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CARNETS DE ROUTE D'UN "RAT DU DÉSERT" ALSACIEN DE LA FRANCE LIBRE. Seconde époque

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Charles BÉNÉ

CARNETS DE ROUTE D'UN "RAT DU DÉSERT"

ALSACIEN DE LA FRANCE LIBRE Seconde époque

1942-1945

MULLER édition - BP 122 92134 ISSY-LES-MOULINEAUX Cedex Tél. : 01 40 90 09 65 - Télécopie : 01 47 76 33 97

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La photographie de la couverture a été prise au Fort de Brak par le sergent Julien avec l'appareil de l'auteur. De gauche à droite : Sergent Blanc, sergent Lafond tenant le mât et l'auteur portant un seroual pris aux Italiens à Tejéré.

© Photo de l'auteur - 16 Janvier 1943

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite» (alinéa 1er de l'article 40).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

© COPYRIGHT 1999 MULLER édition - Issy-les-Moulineaux

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A mes camarades

Télégraphistes coloniaux du Tchad ralliés au général de Gaulle le 26 août 1940

les "Oubliés de la Gloire"

du "Serment de Koufra"

AVANT-PROPOS

Le 16 mars 1942, la première campagne du Fezzan est terminée. Toutes les unités, qui venaient de participer à ces vastes et audacieux commandos que le général Leclerc a lancés dans les régions désertiques et inhospitalières de la Libye occidentale, sont revenues sur leurs bases de départ dans le Nord du Tchad.

Après la capture du poste fortifié italien de Koufra, le 1 mars 1941, avec l'installation définitive du drapeau à Croix de Lorraine à cette première conquête française de la guerre, la victoire de la France Libre du général de Gaulle portait résonance partout dans le monde.

Le succès de cette nouvelle opération contre des bases fortifiées italiennes dans le Fezzan, n'avait pas pour but une occupation de territoires ennemis. Une manœuvre de décrochage rapide s'imposait à toutes les unités engagées, marchant d'une façon quasi-autonome et par voies différentes. La rapidité de ce décrochage devait interdire l'intervention rapide de l'aviation ennemie qui n'était pas réellement en place lors des premiers contacts-surprises avec les objectifs visés par le général Leclerc.

Il ne pouvait être question de se fixer aux points conquis.

Depuis le mois de janvier, Rommel a repris l'initiative en Cyrénaïque et, pour le moment, on ne pouvait entrevoir un changement dans l'évolution des combats. Les moyens offensifs de l'ennemi paraissaient importants et dès le 14 février le général Koenig est chargé d'organiser la défense du poste-clef de Bir-Hakeim.

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Avant d'envisager une reprise offensive des forces du Tchad, le général Leclerc avait le souci impératif d'établir une organisation défensive de notre territoire. Une défaite de la 8e Armée britannique laisserait le champ libre aux Italo-Allemands pour se tourner vers nous afin de venger leur double défaite de 1941 et 1942. Nous leur avons démontré qu'avec du courage et de l'endurance le désert, prétendu inaccessible, n'existait pas. Nous leur avons tracé le chemin.

Cette situation inattendue n'excluait pas la préparation amplifiée d'un acte offensif de plus grande ampleur si les Britanniques arrivaient à renverser la vapeur. Le premier travail consistait maintenant dans le renouvellement du matériel roulant très durement éprouvé lors de nos raids au Fezzan. L'esprit qui devait prédominer était celui du Serment de Koufra, il nécessitait une activité accrue et un labeur sans relâche. Cette volonté indéfectible devait rejaillir dans la détermination de toutes les nouvelles recrues qui affluaient d'Angleterre et de tous les territoires extra-métropolitains français. Leur vocation était rappelée par les paroles du discours prononcé par le général de Gaulle, quelques jours après notre retour à Kirdimi, le 24 mars 1942 :

"La guerre est dure, l'épreuve grandit. C'est le moment où, jouant de toutes les sortes de lassitude, s'agitent les démons du doute, du défaitisme, de la désunion. Mais c'est aussi l'heure des plus braves et des plus purs" ... "ainsi, du creuset où bouillonnent les douleurs et les fureurs de la Nation française, on voit peu à peu se dégager l'élite nouvelle, l'élite du combat. On voit paraître et s'assembler des hommes qui, eux, savent marcher sans recul, sans calcul, sans formule. Et, dans l'action de ces hommes-là, comme dans leurs yeux,

on voit briller les premiers signes du renouveau de la France.

C'est de cette élite audacieuse que dépend, désormais, le destin de notre pays ".

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NOUVEL ÉTÉ D'ATTENTE À KIRDIMI Après le raid audacieux effectué au Fezzan par les hommes du général Leclerc aux mois de février-mars 1942, la précision avec laquelle il a été mené, le courage et l'endurance des équipages solidement soudés et le succès complet de l'opération soulevèrent l'admiration de l'état-major de la 8e Armée Britannique basé au Caire. Celui-ci est resté fidèlement informé par le major Barlow, officier de liaison britannique auprès du P.C. du général Leclerc. Cet officier avait une liaison radio journalière avec le Caire.

L'ennemi n'a pas pu cacher cette nouvelle incursion des Tchadiens au Fezzan. Un communiqué diffusé par le commandement de l'armée italienne, repris le lendemain par la radio et la presse allemande avouait, en le minimisant, ce nouvel acte offensif des Français Libres du Tchad. Sans le vouloir, l'ennemi informait nos familles restées en France et, en particulier, en Alsace, que derrière le général de Gaulle nous nous trouvions toujours sur le chemin tracé par le Serment de Koufra.

"Echec d'un coup de main gaulliste venant du Sahara - Combats dans le Sud du Fezzan - Intervention de troupes d'élite italiennes", disait laconiquement le communiqué allemand.

Du côté italien, le communiqué était plus précis : "Rome, le 8 mars 1942. Ces derniers temps, à plusieurs reprises les communiqués de l'Armée italienne ont parlé d'incursions de forces motorisées ennemies dans le Sud de la Libye. D'après un nouveau communiqué, de source militaire romaine, il s'agissait de détachements d'hommes

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de de Gaulle sortis de la région montagneuse du Tibesti au Sahara français qui voulaient commencer au Fezzan une petite guerre à plus

de 1.000 kilomètres de la côte méditerranéenne.

Dans cette entreprise les gaullistes utilisèrent des voitures rapides, légèrement blindées, pouvant développer une vitesse appréciable, donc parfaitement adaptées pour de tels coups de main.

Après que fussent attaqués quelques postes avancés italiens au Fezzan, des unités sahariennes italiennes, composées de sections d'élite mobiles des troupes coloniales, furent envoyées dans le Sud de cette région. Leur intervention mit une fin rapide à cette petite guerre.

Les gaullistes se replièrent mais quelques groupes ne purent éviter le combat. Plusieurs véhicules légèrement blindés furent capturés ainsi qu'un certain nombre de prisonniers (1). Malgré un violent et permanent vent de sable la Luftwaffe est intervenue également dans cette action de nettoyage. L'ennemi en retraite a été balayé par les tirs de mitrailleuses. Un véhicule ennemi a été détruit au sol. La tentative gaulliste de troubler cette région Sud-libyenne peut être considérée comme ratée. Un communiqué de source officielle précise que les troupes libyennes font bonne garde dans le désert et que toutes tentatives d'infiltration ennemie seront repoussées ".

Déjà sur le chemin de retour de cette première campagne du Fezzan, le général Leclerc échafaude dans sa tête les plans d'une nouvelle opération contre le Sud-libyen qui pourrait être décisive pour effectuer la jonction avec la 8e Armée britannique parvenue jusqu'en Tripolitaine.

A son arrivée à Fort-Lamy notre chef apprend sa nomination au Commandement supérieur des forces de l'Afrique Française Libre dont le siège se trouve à Brazzaville. Par cet éloignement de sa troupe combattante du Tchad nous pouvons nous demander s'il devrait renoncer au commandement sur le terrain à la tête de ses troupes lors de la nouvelle opération qu'il mijote dans son esprit. Quelle fut l'idée du général de Gaulle en accordant à Leclerc un avancement aussi brillant que rapide ? Pour nous il était impensable qu'un autre que

(1) Effectivement nous avons laissé deux prisonniers : l'aspirant Lévy et son chauffeur européen.

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Palmeraie de Kirdimi, notre camp se trouvait installé à gauche sur la photo

© Photo de l'auteur

notre Général vienne diriger sur le terrain notre combat pour tenir le serment de Koufra. Il a constaté lui-même l'imperméabilité du dispositif ennemi ou le manque de combativité des Italiens. Avec le fruit des renseignements recueillis il peut effectivement prévoir une opération beaucoup plus vaste. En attendant la nomination d'un nouveau Commandant militaire du Tchad il laisse l'intérim de cette fonction à son fidèle compagnon le capitaine de Guillebon, qu'il nomme chef de bataillon.

Le Groupe Nomade du Borkou a réintégré son campement à l'orée de la palmeraie de Kirdimi. Immédiatement le commandant Poletti part en congé dans le Sud. Il laisse le commandement de son unité au lieutenant d'Abzac. Je réinstalle mon poste radio dans mon ancienne case. Mon vieux cheval rentre ragaillardi du bon pâturage d'Aïn-Galaka. Edjé, ma dame de compagnie revient du village où elle a passé l'hiver.

Nos quinze camions Chevrolet sont tous revenus du Fezzan

mais ils sont plus ou moins abîmés. Remisés sous les palmiers ils sont

considérés inaptes à servir lors d'une nouvelle opération. A part trois

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ou quatre d'entre eux ils sont envoyés à Largeau.

Nous sommes au mois d'avril lorsque par courrier nous recevons la notification des avancements en grades promis par le commandant Dio à notre retour du Fezzan. Je suis nommé sergent ! Mais je constate que l'arrêté porte la date du 1 novembre 1941. Le commandant Dio n'y était donc pour rien ! Nous sommes ravis de toucher bientôt un rappel de solde de 6 mois, bien que nous n'ayons pas souvent l'occasion de dépenser nos sous à Kirdimi. Dans cette fournée de galons le capitaine Poletti passe chef de bataillon ; d'Abzac capitaine ; Le Calvez lieutenant. Tous mes camarades du Groupe Nomade peuvent ajouter une ficelle à leurs galons. Le plus fier est l'adjudant Ferrano qui est promu aspirant. Nous apprenons aussi que le commandant Dio est promu lieutenant-colonel.

Mon assistant-radio, le sergent-chef Jan, est aussi parti en congé dans le Sud. Cela faisait trois ans qu'il bourlinguait dans les sables du Borkou. Je me trouve donc seul pour l'exploitation de mon poste radio et pour le bulletin de presse du soir.

A la mi-avril nous arrive un nouvel officier, le capitaine Dronne. C'est un administrateur en fonction au Cameroun qui a suivi le colonel Leclerc dès le 27 août 1940. Avec le commandant Dio il a participé à la campagne du Gabon. Homme de caractère il a directement été mis aux arrêts de rigueur à Fort-Archambault à la suite du refus d'exécuter un ordre qu'il jugeait absurde. Le général Leclerc qui fait escale à Fort-Archambault à son retour du Fezzan, connaissant la valeur de cet officier, l'affecte au Groupe Nomade du Borkou, non par mesure disciplinaire, mais pour lui laisser une place de choix lors d'une nouvelle offensive contre le Fezzan. Le capitaine Dronne a le visage ferme, le teint clair, une barbiche et des cheveux roux. Son accent fortement normand nous amuse beaucoup.

Les intentions opérationnelles du général Leclerc se précisent sans tarder. Quelques jours après l'arrivée du capitaine Dronne d'importants renforts européens arrivent à Kirdimi : le sous-lieutenant Hébert, formé dans une école d'officiers à Brazzaville ; Le sergent Tritchler, un Breton aux racines alsaciennes ; une dizaine de tout jeunes caporaux, venus directement d'Angleterre, évadés de France

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après l'armistice. Tous viennent avec la ferme intention d'aller se battre pour libérer leur pays. Maintenant, ils doivent d'abord s'adapter aux pénibles conditions climatiques qu'ils vont rencontrer avec la venue de l'été saharien avec ses brûlants et aveuglants vents de sable.

Un de ces jeunes, un Breton, le caporal Delourmel, m'est affecté comme opérateur radio. Il a été formé rapidement en Angleterre mais doit encore se faire sérieusement la main avant de partir en opération de guerre. Cette affectation d'un nouveau radio au G.N.B. laisse supposer que mon camarade Jan, le radio du G.N.B. 2 ne reviendrait plus à Kirdimi.

Bien que motorisé pour sa participation à la récente campagne du Fezzan, le Groupe Nomade du Borkou garde toujours sa force opérationnelle chamelière au cas d'infiltrations terrestres de l'ennemi dans les confins du Tchad ou de lâchage de formations aéroportées.

En l'absence de Poletti, le capitaine Dronne prend le commandement du G.N.B. D'entrée il montre une bonne expérience militaire et une douce autorité pour faire tourner son unité. Pour un réserviste, il n'a rien à envier à un officier d'active.

Le matin, après le rassemblement et la levée des couleurs toutes les sections effectuent une demi-heure de sport. Celui-ci donne souvent lieu à une chasse à courre dans les dunes à l'Ouest du camp.

Les tirailleurs marchent d'abord en ligne avec un bâton à la main.

Dans cette région truffée de buissons d'épineux et d'herbes les lièvres des sables sont très nombreux. Dès qu'un animal est levé la marche devient une course effrénée et joyeuse. C'est alors à qui arrivera à toucher l'animal avec son bâton !

Vers dix heures, rassemblement pour le rapport journalier. Il n'a plus le cachet des rassemblements bon enfant du commandant Poletti. Dronne arrive toujours avec de la paperasse à la main. La lecture des ordres et des consignes est souvent longue. Les anciens du G.N.B. (à part l'aspirant Ferrano) se trouvent totalement dépaysés...

En ce qui me concerne rien n'est changé, je n'ai toujours aucun rôle militaire ; de ce fait je n'assiste jamais aux rapports.

Au cours de ce mois de mai une grande bagarre éclate dans la

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palmeraie de Kirdimi. Deux clans de Goranes s'y disputent la récolte des dattes. Le capitaine Dronne, revenant à son rôle d'administrateur fait ramasser les hommes des deux clans par nos tirailleurs. Il les fait rassembler dans un même enclos fait d'une zériba en branches de thalas portant leurs longues épines pointues. Le lendemain, en guise de punition, il leur fait creuser un large trou carré, d'une profondeur d'environ 1,50 m, à l'endroit où émerge du sable la plus importante des sources de Kirdimi. Les tirailleurs qui les surveillent ont un malin plaisir à ne pas les laisser souffler un seul instant. Ainsi, le soir venu, nous sommes dotés d'une piscine improvisée où, tous les jours, nous pouvons faire trempette avant le coucher du soleil.

Dans le Borkou, l'été de 1942 se montre exceptionnellement torride. Pendant plusieurs semaines une température moyenne de 55°

à l'ombre est chose courante. Le capitaine Dronne qui a apporté dans ses bagages tout un lot de graines potagères fait aménager un petit jardin à l'ombre d'un grand thala, près de la grande source. Il parvient rapidement à faire pousser quelques salades, des radis et même des melons. Par la chaleur qui règne ici tout pousse très vite. Une feuille de salade ne peut, malheureusement, que nous rappeler la saveur d'un légume frais. Nos repas restent invariablement faits de riz. Néanmoins nous avons souvent un peu de viande fraîche. Un troupeau de bœufs, ou plutôt ce qu'il en restait, nous est venu du Bahr-el-Gazal. Il se trouve à Aïn-Galaka où les bêtes peuvent se retaper dans un pâturage bien vert. Une fois par semaine les goumiers ramènent un bœuf au camp. C'est à cette occasion que le capitaine Dronne trouve le moyen de m'intégrer à la vie communautaire du Groupe Nomade. Il a appris que j'ai ramené de Tedjéré un gros pistolet à barillet. Il me charge donc d'abattre la bête d'un coup de pistolet derrière l'oreille et ensuite de surveiller la répartition équitable par sections de la viande. Cela se passe toujours à 13 heures au moment de la sieste... Certaines semaines le bœuf est remplacé par quelques chèvres achetées aux Goranes du village. C'est un tirailleur qui les égorge et les découpe.

Souvent, le soir, je vais chasser la gazelle vers Aïn-Galaka. Ces antilopes ne se laissent pas approcher facilement et ma carabine italienne à baïonnette repliante n'a pas la puissance d'un mousqueton.

Lorsque je parviens néanmoins à en tirer une, je distribue la viande

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aux Européens mais je garde toujours pour moi les deux filets pour en faire des saucissons secs pour une prochaine opération. Je roule ces filets dans du poivre et de la poudre d'ail dont j'ai ramené plusieurs boîtes de Tedjéré, puis je les pends à sécher à l'ombre dans ma case.

Comme l'air est très sec et qu'il y a toujours du vent, la viande se trouve séchée comme dans un fumoir.

A la mi-mai le commandant Poletti revient de son congé. Il nous apprend que d'importants renforts en personnel européen sont arrivés à Fort-Lamy et à Largeau. Il nous fait part que bientôt nous allons percevoir des camions neufs, en provenance d'Amérique, véhicules aux performances bien supérieures à celles de nos défunts Chevrolet de notre raid au Fezzan. Beaucoup de ravitaillement arrive aussi du Sud, en particulier du Cameroun. Les convois d'essence vers le Nord reprennent aussi de plus belle. Il paraît même qu'en début de ce mois de mai un gros avion américain est venu jusqu'à Largeau. Il s'agissait d'un bi-moteur Douglas qui peut transporter jusqu'à 30 tonnes de marchandises.

En effet, quelques jours après la venue de notre commandant, nouvellement promu à ce grade, vingt-cinq camions Ford flambant neufs arrivent à Kirdimi. Tous sont conduits par des chauffeurs noirs originaires du Cameroun. Ces nouveaux véhicules sont à châssis courts. Leur charge utile est de 3 tonnes. Ils ont aussi la particularité d'être équipés de hautes ridelles à claire-voie. On dit que ces camions viennent de Chicago où on les utilise pour le transport des bestiaux.

Ils sont équipés de pneus-sable à large surface portante. Par la suite notre commandant recevra un break Bedford.

A présent, il devient indispensable que tous les Européens du Groupe Nomade sachent conduire un camion, en particulier dans le sable. Comme il nous reste trois Chevrolet pour effectuer nos liaisons avec Largeau, ils vont servir aussi pour l'école de conduite. Cette mission est à la charge de nos deux dépanneurs auto, les sergents Brousse et du Roscoat. C'est entre les mains de ce dernier que me met le capitaine Dronne qui me lance de sa voix bourrue :

- Je vous donne huit jours pour apprendre le double débrayage ! Cette manœuvre est essentielle dans ces régions où la

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piste n'est souvent faite que de sable. La connaissance du code de la route n'y est pas indispensable...

Comme il est aussi question que nous puissions être l'objet d'attaques d'avions ennemis, les tirailleurs creusent de larges fosses en pente à l'abri des palmiers pour y remiser les véhicules et les protéger d'éventuels éclats de bombes. Ce procédé permet aussi de mieux les camoufler. Etant donné que personne ne peut savoir quand nous pourrions partir en opération, de toute façon pas avant la fin de l'automne, les camions sont mis sur cales faites avec des troncs de palmiers. Les moteurs sont recouverts avec tout ce que nous pouvons trouver pour empêcher le sable d'y pénétrer. Enfin l'abri des véhicules est recouvert de branches de palmiers. Les dépanneurs ont pour consigne d'essayer régulièrement le fonctionnement des moteurs afin de n'avoir pas de surprises en cas de départ inopiné.

Le 27 mai, en écoutant la radio allemande je crois comprendre

que les opérations vont reprendre en Cyrénaïque. Le communiqué de l ' O . K . W . (Haut c o m m a n d e m e n t de la Wehrmacht) signale "un important raid de la Luftwaffe sur des objectifs militaires à Tobrouk".

Le 30 mai, le communiqué allemand est plus clair : "Depuis le 27 mai au matin l'Afrika-Korps est passé à une offensive de grande envergure en Cyrénaïque malgré une température de 50 degrés ".

Bien que dans tous communiqués militaires les cris de victoire ne soient pas toujours à prendre à la lettre, les bulletins journaliers de l'O.K.W. deviennent inquiétants les jours suivants :

1er Juin - "Contre-attaque britannique repoussée - 2.100 prisonniers - 350 chars de combat détruits "

Puis le 2 Juin : "3.000 nouveaux prisonniers, dont le général commandant la 1 Brigade blindée britannique, tombés entre les mains des troupes de l'Axe. Les divisions blindées allemandes et la division a u t o - p o r t é e italienne "Trieste" sont engagées dans la bataille".

A partir du 7 juin les communiqués allemands deviennent plus précis : "L'offensive de Rommel se développe favorablement dans les

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secteurs de Gazala, Tobrouk, Bir-Hakeim et Gobi". Nous savons parfaitement que les Français Libres du général Koenig occupent depuis le 14 février la position de Bir-Hakeim. A présent ils sont puissamment retranchés. Maintenant nos camarades se trouvent de nouveau engagés directement contre les Allemands.

A la radio allemande les grands cris de victoires se succèdent : Le 8 juin - "10.000 prisonniers et 350 chars détruits".

Les jours suivants des communiqués plutôt laconiques parlent seulement de la poursuite de violents combats mais sans précision de lieux. Il est clair que les hommes du général Koenig se trouvent déjà sérieusement accrochés avec l'Afrika-Korps. Tous les soirs, sur l'antenne de la B.B.C. à 21 h 25, la voix de Maurice Schumann apprend au monde entier l'exploit héroïque des Français Libres engagés dans le "Verdun" de la bataille de Libye, chargés de défendre la position de Bir-Hakeim, ils ne tiennent pas seulement la position mais, en plus, infligent de lourdes pertes à l'ennemi.

Nos camarades ont obtenu la charge la plus lourde, celle de tenir le plus longtemps possible ce pivot de la défense alliée afin d'empêcher ou de retarder la progression de l'ennemi vers l'Egypte.

Dans le reflux précipité de la 8 Armée britannique, leur chef a reçu l'ordre de tenir au moins 10 jours.

Le 5 juin, le bulletin de la B.B.C. communique qu'à deux reprises le général Rommel a adressé un ultimatum aux Français.

Koenig les rejette tout en donnant l'ordre à ses troupes : "Tenir sur place et se faire tuer plutôt que de reculer".

Le 12 juin la radio allemande claironne toujours mais reconnaît l'âpreté de la bataille : "La position de Bir-Hakeim, durement disputée, est tombée malgré la résistance longue et acharnée de la garnison encerclée !". Quel bel hommage rendu par l'ennemi aux combattants de la France Libre !

Le 13 juin la même radio reprend un communiqué de Rome qui complète cette information et précise même qui étaient ces héroïques défenseurs : "Une partie de la garnison de Bir-Hakeim, composée de "rebelles français" chercha la vie sauve dans la fuite, laissant derrière eux 2.000 prisonniers et plus de 1.000 morts. Le plan

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de la stratégie des Anglais est bousculé. D'après des documents saisis, le général Ritchie voulait passer à l'offensive au début du mois de juillet".

La B.B.C. rendant encore hommage aux combattants de Bir- Hakeim précise "qu'au lieu de dix jours les Français Libres ont tenu seize jours et seize nuits ".

En apportant ces nouvelles à mes chefs et camarades, tous vont être consternés par l'ampleur de la défaite anglaise :

19 juin : "Avec la chute de Gazala un territoire de 14.000 km2 est investi ".

22 juin : "La garnison de Tobrouk s'est rendue - 15.000 prisonniers. En récompense de sa grande victoire Rommel est élevé à

la dignité de "Generalfeldmarschall" par Adolf Hitler".

30 juin : "Rommel pénètre en Egypte et se dirige vers El Alamein à seulement 100 km d'Alexandrie".

Mais la victoire de la Wehrmacht n'est pas seulement en Libye, elle est aussi sur le front russe, car le lendemain 1 juillet l'O.K.W.

annonce la chute de Sébastopol et la progression de ses divisions vers le Caucase.

Un grand pessimisme nous gagne lentement. Il se trouve encore accentué par un bref discours que prononce le général de Gaulle le 3 juillet à la B.B.C. Il nous laisse bouche bée !

"Le peuple français, malgré la propagande de l'ennemi et des traîtres, juge avec lucidité les péripéties du drame où se joue son destin. C'est dire que chez nous, nul ne doute de la gravité des événements actuels. Mais chacun mesure parfaitement ce que ces événements comportent de favorable en même temps que de menaçant.

Une bataille se déroule à proximité du Nil. L'ennemi attaque maintenant l'Egypte. Ce sont là, peut-être, les préliminaires d'une grande campagne d'Orient et d'Afrique, liée à celle qui se déroule sur le sol de Russie".

Ces paroles nous les entendons tous rassemblés devant ma

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case. Quelques jours auparavant nous avons reçu des colis envoyés par la Croix-Rouge du Caire. Dans le mien j'ai trouvé, entre autres, un beau pull bleu à manches longues qui m'aurait bien servi lors de la campagne du Fezzan. Mais en plus des colis individuels, on nous a envoyé un beau poste radiophonique que le commandant Poletti décide d'installer à la case-radio étant donné que je possède assez de piles pour le faire fonctionner. Ainsi tous les Européens peuvent venir le soir pour écouter les informations ou de la musique.

Malheureusement ce beau poste ne fait pas long feu. Un beau soir le lieutenant Le Calvez vient le chercher pour l'installer dans la case des lieutenants. Il le rapporte le lendemain matin, le poste ne marchait plus ! Qu'a-t-il bricolé ? A-t-il mal branché la pile ? En apprenant cela le capitaine Dronne le sermonne vertement. Le poste est renvoyé à Largeau. Mais l'adjudant Torre, notre dépanneur-radio, n'avait certainement pas les pièces nécessaires pour la réparation. Le poste ne revint jamais plus à Kirdimi. C'était bien dommage, car, avec cet appareil nous pouvions capter l'émission française de la B.B.C. et même Radio-Paris.

Le nom de Bir-Hakeim a retenti dans le monde entier ! Cette page héroique de l'histoire de la France Libre souleva aussi l'admiration de nos compatriotes restés en France. Ceux qui écoutaient clandestinement la radio de Londres propageaient les nouvelles de bouche à oreille. La fierté gagnait tous ceux qui espéraient la défaite des Allemands. Et nos voisins d'A.O.F., toujours soumis au joug de Monsieur Boisson, n'ont-ils maintenant pas honte de voir mourir des hommes pour la gloire de leur drapeau ?

A Kirdimi nous n'avions en dehors des bulletins de la presse en télégraphie, que peu de détails sur ce qui est appelé l'enfer de Bir- Hakeim. Mais "Bir-Hakeim" m'est conté plus tard par trois Légionnaires de la 13e D.B.L.E. qui ont combattu dans la place forte assiégée par l'Afrika-Korps. Leurs souvenirs de ces jours glorieux de juin 1942 méritent d'être intégrés dans les pages de mes Carnets de route.

"La 1 Brigade, commandée par le général Koenig, prit

possession de Bir-Hakeim le 14 février 1942, raconte l'adjudant

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Dupont, alias Hans Radig, de la 6e compagnie de la 13 D.B.L.E. du capitaine Wagner. Occupation pratiquement sans combat. Les Italiens et les Allemands de l'armée Rommel étaient en pleine déroute nous abandonnant près de 5.000 prisonniers. Mais nous sommes à bout de souffle avec un matériel durement éprouvé. Il est indispensable pour la 8e Armée britannique d'établir une ligne de regroupement avant de poursuivre notre offensive.

"A Bir-Hakeim ne vous imaginez pas que nous pouvons flâner à l'ombre des palmiers d'une verte oasis. C'est un endroit de désolation, plat ou légèrement vallonné, sans la moindre végétation.

C'est aussi le point de jonction de pistes du désert, un point d'eau au centre duquel émerge, tel un fantôme, un minuscule poste de carabiniers tout délabré et encore entouré d'une triste murette. Les Italiens y ont creusé un puits mais son maigre débit ne peut servir à grand chose à sa nouvelle et importante garnison.

"Dès notre arrivée, la position que nous installons en défense, est entourée d'une ceinture de mines, tandis que les Anglais, de leur côté, établissent une vraie barrière de mines allant jusqu 'à la côte de la Méditerranée. Pendant ce temps nous creusons dans le sable de solides emplacements de défense. Nos véhicules sont "enterrés " dans des alvéoles creusées dans le sol avec une pente dirigée vers le centre de la position. Cela leur permet d'y entrer ou d'en sortir aussi facilement que d'un garage. De cette façon ils peuvent être parfaitement camouflés et bien protégés contre des éclats de bombes.

"La position que nous occupons est tellement "truffée"

d'emplacements de combat, poursuit Antoine Zmolda, de la compagnie lourde de la Légion, qu 'un soir, la nuit tombée, le général Koenig, passant l'inspection des défenses se trouve à quatre reprises devant son propre emplacement sans bien comprendre comment cela a pu arriver. C'était un vrai labyrinthe !

"D'importantes réserves de carburant, munitions, vivres et eau sont enterrées autour du poste pour être disponibles à la reprise de notre offensive ou pour mieux faire face à une attaque ennemie.

Comme le puits ne peut guère servir qu'à une poignée d'hommes,

l'eau est cherchée journellement par camions citernes à Tobrouk, à

100 km de là. Des patrouilles sortent toutes les nuits pour détecter

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tous mouvements de l'ennemi. Dans la journée un autre ennemi nous assaille continuellement : le vent de sable qui s'engouffre de face dans la position et qui avantagerait beaucoup les Allemands s'ils nous attaquaient de jour.

"C'est dans cette atmosphère que se passent les mois de mars et avril. Ce n 'est que vers la fin du mois de mai que des renseignements, fournis par l'aviation anglaise et par nos patrouilles terrestres, donnent à penser que l'ennemi prépare une offensive. Nous sommes confiants, bien organisés, solidement retranchés. Enfin, dans la nuit du 26 au 27 mai les intentions de l'adversaire se précisent de toutes parts.

Dans le lointain des bruits de moteurs de chars se font entendre.

Immédiatement Koenig fait fermer notre passage dans le champ de mines et en ouvrir un autre que l'ennemi ne peut connaître".

"La brume matinale de ce 27 mai 1942 vient à peine de se dissiper un peu que nous pouvons distinguer au Sud-Ouest de notre position une longue traînée de poussière qui se déplace lentement.

Des points noirs se déplacent déjà aux bords extérieurs de notre champ de mines. Le bruit s'amplifie rapidement. Ce sont des blindés de l'Afrika-Korps. Mais combien sont-ils ? Cinquante, cent ou même plus ? C'est difficile à dire. Le vent de sable soufflant du Nord s'est déjà levé. Placés devant l'ennemi il nous vient de face ! Dans nos abris nous sommes préparés à une telle éventualité. Nous avons souvent combattu dans de pareilles conditions et nous sommes confiants.

"Il est environ neuf heures lorsque les chars allemands ouvrent sur nous le feu de toutes leurs pièces. Le général Koenig donne l'ordre de n'ouvrir le feu à notre tour que lorsque les blindés ennemis se trouvent à environ 400 mètres. C'est un vacarme assourdissant lorsque nos canons de 75 commencent leurs tirs. Bientôt, partout, des chars allemands brûlent, d'autres, les plus avancés, sautent sur les mines. C'est un immense ballet de fumée et de flammes de feu, nous voyons des chars ennemis des hommes sauter de leurs engins, certains, brûlant comme des torches, se roulent dans le sable.

"Devant la compagnie lourde avec laquelle je me trouve en position, poursuit Antoine Szmolda, trente chars ennemis avancent de

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front. Nos batteries antichars les laissent approcher à bonne distance avant d'ouvrir le feu sur eux. L'ennemi est stoppé net mais six de leurs blindés parviennent quand même à pénétrer dans notre position.

A la grenade l'un d'eux est pris d'assaut par mes camarades, un second a la tourelle enlevée par un coup d'antichar tiré à bout portant. A notre grand étonnement un colonel italien en sort. Il est blessé et pleure. Cet officier qui appartenait à la division "Trieste "

parlait le français.

"Pour l'ennemi notre farouche résistance était inattendue. Il espérait nous bousculer comme un château de cartes. Le terrible combat a duré à peine un peu plus d'une heure lorsque les assaillants décrochent en laissant sur le terrain de nombreux morts et blessés.

Immédiatement nos patrouilles vont en reconnaissance et ramènent plus d'une centaine de prisonniers.

"Les jours suivants sont marqués par de très fréquents et violents bombardements et mitraillages des Stukas allemands. Nos patrouilles sont toujours en contact avec les avant-postes ennemis.

Rommel hésite-t-il à nous attaquer de nouveau ?

"Une surprise plutôt inattendue se produit le 29 mai, un vendredi, poursuit l'adjudant Dupont-Radig. Un régiment entier de soldats hindous se présente devant nos postes avancés. Ils sont sans armes, sales, les barbes hirsutes. Ils paraissent complètement exténués. Ils nous racontent que dans la nuit du 26 au 27 mai les Allemands les ont fait prisonniers. Comme l'eau et les vivres n'étaient pas en abondance chez l'ennemi et qu 'il y avait peu de moyens pour les évacuer vers l'arrière il les a simplement abandonnés en plein désert, même au risque qu 'ils meurent bientôt de soif. Ils se sont alors dirigés vers le Sud pour arriver en plein désordre devant Bir-Hakeim sans rencontrer d'ennemis qui s'étaient repliés assez loin. Nous sommes arrivés à temps à les faire arrêter devant la position pour qu 'ils ne tombent pas dans notre champ de mines de défense. Ils sont entrés dans le réduit par le passage connu de nous seuls. Nous les avons installés autour du vieux poste, puis nous avons partagé notre ration d'eau avec eux. Le lendemain matin des camions anglais sont venus les évacuer vers l'arrière.

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"Le dimanche 31 mai, un important convoi de ravitaillement anglais parvient à percer le cercle que l'ennemi installe progressivement autour de Bir-Hakeim. Le lendemain, nouvelle surprise. La visite du général de Larminat qui vient en inspection et nous félicite pour notre courage.

"Depuis maintenant six jours nous sommes sur le qui-vive lorsqu'enfin. le mardi 2 juin, la menace ennemie se précise à nouveau.

"Le matin, peu après 9 heures, une colonne de plusieurs centaines de véhicules ennemis prend position autour de Bir-Hakeim, poursuit le légionnaire Antoine Szmolda. Chacun est à son poste de combat. Nous nous demandons si les Italo-Allemands vont rééditer leur attaque du 27 mai ? Peut-être que non ? Car voici une voiture ennemie qui s'avance vers notre position. Elle porte un drapeau blanc ! Elle s'arrête à bonne distance. Deux officiers en descendent dont l'un porte un pantalon long. L'autre est chaussé de bottes. Le capitaine de Sairigné qui commande la compagnie lourde (ma compagnie) va à leur rencontre par un passage dans le champ de mines emprunté de nuit par nos patrouilles. Avant de les conduire auprès du général Koenig il leur fait bander les yeux afin qu'ils ne puissent pas se rendre compte de nos installations de défense.

"Ces deux officiers, un Italien et un Allemand, viennent au nom du général Rommel, le chef de l'Afrika-Korps et commandant de toute l'opération en cours. Ils sont porteurs d'un message qui annonce que Bir-Hakeim est entièrement encerclé et qu'à présent, en cas de résistance, nous le payerons très cher. La réponse du général Koenig est brève, claire et nette

"Les Français Libres ne se rendront jamais sans combat !

"Reconduits jusqu'à leur voiture le capitaine de Sairigné leur enlève le bandeau des yeux. A peine est-il revenu dans la position qu'un déluge de feu d'artillerie nous tombe dessus, puis par vagues successives des Stukas nous déversent en piqué leurs chargements de bombes. Sur terre tout reste néanmoins calme. L'ennemi doit hésiter en se souvenant des gros dégâts subis lors de sa précédente attaque.

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"De bonne heure, le lendemain matin, deux officiers britanniques sans armes se présentent devant notre position. Ils sont aussi porteurs d'un drapeau blanc. Prisonniers des Allemands ils sont chargés de remettre un nouveau message du général Rommel, ou plutôt un ultimatum qui dit : Rendez-vous ou vous serez exterminés ! Pour toute réponse le général Koenig donne l'ordre d'ouvrir le feu sur tout ce qui bouge devant nous. C'est déjà chose facile étant donné que les véhicules ennemis se sont sensiblement rapprochés.

"Bir-Hakeim reste assiégé jusqu'au mardi 9 juin. Le général Koenig se rend compte que l'ennemi est vraiment décidé à y mettre le prix pour enlever la position. En effet, Bir-Hakeim est devenu le

" Verdun " de la bataille de Libye. Le retranchement a pris un aspect lunaire, partout des cratères de bombes, des bouts de ferrailles et tôles tordues, çà et là, un véhicule qui flambe encore ou, comble de malheur, une bombe est tombée sur le groupe chirurgical de campagne et une autre sur une tente où se trouvent les grands blessés qui ne peuvent plus être évacués. Tout est détruit, déchiqueté au point que souvent on n 'arrive plus à identifier les corps des morts.

Joseph Walburger, qui appartient à la compagnie de Commandement de la 13e demi-brigade de la Légion installée au centre de la position près du P.C. du général Koenig, témoigne à son tour : "A présent notre chef estime qu'il est impossible d'évacuer la garnison de Bir-Hakeim sans, au moins, une journée de préparatifs.

Notre ravitaillement en eau est coupé, nous n'avons plus qu'un litre par homme et par jour et à cette époque il fait déjà bien chaud dans le désert de Cyrénaïque. Cette journée de préparatifs s'effectue le samedi 10 juin. Sur notre flanc droit une brigade anglaise a repris le contact avec les Allemands. Elle a pour mission de protéger quelque peu notre sortie de la position. Deux de nos compagnies sont aussi restées en contact permanent avec l'ennemi. Des deux côtés les mitrailleuses crépitent sans arrêt.

"Vers 17 heures, le général nous transmet les consignes pour

l'évacuation de la position qu'il a fixée pour minuit. Tout ce qui ne

peut être emmené doit être détruit, rien ne doit tomber intact entre les

mains de l'ennemi. Nos deux compagnies qui sont en contact avec les

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Allemands ont reçu l'ordre de décrocher en dernier. D'autre part, par solidarité avec les plus exposés, un sous-officier de chaque compagnie et trois hommes restent également en arrière avec mission de maintenir leurs tirs jusqu'à une heure du matin. Avec les deux compagnies chargées de la protection de la retraite ils pourront se replier comme ils le pourront, sous la seule protection de la nuit.

"A minuit nous sommes tous prêts, bien heureux au fond de nous-mêmes de pouvoir quitter enfin cet enfer. Malgré le manque de sommeil, la fatigue qui nous accable de plus en plus, nous ne pensons guère à l'effort exceptionnel que nous devrons fournir pour sortir de la position sans la moindre lumière pour éclairer nos pas. A minuit tout est prêt. Les démineurs du 22e bataillon Nord-africain (ils nous ont rejoint en Syrie) viennent de terminer l'ouverture d'un couloir d'une dizaine de mètres de large à un nouvel endroit du champ de mines qui nous entoure. Un de nos véhicules de la Légion Etrangère est désigné pour ouvrir le chemin. Tous les autres véhicules devront s'efforcer à suivre sa trace en file indienne. La nuit sans lune est calme. Comme tous les soirs, vers 22 heures, les tirs ennemis ont pratiquement cessé.

"Ma compagnie se trouve rassemblée derrière l'ancien fortin.

Dans l'attente, le calme, l'anxiété nous prend à la gorge. On entend à peine le bruit des moteurs qui tournent au ralenti. Juste devant moi, sur le fond blafard du ciel étoilé, je distingue très bien le général Koenig, portant son béret noir, debout dans la tourelle de son automitrailleuse ; il observe calmement la manœuvre des 5e et 6e compagnies qui ont déjà commencé leur sortie. Roulant presque au pas les véhicules ont l'air de faire partie d'un corbillard nocturne. On nous a donné pour consigne de nous diriger vers le Sud-Ouest où, à une dizaine de kilomètres de Bir-Hakeim, les Anglais doivent nous attendre avec des camions et des ambulances pour nos blessés. Trois feux rouges doivent nous permettre de repérer cet endroit dans la nuit.

"Avec grand calme le général se tourne vers nous et crie : "En

avant, et bonne chance les enfants!". Au volant de sa voiture se trouve

la seule femme restée dans Bir-Hakeim, miss Travers. A l'unanimité

elle a été reconnue comme plus courageux combattant de notre

brigade. Notre chef démarre, suivi de la voiture de son adjoint, le

colonel Bablon. J'emboîte sa trace au volant du véhicule du capitaine

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commandant la compagnie de commandement.

"Nous roulons lentement depuis un certain temps dans le couloir ouvert dans le champ de mines avec, sur un côté de la colonne de voitures, des hommes marchant aussi en file indienne les uns derrière les autres. Ce sont des rescapés du B.M. 2, du Bataillon du Pacifique, du Génie Nord-africain, pour le transport desquels il n'y avait plus de véhicules. Il y en a aussi, des nôtres, mais il est difficile de les reconnaître avec leurs casques anglais bien enfoncés sur leurs têtes.

"Bientôt on entend de nouveau de sourdes explosions, des coups de feu, des crépitements de mitraillettes. Sommes-nous déjà en dehors de la zone dangereuse ? Non ! Soudain dans un bruit terrifiant ma voiture se soulève, une mine a mis fin à sa carrière. Je suis indemne mais, à côté de moi, mon capitaine hurle de douleur. Avec deux de mes camarades nous le descendons du véhicule qui, heureusement, n 'a pas pris feu. Nous le transportons jusqu 'à un trou où je constate qu'il a une plaie béante sur un côté. Je sors du trou pour demander à l'une des voitures qui nous suivent de le prendre à son bord. Lorsque quelques minutes après je reviens à l'endroit où j'ai laissé le blessé, nous ne trouvons plus personne. Mes deux camarades l'avaient déjà chargé sur une autre voiture. Me voilà donc aussi à pied, me guidant sur des silhouettes marchant devant moi. Je chemine pendant plus d'une heure, lorsque j'aperçois les trois points rouges. Par un vrai miracle le groupe avec lequel je marchais n'a rencontré aucune position ennemie. Derrière nous le ciel est devenu tout rouge. Sous la mitraille infernale qui s'est déchaînée combien de mes camarades pourront rejoindre ces trois points rouges où je suis un des premiers à arriver. Un grand nombre de voitures anglaises nous attendent. Nous montons sur l'un d'eux. Dès qu'il est plein il démarre aussitôt".

L'adjudant Dupont-Radig, de la 6e compagnie de la Légion, a vécu cette dernière journée à Bir-Hakeim d'une façon bien différente :

"Vers 20 heures le capitaine Wagner vient me dire que c'est

moi qui dois rester en arrière avec trois hommes. Je lui fais

comprendre que je suis d'origine allemande et que pour rien au

monde je ne veux risquer d'être fait prisonnier et que je suis plutôt

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volontaire pour sortir de la position avec le premier groupe qui doit ouvrir une brèche dans les positions ennemies, préférant mourir au combat que d'être présenté devant un peloton d'exécution allemand.

Très compréhensif le capitaine accepte.

"Il est environ minuit lorsque l'ordre de départ nous est donné.

Avec le lieutenant Bourgeois, mon chef de section, je marche en tête de ce groupe de choc. Personne ne parle. Nous savons que dans quelques instants nous allons nous trouver en contact direct avec l'ennemi. Bien que nous soyions bien rompus au combat au corps à corps une anxiété toute naturelle nous prend toujours à la gorge. A chaque pas un piège peut surgir ou une arme crépiter. Sans difficultés nous sommes parvenus à traverser le couloir déminé par les hommes du Génie. Mais quelle aventure d'avancer sans lumière dans un terrain truffé de trous de bombes et d'obus. A chaque pas on risque de se rompre les os. Je marche toujours à côté du lieutenant lorsque, soudain, juste devant nous une mitrailleuse ennemie ouvre le feu.

Grâce à ses balles traçantes nous voyons nettement où se situe son emplacement. Etant donné qu'il nous est interdit de tirer nous nous jetons spontanément à plat ventre. Nous avançons en rampant lorsque j'entend parfaitement un Allemand donner l'alerte en criant : "Die Franzosen kommen !" (les Français arrivent !). Parvenu jusqu'au bord de leur emplacement je dégaine mon poignard de tranchée que nous avons tous gardé précieusement depuis la campagne de Norvège. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire le nid de mitrailleuse se trouve nettoyé...

"Parvenus à environ cent mètres au-delà du champ de mines nous tombons sur une très forte position ennemie. La compagnie marque un temps d'arrêt. Soudain la voix du lieutenant-colonel de Saint-Hillier se fait entendre. Il nous a rejoint à pied. Il est là au milieu de nous et crie à pleins poumons : "En avant la Légion. Pour rien au monde ne vous arrêtez pas ". Galvanisés par ces paroles nous fonçons au pas de gymnastique sur la position tenue pas des Allemands qui tirent sans distinguer leur cible. Rien ne peut nous arrêter, il faut passer coûte que coûte sans regarder en arrière, sans se soucier des camarades qui tombent.

"Le chemin est ouvert. Je suis sauf. Mais voilà qu 'une fusée

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éclairante illumine le ciel. Des balles traçantes partent de partout.

Derrière nous des voitures explosent. Sans doute qu 'elles se sont trop écartées du couloir déminé. A un moment donné l'adjudant Weisskopf, de la 5e compagnie, se trouve à côté de moi. Nous progressons toujours avec prudence, le doigt toujours sur la détente de nos fusils-mitrailleurs. Tous les deux nous tombons dans un trou de bombes dans lequel se trouvent deux Allemands. Surpris par notre déboulement dans leur position ils crient : "Les Anglais ". Avant de pouvoir nous servir de nos armes ils sautent du trou d'un côté et nous de l'autre. C'est à partir de là que nous nous égarons dans la nuit.

Derrière nous un feu d'enfer s'est déchaîné, en tournant la tête on croit voir briller le ciel. Enfin, après quelques heures de marche, ma compagnie peut se regrouper à l'endroit où les Anglais nous attendent avec leurs camions. De notre 5e compagnie personne ne manque à l'appel. Un miracle ! Nous étions les premiers à sortir de la position et avons donc bénéficié de l'effet de surprise le plus complet. Il est aussi indispensable de préciser qu'il n'y avait aucune mine antipersonnel autour de Bir-Hakeim.

Le Légionnaire Antoine Szmolda qui, comme on le sait, appartenait à la compagnie lourde, n'a pas eu la même chance d'être parmi les premiers à quitter Bir-Hakeim. "Vers dix heures du soir, dit- il, nous ne savions pas encore comment allait s'effectuer la sortie de la position assiégée de toutes parts. Bravant l'attente, trois de mes camarades se camouflent sous une toile de tente pour fumer une cigarette. Peut-être la dernière me dit l'un d'eux. Le capitaine de Sairigné sent l'odeur particulière des cigarettes anglaises. Il s'approche de la tente. Hors de lui pour le manque de discipline des deux légionnaires il les menace de leur mettre une balle dans la peau car il est strictement interdit de fumer. Mourir ici ou deux cents mètres plus loin, qu'importe, lui répond impertinemment un des légionnaires.

"A minuit, peu après les 5e et 6e compagnies, nous quittons

aussi la position. Les unes après les autres, plusieurs de nos voitures

sautent sur les mines. Pour conduire dans la nuit, sans lumières, le

couloir déminé n'est pas assez large. La voiture de commandement,

sur laquelle je me trouve, subit le même sort. Nous sommes indemnes,

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il n'y a que des dégâts matériels. Me voilà donc aussi à pied comme beaucoup d'autres camarades de la position. Le capitaine de Sairigné marche à côté de moi. Des balles traçantes partent de toutes parts mais il est certain que beaucoup d'hommes ont eu la vie sauve car on voyait nettement le point de départ des rafales ce qui permettait souvent de s'aplatir au sol avant qu'elles ne viennent nous balayer.

Soudain une fusée blanche monte dans le ciel. L'infanterie qui se trouve devant nous amorce un mouvement de repli devant le feu d'une assez importante position ennemie. "Légionnaires, en avant à qui peut me suivre, jamais nous ne serons prisonniers !", hurle le capitaine de Sairigné.

"En peu de temps toute la compagnie est à pied. Beaucoup de mes camarades blessés, qui ne peuvent suivre, sont laissés sur place.

Nombreux sont aussi les blessés écrasés par les roues ou les chenilles des Brenn-Carriers (1). Tous les tirs de l'ennemi se concentraient sur les véhicules encore en état de rouler. Je marche toujours avec de Sairigné. Hors du champ de mines nous avançons à l'aveuglette sans nous rendre compte que nous nous sommes écartés de notre route et que nous sommes seuls à marcher dans le sable. A un moment donné nous rencontrons deux légionnaires dont un blessé, penché en avant, soutenu par son camarade. C'est le sergent Grall. Il a la poitrine perforée par une balle. Nous lui faisons un pansement. Le capitaine s'excuse d'être obligé de le laisser sur place. Le temps presse. Nous poursuivons notre chemin à trois.

"Enfin, les lueurs de l'aube se dessinent à l'Est. Le bruit de la bataille a presque cessé mais nous ne savons absolument pas si nous nous trouvons dans la bonne direction pour trouver notre point de ralliement. Vers cinq heures un épais brouillard se lève. Après nous être reposé un instant, nous reprenons la route en direction du Nord mais indécis sur la bonne direction à prendre. Après une demi-heure de marche nous apercevons des véhicules à l'arrêt. A travers le brouillard impossible d'en distinguer le type.

"Décidés à tout nous nous approchons avec précaution de l'un d'eux se trouvant un peu à l'écart. Son chauffeur dort au volant. "Si

(1) Chenillettes équipées de mitrailleuses Brenn.

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c'est un Allemand son compte est bon" nous glisse le capitaine. En nous approchant encore nous poussons un soupir de soulagement - c'est une ambulance anglaise. Nous avons déjà dépassé de plusieurs kilomètres notre point de ralliement. Une voiture anglaise nous y conduit immédiatement. De nombreux camarades s'y trouvent encore.

Le moral de tous semble bon mais cela est dû surtout au soulagement d'être bien sortis de cet enfer. Tous les blessés ont déjà été évacués. Je dois dire aussi que notre sortie de Bir-Hakeim, était de loin moins impressionnante que les terribles bombardements des "Stukas"

allemands que nous avons subis à l'intérieur de la position.

"Les deux compagnies restées en couverture jusqu'à trois heures du matin, ainsi que les groupes isolés des autres compagnies, qui décrochèrent en arrière-garde, eurent des pertes très élevées. Or, les Allemands n'avaient pu imaginer que Bir-Hakeim se trouvait pratiquement évacué de toute sa garnison. Dès le lever du jour le pilonnage reprenait. L'ennemi estimait que cela avait trop duré, qu'il fallait absolument en terminer avec ces rebelles français. Vers onze heures il donnait l'assaut. C'est certainement avec consternation mais aussi avec un grand soulagement que Rommel pouvait constater que la position était vide de combattants. Il n 'y trouvait que des blessés et une centaine de soldats, en particulier des noirs du B.M. 2, tapis au fond de leurs trous individuels. Les braves tirailleurs venus d'A.E.F., incomparables dans le combat corps à corps, avaient une peur bleue de tout ce qui n'était pas directement en rapport avec le combat d'homme à homme : bombardements d'artillerie et d'aviation. Il était donc bien compréhensible que de nombreux tirailleurs aient refusé de quitter leurs trous au moment du décrochage.

Ce fait était d'ailleurs confirmé par la propagande allemande qui diffusa un article d'un correspondant de guerre auprès de l'état- major du général Rommel (extrait des Strasburger N. N.) :

"Lorsqu'apparaît le matin du 11 juin et que nos premières lignes d'assaut se lèvent, on n'entend plus aucun coup de fusil. Les Stukas qui surviennent tournent au-dessus de la position sans laisser tomber leurs bombes.

"L'ennemi a abandonné le combat. Ceux qui n 'ont pas été tués ou blessés la nuit, lors de la tentative de décrochage, se rendent

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maintenant sans combat. Bir-Hakeim est enfin à nous. Dans les murs de la vieille forteresse déchiquetée par les obus et les bombes sont assis des centaines de "Nègres". Bir-Hakeim, le plus fort bastion au Sud du front de Tobrouk, est brisé...

Un communiqué de l'Agence Stéfani disait aussi que d'après le rapport de la division italienne Ariete, qui pénétra dans Bir-Hakeim directement à la suite des unités allemandes, seuls 170 prisonniers auraient été faits.

Sur l'effectif initial de la Brigade française du général Koenig, forte de 3.600 hommes, 900 manquaient à l'appel dont environ 600 tués, blessés laissés sur place ou portés disparus durant la nuit du décrochage. Les Français Libres venaient néanmoins de donner un exemple glorieux, mais combien douloureux, de la détermination des hommes qui refusaient la collaboration avec l'ennemi.

Le lendemain 11 juin, le général de Gaulle prend la parole à la B.B.C. pour rendre un hommage personnel aux héros de la 1 Brigade Française Libre :

"La nation a tressailli de fierté en apprenant ce qu'ont fait ses soldats à Bir-Hakeim. Braves et purs enfants de France qui viennent d'écrire avec leur sang, une des plus belles pages de gloire !...

L'ennemi s'est cru vainqueur de la France, parce qu'il avait pu, d'abord rompre, sous l'avalanche des moteurs, notre armée préparée d'une manière absurde et commandée d'une manière indigne.

L'ennemi connaîtra son erreur. Les cadavres allemands et italiens qui jonchent, en ce moment, les abords des positions de Koenig peuvent lui faire présager de combien de larmes et de combien de sang la France lui fera payer ses outrages ...

France simplement, comme Péguy Mère, voyez vos fils qui se sont tant battus !

Le 12 juin, Brazzaville retransmettait en télégraphie de larges extraits de ce discours. La grandeur d'âme et la fermeté du général de Gaulle soulevèrent une forte émotion. Pour le moment l'avenir était bien sombre.

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Pendant que parlait ainsi le général de Gaulle, la 8e Armée britannique reculait toujours devant la pression accrue de l'Afrika- Korps. Fatiguée, elle livrait malgré tout d'âpres combats d'arrière- garde où nous retrouvons encore et toujours les Français Libres rescapés de Bir-Hakeim et aussi ceux de la 2e Brigade du général Cazaud venus en hâte de Syrie pour porter secours à leurs héroïques frères d'armes britanniques et français.

La radio allemande ne cessait de crier victoire (Je ne fais part à personne des grands cris de la propagande ennemie que je glane sur la radio allemande. Pour elle la victoire sur la 8e Armée britannique est toale) :

16 juin : La tactique d'encerclement de l'armée de Rommel est couronnée de succès.

19 juin : Gazala est investie et Tobrouk se trouve encerclée pour la seconde fois.

22 juin : La garnison de Tobrouk s'est rendue. 25.000 prisonniers tombent entre nos mains. Le général Rommel est promu Generalfeldmarshall par Adolf Hitler

23 juin : Les forces de l'Axe ont atteint la frontière égypto- libyenne !

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ET LE MIRACLE VINT

Or, la catastrophe tant redoutée depuis quelques jours ne se produit pas. Grâce à la résistance acharnée des Français Libres de Bir- Hakeim la progression de l'Afrika-Korps a été freinée. Cela permet l'arrivée de renforts britanniques importants. La porte de l'Egypte se trouve ainsi verrouillée à El Alamein avant le déferlement des vagues d'assaut ennemies.

Combien de temps le verrou allié tiendra-t-il ? Une question angoissante que tout le monde se pose maintenant. Nous en parlons le soir à notre popote où je peux mieux exposer verbalement à mes camarades la situation, version ennemie ou version alliée. Quant aux officiers, ils n'ont que le bulletin de presse télégraphique que je remets tous les soirs au commandant Poletti. Les jeunes caporaux évadés de France, qui font aussi popote ensemble, ne se soucient que peu du problème stratégique que rencontrent les Britanniques aux portes de l'Egypte. Ils sont surtout heureux de vivre librement avec l'espoir de pouvoir bientôt partir au combat comme ne cesse de leur promettre leurs chefs qui les considèrent tous avec beaucoup de gentillesse.

En cette fin du mois de juin nous arrive au G.N.B. un nouveau renfort en sous-officiers : le sergent Tritchler, un jeune Breton de 18 ans ; le sergent-chef de Vantadour (pseudonyme d'engagement dans la France Libre) et le sergent-chef Gendrin auquel est confié un nouvel armement reçu à Kirdimi : une mitrailleuse lourde 13,2 qui peut servir également comme arme de DCA.

La propagande allemande criait toujours victoire mais il lui arrivait d'ajouter qu'il devenait indispensable de liquider aussi ces

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"Gaullistischen Dissidenten" du Tchad. Ces menaces verbales pourraient donc se traduire éventuellement par des actes offensifs réels contre notre territoire. Cette éventualité va donc obliger le général Leclerc, notre nouveau commandant en chef de l'A.E.F., à prendre des mesures préventives de défense tout en gardant intact son plan offensif pour la conquête définitive du Fezzan et la jonction avec la 8e Armée britannique.

Bien avant sa nomination à ses hautes fonctions à Brazzaville et avec les enseignements de notre raid de mars 1942, le général Leclerc a déjà bien mûri tous les éléments pour sa prochaine campagne contre le Fezzan et cela malgré les revers sérieux qu'enregistraient nos Alliés en Cyrénaïque. Il estime indispensable de pouvoir réduire le coût et les délais de transport pour acheminer vers le Nord du Tchad les réserves de carburants, de munitions et de matériels divers. Est-il possible de trouver une voie carrossable à de lourds camions allant directement de Fort-Lamy à Zouar sans passer par Largeau ? Il charge le capitaine Massu, muté dans le Sud du Tchad, de trouver une solution à ce problème. Dans le fond, il s'agit simplement de savoir si la piste chamelière passant par Mao et longeant la frontière du Niger, territoire toujours strictement sous contrôle de Vichy peut se révéler praticable à des camions.

Après trois semaines de navigation dans le désert, Massu arrive à Zouar avec les trois véhicules mis à sa disposition. En la capitale du Tibesti il trouve le capitaine Vézinet qui vient de l'y remplacer comme chef de subdivision. Il rentre ensuite à Fort-Lamy par le même chemin. Il rend compte de sa mission au général Leclerc. Ce trajet, plein d'embûches, représente environ 1.500 km, alors que le passage par Largeau en compte exactement 1.650.

Dans l'immédiat une offensive ennemie venant du Nord n'était pas à craindre. Un danger pouvait aussi se présenter du côté du Niger.

Le Groupe Nomade du Kanem veillait.

Dès la fin de la première campagne du Fezzan, le général Leclerc ordonne des reconnaissances aériennes régulières au-dessus du territoire italien. Le 18 avril, le Glenn-Martin 228 du capitaine Court, nouvellement promu à ce grade, avec son équipage habituel - Canepa, Minoret et Guyot - effectue une première mission au-dessus

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de Tedjéré, Gatroun et Ouaou-el-Kébir. Après avoir pris des photographies de ces différentes positions, l'avion repère un convoi de douze camions de type Mercédès. Il l'attaque à la mitrailleuse à quatre reprises. Un camion ennemi est touché, un second probablement aussi. La DCA ennemie riposte. Le Glenn reçoit deux balles dans sa carlingue et l'antenne fixe de sa radio est coupée.

Les 1er et 3 juin, le même appareil retourne au-dessus des mêmes objectifs sans remarquer le moindre mouvement de colonnes ennemies. Les Italiens sont néanmoins sur leurs gardes car, de nouveau, il est pris à partie par la DCA près de Ouaou-el-Kébir.

A la même époque un peloton de la 2e D.C. commandé par le capitaine Maziéras effectue une reconnaissance de piste au Nord- Ouest de Kirdimi. Le 8 juin cette unité avait aussi reconnu et balisé un terrain d'atterrissage à proximité d'Aïn-Galaka pour rendre éventuellement notre Groupe Nomade accessible par les airs.

Le 3 juillet, l'avant-garde de l'Afrika-Korps se trouve donc à El Alamein. Heureusement que les portes de l'Egypte sont relativement étroites. Elles se présentent sous la forme d'un goulet n'ayant qu'une cinquantaine de kilomètres de large. A son côté gauche se trouve la mer, de l'autre côté il se heurte à la fameuse dépression de Quattara, immense lac asséché, large de 150 kilomètres et à un niveau situé à 137 mètres au-dessous de celui de la mer. C'est une région réputée impraticable : sol crevassé, bancs de sel, sables mouvants, etc... Personne ne pouvait risquer de s'y aventurer (Le B.M. 2, dans sa retraite précipitée de Bir-Hakeim parvient néanmoins à le traverser). Si le gros des forces de l'Axe parvient à pénétrer dans ce goulet d'El Alamein, Alexandrie, le Caire et le Canal de Suez peuvent être atteints dans la même journée.

La situation parait sérieuse. J'intercepte un télégramme codé de Fort-Lamy qui nous apprend que le général Leclerc viendra à Largeau le 5 Juillet. Il désire dicter personnellement les consignes de mise en défense des confins tchadiens et en particulier notre frontière avec le Fezzan au Tibesti. Les défenses naturelles de cette dernière région sont déjà un atout important pour notre sécurité. Les voies d'accès à notre territoire sont très réduites. Il s'agit simplement de les rendre impraticables. Cette mission sera confiée aux méharistes du

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capitaine Sarazac : obturer tous les passages par des murettes de grosses pierres et pose de mines à proximité de la frontière dès que celles-ci seront acheminées sur Zouar.

Lors de la vacation de 11 heures un télégramme codé de Largeau nous annonce la visite à Kirdimi du général Leclerc pour le lendemain. Il désire aussi prendre un contact direct avec le commandant Poletti.

Dans la matinée du 7 juillet, l'avion du général se pose au terrain balisé près d'Aïn-Galaka le mois précédent. En arrivant au camp avec le break de Poletti il passe le Groupe Nomade en revue. Il rassemble ensuite les officiers et sous-officiers pour leur parler de la situation des Alliés en Afrique, en particulier après la défaite de la 8e Armée britannique en Cyrénaïque. Il a une attitude bien détendue et amicale. Dans son allocution il est surtout question de ses projets car il semble certain que nous reprendrons l'initiative des opérations. Je n'assiste pas à cette réunion car j'ai reçu ordre de rester en écoute permanente avec Largeau. Je ne peux encore laisser seul mon adjoint, le caporal Delourmel.

Leclerc et le lieutenant Girard, son officier d'ordonnance, déjeunent à la popote des officiers. Avant de repartir pour Largeau il veut se rendre compte sur le terrain de l'efficacité de la mitrailleuse lourde 13,2 dont le G.N.B. vient d'être doté. Au loin j'entends les crépitements. Ce n'est qu'après le départ de notre chef que j'apprends par mes camarades l'incident stupide qui s'était produit au cours de cette démonstration.

Le poste de chef de pièce de la 13,2, la mitrailleuse lourde à doubles tubes jumelés a été confié au sergent-chef Gendrin. Or à midi les deux aviateurs sont invités à déjeuner à la popote des sous- officiers. Comme ils savaient combien nous sommes "démunis" en alcool dans notre îlot saharien, ils ont apporté quelques bouteilles d'apéritifs et une dame-jeanne de vin portugais ! En cet été 1942 il fait particulièrement chaud au Borkou, de 50° à 55° à l'ombre en début d'après-midi. Un seul bon verre de vin peut troubler parfaitement l'esprit d'un homme habitué à ne boire que de l'eau natronée. Un second verre et un troisième, adieu les dégâts...

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L'auteur : Alsacien né en 1917 à Selestat dans une vieille famille franco- phone, fils d'un instituteur, il pressent les événements et s'engage dans les Transmissions. Affecté au Tchad en 1939 à la station-radio de Faya-Largeau. Dès le 26 Août 1940 il rallie la France Libre dans le groupe nomade du Borkou (G.N.B.). Il franchit les différents grades : caporal- chef, sergent et adjudant en 1945.

Démobilisé il reste dans sa spécialité radio. Il entre au service des transmissions du Ministère de l'intérieur affecté au cabi- net des préfets de région à Strasbourg.

Écrivain, il a publié 7 tomes d'une œuvre : L'Alsace dans les griffes nazies et le tome I des Carnets de route d'un "rat du désert" Alsacien de la France Libre. Le présent ouvrage en constitue le tome II.

Véritable livre d'histoire des Français Libres qui ont permis successive- ment de créer la colonne Leclerc (1940-1942), la Force L (1942-1943) et par la suite la 2 division légère française libre (1943) et la 2e division blindée - 2e D.B. (1944-1945).

Les jeunes, les enseignants, les passionnés d'histoire trouveront là une épopée exaltante qui ne doit pas être oubliée.

Les anciens des Forces françaises libres (F.F.L.), les Sahariens, retrouve- ront avec émotion cette période de leur vie, ainsi que leurs enfants et petits enfants.

Tous les combattants de la 2e D.B. liront ce récit d'un de leurs grands anciens.

Depuis Août 1940, l'auteur est un authentique Français Libre. Dans ce livre, qui est le deuxième tome de ses carnets de route, il nous fait vivre la préparation des opérations de 1942-1943 avec le groupement d'attaque du colonel Dio à partir de Kirdimi, puis les campagnes du Fezzan et de Tunisie : le siège d'Oum el Araneb, Mourzouk, Sebah, le fort de Brak, la bataille de Ksar-Rhilane, la prise du djebel Mehlab, l'occupation de Gabès, Kairouan, la bataille du djebel Garci-Zaghouan.

Nous suivons ensuite la 2e D.B. : Maroc, Angleterre, Normandie, Alençon, Paris, Strasbourg, Royan et enfin Berchtesgaden.

Une place privilégiée est faite dans ce récit aux aviateurs de la France libre du groupe Lorraine.

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