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La crise d'oka en récits : territoire, cinéma et littérature

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Academic year: 2022

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La crise d'Oka en récits :

territoire, cinéma et littérature

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De la même auteure :

Simon Harel et Isabelle St-Amand (dir.), Les figures du siège au Québec. Concerta- tion et conflits en contexte minoritaire, Québec, Presses de l’Université Laval, collection « InterCultures », 2011, 305 p.

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Isabelle St-Amand

La crise d'Oka en récits :

territoire, cinéma et littérature

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Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication.

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.

Mise en page : In Situ Photographie : Boris Est

Maquette de couverture : Boris Est Œuvre : Eruoma Awashish

CORBEAU MÉDECINE

Acrylique sur tissus, plume de corbeau et fil.

12’’x 36’’

Courtoisie de la Guilde canadienne des métiers d'art

© Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés.

Dépôt légal 1er trimestre 2015 ISBN 978-2-7637-2481-2 PDF 9782763724829

Les Presses de l’Université Laval www.pulaval.com

Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l'autorisation écrite des Presses de l'Université Laval.

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VII

Table des matières

Remerciements ... XI

Introduction ... 1

Le processus de réflexion ... 4

La mise en récit d’un dur conflit politique ... 8

La notion de souveraineté ... 9

Les représentations littéraires ... 10

Chapitre 1 La recherche comme site de tension ... 13

État de la question ... 14

Une approche interdisciplinaire ... 19

Une inévitable partialité ... 21

La recherche comme site de tension ... 27

Chapitre 2 Le siège en acte ... 35

La crise d’Oka  ... 38

La résistance à Kanehsatà:ke  ... 41

Le mystère au cœur de la fusillade ... 49

L’événement contre toute attente ... 50

Le siège à Kanehsatake et à Kahnawake ... 54

Avancée militaire et lapidation ... 59

Aux limites de la pinède  ... 65

Chapitre 3 Le territoire disputé ... 75

Le projet de développement municipal ... 75

La consolidation des droits de propriété ... 78

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VIII La crIse d’Oka en récIts : terrItOIre, cInéma et LIttérature

Fragilité des colonies de peuplement ... 81

Contre-performativité et souveraineté mohawk ... 83

Stratégies et tactiques lors du siège en acte ... 86

La protection de la communauté : l’île Tekakwitha ... 96

Le pont Honoré-Mercier et la voie maritime du Saint-Laurent ... 100

Chapitre 4 Du reportage au documentaire : Okanada : Behind the lines ... 109

La caméra du journaliste ... 110

Le paradigme de la vue ... 112

Le siège comme interpellation ... 121

Les images comme preuves et traces d’histoire ... 124

Le dédoublement de la performance ... 129

L’humour derrière les barricades ... 131

Le réel, le singulier, le trait de présence ... 138

Chapitre 5 « Un document qui vienne de nous » : Kanehsatake : 270 ans de résistance ... 141

La posture de la documentariste ... 143

La notion de souveraineté visuelle ... 148

L’histoire que vous allez voir se passe à… ... 151

Front uni dans la pinède ... 157

270 ans de résistance : la reconstitution historique ... 159

Reterritorialisation de la politique mohawk ... 168

Chapitre 6 Les récits littéraires non autochtones ... 177

Les récits littéraires ... 177

Les récits littéraires québécois et canadiens ... 179

La figure du warrior  ... 180

Événement et quête identitaire ... 182

Ressac colonial ... 187

La force de rupture de la crise d’Oka dans Voleurs de cause ... 188

La survie comme contre-performativité ... 190

« L’état de siège au pays des voleurs de cause » ... 194

Polyphonie événementielle ... 196

Le chaos comme lieu de surgissement ... 202

Souverainetés en conflit... 205

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tabLe des matIères IX

Chapitre 7

Les récits littéraires autochtones ... 209

Les récits des lieux du siège à Kanehsatake et à Kahnawake ... 213

Les récits littéraires des Premières Nations au Canada ... 224

L’événement politique ... 225

La polarisation ... 227

L’histoire qui se répète  ... 230

Une limite atteinte ... 232

Sur/vie individuelle et collective ... 235

Armée canadienne et communautés autochtones ... 240

Conclusion ... 249

Glossaire ... 261

Liste des abréviations ... 263

Bibliographie ... 265

Ouvrages cités ... 265

Autres références ... 278

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XI

Remerciements

J

e tiens à offrir ma reconnaissance à tous ceux et celles qui ont contribué de près ou de loin à faire progresser cette réflexion sur la crise d’Oka et ses représentations.

Je remercie d’abord très sincèrement Simon Harel de m’avoir accordé son entière confiance et son précieux soutien tout au long de cette recherche menée à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), ainsi que dans les nombreux projets qui en ont découlé, particulièrement l’école d’été du Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM) consacrée à la littérature et au cinéma autochtones à l’Uni- versité de Montréal. Son appui intellectuel et institutionnel fut déterminant. Merci aux professeurs Denise Brassard, Roxanne Rimstead, Daniel Salée, Isabelle Miron et Simon Harel d’avoir lu et commenté la première version de cette recherche. Les lieux d’échange et d’investigation que constituent les centres et les groupes de recherche universitaires m’ont énormément apporté sur le plan des idées, des réseaux et des moyens d’action. À cet effet, je remercie le Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT) à l’UQÀM, notamment Simon Harel ; le Groupe interdisciplinaire de recherche sur les Amériques (GIRA) à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), notam- ment Frédéric Lesemann, Claudine Cyr et Jean-François Côté; DIALOG, le Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autoch- tones à l’INRS, notamment Carole Lévesque et Daniel Salée ; et, enfin, le Groupe d’études et de recherches en sémiotique des espaces (GERSE) à l’UQÀM, notamment Charles Perraton et Maude Bonenfant. Je remercie le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) pour l’octroi d’une bourse d’études supérieures du Canada qui a rendu possible la réalisation de cette recherche, ainsi que pour l’octroi d’une bourse de

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XII La crIse d’Oka en récIts : terrItOIre, cInéma et LIttérature

recherche postdoctorale qui en a permis la poursuite au Département de Native Studies de l’Université du Manitoba.

Le processus de recherche à l’origine de ce livre s’est constitué de rencontres, de discussions et de projets réalisés en collaboration et en partenariat avec différentes personnes et différents organismes qui ont rapproché ponctuellement le monde universitaire et le milieu des arts autochtones. Ces réalisations ont été des plus riches en idées, en réflexions et en possibilités. En lien avec le colloque-événement Paroles et pratiques artistiques autochtones au Québec aujourd’hui, je remercie le Cercle des Premières Nations de l’UQÀM et le Centre interuniversitaire sur les arts, les lettres et les traditions (CELAT), Chloé Charce, Anaïs Janin, Jonathan Lamy-Beaupré et Gustavo Zamora Jiménez pour le travail partagé à la réalisation de ce projet, ainsi que Simon Harel pour son appui. En lien avec les cinq colloques internationaux Regards autochtones sur les Amériques / Revisioning the Americas Through Indigenous Cinema / Visiones indígenas sobre las Américas, je remercie le Groupe interdisciplinaire de recherche sur les Amériques (GIRA), Terres en vues, le Réseau DIALOG, le Centre culturel et linguistique Kanien’kehaka Onkwawén:na Raotitiohkwa (KORLCC) et, en 2014, le Laboratoire sur les récits du soi mobile et le Wapikoni mobile. Merci infiniment à ma collègue Claudine Cyr, co-fondatrice de ce colloque, ainsi qu’aux acteurs culturels et universitaires qui ont joué un rôle clé dans son organisation et sa réalisation depuis 2009. Je salue André Dudemaine et le remercie des possibilités créatrices qu’il ouvre d’année en année par l’entremise du festival Présence autoch- tone dont il est directeur. Merci également à Martin Loft, Reaghan Tarbell, Audra Simpson, Carole Lévesque, Simon Harel, Mathieu Li-Goyette et Manon Barbeau. Ce fut et c’est toujours un plaisir et un honneur de travailler avec vous.

Toute ma reconnaissance et mes amitiés vont au Cercle des Premières Nations de l’UQÀM, à son coordonnateur, Gustavo Zamora Jiménez, et à tous les membres que j’ai côtoyés au fil des ans, notamment Maxime Wawanoloath, Mélanie Lumdsen, Widia Larivière, Steve Boily, Philippe Charland, Éric Pouliot et Marc Saindon. Votre hospitalité, votre authen- ticité et votre engagement sont exceptionnels.

Les visites et la consultation d’archives à Kanehsatà:ke et à Kahnawà:ke ont joué un rôle déterminant dans mon processus de réflexion. Je remercie de tout cœur Hilda Nicholas, directrice du Centre culturel et linguistique de Kanehsatà:ke, de m’avoir accordé sa confiance et son précieux soutien tout au long de cette recherche. Que ce soit par

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remercIements XIII

le partage d’idées et de connaissances, par l’orientation des recherches documentaires, par l’organisation de rencontres ou par l’accueil à un cours de langue mohawk, Hilda Nicholas m’a apporté un appui majeur.

Nos rencontres et nos discussions toujours très inspirantes m’ont donné les moyens d’affiner ma compréhension de la résistance de 1990 et de son contexte historique, et ce, d’un point de vue politique autant qu’humain. Je remercie sincèrement Ellen Gabriel d’avoir considéré ce projet de diverses manières, y compris en éclairant de son expertise, de son expérience et de sa pensée critique les enjeux fondamentaux de la résistance autochtone et du projet colonial du point de vue de Kanehsatà:ke. À Kahnawà:ke, je remercie le Kanien’kehá:ka Onkwawén:na Raotitióhkwa (KORLCC) pour l’accueil à la bibliothèque, aux confé- rences et aux diverses expositions et activités. Ma vive reconnaissance va à Martin Loft, superviseur des programmes publics, pour l’intérêt accordé à ce projet de recherche, pour les réflexions, les connaissances et les anecdotes partagées en matière d’art et de politique autochtones, pour la création de liens et de rencontres clés, ainsi que pour les riches et stimulantes collaborations qui se poursuivent depuis 2009 dans le cadre du festival Présence autochtone.

Mille mercis à Linda Cree, Mary MacDonald, Thomas Deer, Harvey Gabriel, Brian Deer, Phillip Deering, Roy Wright, Joe Delaronde, Kahn- Tineta Horn, Darrell Dennis, Drew Hayden-Taylor, ainsi qu’au général John de Chastelain, au lieutenant-colonel Robin Gagnon, à l’honorable Marc David j.c.s., à Pierre Lepage, Francine Lemay et Daniel Lacasse.

Les réflexions que vous m’avez partagées lors d’entrevues ou de discussions informelles m’ont été précieuses. Merci aux chercheurs et aux artistes avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger et de collaborer à différentes occa- sions au cours de ce projet, dont Claudine Cyr, Jonathan Lamy-Beaupré, Kathryn V. Muller, Daniel Rueck, Sarah Henzi, Maurizio Gatti, Nathalie Gagnon, Dagmara Zawadzka, André Dudemaine, Yves Sioui Durand, Guy Sioui Durand, Louis-Karl Picard-Sioui, Natasha Kanapé Fontaine et plusieurs autres. Merci à Noémie Thibodeau et à Simon Lambert pour la révision linguistique. Un grand merci à ma soeur, Catherine St-Amand, pour son grand cœur et son efficacité redoutable. Merci aussi à Michel St-Amand, Erin Reid, Sean O’Hara, Léonie Demers-Dion, Brigitte Watson, Alexandre Gélinas, Gustave N’fonguem, Naoko Ito, Guylaine Bédard, Virginie Fleury, Alain Tremblay et Serge Ménard.

Enfin, je suis reconnaissante d’avoir eu l’honneur de présenter publi- quement les résultats de cette recherche aux côtés d’Alanis Obomsawin, Ellen Gabriel, Pierre Lepage, Widia Larivière et Thibault Martin lors

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XIV La crIse d’Oka en récIts : terrItOIre, cInéma et LIttérature

d’une table ronde organisée en 2013, à l’Université du Québec à Montréal, par le Cercle des Premières Nations de l’UQÀM. J’espère que ce livre contribuera à transformer de manière constructive les rapports que la société québécoise entretient avec l’événement de 1990, son contexte d’émergence et, par conséquent, avec les peuples autochtones dont elle partage les territoires.

J’assume bien sûr l’entière responsabilité des propos tenus dans ce livre.

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1

Introduction

combien de fois dois-je te le dire combien de fois dois-je le hurler ! combien de fois te l’écrire je survivrai ! je survivrai parce que je dois me battre pour enfin entendre le battement de nos cœurs emplis d’espoir

le battement de nos tambours venus d’un autre temps

ne regardons plus en arrière mais regardons en avant cependant je me dois dénoncer les grattoirs à peaux qui liment la résistance de mes frères.

au nord de ma famine, mes barricades se feront revendications.

je ne suis pas une peau à vendre

une nation à suspendre sur le mur du salon je te le dis tout de suite :

je ne resterai pas une crise d’oka

enfermée dans un livre d’histoire de toute façon.

et quand on me regardera

on regardera un peuple uni et debout fort de la force du tonnerre ! mes chants de paix seront la sève de ma survivance fière !

quand on me regardera

on regardera un peuple uni et debout devant le feu sacré de l’aurore ! je ne resterai pas

une crise d’oka

enfermée dans un livre d’histoire de toute façon.

et si tu dors

c’est parce que mes chants de paix auront été tes berceuses

et la sève de ma survivance fière.

Natasha Kanapé Fontaine, « L’âme en tannage »1

1. Natasha Kanapé Fontaine, Le tannage fier des derniers vestiges territoriaux.

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La crIse d’Oka en récIts : terrItOIre, cInéma et LIttérature

2

La slameuse territoriale innue Natasha Kanapé Fontaine performe ce texte lors d’événements politiques, littéraires et culturels autochtones au Québec et ailleurs au pays. Avec présence et urgence, elle réitère par ces mots une parole difficilement entendue, interpellant le sujet colonial face auquel elle déclare sa ferme intention de se faire visible et agissante, dans le monde actuel. Ce texte renvoie aux luttes continues des peuples autochtones, y compris à celles des Mohawks de Kanehsatake qui, vingt- cinq ans après la crise d’Oka, doivent toujours défendre leurs droits ancestraux et protéger leurs terres de l’empiétement. La performance de ce slam territorial par la jeune poète innue a servi de trame sonore et d’intertexte visuel au montage vidéo Je ne resterai pas une crise d’Oka. Ce montage relate une manifestation tenue en 2013 à Oka en guise de protestation contre la fracturation hydraulique, les sables bitumineux et leur transport par oléoduc, ainsi que contre les lois C-38 et C-45 qui affaiblissent la protection des cours d’eaux et des terres en plus de porter atteinte aux droits autochtones2. Par son engagement poétique et poli- tique, Natasha Kanapé Fontaine fait ressortir le rôle des artistes dans les luttes autochtones pour la terre et la nation, la fierté et la survivance, l’unité et la paix. Cette vidéo portée par les paroles de la slammeuse territoriale esquisse des liens manifestes entre le conflit territorial de 1990, la continuité de la lutte qui s’incarne dans le mouvement Idle No More et l’essor de l’expression artistique autochtone au Québec. Il renvoie aux thèmes centraux de ce livre : territoire, cinéma et littérature.

* * *

J’en suis venue à la crise d’Oka un peu par hasard, après de nombreux détours. En me plaçant explicitement dans la posture du colonisateur, cet événement a remis en question les fondements d’une société que je fus poussée à repenser de manière beaucoup plus déterminante que je ne l’avais imaginé au départ. Pourquoi la crise d’Oka et ses représentations ? Il s’agissait d’un conflit violent, spectaculaire et traumatique, aussi marquant que peu symbolisé. Je m’y étais intéressée spontanément, par intuition, et ce n’est qu’une fois la recherche bien avancée que j’ai retrouvé dans mes souvenirs d’enfance une boîte remplie de découpures de jour- naux de deux uniques événements : l’explosion de la navette spatiale Challenger, en 1986, et la crise d’Oka, en 1990. La crise politique qui faisait l’objet de mes recherches depuis plus de deux ans m’avait donc marquée plus que je ne l’avais cru. Il y avait eu quelque chose d’impérieux et de déterminant dans cette crise, dans ce conflit armé que j’avais vécu

2. 99media, Les Altercitoyens et GAPPA, Je ne resterai pas une crise d’Oka.

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IntrOductIOn 3

comme un mystère, comme quelque chose d’incompris, de bouleversant, générateur de profondes interrogations. Je me souviens de discussions d’écoliers, d’histoires douteuses de taxes et de motoneiges, d’accusations tapageuses brandies comme des vérités sans appel. Je me rappelle aussi m’être doutée qu’il se cachait autre chose derrière ces déclarations à l’emporte-pièce, mais j’étais restée perplexe, fascinée, incapable à l’époque d’en savoir davantage. Je vivais alors à Shawinigan, ville au nom autoch- tone où j’ai grandi dans l’ignorance quasi totale des communautés atikamekws établies à Opitciwan, Manawan et Wemotaci, et dont j’oc- cupais avec les miens les territoires le long de la rivière Saint-Maurice, Atikamekw Sipi.

Ce n’est que plusieurs années plus tard que j’ai fini par renouveler mon rapport à l’événement. Ma recherche visait à éclairer cet événement politique d’un nouvel angle en le mettant en relation avec les films docu- mentaires et les récits littéraires qui n’avaient jamais fait l’objet d’une étude en tant que telle. Je me suis posé au départ trois grandes questions afin d’orienter mes réflexions. Que s’est-il passé lors de la crise d’Oka ? Que signifie le fait de filmer un événement en simultané, puis de le raconter ensuite dans un film documentaire ? Comment l’événement a-t-il été symbolisé dans les récits littéraires, autochtones et allochtones ? En répondant à ces questions, je souhaitais arriver à mieux comprendre les relations souvent conflictuelles qui unissent et opposent les peuples autochtones et les peuples issus de l’établissement de colonies de peuple- ment au Canada. Comme je l’explique au premier chapitre, j’ai rapidement constaté que l’étude de la crise d’Oka et de ses représentations ne pouvait être dissociée de la dynamique coloniale profondément conflictuelle animant cet événement politique. Il fallait donc mettre au point une articulation théorique capable non seulement d’inscrire les perspectives autochtones et allochtones dans leurs contextes spécifiques, mais également de les mettre en relation et de problématiser leurs points de contact et d’enchevêtrement.

J’ai donc résolu d’adopter dans ce livre une approche multiperspec- tive qui me permettait d’appréhender le foisonnement de sens propre à ce conflit profondément enraciné. La notion d’événement a offert un fil conducteur pour examiner le nœud où se croisent et se concentrent divers aspects de la crise d’Oka, que ce soit lors du siège en acte, dans les films documentaires ou dans les récits littéraires. Le conflit constituait un autre élément important de cette réflexion. Je me suis inspirée de la notion élaborée par le sociologue allemand Georg Simmel dans Le conflit afin d’éclairer plus particulièrement la manière dont la crise d’Oka influe non

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4 La crIse d’Oka en récIts : terrItOIre, cInéma et LIttérature

seulement sur les rapports réciproques entre les peuples et sur la structure interne de chacun d’eux, mais aussi sur la relation globale qui les unit en un tout. Ma réflexion m’a graduellement menée vers le paradigme autochtone de la recherche proposé par le chercheur cri Shawn Wilson dans Research Is Ceremony : Indigenous Research Methods. Selon Wilson, la recherche envisagée comme cérémonie consiste à resserrer les liens et à établir des rapprochements entre des éléments dispersés qui se croisent et s’éclairent les uns les autres dans un même espace. De la même façon, l’approche privilégiée dans ce livre éclaire l’événement sous des angles différents, contrastés et conflictuels, mais qui se mettent peu à peu à faire sens en eux-mêmes et à l’égard les uns des autres. Suivant cette concep- tion particulière de la cérémonie, la recherche atteint son point culminant lorsque toutes les idées sont rassemblées et font sens en fonction des liens établis.

Ce livre, tout comme l’événement à partir duquel il se construit et qu’il contribue de ce fait à réactiver, met en présence différentes dimen- sions du conflit telles qu’elles sont envisagées à partir de points de vue contrastés. Il cherche à mieux comprendre ce qui anime le conflit et lui donne forme, ce qui lui procure sa force stratégique et symbolique, ainsi que la façon dont le siège fait ressortir les relations que les parties ont entre elles, mais aussi avec leur propre communauté, les tiers et le conflit lui-même. Ce faisant, il donne à cerner l’événement dans toute son intensité antagoniste, en tenant compte de ses pôles négatif et positif, de sa force de violence et de guérison, d’affirmation et d’éclatement, ainsi qu’à mieux saisir le douloureux et angoissant enchevêtrement des relations entre les peuples autochtones et les peuples issus de la colonisation que la crise d’Oka vient aggraver.

Le pROcessus de RéfLexIOn

Cette approche particulière m’a été inspirée, d’une part, par la nature de cet événement politique marquant et, d’autre part, par les travaux développés dans les domaines du cinéma et de la littérature autochtones.

Au moment d’entreprendre l’écriture de ce livre, je m’intéressais depuis longtemps aux lieux de débat dans la société, aux événements politiques d’envergure et aux diverses expressions et représentations du pouvoir et de la contestation. En 2011, j’ai codirigé l’ouvrage collectif Les figures du siège au Québec. Concertation et conflits en contexte minoritaire, puis j’ai poursuivi ces interrogations en me concentrant sur la crise d’Oka et ses diverses représentations. C’est donc de ce lieu d’énonciation bien parti-

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IntrOductIOn 5

culier que j’ai approché l’événement, de sorte qu’il m’est d’abord apparu sous l’angle de la perspective québécoise et canadienne dont j’étais impré- gnée.

Il était par ailleurs impensable de ne pas tenir pleinement compte des perspectives, des expériences et des récits des communautés mohawks directement touchées par le conflit. En plus de laisser dans l’ombre une part centrale du conflit, le fait de reléguer à la périphérie, d’amoindrir ou d’effacer les voix autochtones du discours aurait eu pour effet de faire rejouer une vieille dynamique coloniale de marginalisation et de déné- gation des réalités, des expressions et des savoirs autochtones. En même temps, je me trouvais dans un département d’études littéraires, sans spécialisation en études autochtones ni lien particulier avec des commu- nautés autochtones, de sorte que le projet était loin de relever de l’évidence. Comment aborder un tel événement lorsque l’on se situe à une distance aussi grande de l’une des parties qui y a été engagée ? Et, surtout, de quelle manière négocier, sans le renforcer, le rapport colonial criant enclenché d’emblée par ce processus de recherche ?

Je me suis d’abord présentée dans les centres culturels et linguistiques de Kanehsatake et de Kahnawake dans l’espoir de mieux comprendre comment le conflit de l’été 1990 a été vécu, pensé et imaginé du point de vue des communautés mohawks. En tant que littéraire, j’ai été amenée à entreprendre un apprentissage différent de ma formation de base et à développer des outils méthodologiques en conséquence. Ma démarche inclut une exploration conceptuelle qui s’est élaborée au fur et à mesure des rencontres et de la recherche. J’en suis venue à faire intervenir des concepts qui m’ont permis d’appréhender différents éléments de la crise politique lors du siège en acte, dans les films documentaires et dans les récits littéraires. Parmi ces concepts, pensons par exemple à la performa- tivité et à la contre-performativité, à la souveraineté, qu’elle soit politique, rhétorique, visuelle ou littéraire, à l’exil et à la reterritorialisation, à la fragilité de l’état colonial, au témoignage et au rôle des récits. J’ai procédé dans un mouvement d’aller-retour afin de réviser, de modifier, d’enlever ou d’ajouter des concepts au fur et à mesure de l’avancement de la recherche.

Les visites à Kanehsatake et à Kahnawake ont eu des effets concrets.

De manière essentielle, elles m’ont immédiatement fait prendre conscience de ma posture en tant que chercheuse allochtone et du lourd bagage colonial que je portais, que je le veuille ou non. Au fil du temps, les diverses rencontres m’ont aussi rendue plus sensible et plus au fait du contexte mohawk, sans compter qu’elles m’ont aidée à saisir des éléments

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6 La crIse d’Oka en récIts : terrItOIre, cInéma et LIttérature

qui seraient passés inaperçus autrement. Pensons à la question de la souveraineté, au caractère traumatique et non dit du conflit armé ou encore à des moments marquants comme la résistance opposée aux militaires canadiens atterris sur l’île Tekakwitha. L’extrême gravité des enjeux politiques au cœur de la crise, la violence du rapport colonial qui perdure et l’importance fondamentale du territoire conçu en lien étroit avec la culture, la langue et les récits constituent d’autres de ces questions.

En faisant l’expérience directe et immédiate des dimensions éthiques et politiques de la recherche, j’ai réfléchi très concrètement à mon parcours de recherche et à ses implications. En tant que chercheuse allochtone, par exemple, je ne pouvais faire abstraction du fait que j’évoluais (et que j’évolue toujours) dans un contexte où les théories occidentales de la connaissance et de sa validité ont longtemps servi à délégitimer et à marginaliser les peuples autochtones ni du fait que ces théories se sont trop souvent élaborées en l’absence des principaux concernés, comme l’explique de façon limpide la chercheuse maorie Linda Tuhiwai Smith dans Decolonizing Methodologies. Research and Indigenous Peoples. C’est aussi ce rapport particulier à la production des connaissances qui a incité les peuples autochtones à se doter de protocoles d’éthique qui requièrent notamment que la recherche soit conçue dans la communauté concernée, qu’elle s’élabore en étroite relation avec celle-ci et, enfin, qu’elle réponde à ses besoins3.

En préparant ma demande d’autorisation éthique, j’ai tout de suite constaté que mon projet de recherche n’était pas conforme à ces exigences.

Par ailleurs, mon projet ne portait pas sur les communautés mohawks en tant que telles, mais bien sur le conflit qui a touché à la fois Mohawks, Premières Nations, Québécois et Canadiens. Enfin, l’étude de récits filmiques et littéraires autochtones et allochtones de partout au pays élargissait l’analyse à de multiples perspectives dont il fallait tirer sens sans les amalgamer ni les réduire sous un cadre d’analyse trop rigide. À partir de là, je me suis demandé en quoi ma recherche, qui portait un regard interdisciplinaire et interculturel sur le conflit, pouvait appréhender toute la complexité de l’événement. Comment pouvait-elle s’avérer utile – plutôt que nuisible – aux communautés mohawks qui ont traversé ce dur événement ? De quelle façon pouvais-je poursuivre cette recherche de manière éthique et responsable, sans rejouer une dynamique coloniale, mais sans être non plus spécialiste des études iroquoises ?

3. Voir par exemple Centre des Premières Nations, PCAP : propriété, contrôle, accès et possession.

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IntrOductIOn 7

Dans Travelling Knowledges. Positioning the Im/Migrant Reader of Aboriginal Literatures in Canada, Renate Eigenbrod souligne que le lecteur (ou encore le chercheur) se trouvant en posture d’extériorité par rapport aux cultures autochtones concernées par son objet d’étude doit arriver à la réalisation qu’il demeurera exclu d’une connaissance pleine et entière4. Mes discussions initiales avec des gens des communautés mohawks m’ont vite fait comprendre que je ne pourrais jamais tout à fait saisir ce que la crise a pu représenter d’un point de vue mohawk. L’événement n’a d’ailleurs jamais été à ma portée. Il est survenu ici et là, par bribes, de sorte que j’ai passé le plus clair de mon temps à l’appréhender à distance, à m’imprégner du contexte en passant essentiellement par le cinéma et la littérature afin d’en arriver peu à peu à un certain degré de compré- hension. De manière essentielle, les rencontres diverses et ma participation à l’organisation de différents événements, conférences et activités autochtones m’ont permis de saisir la part vivante des cultures, du cinéma et de la littérature autochtones, part vivante dont parle Armand Garnet Ruffo dans l’ouvrage collectif Ad(dressing) Our Words. Aboriginal Perspectives on Aboriginal Literatures. Selon Ruffo, il n’importe pas tant que les chercheurs allochtones accumulent les lectures anthropologiques, mais plutôt qu’il soit question pour eux d’initiation culturelle, de parti- cipation et d’engagement. Pour ma part, je ne pouvais manifestement pas procéder à la manière des chercheurs autochtones ni des ethnohis- toriens ou des anthropologues allochtones qui travaillent à l’intérieur des communautés autochtones. J’ai donc pris le parti d’entrer en interaction avec différentes personnes et lieux culturels à partir d’une posture excen- trée, assumée et manifeste. C’est d’ailleurs à partir de cette posture d’extériorité que j’en suis venue à élaborer ma réflexion théorique. Cette réflexion s’est située aux limites du conflit opposant les identités antago- nistes quant à la territorialité, c’est-à-dire dans ce que Mary Louise Pratt appelle les « zones de contact », ou encore dans ce que Kevin Mumford décrit comme des « interzones » pour faire ressortir l’inégalité des rapports de force à l’oeuvre dans la détermination des termes de la rencontre5.

La scénographie du siège, examinée en détail dans les chapitres 2 et 3, met en lumière la façon dont les interactions entre les peuples ont été négociées et rendues visibles tout au long du conflit armé. C’est à partir d’elle que s’est articulée l’analyse du siège en acte, de sa modélisation dans les films documentaires et de sa mise en récit dans la littérature. La

4. Renate Eigenbrod, Travelling Knowledges, p. 43.

5. À ce sujet, voir Tol Foster, « Of One Blood ».

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8 La crIse d’Oka en récIts : terrItOIre, cInéma et LIttérature

question n’était pas donc de tout savoir, mais bien d’arriver à élaborer une réflexion juste et pertinente à partir des éléments qui m'étaient accessibles.

La mIse en RécIT d’un duR cOnfLIT pOLITIque

Cette étude de la crise d’Oka posait un défi en raison de l’ampleur et de la complexité du conflit politique, de l’intensité des antagonismes et de l’impossible neutralité associée aux légitimités politiques qui demeu- rent en tension, et ce, d’autant plus que vingt-cinq ans plus tard le conflit demeure toujours agissant. Aux yeux des Mohawks, la crise d’Oka ne relève pas de la fiction ni de la littérature, mais bien d’un dur conflit politique dont les enjeux demeurent aussi concrets que pressants. Par ailleurs, les violences de l’été 1990, pensons à l’intensification du racisme partout au pays et à la brutale agression à coups de pierres de familles mohawks évacuant Kahnawake, interpellent directement les sociétés coloniales québécoise et canadienne, comme le font aussi les injustices historiques et contemporaines que l’événement met à jour.

Dans L’événement et le temps, Claude Romano soutient que l’événe- ment est révélateur parce qu’il nous incite à juger de la situation selon une perspective qu’il a lui-même créée. C’est précisément la question du jugement et de la responsabilité qui ressort de l’analyse du film docu- mentaire Okanada : Behind the Lines6. Ce documentaire fait entendre la parole des derniers retranchés interviewés par Albert Nerenberg, ce journaliste canadien s’étant infiltré derrière le périmètre militaire vers la toute fin du conflit armé. Il rappelle au spectateur la partialité des points de vue et, de ce fait, amène ce dernier à formuler de nouvelles interro- gations. Qu’est-ce qui explique, par exemple, l’écart prononcé entre les représentations médiatiques des warriors et les récits que les occupants mohawks livrent à la caméra derrière les barricades ? Quelle vérité de l’événement se situe du côté de l’expérience des individus qui y sont engagés ? Dans un contexte de parole minée, qu’est-ce qu’un point de vue particulier, celui du témoin oculaire et historique, peut apporter à la compréhension globale du conflit ? Voilà des questions qui sont au cœur du chapitre 4.

J’ai veillé tout au long de ce livre à ancrer l’analyse théorique dans les réalités concrètes de l’événement s’exprimant lors du siège en acte,

6. Catherine Bainbridge et al. Okanada : Behind the Lines at Oka.

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IntrOductIOn 9

puis dans les récits cinématographiques et littéraires autochtones et allochtones. En proposant mon propre récit de l’événement, je m’inspire de la réflexion de l’écrivaine et critique sto:lo Lee Maracle qui, dans l’article « Oratory : Coming to Theory », considère qu’un récit situé en contexte, qu’il s’agisse de récits du quotidien ou de poésie, est préférable à une théorisation hors contexte7. Tout en voulant rendre compte des perspectives québécoises et canadiennes, y compris celles des autorités, j’ai pris le parti méthodologique d’amener les études littéraires québécoises et canadiennes sur le terrain des études autochtones.

La nOTIOn de sOuveRaIneTé

À propos de la crise d’Oka et de ses représentations, il s’est avéré éclairant de mettre en relation le concept de souveraineté évoqué lors du siège en acte, le concept de souveraineté visuelle proposé par Michelle Raheja dans Reservation Reelism. Redfacing, Visual Sovereignty, and Representations of Native Americans in Film, ainsi que les concepts appa- rentés de souveraineté rhétorique et de souveraineté littéraire mis de l’avant par des chercheurs autochtones tels Scott Richard Lyons, Craig Womack et Daniel Heath Justice. Le siège et les multiples récits de l’évé- nement, tout comme les différentes notions de souveraineté qui les accompagnent, mettent en œuvre différentes formes de reterritorialisa- tion, c’est-à-dire qu’elles investissent un espace où elles imposent un discours à la mesure de la réalité matérielle. Les récits autochtones du siège s’inscrivent à l’encontre du processus d’exil décrit par le chercheur cri Neil McLeod, processus par lequel les peuples autochtones sont dépossédés de leurs terres, ce qui les relègue à une situation d’exil spatial ; et par lequel ils sont coupés de leurs familles, de leurs récits, de leurs langues et de leur mémoire collective, ce qui les place dans une situation d’exil idéologique8.

À cet effet, il n’est pas étonnant que la notion de souveraineté visuelle proposée par Michelle Raheja se soit prêtée aussi naturellement, et de façon aussi éclairante, à l’analyse du film documentaire Kanehsatake : 270 ans de résistance de la réalisatrice abénaquise Alanis Obomsawin, qui fait l’objet du chapitre 5. Ce documentaire relate l’événement en plaçant au centre du récit un pouvoir culturel et politique mohawk tout en

7. Citée dans Renate Eigenbrod, Travelling Knowledges, p. xii.

8. Neil McLeod, « Coming Home Through Stories », p. 18-19. Les prochaines références à ce texte seront inscrites entre parenthèses dans le corps du texte (CH).

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10 La crIse d’Oka en récIts : terrItOIre, cInéma et LIttérature

mettant de l’avant des images et des paroles qui transforment les repré- sentations véhiculées dans les grands médias. Dans Kanehsatake : 270 ans de résistance, les questions de la terre et de la survie, de la résistance historique et des luttes autochtones contemporaines, ainsi que de l’hu- mour et de la spiritualité se lient autour de l’événement. Ces questions réapparaissent sous d’autres formes dans les récits littéraires autochtones.

Les RepRésenTaTIOns LITTéRaIRes

Si j’ai choisi de concentrer mon analyse des récits littéraires sur la question des représentations, c’est afin de continuer à tisser des liens avec d’autres éléments qui sont apparus avec prévalence dans l’étude de l’évé- nement. De plus, comme l’illustrent la crise d’Oka et ses représentations médiatiques, l’effectivité des représentations est une question à prendre au sérieux en contexte colonial. De nombreux travaux en études autoch- tones ont fait état des projections débilitantes et des représentations écrasantes qui agissent au quotidien et dans la politique tout autant qu’au cinéma et dans la littérature. Dans l’essai When the Other is Me. Native Resistance Discourse 1850-1990, la chercheuse de la nation Métis Emma LaRocque démontre que les images stéréotypées de l’identité autochtone sont souvent construites suivant l’opposition « civilisé-sauvage ». En plus d’engendrer racisme et déshumanisation, ces représentations stéréotypales tendent à effacer toute possibilité de reconnaissance et d’échange vérita- bles. C’est en ce sens que plusieurs écrivains et chercheurs autochtones envisagent la parole comme une arme. Les « mots-flèches » conceptualisés par le théoricien littéraire chippewa Gerald Vizenor, le pouvoir des mots évoqué par l’auteure chippewa Kateri Akiwenzie Damm et le pouvoir visionnaire de l’art convoqué par le dramaturge wendat Yves Sioui Durand insistent tous sur le rôle joué par la littérature dans la transformation des représentations comme de la réalité.

Les récits littéraires de la crise d’Oka, ou de la résistance à Kanehsatake, peuvent contribuer à faire circuler des images et récits autres de l’événement, et, d’une certaine manière, à redéfinir ce que ce dernier a pu représenter. Comme l’a démontré Claudine Cyr à propos des célé- brations et des contestations du 500e anniversaire des Amériques en 19929, l’événement peut être réactivé et réinterprété de différentes manières, de sorte qu’il demeure ouvert à la transformation et à la négo-

9. Claudine Cyr, « Cartographie événementielle de l’Amérique lors de son 500e anniversaire », 371 f.

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IntrOductIOn 11

ciation tant et aussi longtemps qu’il est exprimé et rejoué. C’est ce qui se produit par exemple dans le recueil Voleurs de cause du poète québécois Yves Boisvert qui, avec les récits d’autres écrivains québécois et canadiens, fait l’objet du chapitre 6. Plutôt que de dessiner une figuration claire et évidente, Yves Boisvert brouille les pistes de manière à maintenir agissante l’indétermination de l’événement au fil des quelque quatre-vingts pages composant ce recueil inspiré de la crise d’Oka. Du côté autochtone, comme nous le verrons au chapitre 7, les récits littéraires mentionnant la résistance de 1990 participent d’une expression littéraire se concevant comme étant étroitement liée à la politique et à l’histoire. Si les mises en récit de l’événement tiennent de la fiction, elles constituent également une forme de résistance qui passe par le remaniement des représentations à partir d’un lieu d’énonciation autochtone. Plusieurs récits d’écrivains autochtones, pensons à ceux de Dan David, Lee Maracle, Douglas Raymond Nepinak et Richard Wagamese, mettent en scène une réacti- vation de liens familiaux et de récits partagés dans le contexte de l’événement, ce qui ne manque pas d’évoquer un paradigme relationnel.

Dans Taking Back Our Spirits. Indigenous Literature, Public Policy, and Healing, la chercheuse de la nation Métis Jo-Ann Episkenew envisage la prise de parole, qu’elle soit sur une tribune publique ou dans un récit littéraire, comme un acte relationnel qui permet de passer de l’isolement à des histoires partagées, conviant ainsi une communauté10. Le philosophe français François Flahault rappelle pour sa part dans son essai La méchan- ceté que le lecteur est coresponsable de ce que le récit met en scène, de sorte que c’est dans l’activité de lire que le récit s’actualise. Le propre du récit, précise Flahault, est de constituer un vécu partagé11. C’est dans cet esprit que ce livre souhaite contribuer à la construction d’un récit partagé, et ce, sans cependant oblitérer la réalité et la dureté des rapports de pouvoir propres au contexte colonial qui est toujours le nôtre.

10. Jo-Ann Episkenew, Taking Back Our Spirits, p. 15.

11. François Flahault, La méchanceté, p. 50-51.

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13

c h a p I t r e 1

La recherche comme site de tension

L’opinion publique a été profondément troublée par les événements survenus dans la région d’Oka à l’été et à l’automne 1990 : confrontation avec des Amérindiens armés postés derrière des barricades pendant 78 jours, fermeture du pont Mercier pendant quelque 55 jours, intervention des Forces armées canadiennes à la demande du gouvernement du Québec, situation extrêmement traumatisante pour les populations locales, et surtout, décès en service d’un policier de la Sûreté du Québec.

Bureau du coroner, Rapport d’enquête du coroner Guy Gilbert sur les causes et circonstances du décès de monsieur Lemay, 1995, p. 1.

C

omplexes et chargés d’émotivité, les conflits liés à la question du territoire renvoient au fondement même du colonialisme de peuplement au cœur de l’État canadien et de l’État québécois. Ils se trouvent à l’origine de sérieuses confrontations entre forces policières, manifestants autochtones et populations allochtones au cours de l’histoire canadienne récente. En constituent autant d’exemples les affrontements suscités lors d’interventions policières à Restigouche, au Québec, en 1981 ; à Gustafsen Lake, en Colombie-Britannique, en 1995 ; à Ipperwash, en Ontario, toujours en 1995, ainsi qu’à Caledonia, en Ontario, en 2006, et à Elsipogtog, au Nouveau-Brunswick, en 2013.

La crise d’Oka qui éclate en 1990 demeure sans doute le conflit territorial récent ayant le plus profondément marqué les relations entre les peuples autochtones et allochtones au Québec et au Canada. Dans les suites immédiates de l’échec de l’accord constitutionnel du lac Meech, le long siège armé de 78 jours concentre sur lui l’attention médiatique et rend visible une présence autochtone que les sociétés québécoise et canadienne croyaient pour ainsi dire évanouie. L’événement remet en

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14 La crIse d’Oka en récIts : terrItOIre, cInéma et LIttérature

question le statu quo et révèle une violence coloniale constitutive des rapports entre les peuples dans l’ensemble canadien. Il soulève des ques- tions politiques et juridiques évidentes en plus de s’inscrire dans un contexte culturel élargi qui incite à prendre pleinement en compte les diverses façons dont l’histoire et les histoires sont performées, utilisées, mises en scène et racontées. Tout en suscitant une forte polarisation des appartenances, la crise d’Oka, ou la résistance à Kanehsatake, crée un domaine partagé où se déploie le conflit.

Par sa facture, ce livre s’efforce de faire ressortir progressivement ce qui, dans cette crise politique, a poussé les sociétés québécoise et cana- dienne à constater que le statu quo n’allait pas de soi, mais relevait d’un rapport de pouvoir colonial qui naturalise l’ordre étatique dans le même temps qu’il efface les légitimités politiques des peuples autochtones. Ce livre reprend le processus de réflexion que j'ai enclenché lorsque je me suis heurtée aux divergences fondamentales d’interprétation dans les multiples références et sources documentaires liées à ce conflit territorial.

éTaT de La quesTIOn

La crise d’Oka suscite une importante production discursive et audiovisuelle faisant partie intégrante de l’événement et de ses suites.

Tout au long de l’été 1990, l’inquiétant et spectaculaire conflit armé donne lieu à une intense couverture médiatique : reportages télévisés en continu, bulletins d’information, journaux quotidiens et hebdomadaires, revues d’actualité, émissions de radio et tribunes publiques, sans oublier communiqués et conférences de presse, lettres, pétitions et affiches circu- lant dans différents lieux et réseaux. Chaque jour, le pays entier suit avec assiduité les chroniques de cet événement qui interpelle les populations locales autant que le public élargi. Pendant le siège et les mois suivant son dénouement, des historiques du différend territorial, des témoignages et plusieurs autres récits sont publiés. Ils constituent autant de prises de parole visant à rendre compte de l’événement, à relater et à symboliser ce qui a (eu) lieu.

De manière générale, l’événement est soumis à des procédures expli- catives qui obligent à le situer au moins schématiquement dans son contexte d’émergence, à déterminer son déroulement, à spécifier quel- ques-unes de ses incidences1. La plupart des reportages et des publications

1. Pierre Grégoire, Notion d’événement et plans de références, p. 167-186.

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Chapitre 1 • La reCherChe Comme site de tension 15

sur la crise de 1990 entament un effort en ce sens. Les rapports rédigés par les observateurs indépendants appelés sur les lieux du siège à l’été 1990 – pensons à ceux de la Commission des droits de la personne du Québec et de la Fédération internationale des droits de l’Homme – répondent à de telles procédures explicatives : ils situent le conflit dans son contexte élargi, puis évaluent la situation et les actions de ses différents acteurs à l’aune de la mission spécifique attribuée à leur organisme lors de la crise d’Oka. Le déclencheur du conflit armé, soit l’intervention policière du 11 juillet, appelle inévitablement à l’élucidation : la fusillade dans la pinède et la mort du caporal Marcel Lemay confèrent une aura de violence et de mystère à la crise politique.

De manière significative, toutes les parties directement touchées par l’intervention policière, soit le directeur général de la Sûreté du Québec, l’Association des policiers provinciaux du Québec, les municipalités du village et de la paroisse d’Oka, ainsi que les communautés mohawks de Kanehsatake et de Kahnawake exigent la tenue d’une enquête publique sur « les événements » du 11 juillet 19902. L’année suivante, le gouverne- ment du Québec ordonne la tenue d’une enquête publique à mission sociale et préventive visant à faire la lumière sur les causes et les circons- tances du décès du caporal Marcel Lemay. À la différence d’une enquête policière ou d’un procès civil ou pénal, la procédure de l’enquête publique

« n’est pas accusatoire ni contradictoire, mais inquisitoriale » (RC, 3).

Cela signifie que le coroner nommé par le gouvernement n’a pas pour mandat de désigner nominalement un coupable ni de distribuer les blâmes, mais bien de comprendre ce qui s’est passé dans le but précis d’éviter qu’un scénario semblable ne se reproduise.

Par ailleurs, l’événement en question étant un conflit armé ayant causé mort d’homme, les procédures explicatives auxquelles il est soumis tendent à le rapporter, à le situer et à l’évaluer sous l’angle du jugement et de la loi. Aucune accusation ne sera portée et aucun individu ne sera identifié comme responsable du tir fatal, de sorte que le décès du caporal Lemay ne sera jamais élucidé. Parallèlement à l’enquête du coroner, un procès pénal se tient au palais de justice de Montréal. Différents chefs d’accusation sont portés contre quelque trente-cinq militants autochtones présents derrière les barricades à Kanehsatake au cours du mois de

2. Québec, ministère de la Sécurité publique, Rapport d’enquête du coroner Guy Gilbert, 1995, p. 9. Les références à ce rapport seront désormais indiquées par le sigle RC et placées entre parenthèses dans le texte.

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16 La crIse d’Oka en récIts : terrItOIre, cInéma et LIttérature

septembre 19903. La Couronne porte des accusations de participation à une émeute, d’entrave au travail des agents de la paix et de possession d’armes à feu dans un dessein dangereux pour la paix publique. La défense envisage quant à elle le procès dans la perspective d’une lutte politique.

En plus de soutenir que les accusés n’ont commis aucun de ces crimes, la défense maintient que leurs actions étaient justifiées par la nécessité de protéger des terres qui leur appartiennent et par le besoin d’assurer leur sécurité contre les violations des droits de la personne commises par les autorités4. À l’issue de ce long procès, le jury rend un verdict de non- culpabilité sur tous les chefs d’accusation, verdict que des militants mohawks et leurs alliés décrivent, dans un communiqué adressé aux médias en réponse à cet acquittement, comme « une reconnaissance par le jury que les questions de territoire et de juridiction doivent se régler non pas devant un tribunal criminel, mais par une négociation de nation à nation entre le gouvernement canadien et la Confédération des Six Nations »5. Les délibérations et le jugement auxquels mène ce procès criminel soulèvent des questions politiques décisives qui se trouvent au fondement même du conflit territorial de l’été 1990.

L’événement, en plus de donner lieu à une enquête publique et à un procès, suscite de nombreuses interrogations politiques au sein même du cadre étatique. La requête déposée par le gouvernement du Québec auprès des Forces armées canadiennes en fonction de l’Aide au pouvoir civil suscite de nombreux questionnements. La part de responsabilité du gouvernement du Canada dans un conflit territorial ayant dégénéré en conflit armé demeure aussi au centre des interrogations. Pourquoi, par exemple, le gouvernement fédéral a-t-il attendu que le conflit dégénère à ce point avant d’intervenir ? Pourquoi n’a-t-il pas, comme le lui suggé- rait dès le mois de mars 1990 John Ciaccia, ministre délégué aux Affaires autochtones du Québec à l’époque, racheté le terrain disputé avant même que n’éclate la crise6 ? C’est en réponse à de telles questions qu’en 1991 le gouvernement fédéral met sur pied des audiences du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord (AANO) visant à comprendre la crise qui vient de bouleverser le pays. À l’instar de l’enquête du coroner, ces audiences visent à éclairer « [l]es enjeux

3. Un autre procès tenu au palais de justice de Saint-Jérôme s’est conclu par l’acquittement de l’un des accusés, Roger Lazore, et par la condamnation à des peines de prison des deux autres accusés, Ronald Cross et Gordon Lazore. Regroupement de solidarité avec les Autochtones, Le procès des Mohawks : non coupable, p. 8.

4. Ibid., p. 92.

5. Communiqué de presse cité dans Le procès des Mohawks : non coupable, p. 97.

6. John Ciaccia, La crise d’Oka : miroir de notre âme, 355 p.

Références

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