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Institutionnaliser la nuit: géographie des politiques nocturnes à Genève

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Academic year: 2022

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Thesis

Reference

Institutionnaliser la nuit: géographie des politiques nocturnes à Genève

PIERONI, Raphaël

Abstract

Le 20 juin 2014, la Ville de Genève dévoile les contours de sa future politique de la nuit. Cette annonce résulte de quatre années de travail soutenues et supervisées principalement par le Département de la culture et du sport de la Ville de Genève (DCS). Ce travail est passé par la réalisation de plusieurs documents, conférences et expérimentations visant à établir un diagnostic sur les nuits genevoises. Ces derniers témoignent d'une dynamique d'institutionnalisation de la nuit dans ses usages culturels à Genève que j'étudie à travers l'analyse des discours et des pratiques d'acteurs.

PIERONI, Raphaël. Institutionnaliser la nuit: géographie des politiques nocturnes à Genève . Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2017, no. SdS 59

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:94516 URN : urn:nbn:ch:unige-945165

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:94516

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Géographie des politiques nocturnes à Genève.

THÈSE

présentée à la Faculté des sciences de la société de l’Université de Genève

par

Raphaël Pieroni

sous la direction de

prof. Jean-François Staszak

pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences de la société

mention géographie

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Membres du jury de thèse:

Prof. André Ducret, Université de Genève, président du jury Prof. Maria Gravari-Barbas, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Prof. Luc Gwiazdzinski, Université Grenoble-Alpes M. Sami Kanaan, Conseiller administratif de la Ville de Genève

Prof. Ola Söderström, Université de Neuchâtel,

Thèse no 59

Genève, 1 mars 2017

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sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 1 mars 2017

Le doyen

Bernard DEBARBIEUX

Impression d'après le manuscrit de l'auteur

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Table des matières

Table des matières ... v

Résumé ... vii

Remerciements ... vii

Table des Figures ... x

Liste des abréviations ... xiii

Note de l’auteur ... xv

Introduction ... 17

Chapitre 1. Cadre théorique ... 31

1.1 La nuit par les sciences sociales ... 31

1.1.1 L’idée de conquête de la nuit par les sociétés ... 31

1.1.2 La nuit comme ressource pour la ville ... 44

1.2 La construction des problèmes publics ... 56

1.2.1 Problème public et politique publique : convergence de deux champs de recherche ... 59

1.2.2 Cadrage et politiques publiques ... 60

1.3 L’institutionnalisation de la nuit urbaine ... 65

Chapitre 2. Méthodologie de recherche ... 76

2.1 Terrains de recherche ... 76

2.1.1 Terrain n° 1 : Genève explore sa nuit ... 77

2.1.2 Terrain n° 2 : Le Grand conseil de la nuit ... 81

2.2 Méthodes ... 82

2.2.1 Entretiens semi-directifs ... 84

2.2.2 Observation directe ... 86

Chapitre 3. Conditions d’émergence du problème de la nuit à Genève ... 97

3.1 Manifestation nocturne et convergence d’acteurs ... 99

3.1.1 Genève la nuit, ressource pour la culture «  émergente  » ... 104

3.2 Quand le désordre sonore s’installe la nuit à Genève ... 108

3.2.1 Acteurs et instruments de la politique du bruit à Genève ... 110

3.2.2 Paroles d’associations d’habitants ... 120

(7)

3.3 Synthèse du chapitre ... 133

Chapitre 4. Institutionnaliser la nuit à Genève ... 135

4.1 Mise à l’agenda politique de la nuit ... 137

4.1.1 Contribution de l’expertise locale ... 137

4.1.2 Mobilisation des expertises internationales ... 148

4.1.3 Élaboration d’outils institutionnels ... 159

4.1.4 Politique de la nuit : coalitions et résistances ... 163

4.1.5 Étude de cas. ... 168

4.2 Synthèse du chapitre ... 177

Conclusion finale ... 179

Références bibliographiques ... 189

Annexes ... 206

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Résumé

Le 20 juin 2014, la Ville de Genève dévoile les contours de sa future politique de la nuit. Cette annonce résulte de quatre années de travail soutenues et supervisées principalement par le Département de la culture et du sport de la Ville de Genève (DCS). Ce travail est passé par la réalisation de plusieurs documents, conférences et expérimentations visant à établir un diagnostic sur les nuits genevoises. Ces derniers témoignent d’une dynamique d’institutionnalisation  de la nuit dans ses usages culturels à Genève que j’étudie à travers l’analyse des discours et des pratiques d’acteurs.

La conception qui est faite dans ce travail de la politique de la nuit, n’est pas celle d’un simple instrument qui vise à coordonner les différents domaines des politiques urbaines à l’échelle de Genève, mais plutôt celle d’un processus social et politique de constitution de la nuit en tant que nouvel espace-temps.

J’entends appréhender ce processus au moyen des outils fournis par la littérature sur les problèmes publics et ses héritages récents et poser la question des conditions d’émergence, de mise à l’agenda politique ainsi que des raisons et des résistances à l’institutionnalisation de la nuit comme espace-temps de la ville.

À partir d’une observation participante menée au Département de la culture et du sport de la ville de Genève, je souhaite retracer les étapes de l’élaboration d’une politique rendue spécifique à la nuit : quels processus sociaux et politiques sont à l’œuvre ? ; quelles ressources, quels acteurs et quels objets sont mobilisés ? Ces questions sont posées dans un moment historique où les villes suisses et européennes mettent en place des méthodologies participatives pour l’élaboration de politiques nocturnes. Je m’intéresse à ces méthodes et à la manière dont elles contribuent à la circulation de ces politiques de ville en ville : quelles sont ces politiques et quels en sont les bénéficiaires à Genève ? ; comment sont-elles importées et adaptées au contexte dans lequel elles s’insèrent  ? Au final, ce travail cherche à rendre compte des conditions d’émergence, de mise à l’agenda politique ainsi que des raisons et des résistances à l’institutionnalisation de la nuit comme espace-temps de la ville.

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Remerciements

J’aimerais remercier ici toutes les personnes qui m’ont aidé et soutenu dans l’élaboration de ce manuscrit.

Mes premiers remerciements vont en particulier à ma compagne et complice dans la vie, Emily Cottingham, ainsi qu’à l’ensemble des membres de notre famille pour leur bienveillance et soutien indéfectible tout particulièrement pendant ces longs derniers mois d’écriture. Un remerciement tout spécial à Stella May Cottingham qui sans le savoir m’a donné force et énergie pour finaliser ce travail.

Toutes les personnes du Département de la culture et du sport de la Ville de Genève avec qui j’ai eu l’occasion de passer plus de neuf mois à organiser une traversée nocturne de Genève mémorable. En particulier à André Waldis et Albane Ferraris, alliés pour cette thèse.

L’ensemble des membres du Grand conseil de la nuit avec lesquelles les échanges ont été passionnés et fructueux.

Mon directeur de thèse, Jean-François Staszak, pour ses apports scientifiques, sa bienveillance et disponibilité de chaque instant ainsi que pour les riches échanges que j’ai eus en sa compagnie tout au long de ces cinq années de travail.

Mon jury, Maria Gravari-Barbas, Ola Söderström, Luc Gwiazdzinski, Sami Kanaan et son président André Ducret pour leurs remarques et critiques constructives qui m’ont permis d’améliorer ce manuscrit.

Merci également aux membres du centre d’études géographiques de l’Université de Lisbonne de m’avoir accueilli pendant la durée d’un séjour de mobilité d’une année.

Un très grand merci aux différent.es relecteurs et relectrices de cette thèse : Sylvie Burgnard, Mélanie Evely Petremont, Sandrine Billeau, Patrick Naef, Jean- François Seguin, Estelle Sohier ainsi que Julie DeDardel et Emily.

L’ensemble des membres de l’ARV avec qui les discussions sont animées et les projets enthousiasmants.

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J’aimerais également remercier tout spécialement l’ensemble des membres du Département de géographie et environnement de l’Université de Genève, grâce à qui j’ai passé des années inoubliables. Un grand merci en particulier à Simon Gaberell et Julie DeDardel qui ont été de véritables phares tout au long de ces derniers mois de travail. À Estelle Sohier, collègue de bureau et avant tout amie avec qui je me réjouis de collaborer dans de nouvelles aventures photo- géographiques.

Mes remerciements vont également à l’ensemble des personnes qui ont été interrogées pour ce travail et avec qui j’ai pu mener des entretiens essentiels pour ce manuscrit. Mes derniers remerciements vont à l’ensemble de mes ami.es qui ont été toujours à mes côtés pour supporter les hauts, mais aussi les bas qu’implique la rédaction d’une thèse, je me réjouis de les voir mieux, de les voir plus.

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Table des Figures

Figure 1 Carte postale de Genève la nuit. Editions Aeschlimann (date non connue). — page 21

Figure 2 Schéma de la nuit urbaine en tant que front pionnier spatial (Gwiazdzinski, 2005) — page 40

Figure 3 Mode d’analyse et type d’espace de vie nocturne. (Chatterton et Hollands, 2003) — page 47

Figure 4 Actions et acteurs des conflits urbains. (Villeneuve et Trudelle, 2009) — page 54

Figure 5 Étapes non linéaires du processus de conceptions de solutions au problème public (Zittoun, 2013) — page 63

Figure 6 Liste des entretiens exploratoires. — page 77

Figure 7 Modalités d’observation du projet «  Genève explore sa nuit  » — page 78

Figure 8 Type de données récoltées au cours du terrain n° 1 — page 79 Figure 9 Liste des interlocuteurs pour les entretiens collectifs — page 80 Figure 10 Codage d’un entretien collectif avec le logiciel Atlas-ti. — page

81

Figure 11 Synoptique des questions de recherches, des méthodes de collectes et des données produites — page 83

Figure 12 Codage d’un entretien semi-directif avec le logiciel Atlas.ti. — page 85

Figure 13 Photographie prise lors des manifestations pour l’ouverture de lieux alternatifs à Genève, 29 octobre 2010. — page 100

Figure 14 Affiches collées sur la devanture d’un établissement de la ville de Genève lors de la manifestation nocturne du 29 octobre 2010 (ARV) — page 102

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Figure 15 Carte des projets soutenus par la FPLCE, 2015 (FPLCE) — page 106

Figure 16 Carte de l’implantation des premiers projets soutenus par la FPLCE avec la localisation des squats fermés entre 2002 et 2008 à Genève (Auteur) — page 107

Figure 17 Affiches du dessinateur Mix et Remix pour la campagne d’information «  Moins on s’entend, mieux on s’entend  !  »— page 111

Figure 18 Répartition (24 h) des réquisitions des agents de police pour le bruit toutes heures confondues (2006-2012) — page 114

Figure 19 Distribution des réquisitions pour bruit entre 2006-2012 pour le canton de Genève — page 115

Figure 20 Carte du taux de réquisition pour bruit la nuit (après 22 h) pour Genève et Carouge (Auteur) — page 117

Figure 21 Taux de réquisition pour bruit la nuit (après 22 h) pour l’hypercentre de Genève (Auteur) — page 125

Figure 22 Carte des établissements nocturnes de la ville de Genève (VBN)

— page 139

Figure 23 Les trois catégories des acteurs construits dans le rapport VBN

— page 141

Figure 24 Tableau synthétique des enjeux nocturnes et résultats de l’analyse des entretiens pour le rapport VBN — page 142 Figure 25 Statistique des «  noctambules  » (VBN) — page 144

Figure 26 Affiche réalisée pour la promotion des États généraux de la nuit à Genève. EGN (droits réservés). — page 145

Figure 27 Cartographie de la nuit genevoise (Journal LeTemps, octobre 2015) — page 147

Figure 28 Protestation à l’ouverture des EGN (L’État me fait mourir), EGN (droits réservés) — page 148

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Figure 29 Photographie de la session introductive des États généraux de la Nuit, EGN (droits réservés), mars 2010. — page 149

Figure 30 Carte des dix parcours de la traversée nocturne de Genève — page 153

Figure 31 Participants à la « traversée nocturne » de Genève — page 157 Figure 32 Carte de la provenance géographique des « bonnes pratiques »

citées dans le rapport «  Genève explore sa nuit  » (Auteur) — page 157

Figure 33 Tableau des contours pour une politique publique pour la nuit à Genève — page 164

Figure 34 Carte de situation de la rue de l’Ecole-de-Médecine, Genève (Auteur) — page 168

Figure 35 Image prospective réalisée dans le cadre du projet de réaménagement de la rue de l’Ecole-de-Médecine — page 169 Figure 36 Extrait du formulaire «  contrôle des nuisances sonores  » (SEEP,

2014.) — page 172

Figure 37 Usagers des établissements de la rue de l’Ecole-de-Médecine qui se mobilisent contre les effets de Sonitus — page 174 Figure 38 [un système pour le moins controversé] Source : Swissinfo.ch —

page 179

Figure 39 Trace visuelle de la manifestation pour la défense des lieux culturels et nocturnes à Genève, 30 Octobre 2010 (Auteur) — page 186

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Liste des abréviations

ACG Association des communes genevoises

AHCVV Association d’habitants du centre et de la vieille-ville de Genève

APM Agent de police municipale

ARV Association pour la reconversion des Vernets

CN Correspondants de nuit

CM Conseil municipal

DARES Département des affaires régionales, de l’économie et de la santé (Canton de Genève)

DCS Département de la culture et du sport (Ville de Genève) DEUS Département de l’environnement urbain et de la sécurité

(Ville de Genève)

DSE Département de la sécurité et de l’économie (Canton de Genève)

EdM Rue de l’Ecole-de-Médecine

EGN États généraux de la nuit

FPLCE Fondation pour la culture émergente

GCN Grand conseil de la nuit

HUG Hôpitaux universitaires genevois

LRDBHD Loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement

LSD Loi sur les spectacles et les divertissements

NTE Night-time economy

PAV Quartier Praille-Acacias-Vernets

PDC Plan directeur communal

PLQ Plan localisé de quartier

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RTS Radio télévision suisse romande

SCRHG Société des Cafetiers, Restaurateurs et Hôteliers de Genève

SCOM Service du Commerce (Canton de Genève) SEEP Service de la sécurité et de l'espace publics

SEJ Service de la jeunesse

SIG Système d’information géographique

SU Service d’urbanisme (Ville de Genève) SURVAP Association d’habitants du quartier des Pâquis

TN Traversée nocturne

TPG Transports publics genevois

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Note de l’auteur

Toutes les citations en langue étrangère, extraites de textes publiés ou faisant l’objet d’autres types de diffusion, ont été traduites par mes propres soins et relevant de ma responsabilité. Partant du principe que ces textes sont facilement accessibles au lecteur dans leur langue et formulation originale, j’ai fait le choix de ne pas reproduire cette dernière en note de bas de page, pour ne pas alourdir le document.

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Introduction

 

Le 20 juin 2014, la Ville de Genève dévoile les contours de sa «  future politique de la nuit1  ».

Cette annonce résulte de quatre années de travail soutenues et supervisées principalement par le Département de la culture et du sport de la Ville de Genève (DCS). Ce travail est passé par la réalisation de plusieurs documents, conférences et expérimentations visant à établir un diagnostic sur les «  nuits genevoises  » (ibidem). Le processus démarre en 2010, quand le DCS sollicite une expertise locale2 pour la réalisation d’une étude qui porte spécifiquement sur la vie nocturne genevoise. L’étude se solde par la publication la même année d’un rapport intitulé Voyage au bout de la nuit qui ambitionne de faire

«  l’état des lieux sur le monde de la nuit à Genève3  ». Le rapport est suivi une année plus tard, en 2011, par la tenue des États généraux de la nuit (EGN) pour lesquels des représentants politiques, des chercheurs et des experts internationaux sont invités à Genève pour «  mieux cerner les problèmes liés à la vie nocturne genevoise et de profiler des solutions4  ». Quelques mois plus tard, la nuit à Genève est dotée d’une institution ad hoc, le Grand conseil de la nuit, composé de «  professionnel.les, d’amateur.es et de spécialistes dont le but est de défendre une vie nocturne riche, variée et vivante à Genève par l’établissement de conditions-cadres optimales5  ». Cette période correspond

1  Extrait  du  communiqué  de  presse  intitulé  «  Une  politique  publique  de  la  nuit  en  ville  de   Genève  »  du  20  juin  2014.  

2  L’expertise  est  produite  par  une  coalition  de  chercheurs  et  d’acteurs  issus  du  tissu  associatif   genevois:  la  géographe  Marie-­‐Avril  Berthet,  la  sociologue  Eva  Nada  et  l’association  pour  la   reconversion  des  Vernets  (ARV).  Ces  acteurs  font  l’objet  d’une  présentation  plus  détaillée  dans  le   chapitre  4  du  présent  travail.  

3  Rapport  Voyage  au  bout  de  la  nuit  :  Berthet  et  al.,  2010,  p.3  

4  Exrait  du  site  internet  des  États  généraux  de  la  nuit  :  www.etatsgenerauxdelanuit.ch/,  consulté   le  15  janvier  2016.  

5  Exrait  du  site  internet  du  Grand  conseil  de  la  nuit  :  www.grandconseildelanuit.ch,  consulté  le  8   janvier  2016.  

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également à la refonte en profondeur de la loi genevoise (LRDBHD6) qui encadre les pratiques des établissements publics en général et, plus particulièrement, de ceux qui exercent une activité dans les domaines de la restauration, du débit de boisson, de l’hébergement et du divertissement. La refonte de cette loi est impulsée en 2010 par le Canton de Genève sous la houlette du magistrat chargé du Département de l’économie et de la santé, Pierre-François Unger, puis du magistrat Pierre Maudet chargé, dès 2014, du nouveau Département de la sécurité et de l’économie. La loi en question précise notamment les différentes catégories d’établissements publics et leurs horaires d’exploitations dont la libéralisation est identifiée lors des EGN comme une solution possible aux problèmes liés à la nuit à Genève. En 2013, le géographe, expert internationalement reconnu de la thématique de la nuit, Luc Gwiazdzinski, est mandaté par le DCS pour l’organisation d’une «  traversée nocturne  » qui vise à «  mieux appréhender la pluralité des nuits urbaines  » et de proposer «  aux multiples acteurs et actrices de partager un référentiel d’analyse commun, nécessaire à une action coordonnée et efficace7  ».

Cette liste n’a pas pour vocation d’être exhaustive. Elle témoigne d’un processus dynamique d’institutionnalisation8 de la nuit dans ses usages culturels et festifs à Genève que j’entends étudier à travers l’analyse des discours et des pratiques d’acteurs. Ce processus laisse à supposer que la nuit est construite en tant que problème public. La question des modalités et des spécificités de cette construction se pose dès lors comme un problème qui fait intervenir à la fois l’espace et le temps. En effet, la nuit est une catégorie particulière qui se distingue de celles étudiées plus classiquement en géographie comme la région, le paysage, le quartier. Elle se différencie de ces dernières dans la mesure où elle peut être à la fois appréhendée comme un ensemble de pratiques sociales

6  Le  texte  de  loi  est  disponible  à  l’adresse  suivante  :  

https://www.ge.ch/legislation/rsg/f/s/rsg_i2_22.html,  consulté  le  8  janvier  2016.  

7  Extrait  du  site  internet  de  la  ville  de  Genève  :  www.ville-­‐geneve.ch/dossiers-­‐

information/geneve-­‐explore-­‐nuit/traversee-­‐nocturne,  consulté  le  12  décembre  2016.  

8  J’entends  ici  par  institutionnalisation,  inspiré  par  le  géographe  finlandais  Anssi  Paasi  (1986),  un   processus  sociospatial  par  lequel  une  unité  territoriale  émerge  et  est  établie  comme  une  partie   d’un  système  (urbain)  plus  large.  Ce  concept  sera  présenté  en  détail  et  discuté  plus  loin  dans  ce   travail.  

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qui prennent place dans l’espace, mais aussi comme une étape d’un cycle temporel quotidien.

La conception qui est faite dans ce travail de la politique de la nuit, n’est pas celle d’un simple instrument qui vise à coordonner les différents domaines des politiques urbaines à l’échelle de Genève, mais plutôt celle d’un processus social et politique de constitution de la nuit en tant que nouvel espace-temps.

J’entends appréhender ce processus au moyen des outils fournis par la littérature sur les problèmes publics (Blumer, 1971 ; Gusfield, 1984) et ses héritages récents (Zittoun, 2013 notamment) et poser la question des conditions d’émergence, de mise à l’agenda politique ainsi que des raisons et des résistances à l’institutionnalisation de la nuit comme espace-temps de la ville.

Des politiques liées à la nuit aux politiques de la nuit

Les conceptions de politiques liées à la nuit pour les villes contemporaines s’inscrivent dans une double tendance : d’une part, la promotion de l’activité nocturne comme facteur pour l’attractivité internationale des villes et comme moteur de leur rayonnement culturel et, d’autre part, la régulation voire l’interdiction de pratiques nocturnes potentiellement nuisible à l’ordre et à la tranquillité publique.

Sur le premier aspect, ces politiques se concrétisent par des actions qui visent à valoriser la nuit en tant que ressource pour la ville et ses acteurs. Dans cette perspective, l’activité culturelle et commerciale la nuit fait l’objet d’un marketing urbain dont les stratégies varient au sein d’un réseau de villes en compétition (Kavaratzis, 2004). Selon les logiques de la night-time economy (NTE) (Bianchini, 1995) ou celui de la creative economy (Florida, 2014), l’activité nocturne constitue un élément déterminant pour la régénération urbaine (Hollands et Chatterton, 2003). Ces politiques se développent autour de l’idée que l’activité nocturne d’une ville constitue un moteur pour attirer les élites internationales et les touristes et contribue à l’économie locale et au rayonnement international de la ville. Elles se concrétisent notamment par la mise en valeur des monuments et des infrastructures par l’éclairage public ou alors par la création de quartiers dédiés à la vie nocturne dont la promotion est

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garantie par les offices du tourisme et les guides touristiques. Dans cette perspective, la nuit constitue une ressource pour l’économie et les affaires culturelles ainsi que pour les individus dont les pratiques nocturnes se déroulent la nuit pour des raisons historiques et sociales (voir, Koslofsky, 2011 ; Schlör, 1998).

Sur le second aspect, celui de la tranquillité et de l’ordre public, l’activité nocturne en général peut représenter un problème qu’il s’agit de contenir et de réguler. Le caractère problématique de cette activité se manifeste par l’intermédiaire d’enjeux sociaux particuliers — le bruit, la prostitution, la sécurité (ou plutôt le sentiment d’insécurité), la consommation d’alcool et de drogue, etc.

— qui cristallisent des tensions et des conflits pour lesquels les politiques urbaines sont mises à contribution dans l’optique d’assurer l’ordre social. C’est dans ce contexte que les villes mettent en place des instruments de gestion spécifique au bruit (Pieroni, 2014 ; Zittoun, 2007) généré par une activité marchande ou de transport qui prend place dans le cadre d’échanges mondialisés, mais aussi par les établissements publics et leurs usagers nocturnes. Les centres urbains voient également se multiplier les agents de contrôle, sous la forme humaine (portiers, agents de police et de sécurité, etc.) ou non humaine (caméras de surveillance, drones, etc.) pour assurer la sécurité des personnes et prévenir le désordre social la nuit (Atkinson et Helms, 2007).

Quand l’activité est promue en tant que ressource, ou alors au contraire quand elle représente un problème, les politiques mises en place sont de type sectoriel et répondent à des enjeux spécifiques des villes contemporaines. La formulation de politique de la nuit «  transversale  » aux politiques urbaines, comme celle qui intéresse ce travail, marque dès lors un tournant dans la conception des politiques liées à la nuit. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 2000 en Europe, avec la réalisation de rapports d’expertises et de conférences spécifiques à la nuit urbaine, que celle-ci est mise à l’agenda des politiques urbaines. Ce tournant des politiques liées à la nuit urbaine s’observe aussi bien pour une grande partie des capitales européennes comme Paris, Berlin ou Londres notamment, que pour des villes de rang inférieur comme celle de Genève dont les spécificités sont présentées maintenant.

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Contexte

Genève est avant tout connue pour être à la fois le siège de plusieurs organisations internationales et le lieu d’activité financière et bancaire liée au commerce mondial. Ces deux dimensions contribuent à faire de Genève l’une des trente-cinq premières9 «  global cities  » dans le monde (Sassen, 2001).

Sur le plan national, elle se distingue des autres villes en disposant du budget alloué aux affaires culturelles le plus élevé de Suisse. En dépit de ces attraits culturels, commerciaux et touristiques majeurs, Genève n’est pas connu pour le dynamisme de ses nuits comme en témoignent les cartes postales genevoises (fig.1) distribuées à l’heure actuelle dans les échoppes touristiques locales.

Figure 1 : Carte postale de Genève la nuit. Editions Aeschlimann (date non connue).

La promotion de l’activité sociale nocturne n’est pas faite par les concepteurs des cartes postales de Genève la nuit, comme celle ci-dessus. Ce sont plutôt les éléments du patrimoine et les principaux sites touristiques (jet d’eau et rade) de la ville et leur mise en valeur par une politique d’éclairage publique — formalisée

9  Selon  le  classement  de  la  revue  américaine  Foreign  Policy,  2012  

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par l’adoption d’un plan lumière à Genève en 2009 — que montrent ces cartes postales.

D’aucuns expliquent ce manque de dynamisme au regard du contexte historique genevois et invoquent les politiques répressives vis-à-vis des usages culturels et festifs de la nuit, mises en place pendant la Réforme protestante que connaît Genève au XVIe siècle (Walker, 1969 ; Cicchini, 2011). L’arrivée du protestantisme et plus particulièrement du calvinisme à Genève correspond à une période d’austérité pendant laquelle les ornements, le luxe, les fêtes, la musique, le théâtre, le bal et la vie mondaine sont proscrits. Raison pour laquelle les Genevois se rendent à cette époque à Carouge, commune limitrophe de Genève et connue pour sa politique de tolérance vis-à-vis des établissements nocturnes (Deleuil, 1994). Bien que Carouge concentre encore actuellement une part non négligeable de ces établissements à Genève, ceux-ci se répartissent aujourd’hui dans l’ensemble de la ville et plus particulièrement dans les quartiers populaires et d’habitations du centre-ville : les Pâquis, Plainpalais, la Jonction, les Grottes et les Eaux-Vives.

Le manque de dynamisme de Genève sur le plan des loisirs nocturnes, parfois imputés à sa culture calviniste, contraste avec l’effervescence nocturne qu’elle connaît entre les années 1980 et 2000. Une période pendant laquelle, Genève abrite le plus grand nombre de squats en Europe, proportionnellement à sa population10.

Cette exception européenne s’est faite à la faveur d’une politique de tolérance conduite par les autorités politiques genevoises11. Cette période se singularise par une effervescence nocturne dans les squats, moteurs d’une dynamique où la question du logement s’hybride à celle du développement d’une «  culture

10  Genève  comptait  entre  la  fin  des  années  1980  et  le  début  des  années  2000,  plus  d’une   centaine  de  bâtiments  occupés  par  environ  2500  personnes  (Gregorio  et  Pattaroni,  2012).  

11  La  politique  de  tolérance  vis-­‐à-­‐vis  des  squats  à  Genève  est  le  fruit  d’une  alliance  entre  les   magistrats  Claude  Haegi  —  membre  de  l’exécutif  de  la  ville  de  Genève  et  ancien  Maire  (1988-­‐

1989)  —,  Guy  Olivier  Segond  —  du  Département  de  l’action  sociale  et  de  la  santé  —  et  le   procureur  général  Bernard  Bertossa.  

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alternative12  » (Pattaroni, 2005). Les lieux qui en découlent concentrent des mouvements où s’inventent des pratiques sociales et une culture de la fête, de la musique et du spectacle en général, qui trouve ses règles et sa liberté en dehors des cadres institutionnels.

La «  culture squat  » s’inscrit d’un contexte plus général en Suisse où, à partir des années 1980, les grands centres urbains sont le théâtre d’une profonde transformation des relations entre l’État et la société civile. Un changement opère dans la manière qu’ont les autorités de concevoir les équipements culturels (opéra, cinéma, salle de spectacle, musée, etc.). Celles-ci autorisent et subventionnent, dans certains cas, la création d’espaces autonomes dans lesquels la production culturelle et artistique se fait indépendamment des structures étatiques13. Il en découle à Genève la création de l’Usine14 en 1980 puis d’Artamis15 en 1996, deux sites emblématiques de la «  culture alternative  » genevoise.

La mise en place, en 2002, à Genève, d’une politique de répression pénale par le procureur général, Daniel Zapelli, marque un tournant dans l’histoire de la

«  culture squat  » et de la «  culture alternative  ». La centaine de lieux occupés est systématiquement démantelée et les squatters sont expulsés. Cette politique

12  Par  «  culture  alternative  »,  il  est  entendu  dans  ce  travail  une  catégorie  émique  portée  par  un   mouvement  social  dont  les  membres  luttent  pour  des  espaces  d’expression  et  de  création.  Celle-­‐

ci  est  conçue  comme  une  alternative  aux  formes  institutionnelles  et  plus  commerciales  de   production  de  biens  culturels.  La  «  culture  alternative  »  s’inscrit  dans  une  histoire  longue  d’un   mouvement  social  urbain  en  quête  d’espace  de  liberté,  d’autonomie,  de  création  et  de  fête.    

13  Ce  remaniement  des  politiques  urbaines  en  Suisse  se  fait  sous  la  pression  des  mobilisations   citoyennes.  La  frange  militante  des  citoyens  de  la  ville  de  Zürich  initie  ce  mouvement  au   printemps  1980  avec  l’organisation  d’une  manifestation  de  protestation  contre  le  manque  de   soutien  financier  et  politique  pour  la  création  d’un  centre  culturel  autonome.  La  mobilisation   connue  sous  le  nom  de  «  Zürich  brûle  »,  a  duré  près  de  deux  ans  et  a  abouti  à  la  création  de  l’un   des  plus  grands  centres  culturels  autonomes  de  Suisse,  la  Rote  Fabrik.  L’événement  est  fondateur   dans  la  mesure  où  il  lance  une  tendance  nouvelle  dans  les  principales  villes  suisses  (Bâle,  Berne,   Lausanne  et  Genève  notamment)  qui  consiste  à  vouer  aux  activités  de  natures  culturelles,   festives  et/ou  nocturnes,  certains  bâtiments  et  usines  laissés  à  l’abandon.  

14  L’usine  fait  suite  à  la  mise  à  disposition,  par  la  Ville  de  Genève,  d’une  ancienne  usine  de   dégrossissage  d’or  du  quartier  central  de  la  Jonction  à  l’association  «  État  d’Urgence  ».  

L’association  crée  l’Usine  qui  figure  depuis  lors  parmi  les  plus  grands  centres  culturels  autogérés   de  Suisse.  

15  Artamis  est  installé  sur  un  ancien  site  industriel  de  Genève  et  est  occupé  à  partir  de  1996  par   des  ateliers,  de  petites  entreprises,  un  théâtre,  des  salles  de  concert  et  des  boîtes  de  nuit  qui   forment  le  collectif  baptisé  Artamis.  

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s’inscrit dans une dynamique plus générale de valorisation foncière du centre- ville de Genève (Lanza, et al., 2013) qui conduit les autorités à fermer, en 2008, ce qui était devenu le plus grand centre culturel autogéré de Genève, Artamis.

Le démantèlement systématique des squats à Genève à partir de 2002 et la fermeture d’Artamis en 2008, coïncident avec l’augmentation des plaintes des Genevois pour le bruit causé par les établissements publics et leurs usagers la nuit. C’est en particulier le cas pour le centre-ville (+30 % en moyenne entre 2006 et 201216) dont la densité de population est la plus élevée de Suisse avec 11  700 h/km217. C’est dans ce contexte urbain dense et marqué par l’un des taux de vacance de logement18 le plus bas du pays (0,45 %19) qu’un désordre sonore nocturne s’installe à Genève.

En réponse à deux enjeux urbains majeurs en Suisse et à Genève — la culture et l’ordre public —, le Département de la culture et du sport cherche à innover par le développement d’une politique de la nuit. Celle-ci est portée par le DCS, acteur politique incontournable de Genève qui dispose de la part budgétaire20 la plus importante du pouvoir exécutif de la municipalité (le conseil administratif).

Le caractère innovant de cette politique est interrogé dans ce travail, d’une part, au regard d’une ville régulièrement critiquée pour le peu d’intérêt prêté par ses dirigeants aux autres modèles urbains et, d’autre part, au prisme d’un rapport de force politique entre les différents Départements de la municipalité (culture et sport ; cohésion sociale et solidarité ; constructions et aménagement ; finances et logement ; environnement urbain et sécurité) et les deux niveaux institutionnels (Canton et Ville) de Genève.

16  Chiffres  issus  de  la  base  de  données  du  Service  des  Études  stratégiques  de  la  police  cantonale.  

17  Selon  les  chiffres  de  l’Office  cantonal  de  la  statistique  (OCSTAT),  Genève  2009.  

18  Il  faut  entendre  par  «  taux  de  vacance  »,  la  part  de  logements  vacants  dans  l'ensemble  des   logements  disponibles.  Le  «  taux  de  vacance  »  est  un  facteur  facilitateur  pour  la  possibilité  de   trouver  un  autre  logement  dans  la  ville.    

19  OCSTAT  pour  2016.    

20  D’après  le  rapport  du  budget  par  politique  publique  de  la  Ville  de  Genève  (2016).  

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Problématique

Formulée naïvement, la question qu’aurait pu poser ce travail aurait été celle des politiques urbaines de la nuit à Genève : quelles sont ces politiques et quels sont leurs effets sur la ville  ? Cette démarche aurait impliqué la définition en amont de ce qu’est la nuit à Genève, en se posant la question de ses limites spatiales et temporelles. Une fois ce travail de définition effectué, l’attention aurait pu alors être portée sur la nuit comme objet des politiques urbaines au même titre que le sont les inégalités sociales, le plafond de verre, les dynamiques économiques, les rentes foncières, etc. Une chose paraît toutefois peu banale : si les politiques concernent généralement des espaces, des inégalités et des dynamiques évoquées précédemment, aucune d’entre elles ne porte spécifiquement sur le jour. Ce constat laisse à penser que le jour, comme catégorie géographique ou comme espace-temps, n’est pas un objet pertinent pour l’action publique à Genève et pour les villes en général.

Formulée de la sorte, cette question de recherche implique de concevoir la nuit à la manière d’une catégorie géographique qui préexiste à l’action et aux intentions des acteurs des politiques urbaines. Cette approche laisserait à supposer que la nuit est un espace-temps en soi délimité par une frontière naturelle (jour/nuit). Ce travail ne se réclame pas de cette conception positiviste pour laquelle les sciences sociales et la géographie en particulier ont longtemps excellé dans la description des espaces ainsi que dans la classification et l’assignation spatiale des individus et des communautés.

En prenant le contre-pied d’une conception positiviste de la géographie (de la nuit), ce travail propose une approche différente de la nuit urbaine en privilégiant une démarche constructiviste qui part de l’hypothèse qu’elle résulte d’un processus social et matériel d’institutionnalisation, qui combine production de connaissance et intention d’action. La conception qui est faite de la nuit urbaine dans ce travail est moins celle d’un objet qui existe pour lui-même que le produit d’un processus politique.

L’approche constructiviste est mobilisée ici selon deux plans : le premier est de nature épistémologique et postule qu’il n’y a pas d’objets aux limites toutes faites, mais que ceux-ci sont construits par la connaissance et établis par des

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conventions qui sont elles-mêmes produites par l’acte de connaissance. Le second relève d’une approche sociale fondée sur l’idée que les sociétés se construisent par des conventions, des pratiques ordinaires et des discours qui établissent des limites et des frontières entre les catégories construites socialement. Autrement dit, il n’est pas question dans ce travail de décrire ce qu’est la nuit urbaine (ou ce qu’elle devrait être), à la façon d’un objet géographique qui existe pour lui-même, préexistant ainsi aux discours et aux pratiques, mais plutôt d’en comprendre les dynamiques de sa construction en tant que problème public.

Questionnements principaux

La question posée dans ce travail est la suivante : «  Quels sont les processus politiques et sociaux qui ont contribué à la construction de la nuit comme problème public à Genève et à son institutionnalisation?  »

Cette question principale a été subdivisée en quatre questions secondaires qui ont guidé la recherche. À chacune de ces questions correspond une série de sous-questions qui émanent des lectures thématiques qui portent sur la nuit dans ses usages culturels et des lectures théoriques au sujet des problèmes publics. Cet ensemble de ressources théoriques fait l’objet d’un court développement dans la suite de cette introduction.

Question secondaire n° 1 : Quelles sont les conditions d’émergence du problème de la nuit à Genève  ?

Cette première question se concentre sur les conditions sociales et urbaines dans lesquelles la nuit émerge comme problème public à Genève. Elle part de l’hypothèse que la nuit n’est pas un problème en soi, mais que son émergence est liée à des conditions sociales et urbaines dont certaines sont spécifiques à Genève. Quelles sont ces conditions à Genève et en quoi participent-elles du problème de la nuit  ?

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Question secondaire n° 2 : Par quelles voies s’opère la mise à l’agenda politique de la nuit à Genève  ?

La deuxième question de recherche vise à identifier les acteurs qui interviennent dans ce processus de mise à l’agenda politique de la nuit et les méthodes qui sont mobilisées. Cette question est posée au regard d’un contexte de mondialisation urbaine où les villes s’inspirent les unes des autres pour innover dans la conception de politiques et de formes urbaines.

Question secondaire n° 3 : En quoi la politique de la nuit à Genève est-elle innovante ?

Cette troisième question porte plus spécifiquement sur la politique de la nuit portée principalement par le Département de la culture et du sport de la ville de Genève. Elle vise à interroger spécifiquement le rôle des politiques culturelles et de la culture comme vectrice d’innovation pour la nuit.

Question secondaire n° 4 : Quels sont les bénéficiaires  de la politique de la nuit à Genève ?

Cette dernière question part de l’hypothèse que l’institutionnalisation de la nuit à Genève sous-tend un processus de normalisation des pratiques nocturnes qui fait suite à la période squat. Un processus qui fait intervenir des rapports de forces entre les politiques de la culture et celles de l’ordre public. Est-ce que l’entrée par la culture parvient-elle à fédérer les acteurs concernés par les politiques de la nuit à Genève ou au contraire les sépare-t-elle un peu plus  ?

Les enjeux de la recherche

Ma recherche ambitionne d’apporter à la fois des éclairages nouveaux au sein du débat scientifique, en veillant à concevoir la nuit urbaine comme une construction discursive et matérielle, performée par des discours et des pratiques, et de participer à l’analyse d’enjeux de société qui vont au-delà du monde académique.

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À travers le cas de Genève, cette thèse vise à fournir des questionnements et des méthodes utiles et mobilisables pour appréhender les modalités de la problématique de la nuit qui est posée actuellement dans nombre de villes européennes et au-delà. Elle s’inscrit dans un intérêt plus général des sciences sociales pour la conception des politiques urbaines. Ces politiques sont appréhendées dans ce travail à travers deux enjeux majeurs des sociétés contemporaines en général et en Suisse en particulier : la culture et l’ordre public. Elle vise à mieux comprendre le rôle spécifique des politiques culturelles dans la production de politiques urbaines innovantes qui portent sur les usages sociaux de la nuit et plus spécifiquement sur ses usages culturels.

Ce travail pose un regard géographique au sujet de la thématique de la nuit qui demeure à ce jour peu investie par les sciences sociales et la géographie. Elle vise plus particulièrement à apporter des éléments nouveaux sur la construction des problèmes publics par la prise en compte de leurs dimensions spatiales.

Cette thèse souhaite combler un manque empirique de la littérature thématique sur la nuit urbaine qui porte principalement à ce jour sur les capitales européennes ainsi que les villes nord-américaines et d’Angleterre (Anderson, 2009  ; Bøhling, 2015  ; Demant, 2013  ; Hadfield, et al., 2009  ; Hollands &

Chatterton, 2003  ; Hubbard et Colosi, 2013  ; Talbot, 2007). Le choix de la ville de Genève contribue à combler ce manque empirique tout en posant la question de son inscription dans un circuit précis de la mondialisation urbaine.

Ressources théoriques

Cette étude se fonde sur différents types de ressources théoriques et s’inscrit principalement dans le tournant culturel de la géographie. Ce tournant a permis de renouveler le regard des géographes sur l’espace, en cessant de le considérer comme une réalité objective et directement accessible, mais comme une production culturelle et sociale (Claval et Staszak, 2008). Elle mobilise toutefois principalement la littérature au sujet des problèmes publics pour appréhender les modalités discursives et pratiques d’institutionnalisation de la nuit urbaine.

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L’approche par les problèmes publics

Le cadre d’analyse de cette recherche se fonde sur la sociologie des problèmes publics. Cette approche montre que les problèmes acquièrent un statut public non pas en raison d’une valeur prétendument objective, mais à mesure d’un processus de définition collective. L’approche constructiviste des problèmes publics vise à s’affranchir d’une vision fonctionnaliste et objectivante où le problème existe pour lui-même. L’attention est mise sur la manière dont le statut public du problème se construit par étapes successives qui, prises ensemble, forment la «  carrière des problèmes publics  » (Blumer, 1971). Cette thèse s’appuie sur les développements récents de cette littérature qui montrent qu’un problème public ne se construit pas à la faveur d’un processus linéaire, mais qu’il est marqué par des discontinuités temporelles, ponctué de (re-) émergences, de (re-) définitions et de (re-) qualifications successives. Ce processus est également valable pour la conception de solutions qui ont été jusqu’à récemment appréhendées comme neutre au contraire de la mise à l’agenda du problème (Zittoun, 2013).

La dimension spatiale des problèmes dans cette littérature reste toutefois peu traitée à ce jour. J’entends pallier ce manque de deux manières : d’une part, en appréhendant la nuit urbaine et ses usages culturels comme un espace-temps résultant d’un processus collectif de problématisation et, d’autre part, par la mobilisation des apports des géographes au sujet de la mobilité des politiques.

La mobilité des politiques comme réponse aux problèmes

L’une des originalités de cette thèse tient au fait d’articuler la perspective des géographes sur la mobilité des politiques urbaines à la sociologie des problèmes publics. Elle vise à montrer comment les politiques mobiles interviennent dans la construction du problème et de ses solutions.

Les géographes ont contribué au «  tournant relationnel  » des études urbaines en renouvelant les analyses classiques des transferts de politiques issus de la science politique et de l’étude des relations internationales et comparatives (McCann et Ward, 2014 ; Peck, 2011 ; Robinson, 2013 ; Söderström, 2014,

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notamment). Cette approche implique de recourir à de nouvelles méthodologies pour rendre compte des mécanismes de circulation des politiques, en s’intéressant aux acteurs clés ainsi qu’aux différentes scènes par lesquelles les politiques «  voyagent  » (McCann, 2011 ; McCann et Ward, 2010). Il s’agit de révéler la complexité des trajectoires que prennent ces politiques mobiles par la description des canaux discursifs et non matériels par lesquels elles circulent.

L’un des apports de cette perspective tient dans la mise en évidence que les politiques voyagent à différentes échelles et qu’au cours de leur transfert elles sont amenées à changer, à se transformer et à s’adapter aux contextes culturels et historiques dans lesquels elles sont implémentées. Je m’appuierai sur cette idée d’inscription locale pour rendre compte de la manière dont les politiques mobiles de la nuit font l’objet d’une articulation au contexte genevois.

Plan de thèse

Cette thèse se structure en quatre chapitres successifs. Le chapitre 1 présente les principaux apports de la littérature thématique sur la nuit ainsi que ceux de la littérature théorique sur les problèmes publics mobilisée dans ce travail. La manière dont je compte dépasser les limites de ces littératures y fait l’objet d’un développement spécifique. Les méthodes mises en place sont présentées dans le chapitre 2 qui revient également sur les principaux enjeux d’éthique posés par cette recherche. Le chapitre 3 revient sur la construction des principaux objets de préoccupations publiques liées à la nuit à Genève : les lieux alternatifs et le bruit causé par les établissements publics et leurs usagers nocturnes. Il présente les conditions sociales et urbaines genevoises dans lesquelles émerge le problème de la nuit. L’institutionnalisation de la nuit à Genève est analysée dans le chapitre 4. Il se concentre sur les modalités de mises à l’agenda politique de la nuit en s’intéressant notamment aux contributions de l’expertise locale et internationale à ce processus. Il revient en particulier sur les tensions et les résistances suscitées par la formulation d’une politique de la nuit dont il questionne les effets et la dimension innovante.

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Chapitre 1. Cadre théorique

Ce premier chapitre vise à présenter le cadre théorique de cette recherche qui se situe à la croisée de deux champs de la littérature en sciences sociales. Le premier champ est thématique, il porte sur la nuit telle qu’appréhendée par les sciences sociales en général et la géographie en particulier. Le second est théorique, il est constitué par la littérature qui traite des problèmes publics et de leur construction. De la mobilisation de ces deux littératures et de leurs apports respectifs découlent les outils conceptuels que se donne ce travail.

 

1.1 La nuit par les sciences sociales

La nuit est un objet relativement récent pour les sciences sociales. Les sociologues sont les pionniers d’un champ de recherche qui débute à partir des années 1970 aux États-Unis (voir Melbin, 1978) et qui intéresse, par la suite, les disciplines de l’histoire et de la géographie, aussi bien dans le monde anglophone que francophone. De la diversité des disciplines et des travaux qui portent sur la nuit urbaine, il est possible d’identifier deux grands types d’approches présentées ici : la conquête de la nuit par les sociétés et la nuit comme ressource pour la ville et les politiques urbaines.

 

1.1.1 L’idée de conquête de la nuit par les sociétés

Une première approche de la nuit faite par les sciences sociales se caractérise par l’idée que celle-ci fait l’objet d’une conquête progressive depuis le début de l’humanité jusqu’à nos jours. Cette approche vise à rendre compte d’un processus historique par lequel les sociétés occidentales s’affranchissent des contraintes liées à l’obscurité et parviennent ainsi à étendre leurs activités dans le temps.

Dans un ouvrage pionnier de ce qui constitue aujourd’hui les night studies, le sociologue Murray Melbin (1978) observe des similarités dans les dynamiques

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de cette conquête avec celles d’un espace, celui de l’ouest américain. Le point de vue est géographique puisque la nuit est comparée à un front pionnier où les avancées se font par étapes successives jusqu’à la maîtrise de ce qui auparavant était inconnu et considéré comme sauvage et dangereux. Dit autrement, l’expansion de l’activité des sociétés est selon l’auteur non seulement un phénomène spatial, mais aussi temporel qui se déroule selon des modalités comparables : «  l’expansion rapide des activités nocturnes s’est principalement effectuée dans les zones urbaines. C’est pourquoi la culture urbaine nocturne contemporaine suit les mêmes schémas et se fait dans le même état d’esprit que la conquête des terres ». (Melbin, 1978a, p.6).

Dès le XVIIe siècle, les villes en Europe jouent un rôle majeur dans la conquête de la nuit. Elles sont le lieu où s’inventent des mesures de contrôle de l’activité nocturne telles que les couvre-feux ou les veilleurs de nuit, mais elles sont aussi les moteurs des célébrations et des fêtes nocturnes. Il y aurait là un principe fondateur de l’ambiguïté entretenue par les sociétés urbaines modernes envers la nuit dont les rapports se déploient de manière antinomique sur les registres de la culture, de la fête, de la transgression, mais aussi de la sécurité, de l’ordre et du contrôle. Les mesures qui visent à la maîtrise de l’activité nocturne sont mises en place par l’Église et l’État dès le XVIIe siècle (Ekirch, 2006, p.61).

Cette démarche s’apparente à un processus sécuritaire, mais aussi civilisateur dans la mesure où elle vise à contraindre l’exercice de pratiques nocturnes jugées jusqu’à lors illégitimes en raison de leur caractère immoral. La nuit est associée à l’imaginaire du sauvage et celle de l’animalité qui représentent tous deux un péril pour la société urbaine. En Europe, ces représentations sont issues pour grande partie du christianisme où la nuit est associée au monde des ténèbres, peuplé de créatures malfaisantes et d’esprits dangereux (Delattre, 2004). La nuit et ses fêtes sont associées aux croyances hérétiques et aux pratiques païennes pour lesquelles les sortilèges sont synonymes de danger et d’excès. La nuit et ses usages sont jugés illégitimes, car ils constituent un danger pour l’ordre social qui prévaut durant le jour où travail et religion constituent les institutions centrales régissant les individus. La conquête de la nuit en ville n’est pas seulement sécuritaire, elle se fait également par la

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célébration et la fête. Versailles en France joue un rôle significatif dans ce tournant où dès Louis XIV, rois et monarques rivalisent dans l’organisation de célébrations nocturnes. Dès la fin du XVIIe siècle, le pouvoir monarchique investit la ville de Paris régulièrement pour célébrer les grands événements de la famille royale et exposer ainsi au peuple sa puissance à travers la maîtrise de la fête publique nocturne (De Baecque, 2015, p.18). La conquête de la nuit est politique puisqu’il s’agit de célébrer le pouvoir monarchique.

Les historiens observent à partir du XVIIe siècle pour les villes européennes une diffusion des pratiques nocturnes depuis la Cour vers le peuple dont les membres s’approprient la nuit et ses usages festifs (voir Delattre, 2004  ; Koslofsky, 2011). Or, ce sont avant tout les pratiques légitimes qui se diffusent puisqu’elles proviennent du pouvoir central. C’est ce que Koslofsky appelle la

«  nocturnalization  », terme qui vise à désigner : «  l’expansion continue des pratiques socialement légitimes et des usages symboliques de la nuit  » (Koslofsky 2011, p.2). La conquête de la nuit fait converger les intérêts des aristocrates qui multiplient les activités nocturnes, ceux des autorités publiques garantes de l’ordre public, ainsi que les intérêts des élites commerçantes pour qui la nuit constitue une occasion pour le développement du commerce. Ceci ne se fait pas sans tension entre le peuple et les autorités tout au long du XVIIe siècle. La conquête de la nuit se fait par l’exercice du pouvoir et de l’autorité sur des individus pour qui la nuit pouvait représenter un espace de liberté et d’anonymat : «  les courtisans et les citoyens cherchent à contrôler un royaume habité par les jeunes (…), les laquais, les vagabonds, les prostituées, les usagers des tavernes — coupant à travers les distinctions sociales — et celles et ceux qui cherchent l’anonymat  » (ibid., p.162).

La conquête de la nuit s’inscrit dans l’histoire générale du développement des sciences et des techniques qui se renforce dès le XVIIesiècle en Europe. Cette conquête s’accélère dans la plupart des villes européennes à la fin du XVIIe siècle avec l’invention des lampes à gaz puis électriques permettant la diffusion de l’éclairage public. L’invention de l’éclairage publique et sa diffusion généralisée dans les villes constituent un tournant majeur dans l’histoire de la conquête de la nuit en Europe en participant à la production d’un ordre public

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nocturne pour lequel les autorités urbaines s’affirment en tant que garants (Paquot, 1997). L’éclairage des rues devait, dans cette perspective, permettre à la fois de refléter le pouvoir des dirigeants et d’imposer un ordre social et moral aux habitants comme le suggère Koslofsky : «  les courtisans et les autorités de la ville ont utilisé l’éclairage des rues pour aiguiser la distinction entre leur propre sociabilité nocturne respectable et la vie nocturne du peuple  » (Koslofsky 2011, p.159). Si l’éclairage public représente un moyen pour assurer la sécurité des personnes, des biens et des marchandises la nuit, il constitue également un moyen pour imposer un ordre public par le contrôle des pratiques et des activités nocturnes.

L’histoire de la conquête est également celle de ses résistances qui se manifeste par exemple avec la destruction par le peuple des lanternes publiques dans les villes de Paris, Berlin, Dublin et Vienne au début du XVIIIe siècle. Cette réaction du peuple à l’imposition d’un nouvel ordre social nocturne est motivée par un mélange complexe d’objectifs criminels et de formes de rébellion contre l’autorité du gouvernement dans un contexte d’avènement de la modernité (voir, Cabantous, 2009). La destruction des lanternes s’apparente à la construction d’un mur par l’obscurité visant à protéger l’espace nocturne de l’incursion des forces gouvernementales (Schivelbusch, 1995). Ces actes font très rapidement l’objet d’ordonnances qui visent à criminaliser et dans certains cas à en punir physiquement les auteurs. La criminalisation des actes de rébellion nocturne fait écho aux travaux de l’historien Palmer pour qui la nuit peut être appréhendée historiquement comme à la fois une invention issue d’un imaginaire de la peur ainsi que le lieu et l’espace dans lequel les contestations de la vie quotidienne sont omniprésentes et ont été systématiquement combattues sur un terrain qui permettait, dans une certaine mesure, plus d’occasions pour les oppressés et les exploités de sociabiliser, transgresser et de s’engager (Palmer, 2000).

La conquête de la nuit urbaine dès le siècle des Lumières relève du : «  jeu de l’ordre et du désordre [qui] entremêle sans cesse les causes et les effets  » (Delattre, 2004, p.324). La conquête oscille entre revendications sécuritaires et pratiques culturelles et festives nocturnes qui constituent deux faces complémentaires du même processus pour lequel il ne semble pas possible

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d’attribuer la primauté à l’une ou à l’autre de ces phénomènes comme l’affirme Cicchini : «  l’émergence en milieu urbain d’une sociabilité des plaisirs tournée sur la nuit ne peut se comprendre en dehors de l’évolution des conceptions et des pratiques de police  » (Cicchini, 2011, p.40). La conquête de la nuit s’apparente à une forme de «  domestication  » qui pour Cicchini correspond à la recherche du contrôle de la nuit et de ses usagers par les autorités dans un cadre culturel qui correspond aux canons de la civilité et de la maîtrise de soi.

Dans cette perspective, la conquête de la nuit répond à un programme de normalisation sociale qui passe par des éléments de différentes natures comme la répression des actes criminels (facilitée par l’augmentation des effectifs de police la nuit dès le XVIIIe siècle) et la diffusion généralisée de l’éclairage public.

Autrement dit, la conquête de la nuit relève de l’articulation de processus politiques, techniques et sociaux.

La conquête du féminin par le masculin

La conquête de la nuit est également celle du féminin par le masculin. Celle-ci se fait dans des termes inégaux aussi bien sur les plans symboliques que spatiaux. Pour le premier, la nuit tient une place cruciale dans l’imaginaire collectif comme matrice de la féminité (Cabantous 2009  ; Delattre 2004  ; Nahoum-Grappe, 1997). Un recoupement est identifiable entre les catégories jour/nuit et masculin/féminin : «  nombre de commentateurs ont insisté, notamment en référence aux cosmogonies antiques qui assimilent la nuit à une mère, sur le recoupement de cet antagonisme complémentaire entre le jour et la nuit avec celui du masculin et du féminin. La féminité de la nuit, à la fois rassurante et menaçante, la situe dans un rapport d’inclusion subordonnée à l’égard du jour (de même que le mot “homme” revêt un sens générique, le mot

“jour” désigne ainsi la totalité du cycle nycthéméral), du jour clair et sec, dont elle n’est jamais que l’envers, la différence, presque la dégradation.  » (Delattre, 2004, p.24). La nuit comme matrice de la féminité est à voir comme le résultat d’un processus construit par les grands récits cosmogoniques relatifs aux origines du monde, des dieux ou des institutions. Malgré ces éléments sociohistoriques permettant de dater et situer la nuit comme une construction

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sociale, les nombreux récits sur la création du monde ont contribué à l’ériger en figure idéale et intemporelle.

Sur le plan spatial, la conquête de la nuit fait s’imposer un nouvel ordre public nocturne au XVIIe siècle. Elle constitue une étape clé pour la définition de l’occupation de l’espace public en terme masculin et féminin (voir Delattre, 2004  ; Koslofsky, 2011). La diffusion de l’activité nocturne de la Cour vers le peuple mentionnée plus haut n’a en effet pas été profitable de la même manière pour les femmes issues de l’aristocratie que pour celles qui n’appartenaient pas à la noblesse, ces dernières apparaissant comme suspectes dans l’espace public nocturne à partir du XVIIe siècle. À cette époque, la figure de la «  dame de qualité21  », forcément apparentée à l’aristocratie, émerge en France et contribue à définir l’usage féminin respectable de la nuit. Une «  dame de qualité  » reste à la maison le soir ou sort accompagné d’un homme pour se rendre au bal, au théâtre ou à l’opéra. Les femmes issues des couches populaires disposent, quant à elles, d’un accès à ces nouveaux types de loisirs bien plus restreint, voire inexistant. Les pratiques nocturnes de ces dernières sont le plus souvent réprimandées par les autorités, car considérées comme suspicieuses, voire immorales, quand elles se déroulent dans l’espace public.

Leur présence dans les rues et dans l’espace public la nuit contraste avec des femmes dont la place légitime est principalement celle de la sphère privée ou alors des équipements culturels ou de loisirs quand elles sont accompagnées (Hubbard, 2011). La conquête de la nuit participe à établir une distinction entre la femme «  publique  » (ou prostituée) et la femme «  privée  » et conduit à exclure une majorité des femmes de la vie urbaine nocturne et des lieux fondamentaux pour la formation de la sphère publique, essentiellement occupée dans des termes masculins (Landes, 1988). L’émergence de la figure du « flâneur » au XIXe siècle à Paris, codifiée par Walter Benjamin dans son œuvre sur les

«  passages  » de Paris (Benjamin, 1939), est symptomatique de cette différenciation genrée de la légitimité de l’occupation de l’espace public. Le

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