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Avortement : troublante régression espagnole

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204 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 22 janvier 2014

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Avortement : troublante régression espagnole

En 2014, l’interruption volontaire de gros- sesse est généralement reconnue comme un droit sur lequel on ne reviendra pas. C’est du moins vrai depuis plus d’un quart de siècle dans de nombreux pays dits «occi- dentaux». Cette pratique demeure aussi un symptôme quand elle devient l’expression du refus collectif d’accorder à la femme en âge de procréer la possibilité de mettre un terme, de son propre chef, à une gestation qu’elle ne désire pas – ou qu’elle ne désire plus. C’est, sous un angle bien particulier, la problématique de l’indisponibilité du corps humain qui est ici soulevée. C’est aussi la démonstration, chiffres à l’appui, que la dis- sociation autorisée (médicamenteuse ou tech- nique), entre la sexualité et la procréation, est loin d’épuiser le sujet.

De ce point de vue, la situation espagnole est riche d’enseignement. Au départ, c’était une promesse de campagne de Mariano Ra- joy, président du gouvernement espagnol depuis 2011. Deux ans plus tard, le gouver- nement conservateur espagnol estime que l’heure est venue de la concrétiser. C’est ainsi

que l’exécutif espagnol a, fin décembre 2013, adopté un projet de loi restreignant forte- ment la pratique de l’avortement. Ce projet fait une croix sur une loi de 2010 qui auto- rise l’IVG jusqu’à quatorze semaines de gros- sesse et jusqu’à vingt-deux semaines en cas de malformation du fœtus. Les associations espagnoles de défense des droits des fem- mes voient dans cette initiative gouverne- mentale un «retour en arrière de trente ans».

De fait, l’Espagne reviendrait ici à une légis- lation datant de 1985.

De quoi s’agit-il ? Si le nouveau texte est approuvé par le Parlement (le Parti populaire y détient la majorité absolue), l’avortement ne sera plus un droit et ne sera autorisé qu’à deux conditions. Le ministre espagnol de la Justice, Alberto Ruiz-Gallardon, a expliqué lesquelles : «La première est que celui-ci soit nécessaire en raison d’un grave danger pour la vie ou la santé physique ou psychologi- que de la femme ; la deuxième, que la gros- sesse soit une conséquence d’un délit contre la liberté ou l’intégrité sexuelle de la fem me».

Le ministre veut dire en cas de viol.

Dans ce cas, la femme devra avoir précé- demment porté plainte pour viol. Et pour invoquer la malformation du fœtus comme motif de l’interruption volontaire de gros- sesse, il faudra à la femme fournir un certi- ficat signé de deux médecins, étrangers à l’établissement où l’avortement serait effec- tué. Pour le ministre espagnol de la Justice

«il n’y a pas de conçus non nés de première et de deuxième catégorie». En dehors de ces deux situations, l’avortement ne pourra plus être pratiqué en Espagne. Il faut aussi ajouter que le projet de loi gouvernemental réintro- duit l’obligation pour les mineures âgées de moins de 18 ans de disposer d’une autori sa- tion parentale explicite (actuellement, les pa- rents doivent simplement en être informés).

Comment comprendre ? La législation espa- gnole sur l’interruption volontaire de gros- sesse datait de 1985. Des modifications subs- tantielles y avaient toutefois été apportées en juillet 2010 par le gouvernement socia- liste de José Luis Rodriguez Zapatero. Des modifications qui ont fait de l’Espagne l’un des pays les plus libéraux. L’Espagne devint aussi, avec les socialistes, l’un des pays met- tant en œuvre des actions visant à la parité homme-femme. C’est encore à Madrid que fut conçue et appliquée l’une des politiques européennes les plus progressistes pour lut- ter contre les violences conjugales.

A Madrid, les associations féministes et les forces de gauche ont appelé à la mobilisation contre le nouveau projet du gouvernement conservateur. Elena Valenciano, numéro deux du Parti socialiste espagnol (PSOE), a con- voqué un comité de direction d’urgence et a déclaré : «Nous n’allons pas revenir en ar- rière de trente ans, et surtout nous n’allons pas nous résigner, abandonner ou être inti- midées.» Elle a aussi demandé à ce que le vote du Parlement espagnol se fasse à bulle- tin secret ; pour des votes «en conscience», loin des pressions partisanes et politicien nes.

«Les lois restrictives ne réduisent en aucun cas le nombre d’avortements. Elles aboutis- sent à ce que les femmes qui ont le moins de moyens financiers interrompent leur gros- sesse dans des conditions peu sûres et qui peuvent mettre leur vie en danger», s’est alarmée l’association Médecins du monde.

Sur les réseaux sociaux, les réactions indi- gnées se multiplient comme sur Twitter sous le mot-clé #MiBomboEsMio (Mon ventre m’appartient).

A l’opposé, les opposants à l’avortement se réjouissent : leur gouvernement a enfin décidé de tenir une promesse qui n’avait se- lon eux que trop tardé et d’en finir avec le

«fléau de l’avortement». C’est en substance la position de l’association Droit à la vie qui point de vue

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 22 janvier 2014 205 voit là «un pas en avant vers l’objectif de

parvenir à l’avortement zéro». On a recensé, en 2011, près de 12 000 avortements en Es- pagne. Et si l’on en croit les sondages, parti- sans et adversaires de la loi de 2010 sont en nombres équivalents dans le pays.

«La dynamique s’est malheureusement inversée. Si l’Espagne revendique aujour- d’hui un rôle pionnier sur les droits des femmes, c’est dans la régression, pouvait-on lire récemment dans un éditorial du Monde.

Le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy est en train d’opérer un virage à 180 degrés sur l’avortement. L’avant-projet de

la loi de protection de la vie de l’être conçu et des droits de la femme enceinte, présenté en conseil des ministres peu avant Noël, supprime purement et simplement le droit des femmes à décider librement d’inter- rompre leur grossesse. Ce droit, consacré par une loi entrée en vigueur en 2010, en autorisant l’avortement sans condition de motif jusqu’à la quatorzième semaine de grossesse, avait considérablement libéralisé la législation postfranquiste de 1985».

On pourra ajouter que cette initiative n’est fondée sur aucune justification de santé publique. Mais la question est ailleurs. Elle est de nature idéologique, éthique, philoso- phique, religieuse. Le ministre espagnol de la Justice le dit mieux que personne. Il dé- clare vouloir en finir «avec le mythe de la supposée supériorité morale de la gauche».

«On ne peut laisser la vie du fœtus dé- pendre exclusivement de l’avis de la mère»

juge-t-il. Ce qui a le mérite de la clarté.

Il y a peut-être plus important encore car ce même ministre veut désormais porter sa croisade anti-avortement devant le Parle- ment européen. Il se rendra à Bruxelles, en février, pour expliquer la politique et les convictions qui sont les siennes et celles de son gouvernement. «Nous avons fait la pre- mière loi qui reflète l’opinion majoritaire des citoyens européens, a expliqué, il y a quelques jours, M. Gallardon dans un entre-

tien au quotidien monarchiste ABC. Je suis convaincu que cette initiative aura des pro- longements dans les Parlements d’autres pays de l’Union.»

Pour l’heure, le gouvernement espagnol est, dans ce domaine, à contre-courant sur le Vieux Continent. Vingt des vingt-huit Etats de l’Union européenne reconnaissent le droit des femmes à décider librement de leur grossesse dans les douze à quatorze pre- mières semaines. Six de ces pays l’assortis- sent de conditions ; seuls Malte et l’Irlande interdisent cette pratique. Comme l’interdi- sait l’Espagne franquiste.

Il faut ici se souvenir qu’un rapport de l’eurodéputée socialiste portugaise Edite Es trela (qui prônait notamment la liberté de choix des femmes en Europe) a, mi-décem bre, été rejeté au Parlement européen par 334 voix contre 327. Bientôt, en Espagne, les mé- decins qui pratiqueront un avortement en dehors du nouveau cadre ou qui falsifieront un rapport médical risqueront jusqu’à trois ans de prison. Le président du Planning fa- milial, Luis Enrique Sanchez, craint «que les Espagnoles qui en ont les moyens soient contraintes d’aller en France ou en Angle- terre pour avorter». On peut rêver d’une autre Europe.

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

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