• Aucun résultat trouvé

Article pp.437-452 du Vol.6 n°3 (2008)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Article pp.437-452 du Vol.6 n°3 (2008)"

Copied!
16
0
0

Texte intégral

(1)

L’accès élargi à l’université,

entre aménagement organisationnel et projet communicationnel

Retour sur la mise en place d’universités nouvelles dans le Pas-de-Calais

Alain Payeur

HLLI-LCEM (MUSE Mutations des Systèmes Educatifs) EA 4030

Université du Littoral Côte d’Opale Alain.Payeur@univ-littoral.fr

RÉSUMÉ. Dans les années 1990, le projet d’encourager l’accès à l’université de manière élargie et prolongée a amené à chercher une réponse dans la création d’universités nouvelles, comme ce fut le cas dans le Pas-de-Calais. Certes, les Technologies de l’Information ont été mises à contribution mais la question de l’accès loin de s’y réduire, a posé des questions d’ensemble ; elle oblige en fait à envisager la problématique en termes de reconfiguration générale du système de formation universitaire.

ABSTRACT.In the nineties, the project to improve and increase access to higher education led to the creation of new universities such as those in the Pas de Calais. Information Technologies have been made available but this is only one aspect of the problem. In fact, the issue needs to be considered in terms of an overall reconfiguration of the higher education system.

MOTSCLES : accès, banalisation, professionnalisation, projet communicationnel, savoir.

KEYWORDS: access, trivialization, professionalization, communicational project, knowledge.

DOI:10.3166/DS.6.437-452 © Cned/Lavoisier

(2)

1. L’accès élargi : un processus long et complexe

Depuis les années 1990, la question de l’accès à l’éducation constitue un enjeu caractéristique des sociétés contemporaines car il repose sur un nouveau mandat social. Ce nouveau mandat s’est construit autour de missions toujours plus nombreuses que les universités doivent remplir à commencer, bien entendu, par la formation initiale et continue, par la recherche scientifique et technologique mais encore par la valorisation de leurs résultats, l’orientation et l’insertion professionnelle, la diffusion de la culture et l’information scientifique, la coopération internationale… L’accord sur ces missions n’a pas toujours été total, notamment sur les derniers points. Ce nouveau mandat social – souvent présenté au nom de la

« démocratisation », a imposé d’autres formats que ceux rencontrés jusqu’ici, en particulier, à l’échelon de l’enseignement supérieur. Nouveau mandat et nouveaux formats sont liés au fait que les enjeux sociaux de l’éducation et de la formation se sont continuellement amplifiés dans une société parfois dite « de la connaissance »,

« du savoir » ou « de l’information », comme si les termes pouvaient être échangés de manière indifférenciée. Or, il se trouve que les changements d’échelle ont fini par atteindre des seuils qui, à leur tour, ont entraîné également des changements qualitatifs ; un tel processus a rapidement nourri des craintes. Ainsi, la

« massification » n’a pu se faire qu’en banalisant le concept d’université (Rapport Laurent, 1995). Cette banalisation s’est enclenchée plus tôt et plus en amont. En France, grosso modo, on peut penser qu’elle s’est faite à partir de la mise en place d’un collège unique à compter des années 19601 ; elle s’est prolongée jusqu’à une exigence de rénovation profonde du système universitaire avec l’arrivée des

« enfants de la démocratisation scolaires » (Beaud, 2002). En simplifiant, le processus d’accès élargi enclenché à un niveau a produit des effets de proche en proche jusqu’au niveau supérieur, inscrivant une tendance dont les traits constitutifs sont à penser sur le long terme.

S’attacher à la question de l’accès élargi n’est qu’une façon d’aborder une mutation à multiples paramètres, mutation parfois heurtée et marquée d’hésitations voire de contradictions comme celle qui a voulu qu’à côté d’une antenne universitaire comme celle de Boulogne sur mer soient créées des classes préparatoires aux grandes écoles, renforçant un clivage entre enseignement

« élitiste » et enseignement de masse qui aurait pu, localement au moins, être sinon dépassé, du moins évité dans un contexte d’accès élargi et… démocratique2. Ce qui s’observe, c’est que la place des Technologies de l’Information est de la Communication (TIC) n’est pas d’entrée de jeu centrale dans cette évolution. De seconde et d’une certaine façon d’instrumentale, cette place va s’affirmer peu à peu,

1. Ainsi dès 1959 se met en place la Réforme Berthoin qui prolonge la scolarité de 14 à 16 ans et prépare le collège unique par la création de Collèges d’Enseignement Général (CEG) ; voir Toulemonde B (2006).

2. Les accords passés par les lycées privilégiaient une réorientation de leurs élèves vers universités-mères lilloises.

(3)

même si elle reste encore aujourd’hui difficilement mesurable dans ses dimensions pédagogiques, prises qu’elles sont dans les jeux de changements plutôt organisationnels et d’un projet communicationnel généralisé.

2. Un accès à la carte

Au nombre des changements, il faut compter, au premier chef, une modification de la carte scolaire et universitaire qui s’est trouvée densifiée et orientée vers un rééquilibrage. Ce rééquilibrage a eu pour visée que « l’opposition historique entre une France du Sud tertiaire et scolarisée et une France du Nord industrielle et peu formée » ne soit plus « aussi tranchée » (Canals, 2002, p. 4)3. La question de l’accès est d’une certaine façon précédée par celle de l’accessibilité, de la couverture et du maillage territorial. Ce qui compte, ce sont au préalable une implantation de lieux de formation et des moyens de circulation, des moyens de communication physiques et

« communicationnels » ; autrement dit, l’accès élargi qui suppose des déplacements, de la consommation de services, impose toute une infrastructure favorable à l’ancrage de cet accès que l’arrivée des TIC ne fera qu’assurer. Concernant les universités placées au centre de notre réflexion, ces infrastructures vont de la création d’une autoroute, d’un réseau de lignes d’autocars, et plus récemment, un peu tardivement, jusqu’à un projet de rénovation ferroviaire.

Pour ce qui est des TIC, le choix a pu être fait d’un réseau multipoints de visioconférence parfois qualifié de visiocommunication. Rien de ce qui vient d’être remarqué ne fonctionne sans des mesures d’accompagnement comme une politique tarifaire favorable aux étudiants, population relativement fragile sur le plan économique, surtout pour les nouveaux entrants4. Ces aspects pratiques vécus au quotidien entrent pleinement dans l’expérience étudiante et font partie de ses mécanismes de construction, même si on s’accordera pour dire qu’ils n’en constituent qu’un des soubassements. Il reste qu’au nombre des dispositifs d’accès élargi, il faut faire au moins mention des dispositifs externes à l’université stricto sensu parce que les problèmes qui peuvent y apparaître finissent aussi par affecter les dispositifs internes aux institutions éducatives elles-mêmes. C’est ce qui permet également de comprendre l’importance de tout dispositif de présence étudiante dans les institutions soucieuses de favoriser sérieusement un accès élargi. On ne peut envisager la question de l’accès élargi à l’université sans penser aussi la question des voies d’accès et surtout du rapport quasi géographique avec la cité d’une part et,

3. Les auteurs y notent, faussement mais non sans raisons car il y avait de réelles hésitations, que la détermination des acteurs du projet sur le littoral allait réussir à lever, que « le Nord- Pas-de-Calais va obtenir une nouvelle université » dans les années 1990 (p. 17).

http://www.lameta.univ-montp1.fr

4. Voir par exemple la mise en place d’une carte TER étudiant Nord-Pas-de-Calais proposant jusqu’à une « prise en charge totale financée par le Conseil Régional sur le trajets domicile- études ». http://www.ter-sncf.com

(4)

dans le système universitaire, celle de la représentation des étudiants comme catégorie sociale, même si cette catégorie n’est pas elle-même homogène ou pas encore organisée, d’autre part5. Au regard des TIC, l’une des questions qui se pose est de savoir comment elles participent à cette construction : en donnant des outils distinctifs ? (rôle de l’ordinateur comme symbole, substitut du livre ?), en permettant – ou diluant ! le sentiment d’appartenance à une communauté que l’on peut facilement contacter (généralisation de l’usage des courriels ? diffusion de l’information sur un portail ?).

Pour revenir à la question de la carte, on sait que le schéma « Université 2000 » a engendré en 1991, la création de six « universités nouvelles » dotées d’un « statut dérogatoire » dont, à partir d’antennes décentralisées, « deux dans la région Nord – Pas-de-Calais (Littoral et Artois) ». L’université d’abord dite du Littoral deviendra l’Université du Littoral –Côte d’Opale (ULCO) pour tenter de réunir sous une même appellation une diversité de sites assez grande, signe que la densification n’est pas loin non plus de la dispersion ; on parlera alors de réseau de villes portuaires moyennes pour créer un effet de taille et essayer d’y accrocher une unité thématique.

Pour ce qui est de l’ULCO, cette dispersion s’accompagne d’un recentrage de fait sur les centres villes. C’est tout particulièrement sensible pour Dunkerque où se produit un cumul particulier de fonctions. Du point de vue géographique, ce port offre des atouts qui déterminent les autres atouts dont le poids politique ou démographique. Parmi ces atouts, on peut relever « les prémices d’une centralité fluvio-maritime », avec des « options fortes » en ce que notamment « pour remplacer les activités tertiaires qui se sont relocalisées vers les ports nouveaux, on (a créé) l’université du Littoral » (Chaline, 1994, p. 61) ; un dernier aspect concernant la question spatiale de l’accès tient au fait qu’à l’occasion de la création de ces deux universités nouvelles installées, par sites, dans des lieux de re-centralisation urbaine s’amorce une inversion du mouvement d’éloignement programmé à partir du milieu des années 1960, dans la périphérie lilloise.

A Villeneuve d’Ascq, le projet de campus universitaire « à la française » a pu être décrit comme une tentative de « dés-inscription » de l’espace urbain, dés- inscription qui peut également être vue sinon comme une « dé-politisation » de l’espace, en tout cas, comme la marque d’une « coupure avec l’expérience politique ». Les raisons de cette orientation sont multiples mais l’une d’elle renvoie à celle de l’accès élargi : « à l’époque le politique (Maire de la ville de Lille) voit d’un

5. Voir Document ULCO (2008) insistant sur la « Participation à la vie de l’établissement La participation des étudiants aux élections qui désignent leurs représentants aux instances de l’ULCO est trop faible et elle doit être améliorée. Les expériences de vote électronique menées dans certaines universités comme Lyon 2 sont examinées, mais il convient également d’insister sur les enjeux de ces élections pour mobiliser la communauté étudiante.

Parallèlement, l’université envisage des actions de formation à destination des élus étudiants afin qu’ils puissent mieux maîtriser les données structurelles de l’établissement. La création d’une commission des étudiants est également envisagée afin qu’elle puisse récapituler les demandes, les souhaits de leurs mandants ».

(5)

très mauvais œil la montée d’une masse perçue comme composée d’‘éléments perturbateurs’ dans la ville et souhaite l’éloigner de celle-ci »6.

3. Accès et assignations

Globalement, l’objectif assigné par le statut dérogatoire accordé aux nouvelles universités était « d’assurer la mise en place de nouveaux établissements ou d’expérimenter des formules nouvelles ». Pour l’essentiel, les effets ont été jugés limités « au seul domaine de l’organisation institutionnelle, le reste de l’activité de l’établissement étant soumis aux règles communes applicables à l’ensemble des universités » (Aucouturier, 1999, p. 58). Cela revient à constater que le souci d’assurer l’implantation de ces universités placées au départ sous la responsabilité d’administrateurs aux pouvoirs plus larges que ceux d’un président d’université élu, a prévalu sur les intentions novatrices. L’arrivée de nouveaux étudiants n’a pas suffi à provoquer par elle-même et rapidement un changement dans le régime habituel des universités, un régime encore largement d’inspiration facultaire, surtout à l’Artois.

A l’ULCO, certaines propositions se sont vues réduites à de purs jeux de langage pourtant opérés parce qu’ils semblaient susceptibles d’entraîner quelques-uns des changements imposés par un accès élargi à l’enseignement supérieur, en particulier sur de nouveaux territoires7. Plus significative, a été souhaitée une disjonction de fonctions associées classiquement à l’université, celles des enseignements et de la recherche.

Cette préoccupation a fait apparaître quelques sigles inédits et disparaître celui d’UFR.

Cette mise à l’écart s’explique par un climat de défiance partagée par certains acteurs ou responsables, soucieux d’éviter des pesanteurs pouvant entraîner des difficultés dans la gestion des moyens et l’administration générale, voire, dans certains cas, constituer des lieux de contre pouvoir ; ces préoccupations étaient manifestes chez les acteurs de la mise en place de l’ULCO8. Abandonner la structure en UFR a conduit à promouvoir des Centres de Gestion Universitaire (CGU), dotés d’un conseil élu mais dirigé par un

6. Document mis en ligne par Groult C., Guinand S. (2007), “L’incarnation du politique”, p. 5.

7. A un accès élargi correspond souvent comme indicateur un élargissement du vocabulaire ; ainsi sont apparus sans grand succès les termes «terre d’ Opalie » pour désigner le bassin de recrutement de l’ULCO, ou celle d’étudiant « littoralien ». Voir Bourgain J. (1998), Développement universitaire et réseau de ville : le cas de l’université multipolaire de la Côte d’Opale, Actes du IVe séminaire des réseaux de villes, Dunkerque, 5 novembre ; http//www.resaux-de-ville.org ; reste que la pensée du réseau comme structure technopolitaine s’impose, favorisant le développement des TIC comme moyens d’effectuation des échanges intensifiés dans une telle structuration.

8. C’était là un souci constant trouvant sa source dans les expériences antérieures des administrateurs eux-mêmes anciens présidents des universités-mères. A l’ULCO, l’effort de rationalisation gestionnaire se poursuit par exemple à travers, un processus d’informatisation des services, combinant la réservation des salles et la gestion des services dus par chaque enseignant, mené à titre expérimental sur les sites du centre universitaire de Boulogne sur mer pour 2008-2009.

(6)

directeur désigné, contrôlant et, au besoin, mutualisant les ressources affectées aux formations. Confiés à des services communs, les centres de ressources pour l’enseignement des langues, les centres informatiques en sont l’une des manifestations.

Pour la recherche, s’est trouvé valorisé le terme de « Laboratoire » en ne l’appliquant pas seulement aux « sciences dures ».

Dans l’ensemble, de tels jeux de langage ne se font pas facilement. La recherche de structures différentes obligeant à l’emploi de désignations nouvelles perturbe les acteurs habituels de l’université, et n’est pas non plus immédiatement assimilable par les autres usagers9. Par exemple des termes comme ceux de « conférences » – assemblées de chercheurs réunis en dehors des formations où ils enseignent pour élaborer des projets, pas plus que celle de « commissions » rattachée à une logique de projet, n’ont jamais pris de force à l’ULCO, dans le sens spécifique qui leur était assigné car les réalités qu’ils devaient recouvrir n’ont sans doute jamais vraiment été acceptées, et encore moins mises en pratique. Au delà de la rémanence d’usages, voire d’habitudes, ce sont de véritables conventions sociales qui sont mises en discussion. Les écarts de langage, dans un sens ou un autre, dessinent alors des lignes de partage entre les acteurs. Traduisant un effort d’innovation, les jeux de langage qui viennent d’être évoqués soulignent aussi que certaines modifications qui peuvent paraître si ce n’est simples, du moins relativement circonscrites, ont parfois la capacité de mettre en tension tout un système. L’idée d’un accès élargi, reposant sur des principes de justice sociale et d’égalité des chances, est de celles-là dès lors que des acteurs l’ont prise au sérieux et qu’elle a commencé à prendre corps.

4. Accès à l’université, mode d’emploi

Pour l’essentiel, « les innovations devaient tout particulièrement concerner l’adaptation des formations aux emplois ». En tenant compte du fait que « la mise en place des nouvelles Universités dans le Nord-Pas-de-Calais (octobre 1992) coïncide avec une des plus graves crises de l’emploi et de chômage des jeunes de l’histoire de notre pays. (…) il fallait (…) particulièrement dans le tertiaire, « inventer » des formations (ou adapter les plus classiques), générant, révélant, suscitant des emplois, ce qui n’est pas simple » (Crespy, 1996, p. 62)10. La présentation faite par le premier

9. Un étudiant de l’ULCO parlera encore aujourd’hui plus spontanément de l’Université ou de la faculté de Boulogne, voire de l’Université Saint Louis (alors que Saint Louis ne désigne cette fois qu’un site). Le décentrement permis par les TIC via la visio notamment, dans une multitude de sites, en mettant à distance les uns des autres de nombreux acteurs dont les étudiants, rend friable le sentiment d’appartenance. A la représentation en archipel s’oppose une autre : celle des ilots, ce qui peut être source de tensions dans une même structure comme un IUT implanté dans plusieurs villes ou dans les projets (par exemple liés au tourisme) que plusieurs formations souhaitent développer sur « leur » site.

10. Dans sa réponse Alain Lottin précise : « Dans la loi du 25 juillet 1994, qui prolonge le statut dérogatoire de deux ans, apparaît subitement la notion d’expérimentation des modes

(7)

président de l’Université d’Artois est claire : « Il s’agissait de créer une nouvelle Université en Artois, répondant à ces besoins et non un établissement d’un type nouveau »11. La question n’est pas aussi radicalement tranchée dans le cas de l’ULCO. Le double motif de l’implantation, de l’adaptation des formations à un contexte de crise de l’emploi y apparaît bien aussi mais à travers des engagements plus complexes. Les initiatives prises ont été multiples. Il fallait encourager l’accès par des mesures d’accompagnement. En continuité avec la tendance à la banalisation, une attention particulière a été accordée à cet accompagnement. S’est opérée, comme Daniel Filâtre (1994) l’a constaté de manière générale, d’abord « une transformation de l’offre de l’enseignement supérieur en un service de proximité » puis « à un statut de service banal »(p. 34). Un des lieux de cette banalisation repose sur le projet présent initialement mais non encore abouti de mise en place d’un réseau de Maisons de l’étudiant : même s’« il n’existe pour l’instant qu’une seule Maison de l’Étudiant à Boulogne. Deux autres sont prévues à Calais et à Dunkerque.

Outre les services de l’université, les associations étudiantes disposeront ainsi de lieux pour gérer leurs projets »12.

Ce seul exemple indique que la question de l’accès doit être associée à celle des modalités d’accompagnement, envisagée en l’occurrence sur le plan des espaces pratiques et des services mais elle est également à décliner sur le plan pédagogique ou relationnel. Cette attention portée à l’accueil a été relevée dans plusieurs évaluations. Ainsi, quand « l’université contribue à accroître l’ambition sociale des familles en leur faisant oser des études supérieures rendues possibles autant par la proximité géographique que par la forte professionnalisation des études », une des conséquences est que « les universités de proximité ont souvent un taux de boursiers sur critères sociaux très supérieur à la moyenne» (Simon, 2006, p. 70). Et les exemples donnés nous intéressent puisque: « Alors que la proportion des boursiers sur critères sociaux dans les universités s’établit en moyenne nationale à 22,9 %, elle est significativement supérieure dans les universités de proximité de l’échantillon visité. C’est ainsi qu’à l’université d’Artois, elle atteint 41,7 %, soit le taux le plus élevé de France, 41,15 % à Valenciennes, 38 % à l’université du Littoral ». Divers aspects de l’accompagnement sont soulignés, dont «l’accessibilité des enseignants, la qualité des relations étudiants/enseignants (…) soulignée par tous » pour l’Université d’Artois ; ou encore le « souci de la liaison secondaire/supérieur dans des universités comme celle du Littoral Côte d’Opale (sciences). C’est ce qui a conduit à cette conclusion qui fait la part des choses : d’un côté, « les universités de proximité semblent de nature à contribuer positivement à l’attraction de nouveaux publics vers d’organisation et d’administration différentes. Près de trois ans après, c’est assigner à l’Université et à ses responsables, donc rétroactivement, une autre finalité que celle présidant à la création. Il y a là une ambiguïté fondamentale, surtout pour le Nord Pas-de-Calais, puisque « le CIAT du 3 octobre 1991 a fixé des objectifs différents aux Universités nouvelles.

Dans le Nord, on parle de rattrapage ou de rééquilibrage. En Ile-de-France, on fixe pour objectifs des enseignements spécialisés» » (p. 62).

11. Ibid.

12. Document interne.

(8)

l’enseignement supérieur» ; de l’autre, « en revanche, la capacité à les faire réussir, dépend, elle, non plus seulement de l’implantation géographique de proximité, mais bien de la volonté politique de l’université de mettre en oeuvre les moyens correspondants. » (ibid.) En somme, si l’accès est favorisé par les dispositifs d’accueil et d’accompagnement, il ne garantit une véritable entrée dans le système et le monde universitaires.

Cette situation invite à évoquer l’hypothèse d’une différence entre les attentes directement liées à des « effets de délocalisation » et « les effets de site » qui brouillent les processus relativement bien identifiés au niveau macro-social de la reproduction des inégalités. Il faudrait voir en quoi le « travail invisible » (Rey, 2005, p. 42) de certains acteurs de terrain, relayés par des dispositifs sociotechniques locaux mis en place dans le cadre d’une sorte d’autonomie interne ou prenant appui sur une capacité à prendre des initiatives, peut modifier, à défaut de les supprimer ou de les corriger comme il était attendu, les disparités, sociales. A l’ULCO, on observe même des décalages, parfois dans les résultats pour un même diplôme dispensé sur deux sites ; l’accès élargi ne gomme pas toute spécificité contextuelle entre les sites.

Ainsi, il faudra suivre le travail et les apports d’une association créée pour le développement des langues sur le littoral dunkerquois (ADLLD); c’est en soi déjà significatif de l’investissement, du volontarisme de certains enseignants et de leur capacité à tirer profit d’opportunités et à trouver des relais dans l’entrelacs des milieux socio-économiques, culturels, voire politiques. Il faudra se demander si, dans ce cas aussi, le « travail invisible » n’a pas pour condition une sorte de

« division du travail entre les enseignants issus du secondaire (PRAG) à qui sont confiés les tâches plutôt liées à l’organisation générale, pendant que les enseignants- chercheurs se concentrent sur les tâches liées à la recherche » (ibid ; p. 43) De fait, le ratio PRAG/enseignant chercheurs n’est pas uniforme dans toutes les formations et sites de l’ULCO. Toutefois, pour juste que semble la remarque, il faut ajouter que les conséquences de ce couplage, d’ailleurs sans doute pas aussi radical qu’il y paraît,

« travail invisible »/« division du travail » débordent les limites du champ universitaire stricto sensu. Cela montre finalement l’importance des formes et des dispositifs de médiation à mettre dans le jeu de stratégies visant à l’élargissement de l’accès à l’université ; l’accès médié n’en serait qu’une composante, peut-être plus facile à rendre visible comme support et argument d’une communication institutionnelle.

5. Accès médié, un double jeu

On le sait, certains ont désormais inscrit à leur agenda politique, la question ambitieuse de l’accès à la formation du plus grand nombre, y compris au meilleur niveau, et tout au long de la vie. Cette perspective est développée par diverses institutions internationales, et elle est parfois définie par « la libre circulation des idées, l’accès universel à l’information » et à la connaissance ; cet accès universel ne peut se détacher d’autres attentes comme « l’expression du pluralisme et de la

(9)

diversité » mais également, dans le même temps, de « l’accès aux TIC pour tous »13. Dans la reconfiguration en extension qui est programmée, une place est assignée aux TIC, au risque parfois d’engendrer l’idée d’une sorte d’équivalence entre les deux accès : l’accès aux TIC valant pour l’accès universel. Du coup, l’accès à l’information est donné comme une priorité et une évidence. Ainsi, beaucoup estiment qu’ « au cœur des sociétés du savoir il y a la capacité d’identifier, de produire, de traiter, de transformer, de diffuser et d’utiliser l’information en vue de créer et d’appliquer les connaissances nécessaires au développement humain »14. Cela signifie qu’est postulée une contribution forte des TIC à une recomposition de l’espace éducatif puisqu’il s’agit d’ouvrir par la « une voie pour l’humanisation de la mondialisation ». Un tel projet communicationnel n’est pas sans faire naître une série d’interrogations. En effet, un tel mouvement peut présenter des signes d’un arrachement de l’éducation par rapport à ce qui l’inscrit dans la culture et le patrimoine en l’orientant fortement vers d’autres champs (Mœglin, 1995).

C’est ce que le glissement lexical d’ « éducation » vers « formation », ou de

« savoir » vers « information », ou leur relatif effacement, induit. En France, telle région se propose quant à elle, de « mettre en place le Compte Formation Universel Régional (CFUR) inscrit au Schéma Régional des Formations dont l’ambition est de permettre à toute personne de disposer d’un temps de formation suffisant pour acquérir une qualification au cours de sa vie professionnelle ». De plus, « ce droit individuel d’accès à la formation tout au long de la vie doit pouvoir s’exercer dès la fin de l’obligation scolaire à 16 ans jusqu’à la retraite. Il s’agit de proposer de nouvelles modalités d’accès à la formation »15. L’attractivité sociale et politique de cet horizon majeur pousse des acteurs à voir dans les TIC une voie pour développer des modalités d’accès nouvelles en rendant compatibles temps de travail et temps de formation ou pour opérer une réduction de nombre d’inégalités. A l’ULCO, cette préoccupation, a entraîné une organisation jouant sur une proximité forte, surtout pour certaines formations stratégiques dans les relations avec l’extérieur comme le FLE16, entre les services de formation continue et les formations universitaires plus classiques17, ou par la place grandissante dans les cursus des modules de Recherche

13. Voir Observatory portal. Monitoring the Development of the Information Society towards Knowledge Society, http://www.unesco.org/webworld/observatory/

14. Voir Communiqué de presse de l’UNESCO, diffusé le 14 octobre 2003 à l’issue de la Table Ronde « Vers les société du savoir ».

15. Voir http://www.centre-inffo.fr/Poitou-Charentes-un-Compte.html

16. Voir Cap sur l’info, 2006, n° 144 « Pour faire face au nombre et à la diversité des publics (niveaux, attentes, besoins spécifiques...), ainsi qu’à l’étalement des arrivées des étudiants étrangers, il a été confié au CUEEP Littoral la mise en oeuvre d’une plate-forme de formation spécifique (…) placée sous la responsabilité pédagogique du Département « Lettres et Arts » de l’ULCO et en partenariat avec le service Relations Internationales ». (p. 3).

17. Voir le dossier de presse du CUEEP-Littoral (2008) : « S’appuyant sur le réseau des enseignants-chercheurs de l’université et sur son potentiel de Recherche et de Transfert de Technologie, le CUEEP-Littoral met en œuvre également une activité d’ingénierie de

(10)

documentaire assumés par les personnels des bibliothèques (Bulco). Le dispositif universitaire a été élargi par la mise en place, toujours sur le modèle du réseau cette fois de type associatif et communicationnel, d’une université populaire18.

De l’accès élargi à l’injonction d’accès universel se produit une généralisation quasi absolue de la couverture universitaire, puisqu’il s’agit dans le même temps, de mobiliser tous les savoirs à travers des actions de communication finalisées19. Pour l’essentiel, ce qu’il faut voir aussi, c’est que la banalisation induite par l’accès universel s’accompagne d’une entrée forte dans des TIC et c’est dans les espaces pratiques ouverts par des services communs (comme celui du réseau des bibliothèques universitaires20) que l’usage des TIC a pu le plus facilement s’enraciner et se banaliser.

De plus, l’ULCO vient de faire le choix de porter son effort sur une informatisation accélérée : avec la réinscription en ligne des étudiants déjà inscrits à l’ULCO, avec l’extension du prêt de portable21, mesure envisagée dès la création, ou la poursuite de l’implantation des bornes wifi dans ses différents bâtiments22.

formation et accompagne ainsi de nombreuses entreprises locales dans la qualification de leurs personnels ».

18. Voir La lettre (2007) de l’Université Populaire Côte d’Opale dont le premier président avait été le premier président de l’ULCO et où est reprise l’idée de « mettre en réseau dans le domaine de la transmission du Savoir en direction du plus large public toutes les initiatives existantes » (n° 10) p. 2. C’est aujourd’hui l’ancienne responsable de la Bulco qui a pris le relais.

19. Signalons, à l’ULCO, la place prise par un secteur de formation comme les STAPS et les opérations de communication faites autour du sponsoring d’un bateau de course, avec une recherche de retombées sportives, médiatiques, sociales, touristiques, grâce à l’usage des TIC ; voir la contribution de Theunynck D. et al. « Un programme de découverte, structuré autour de l’utilisation d’Internet, peut il amener un public de scolaires aux pratiques sportives en espace littoral ; à propos du Vendée Globe et de la Route du Rhum » consultable sur www.univ-littoral.fr/recherche/afraps/c2-3.pdf

20. Voir le fort intérêt à l’ULCO pour tout ce qui touche aux TIC ; ainsi, : « Les 20, 21 et 22 septembre, (à) Dunkerque, s’est tenu le 37ème congrès de l’Association des Directeurs et des personnels de direction des Bibliothèques Universitaires et de la documentation (ADBU) A l’ordre du jour : les politiques documentaires, la maîtrise de la documentation électronique et la place des bibliothèques dans l’université « libérée » par la loi du 10 août dernier. Un salon professionnel s’est déroulé également pendant la durée du congrès avec la présence de libraires, fournisseurs de matériel, éditeurs de logiciels de bibliothèque etc. (Cap sur l’info, n° 148, octobre 2007, p. 1).

21. L’objectif affiché est clair : « Au regard des caractéristiques de la population étudiante de l’ULCO », « issue des catégories sociales les moins favorisées » est envisagé un « programme d’acquisition d’ordinateurs portables », « destinés à des opérations de prêt ponctuel pour les étudiants boursiers » et à « accélérer la rotation dans les salles en libre service », TIC, Contrat quadriennal 2006-2009, p. 16. Une annexe précise que « le nombre d’ordinateurs mis à disposition des étudiants (pour 100) » est déjà passé de 6 ,41 en 1998 à 13 en 2004. Le coût de l’opération est évalué à 120 000 euros pour l’investissement et 23 928 pour le fonctionnement (p. 32).

22. Voir le Dossier de Presse, rentrée universitaire 2007-2008, Service de communication.

Consultable en ligne http://www.univ-littoral.fr/document/dossier_07_rentree.pdf

(11)

Ces choix constituent de points de rencontre entre l’amélioration souhaitée des services, la promotion d’une image de modernité et le souci, déjà évoqué plus haut, de rationalisation gestionnaire. Néanmoins, le spectre du recours aux TIC ne s’y limite pas. Avec la mise en place de modules d’initiation documentaire validés dans les cursus, la proposition d’un tutorat d’encadrement pour des recherches (limité à deux heures, par étudiant de première année), proposée par le service commun de la bibliothèque universitaire, les TIC font partie du dispositif d’accès réussi à l’université. Toutefois, la question posée risque de faire perdre de vue les objectifs fondamentaux de construction de savoirs réflexifs.

Certains acteurs confrontés à des réelles difficultés de terrain, ne sont-ils pas entraînés volens nolens à valoriser les dispositifs techniques dont ils ont la charge ? A la marge des systèmes éducatifs, des thématiques de réflexion sont alors développées autour de l’apprentissage à et par l’information. La marge irradie parfois vers le centre et de facto, l’ « accès à l’internet », est vu au moins par un certain nombre d’acteurs, comme la condition de possibilité d’un savoir dont le principal problème est d’être diffusé23. Démocratiser l’accès aux « savoirs » via les TIC serait démocratiser l’accès à de l’information et faire acte social. Or, il convient de relativiser l’importance des TIC dans le domaine de la formation ; c’est ce que pointe Michaël Palmer (1990) : « Parmi les trois fonctions traditionnellement assignées aux médias de masse (éduquer, éclairer, guider), divertir prédomine sur former et informer se situerait malaisément entre les deux » et il ajoute : «en étant plus proche du divertissement que de la formation » (p. 81). Entendre cet avertissement invite à ne pas confondre la nécessaire « distance » critique comme visée constitutive des savoirs avec l’incontournable collecte instrumentée d’informations, faite souvent à distance, parfois faute de mieux, et placées sous des autorités parfois incertaines. Ces excès sont ceux qui font craindre que la verticalité de la transmission et le constitution des savoirs cède devant l’horizontalité des échanges accélérés et mal maîtrisés. Ils sont au centre des réflexions d’un groupe (encore en partie en émergence) de chercheurs de l’ULCO, venus pour ses principaux animateurs du champ informatique ; s’ils admettent l’usage des TIC comme une évidence, ils s’interrogent sur les pratiques à développer en confrontant leurs expériences « au regard de l’implication croissante de notre université dans les Technologies de l’Information et de la Communication dans l’Enseignement (TICE) »24.

23. Est-ce ce qui se donne à lire dans cette définition : « Le cyber enseignement peut permettre une évolution de ‘professeur’ en ‘coach scientifique’. Il devient plus qu’un enseignant qui communique son savoir du haut d’une chaire, c’est un intervenant jouant tantôt le rôle de guide, de conseiller, de gestion des performances avec un feed-back analysable que permet l’interactivité » ? (projet proposé pour le département STAPS de l’ULCO, qui, par ailleurs, développe une stratégie diffusionniste en matière de prévention et de santé publique).

24. Des échanges « ont permis de présenter et de discuter sur des activités menées en Français Langue Etrangère (FLE) ou en Informatique, sur l’usage du Tableau Blanc Interactif, sur

(12)

6. L’accès élargi : une voie pour comprendre une reconfiguration généralisée ? Ce qui se produit aujourd’hui derrière un processus à inscrire sur le long terme comme celui de l’accès élargi, relève finalement d’une reconfiguration générale. Pour Christine Musselin (2001), la notion de « configuration » appliquée au niveau universitaire recoupe le type de gouvernement développé par les établissements, le style de pilotage adopté par la tutelle et les modes de régulation internes des disciplines. Il est possible de s’appuyer sur cette conception en faisant quelques remarques ; la première tient à la capacité d’accompagnement des tutelles. Pour l’université d’Artois, on note que les évolutions possibles des établissements sont restées au départ du moins, très régulées, contrôlées.

Evoquant souci d’adaptation des formations à la professionnalisation dans sa réponse aux évaluateurs, l’administrateur de l’Artois remarquait : « cette entreprise difficile, que des pionniers ont néanmoins entreprise, s’est heurtée aux lourdes et contraignantes procédures suivies en matière d’habilitation nationale. Tout écart à la norme, donc toute innovation, était traquée, refusée.

La liste est longue (…) des projets innovants difficilement élaborés et impitoyablement refoulés, depuis le projet d’IUP de développement local, jusqu’aux licences pluridisciplinaires à visée technologique ou mélangeant lettres et sciences en passant par de modestes introductions de modules de langues ou d’informatique ou d’initiation à l’art dans la licence de droit, etc. » Il en tire une conclusion : « en résumé, le ministère a doté les Universités nouvelles d’un statut dérogatoire, mais, sauf exceptions, ne les a pas traitées lui-même de manière dérogatoire en ces domaines »25. Ce qui est en question relève pour partie du style de pilotage que les tutelles adoptent réellement mais aussi de la capacité à faire sauter à tout niveau des verrouillages sans toucher la cohérence du système d’ensemble. Ces obstacles se rencontrent en plusieurs points ; à l’adaptation des formations s’ajoute la question de la recherche évoquée plus sous l’idée d’une menace induite par la banalisation pesant sur le « socle de l’enseignement supérieur ». On peut relever cette autre critique : « Pour la recherche, les blocages nationaux sont bien plus graves.

S’étonner de l’absence d’équipes reconnues par le CNRS dans des établissements ayant trois ans d’âge ne peut que relever de la fausse naïveté » (p. 63). C’est dire que les solutions à trouver pour faciliter valablement un accès à l’université ne se font souvent que dans un environnement caractérisé par une accumulation des retards ou des handicaps. Du coup, les stratégies mises en place pour faciliter un accès élargi ont autant pour fonction de résorber un problème spécifique que de montrer des difficultés d’un niveau supérieur ou d’une complexité plus grande. Une question ne devient pas centrale du fait de sa nature propre ; elle le devient parce que sa prise en

« Epistemon » campus numérique de l’ULCO, sur le développement et la mise en place de MEPULCO-Université (méthode d’encadrement de projet étudiant développée dans la filière informatique, du DUT aux masters), sur le projet Passeport (mise en ligne d’ enseignements de niveau DAEU – Diplôme d’Accès aux Études Universitaires, et post-DAEU) et sur le Certificat Informatique et Internet (C2i), etc. », Voir Cap sur l’Info, n° 148,octobre 2007 p. 1.

25. Op.cit. notes 16 et 17.

(13)

compte nécessite la réinscription de liens plus larges ; elle le devient lorsqu’ elle place l’institution qui a en charge de la traiter, en position de se donner un « modèle génératif » intégrant les conflits et tensions qu’elle illustre pour sa part. En ce sens, la question de l’accès élargi est un point nodal qui permet, selon les mots de Maurizio Gribaudi (1998), « de saisir le répertoire des symboles et des logiques à partir duquel se génère l’action sociale d’un groupe ou d’une société » (p. 17).

Une relance des débats s’impose donc dans le prolongement de questions ouvertes il y a déjà quelques décennies et par rapport auxquels un recul est sans doute désormais possible. Il reste que l’ampleur des questions qui se posent à la croisée de logiques parfois contradictoires – en raison de leurs implications multiples, justifie que l’on puisse, à partir d’exemples tirés d’une histoire toujours en cours, interroger correctement les principaux processus observables, que les TIC bien que simplement convoqués ont pour fonction d’aider à mieux comprendre. Le tout est de savoir sur quels aspects de leur utilisation choisir et en prenant quelles précautions pour éviter un discours trop biaisé. Il s’agit pour pouvoir valablement nourrir une réflexion d’ensemble d’aller au delà des évocations descriptives. Il est clair qu’il faut se garder de s’arrêter, comme le conseille Pierre Mœglin « aux phénomènes les plus visibles ». En effet, ils n’acquièrent souvent de sens que s’ils sont compris comme indiquant pour l’essentiel la mise en œuvre généralisée d’une rationalité communicationnelle. Pour lui, la rationalité communicationnelle déterminerait déjà les comportements et les exigences « à l’égard de l’offre pédagogique » et iraient « jusqu’à influencer (les) modes d’accès au savoir » (p. 108) 26. Structuré comme un mode de résorption de l’altérité, il est peu surprenant que la logique communicationnelle notamment à travers des formes de marketing que les universités n’ignorent plus, soit déterminante dans l’injonction adressée aux universités de s’ouvrir largement et quasi indéfiniment. L’intensification du recours aux TIC, la multiplication des pratiques de publicisation des activités d’enseignement procéderaient des mêmes ressorts27. Or cette ouverture réclamée entre en contradiction avec ce qui est constitutif des savoirs relevant fondamentalement, et à l’inverse, de la mise à distance et de la mise en crise. Ainsi, la professionnalisation et l’accent mis sur l’acquisition des compétences identifiées et explicitement répertoriées28 est perçue par nombre d’acteurs comme antinomique avec les dimensions culturelles ou les activités de recherche.

De manière générale, il est nécessaire de mesurer l’impact réel de l’injonction faite à élargir l’accès à tous et en tout domaine, pour voir et savoir où portent les contradictions et sur quels points ? Mais, cette injonction serait-elle pleinement et concrètement accomplie, qu’il faudrait voir si la prise de distance inscrite « au cœur

26. Op. cit.

27. Jeter un tel éclairage sur le cas étudié ici, permettrait de mieux saisir le sens à donner au passage d’un statut de chargé de mission à celui de vice-président chargé de la communication pour un enseignant, ancien directeur d’une école de commerce, à l’ULCO.

28. Dans les suppléments aux diplômes ou les fiches dites RNCP (répertoire nationale des compétences professionnelles).

(14)

des savoirs » ne pourrait pas être préservée et même se retourner contre les sphères qui s’appuient sur la rationalité communicationnelle et l’extension de la demande de professionnalisation et d’acquisition d’expertises dans la formation. Faut-il d’emblée refuser l’éventualité d’une modification, au moins ici ou là, de temps à autre, portant sur les ordres du jour ou offrant l’occasion d’une libération, d’une activation de tendances divergentes ? Enfin, il y a dans le savoir et plus concrètement l’éducation, d’une part, des formes d’attention à l’altérité précisément, et d’autre part, des formes de partage et des possibilités de recréation d’espaces publics qui autorisent à penser que du terrain puisse être repris même là où le projet communicationnel et de professionnalisation semble le plus fort…

C’est sous l’éclairage de cette problématisation que nous avons choisi de nous attacher à un cas. Le cas choisi, celui d’une double implantation universitaire sur un territoire (le département du Pas-de-Calais) permet à notre sens de mieux comprendre et évaluer les effets de réponses concrètes déjà données ; à l’ULCO, en particulier, il s’est agi de faire face à la généralisation de la demande et de l’offre de formation sur un territoire traversant une crise profonde. Les réponses en termes de formation ont été prises au moment où l’ancrage territorial de cette université – un groupement de villes moyennes, se trouvait confronté aux problèmes nés d’un passage douloureux d’une organisation industrielle fondée jusque là sur les secteurs primaire et secondaire (halio-agro-industries, activités portuaires, sidérurgie…) à une autre phase de son industrialisation cette fois davantage liée aux activités tertiaires et à la montée des préoccupations environnementales. Certains acteurs ont du coup été amenés à mettre en œuvre les technologies info-communicationnelles, au moins comme marqueur de la modernité mais aussi comme levier pour des évolutions. La question est désormais de commencer à en dresser le bilan. Alors que l’implantation des TIC était, à l’ULCO, un choix propre pour marquer une identité et une différence, la logique des réseaux conduit estomper cette spécificité et désormais l’ULCO « entend approfondir les partenariats… s’ils sont porteurs de potentialités dans le domaine des TIC »29.

La perspective que nous avons cherché à ouvrir, est celle d’une nouvelle université qui s’est voulue université nouvelle ; c’est-à-dire : capable de donner des réponses spécifiques en tenant compte à la fois de contraintes relevant du cadre géographique multipolaire, d’une demande de justice rendue pressante par un retard social et culturel patent, des enjeux d’une modernisation économique indispensable à la survie d’une région en crise, et ce, en jouant pour chacune de ces contraintes, la carte des TIC, comme vecteur d’évolution. Cet ensemble de contraintes s’est produit avec la contrainte supplémentaire de respecter les principes d’un service public de formation rénové où les TIC ont été également appelées à tenir une place30.

29. Ainsi, l’ULCO a « déployé son campus numérique Epistémon sur l’université de Valenciennes, Lille3 et Nice Sophia Antipolis » TIC, Contrat quadriennal 2006-2009, p. 16.

30. Un volet de développement des TIC intitulé « Services pratiques à l’usage du personnel » liste aussi bien : la « numérisation des plans des différents bâtiments » que la «base de

(15)

Autrement dit, nous avons souhaité de revenir sur le cas d’une double implantation universitaire construite sur une logique d’expérimentation et d’ouverture justifiant, surtout à l’ULCO, un recours aux TIC. Ce recours qui ne peut pas être simplement instrumental, s’est révélé dans le temps complexe et paradoxal parce que s’appuyant sur un développement large des TIC, ce qui a introduit des rationalités dont les effets restent à clarifier mais dont on peut se demander si, finalement, elles ne conduiront pas à des recentrages et à une dilution des raisons justifiant de telles implantations, notamment du fait des difficultés à se faire reconnaître dans certaines dimensions comme celle, essentielle pour des universités, de la recherche. Tous ces enjeux croisés rendent centrale, pour nous, celle portant les TIC comme élément constitutif des mutations de l’espace d’enseignement supérieur.

« Les révolutions, elles aussi, ont besoin de temps pour s’accomplir ; les révolutions, elles aussi, ont une histoire. »

Alexandre Koyré, (1957), Du monde clos à l’univers infini, Avant-propos.

7. Bibliographie

Aucouturier J.-L. (coord.), Enseignement supérieur : autonomie, comparaison, harmonisation, Rapport au Président de la République 1995-1996 Paris, La documentation française, 1999.

Beaud S., 80 % au bac … et après ? Les enfants de la Démocratisation scolaire, Paris, La Découverte, 2002.

Bourgain J., Développement universitaire et réseau de ville : le cas de l’université multipolaire de la Côte d’Opale, Actes du IVe séminaire des réseaux de villes, Dunkerque, 5 novembre, 1998.

Canals V., Diebolt C., Jaoul M., Convergences et disparités régionales du poids de l’enseignement en France : 1964-2000, 2002.

Chaline C. (dir.), Ces ports qui créent des villes, Paris, Editions L’Harmattan, 1994.

Champagne P., Observations sur le fonctionnement des universités (années 1995/1996), Rapport à l’administration Générale de l’Administration, La documentation française, 1996.

Communication au Réseau d’analyse pluridisciplinaire des politiques éducatives, 21-22 novembre, Aix en Provence.

Crespy C. (coord.), CNE, Commission National des Evaluations, Rapport d’évaluation.

Université d’Artois, avril 1996.

Filâtre D., « Développement des universités et aménagement des territoires », Dubet F. et al., Universités et villes, Editions L’Harmattan, 1994.

données pour la gestion des produits toxiques », le « recrutement des ATER en ligne », ou une « application pour la gestion des personnels », op. cit. p. 39.

(16)

Gribaudi M., Espaces, temporalités, stratifications. Exercices sur les réseaux sociaux, Paris, Editions de l’EHESS, 1998.

Laurent D. et al., Universités : relever les défis du nombre : rapport à M. le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Paris, Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, 1995.

Mœglin P., « L’espace public à l’école de la société pédagogique », Pailliart I (dir.) L’espace public et l’emprise de la communication, Grenoble, Ellug, (99- 17), 1995.

Musselin C., La longue marche des universités françaises, Paris, PUF, 2001.

Palmer M., « Relativiser l’importance des médias », Miège B. (dir.), Médias et communication en Europe, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1990.

Rey O. (coord.), L’enseignement supérieur sous le regard des chercheurs, Les dossiers de la veille, février, INRP, 2005.

Simon T., Accueil et orientation des nouveaux étudiants dans les universités, Inspection générale de l’administration de l’Education nationale et de la Recherche, 2006.

Toulemonde B., Le système éducatif en France, Paris, La documentation française, 2006.

Références

Documents relatifs

Les contributions ont mis en évidence aussi bien la diversification des publics, que celle des formations, des moyens et des environnements d’apprentissage : amélioration de

Georges-Louis Baron : C’est avec une curiosité certaine que j’ai accepté de rédiger un compte rendu de cet ouvrage : sans être un spécialiste de vidéo, je travaille

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com..

Dans le premier cas, la communication est soit de type point à point, un professeur en relation avec un groupe d’élèves distants situés dans la même salle, soit en « tripoint »,

Nous rapportons dans cette observation une cause d ’ anémie très fréquente dans la zone tropicale.. Une démarche diagnostique rigoureuse permet un traitement approprié et ainsi d

Vers un outil géomatique pour identifier et caractériser les segments de lisières

En proposant a` l’Association me´dicale pour la promotion de la phytothe´rapie (AMPP) une journe´e « Gale´nique en Phytothe´rapie » en juin 2009, nous espe´rons que les

Ce tome II aborde quatre grands the`mes non traite´s dans le tome I (les plantes du cœur et de la circulation sanguine, les plantes bronchopulmonaires, les plantes des troubles de