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Livre second de la dialectique transcendantale Les raisonnements dialectiques de la raison pure

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Livre second de la dialectique transcendantale Les raisonnements dialectiques de la raison pure

De l’objet (Gegenstand ou Objekt) qui correspond à une idée purement transcendantale, nous ne pouvons avoir aucune connaissance. Comment le concevoir reste problématique ? Le concept de cet objet est problématique. Les raisonnements qui conduisent à de telles idées sont pourtant nécessaires et ils sont purement subjectifs ; par là, on veut dire qu’il s’agit d’un fonctionnement de la raison sans lien direct avec l’expérience empirique objective. Pourtant « par l’effet d’une inévitable apparence » (durch einen unvermeidlichen Schein), nous attribuons une réalité objective à ces idées.

Ces raisonnements sont originairement subjectifs. Lorsqu’ils arrivent à la conclusion (fausse) d’attribuer une réalité objective aux idées, lorsqu’ils conduisent à la conclusion de l’affirmation objective de l’objet correspondant à l’idée, ces mêmes raisonnements méritent plutôt le nom de sophismes. « Ce sont des sophismes, non de l’homme, mais de la raison pure elle-même, et le plus sage des hommes ne saurait s’en affranchir ; peut-être, à la vérité, après bien des efforts, parviendra-t-il à se préserver de l’erreur, mais non de l’apparence qui le poursuit et se joue de lui sans cesse » 1

Il y a trois types de raisonnement ; ainsi il y aura trois objectivations sophistiques, correspondant aux trois idées. Dans la première classe de raisonnements (catégoriques), à partir du sujet, je conclus à l’absolue unité de ce sujet sans en avoir aucun concept ; cette inférence fausse, Kant l’appelle paralogisme transcendantal. Dans la deuxième classe de raisonnements (hypothétiques), à partir de la condition inconditionnée, je conclus à l’absolue unité de la série des conditions ; d’un concept (par exemple « fini ») qui se contredit lui-même je conclus au concept opposé (« infini ») et il en va de même en partant du concept opposé : l’état de la raison dans ces inférences dialectiques est appelé par Kant antinomie.

Dans la troisième classe de raisonnements (disjonctifs), à partir de la totalité des conditions nécessaires, je conclus à l’être de tous les êtres auquel ne correspond aucun concept de l’entendement : et Kant donne à ce raisonnement dialectique le nom d’idéal de la raison pure.

Chapitre premier

Des paralogismes de la raison pure

1 CRPu p.1045-1046 ; A339 ; B397.

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Nous suivrons principalement le texte de la seconde édition (1787).

Un paralogisme logique est un faux raisonnement, proscrit par la logique formelle. Par exemple, le moyen terme du syllogisme catégorique employé dans deux sens différents invalide complètement le raisonnement : si je dis « toutes les femmes sont des hommes, or tous les hommes sont du genre masculin », la conclusion « toutes les femmes sont du genre masculin » est évidemment paralogique, puisqu’« homme » est équivoque et pris en deux sens différents. Il ne s’agit pas ici de détecter les paralogismes de la logique formelle. « Un paralogisme transcendantal a un principe transcendantal fondamental qui nous fait conclure faussement quant à la forme »2. Le raisonnement conclut faussement quant à la forme, c’est-à-dire quant à la détermination, dans le cas présent quant à la détermination de la première idée pure de la raison ; il produit des concepts ratiocinés, conclus, alors qu’il devrait suspendre la conclusion, tenir compte de la matière, c’est-à-dire du déterminable et s’en tenir aux concepts ratiocinants. La conclusion erronée du raisonnement se situe au niveau du quatrième couple des concepts de la réflexion forme/matière ou détermination/déterminable. Mais plus largement, c’est le principe transcendantal de l’équivoque qui rend le paralogisme possible c’est l’amphibologie de chacun des concepts de la réflexion : pour la quantité, l’uniformité (Einerleiheit) et la diversité (Verschiedentheit) ; pour la qualité, l’accord (Einstimmung) et le conflit (Widerstreit) ; pour la relation, l’intérieur (das Innere) et l’extérieur (das Äussere) ; pour la modalité, la matière (Materie) et la forme (Form). Le principe transcendantal de l’équivoque relève de la distinction entre phénomène et noumène : si le moyen terme est pris comme noumène dans la majeure et comme phénomène dans la mineure, il est évident que la conclusion est non valide. « Cette sorte de raisonnement fautif a son fondement dans la nature de la raison humaine, et elle entraîne une illusion inévitable, mais qu’il n’est pourtant pas impossible d’analyser »3.

Le terme en question c’est la première idée de la raison pure : le sujet pensant, le je pense, le Cogito.

Chez Descartes, le cogito est introduit par le doute hyperbolique qui va jusqu’à supposer, à la place du vrai Dieu source de vérité, « un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant, qui a employé toute son industrie à me tromper »4. Mais quelle que soit la fausseté de mes pensées, à partir du doute, je peux me retourner sur moi-même, je peux me voir moi-même en train de douter et je découvre que je pense. Et de penser, je peux déduire que je suis : cogito ergo sum. Je suis « une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent »5. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de croire que les choses corporelles, qui sont pourtant l’objet de mon doute, sont plus claires et distinctes que celles qui appartiennent à ma propre

2 CRPu 1047 ; A341 ; B399.

3 CRPu 1047 ; A341 ; B399.

4 Descartes, Méditations métaphysiques, p.33.

5 Descartes, Méditations métaphysiques, p.43.

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nature, à ma substance pensante6. Comment traiter ces choses corporelles ? Descartes prend ici l’exemple d’un morceau de cire sorti de la ruche avec l’évocation des cinq sens ; si nous le chauffons, toutes ces caractéristiques sensorielles disparaissent et subsiste seulement leur situation dans l’espace ; ainsi est dégagée la substance étendue à partir des divers accidents du morceau de cire présentés dans les cinq sens.

Descartes oppose ainsi substance pensante et substance étendue, esprit et corps.

Le cogito de Kant, comme première idée de la raison pure, ne part pas du doute hyperbolique, ne convoque ni Dieu, ni mauvais génie et n’aboutit pas à l’affirmation d’un être. Le « je pense », « est le véhicule de tous les concepts en général, et par conséquent aussi des concepts transcendantaux, il est toujours compris parmi ceux-ci »7. Autrement dit, le

« je pense » kantien c’est le sujet transcendantal, c’est-à-dire le fonctionnement du savoir tel qu’il a déjà été abordé par l’esthétique transcendantale et l’analytique transcendantale. Alors que, pour Descartes, le cogito comprenait d’emblée l’ensemble de l’activité de l’esprit y compris le vouloir et le non vouloir, l’espoir et le non-espoir, le cogito est abordé ici par l’appareil de la connaissance, même si, comme on le verra, il débouche sur les autres questions reprises dans les deux autres critiques (que dois-je faire ? Et que puis-je espérer ?). Le cogito est donc pris ici par le biais de la prise de conscience du sujet transcendantal.

La première idée de la raison est pure de toute expérience empirique.

Mais pourtant le « je pense » n’est jamais détaché de la sensibilité a priori : pour que la spontanéité de l’entendement puisse s’exercer, il faut supposer un donné et les conditions de possibilité de la sensibilité, l’intuition pure sous ses deux formes de l’espace (sens externe) et du temps (sens interne). C’est même précisément dans la sensibilité que le

« je pense » peut devenir un objet (un « sum »). Le « je pense » sert « à distinguer deux sortes d’objets à partir de la nature de notre faculté de représentation. Je suis, en tant que pensant, un objet du sens interne et m’appelle âme (Seele). Ce qui est un objet des sens externes s’appelle corps (Körper) »8.

Prenons le tableau des différents types de représentation9 par le bout le plus large et non par le bout de l’idée, le « je pense » est une représentation consciente du sujet transcendantal, c’est donc une perception. Mais il devient difficile d’aller plus loin : le « je pense » n’est pas une sensation, laquelle se définit comme « une perception rapportée uniquement au sujet, comme une modification de son état » ; si le « je pense » est rapporté uniquement au sujet, c’est comme persistance de son état. Le « je pense » n’est pas non plus une perception objective ou une connaissance, puisqu’il ne se rapporte qu’au sens interne (le temps) et non au sens externe (l’espace) : l’âme n’est pas le corps. Et de plus, le

6 Descartes, Méditations métaphysiques, p.45.

7 CRPu 1047 ; A341 ; B399.

8 CRPu 1047 ; A342 ; B400.

9 CRPu 1031 ; A320 ; B376-377.

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sujet n’est pas égal à la pure forme du temps, mais il est perçu dans l’exercice de la pensée qui implique le sens interne. « Le mot Je, en tant qu’il désigne un être pensant, indique donc déjà l’objet de la psychologie »10. L’âme (ou la psyché) comme objet de la psychologie n’est pas un objet, n’est pas une perception objective. Telle est l’ambiguïté fondatrice de la psychologie. La psychologie rationnelle, c’est-à-dire de l’âme proprement dite, ne peut inclure aucune perception particulière de mon état interne, sans devenir une psychologie empirique, c’est-à-dire une description non de l’âme, mais des comportements, des corps, physico-chimiques lesquels se substituent à la question de l’âme inhérente au « je pense ». « Je pense, voilà donc l’unique texte de la psychologie rationnelle »11.

Mais alors, comment développer cette science si particulière dont l’objet (Gegenstand), si particulier, ne se situe pas dans l’espace propre à l’expérience empirique ? On peut distinguer les concepts et les raisonnements qui développent cette psychologie. Premièrement, du point de vue de l’entendement, cette pensée doit se rapporter à un objet et cet objet doit être cerné par des concepts. Comme il s’agit d’un « je pense », sans le moindre prédicat empirique, cette science ne peut cerner son objet que par des prédicats transcendantaux inhérents à cet objet. Autrement dit, l’objet de la psychologie ne peut être cerné que par les catégories.

Ainsi en termes psychanalytiques, le sujet ne peut être cerné que par les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (répétition, inconscient, pulsion, transfert). Deuxièmement, du point de vue de la raison, faute de tout matériel empirique, ce même sujet ne peut être pensé que par raisonnements, que par syllogismes. Troisièmement, concepts et raisonnements doivent correspondre ; à chaque concept fondamental, à chaque catégorie (quantité, qualité, relation, modalité), correspond un raisonnement. La psychologie rationnelle comporte ainsi quatre chapitres fondés sur un raisonnement de quantité, un raisonnement de qualité, un raisonnement de relation, un raisonnement de modalité.

Les concepts fondamentaux convoqués pour développer la psychologie sont inhérents au « je pense » lui-même, puisque ce dernier n’est autre que la représentation consciente du sujet transcendantal lequel s’explicite par le biais des catégories. De ce point de vue, la psychologie ne peut être que l’analyse du « je pense », elle ne fait qu’expliciter « je pense » sans y apporter aucune connaissance. « Je pense, voilà donc l’unique texte de la psychologie rationnelle »12.

Pourtant l’objet (Gegenstand) de la psychologie est problématique : un objet qui n’est pas un objet phénoménal. Il se situe par rapport à la distinction de tous les objets en général en phénomènes et noumènes (chapitre III de l’analytique transcendantale). Les raisonnements tenteront d’appliquer les concepts fondamentaux au seul objet de la psychologie et

10 CRPu 1047 ; A342 ; B400.

11 CRPu 1048 ; A343 ; B401.

12 CRPu 1048 ; A343 ; B401.

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cette tentative d’application est inévitable si l’on peut construire une psychologie. Dans ces syllogismes, le moyen terme est employé dans deux sens différents, un sens nouménal et un sens phénoménal. Et ce n’est que par cette amphibologie, en tant qu’elle n’est pas soumise à la réflexion (concepts de la réflexion), que peut se développer une matière illusoire pour la psychologie. Ces quatre raisonnements sont tous faux : ce sont des paralogismes, comme Kant va le démontrer en sapant à la base chacun des chapitres de la psychologie rationnelle pour ne laisser que le seul texte du « je pense ».

Commençons par les concepts explicitant le « je pense ». Comme le « je pense » est apparu au niveau de la raison qui joue sur les relations, le « je pense » apparaît d’abord la prise de conscience du sujet transcendantal qui ne change pas : « l’âme est substance ». Et à partir de cette catégorie de la relation, nous suivons à rebours (3, 2, 1, 4) la série des autres catégories : « l’âme est simple quant à sa qualité », « numériquement identique, c’est-à-dire unité », « en rapport avec des objets possibles dans l’espace »13. On peut remarquer que le « je pense » est chaque fois pris sous l’angle de la première sous-catégorie : substance, réalité (simple), unité, possibilité. C’est de ces quatre catégories analysant le « je pense » que proviennent tous les concepts de la psychologie pure. Cette substance (3) est immatérielle (« je pense » n’est pas un objet phénoménal). Sa réalité (2) est incorruptible (non soumise à la négation comme opposition de deux sensations de sens opposés). Son unité (3) donne la personnalité.

Enfin, la possibilité (4) de rapport avec les objets dans l’espace constitue la spiritualité : « Le rapport aux objets dans l’espace donne le commerce avec les corps. Elle représente donc la substance pensante comme le principe de la vie dans la matière, c’est-à-dire comme une âme (anima), et comme le principe de l’animalité. L’âme renfermée dans les limites de la spiritualité donne l’immortalité »14.

Par ce « je pense », « on ne se représente rien de plus qu’un sujet transcendantal des pensées = X »15. Et si l’on ajoute que « je pense » implique la conscience, « la conscience en elle-même n’est pas tant une représentation qui distingue un objet particulier qu’une forme de la représentation en général »16. Or je ne puis me représenter le « je pense »

« par aucune expérience extérieure, mais seulement par la conscience »17. Par rapport à l’objectivité, « cette proposition : je pense, n’est prise que dans un sens problématique. On ne se demande pas si elle peut contenir la perception d’une existence (comme le cogito, ergo sum de Descartes), mais on l’envisage au point de vue de sa seule possibilité, afin de voir quelles propriétés peuvent découler d’une proposition si simple relativement à son sujet (que celui-ci puisse exister ou non) »18.

13 CRPu 1049 ; A344 ; B402.

14 CRPu 1049 ; A345 ; B403.

15 CRPu 1050 ; A346 ; B404.

16 CRPu 1050 ; A346 ; B404.

17 CRPu 1050 ; A347 ; B405.

18 CRPu 1051 ; A347 ; B405.

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En développant les chapitres de la psychologie, on n’a fait qu’expliciter le

« je pense » en employant les catégories en partant de la relation et en remontant en sens inverse vers la qualité, la quantité et enfin la modalité.

Pour la relation, le « je pense » est toujours un sujet et ne peut jamais servir de prédicat attaché à la pensée ; c’est une proposition nécessaire, mais elle dit la même chose que le cogito lui-même. Pour la qualité, le « je pense », « désigne un sujet logique simple »19; n’étant pas une perception, il n’est pas soumis aux anticipations de la perception. Pour la quantité, le

« je pense » est identique à lui-même à travers la diversité des pensées qui l’occupent. Pour la modalité, le « je pense » est distinct de toutes les choses réelles, empiriques (et dont mon corps fait partie) ; sans être réel, il est pourtant nécessaire comme étant le sujet transcendantal dont on peut prendre consciente tout en étant condition de possibilité de toutes les pensées en général. Contrairement à ce qu’elles semblaient prétendre, ces quatre explications ne disent pas plus que le « je pense » lui-même, elles ne font que l’expliciter par tautologie ou par analyse. Il n’y a là aucune connaissance synthétique nouvelle. « L’analyse de la conscience de moi-même dans la pensée en général ne me fait donc pas faire le moindre pas dans la connaissance de moi-même comme objet. C’est à tort que l’on prend l’éclaircissement logique de la pensée en général pour une détermination métaphysique de l’objet »20.

Voilà la question réglée : le seul texte de la psychologie est le « je pense » et tout ce qu’on peut en dire de plus n’est que gloses, qui n’apprennent rien de plus. S’il y avait moyen de faire un pas de plus et d’apporter une réelle connaissance propre à la psychologie, ce serait l’effondrement de toute la critique kantienne, puisque cette nouvelle connaissance aurait fait un pas en dehors du monde sensible, elle serait entrée dans le champ des noumènes. « Les propositions synthétiques a priori ne seraient donc pas, comme nous l’avons affirmé, praticables et admissibles seulement par rapport à des objets d’expérience possible et comme principes de la possibilité de cette expérience, mais elles pourraient aussi s’appliquer à des choses en général, des choses en soi. Conséquence qui mettrait fin à toute notre critique et nous forcerait à retourner à l’ancienne méthode »21. Le danger n’est pas si grand si l’on prend en considération les raisonnements de la psychologie qui l’amène à proposer un contenu consistant à ladite « science » psychologique. Tous ces raisonnements sont paralogiques et la « science » psychologique s’écroule ; le danger qui menaçait la méthode critique de Kant est écarté.

Avec Kant, nous avons exposé le « je pense » comme l’unique proposition de la psychologie réduite à sa plus simple expression, malgré les explicitations tautologique ou analytique de la même proposition. Il s’agit maintenant de montrer comment certains raisonnements de la psychologie apparaissent et reviennent nécessairement à la surface semblant donner un contenu consistant à la connaissance psychologique et surtout de montrer comment ces raisonnements sont faux et peuvent

19 CRPu 1053 ; B408.

20 CRPu 1054 ; B409.

21 CRPu 1054-1055 ; B410.

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s’appeler plus justement paralogismes. Dans la première édition (1781), Kant avait développé très longuement la question de ces paralogismes ; la deuxième édition (1787) vise à suivre la question du « je pense » et le développement des paralogismes est réduit à l’essentiel.

La première idée de la raison, le « je pense », se forme comme condition absolue, comme condition inconditionnée à partir de la première catégorie de la relation. Le premier paralogisme est donc le paralogisme de la relation et s’appelle paralogisme de la substantialité. Il part du fait que le

« je pense » est inhérent à toute pensée ; c’est ce qui se joue dans l’esthétique et l’analytique transcendantale, jusqu’ici rien à critiquer. Mais le pas supplémentaire qui consiste à dire qu’il existe un être substantiel de la pensée, un sujet pensant (cogito ergo sum) est démontré comme faux par Kant. Voici l’écriture de ce paralogisme par Kant : « Ce qui ne peut être pensé que comme sujet n’existe que comme sujet et est par conséquent substance. Or, un être pensant, considéré simplement comme tel, ne peut être pensé que comme sujet. Donc il n’existe aussi que comme sujet, c’est-à-dire comme substance »22. La majeure correspond à la première analogie : tout qui est pensé comme persistant dans les phénomènes est substance (c’est la définition de la substance) ; la mineure correspond à l’expérience du « je pense » : le « je pense » est pensé comme persistant dans tout fonctionnement du flux des pensées.

On peut encore formuler le syllogisme autrement en appelant « sujet » ce qui est pensé comme persistant ; la majeure devient : le sujet dont on parle, ce qui persiste en deçà des prédicats accidentels qu’on lui attribue est substance ; la mineure devient : le « je pense » est un « sujet » qui persiste dans le fonctionnement du sens interne et de l’entendement.

Quelle que soit la formulation du moyen terme « ce qui est pensé comme persistant » ou « sujet », le terme est fondamentalement équivoque.

« Dans la majeure, il est question d’un être qui peut être pensé sous tous les rapports en général, et aussi par conséquent tel qu’il peut être donné dans l’intuition. Mais dans la mineure, il n’est plus question du même être qu’autant qu’il se considère lui-même comme sujet uniquement par rapport à la pensée et à l’unité de la conscience, mais non pas en même temps par rapport à l’intuition, qui donnerait cet être comme objet de la pensée »23. En d’autres termes dans la majeure, le sujet est pensé comme l’objet dont on parle et il correspond au sujet grammatical d’une phrase ou à l’objet d’un discours, tandis que le sujet de la mineure échappe complètement à toute objectivité et se réduit au pur « je pense » apparu chez Descartes à partir de la mise en doute hyperbolique de toute objectivité, apparu chez Kant à partir de la question du rien et de l’impossible (table des formes du rien) et du seul fonctionnement de la raison sans objet empirique. Le raisonnement est paralogique.

L’équivoque du moyen terme correspond précisément à l’amphibologie fondée sur la distinction de tous les « objets » (Gegenstände) en phénomènes et en noumènes. Dans les paralogismes de la raison pure, cette distinction est effacée et la mécompréhension s’installe par là. Le

22 CRPu 1055 ; B410-411.

23 CRPu 1055 ; B410-411.

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concept « substance » n’est plus soumis au troisième couple des concepts de la réflexion : est-ce intérieur, est-ce extérieur ? Dans la majeure, la substance était pensée dans le cadre du sens externe, c’est-à-dire de l’espace, alors que, dans la mineure, elle est pensée exclusivement dans le cadre du sens interne, c’est-à-dire du temps constitutif du « je pense ».

Le terme de substance, au sens de la première analogie, est inapproprié au « je pense » : « dans l’intuition intérieure, nous n’avons rien de permanent, puisque le Je n’est que la conscience de ma pensée (...) la simplicité de la substance qui y est liée s’évanouit totalement avec la réalité objective de ce concept, pour se tranformer en une unité purement logique »24 de la conscience de soi dans la pensée en général. La psychologie ne peut traiter de substances.

(Mendelssohn prétendait prouver la permanence de l’âme par l’argument de la simplicité. Un être simple « ne peut assurément pas être diminué, disait-il, ni par conséquent perdre peu à peu quelque chose de son existence, de manière à se trouver ainsi progressivement réduit à rien puisqu’il na pas de parties, ni par conséquent de pluralité en lui-même ».

Kant fait remarquer que si une chose simple ne peut décroître et disparaître du point de vue de la grandeur extensive (la quantité), elle peut au contraire décroître et disparaître en ce qui concerne la grandeur intensive (la qualité). La conscience, dont il s’agit précisément dans le « je pense » « a, en tout temps, un degré qui peut toujours diminuer »25. La permanence de l’âme ne se démontre pas en partant de la simplicité.) Je reprends ici brièvement les trois derniers paralogismes (qualité, quantité et modalité) à partir de la première édition qui les développe beaucoup plus largement que la seconde édition. Le deuxième paralogisme concerne la qualité et s’appelle paralogisme de la simplicité.

« Une chose dont l’action ne peut jamais être regardée comme le concours de plusieurs choses agissantes est simple. Or l’âme, ou le je pensant, est une chose de ce genre. Donc, etc. »26. L’âme n’est pas composée comme une force résultant de la combinaison de plusieurs forces d’intensité et de directions différentes. Par exemple, un vers ou une phrase n’est pas composé par l’assemblage de plusieurs mots27. Mais dire que la représentation du « je pense » doit simple ne veut dire qu’une chose c’est « qu’on n’y détermine rien du tout »28. L’affirmation de la simplicité de l’âme n’a qu’une seule valeur c’est de dire qu’elle ne rentre pas dans les conditions de composition telles qu’elles existent toujours dans la matière phénoménale, aussi on exprime généralement cette simplicité en disant : « L’âme n’est pas corporelle »29. « Cela signifie que des êtres pensants, comme tels, ne peuvent jamais se présenter à nous parmi les phénomènes extérieurs, ou que nous ne pouvons pas intuitionner extérieurement leurs pensées, leur conscience, leurs désirs,

24 CRPu 1056 ; B412-413.

25 CRPu 1057 ; B414.

26 CRPu 1431 ; A351.

27 CRPu 1431 ; A351.

28 CRPu 1434 ; A355.

29 CRPu 1434-1435 ; A356.

(9)

etc. ; car cela appartient au sens interne »30. Ici, le moyen terme « une chose qui ne peut être regardée comme composée » est évidemment équivoque : dans la majeure, il s’agit d’une chose simple dans l’intuition externe, alors que dans la mineure, il s’agit justement d’exclure toute phénoménalité. La psychologie ne peut traiter de ces objets simples que seraient les êtres pensants, puisque cette simplicité ne veut dire que l’exclusion du sens externe, sans lequel il n’y a pas de traitement possible.

Le troisième paralogisme, celui de la quantité, est nommé « paralogisme de la personnalité ». « Ce qui a conscience de l’identité numérique de soi- même en des temps divers, est à ce titre une personne. Or l’âme, etc., Donc elle est une personne »31. « L’identité de soi-même en des temps différents » de la majeure est prise du point de vue d’un observateur extérieur, alors que l’identité du cogito exclut précisément ce point de vue extérieur où les temps sont multiples pour ne retenir que l’unité du temps : « j’ai conscience de ce temps comme appartenant à l’unité de mon moi »32

Le quatrième paralogisme, celui de la modalité, n’est formulé comme tel ni dans la première édition, ni dans l’édition de 1787. Je propose de le formuler : « Tout ce qui rend possible la vie dans les corps (tout ce qui est principe de vie) est spiritualité, or l’âme (du je pense) est.... . Donc l’âme est esprit ». Ici c’est la possibilité qui est amphibologique, dans la majeure, elle est phénoménale ; dans la mineure, il s’agit de possible au sens de problématique (en dehors de la possibilité phénoménale). Dans la première édition, le quatrième paralogisme est nommé paralogisme de l’idéalité. Il reprend l’exposition du cogito de Descartes et en expose la critique. « L’existence de tous les objets des sens extérieurs est douteuse.

Cette incertitude, je l’appelle l’idéalité des phénomènes extérieurs »33. Il faut entendre ici : les objets extérieurs ne sont jamais immédiatement connus, leur connaissance peut être trompeuse en fonction de toutes sortes d’idées qui peuvent l’écarter de la vérité. Le doute hyperbolique de Descartes est nommé par Kant « idéalisme problématique » puisqu’il remet en question le phénoménal lui-même ; cet idéalisme est tout à fait différent de l’idéalisme transcendantal qui remet en doute tout réalisme transcendantal au profit d’une structure de vérité centrée sur le phénomène. Tous les phénomènes sont de simples représentations et non des choses en soi34. L’idéalisme problématique de Descartes, ou la conclusion du quatrième paralogisme, en posant l’existence de la spiritualité comme le principe de toute vie, aboutit à « l’unité inconditionnée de l’EXISTENCE dans l’espace c’est-à-dire non comme conscience de plusieurs choses hors d’elle, mais SEULEMENT DE LEXISTENCE DELLE-MÊME et des autres choses, simplement comme ses représentations »35. L’idéalisme problématique de Descartes aboutit bien

30 CRPu 1435 ; A357.

31 CRPu 1438 ; A361.

32 CRPu 1439 ; A362.

33 CRPu 1442 ; A367.

34 CRPu 1444 ; A369.

35 CRPu 1469 ; A404.

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au SUM, à l’existence du moi.

La série de ces paralogismes se propose comme un enchaînement synthétique : l’âme (la psyché) est un être substantiel, l’âme est simple (non composée), l’âme est une personnalité, l’âme est une existence certaine sous-jacente à tous les phénomènes extérieurs problématiques.

Ces propositions « sont valables pour tous les êtres pensants dans la psychologie rationnelle considérée comme système »36. Ce système rationaliste c’est l’idéalisme problématique de Descartes, où « l’existence des choses extérieures n’est pas requise pour la détermination de notre propre existence dans le temps »37. Ce système idéaliste et spiritualiste prétend — à tort — synthétiser de nouvelles connaissances à partir de ces raisonnements (en fait paralogiques) et il aboutit à l’existence du sum, mais ces propositions idéalistes sont effectivement sans réelle portée, puisque les principes de l’analytique transcendantale ne sont jamais appliqués à l’expérience et que les concepts de la réflexion sont court- circuités. Dans cette méthode, on parcourt les catégories dans le sens 3, 2, 1, 4. On part de la substance du Je (3) pour arriver à l’affirmation de son existence (4).

Mais le « je pense » pourrait être abordé aussi par une autre voie, la méthode analytique (il s’agit ici de l’analyse logique et non de la psychanalyse, faut-il le préciser) qui part du « je pense », non pas comme une substance inhérente à la pensée, mais comme existence modale. On prend ici le « je pense » comme fondement en tant qu’elle renferme en elle-même une existence comme donnée. On retrouverait d’ailleurs ce fondement chez Descartes lui-même. On parcourt ici les catégories dans le sens 4, 3, 2, 1. On part ici de la modalité d’existence d’un « je pense » (4) ; à partir de ce « je pense », on peut déterminer, du point de vue d’une logique formelle, un « sujet » de ce « pense » sans préciser s’il faut l’entendre comme substance ou non (3) ; ce sujet est pensé comme simple, toujours du point de vue d’une logique formelle. « Or, il n’y a dans l’espace rien de réel qui soit simple »38. Donc le matérialisme (fondé sur l’espace réel) est insuffisant à expliquer mon existence et la psychologie rationnelle.

Que je parte synthétiquement de la substance de l’être du je suis ou analytiquement de l’existence du je pense, je n’aboutis à aucune connaissance. « Il n’y a donc aucune psychologie rationnelle, comme doctrine ajoutant quelque chose à la connaissance de nous-mêmes. Il n’y en a une que comme discipline fixant dans ce champ des limites infranchissables à la raison spéculative ; elle l’empêche, d’une part, de se jeter dans le sein d’un matérialisme sans âme et, d’autre part, de se perdre dans l’exaltation d’un spiritualisme qui n’a pour nous aucun fondement de la vie »39. La question du « je pense » vaut juste comme discipline, comme usage pratique.

36 CRPu 1059 ; B416.

37 CRPu 1059 ; B418.

38 CRPu 1060 ; B419.

39 CRPu 1061-1062 ; B421.

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On peut préciser maintenant la question de l’union de l’âme avec le corps ou de la substance pensante avec la substance étendue. Cette question n’appartient pas à la psychologie rationnelle qui « se propose de démontrer la personnalité de l’âme même en dehors de cette union »40. Elle reçoit une solution satisfaisant dans la doctrine kantienne. La difficulté du problème tient en ce que l’âme ou la substance pensante relèvent uniquement du sens interne (le temps), tandis que le corps et les substances étendues supposent en plus le sens externe (l’espace). « Si l’on songe qu’il n’y a pas entre ces deux espèces d’objets de différence intrinsèque, qu’ils ne se distinguent qu’en tant que l’un apparaît extérieurement à l’autre, et que par conséquent ce qui, comme chose en soi, est au fondement de la manifestation phénoménale de la matière pourrait bien n’être pas d’une nature si hétérogène, alors la difficulté s’évanouit, et il n’en reste plus d’autre que de savoir comment est possible une union de substances »41. Cette question de l’union de plusieurs substances différentes est déjà traitée dans la troisième analogie de l’Analytique transcendantale : « Toutes les substances, en tant qu’elles peuvent être perçues comme simultanées dans l’espace, sont dans une action réciproque universelle »42. Ce qui voudrait dire que pour traiter l’union de l’âme et de l’esprit, il faut nécessairement lui supposer un espace, lequel est imaginé aussi bien dans l’enchaînement synthétique du je suis que dans la méthode analytique du je pense. À partir de là, il faut supposer une action réciproque entre le corps et l’âme : la psychosomatique par laquelle se définit la pulsion.

L’idéalisme problématique de Descartes reconnaissait la certitude de la substance pensante et le doute généralisé en ce qui concerne la substance étendue. On pourrait donc concevoir une âme comme substance pensante indépendamment de tout corps comme substance étendue. Or Kant, dans sa réfutation de l’idéalisme cartésien, montre que

« la détermination de mon existence dans le temps n’est possible que par l’existence de choses réelles, que je perçois hors de moi (...) c’est-à-dire que la conscience de ma propre existence est en même temps une conscience immédiate de l’existence d’autres choses hors de moi »43. Il est donc nécessaire de penser l’action réciproque de l’âme et du corps.

Le passage de la psychologie rationnelle à la cosmologie.

La psychologie rationnelle a pour intérêt de mettre des bornes à notre connaissance. Mais du point de vue pratique (morale), la loi morale implique la position d’une âme ou d’un sujet irréductible à l’expérience phénoménale. Pour dire ce sujet, je serai toujours obligé d’employer des intuitions sensibles qui donnent forme aux concepts par lesquels je saisis ce sujet. « Or ces intuitions ne peuvent m’aider à m’élever au-dessus du champ de l’expérience »44. Pour pouvoir envisager le champ de la loi

40 CRPu 1066 ; B427.

41 CRPu 1066 ; B427-428.

42 CRPu 942 ; A211 ; B256.

43 CRPu 957 ; B275-276.

44 CRPu 1069 ; B431.

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morale, je suis donc obligé d’imaginer non plus simplement une âme simple, immortelle, etc., mais un système de fonctionnement du monde qui ne correspond pas à la causalité déterministe telle qu’on la trouve dans les phénomènes en général. Cette causalité qui serait en dehors des phénomènes s’appelle la liberté. Et elle est introduite dans les

« antinomies de la raison pure », le deuxième chapitre des raisonnements dialectiques de la raison pure.

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