M. E YTAN
Matrices ordonnables : une étude algébrique
Mathématiques et sciences humaines, tome 50 (1975), p. 15-22
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MATRICES ORDONNABLES : UNE ETUDE
ALGEBRIQUE
*
M. EYTAN
0. INTRODUCTION
Dans un article récent
([1]),
J.Bertinintroduit,
sous le nom de matriceordonnable,
unetechnique
demanipulation graphique qui,
àpartir
d’un ta-bleau comportant des noirs et des blancs
disposés
defaçon quelconque,
permet d’obtenir un autre tableau où les
lignes
et les colonnes ont étéregroupées
de sorte que lesplages rectangulaires
noires s’échelonnent lelong
de ladiagonale
seulement. Puis il en tire des conclusionsméthodologi-
ques opposant ce
procédé
à laMathématique (sous-entendu
lenumérique).
Pour efficace et utile que ce
procédé
soit sur leplan pratique,
il nousa
suggéré quelques
réflexions. Aussi aimerions-nous :. montrer sur cet
exemple
très concret que laMathématique
est loin dese réduire à des
opérations numériques,
même dans le domaine des SciencesHumaines et
qu’on
peut traduire l’essence de cesmanipulations graphiques
en termes
algébriques,
. soulever
quelques problèmes
que lamanipulation graphique
ne peutrésoudre,
. différer avec les conclusions
méthodologiques
de J.Bertin.1. FORMULATION PRECISE DU PROBLEME
Notre donnée initiale sera un tableau
rectangulaire
T dont les élémentsti.(i=1,2,...,m ; j=1,2,...,n)
prennent les seules valeurs0(blanc)
ou1J
1(noir).
Soient E un ensemble à m éléments(notés xi,
1i=I,...,m)
et F un* Cet article est le résumé d’un travail fait en
1968-1969, lorsque
l’au-teur faisait
partie
du Centre de Calcul de la Maison des Sciences del’Homme.
de la
partie
G suivant x(ensemble
des y tels que(x,y)
EG) .
Le
problème
de J. Bertin peut alors se formuler dans les termessuivants : étant donné le tableau T
(considéré
comme celui d’une correspon- dance G de l’ensemble E vers l’ensembleF),
obtenir par de seulespermutations
deslignes
et des colonnes deT,
un tableauT "quasi-diagonal"
(les
1 se trouvent tous dans desrectangles
se recoupant auplus
deux àdeux, disposés
lelong
de ladiagonale).
En termes encore
plus précis :
trouver un recouvrement(E k) k=l
$p de E et unrecouvrement (Fk )
._. K~ 1 , ... , pde F
vérifiant (fig.1) :
(1) (x.,y.)
1 J E G si et seulement si il existe un k Ell,...,pl
tel queEx
etY, E Fk (même
indice kpour E. et F.).
(2)
pour tout k et tout £(k~=!,...,p),
siIk-£l
> 1 alorsE k(1 E£
=0, FR,
=0.
(3)
lesE k
etF k
vérifiant(1)
et(2)
sont maximaux(pour l’inclusion).
Remarque :
la condition(2)
traduisant le fait que lesrectangles
se coupentau
plus
deux à deux peut segénéraliser facilement ;
nous en laissons le soinau lecteur.
2. EXEMPLES D’APPLICATION . Ex.l : ordination des marges
Supposons
donné un ensembled’objets archéologiques
datant d’un certain nombre md’époques, qui possèdent
un certain nombre n depropriétés.
Onsuppose les
objets
caractérisés par lespropriétés
de tellefaçon
que :a)
lesobjets
d’une mêmeépoque
ipossèdent
tous les mêmespropriétés, b)
unobjet
d’uneépoque
k ne peut avoir aucunepropriété
commune avec unobjet
d’uneépoque
au-delà de k+1(et
parconséquent en-deça
dek-1).
Dressons alors un tableau
rectangulaire
de dimension m x n, en portant dans la case(i,j):
-
j
1 si lesobjets
del’époque
ipossèdent
lapropriété j
t.. - ..
tij
_1
0 sinon.Il est facile de voir que la
quasi-diagonalisation
induit sur leslignes
un ordre entre
époques qui
n’est autre que l’ordrechronologique (ascendant
ou
descendant,
auspécialiste
d’endécider).
L’ordre sur les colonnes donne alors l’évolution dans le temps despropriétés
desobjets.
. Ex.2 : ordination du
produit
cartésienOn sait que si l’on
prend
une souche microbienne etqu’on
la soumet à untraitement par un
anti-biotique,
celle-cidéveloppe
une résistance naturellequi
finit par rendrel’anti-biotique inopérant.
Supposons
alorsqu’on
soumette m souchesmicrobiennes,
obtenues par ceprocédé,
à nanti -biotiques
différents. Dressons commeprécédemment
untableau m x n où l’on mettra dans la case
(i,j) :
-
{
1 si la souche i est insensible àl’anti-biotique j
tir - 0
sinon.Il est clair que la
quasi-diagonalisation,
une foisréalisée,
traduitl’évolution de l’immunité
acquise
de la souche dedépart.
Nous nous bornons à ces deux
exemples ;
le lecteur tant soit peut familier des Sciences Humaines saitqu’ils
sontlégion.
fermeture (application isotone, idempotente
etcroissante)
dans le treillis’P(E) (resp. ~(F) ) ,
dont la restriction aux fermés deP(E) (resp.
deP(F) )
est
bijective. Les
deux treillis de fermés sontanti-isomorphesp
à l’ordrede l’un
correspondant l’ordre
dual de l’autre. Il est donc loisible de lesreprésenter
par un treillis Lunique, appelé
treillis de Galois de lacorrespondance
G. Ses éléments sont les sous-ensembles ~X xY
de E xF, avec Y
=f*X (et
doncX
=f*Y ) .
Lesopérations
du treillis sont définiespar ~
Or le treillis de Galois L de G est invariant par
permutation
deslignes
et des colonnes du tableau de
G, puisqu’il
nedépend
que de lacorrespondance.
Par
conséquent,
pour savoir s’il estpossible
de ramener parpermutations
deslignes
et des colonnes à la formequasi-diagonale,
il suffit de caractériser le treillis de Galoiscorrespondant
à cette forme.Soit donc
T
un tableauquasi-diagonal,
au sensprécis
défini au § 1. Ilest clair
qu’on
af*Ek = Fk (resp. f *Fk
=Ek) , puisque Fk (resp. Ek)
estle
plus grand
des Y(resp.
desX)
vérifiantEk x
Y c G(resp.
X xFk c G)
(condition ( 1) , (2)
et(3)
du§ 1) . Rappelons
pour mémoire quef*X (resp. f*Y)
est le
plus grand
des X EP (E) (resp.
des Y EP (F) )
tels que X x Y c G.Par
conséquent
les fermés du treillis de Galois L de G sont lesEkx Fk,
etce sont les
seuls, d’après
la condition(1)
du ~1.On va montrer que le treillis des fermés est
constitué,
lemajorant
universel E
x 0
et le minorantuniversel 0
x F mis à part, de trois niveauxau
plus.
En d’autres termes les chaînes maximales sont toutes delongueur
au
plus 5,
ou encore le treillis de Galois L est de hauteur auplus
5. Eneffet
(fig.2) :
a)
au niveau "central" on trouve lesEkx Fk.
Ceux-ci sontincomparables
dansle
treillis,
car à supposer que(Ekx Fk) A Fk’)
=Ekx Fkl
on aurait(Ekn Ekl)
x(FkU Fk, )
=Ekx Fk ’
soit enparticulier E n Ekl = Ek’
impossible
sik 0
k’.b)
au niveau immédiatement en-dessous de ce niveau central on trouve lesEn effet pour les t vérifiant
1 k-£ 1 > 1,
on apar la condition
(2)
du § 1. Or£*0
= F et par suitepour tout t
vérifiant Ik-11
> 1..c) dualement,
au niveau immédiatement au-dessus du niveau central on trouve les seulsRemarque :
si la condition(2)
du §l estgénéralisée
defaçon
à permettre desintersections de
rectangles
autres que les intersections auplus
deux àdeux,
il suffit de modifier en
conséquence b)
etc)
ci-dessus et l’on obtient d’autres conditions sur la hauteur du treillis.Finalement pour
qu’un
tableau Tquelconque
soitquasi-diagonalisable,
il faut et il suffit
qu’il
vérifie la condition(QD)
le treillis de Galois L de lacorrespondance
G associée au tableauT est de hauteur au
plus égale
à 5.ci-dessus, (QD)
suffisante pour
qu’un
tableau T soitquasi-diagonalisable.
A la lecture de l’article cité deJ.Bertin,
il ne nous était pas apparu évident que l’onpuisse toujours
ramener le tableau donné à la formequasi-diagonale (et
l’étude
algébrique
montre à l’évidence que tel n’est pas lecas).
Mais il y a
plus important :
à supposer même que pour un tableau T donné la condition(QD)
soitsatisfaite,
lamanipulation graphique
se faitde
façon
intuitive et non pas selon unalgorithme précis.
Or unprocédé
intuitif peut ne pasaboutir,
soit que l’on tourne enrond,
soit que l’on soit dans uneimpasse.
L’avantage
de la méthodealgébrique
c’est quequand
T estquasi- diagonalisable,
elle donne sa formequasi-diagonale (le
tableau peut êtrereconstruit facilement à
partir
dutreillis)
selon unalgorithme
mécanisable.Et nous ne
parlons
pas duproblème
de la taille des tableaux àquasi- diagonaliser.
Enfin un mot de
méthodologie
etd’épistémologie :
voici unproblème
manifestement
non-numérique qu’on
peutparfaitement
résoudrealgébriquement
et même traiter en ordinateur. Par
conséquent
les élémentsregroupés
ne lesont nullement en vertu d’une
"catégorisation
interne"ésotérique
etmystérieuse
maisuniquement
en vertu du faitqu’ils
sont mis encorrespondan-
ce par le tableau. La seule chose
qui
ait unesignification
réelle est lafaçon
dont les éléments sont mis encorrespondance
dans le tableau :celle-ci, pourrait-on dire,
ne reflète que cequi
se passe dans la tête dupraticien qui
dresse le tableau. ConsidérerMathématique
etGraphique
comme les deuxfaces d’un Janus revient à borner
singulièrement
laMathématique,
et estconstamment démenti par les faits.
5. APPROXIMATION A LA
QUASI-DIAGONALISABILITE
Puisque
laquasi-diagonalisation
ne peut être réalisée que si la condition(QD)
estsatisfaite,
il y a lieu de nous demander cequ’on
peut faire si ellene l’est pas.
Bien entendu un tel
problème
ne se pose même pas à J. Bertin. Il noussemble que ce
qu’il
fait en réalité(que
lacondition(QD)
soit satisfaite ounon),
c’est dequasi-diagonaliser
unepartie
du tableau en laissant un résidu dans leslignes
du bas dutableau,
encore que nousn’ayons
pas biencompris
ce
qu’il
fait.Pour nous,
puisqu’il
estimpossible
d’amener le tableau à la formequasi-diagonale,
force est d’introduire uneprocédure d’approximation.
Voici l’idée
sous-jacente
à laprocédure proposée :
ne paspouvoir quasi-diagonaliser
peut résulter de deuxphénomènes (après
regroupement des1 au
voisinage
de ladiagonale) ;
soit des 1 subsistent en dehors desrectangles,
soit lesrectangles
ne sont pasremplis
entièrement de 1. On y remédie en éliminant pas à pas ces deuxpossibilités.
Comme ces éliminations peuvent se faire deplusieurs façons,
on choisit cellequi
rende maximumune certaine fonction
V,
définie ci-dessous.L’algorithme d’approximation
est le suivant :1)
Chercher la hauteur du treillis de Galois du tableau T donné. S’il est auplus égal
à5,
on aterminé ;
sinon aller à2)
et2’) .
2)
SoientEkx Fk (k=1,...,p)
les éléments du niveau médian v du treillis.Les éléments du niveau v-2 sont de la forme
(Aifl Ai, )
1 1 x(B.U B.,),
J J où lesn (resp.
lesB )
sont des éléments du niveau v-1 et donc intersectionn n
(resp.
fermeture del’union)
de certainsEk (resp.
de certainsFk) .
Onenlève des
couples
du tableau T defaçon
à rendre lesAi(1
1A.,
1vides,
et enrendant
V(A.1
1A. , ,
1B.U
JB. , )
J maximum.2’)Procéder
dualement avec les éléments du niveauv+2,
enrajoutant
deséléments.
3)
Reconmencer en1).
La fonction V pourra être
prise ([5]) égale
à:(où nkk,
est le nombre de 1 dansLa
technique exposée jusqu’ici
ne peutplus
fonctionner tellequelle.
Cependant,
nousconjecturons qu’en
faisant la théorie du treillis de Galoisassociée non
plus
à unecorrespondance
ensembliste mais à une relation dansun topos
(ou plus
modestement dans unelogique
booléennequi
ne soitplus deux-valuée),
onpourrait
encore faire une étudeanalogue.
Mais ceci seraitl’objet
d’un autre article.BIBLIOGRAPHIE
[1]
BERTINJ., "Graphique
etMathématique :
Généralisation du traitementgraphique
del’information",
Annalesn°1,
Janvier-Février1969,
p. 70-101.