d'échanges. L'appartenance à

126 Selon les statistiques officielles, les exportations intra UEMOA s'élevaient en 1994 à 458 millions $US alors que les exportations du Nigeria vers cette zone étaient de 638 millions $US; par contre, les importations du Nigeria venant de l'UEMOA étaient seulement de 69 millions $US, la Zone franc exportant principalement du FCFA convertible grâce à une balance commerciale déficitaire. Si l'UEMOA peut constituer un ensemble qui pèse vis-à-vis du Nigeria, ce pays demeure stratégique dans la mise en oeuvre d'une intégration régionale.

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l'UEMOA crée toutefois un biais régional significatif. En 1995, les pays africains commercent entre eux comme en 1970. Les pays de la Zone franc connaissent, comme ceux de l'Afrique subsaharienne, un processus de marginalisation internationale une forte régression économique et une relative désintégration régionale. Les relations commerciales intra- africaines sont faibles même si la Zone UEMOA connaît une plus grande intensité du commerce intra-régional. Elles se situent en-deçà de 10 % du total du commerce extérieur qui, lui-même, a vu sa part se réduire de plus de la moitié en 20 ans. De plus, les flux intra- régionaux de capitaux sont très limités. L'existence d'une monnaie unique et convertible n'a pas joué le rôle attendu. Les pays africains de la Zone franc ont eu tendance en longue période à la fois à se marginaliser vis-à-vis du marché mondial et à voir leurs échanges régionaux officiels rester très faibles voire se restreindre.

Le changement commun de parité a, en revanche, plutôt renforcé les échanges régionaux intra-union monétaire du moins en Afrique de l’Ouest. Selon l’analyse standard de l’Union douanière, l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires entre pays membres et l’instauration d’un TEC peuvent conduire à une création de trafic dès lors que la protection avant Unions douanières était élevée et que le TEC est limité, ce que permet l’ajustement de change.

II.6 Les convergences entre les économies

On a observé, après la dévaluation, une amélioration des comptes d'opérations liée notamment aux aides extérieures reçues et une amélioration de la situation bancaire. Celle-ci est caractérisée dans tous les pays africains de la zone, y compris le Cameroun, par des excédents de liquidité. Par contre, les banques ont d'importants problèmes de solvabilité et de rentabilité. La dévaluation s'est réalisée dans un contexte où les banques étaient fragilisées. La BCEAO a fortement amélioré sa situation alors que la BEAC voyait celle-ci se détériorer du fait des pertes de change et des créances des États tel le Cameroun. Le service de la dette s'est fortement accru, mais de manière différenciée selon les pays.

La dévaluation a créé certaines opportunités de convergences entre les économies. Les conflits concernant la protection tarifaire ont été réduits. Les mesures d’accompagnement de la dévaluation ont conduit de facto à une certaine harmonisation. La dévaluation a tendu par contre à accroître les divergences entre les unions monétaires. Il y a eu au sein de l’UEMOA synchronie des chocs extérieurs plutôt positifs : hausse des cours des matières premières notamment du café, du cacao et du coton. De plus, le recours au marché monétaire et l'abandon des instruments directs de régulation monétaire de la BCEAO ont conduit à des règles prudentielles renforcées au niveau régional et à des surveillances multilatérales. La Côte d’Ivoire a exercé des effets d'entraînement vis-à-vis des économies de l’UEMOA.

Les pays de la CEMAC ont subi plutôt des chocs régressifs (cours des hydrocarbures) mais selon des degrés différents. Le Cameroun qui devait jouer un rôle moteur, au sein de la BEAC ne pourra bénéficier des effets de relance. Les États pétroliers privilégient des relations bilatérales avec des partenaires non africains.

On a constaté, suite à la dévaluation, une relative convergence des taux d'inflation. Les disparités d'inflation se sont situées dans une fourchette de 44 % à 61 % entre décembre 1993 et septembre 1995. La moyenne d'inflation a été de 49,5 % pour la Zone, de 46,6 % pour l'UEMOA et de 53,1 % pour la CEMAC. Les différentiels d’inflation conduisent en fait à une égalisation des niveaux des prix entre les pays. Celle-ci sera d’autant plus forte qu’il y a libre circulation des marchandises et des facteurs de production au sein de la zone. Trois ans après la dévaluation, les rythmes d'inflation ont convergé vers une nouvelle stabilité [Leenhardt, 1995; Goreux, 1997]. Les rythmes d'inflation se sont situés, en 1996, autour de 6 % pour la zone UEMOA et CEMAC alors qu'en 1994, ils avaient été de 10 points supérieurs en Afrique

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centrale qu'en Afrique occidentale. On note également une évolution des prix relatifs entre les

"tradables" et les "non tradables" conforme aux attentes. Les prix des produits vivriers ont fortement divergé. Les écarts entre les prix des produits importés et locaux sont faibles (14 points pour l'UEMOA et 9 pour la CEMAC); par contre l'écart entre les prix des biens échangeables et non échangeables (services) est plus de deux fois supérieur en zone CEMAC qu'en zone UEMOA (46 points contre 20).

Avant la dévaluation, les divergences des TCER étaient fortes. Au sein de l’UMOA on avait noté une réduction des écarts entre 1981/1986 et 1987/1992. Au sein de la BEAC, la dispersion restait plus forte. L’appréciation du taux de change réel la plus forte concernait le Cameroun (+ 38 % pour 1982/1987) et la Côte d’Ivoire (+ 38 % pour 1985/1988) alors que le Gabon et le Togo avaient évité une appréciation durant les années 1980 [Boughton, 1991].

Les divergences ont été maintenues après l'ajustement commun du taux de change. Les évolutions divergentes des taux d'inflation n'ont pas compensé les écarts de TCER.

Les taux de croissance moyens du PIB en termes réels qui étaient de 1 % en 1990/1993 sont passés à 1,5 % en 1994 et à 5,1 % en 1995 (5,5 % pour l'UEMOA et 4,6 % pour la CEMAC). Les écarts de taux de croissance ont été importants. Ils variaient en 1995 de 0,3 % au Congo à 11,2 % en Guinée équatoriale. Exception faite du Togo, on note peu d'écarts au sein de l'UEMOA à la différence de la CEMAC.

On constatait, avant la dévaluation, des indicateurs de dispersion relativement élevés pour les pays membres de la Zone franc et un relatif parallélisme entre les deux Unions monétaires. Les indicateurs de dispersion (mesurés par l'écart type) ont eu tendance à se réduire pour les termes de l'échange.

Ainsi, la situation des pays africains de la Zone franc continue de différer fortement d’une zone monétaire optimale, mais elle tend à s'en rapprocher.

La dévaluation du FCFA, qui a réussi dans ses objectifs à court et moyen terme, n'a pas toutefois apporté de réponse durable au dysfonctionnement de la Zone franc : faible compétitivité vis-à-vis des pays ayant défini leur monnaie en dollar, ajustement de change face aux chocs extérieurs, faible interdépendance entre les économies, nécessité d'appuis financiers extérieurs. Le Nigeria, aux politiques instables et imprévisibles, ne peut constituer un pôle fédérateur. Il pèse par contre fortement vis-à-vis de petites économies devant s'adapter à cette économie. La question est de savoir si les réformes d'intégration régionale en cours permettront de maintenir le socle monétaire commun et de conduire à terme à des monnaies régionales sur la base des actuelles unions monétaires. Le maintien d'une fixité du change vis-à-vis du franc et de l'euro suppose des progrès de productivité élevés pour maintenir la compétitivité extérieure. La Zone franc demeure une région de change fixe soutenue par une convertibilité conventionnelle.

III. LES ÉVOLUTIONS PRÉVISIBLES DE LA ZONE FRANC ET L'UNION EUROPEENNE

La mise en oeuvre de l'Union monétaire européenne aura une influence sur l'évolution de la Zone franc.

Certes de nombreuses déclarations politiques ont cherché à minimiser cet impact.

Réunis en avril 1996 à N'Djamena, les ministres des Finances français et africains des pays de la Zone franc ont publiquement déclaré que "le rattachement des francs CFA et comorien à une monnaie destinée à jouer un rôle très important dans les échanges internationaux, ne modifiera pas les liens privilégiés entre la France et les pays de la Zone franc et sera un atout pour ces pays". Le président Chirac a déclaré en décembre 1996, au sommet France-Afrique de Ouagadougou, que les mécanismes de la Zone franc ne seront pas affectés par l'unification

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européenne et que le rattachement du franc CFA à l'euro ne se traduirait pas par une modification de la parité du franc CFA.

Il y aura toutefois nécessairement modification du fonctionnement de la Zone franc [Lelart, 1994] :

(1) Les conventions de 1972 et de 1973 stipulent que le franc CFA est rattaché au franc français. L’intégration de facto du franc CFA à l'euro signifie la substitution d’un rapport cambiaire bilatéral en un rapport multilatéral.

(2) Il y aura modification de la parité et fluctuation de l'euro vis-à-vis du dollar US.

(3) Il est prévu des règles de limitation du déficit public selon les critères de convergence qui auront un certain impact sur les relations entre le Trésor français et les pays africains de la Zone.

(4) Il y aura maintien de la garantie franc/DTS accordée aux soldes créditeurs du compte d’opération en euro/DTS.

III.1 L'impact de l'Union monétaire européenne sur la Zone franc

L’unification financière européenne, la création d’un marché européen, des capitaux et des services financiers, depuis 1987, avaient conduit à un changement des instruments et des objectifs de la politique monétaire française. Ils avaient eu indirectement des effets sur les autres États de la Zone franc [Guillaumont S, 1993] : action par le niveau du taux d’intérêt et stabilité compétitive. Le Système monétaire européen actuel regroupe en réalité 29 pays, les 15 de l'Union européenne et les 14 africains membres de la Zone franc [Sandretto, 1994].

Dans le cadre des accords de Maastricht, l’institution de la monnaie unique est compatible avec le maintien des règles de la Zone franc : rattachement du FCFA et du F comorien au franc français et mécanismes du compte d’opérations. Les choix budgétaires restent du ressort de la souveraineté des États. Or les accords de coopération monétaire engagent le Trésor français. Celui-ci peut conserver son rôle exclusif de gestionnaire des relations entre l’Union européenne et les pays africains de la Zone franc. La garantie de convertibilité des monnaies est assurée par des comptes d'opérations ouverts au nom de chacune des trois banques centrales africaines auprès du Trésor français. Les liens entre les Banques centrales de la Zone franc et la Banque de France peuvent être maintenus dans la structure fédérale prévue pour le système européen des Banques centrales.

Le taux de change du franc CFA se déduira mécaniquement du taux de change du franc CFA et franc français qui sera normalement inchangé et du taux de change du franc français en euro. Il y aura, par contre, modification de la parité du FCFA vis-à-vis du dollar. La question du niveau de l'euro vis-à-vis du dollar est centrale non seulement pour la reprise de la croissance et la compétitivité européenne mais encore plus pour celles des pays africains.

Ceux-ci affrontent la concurrence des pays dont la monnaie est ancrée sur le dollar et dont le commerce et les flux financiers sont largement libellés en dollars. Il faut certes intégrer le fait qu'avec le renforcement du rôle de l'euro comme monnaie de réserve internationale, les exportations des pays de la Zone pourraient être libellées en euro et qu'il y aurait réduction du risque de change. Néanmoins la question de la compétitivité/change demeure pour les pays de la Zone. Elle est stratégique non seulement pour les exportations actuelles, mais surtout pour que l’Afrique puisse changer de spécialisation..

Le changement de parité des francs CFA et comorien de janvier 1994 aurait pu, d'ailleurs, résulter d’une nouvelle définition par rapport à la monnaie européenne, ce qui aurait eu entre autres pour avantage de créer un effet d’illusion monétaire, de donner une image positive et prospective de l’ajustement de change, et d’introduire une certaine flexibilité de change vis-à-vis du FF.

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Dans la mesure où l'essentiel des flux commerciaux de l'Afrique se fait avec l'Europe, un rattachement des monnaies africaines à l'euro peut se justifier. Il limitera les risques de change pour les relations commerciales de l’Afrique concentrées à plus de 60 % sur l’Union européenne. Le maintien d'une parité fixe avec une zone économique dominante facilitera le commerce et les investissements. Une partie importante des exportations des pays de la Zone seront libellés en euro et donc moins tributaires des fluctuations du dollar. L'euro correspondra à un approfondissement financier de l'Europe et à un espace de stabilisation monétaire. Toute monnaie vernaculaire doit s'ancrer sur des monnaies véhiculaires.

III.2 Les réformes possibles de la Zone franc et des Unions monétaires au regard de l'analyse économique

De nombreuses réformes techniques sont possibles. Elles n'ont de signification que si elles sont portées par des forces et par une réelle volonté politiques.

Il peut paraître légitime que les pays africains membres de la Zone aient le droit de battre monnaie, [Monga, Tchatchouang, 1996] mais chacun connaît les risques de seigneuriage et de nationalisme monétaire pouvant conduire à des dérives de type Zaïre.

Il parait logique que des accords monétaires apparaissent entre les Unions monétaires de la Zone et des pays tels le Nigeria, mais l'on sait l'irréalisme d'une telle proposition compte-tenu du poids de la France dans la zone et du mode de gestion de l'économie nigériane.

Un relais européen vis-à-vis du Trésor français parait souhaitable mais les partenaires européens ne sont pas nécesairement prêts à soutenir une Zone perçue comme une survivance post-coloniale ou une chasse gardée de l'ancienne métropole.

Il reste à l'économiste le rôle de proposer des réformes raisonnables, si ce n'est rationnelles, en sachant que la raison n'est pas la vertu la mieux partagée. Des propositions réalistes sont d'autant plus délicates que discuter de la Zone reste un sujet tabou et occulté, que la parité du franc CFA a une signification symbolique et politique et que derrière se nouent des relations complexes entre l'ex-colonisateur et les ex-colonisés.

La dévaluation du FCFA a en partie apuré l’héritage. La mise en place de l'euro peut conduire à une redéfinition de l'ancrage et du niveau du franc CFA. Il n'y a pas de réponse simple de la théorie économique pour savoir si les taux de change fixes ou flexibles sont préférables, quels sont les avantages d'une Union monétaire. Le débat demeure entre les partisans d’un ajustement de change permettant la flexibilité de l’économie et les partisans d’un ajustement réel et d’une discipline monétaire contraignant les opérateurs à réaliser des progrès de productivité.

Le taux de change remplit deux fonctions conflictuelles dans la gestion de l'économie [Boughton, 1991] : point d'ancrage à la stabilité économique (un pays qui stabilise son taux de change par rapport à une devise forte gagne en crédibilité); instrument de rééquilibrage des comptes extérieurs (un pays qui surévalue sa monnaie perd de la compétitivité).

Plusieurs questions se posent à propos de l'évolution de la Zone franc : - l'euro doit-il être la monnaie d'ancrage ?

- faut-il un change fixe ou flexible ?

- faut-il des monnaies nationales ou régionales ?

- faut-il des monnaies convertibles ou un contrôle du change ? Quel ancrage aux franc CFA et comorien ?

Dans le système monétaire international actuel, les monnaies-clés flottent entre elles. La plupart des monnaies nationales sont ancrées sur des monnaies-clés avec parité fixe ou glissante (cas de la grande majorité des pays d'Asie de l'Est). On note une baisse du

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rattachement à des monnaies clés (le pourcentage des pays rattachés au dollar est passé de 43†% en 1976 à 12 % en 1994). A priori, le choix du dollar peut se justifier par rapport à l'euro, du fait des concurrents internationaux et des flux financiers. Il importe toutefois de raisonner en dynamique. L'euro sera un des grands pôles monétaires. Son cours actuel fluctuera vis-à-vis du dollar. L'essentiel des relations commerciales de l'Afrique continuera de se faire avec l'Europe. L'appartenance à une Zone monétaire a en outre une signification symbolique et géopolitique. L’ancrage à la monnaie européenne euro peut se justifier par l’importance des flux d’échange et de mouvements de capitaux avec l’Europe, par la volonté de participer à un futur pôle monétaire au sein d’un monde multipolaire.

Fixité ou flexibilité du change ?

Il importe de rappeler les avantages respectifs d’un ancrage nominal fixe et des taux de change flexibles selon divers critères : ajustement aux chocs extérieurs et aux instabilités des termes de l’échange, maîtrise de l'inflation et discipline monétaire, compétitivité prix, anticipations des agents, insertion dans un espace monétaire [Devarajan, 1991; Guillaumont, 1995].

La question posée est généralement de voir comment gérer le taux de change pour stabiliser le produit réel autour du plein emploi dans un contexte de chocs extérieurs et internes ?

On admet généralement qu'une économie fortement exposée à des chocs extérieurs, ce qui est le cas des pays africains de la Zone, ont intérêt à stabiliser l'économie par la flexibilité de change. Mais cet argumentaire, rappelé par Monga et Tchatchouang (1996), perd évidemment de sa pertinence dans le cas de mécanismes coopératifs (comptes d'opérations) ou d'aides (exemples du Stabex ou du Sysmin) visant à réduire l'impact des chocs extérieurs.

D'autres facteurs internes interviennent tels le taux d'ouverture de l'économie (élevé pour les pays de la Zone), le degré de mobilité du capital (important au niveau international) ou les rigidités sur le marché du travail (relativement forte au niveau officiel mais faible du fait de l'informel et de l'acceptation de baisse des salaires réels de la part des salariés).

L'ouverture extérieure a plutôt pour effet d'accentuer l'exposition aux chocs extérieurs. Un haut degré de mobilité des capitaux amplifie l'effet dÈstabilisateur d'un choc provenant de la demande intérieure. Une flexibilité de change a d'autant plus d'efficacité qu'il y a non indexation des salaires sur les prix.

L’ancrage nominal conduit à réduire l’inflation et il favorise des anticipations non inflationnistes; il crée une contrainte pour la convergence des politiques économiques et il impose une discipline monétaire. La fixité du change réduit la spéculation déstabilisatrice sur les modifications de taux de change. Elle conduit à une contrainte de gain de productivité pour asseoir la compétitivité prix. Dans le cas de chocs internes monétaires, la fixité du change permet d'absorber les perturbations dans les marchés monétaires par des variations d'avoirs extérieurs. La fixité du change peut ainsi se justifier pour des motifs d’ordre micro- économique (réduction des incertitudes sur les taux de change et sur les variations non anticipées des taux de change réels) et macro-économiques (stabilité des prix, gestion saine des finances publiques). Et ceci d’autant plus que les petites économies africaines sont fortement ouvertes et qu’elles sont fortement intégrées au niveau des importations et des capitaux à l’Europe. Théoriquement, dans le cas de surévaluation du change, liée à sa fixité (cas des économies entre 1985 et 1994), un ajustement interne ou réel est possible et des politiques commerciales flexibles peuvent jouer un rôle compensatoire (subventions des exportations, taxes sur les importations). Ces mesures supposent bien entendu que la surévaluation est provisoire. La fixité du change a eu des effets opposés selon les périodes. La dépréciation du franc français et donc des francs CFA et comoriens vis à vis du dollar ont joué un rôle stabilisateur jusqu'en 1985. Par contre leur appréciation vis-à-vis du dollar ont

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coincidé ensuite avec une forte détérioration des termes de l'échange qui ont créé des effets pervers.

Inversement, la flexibilité du change crée certes des risques d'inflation, mais elle assure un ajustement immédiat aux instabilités internationales et elle permet de retrouver une compétitivité extérieure. Dans le cas de chocs externes, le taux de change flexible neutralise les effets des chocs. Dans le cas de chocs internes réels (exemple : sécheresse), il permet de stabiliser le produit national réel. Dans le cas de baisse des termes de l'échange ou de dépréciation du dollar, la dépréciation nominale du taux de change conduit à une dépréciation de la monnaie qui compense l'effet récessionniste de cette baisse. La flexibilité évite, en créant une illusion monétaire, les résistances des salariés et des producteurs de biens non échangeables à la baisse des revenus. Elle réduit les coûts d'un ajustement interne qui est d'autant plus difficile qu'il y a faible inflation mondiale, baisse des termes de l'échange et que les devises se déprécient vis-à-vis de la monnaie d'ancrage. Le taux de change flottant permet théoriquement une autonomie de la politique monétaire et joue un rôle de stabilisateur automatique. L'expérience réussie des pays d'Asie de l'Est (exception faite des places financières telle Singapour) montre que ceux-ci ont adopté des taux de changes flexibles (généralement administrés) tout en cherchant à déprécier graduellement et durablement leur taux de change effectif réel. L'alignement sur le dollar leur a permis de plus, depuis 1985, d'avoir une compétitivité vis-à-vis des pôles yen et mark.

Plusieurs modalités intermédiaires sont toutefois envisageables (flottement pur, contrôlé, rattachement à des paniers de monnaies...). La totale flexibilité introduit des déviations importantes et durables par rapport au taux de change d’équilibre de long terme.

Les changes fixes aboutissent, à l'inverse, à des rigidités fortes. Une mise en place de fluctuations autour d’un cours pivot peut sembler dès lors souhaitable (zone cible). Un degré de flexibilité du change peut apparaître souhaitable au sein de la Zone, soit par des parités discrétionnaires, soit par un marché interbancaire, soit par des enchères administrées. Elle permettrait de prendre en compte les fluctuations des termes de l’échange et l’évolution du dollar par rapport aux monnaies européennes. Les parités fixes glissantes et fluctuant à l’intérieur de bandes auraient l’avantage de permettre un ancrage des anticipations par la fixité des parités et d’éviter des sur-ajustements par les fluctuations autour d’un cours pivot [Burda; Wyploz, 1993].

Il semble possible de gérer un système de "crawling peg" ou de glissement faible des francs CFA et comorien vis-à-vis de l'euro avec effet d'annonce. Les gains de compétitivité change résultant de la dévaluation vont progressivement se réduire. La Zone franc se trouvera à la veille de la création de l'euro dans une situation proche de celle d'avant la dévaluation. Un euro fort risque de se maintenir vis-à-vis d'un dollar faible. Une dose de flexibilité annoncée parait dès lors souhaitable. Une des solutions serait, à l'israélienne, un taux de dévaluation annoncé en fonction de l'évolution de la parité euro/dollar.

La mise en place d'un Fonds de stabilisation abondé par les bailleurs de fonds aurait pour intérêt de stabiliser le change vis-à-vis des conjonctures tout en permettant des ajustements dans le cas d'écarts durables de la monnaie vis-à-vis des fondamentaux.

Cette flexibilité limitée ne semble pas poser de problèmes techniques majeurs. Elle se heurte par contre au caractère hautement symbolique de la parité fixe pour de nombreux responsables africains.

Autonomies ou unions monétaires ?

La politique monétaire autonome est, selon le théorème de Mundel, incompatible avec une libre circulation des capitaux et un change fixe. Il importe dès lors d'évaluer le coût et les avantages de chacun des objectifs. L'absence d'autonomie de la politique monétaire a un coût.

La banque centrale peut difficilement mener des politiques contracycliques. Les taux d'intérêt

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sont déterminés par les autorités monétaires européennes. Les pays africains ont ainsi subi les conséquences des choix de taux d'intérêt élevés dans le cadre de la politique de franc fort.

L’autonomie monétaire permet de répondre à des chocs nationaux spécifiques; elle évite les distorsions nées des rigidités des prix; elle permet de gérer les différences structurelles entre pays. L’indépendance des Banques centrales nationales ayant la conduite de la politique monétaire et ayant pour objectif la stabilité des prix serait nécessaire alors, pour éviter le seigneuriage et réduire les pressions des gouvernements. La réduction de l’inflation n’exerce pas nécessairement d'effet négatif sur la croissance (Devarajan). Inversement, la politique monétaire active peut faire partie de la panoplie des instruments flexibles dans un cadre à la Tinbergen.

Les Unions monétaires présentent en revanche plusieurs avantages. Elles se justifient dès lors que des comportements non coopératifs risqueraient d’apparaître dans le cas de chocs symétriques et que l’autonomie (sous contrôle) de la politique budgétaire permet de répondre à des chocs spécifiques. Elles favorisent par la monnaie commune l'intégration régionale et conduisent à une discipline monétaire plus crédible que dans le cadre de souverainetés monétaires nationales. Elles rendent, en revanche, difficile le choix de taux de change flexibles. Certes, des Unions monétaires peuvent fonctionner dans le cas de change flexible.

Ainsi l'euro flottera vis-à-vis du dollar ou du yen. Dans le cas des Banques centrales des Unions monétaires de la Zone franc, une flexibilité serait plus difficile à gérer. Elle supposerait une politique monétaire active et donc un transfert de souveraineté vers une autorité fédérale qui paraît peu vraisemblable. Dans la mesure où la Banque centrale a, comme seul principal objectif, la stabilité des prix, la fixité est plus compatible avec les règles des Unions monétaires.

Convertibilité de marché ou conventionnelle ?

La convertibilité des francs CFA ne résulte pas du marché mais d'une convention avec le Trésor français. La convertibilité permet l’accès aux marchés internationaux et favorise l’entrée des capitaux. Les monnaies inconvertibles portent une prime de liquidité négative par rapport aux monnaies pleinement convertibles. Cette prime réduit les placements de capitaux ou favorise leur évasion à moins qu’elle ne soit compensée par un haut taux de profit anticipé.

Le retour à la convertibilité totale paraît évidemment souhaitable pour rétablir la confiance et ne pas constituer un signal négatif. Il est possible néanmoins dans un contexte de transition de gérer des degrés différents de convertibilité :

- la convertibilité sur opérations commerciales courantes. Les non résidents peuvent acheter en monnaie locale et aux prix intérieurs pratiqués des biens et des services nationaux.

- la convertibilité de change sur comptes résidents/non résidents. Les résidents ont la possibilité d’acquérir des devises en échange de monnaie nationale en vue d’importer des biens et services courants; les non résidents peuvent voir leurs encaisses de monnaie internes (issues de transactions habilitées sur compte courant) être rachetées (ou converties) par les autorités monétaires locales, ou échangées sur un marché de change externe en devises étrangères et à un taux plus ou moins garanti ou connu d’avances.

- la convertibilité des actifs financiers ou la capacité pour les résidents d’utiliser leur monnaie pour acquérir des actifs financiers libellés en devises étrangères. Elle est, inversement, la capacité pour les étrangers d’acquérir des actifs financiers domestiques à taux de rendement compétitif par rapport à leurs substituts étrangers de caractéristique comparable.

La convertibilité conventionnelle des FCFA devrait se transformer en convertibilité de marché, résultant de politiques crédibles et d'une confiance des opérateurs.

III.3 Les réformes possibles de la Zone franc

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L’impossible conciliation d’une autonomie monétaire et d’une garantie de convertibilité Selon certains projets anciens à deux niveaux internes et externes [de Boissieu, 1983], chaque État aurait une souveraineté monétaire et une responsabilité élargie. Le FCFA serait par contre la monnaie internationale de la Zone qui serait garantie par le Trésor français.

Ainsi seraient prises théoriquement en compte tout à la fois, la flexibilité nécessaire du change, l'hétérogénéité des économies africaines et la nécessité d’aller vers une plus grande intégration monétaire et économique. Ce régime à deux niveaux peut être théoriquement transposé dans le contexte de l'euro [Cerruti; Hugon; Collignon, 1992].

Les pays ou les Unions monétaires auraient leurs propres monnaies. L’Afreuro servirait d’unité de compte sur le même principe que l’euro européen, d’instrument de règlement des soldes entre pays africains, de monnaie de réserve des Banques centrales de la Zone. En outre, il serait un passage obligé entre les monnaies nationales et les devises étrangères et pourrait servir de monnaie de facturation. Il serait géré par un Fonds monétaire africain (FMA). Les taux de change entre les monnaies nationales et l’Afreuro seraient rigoureusement fixes mais ajustables.

Il y aurait garantie de l’Afreuro par le Trésor français et liberté de transfert des capitaux à l’intérieur de la Zone. Le FMA serait chargé de l’émission de l’Afreuro et serait l’interlocuteur privilégié du Trésor français. Il assurerait la convertibilité des monnaies nationales par l’entremise de l’Afreuro. Le taux de change Afreuro/Euro serait fixe (avec des marges de fluctuation) et ajustable. Les marges seraient défendues par un fonds de stabilisation des changes, émanation d’un Fonds monétaire africain alimenté par les dépôts d’une fraction des réserves de change des États membres. Le compte d’opération liant le FMA au Trésor français garantirait la convertibilité de l’afreuro; en contrepartie, il y aurait individualisation des soldes extérieurs de chaque pays. En cas de déficit durable du solde, il y aurait ajustement de change.

Ce projet conduirait aujourd'hui immanquablement à une désorganisation voire à une disparition de la Zone. On voit mal comment le Trésor français pourrait assurer la convertibilité en franc (ou en euro) de francs CFA émis hors de leur contrôle. Les monnaies nationales deviendraient instables entre elles et les avantages de l’Union monétaire disparaîtraient.

Une convertibilité de marché est toutefois possible dès lors que les grands équilibres sont assurés et que la confiance renaît. Il est souhaitable que des transferts de la légitimation et de la garantie par le Trésor à des confiances du marché liées à des crédibilités des politiques économiques conduisent à plus de flexibilité entre la monnaie-clé et les monnaies africaines. Un mécanisme à deux niveaux peut avoir un sens comme modèle représentant une convergence entre la garantie des francs CFA et l'appui monétaire européen au niveau supérieur et des liens entre la monnaie des unions monétaires CFA et les monnaies des pays africains hors Zone.

Le difficile maintien d’une Zone avec abandon de la convertibilité et de la fixité de change Selon certains, il pourrait y avoir abandon de la fixité du change, mais, par contre, maintien de la libre transférabilité des monnaies à l’intérieur de la zone, de la réglementation des changes commune et du pool des réserves de change. La recherche d’une monnaie commune, de mécanismes de crédit et d’une monnaie forte serait alors conciliée avec les impératifs de la compétitivité régionale et internationale.

La mise en oeuvre de cette flexibilité risquerait, comme le projet précédent, de faire éclater la Zone. Dès lors qu’il y aurait flexibilité de change, il y aurait remise en cause de la convertibilité conventionnelle et l’on risquerait des anticipations permanentes de dépréciation conduisant à une fuite structurelle des capitaux. Les économies africaines de la Zone seraient dès lors vraisemblablement francisées ou dollarisées. Il est par contre envisageable, comme

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nous l'avons vu, de mettre en oeuvre une flexibilité limitée de type "crawling peg" qui n'aurait pas d'effets d'anticipations spéculatives.

Des réformes monétaires pragmatiques de la Zone franc

La Zone franc a été historiquement caractérisée par une triple évolution; (1) disparition ou atténuation de la zone préférentielle; (2) adaptation de l’offre de monnaie et de crédit aux conditions locales avec plus grande autonomie des banques centrales; (3) maintien, avec relâchement, du contrôle du Trésor. On a observé plus récemment l’instauration d’un contrôle des changes déguisés, de billets à convertibilité limitée et d’obstacles à la liberté des transferts. La survie de la Zone, a résulté de réformes institutionnelles partielles et d'infractions tolérées vis-à-vis des règles.

Si des changements radicaux de règles paraissent délicats, il est par contre souhaitable de faire évoluer la Zone franc en fonction des nouvelles contraintes internationales et internes et de favoriser des transitions institutionnelles permettant d’éviter les germes de démantèlement. Ces transitions semblent nécessaires pour aboutir progressivement à des régimes de change réalistes qu'ils soient réalisés sur des bases nationales ou sur des coopérations monétaires.

Il est souhaitable que les Unions monétaires s'autonomisent progressivement du Trésor français, à partir de convergences d'indicateurs, d'interdépendance des économies et de mise en place de politiques crédibles et coordonnées. La valeur de la monnaie unique doit tendanciellement reposer sur les fondamentaux de l'économie. Cette évolution progressive doit être menée de manière concertée tant avec les partenaires africains hors Zone qu'avec les États membres de l'Union européenne et avec l'Union européenne.

III.4 Quel rôle possible de l'Union européenne ?

Outre la question de la monnaie d'ancrage et du cours des francs CFA et comoriens vis- à-vis de l'euro, on pourrait envisager progressivement, si ce n’est un transfert des compétences de tutelle du Trésor français vers les institutions communautaires, du moins des appuis complémentaires vis-à-vis des pays membres de la Zone et des pays africains hors Zone [Lelart, 1994; L’Hériteau, 1993].

Le volet monétaire, absent de Lomé et des accords UE/ACP, est stratégique pour redéfinir une coopération sur de nouvelles bases. L’ Union européenne pourrait ainsi mettre en place des mécanismes de garantie et d’aide à la convertibilité, moyennant acceptation des règles monétaires et budgétaires vis-à-vis des pays africains hors Zone dont la monnaie serait également définie en euro. L'euro pourrait être ainsi : une unité de compte en laquelle les opérations sont comptabilisés; une monnaie de règlement en laquelle les soldes sont périodiquement réglés et des avoirs de réserve que les pays créditeurs conservent. Il y aurait progressivement convergence des deux systèmes : celui de la Zone franc (devenue zone Afreuro) et des Unions monétaires serait soutenu par le Trésor français avec autonomisation progressive vis-à-vis de celui-ci de la part des Unions monétaires; celui hors Zone franc serait appuyé par l’Union européenne. L’Europe peut jouer un rôle essentiel en favorisant une stabilité du change par un mécanisme de convertibilité garanti de l’extérieur.

Une réforme durable de la Zone franc et des Unions monétaires n’est en effet pas possible si elle ignore les pays de la région non membres de la Zone. A moyen terme, des accords de stabilisation de change soutenus par l’Union européenne peuvent favoriser le lissage des conjonctures, stabiliser les anticipations, et réduire les risques au niveau des transactions commerciales et financières. La convergence pourrait se faire en plusieurs étapes par inclusion de pays participant individuellement à un accord monétaire.

Plusieurs mécanismes d’appui peuvent être envisagés :

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- un accord de type compte d’avance vis-à-vis des pays hors Zone franc;

- un accord monétaire de type Portugal/Guinée Bissau avec fonds de stabilisation à responsabilité limitée garantie de convertibilité limitée à un montant et dépréciation programmée de change;

- un fonds de stabilisation abondé par diverses sources qui permettrait de lisser les instabilités et de faire face aux chocs asymétriques et asynchrones et de garantir les monnaies africaines.

L'idéal serait évidemment que soient intégrés les avoirs extérieurs de grands pays tels le Nigeria (actuellement contrôlés par l'armée), les fonds des comptes d'opérations et des apports des bailleurs de fonds notamment européen. Un conseil de gestion des fonds avec surveillance multilatérale permettrait de stabiliser le change, de conduire à une convertibilité de marché.

La parité serait fixe mais ajustable en fonction des fondamentaux.

La mise en place d’un stabex régional pourrait permettre une meilleure convergence des conjonctures et des politiques nationales. Ce mécanisme permettrait une stabilisation régionale des déterminants réels de change entre pays [Cerruti, Hugon, Collignon, 1992]127. Elle amorcerait la constitution de budgets régionaux. Le coût de cet appui serait faible face à un important effet de levier. Le Stabex ou le Sysmin régional seraient une réponse positive au dysfonctionnement actuel du Stabex tout en inventant de nouveaux mécanismes stabilisateurs sur des bases régionales.

III.5 Des accords monétaires entre les Unions monétaires de la Zone et les pays hors Zone

Dans le contexte actuel, et compte-tenu de l’instabilité des politiques monétaires et cambiaires des pays hors Zone et notamment du Nigeria, de tels accords paraissent utopiques.

Ils peuvent toutefois, à terme, réduire les instabilités de change entre pays africains, favoriser la convertibilité des monnaies et renforcer l’intégration régionale au sein des grandes Unions économiques.

Les institutions de la CEDEAO et de la CEEAC, ont prévu des possibilités d’accord monétaires entre les pays membres des Unions monétaires et les pays à monnaie inconvertible. Dans la pratique, les chambres de compensation connaissent d’importants dysfonctionnements

du fait des diversités des régimes de change, des pays structurellement déficitaires ou excédentaires, et des dettes et taux de change irréalistes. Ce sont les marchés parallèles qui permettent pour les pays à monnaie inconvertible d’accéder à une convertibilité grâce au F CFA. Les Unions monétaires sont plus à même que les petits pays de négocier des accords avec les grands pays tels le Nigeria.

Il semble possible, avec un appui de la communauté financière internationale, de favoriser des coordinations de politique économique : accords monétaires au sein des chambres de compensation, ajustements concertés de change...

Le plan Triffin de 1964 demeure d'actualité malgré les changements monétaires internationaux. Conçu sur le modèle de l'Union européenne des paiements, il préconisait un appui aux Chambres de compensation pays [Cerruti, Hugon, Collignon, 1993]. Celles-ci, exception faite de la COMESA, ont pratiquement disparu. L'appui communautaire consisterait en :

- l'utilisation de l'euro comme unité de compte;

- l'utilisation de l'euro comme monnaie de règlement en laquelle les soldes sont réglés;

127 Le déficit global du Compte d’opérations fin I991 était de 24O millions FF pour un déficit budgétaire francais de 14O milliards FF. La masse monétaire globale des pays africains de la zone CFA représente moins de1,4 % de la masse monétaire française, mais il est irréaliste de penser que des dérapages ne se produiront pas et qu’il n’y aura pas de regard des européens sur la politique du Trésor français.

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