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D ysmorphologie et gènes du développement
La pathologie malformative est un problème de santé publique qui concerne 3 % des naissances. Le ter- me de dysmorphologie a été intro- duit en 1966 par David Smith [1]
pour décrire l’étude des malforma- tions congénitales. La dysmorpho- logie clinique est l’étude du dévelop- pement humain anormal avec un intérêt particulier sur les syndromes rares s’accompagnant de malfor- mations ou d’anomalies morpholo- giques. Un grand nombre de ces syn- dromes dysmorphiques sont associés à un retard mental, ce qui indique que les gènes impliqués dans le déve- loppement physique sont souvent importants dans le développement du système nerveux central. Ces gènes peuvent entraîner un effet minime sur l’apparence faciale, sans association à des malformations. La gravité du syndrome réside souvent dans le défaut fonctionnel d’un autre organe, mais c’est l’aspect facial qui permet, en général, une identifica- tion du syndrome et sa reconnaissan- ce immédiate par le dysmorphologis- te. Des enfants atteints du même syndrome se ressemblent souvent davantage entre eux que des frères ou des sœurs. Cette identification peut être comparée à la reconnais- sance par chacun d’entre nous d’un visage familier parmi une foule d’inconnus, bien qu’il ne soit pas facile de définir les critères de l’ana- lyse morphologique. L’approche dys- morphologique obéit cependant maintenant à des règles strictes [2].
La morphologie faciale particulière d’un patient peut parfois permettre au clinicien expérimenté de prédire beaucoup de choses : le risque de malformation associée, la recherche d’une mutation dans un morphogène spécifique, ou le risque de récurrence
Tableau I
SYNDROMES DYSMORPHIQUES DONT LES GÈNES SONT IDENTIFIÉS
Syndrome Localisation Gène Références
chromosomique
Aarskog Xp11.p21 FGD1 [25]
Albright 20q12-q13.2 GNAS1 [29]
ATR-X Xq13 XNP [26]
Beckwith-Wiedemann 11p15.5 IGF2* [30]
Greig céphalopoly- 7p13 GLI3 [31]
syndactylie
MEN 2B 10q11 RET [32]
MASA Xq28 L1CAM [33]
Rubinstein-Taybi 16p13.3 CBP [28]
Simpson-Golabi- Xq26 GPC3 [34]
Behmel (glypican 3)
Smith-Lemli-Opitz 7q32 7-déhydrocholestérol [35]
réductase
Treacher-Collins 5q32-q33 Treacle [5]
Williams 7q11 ELN [36]
(élastine)
X fragile Xq27 FMR1 [37]
dans la famille. Par exemple, nous avons décrit un patient, chez lequel l’aspect facial a permis de suspecter une myocardiopathie associée, qui a pu bénéficier d’une prise en charge thérapeutique, en l’absence de signe d’appel cardiaque et malgré la nor- malité d’une précédente échocardio- graphie [3]. Cette approche diagnos-
tique permet également un conseil génétique adapté pour la famille. Les pionniers de la dysmorphologie ont défini des syndromes sur des descrip- tions cliniques dont l’importance prend tout son sens avec l’identifica- tion d’un nombre croissant de gènes à l’origine de ces conditions (Ta- bleau I). La dysmorphologie (consi-
Maladies génétiques
MINI-SYNTHÈSE
médecine/sciences 1996 ; 12 : 825-30
* Semble à l’heure actuelle le gène majeur impliqué dans le syndrome de Beckwith-Wiedemann.
dérée jusque récemment comme la parente pauvre de la médecine cli- nique et de la génétique humaine, et par certains comme une collection de timbres rares) guide aujourd’hui une approche moléculaire et aboutit à l’étude et à la reconnaissance des gènes du développement et des mécanismes embryonnaires impli- qués dans la morphogenèse normale et anormale chez l’homme [4].
La découverte récente du gène du syndrome de Treacher-Collins (dysos- tose mandibulo-faciale) en est un nouvel exemple (m/s n° 4, vol. 12, p. 542) [5]. Le syndrome de Treacher- Collins est une maladie génétique de transmission autosomique dominante à l’origine d’anomalies crânio- faciales : dysplasie majeure des oreilles, aplasie de la rangée inféro- interne des cils, hypoplasie malaire, et microrétrognathie importante (figure 1). Il a été décrit en 1900 [6] et cor- respond à un syndrome dysmorpho- génétique bien défini et bien connu en dysmorphologie. Sa reconnaissan- ce chez un patient permet de recher- cher et de prendre en charge la surdi- té qui est le problème majeur du syndrome. L’expression du syndrome est extrêmement variable avec des phénotypes sub-normaux chez cer- taines personnes atteintes. Le gène
identifié par une approche de clona- ge positionnel, Treacle, est un nouveau gène du développement qui ne paraît ressembler à aucune molécule connue. Il existe beaucoup d’autres syndromes dysmorphiques comme le syndrome de Treacher-Collins dont l’approche génétique ne peut être que positionnelle en raison de l’absence de modèles animaux et de l’ignorance totale de gènes candidats.
Certaines familles de gènes du déve- loppement ont occupé récemment le devant de la scène en raison de l’identification de mutations dans différents syndromes dysmor- phiques. Certaines de ces familles géniques ont fait l’objet de revues récentes [7, 8]. La famille de gènes PAX a été initialement identifiée par analogie avec des gènes de segmen- tation (paired, gooseberry) de la droso- phile. Neuf gènes PAX sont identifiés chez l’homme, trois sont actuelle- ment reconnus à l’origine de diffé- rents syndromes, et quatre modèles murins sont identifiés (Tableau II).
Les anomalies du développement sont dues à une haplo-insuffisance, alors que des mécanismes de gain de fonction ont été impliqués dans cer- tains cancers [9]. Les gènes du déve- loppement apparaissent volontiers impliqués dans ces deux méca-
nismes. Par exemple, un gène chi- mérique impliquant PAX3 a été iden- tifié dans une tumeur solide de l’enfant, le rhabdomyosarcome [10].
Des mutations dans le gène PAX-3 sont responsables du mutant Splotch chez la souris [11]. La reconnaissan- ce du phénotype murin a permis d’identifier des mutations de PAX3 dans le syndrome de Waardenburg de type 1 (SW1) chez l’homme [12].
Le SW1 associe une dystopie des can- thi (déplacement exagéré des angles internes des yeux), une pigmenta- tion anormale (hétérochromie irien- ne, mèche de cheveux blancs, taches achromiques), une surdité de per- ception, et des critères dysmor- phiques inconstants (synophris, raci- ne du nez large) (figure 2). Le SW de type 3 (syndrome de Klein-Waarden- burg) associe au phénotype du SW1 des anomalies des membres supé- rieurs (contractures, hypoplasie), et apparaît correspondre à une varia- tion d’expression du SW1. Le SW de type 2 se distingue du SW1 par l’absence de dystopie des canthi. Ce signe dysmorphique a permis de classer les patients dans deux groupes cliniques distincts. Cette dis- tinction peut être objectivée par une mesure spécifique (indice W) (figure 3). Le SW2 est maintenant connu
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m/s n° 6-7, vol. 12, juin-juillet 96Figure 1. Aspect facial caractéris- tique d’un nouveau-né atteint de syndrome de Treacher-Collins.
Tableau II
MODÈLES MURINS ET MALADIES HUMAINES DUES À DES MUTATIONS DANS LES GÈNES PAX
Gène Localisation Phénotype Références
chromosomique Souris Homme
PAX-1 20p11 Undulated ? [38]
PAX-2 10q25 Krd Colobomes [39]
du nerf optique et anomalies rénales
PAX-3 2q35 Splotch Syndromes [12,13
de Waardenburg 40]
(types I et III)
Aniridie [41]
PAX-6 11p13 Small-eye Syndrome WAGR* [42]
Anomalie de Peters [43]
Cataracte [44]
* WAGR : Wilms tumors, anidiria, genito-urinary abnormalities, mental retardation.
comme étant lié à des mutations du gène MITF (microphtalmia) sur le chromosome 3q12.3-p14.1 [13], contrairement à SW1. Cette différen- ce mineure de morphologie faciale entre les patients permet de distin- guer des phénotypes corrélés à des génotypes distincts.
Les récepteurs des facteurs de crois- sance fibroblastique (FGFR) ont pris rapidement une place importante dans la pathologie dysmorphique et malformative humaine (Tableau III).
Quatre gènes sont connus et trois de ces gènes ont été identifiés à l’origi- ne d’affections squelettiques, comme l’achondroplasie qui est la forme de nanisme osseux la plus fréquente chez l’homme (m/s n° 8-9, vol. 10, p. 936), ou certaines crâniosténoses (m/s n° 12, vol. 11, p. 1748). La res- semblance phénotypique entre la for- me homozygote plus sévère de l’achondroplasie et le nanisme thana- tophore (plus fréquente dysplasie squelettique létale à la naissance) a permis d’identifier des mutations dans le gène FGFR3 chez des patients atteints de nanisme thanatophore (m/s n° 5, vol. 11, p. 780) [14]. Les aspects moléculaires des syndromes avec craniosténose (fusion prématu- rée d’une ou plusieurs sutures crâ- niennes) ont récemment explosé. Le premier exemple connu chez l’hom- me (et le seul encore à ce jour) d’une mutation dans un gène à homéoboîte HOX est celui d’une mutation dans l’homéodomaine du gène MSX2 dans la crâniosténose type Boston (m/s n° 2, vol. 10, p. 225) [15]. Cela explique probablement que les gènes HOX, si bien connus des biologistes du développement et si importants dans l’information de position, la croissance et la différen- ciation cellulaires durant l’embryoge- nèse, soient souvent mal connus des cliniciens impliqués en dysmorpholo- gie. Un gène HOX (HOX-A9) vient d’être récemment identifié dans le remaniement chimérique d’une translocation chromosomique fré- quemment associée à la leucémie myéloïde aiguë et aboutissant à la synthèse d’une protéine de fusion qui pourrait être à l’origine de la leu- cémogenèse [16, 17].
Les progrès récents viennent de l’identification des gènes FGFR à l’ori-
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Figure 2. Critères dysmorphiques de l’étage moyen de la face chez un adul- te atteint de syndrome de Waardenburg de type 1 : dystopie des canthi, sy- nophris, hétérochromie irienne.
Tableau III
SYNDROMES DYSMORPHIQUES ASSOCIÉS À DES MUTATIONS DANS LES GÈNES FGFR
Gène Localisation Phénotype Références
chromosomique
FGFR 1 8p12 Syndrome de Pfeiffer* [45]
Syndrome de Crouzon*
Syndrome d’Apert*
FGFR 2 10q25.3-q26 Syndrome de Pfeiffer* [45-49]
Syndrome de Jackson-Weiss*
Syndrome de Beals-Stevenson*
Achondroplasie Hypochondroplasie
FGFR 3 4p16.3 Nanisme thanatophore [14, 50-52]
(types I et II) Syndrome de Crouzon*
FGFR 4 5q33-qter ?
* Syndromes avec craniosténose.