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Le renseignement, un débouché (enfin) prisé des jeunes diplômés

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Academic year: 2022

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TRIBUNE n° 416

Le renseignement, un débouché (enfin) prisé des jeunes diplômés

Jeune chercheuse et étudiante en Master 2 Affaires internationales. Institut d’études politiques de Bordeaux.

Aurore Bouvart

Une filière longtemps délaissée

Les services de renseignement français ont longtemps souffert d’un manque d’attractivité. Jusqu’à une récente période, la filière du renseignement n’était pas considérée comme une filière de « qualité » comparée à d’autres métiers de la fonc- tion publique et ne parvenait que difficilement à recruter parmi l’élite française.

De nombreux facteurs sont à même d’expliquer ce constat, à commencer par l’absence de développement d’une véritable culture du renseignement en France, tant au sein de l’opinion publique que parmi les autorités dirigeantes. Aujourd’hui, encore, le renseignement est connoté très négativement dans l’inconscient collectif national, pour lequel il est synonyme de tromperies, de viol des libertés publiques et de mauvais coups. Les origines de notre aversion culturelle pour le renseignement remontent loin dans l’Histoire. L’amiral Pierre Lacoste (directeur de la Direction générale de la sécurité extérieure de 1982 à 1985) considère ainsi que celle-ci tien- drait à la fois aux vicissitudes de notre histoire (auxquelles on peut rattacher plusieurs affaires d’espionnage qui ont profondément marqué l’opinion publique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale), aux particularités de notre peuple (un ancien repré- sentant de la France auprès de l’ONU attirait mon attention au cours d’un entretien sur le fait que les Français, francs par nature, aimaient jouer carte sur table), ou enco re aux carences traditionnelles de la société française (nous pratiquons plus que d’autres la rétention d’information à titre personnel et répugnons bien souvent à la partager au profit d’une administration, d’un service ou d’une entreprise) (1).

En outre, jusqu’à une période relativement récente, le renseignement n’était pas considéré par les jeunes diplômés comme un domaine dans lequel il était possible de « faire carrière », c’est-à-dire offrant de bonnes perspectives d’ascension professionnelle. Les contraintes et les sacrifices liés à l’exercice des « métiers du renseignement » n’étaient pas compensés par l’assurance d’une stabilité de l’emploi ni par la conviction de servir au sein d’organismes d’État concourant à la défense des intérêts de la nation. En d’autres termes, seuls les plus passionnés osaient se lancer dans une telle carrière, ceux-ci étant par ailleurs généralement dénigrés par leurs camarades de promotion.

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le nombre d’agents de renseignement recrutés sur les bancs d’Oxford ou de Cambridge.

L’ouverture des services de renseignement aux jeunes diplômés

La perception du renseignement en tant qu’activité « perfide et infamante » a connu une relative évolution au cours de ces vingt dernières années. À l’origine de ce changement, on trouve la conjugaison de plusieurs facteurs associant à la fois des réformes mises en place par l’État et le développement de nouvelles branches bénéficiant d’une forte attractivité parmi les jeunes diplômés.

En tête de ces réformes, on note l’accroissement et l’ouverture du recrute- ment des services de renseignement dans un but affiché de rajeunir et de diversifier les profils, avec un effort particulier en direction des grandes écoles et des universités conformément aux préconisations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008. Cette réforme concerne également les emplois contractuels, l’accent étant mis en priorité sur le recrutement de linguistes et de scientifiques. En effet, là enco re, le Livre blanc de 2008 suggérait de faciliter leur recrutement sur les plans financiers et juridiques. Concrètement, cette volonté d’ouverture s’est traduite par la mise en place d’une voie d’accès directe de l’ENA au corps des administrateurs de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), ainsi que par le recrute- ment depuis 2008 d’environ 700 personnes par ce même service. Il en a découlé une hausse de son attractivité auprès des jeunes diplômés, comme le prouve l’ac croissement annuel du nombre de candidats au concours d’attaché de la DGSE (en 2012, 398 candidats étaient inscrits au concours externe d’attaché pour 15 places disponibles). On notera à ce propos que les candidats au concours d’attaché pré sentent des profils variés puisqu’ils proviennent aussi bien de masters de rela- tions internationales, de droit et de finances que d’écoles de commerce, mais sont aussi souvent des cadres d’entreprises ou des détachés des ministères de l’Enseignement et de l’Intérieur. En outre, la DGSE propose chaque année entre 60 et 80 stages de fin d’étude à destination de jeunes ingénieurs, environ 80 % de ces stages se transformant par la suite en emplois au sein du service. On notera ici qu’il est plus difficile d’obtenir des chiffres illustratifs pertinents pour la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), l’intégration au sein de ce service nécessitant d’avoir réussi au préalable un des concours de la fonction publique tel que celui de commissaire ou d’officier de police.

Un second facteur explicatif du récent attrait pour la filière du renseigne- ment pourrait être la réforme de l’encadrement supérieur lancée en 2008 par Bernard Pêcheur (conseiller d’État et ancien directeur général de la fonction publique) et poursuivie par Pierre Pouëssel, l’actuel directeur de l’administration

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de la DGSE. Cette réforme a pour but premièrement de diversifier les perspectives d’évolution interne des fonctionnaires de catégorie A au sein des services afin de conforter leur motivation, et deuxièmement de rétablir la parité entre le corps d’encadrement supérieur des services de renseignement et le corps d’encadrement supérieur de l’État, les fonctionnaires des services de renseignement étant soumis à un statut autonome de la fonction publique qui était jusqu’à présent peu favorable à la mise en place de conditions de mobilités à la fois réciproques et attractives.

La création de ce nouveau statut des administrateurs, publié le 31 décembre 2010, et son alignement sur les évolutions récentes du corps des administrateurs civils qui devraient être publiées courant 2013, vont donc permettre d’accélérer les mobilités entrantes et sortantes – à noter que la mobilité externe a déjà connu une hausse de 40 % au cours des deux dernières années – favorisant d’une part l’implantation d’une culture mixte au sein des services de renseignement afin qu’ils comprennent davantage l’administration avec laquelle ils cohabitent au quotidien, et d’autre part de promouvoir l’image et la qualité de leur personnel.

Enfin, nous assistons depuis quelques années au développement de nou- veaux domaines séduisant particulièrement les jeunes diplômés, tels que les métiers liés à l’intelligence économique. À ce titre, force est de constater la récente multi- plication des écoles françaises proposant une formation en intelligence écono- mique, à l’instar de l’EGE, l’École de guerre économique. Il est ainsi intéressant de noter qu’en plus des élèves issus d’écoles de commerce et d’ingénieur, l’EGE recrute également des étudiants provenant d’Instituts d’études politiques ou d’universités de sciences humaines, ceux-ci étant certainement attirés par le taux d’emploi de 85 % dans les trois mois suivants la fin de formation dont se targue l’École (2). L’avènement d’une classe « d’administrateurs du renseignement » ?

De cette nouvelle donne découle une préoccupation qui se veut pertinente : face à la multiplication du recrutement de jeunes diplômés issus de formations de sciences politiques, de droit ou encore de commerce, ne risque-t-on pas à terme d’avoir à disposition une classe d’administrateurs du renseignement plutôt que de véritables agents de renseignement ?

Les élèves fraîchement issus des grandes écoles ou de l’université sont en effet généralement peu familiers avec le savoir-faire requis par l’exercice du métier d’agent de renseignement, tel que la mise en œuvre des stratégies d’influence, de contre-influence ou encore de désinformation. Ceux-ci présentent également un manque d’expérience indéniable et peuvent se révéler inaptes à traiter certaines affaires du fait qu’ils ne possèdent ni les connaissances théoriques nécessaires, ni le

« cadre de réflexion » adéquat.

Toutefois, chaque agent de renseignement doit se voir dispenser au préalable une phase de formation avant de réellement pouvoir exercer les activités liées à ses fonctions. Les services de renseignement proposent ainsi un cycle de formation à

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des hommes et des femmes exerçant une activité de renseignement. Actuellement, celle-ci accueille tous les six mois une promotion d’environ 80 jeunes cadres issus des six principaux services de renseignement * et propose des formations de haut niveau à une quinzaine d’agents « prometteurs », ainsi que diverses sessions théma- tiques qui regroupent les meilleurs spécialistes sur un sujet précis. Depuis sa création, les bancs de l’Académie ont ainsi accueilli pas moins de 700 stagiaires des différents services, favorisant par la même occasion le développement de liens entre les membres de la communauté française du renseignement.

* Les six services de renseignement

En France, les six services de renseignement reconnus comme constitutifs de la « communauté du renseignement » sont :

lla Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE),

lla Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI),

lla Direction du renseignement militaire (DRM),

lla Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD),

ll’agence de Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin),

lla Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).

De plus, le recrutement de jeunes diplômés de grandes écoles ou de l’univer- sité permet d’enrichir davantage encore la qualité du personnel des services grâce à l’apport d’un certain nombre de compétences propres à leur formation. En effet, ces personnes s’avèrent solidement outillées pour le traitement et l’analyse d’informa- tions, en particulier celles provenant de sources ouvertes, et font preuve de bonnes capacités d’appréciation du monde, notamment d’un point de vue géopolitique. Par ailleurs, celles-ci possèdent généralement une grande aisance avec les outils informa- tiques de même qu’avec les langues étrangères (les grandes écoles sont par exemple de plus en plus nombreuses à proposer une année de mobilité à l’étranger à leurs étu- diants). En définitive, les jeunes issus de ces formations présentent un profil diversi- fié susceptible de compléter celui des agents plus « classiques ». Le fait que les services de renseignement aient souhaité continuer à recruter au sein de ce vivier signifie sans nul doute que l’expérience s’est révélée concluante.

Le renforcement de la qualité des effectifs des services de renseignement engagé en 2008 à la suite des préconisations du Livre blancsemble être sur la bonne voie. Les réformes relatives au statut du personnel des services ainsi qu’aux mobi- lités interservices et interministérielles ont largement participé au développement de l’attractivité du renseignement auprès des jeunes diplômés. Le sentiment généra- lisé de défiance vis-à-vis des métiers du renseignement semble peu à peu s’estomper

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grâce à l’arrivée sur le marché du travail d’une génération moins au fait des scan- dales ayant entaché l’histoire de la Ve République. Ce constat optimiste ne doit cependant pas faire oublier le long chemin qu’il reste à parcourir avant d’être en mesure de nous prévaloir d’une véritable « culture française du renseignement ».

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Éléments de bibliographie

(1) Pierre Lacoste (dir.) : Le renseignement à la Française; Économica, 1998 ; 641 pages.

(2) www.ege.fr/index.php/la-formation-initiale/les-debouches.html.

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