L
e sujet n’est pas nouveau mais il s’impose aujourd’hui de façon évidente. Les managers de demain auront le monde pour horizon. Ils devront partager le langage et la culture de ceux avec qui ils devront décider, coopérer ou négocier. Déjà se pose la question de la langue. Un récent éditorial de la revue s’intitulait : « Les scientifiques doivent-ils conti- nuer à écrire en français ? ». Pour beaucoup de mana- gers, la question est dépassée. Beaucoup de conseils de direction de grandes et moyennes entreprises se dérou- lent déjà en anglais. Et le temps n’est pas loin où ceux qui ne maîtriseront pas la langue de Shakespeare ne seront plus que des managers – voire des citoyens – de second ordre. Les meilleures écoles françaises de ges- tion l’ont bien compris qui ont internationalisé et angli- cisé leur recrutement de professeurs et d’étudiants en collant de près aux standards quasi universels du« MBA ».
L’importance et l’actualité de ce thème sont attestées par deux publications majeures. La Revue française de ges- tiona consacré son numéro spécial de fin 2007 à « l’édu- cation au management face aux défis du XXIesiècle »1. Un livre, suscité à l’origine par la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises
Faut-il globaliser la formation
des managers?
1. Nioche J.-P. (coord.), Revue française de gestion, vol. 33, n° 178-179, novembre-décembre 2007.
(Fnege), écrit par deux enseignants français de gestion traite de ce sujet en l’élargissant à l’Europe, voire au monde2. Que retenir de ces deux ouvrages ?
Dans le monde de l’éducation au manage- ment devenu multipolaire, les établisse- ments français risquent d’être dominés et marginalisés s’ils se contentent d’imiter les business schools américaines et leurs clones qui apparaissent dans les pays qui connais- sent un développement rapide, s’inquiètent Thomas Durand et Stéphanie Dameron.
« La recommandation pour l’Europe est donc une combinaison de stratégies de rat- trapage et de différenciation » affirme Jean- Pierre Nioche. Les principales Écoles mon- trent la voie mais la très grande majorité des institutions universitaires ne disposent ni des ressources, ni des libertés de manœuvre indispensables. L’autonomie des institu- tions universitaires ne s’inscrira dans leurs choix stratégiques que lorsqu’elles dispose- ront d’une réelle maîtrise des seuls moyens qui comptent : les personnels. À cet égard, la loi de juillet 2007 sur l’autonomie des universités n’ouvre que des perspectives limitées.
Si les institutions françaises étaient dans l’incapacité de jouer leur partition dans le concert global, Durand et Dameron imagi- nent trois autres scénarios du futur. Faudra- t-il que les institutions s’enlisent par manque de moyens et de perspectives ? Qu’elles divergent entre celles qui produi- sent des connaissances et celles qui arron- dissent leurs revenus en stimulant et diver- tissant des managers ? Qu’elles perdent leur identité et leur autonomie dans des
réseaux mondiaux peu visibles ? Aucune de ces trois alternatives n’étant satisfaisante, deux leviers de développement semblent privilégiés : la recherche et l’insertion dans les débats de société.
L’excellence en recherche est considérée comme un des moyens d’entrer dans le peloton de tête des grandes institutions mondiales de formation des managers. Les classements des institutions par de grands journaux économiques comme le Financial Timeset Business Weekprennent en compte les publications de recherche dans les plus grandes revues anglo-saxonnes. Le succès de ces classements témoigne du développe- ment de la concurrence et de la mondialisa- tion de l’éducation au management mais contraint les chercheurs à s’aligner sur le modèle des grandes revues académiques internationales.
Ceci pourrait expliquer pourquoi les ges- tionnaires sont étrangement absents des débats de société. La distance croissante entre la recherche académique en gestion et son utilité sociale pour les praticiens fait partie des explications plausibles de ce phé- nomène. Comment pourrait-on réconcilier chercheurs et praticiens ? En orientant la recherche vers « la conceptualisation des pratiques innovatrices des entreprises » ? En évitant la « dérive méthodologique » ? En faisant fi des « ratings » du Financial Times qui renforcent des tendances naturelles à l’isolement des corps professoraux ? Bien sûr, il faut globaliser l’éducation des managers. Mais l’ouverture au monde ne devrait pas s’accompagner de la fermeture sur les entreprises et sur la société.
8 Revue française de gestion – N° 184/2008
2. Durand T. et Dameron S. (Ed.), The Future of Business Schools. Scenarios and Strategies for 2020, Palgrave- MacMillan, Houndmills (UK) and New-York, NY (USA), 2008.
7 Éditorial – Jean-Claude Tarondeau 11 Ont contribué à ce numéro
13 Le regard de la théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud
Jean-Pierre Bréchet
35 La « dysorganisation », un fonctionnement sous-optimal recherché par ses acteurs
Robert Holcman
51 Rémunérer les compétences, l’entreprise peut-elle tenir ses promesses ? Alexandre Léné
71 Faut-il rejeter le principe de maximisation de la valeur actionnariale ? Grégory Denglos
Dossier – Stratégies, espaces et territoires Sous la direction de
Jacques Lauriol, Véronique Perret et Franck Tannery
91 Stratégies, espaces et territoires. Une introduction sous un prisme géographique
Jacques Lauriol, Véronique Perret, Franck Tannery 105 Le territoire dans l’analyse économique.
Proximité géographique et proximité organisée Jean-Benoît Zimmermann
119 Théorie économique des clusters et management des réseaux d’entreprises innovantes
Raphaël Suire, Jérôme Vicente
137 La dimension territoriale des situations de gestion Nathalie Raulet-Croset
151 Les stratégies de localisation des firmes multinationales.
Une analyse du secteur automobile Ana Colovic, Ulrike Mayrhofer
167 La coordination spatiale des Parcs industriels fournisseurs Sonia Adam-Ledunois, Sophie Renault
181 L’espace et le territoire dans l’agenda de recherche en stratégie Jacques Lauriol, Véronique Perret, Franck Tannery
199 Summary
203 Note aux auteurs
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Sonia ADAM-LEDUNOISest maître de conférences en Gestion à l’université de Rouen. Ses domaines de recherche portent au sein du NIMEC (Normandie innovation management entreprise consommation) sur les enjeux stratégiques des Parcs industriels fournisseurs et le partenariat asymétrique.
Elle est l’auteure de différentes publications sur ces thèmes.
Jean-Pierre BRÉCHETest professeur de sciences de Gestion à l’Institut d’économie et de management de Nantes – IAE et chercheur au sein du CRGNA (EA 3261).
Directeur de l’IAE de 1997-2002 et président de l’Association nationale des IAE de 1999 à 2002, il préside actuellement le conseil scien- tifique permanent de l’AIMS. Ses recherches portent depuis plusieurs années sur l’articu- lation des théories de l’entreprise, des théo- ries de l’action collective et des théories du management stratégique, et notamment sur le projet en tant que processus de rationalisation et de régulation de l’action collective.
Ana COLOVICest professeur associé de stratégie et chercheur au pôle d’expertise
« Organisations et territoires » au sein du groupe ESC Rouen. Ses recherches portent sur les réseaux d’entreprises, les districts industriels, les clusterset la localisation des activités de R&D.
Grégory DENGLOSest maître de confé- rences à l’université du Droit et de la Santé de Lille, où il enseigne la politique générale et les statistiques appliquées à la gestion. Il est l’auteur de Statistiques appliquées (PUF, 2008) et de Création de valeur(Dunod, 2003).
Robert HOLCMAN, diplômé de l’IEP de Paris et de l’École nationale de la santé publique, et titulaire d’un doctorat en sciences de gestion, s’apprête à soutenir son habilitation à diriger des recherches.
Chargé d’études à la revue Problèmes économiques pendant plusieurs années, il appartient désormais au corps des direc- teurs d’hôpital public, et à ce titre a tenu différents postes. Il est l’auteur de plusieurs articles et ouvrages consacrés à l’emploi, aux RH, et à la gestion, notamment, dans le secteur de la santé.
Jacques LAURIOLest professeur auprès du Groupe ESC Rouen et anime le Groupe de recherche « Organisations et territoires ». Il s’intéresse actuellement aux enjeux et perspectives stratégiques ouvertes par l’économie de la fonctionnalité en rela- tion avec un développement soutenable.
Alexandre LÉNÉ est maître de confé- rences à l’université de Lille 1. Il enseigne à Telecom-Lille 1 et mènes ses recherches au sein du CLERSE-CNRS. Ses travaux portent sur la formation, l’insertion des jeunes, la gestion des compétences et la motivation au travail. Récemment il a publié dans des revues comme Formation-Emploi, Économie Appliquée ou Éducation et Société.
Ulrike MAYRHOFER est professeur agrégée de sciences de gestion à l’IAE de Lyon, université Jean Moulin - Lyon III (centre de recherche Magellan, équipe Euristik) et professeure affiliée, chercheur au sein du pôle « Organisations et Territoires » au Groupe ESC Rouen. Ses recherches por-
tent principalement sur le management des rapprochements d’entreprises et le dévelop- pement international des entreprises. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, études de cas et articles publiés dans des revues tant anglophones que francophones.
Véronique PERRET est professeur de management stratégique à l’université Paris- Dauphine. Ses domaines de recherche por- tent sur le changement organisationnel et les approches qualitatives en sciences de ges- tion. Co-fondatrice de l’atelier permanent
« Stratégies, espaces et territoires », elle poursuit actuellement ses travaux plus parti- culièrement sur la gouvernance des réseaux et les approches critiques du management.
Nathalie RAULET-CROSET est maître de conférences en sciences de gestion à l’IAE de Paris, université Paris 1. Elle est également chercheur au Centre de recherche en gestion de l’École polytech- nique. Ses travaux de recherche portent sur les coopérations multi-acteurs et multi- institutions, sur l’activité managériale en situation, et sur l’influence d’une dimension territoriale dans les situations de gestion.
Sophie RENAULT est maître de confé- rences en gestion à l’IAE d’Orléans. Ses recherches au sein du Laboratoire orléanais de gestion (LOG) portent sur l’analyse stra- tégique des parcs industriels fournisseurs et les enjeux de la proximité sur les relations industrielles. Elle est l’auteur de plusieurs publications sur ces thèmes.
Raphaël SUIREest maître de conférence à la faculté des sciences économiques de l’université de Rennes 1. Il est chercheur permanent au CREM – UMR CNRS,
chercheur associé au Marsouin (observatoire des pratiques du numérique en région Bretagne) et codirecteur avec T. Pénard du master professionnel « Économie et conseil en TIC et e-business ». Ses travaux portent principalement sur l’économie des clusters et l’économie des usages du numérique.
Franck TANNERYest professeur de stra- tégie à l’université Lumière Lyon II où il dirige l’équipe de recherche en gestion Coac- tis (EA 4161). Ses recherches portent sur les stratégies territoriales des entreprises, sur la rhétorique de la stratégie et sur les formes et régimes de développement stratégique.
Jérôme VICENTE est maître de confé- rence à l’IEP de Toulouse et chercheur au LEREPS (université de Toulouse) où il est responsable du centre de recherche d’éco- nomie (CREATIF). Sa thèse a obtenu le prix Aydalot 2001 de science régionale. Ses recherches portent sur l’économie des nou- velles technologies et sur l’économie de la connaissance. Le croisement de ces disci- plines à donné lieu à une série de travaux sur l’économie des clusters parus dans plu- sieurs revues internationales.
Jean-Benoît ZIMMERMANN est directeur de recherche au CNRS en économie au GREQAM (Groupement de recherche en économie quantitative d’Aix- Marseille). Ses travaux de recherches por- tent sur la problématique de la coordination des activités économiques fondée sur les rapports d’interaction des agents indivi- duels. Ils s’organisent autour de trois axes principaux interdépendants : économie d’interactions et réseaux, dynamiques de proximité, modèles économiques de mutualisation des connaissances (logiciel libre).
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