ANALYSE DES VARIATIONS SAISONNIÈRES
DE LA FERTILITÉ DES BOVINS DANS LE JURA FRANÇAIS
M. COUROT, M. GOFFAUX R. ORTAVANT R. M. VUIDEPOT
Laboratoire de
Physiologie
de laReproduction,
Centre de Recherches vétérinaires et
zootechniques de Tours-l’Orfrasière,
37 -Nouzilly
Institut national de la Recherche
agronomique
. SOMMAIRE
La fertilité des bovins Montbéliard varie d’une
façon cyclique
au cours de l’année : élevée des mois d’octobre à février, elle atteint son niveau leplus
bas au cours des mois de mai,juin
etjuillet.
La diminution de la fertilité observée au
printemps
peut être attribuée aux vaches d’autantplus
que le sperme
possède
à cetteépoque,
une fécondancesupérieure
à cellequ’il
a en automne.INTRODUCTION
L’existence
d’une variation àpériodicité
saisonnière dans lesphénomènes
dereproduction
est bien connue chez certainesespèces
animalesdomestiques
telles que les ovins ou lescaprins. Beaucoup
moinsmarquée
chez lesbovins,
elle existe cepen- dant comme entémoignent
lesrapports
récents sur cesujet (SA!,ISBURY
et VANDE-MARK,
i( 3 6i ;
BODISCO etM AZZARI , z 9 6 2 ; P OS T ON ,
ULBERG etI,EGATES, 1002 ;
STOTT et
WILLIAMS, 19 6 2 ;
KELLY etH URS T, 19 6 3 ; O RTAVANT , M AUL É ON
et THI- BAU!T,I964 ;
VANDm JN , z 964 ;
THIBAU!,T etal., i 966 ; S ALISBURY , 19 67).
Sil’on a mis en évidence une variation saisonnière de la fécondité bovine
appréciée
d’unefaçon globale
par la fluctuation du taux de non-retoursaprès
inséminationartificielle,
lesparts respectives
deresponsabilité
des mâles et des femelles dans cette variation restent mal connues. Pour élucider ceproblème,
nous avons eu recours à une inversionexpérimentale
des saisons en inséminant les vaches au cours de lapériode
de hautefécondité naturelle avec du sperme récolté et
congelé
enpériode
de basse fécondité et inversement. Ce sont les résultats de ce travail que nousrapportons.
( 1
) U. N. C. E. I. A., 28, rue Bayard, Paris.
(! Coopérative
d’Élevage,
39 - Crançot.MATÉRIEI,
ETMÉTHODES
Ce travail a été réalisé dans le
Jura, région partagée
entrel’élevage
deplaine
etl’élevage
de montagne, où les bovins sont en stabulation permanente de novembre à avril engénéral.
Il s’estdéroulé dans le cadre des activités de la
Coopérative
d’Insémination artificielle dudépartement ( 1 )
sur des bovins laitiers de la race Montbéliarde.
La variation naturelle de la fertilité au cours de l’année a été observée à
partir
des résultatsd’insémination artificielle
de
années successives(octobre
1957 àseptembre 19 6 4 ).
Ils portent sur 3z6 8g
4inséminations
premières
réalisées avec le sperme de 120taureaux environ. Toutes ces insé- minations ont été faites avec du sperme récoltéchaque jour,
conservé à 4°C et utilisépendant
24heures seulement. Les
éjaculats
étaient soumis aux examens habituels de laboratoire(volume,
concentration,motilité.) puis
diluésd’après
leur concentration initiale defaçon
à obtenir 20ou30 ! 101
spermatozoïdes
par dose de i ml de semence ; différents dilueurs ont été successivementemployés : citrate-jaune
d’oeuf,laiciphos,
lait, et enfin CU 16.La
partie expérimentale
de ce travail a duré un an et demi(du printemps 19 6 4
à l’automne19 6 5
).
Treize taureaux dont le spermesupportait
lestechniques
decongélation
ont été soumis à unerécolte par semaine. Un
éjaculat
a étécongelé
toutes les deux semaines, suivant unetechnique déjà
décrite
(GOFFAUX, 19 66),
au cours duprintemps
1964( 2 e quinzaine
de mars à irequinzaine
dejuin)
et de l’automne 1964
(octobre
àdécembre)
cequi
apermis
d’obtenir 68 et 64éjaculats
utilisables.Après congélation, chaque éjaculat
a été subdivisé en troisparties (tabl. r)
destinées aux insémina-tions
pratiquées respectivement
dans laquinzaine qui
a suivi la récolte(temps
o, « en saison»),
six mois
après («
contre-saison»)
et un anplus
tard(«
en saison»). Chaque
fractiond’éjaculat
a étéutilisée pour l’insémination d’au moins 20vaches
( 45
enmoyenne)
suivant unprotocole précis
de(
1
)
Nous tenons à remercier l’ensemble du personnel de cet organisme qui a très efficacement contribué à la réalisation de cette expérience.distribution de la semence entre les différentes
régions
dudépartement,
établi pour éviter un biaisdes résultats; r7743 inséminations
premières
ont ainsi été réalisées. En même temps, l’utilisationclassique
du sperme frais étaitpoursuivie
sur 45770inséminationspremières
suivant latechnique
habituelle du centre, pour servir de référence.
Les résultats sont
exprimés
en pourcentage de non-retours, 3-6 semaines et6 0 - 90 jours après
insémination. Leur
signification statistique
estappréciée
par le test deX 8 .
RÉSULTATS
1
. Variations saisonnières naturelles
Les données
indiquant
la variation moyenne habituelle observée sontprésentées
dans le tableau 2. On remarque
qu’après
unepériode
de hautefertilité,
d’octobreà février
( 71 , 3
p. 100NR,
avec maximum ennovembre),
unediminution régulière
commence en mars
(fig. i) ;
la différence entre mars et février eststatistiquement significative.
Cette diminution aboutit à unpalier
de basse fertilité de mai àjuillet
(6 5 ,
2
p. 100NR)
suivi d’unereprise
au mois d’août.La
différence du niveau des résul- tats entre lespériodes
d’automne et deprintemps
est très hautementsignificative.
L’observation
des courbescorrespondant
à chacune dessept
annéesd’enregistrement
de données montre que le même
type
de variation se retrouverégulièrement
d’uneannée à
l’autre,
mais sonimportance
relative est en fonction inverse du niveaugénéral
de fertilité de l’année considérée.
Les taux de non-retours à
3 -6
semaines et à6o-go jours
évoluent sensiblement de la mêmefaçon (tabl. 2 ) :
la différence mensuelle entre les deuxpourcentages
est presque constante(8
unités depourcentage environ)
aveccependant
deuxpointes significatives
en mars et enseptembre,
donc situées entre lespériodes
de haute etbasse fertilité pour
lesquelles
cette différence est la même( 7 , 92
p. ioo contre7,82
p.IOO ).
2
. Inversion
expérimentale
des saisonsLes résultats de cette
expérience
sontprésentés
dans le tableau 3 et lafigure
2.Les inséminations de référence réalisées avec du sperme frais
(fig. 2 ) présentent
lamême variation saisonnière que celle
analysée précédemment. L’existence
de diffé-rences
importantes
entre les lotsexpérimentaux permet
d’éclaircirl’origine
de cesvariations
saisonnières :
les résultats d’ensemble du tableau 3 montrent que,globale-
ment, lasaison
de récolte du sperme semble être moinsimportante
que la saison au cours delaquelle
ce sperme estutilisé,
c’est-à-direla
saison d’insémination. Cettedernière
influebeaucoup
sur le taux de réussite(6z,z
p. IOO NR à6o-go jours
auprintemps
contre66, 4
p. 100NR à6o-go jours
en automne ; ladifférence
entre cespourcentages
moyenspondérés
est très hautementsignificative). L’analyse
desrésul-
tats détaillés
apporte
une illustrationplus précise
de cesphénomènes (fig. 2 ).
Lesperme
congelé
auprintemps possède
un très bonpotentiel
fécondantpuisqu’en dépit
des résultats médiocresqu’il
donne en cette saison(utilisé
immédiatement-
6 0 ,8
p. ioo NR à6o-go jours
- ou un anplus
tard -6 2 ,o
p. 100NR),
ilpermet
d’obtenir d’excellents résultatslorsqu’il
est utilisé en automne -68,o
p. 100 NR à6o-go jours.
Les résultats obtenus avec le sperme récolté en automne ont la mêmesignification : 6 4 , 7
et66, 3
p. 100NR à6o-go jours
en utilisation immédiate et un anplus tard,
contre6 0 , 4
p. 100NR à 6o-go jours
en utilisation deprintemps.
Onpeut donc
enconclure
que laresponsabilité
de la baisse de fertilitéenregistrée
auprintemps
est liée aux vaches.
Cette évolution de la fertilité des vaches est
plus importante
que les chiffres ne lelaissent paraître
àpremière
vue.Déjà les
résultats d’ensemble(tabl. 3 ) groupés
parsaison d’utilisation
montrentque
le sperme deprintemps possède
une fécondance unpeu
supérieure
à celle du sperme d’automne(mais
ceci n’estsignificatif
que pour lesinséminations faites
en automneP < 0 . 05 ),
Si pourl’analyse
del’effet
« saison derécolte », nous ne tenons
compte
quedes inséminations
réalisées au coursde
la mêmepériode
detemps
avec les deuxcatégories
de sperme(automne 1 9 6 4
etprintemps z 9 65),
nous observons une différence
significative
entre lespourcentages
de non-retour en faveur du sperme deprintemps (6 4 , 4
p. 100contre6 2 , 3
p. ioo ;P< 0 , 02 ).
Cette diffé-rence de
2 , 1 unités
depourcentage peut
être reliée aux critèresclassiques
dequalité
des
éjaculats qui
sontlégèrement
meilleurs auprintemps (O R TA VANT , M AUL É ON
etT HIBAULT
, 19 6 4 ;
tabl.4 ).
Elle traduit une amélioration dupouvoir
fécondant dusperme
deprintemps
quemasquent
habituellement les variations inversesobservées
au niveau
général
des inséminations d’automne et deprintemps.
DISCUSSION
Les revues récentes sur les variations saisonnières de la fertilité chez les bovins font
apparaître
unedispersion
certaine des observationsrapportées
dans ce domaine.Différents
auteurs en ontproposé
unclassement
àpartir duquel
nous pouvons situernos
résultats (SA I , ISBURY
et VANDE M A RK , ig6i:;
ORTAVANT, 1VIAUI,!ON etT HIBAUI ,T, xg6
4
) . Lorsqu’il
existe unetelle variation,
elle est engénéral
caractérisée par un à deuxminima,
un en été et l’autre en find’hiver
et auprintemps,
ce dernier étantd’ailleurs
assez discuté.
Le
minimum d’été est leplus
souvent observé dans lesrégions
de latitude infé- rieure à40 0 N (SA I , ISBUR Y
et VANDE M A R K, 19 6 1 ; SA U S BUR Y, 1967),
oùla tempéra-
ture extérieure est élevée en cette
période
de l’année. Onpeut
donc attribuer cette baissetemporaire
de la fertilité à l’effet de latempérature,
cequi
a d’ailleurs été démontré(K!LI,Y
etHU RST , I g6 3 ;
STOTT etW II , I , I AMS, Ig62).
Le minimum de fin d’hiver et de
printemps,
comme celuiobservé
dans leJura,
doit avoir une tout autreorigine.
Il nepeut
pas être dû à latempérature,
car lesmois
de mars,avril
et mai où la baisse defertilité
commence àêtre observée, repré-
sentent une
période
encoretempérée (t°
<20 °C).
SAr,ISBURYet VAN DEMARK: (1 9 61) ;
O RT A VANT
,
MAULÉON et Tlnsaul,T( 19 64), suggèrent
un effetpossible du photo-
périodisme.
Nous devons alors admettre que cephénomène n’agit
que chez lavache,
pourlaquelle les
conditions d’automne seraient les meilleures etqu’il
reste sans effetchez le taureau car nous avons vu que seules les vaches étaient à
l’origine
de la chutede fertilité
enregistrée
auprintemps.
Une telle dissociation de l’effet duphoto-
périodisme
suivant le sexe adéjà
été démontrée chez lelapin (W ALTER , zg6 7 ).
Parailleurs si la baisse de fertilité du
printemps
est souventsignalée
enEurope (L!ID!&dquo;
1953 ;
VANDuijN, i 9 6 4 ), elle
n’acependant
pas le caractère d’universalité(SALIS-
BURYet VAN
D!MAxx, z 9 6i)
que l’onpourrait
attendre des seuls effets des variations de laphotopériode.
Sa situation en fin d’hiver et au
printemps pourrait
faire penser que cette dimi- nution de fécondité a uneorigine
nutritionnelle. Dans larégion
où nous avons tra-vaillé,
les vaches sontgénéralement
en stabulation hivernalecomplète jusqu’au
moisd’avril ;
il faudrait alors admettre un effet résiduelprolongé
duphénomène
carl’aug-
mentation du
pourcentage
de non-retoursn’apparaît qu’au
mois d’août.Mais
cettehypothèse
d’une cause nutritionnellepermettrait
de rendrecompte
de la différence des résultats observés entre mâles et femelles car les taureauxreçoivent
une alimen-tation mieux contrôlée tout au
long
de l’année.Une autre
explication peut
êtreproposée qui
semble rendre mieuxcompte
de la variation saisonnière de lafertilité : elle
a trait au moded’élevage
des animaux. Onremarque en
effet
que lapériode
deplus
faible fertilitécorrespond
à celle où les ani-maux sont en
pâture,
conditionqui permet
une manifestation ou une détection meilleures del’cestrus. Ainsi
la baisse du taux de réussite commence en mars, moisdont
les retours à6o-go jours
sont notéspendant
le début de la sortie enpâture ;
sareprise
intervient enaoût,
mois dont les mêmes retours sont notésjusqu’en
novembre(mois
destabulation).
Oncomprendrait
alorspourquoi
seules les femelles sont encause dans le
phénomène
observé. Onpourrait
aussi associer la variation de fertilité à un autreaspect
de la conduited’élevage qui
tendrait à grouper lesvêlages
en débutd’automne par une
production
de « lait d’hiver n. En réalité il n’en est rien car c’estau mois de mai que se situe le
plus grand
nombre de vaches inséminées dans cetterégion.
Mais, quelle qu’en
soit laraison, la baisse
de fertilitéenregistrée
auprintemps,
chez les
vaches, affecte
soit lafécondation de l’oeuf,
soit les stades trèsprécoces
dudéveloppement embryonnaire puisque
les écarts de non-retours à3 -6
semaines et6o-go jours
ne varient passignificativement
avec lessaisons ;
cecis’oppose
aux résul-tats obtenus par les auteurs
qui
ont travaillé dans desrégions
de climatplus
chaud(ST
O
TT
etWILLIAMS, I962 ; SAU S BURY, i967).
De toutes
manières,
il est certain que cette variation saisonnière de la fertilité bovine estcomplexe.
Son observationglobale
doitreprésenter
le résultat de l’action deplusieurs
facteurs dont leplus important peut
d’ailleurs être différentsuivant
lesexe.
CONCLUSION
La
variation annuelle de la fertilité des bovins observée dans unerégion d!,
l’Estde la France est donc la résultante de deux variations
d’amplitude inégale
et de senscontraire : diminution
importante
de la fertilitédes
vaches etaugmentation
discrète de celle des taureaux auprintemps.
A moins que la
supériorité
dupouvoir
fécondant du spermede printemps
nerésulte
d’unbiais inconnu,
laresponsabilité
durécepteur femelle
dans la baisseglo-
bale de fertilité observée chez les
bovins
sembledonc plus importante qu’on
ne pou- vait leprévoir.
Reçu pour
publication
enjanvier I9 68.
SUMMARY
SEASONAL VARIATIONS IN FERTILITY OF DAIRY CATTLE
A seven year
study
onfertility
of Montbeliard cattle( 32 6,
784firstinseminations) points
outthe existence of a
yearly peak-to peak fertility
pattern(fig. i). Fertility
reaches a maximum(yr.
3
per cent non-returns at 60-90days)
from October toFebruary,
then decreases in March toa aminimum
(P -<
0.001 ;6 5 . 2
per cent non-returns at6 0 - 90 days)
inMay, June
andJuly,
then increasesagain (table 2 ).
Experimental
inversions of seasons between males and females,by
autumn insemination ofspring-frozen
sperm and vice versa, show that cows areresponsible
for the decrease inspring
ferti-lity :
61.1per cent non returns at 60-90days
forspring
inseminations versus 66.4per cent for autum.This is all the more
conspicuous
as thefertility
power ofspring sperm
is 2. i per centhigher than that
of autumn sperm.
Neither temperature nor
photoperiod consistently
account for thesephenomena.
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