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Le leadership en France: Distance de pouvoir et valorisation humaine

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-02488527

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Submitted on 27 Feb 2020

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valorisation humaine

Marc Deneire

To cite this version:

Marc Deneire. Le leadership en France: Distance de pouvoir et valorisation humaine. French review,

American Association of Teachers of French, 2010, 83 (4), pp.836-850. �hal-02488527�

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LE LEADERSHIP EN FRANCE : DISTANCE DE POUVOIR ET VALORISATION HUMAINE

by Marc Deneire Résumé

Sur la base de l’étude GLOBE (Global Leadership and Organizational Behavior Effectiveness Program) effectuée dans 62 pays entre 1994 et 2002, nous analysons les dimensions

culturelles marquant le plus grand degré de satisfaction et d’insatisfaction parmi les cadres français. Nos résultats font état d’un rejet des Français pour le pouvoir subi, une forte sensibilité humaniste, et une satisfaction au regard de l’état de régulation de leur pays.

L’apparente contradiction entre réticence par rapport au pouvoir subi et satisfaction vis-à-vis de l’ordre établi s’explique par la distance qui existe entre catégories socio-culturelles relativement abstraites telles que l’égalité pour tous et la réalité telle qu’elle est vécue sur le terrain.

A l’heure de la mondialisation, l’élément interculturel joue souvent un rôle primordial dans la réussite des coopérations internationales et transnationales. Les échecs des collaborations entre Volvo et Renault ou encore entre Daimler et Chrysler ont souvent été attribués à un manque de sensibilité culturelle de la part des dirigeants de ces entreprises (Lauer 2005). A l’inverse, le succès de la fusion entre Renault et Nissan a fait de son architecte Carlos Ghosn un véritable gourou du management interculturel (Garrigue).

Le chercheur néerlandais Geert Hofstede fut l’un des premiers à attirer l’attention sur les différences interculturelles liées à la nationalité dans les entreprises multinationales. Son étude, menée au sein d’IBM qui était à l’époque l’emblème de la standardisation des procédures et des comportements, distinguait quatre dimensions qui résistaient à

l’uniformisation et à la culture d’entreprise : la distance de pouvoir, l’individualisme et le

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collectivisme, la féminité et la masculinité et le contrôle de l’incertitude. Ces dimensions d’ordre culturel s’avéraient être plus profondes que la “culture d’IBM”, aussi bien au niveau des valeurs que des pratiques. De par son caractère pionnier, l’ouvrage de Hofstede (1991) devait cependant rester le plus souvent cité par la suite et demeure encore aujourd’hui l’outil fondateur de nombreuses recherches sur l’interculturel. Ce n’est en effet qu’à la fin des années 1980 que paraissent des travaux de nature plus qualitative qui permettent de compléter et de nuancer les nombreuses études quantitatives menées jusqu’alors. D’une part, Edward et Mildred Hall mettaient leur expérience d’anthropologues au service d’une meilleure

compréhension du monde des affaires en France, en Allemagne, et aux Etats-Unis dans leur ouvrage Understanding Cultural Differences (1990). Ils y développaient une analyse dans le cadre théorique élaboré par le premier auteur au cours de sa longue carrière et l’articulaient autour des différentes conceptions du temps (polychronisme –monochronisme) de l’espace (ou plus précisément de la territorialité) et du contexte et de la façon dont celles-ci influencent les modes de communication. D’autre part, Philippe d’Iribarne, dans son ouvrage La logique de l’honneur, utilise une méthode de type ethnographique pour analyser les cultures

d’entreprises françaises, américaines et néerlandaises et ajoute une dimension historique dans son explication des différents comportements.

Les différentes approches ont produit des résultats parfois divergents. Cependant, une fois évacué l’appareil méthodologique, il est possible de les voir comme plus complémentaires que contradictoires. Toutes les études convergent au moins sur deux points : (1)

l’irréductibilité des cultures régionales au-delà des cultures d’entreprises, y compris dans les entreprises multinationales bien établies, et (2) la persistance des cultures nationales

(Hofstede, 1991, d’Iribarne, La logique …; Schwartz; Mondillon et al.; Calori et al.).

L’éducation est systématiquement invoquée comme source de formation d’un “habitus”

national et mode privilégié de reproduction, la France étant souvent épinglée comme

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l’exemple type de cette logique de sélection à travers son système des grandes écoles. En dépit de ses efforts de démocratisation et de massification de ces trente dernières années, l’Education Nationale fait d’ailleurs le même constat. Dans son dernier état des lieux sur l’enseignement supérieur, elle note qu’ “… en France peut-être plus qu’ailleurs, c’est le niveau du diplôme obtenu qui prime, tant pour l’étudiant qui le brigue que pour l’employeur qui embauche. Par la suite, le diplôme conditionne largement l’appartenance à telle ou telle catégorie sociale (comme par exemple les cadres et professions supérieures (Goulard 18-19)).

Au-delà de l’histoire plus ancienne évoquée par d’Iribarne, il est également utile d’examiner l’histoire politique et économique du vingtième siècle pour comprendre la spécificité du dirigisme à la française. Après une période de prospérité relative au début du sicle, la crise économique et financière des années trente cause des remous parmi les économistes. C’est dans ce climat qu’un groupe d’intellectuels de gauche comme de droite propose l’idée de planisme, popularisées par les écrits du belge Henri de Man. Cette idée sera rejetée par le front populaire qui craint les réactions des paysans et des classes moyennes.

Léon Blum et son équipe proposent la semaine des quarante heures, mais la situation continue à se détériorer. C’est pourquoi dès 1938, le ministre des finances Paul Reynaud lance l’idée d’une “économie guidée dans le cadre de la liberté” (Gauchon). Au sortir de la guerre, Jean Monnet constate le délabrement des infrastructures et la déroute des industriels français dont bon nombre sont de plus coupables de collaboration pendant la guerre. L’Etat français reprend dès lors la direction des opérations. De Gaulle déclarera ainsi que “… c’est à l’Etat, aujourd’hui comme toujours, qu’il incombe de bâtir la puissance nationale, laquelle,

maintenant, dépend de l’économie. Tel est à mes yeux le motif principal des nationalisations,

de contrôle, de modernisation” (Gauchon). La Commission du Plan est fondée en 1946 et

reconnaît à l’Etat le rôle de créer une infrastructure qui permette aux entreprises de prospérer

d’une part, et, d’autre part, un système de sécurité sociale qui serve celles-ci. L’Etat français

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propose une “troisième voie” entre capitalisme et économie planifiée. On passe ainsi, dans les termes de Crozier, à un modèle bureaucratique dans lequel « l’autorité est convertie le plus possible en règles impersonnelles et les structures même de l’organisation semblent agencées de telle sorte qu’une distance suffisante puisse s’établir entre les gens qui ont à prendre des décisions et ceux qui sont affectés par ces décisions » (Le phénomène … 270).

La collusion entre état et économie sera ensuite maintenue grâce aux dirigeants d’entreprises et aux hauts fonctionnaires issus en grande partie de l’ENA et des grandes écoles qui, du fait de leur double appartenance aux mondes politique et économique assurent, selon eux, un équilibre entre dynamisme politique et économique. La création de la catégorie toute française des “cadres” dans les années 1930 représente cette double responsabilité économique et sociale, un “sens de l’Etat” qui dépasse les intérêts particuliers et corporatistes (Boltanski). Gérard Mestraillet, PDG du groupe Suez définissait ainsi ce “mélange des genres”: “Nous, Français, avons inventé le concept de management privé pour les services publics” (Time Online, 12 mai 2003) et Jean-Luc Lagardère remarquait en 1999 que “le rôle de l’Etat [dans l’économie] a été fondamental depuis le 17 ème siècle, chose que j’observe avec respect” (Economist.com, 3 juin 1999). Il en résulte selon lui que: “Les dirigeants

d’entreprise français ont un sens plus élevé de leurs responsabilités sociales que leurs

collègues britanniques”. Enfin pour Christian Pierret, ancien secrétaire d’Etat à l’industrie,

maire de Saint-Dié des Vosges, économiste et énarque, le fait que les dirigeants du monde

économique et politique soient issus des mêmes écoles permet une plus grande fluidité dans la

communication et contribue ainsi à une meilleure compréhension entre les deux secteurs et

donc à une efficacité accrue (Deneire et Segalla). Ce qui est peut être vu comme déficit

démocratique pour les uns est vu comme gage d’efficacité pour les autres. Cette efficacité

basée sur un group social relativement isolé explique cependant partiellement qu’une société

parfois décrite comme « bloquée » (Crozier, La société) soit parvenue à garder sa place parmi

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les premières économies mondiales (Hoffman). Cependant, force est de constater que le fait que la moitié des dirigeants des deux cents plus grandes entreprises soit issue des six grandes écoles les plus prestigieuses freine considérablement l’accès des autres personnes à la

direction des grandes entreprises et nuit à la promotion interne (Barsoux et Schneider 224).

Ce mode d’organisation extrêmement bureaucratique et hiérarchisé peut être démotivant pour les autres dirigeants et cadres moyens et nuire aux relations humaines entre les différents strates hiérarchiques ainsi créées (Philippon 41-49). Telles sont les hypothèses que nous nous proposons de vérifier à travers l’étude GLOBE (Global Leadership and Organizational Behavior Effectiveness Program) menée dans soixante-deux pays, dont la France, entre 1998 et 2002 (House et al., Castel et al.).

L’approche méthodologique adoptée dans cette étude permet de mesurer l’écart entre monde réel et monde souhaité et d’établir ainsi le degré de satisfaction et d’insatisfaction sur chacune des dimensions culturelles, ce qui, à notre connaissance, n’avait été fait dans aucune autre étude d’envergure similaire. Par ailleurs, l’approche interculturelle la distingue des analyses de nature plus sociologiques (voir Crozier, L’analyse stratégique 236) et politiques (Rosanvallon, Suleiman, Dismantling …).

L’ETUDE GLOBE

L’étude GLOBE dresse un tableau du leadership dans 62 pays en prenant en compte trois

dimensions: le fondement culturel, la dimension organisationnelle (culture d’entreprise) et les

caractéristiques individuelles du leader. La culture y est définie comme “le partage des

motivations, des valeurs, des croyances, des identités, et des interprétations (ou sens) données

aux événements significatifs qui résultent des expériences de membres de collectivités qui

sont transmises de génération à génération” (House 15) 1 . Il importe de souligner, note Robert

House, qu’il s’agit là d’attributs psychologiques et que, par conséquent, ceux-ci s’appliquent

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de façon identique aux niveaux culturels et organisationnels. Cette correspondance, à priori sujette à caution, fut d’ailleurs confirmée statistiquement avec succès au terme de l’étude pour l’ensemble de l’échantillon des 62 pays. En ce qui nous concerne, nous nous limiterons à la composante culturelle, notre but étant de comprendre et d’approfondir notre connaissance de la spécificité française en exploitant les traits qui ressortent comme les plus saillants dans la composante française de l’étude GLOBE 2 .

Méthodologie

L’échantillon final est composé de 329 cadres moyens qui ont en général deux niveaux hiérarchiques qui les dominent et deux niveaux hiérarchiques qu’ils dominent. L’âge des participants varie de 35 à 60 ans avec une moyenne de 32 ans. La proportion de femmes est de 25 pour cent.

Passation: Chaque cadre, en passation individuelle d’une heure, avait à remplir un questionnaire composé de six sections: outre les questions d’identification, une série d’échelles sur les qualités du leader les usages en cours dans son entreprise, les valeurs souhaitées dans les relations professionnelles, les valeurs culturelles présentes dans la société et les idéaux culturels auxquels ils adhèrent. Pour chacun des 135 questions, les personnes devaient évaluer sur une échelle de 7 points (échelle de likert : 1 = tout à fait d’accord ; 7= pas du tout d’accord) le degré de réalité et/ou de désirabilité de différentes normes, valeurs et pratiques sociales. Dans la partie qualitative de l’étude, 45 entretiens furent effectués (35 avec des cadres moyens et 10 avec des cadres supérieurs) et 5 discussions de groupe (focus groups) furent organisées.

Traitement: Les données ont été traitées dans le cadre général de l’étude GLOBE qui, suite

à une série d’études pilotes, a permis de dégager 9 dimensions par analyse factorielle (voir

Hanges et Dickson pour la méthodologie). Nous avons interprété l’écart entre le monde

souhaité (“should be” (valeurs)) et entre le monde réel (“as is” (pratiques)) comme indice de

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satisfaction. En effet, lorsque ce qui est perçu est conforme à ce qui est souhaité, on peut parler de satisfaction; inversement, plus l’écart entre monde réel et monde souhaité est grand, plus l’insatisfaction est forte (voir tableau 1).

Nous nous proposons d’analyser ici les dimensions marquant la plus grande insatisfaction, et celle marquant le plus grand degré de satisfaction. Celles-ci traduisent selon nous le mieux les aspirations de la population et indiquent le type de situation qui lui convient le mieux.

Elles s’inscrivent également dans une tradition de recherche qui a cherché à comprendre les blocages de la société française (Crozier, d’Iribarne) et à appréhender les rapports entre les différents niveaux hiérarchiques dans les relations de travail.

Monde réel (as is)

Monde idéal (should be)

Dimensions culturelles Score Groupe Score Groupe Diff.

Contrôle de l’incertitude 4,43 B 4,26 C -0,17

Assertivité 4,13 B 3,38 B -0,75

Egalité des genres 3,63 A 4,40 B 0,76

Orientation vers le futur 3,48 C 4,96 C 1,48

Distance de pouvoir 5,38 A 2,76 C -2,52

Collectivisme sociétal 3,93 B 4,86 B 0,93

Collectivisme familial 4,37 B 5,42 B 2,05

Orientation humaine 3,40 D 5,67 B 2,27

Orientation performance 4,11 B 5,67 C 1,54

Tableau 1: les scores représentent des moyennes sur une échelle de 7 points. Les groupes correspondent à un classement avec valeurs significatives. Ainsi, la différence de score entre les pays classés dans le groupe A et B est statistiquement significative avec A>B>C>D (adapté de Castel et al. 567).

DISTANCE DE POUVOIR

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Avec un différentiel de 2,52, la distance de pouvoir apparaît comme étant la dimension plus saillante dans les relations sociales, et également celle qui provoque le plus grand degré d’insatisfaction.

Notons tout d’abord que ces résultats concordent avec les résultats de l’étude GLOBE: en ce qui concerne cette dimension dans l’ensemble de l’étude, plus le score est bas pour le monde réel, plus le score pour le monde souhaité est élevé, ce qui indique que la relation au pouvoir laisse peu de personnes indifférentes et que, quelles que soient les pratiques

nationales, le souhait d’une réduction de la distance de pouvoir est presque universelle.

La distinction entre monde réel et monde souhaité, ou, en d’autres termes, entre pratiques et valorisation nous a permis de lever un certain nombre d’ambiguïtés, voire de

contradictions, dans la littérature sur le sujet. En effet, chez Hofstede, la France se caractérise par un degré de distance de pouvoir élevé par rapport aux pays anglo-saxons alors que l’étude des valeurs culturelles de Schwartz semble indiquer que la distance de pouvoir (Mastery dans son modèle) est plus valorisée dans les pays anglophones. Dans la mesure où l’échelle de Hofstede se base sur les pratiques et non sur les valeurs (d’Iribarne, The usefulness …), il n’y a donc pas contradiction entre les deux études, comme nos résultats tendent à le démontrer.

Dans notre étude, et notamment dans les entretiens, les cadres moyens ont montré que l’influence sociale dépend plus de la position hiérarchique et du statut que des compétences réelles. En d’autres termes, le véritable pouvoir se trouve du côté du pouvoir légitime (legitimate power) dû à la position dans la hiérarchie, et non du côté du pouvoir basé sur les compétences managériales et l’expérience (expert power) 3 . Certaines études ont d’ailleurs montré qu’ils sont souvent les premiers à regretter ce manque de méritocratie (Lamont 48). Ils considèrent parallèlement que le pouvoir est extrêmement centralisé et qu’à travers différents mécanismes (comme par exemple la territorialité, c’est-à-dire les “lieux de pouvoir”

déconnectés de la base), les supérieurs creusent l’écart avec leurs subordonnés. Enfin, ils

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observent que les subordonnés obéissent à leurs supérieurs et que de façon générale les plus jeunes obéissent à leurs aînés, l’ancienneté jouant encore un rôle prépondérant (voir aussi Gouttefarde).

Ces résultats sont en accord avec l’analyse de d’Iribarne qui introduit une distinction cruciale entre distance hiérarchique et distance de pouvoir 4 . Dans la logique de l’honneur, il explique que les relations de travail sont mues par deux grands principes ; d’une part, une logique de corps ou de métier, inspirée des guildes et du compagnonnage, et d’autre part des relations hiérarchiques régies par un code de l’honneur tel qu’il a été défini par Montesquieu ou encore par Tocqueville, c’est-à-dire, basé sur le service et non la servitude. D’Iribarne cite ici Tocqueville qui reprend l’affirmation de Voltaire: “Puisqu’il faut servir, déclare-t-il, je préfère le faire sous un lion de bonne maison, qui est né beaucoup plus fort que moi, que sous deux cents rats de mon espèce” (La logique 83). Selon la logique des corps, il appartient à chacun d’entre eux de savoir ce qu’il lui appartient de faire selon “le préjugé de chaque personne et de chaque condition (60). Le principe de l’honneur enjoint également que “…

lorsque nous sommes dans un rang, nous ne devons rien faire ni souffrir qui fasse voir que nous sommes inférieurs à ce rang” (61). Ce principe s’applique également au prince qui “ne doit jamais prescrire une action qui nous déshonore, parce qu’il nous rendrait incapable de le servir” (61). A ces deux principes, il appartient d’ajouter un principe de noblesse et de pureté des tâches qui définit ce qui convient à chaque rang et qui fait qu’en s’ingérant à des tâches de rang inférieur, on risque de s’avilir. La distance hiérarchique protège donc chaque corps contre l’ingérence de ses supérieurs dont le pouvoir s’en retrouverait considérablement diminué.

D’Iribarne a ainsi observé dans les usines combien il était difficile d’amener des personnes

appartenant à des corps de métier différents de collaborer 5 . De même, nous avons pu observer

combien il est malaisé de changer de corps au sein d’une même administration, même quand

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les règles le permettent. Par exemple, les enseignants qui deviennent bibliothécaires ou

“administratifs” au sein de l’Education Nationale sont souvent mal reçus et ne seront jamais perçus comme de “vrais” bibliothécaires, gestionnaires, etc.

L’isolement relatif de chaque strate hiérarchique est également à la source de certaines particularités dans les modes de communication. D’Iribarne explique ainsi comment la

“rétention d’information” est utilisée à différents niveaux dans le but de se protéger contre l’ingérence des autres niveaux, qu’ils soient supérieurs ou inférieurs. La communication verticale obéit à des règles strictes de nature interne qui requièrent une bonne connaissance de l’organisation et sont relativement opaques aux personnes extérieures. Il s’agit ainsi de

“respecter la voie hiérarchique”, et de faire “remonter” l’information ou les propositions.

Celles-ci sont alors discutées à chaque niveau avant de “redescendre” auprès des personnes de terrain qui sont chargés de la mise en œuvre. Notre propre expérience montre que ce

processus peut être source de démotivation et de frustration dans la mesure où il existe

souvent un écart, voire une contradiction entre ce qui est proposé par la base et ce qu’elle est

chargée de mettre en œuvre. La combinaison entre communication verticale et horizontale

surprend souvent les personnes venant d’autres cultures et même parfois des personnes

appartenant depuis longtemps aux organisations. Un consultant en informatique d’origine

américaine nous expliquait par exemple comment en arrivant dans une entreprise partenaire, il

avait purement et simplement été ignoré. Il a alors téléphoné à son supérieur qui a téléphoné

aux supérieurs de l’entreprise-hôte qui ont alors veillé à ce qu’il soit accueilli de façon

chaleureuse. De façon similaire, au cours de la dernière réforme des universités 6 , les efforts

d’un collègue, pourtant Professeur des Universités, pour s’accorder avec le directeur d’UFR

(Unité de Formation et de Recherche) d’une université voisine ne semblaient pas pouvoir

aboutir. Une seule et brève rencontre entre sa propre directrice d’UFR et celui de l’université

voisine a permis de résoudre les problèmes évoqués.

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Enfermés dans leur statut, les cadres supérieurs s’efforcent de conserver une autonomie intellectuelle (Schwartz) qui leur garantit marge de manœuvre et privilèges 7 . La résistance à la récente mise en œuvre du processus d’évaluation des cadres est de ce point de vue très

parlante. S’il est vrai que personne n’apprécie particulièrement d’être évalué, la nature des réactions n’en est pas moins révélatrice. Pour les universitaires, il s’agit là d’une atteinte à la liberté intellectuelle et pédagogique. De même, quand les cadres des grandes entreprises ont dû se soumettre à l’évaluation de type “360 degrés”, nombre d’entre eux se sont révoltés, arguant que cela ne correspondait pas à leur niveau: “A notre niveau, il serait plutôt surprenant de voir que certains ont encore à progresser”, disent certains, ou encore “pour atteindre un poste de cadre dirigeant, c’est que vous êtes forcément bon dans votre activité professionnelle” (Melkonian 18-19)

LA DOMINATION

Michel Crozier notait dans les années 1960 que le rôle du dirigeant dans les grandes entreprises était fortement limité : « Il [le directeur] est en fait prisonnier d’un système qui décide à sa place : l’embauche du personnel lui échappe ; le renvoi lui est interdit ; il ne peut promouvoir ses subordonnés, ni même contribuer de façon significative à leur promotion » (Le phénomène 95). Cette situation n’a pas fondamentalement changé aujourd’hui. Philippon (43) observe ainsi en 2007 que « les dirigeants français ont moins d’expérience dans leur entreprise que les dirigeants d’autres pays » (43) et que, par conséquent, ils sont relativement isolés de leur base dans la plupart des entreprises. Les instruments traditionnels tels que l’autorité, la séduction ou encore la persuasion sont susceptibles d’amenuiser leur position.

Les cadres supérieurs risquent en effet d’être accusés d’interventionnisme, voire de

manipulation. Ceci est d’autant plus vrai que la sélectivité est telle qu’elle les empêche le

plus souvent de rationaliser par le moindre mérite la position qu’ils occupent. En effet, celle-

ci leur est attribuée soit par le système scolaire, soit par l’héritage 8 , mais très peu souvent à

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travers une légitimité acquise sur le terrain. En d’autres termes, la compétence et la valeur sociale de chacun étant reconnues par un système indépendant du monde du travail, le dominant n’est pas plus qualifié que le dominé 9 . Sa légitimité est donc fragile et par

conséquent l’exercice de son pouvoir l’est de même. Le cadre supérieur paie donc cher son autorité dans la mesure où son autonomie est contrainte avec d’autant plus de vigueur qu’elle paraît l’être moins. En effet, comme le note Tomas Ibanez dans son article sur l’emprise (36),

“celui qui se donne une loi est tenu de la respecter plus scrupuleusement que celui qui la reçoit” (voir aussi Mondillon et al. 1114). Dans cette logique, le cadre joue un rôle déclencheur, soit qu’il mette en marche un système sans plus, soit que, en fonction de son style et/ou de sa position, il le mette en marche en l’aiguillant dès le départ sur une voie privilégiée à l’exclusion d’autres alternatives (Ibanez 237). Le supérieur détermine donc le monde du possible, tout en laissant la liberté du comment à ses subordonnés. Ainsi dans la définition de Beauvois, le pouvoir est la possibilité de certains (dominants) d’exercer sur d’autres (dominés) des prescriptions comportementales que ces derniers n’effectueraient pas hors de ce contexte et d’évaluer les conduites. Ceci explique que les Français interrogés dans notre enquête semblent considérer l’occupation de leur position comme l’affectation d’un rôle. Il ne s’agit donc pas d’imposer directement des tâches ou des fonctions, mais plutôt de définir un contour ou profil dans lequel s’inscrira le dominé tout en gardant “sa liberté”. Dans les termes de Joule et Beauvois, le dominant essaiera d’obtenir une “soumission librement consentie”, le but étant de conduire à une “responsabilisation” des acteurs pour qu’ils arrivent à modifier librement leur comportement et à intérioriser les traits ou les valeurs et en assurer ainsi leur pérennité 10 . On est ici très proche d’une vision très foucaldienne, mais aussi très sarkoziste du pouvoir.

Dans un article du Monde sur Bernard Arnaud (11 juillet 2007), Cécile Ducourtieux décrit

la façon dont le PDG de LVMH et aspirant propriétaire de Echos “cultive une distance

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courtoise”, même si son interventionnisme dans certains autres secteurs de son groupe (Vuitton, Dior) lui est vivement reproché. Au journal La Tribune, dont il était alors propriétaire, “les journalistes se plaignaient moins de ses interventions que de réflexes d’autocensure de leur hiérarchie”. Cette autocensure est clairement visible dans la presse, mais elle existe également dans d’autres secteurs du management où l’on perçoit un effort des cadres moyens d’anticiper les désirs de leurs supérieurs (Coop; Infoguerre.com). Les

nouvelles méthodes d’évaluation font partie intégrante de ce processus (Jasor).

LA VALORISATION HUMAINE

Le différentiel de 2,27 entre pratiques et valorisation humaines fait état d’une grande insatisfaction des Français en ce qui concerne la dimension humaine des relations au sein de la société. Les cadres moyens aspirent à plus de générosité, de tolérance, de sensibilité et de capacité d’écoute de la part de leurs concitoyens (Kabasakal et Bodur 569).

Ces résultats sont en concordance avec ceux de l’étude GLOBE dans son ensemble. De façon générale, plus la réalité et les pratiques sont jugées inhumaines, plus l’aspiration à plus d’humanité est grande, cette aspiration ayant été constatée dans tous les pays. De même, dans l’ensemble de l’échantillon, moins la distance de pouvoir est valorisée, plus la dimension humaine l’est également (corrélation inverse). Enfin, on constate que plus l’organisation est bureaucratique, moins elle est considérée comme étant humaine. Dans les sociétés de type paternaliste (Asie du Sud et Afrique sub-saharienne dans l’étude GLOBE), les obligations familiales et sociales prévalent souvent à l’application systématique de l’ingénierie des ressources humaines; elles sont par conséquent considérées comme plus humaines que les pays européens où cette logique s’est implantée au cours des dernières années.

Si on compare plus finement la France aux autres pays, on s’aperçoit qu’elle est parmi les

tous derniers (57/61) en ce qui concerne le monde réel et parmi les premiers en ce qui

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concerne le monde idéal (7/61). En ce sens, si l’on admet que l’écart entre les deux mondes est un indicateur d’humanisme, la France se trouve au 3 ème rang et fait partie des pays les plus attachés à cette valeur, l’Espagne et Singapour occupant respectivement le premier et le second rang.

Les résultat de l’étude GLOBE rejoignent ceux obtenus par Schwartz (28) qui avait

constaté un désir très fort d’égalité chez les Français (Egalitarianism), c’est-à-dire un désir de transcender les intérêts particuliers en faveur d’un engagement volontaire en faveur du bien- être d’autrui (égalité, justice sociale, liberté, responsabilité et honnêteté). Chez Schwartz tout comme dans notre étude, ces valeurs s’opposent aux valeurs de domination et de pouvoir (Mastery) (30).

De façon générale, la figure du dirigeant apparaît comme distante et peu sympathique, ce

qui explique que par rapport aux soixante autres pays, les Français sont parmi ceux qui jugent

le plus sévèrement leurs dirigeants (Castel et al. 574). On pourrait faire l’hypothèse qu’il

s’agit là d’un simple artefact dû à la méthodologie. Cependant, d’autres études semblent

confirmer cette sévérité. Dans l’étude de Mondillon et al., par exemple, les étudiants français

consultés estimaient que les personnes au pouvoir ont tendance à dissimuler leurs sentiments

liés à la tristesse, à la soumission et à la jalousie, mais beaucoup moins ceux qui sont associés

au mépris, à l’indifférence et à la fierté (contrairement aux Américains qui se doivent de

cacher les sentiments de mépris et d’indifférence). Alors que les Américains et Japonais se

doivent de maîtriser leurs émotions liées à la domination, ce sont ceux liés à la soumission

que Français et Allemands s’efforceront de cacher. Inversement, les Français au pouvoir

provoquent chez les autres des sentiments de colère, de mépris, de jalousie, mais aussi

d’admiration. On notera également que dans toutes ces études, les Français sont tout sauf

indifférents par rapport à leurs dirigeants. Comme le note d’Iribarne (La logique 77):

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Le caractère très affectif que possèdent volontiers en France les rapports

hiérarchiques et la diversité extrême des sentiments qui s’y manifestent envers des supérieurs, qui peuvent être révérés comme méprisés avec une égale intensité, intrigue. Car cette situation n’est nullement universelle; ainsi on ne la trouve ni aux Pays-Bas, ni même aux Etats-Unis.

Cependant, ces sentiments sont, précise d’Iribarne, de nature purement affective et ne mettent aucunement en cause, la relation de pouvoir, c'est-à-dire, la capacité d’influencer le

comportement (The Usefulness 37).

LE REJET DE L’INCERTITUDE

Le rejet de l’incertitude est la dimension pour laquelle il y a le moins d’écart entre la note attribuée pour le monde réel (4,43) et celle (4,26) pour le monde idéal. Autrement dit, il semble que les sujets trouvent dans le réel ce qu’ils souhaitent. Ils trouvent donc satisfaisant le degré d’ordre et de cohérence de leur société, tout comme le degré de réglementation et d’explicitation des règles. A un niveau plus personnel, ils estiment que la vie dans leur pays est suffisamment réglée.

Cette acceptation des interdits pourrait paraître contradictoire avec le rejet de la domination

et de la hiérarchie. Cependant, il n’en est rien, car l’adhésion au principe d’une loi écrite

n’implique pas son respect dans les faits. D’une part, il y a rejet du personnel chargé de faire

appliquer la loi. Même s’il apparaît une évolution de l’image de la police en France, elle est

généralement très mal acceptée, et les Français se plaisent à rendre son action inopérante. Par

exemple, même si la majorité des Français approuvent les campagnes de prévention routière,

ils sont souvent prêts à faire des appels de phares aux autres automobilistes pour les prévenir

de la présence de la police, perçue alors comme pouvant exercer un pouvoir. D’autre part, le

contournement de la loi est fréquent et parfaitement assumé. Il ne semble remis en cause que

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lorsqu’ apparaissent des abus d’une catégorie par rapport à une autre catégorie. Par exemple, dans la défense adoptée par le Président Chirac concernant les affaires de la Mairie de Paris, celui-ci ne remet pas du tout en cause le fait que ses pratiques anciennes soient illégales, mais il essaie de démontrer qu’elles étaient alors conformes à l’usage. Elles n’ont au fait été dénoncées que lorsque le système a produit des déséquilibres importants entre la droite et la gauche politiques.

Ainsi, il semble qu’on refuse la contrainte lorsqu’elle est portée par une personne

particulière et s’applique dans les faits alors qu’on l’accepte en tant qu’entité abstraite garante d’un équilibre collectif. On abhorre le “petit chef” qui donne des ordres, mais on accepte volontiers les directives des ministères qui garantissent une égalité de traitement. Il ne s’agit pas d’être satisfait d’une vie très cadrée, mais d’être satisfait de savoir que les dérapages des autres (et notamment de ceux qui ne font pas partie de son groupe) pourront être contrôlés.

On a souvent tendance à considérer que le dirigisme à la française et les nombreuses règles

qui régissent notre vie représentent un carcan insurmontable, mais ce n’est pas nécessairement

le cas. Comme a tenté de le démontrer Bourdieu, il s’agit de connaître “les règles du jeu” et

mieux on les maîtrise, mieux on pourra les adapter à son avantage (Foster). Bref, le meilleur

est celui ou celle qui au-delà des règles a le sens du jeu. La distinction de Trompenaars (29-

49) entre cultures universalistes et cultures particularistes nous semble ici particulièrement

éclairante. Ces types de culture diffèrent essentiellement sur un certain nombre de points: (1)

les cultures universalistes valorisent essentiellement la règle, les cultures particularistes, les

relations humaines; (2) dans les cultures universalistes, il n’y a qu’une vérité ou une réalité,

celle sur laquelle on s’est mis d’accord; dans les cultures particularistes, il existe toujours un

certain nombre de points de vue pour chaque réalité ; et (3) les cultures universalistes traitent

tous les cas de la même façon alors que les cultures particularistes, on fait du cas par cas et on

adapte les règles à chaque situation. Alors que pour un Américain ou un Britannique, le

(18)

contrat doit être suivi à la lettre, une telle rigidité semble impensable du côté français. Un dirigeant britannique explique ainsi les problèmes de communication qu’il a eu au cours d’une fusion avec des Français:

Paradoxalement, les Britanniques se sont montrés plus universalistes dans la mise en œuvre de notre accord, c'est-à-dire qu’ils avaient tendance à être rigides au point que les Français les accusaient d’obsession bureaucratique. Les Français, de leur côté étaient plus particularistes, faisant preuve de plus de créativité en prenant en compte les circonstances particulières (Al Senter, 73 ; traduction MD).

CONCLUSION

Notre étude a donc permis de dégager le rejet des Français pour le pouvoir subi, leur

sensibilité humaniste et leur satisfaction quant à l’état de règlementation de leur pays. Ces

trois réactions, confrontées les unes aux autres, peuvent s’expliquer à partir de la distinction

entre le domaine des relations interpersonnelles et celui de la société. Pour les Français, le

premier devrait être beaucoup plus humanisé qu’il ne l’est alors que le second doit être

extrêmement règlementé. Autrement dit, les interactions sociales, même professionnelles, se

doivent d’être authentiquement humaines, basée sur l’empathie. Le supérieur hiérarchique

doit, en toutes circonstances, et quels que soient les intérêts de l’entreprise, prendre en compte

le point de vue de ses subordonnés et ménager leur susceptibilité. Au contraire, il peut et il

doit y avoir dirigisme pour contrôler le monde économique et social, mais ce pouvoir doit

rester abstrait, c’est à dire prendre la forme de lois, de règlements, et non d’ordres donnés par

quelqu’un. En d’autres termes, les Français de notre échantillon estiment que les règles

sociales, économiques et politiques doivent être respectées dans la mesure où elles assurent

une protection contre les relations de pouvoir interpersonnelles et directes qu’ils ont tendance

à ressentir comme autant d’atteintes à leur autonomie et à leur dignité, bref, comme une

soumission. Les personnes interrogées s’investissent dans leurs entreprises et leur

(19)

environnement, ce qui assure qualité et productivité dans le travail mais supportent

difficilement que leur cadre social et institutionnel soit perturbé. On reste donc bien dans le cadre de la « société bloquée » décrite par Crozier dans les années 1960, même si, comme l’indique Hoffman, ces « blocages » n’auront pas empêché la France de se maintenir parmi les principales puissance économiques mondiales.

On comprendra également, à la lumière de nos résultats, les raisons de l’impopularité du président Nicolas Sarkozy après un an au pouvoir. Ses attaques répétées contre le droit du travail, la régulation sociale et le tissu associatif ont eu pour effet d’exacerber l’anxiété personnelle et sociale inhérente au monde d’aujourd’hui (Bauman). Son interventionnisme à tout crin (dans l’entreprise, dans les médias, dans l’armée, etc.) inquiète politiquement et déstabilise la structure même des relations sociales et hiérarchiques au sein des institutions et de la société civile. Ce qu’on reproche surtout au président Sarkozy, c’est de vouloir sortir de son rôle de président. Or, notre étude nous montre précisément que la figure du dirigeant correspond à un rôle au sein d’un système. Sa réussite, celle du président ou de tout Français ou étranger qui travaille en France dépendra finalement des capacités d’observation et

d’adaptation au rôle qu’il s’est choisi et/ou qui lui aura été assigné.

Nancy Université

Notes

1 “ For Project Globe, culture is defined as shared motives, values, beliefs, identities, and interpretations or meanings of significant events that result from common experiences of members of collectivities that are transmitted across generations”.

2 Pour l’étude complète, voir Castel et al.

3 Nous faisons ici référence à la distinction classique entre types de pouvoir proposée par

French et Raven (1959, cité par Dale et al. 514). Ces 5 types sont : (1) le pouvoir coercitif

(20)

basé sur la peur (le bâton); (2) le pouvoir lié à la récompense (reward power ; la carotte), que cette récompense soit d’ordre matériel (salaire) ou non (reconnaissance, remerciements) ; (3) le pouvoir légitime lié à la position dans la hiérarchie ; (4) le pouvoir lié à la compétence (expert power) basé sur l’expertise technique mais aussi managériale. Au plus cette expertise est poussée, au plus la personne aura d’influence ; et (5) le pouvoir référent (referent power) dans lequel la personne au pouvoir représente un modèle à imiter et motive ses subordonnés par le respect, la confiance et le souci de leur bien-être. On touche ici au côté humaniste du pouvoir qui, nous le verrons plus tard, fait cruellement défaut dans la société française. Selon les économistes Bloom et van Reenen (cités dans Philippon 64-65), ce manque d’expertise en matière de ressources humaines est essentiellement dû à la prédominance du capitalisme familial en France. Ils constatent que les entreprises dirigés par les fils aînés des fondteurs semblent avoir des modes de management plus archaïques que les autres, ce qui, se traduit par un manque de productivité. Pour Philippon, le mode de transmission par l’héritage est une des principales sources d’insatisfaction, ce qui explique les taux de retards anticipés à la retraite, le découragement, et le chômage. Dans son ouvrage sur les élites en France, Ezra Suleiman souligne également que la compétence des élites françaises est essentiellement de nature générale et académique et s’applique peu au monde de l’entreprise (Suleiman, Les élites 170).

4 L’utilisation du terme “ distance hiérarchique” pour rendre le concept de “ distance de pouvoir” dans la traduction du livre de Hofstede est, en ce sens, plutôt malheureuse.

5 Voir aussi l’exemple que nous donne d’Iribarne dans Cultures et mondialisation. Dans son article intitulé “Coopérer à la belge: la mise en œuvre problématique d’un agenda

électronique”, il montre les dysfonctionnement qui peuvent survenir dus au refus de collaborer des “commerciaux” et des “techniciens”.

6

Réforme LMD : Licence, Master, Doctorat.

(21)

7 Dans une étude menée par la société DDI (Development Dimension International ; voir www.ddiworld.com), 65 pour cent des cadres français affirmaient que ce qu’ils préféraient dans leur statut de cadre était la liberté de prendre des décisions avec un minimum

d’interférences, contre 46 pour cent des cadres allemands et 39 pour cent des cadres britanniques.

8 Ce qui est encore souvent le cas. Ainsi 250 des plus grandes entreprises appartiennent à cette catégorie, parmi lesquelles on compte l’Oréal (famille Bettencourt), Auchan (famille Mulliez), Lagardère, Bouygues, Michelin, LVMH (Bernard Arnaud), etc. et représentent 70 pour cent de la production française (Le Monde, 29 juillet 2002). Pour Thomas Philippon (51- 70), ce capitalisme familial empêche la promotion interne basée sur l’expérience et le mérite, et provoque ainsi une démotivation qui mène au sous-emploi.

9 Ceci se vérifie également dans le secteur public où les concours d’admission, basés sur des notes de synthèses et des connaissances de culture générale, n’ont que très peu à voir avec les compétences dans le travail qui sera effectué par la suite (comptabilité, gestion, etc.)

10 L’exhortation suivante, extraite du discours de politique générale de François Fillon (2007) est de ce point de vue révélatrice : « Ma conviction est que la vraie démocratie sociale ne va pas sans responsabilisation. Cette responsabilisation des organisations syndicales et

patronales, je veux la pousser le plus loin possible, c’est-à-dire jusqu’à une refonte du

dialogue social ». On pense ici également aux propositions liées à l’autonomie des universités (loi relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU)), qui se font selon des règles encore plus contraignantes qu’auparavant.

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