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L’aide-soignante à l’hôpital

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Academic year: 2022

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lueurs et pénombres

976 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 4 mai 2011

Qu’elle vienne d’ici ou d’ailleurs, sa jour- née commence régulièrement très tôt. Elle se lève avant six heures lorsque son nom figure sur l’horaire du matin. Elle prépare à la hâte son petit déjeuner tout en dres- sant la table pour ceux qui se lèveront plus tard.

Elle est souvent encore jeune, rarement âgée en tout cas car son travail exige un en- gagement soutenu. Elle n’a que rarement choisi ce métier en première intention. Non pas qu’elle éprouve la moindre répulsion à réaliser ses tâches, mais la dureté physique est à prendre au sens premier : lorsqu’il

faut tourner un malade pour sa toilette par exemple, les muscles sont mis à rude épreu ve. Cela fait maintenant plus de dix ans qu’elle porte la blouse blanche et elle connaît la chanson. D’ailleurs, elle ne peut pas s’empêcher de penser que si elle a ré- gulièrement mal au dos et aux jambes, c’est bien à cause de ça. Mais puisqu’elle connaît la dureté de la vie, elle refuse de considérer que tout ceci devrait l’empê- cher de sourire ou de dévier de sa ligne d’une quelconque manière.

Elle, dans un monde où son statut peut parfois être difficile à porter, elle met un point d’honneur à résoudre ses problèmes par elle-même. Et même si elle doit parfois se faire violence pour résister à un quoti- dien qui l’use, elle a décidé qu’elle n’éco- nomisera jamais sa peine pour suivre sa règle. C’est là une chose essentielle pour elle. Elle investit son travail comme elle s’occupe des siens, avec respect. Du coup, elle a peu de temps libre. Elle pense rare- ment à ses propres plaisirs. D’ailleurs, elle a toujours été occupée et elle n’a guère eu le temps de voir le monde autour d’elle.

Même ce matin, immobile dans sa cuisine, elle ne se raconte pas d’histoires, elle fait de son mieux pour organiser cette journée qui débute. Il lui faut anticiper les difficul- tés, éviter les écueils. Il lui faut garder sa bonne humeur.

Après avoir avalé deux toasts et un café trop chaud, elle s’encourage. Elle se lève.

Elle place sa vaisselle dans l’évier. Elle re- joint le vestibule où elle passe son manteau.

Elle saisit son sac en même temps qu’elle

enfile ses chaussures. Elle sort de l’appar- tement. De rares bruits filtrent au travers des portes adjacentes. Elle marmonne en atteignant le trottoir devant son immeuble car le froid saisit son visage et ses mains.

Tout est calme dans la rue. Elle pense aux contraintes de son travail qui la forcent à vivre à contretemps. Elle pense aux siens.

Sa musique interne s’arrête lorsqu’elle se hisse dans le bus. Elle se laisse alors lour- dement tomber sur un siège. Silence. Il n’y a que les bruits du moteur qui la bercent.

Elle se remet mentalement en route en s’approchant de l’entrée des ambulances par laquelle elle a coutume de rejoindre son vestiaire. Le ni- veau sonore augmente douce- ment alors qu’elle progresse dans les cou loirs du sous-sol de l’hôpital. Elle se change rapidement. Elle rejoint ses collègues pour le colloque du matin afin de prendre con naissance des cas lourds de l’unité. Elle apprécie de se ren- seigner sur l’état de santé des personnes hospitalisées dans le service. Elle est sou- vent proche des médecins lors qu’ils ont compris l’importance du rôle de l’aide-soi- gnant et qu’ils l’interrogent sur ses impres- sions et sur des détails du quotidien de cer- tains malades. De son côté, elle aime bien apprendre et elle sollicite régulièrement leurs diagnostics.

La matinée est désormais avancée. Il lui a fallu servir et desservir des plateaux-re- pas. Il lui a fallu tendre des draps. Il lui a fallu replacer des oreillers et récurer des corps. Mais son travail va bien au-delà. En passant d’un lit à l’autre, d’une chambre à l’autre, elle voit des individus qui trem- blent de la tête aux pieds. Elle voit la souf- france et la déchéance. D’un seul regard, il lui est possible de prendre la mesure de la rage, de la peur ou de l’impatience de ceux dont elle s’occupe. Et même s’il lui arrive parfois de s’écrier «tant pis pour vous !» à une personne qui refuse d’entrer en con tact ou de s’alimenter, elle se reprend la plu- part du temps. Elle sait parcourir les dé- cors des malades. Elle sait que la plupart d’entre eux n’ont que peu d’interlocuteurs à qui ils peuvent parler, hormis l’aide-soi- gnante qui vaque à toutes sortes de tâches autour d’eux.

Elle, elle sait que les malades en voient des vertes et des pas mûres. Elle est capa- ble de prêter l’oreille aux lamentations et

aux accusations lorsqu’elle entend qu’on lui reproche d’avoir oublié le fromage ou qu’on lui réclame une paire de lunettes momentanément égarée. Elle connaît la valeur des moments qui permettent de se révolter ou de se plaindre. Parce qu’elle connaît les colères dues à l’impuissance, parce qu’elle connaît de l’intérieur les vies qui contraignent au silence, elle sait accor- der les attentions qui comptent en s’occu- pant du corps des personnes dont elle a la charge. Elle sait comment ne pas abuser des malades qui sont à sa merci. Elle sait respecter leur intimité. Elle sait l’impor- tance qu’il y a à bavarder de leurs familles et de leurs vies tout en leur coupant les ongles, en leur faisant un shampooing ou en les incitant à ne pas rester en tenue de nuit pour leur redonner une dignité d’hom- me ou de femme.

Il est maintenant quinze heures. Sa jour- née est terminée. Elle est fatiguée et cela se voit. Heureusement qu’elle a pensé à char- ger son mobile qui était à plat hier soir.

Dans le bus qui la ramène, tassée sur elle- même, elle profite de faire quelques télé- phones. Elle trouve même la force de faire la liste de ce qu’elle devra encore acheter en rentrant.

Drs Christophe Luthy et Christine Cedraschi Service de médecine interne de réhabilitation Département de médecine interne,

réhabilitation et gériatrie HUG, 1211 Genève 14 christophe.luthy@hcuge.ch christine.cedraschi@hcuge.ch

L’aide-soignante à l’hôpital

… Elle est souvent proche des médecins lorsqu’ils ont compris l’importance du rôle de l’aide-soignant …

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