• Aucun résultat trouvé

Anorexie mentale, une addiction au manque

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Anorexie mentale, une addiction au manque"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 8 - octobre 2016 228

Anorexie mentale,

une addiction au manque

Anorexia nervosa, an addiction to starving cues

Jean Vignau*

* Service d’addictologie, unité d’hospitalisation de jour des troubles du comportement alimentaire, CHRU de Lille.

R ésum é Summary

»

Le concept d’addiction est issu d’une approche transdiagnostique.

Fumer, boire et se droguer sont largement perçus comme relevant d’une problématique commune malgré leurs dissemblances sur les plans somatique, psychologique ou social. L’adjonction d’une entité nouvelle comme l’anorexie mentale (AM) gagne du terrain et soulève des questions sur ce qui caractérise en propre le processus addictif. Le plus petit commun dénominateur des addictions est un processus qui fait basculer un comportement initialement orienté vers un but rationnel dans la compulsivité où dominent les aff ects d’anxiété et de stress. Ce processus résulterait d’une cascade de changements neuroadaptatifs (neuroplasticité, recrutement de divers systèmes de régulation). Contrairement aux drogues, la restriction énergétique semble incapable d’initier directement cette cascade adaptative par une activation pharmacologique des circuits cérébraux dits “de récompense”.

Dans l’AM une étape préalable d’apprentissage est nécessaire, par laquelle un biais cognitif instaure une survalorisation des eff ets bénéfi ques de la minceur. La surestimation de la menace représentée par le gain pondéral sollicite de façon croissante les mécanismes de contrôle central conduisant à une appréhension de plus en plus négative de la nourriture, se traduisant par le passage à la compulsivité des comportements de restriction. L’AM, du moins dans sa forme typique, peut donc être légitimement considérée comme une addiction aux signaux du manque.

Ce modèle permet d’appréhender de façon plus pertinente certains aspects cliniques délicats (comme le “déni des troubles”) et d’affi ner les stratégies thérapeutiques (abord motivationnel, techniques d’exposition, remédiation cognitive, par exemple).

Mots-clés : Anorexie mentale – Addiction – Neurobiologie – Compulsion.

The concept of addiction is the result of a transdiagnostic approach. Smoking tobacco, drinking alcohol and taking drugs are widely regarded as related to a common underlying mechanism although they are quite dissimilar in their somatic, psychological and social manifestations. The growing evidence supporting the addition of Anorexia Nervosa (AN) to the list of the addictive behaviors raises the issue of what specifi cally differentiates addiction from other deviant behaviors.

Basically, addiction can be defi ned as the process by which a goal-oriented behavior turns into a compulsive one that is maintained under the pressure of negative aff ects (anxiety and stress). This process is the result of a neuro-adaptive cascade involving neuroplasticity and the recruitment of various regulation systems. Food restrictions that characterize AN do not share this rewarding property per se. A preliminary learning step is needed in order to create a cognitive bias leading to the overvaluation of the benefi ts related to body thinness. As a result, cues compatible with this biased way of thinking become rewarding for the individual and behaviours associated with a lowering of energy balance preventing weight gain are reinforced. Subsequent recruitment of central control completes to form a set of compulsive anorexic habits and establish a general aversive appraisal of food. AN, in its typical form, can therefore be regarded as an addiction to starving cues. This model provides a more accurate appraisal of some clinical aspects (e.g. denial of the illness) and therapeutics strategies (e.g. motivational approach, use of exposition therapy techniques, cognitive remediation).

Keywords: Anorexia nervosa – Addiction – Neurobiology – Compulsive disorder.

Considérer l’anorexie mentale

comme une addiction ne va pas de soi

nues. Ce revirement succède à plusieurs décennies durant lesquelles les données acquises, notamment sur le plan neuroscientifi que, semblaient plutôt divergentes,

1 Rejoignant ainsi, après quelques décennies, les positions jusqu’ici très isolées de la pédopsychiatrie.

Depuis quelques années, l’assimilation de l’anorexie mentale (AM) à une conduite addictive gagne du ter- rain 1 parmi les équipes de chercheurs les plus recon-

(2)

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 8 - octobre 2016 229 qui ont permis de bien établir le rôle central des pro-

cessus motivationnels et des circuits cérébraux dits “de récompense”. Pour l’AM, en revanche, les données sont moins fournies, et il reste de nombreuses zones d’ombre.

Divers dysfonctionnements de systèmes de régulation ont été incriminés, essentiellement ceux associés au contrôle de soi, à l’appétit et à la conscience intérocep- tive, ainsi que des désordres du schéma corporel et de la régulation des émotions. Si des anomalies des circuits de la récompense ont été mises en évidence dans l’AM, la plupart des auteurs soulignent qu’elles se distinguent de celles observées dans l’addiction.

De même, sur les plan clinique et thérapeutique, les profi ls des patients présentant respectivement une addiction aux SPA et des troubles anorexiques, ainsi que les approches et les dispositifs de soins communément employés pour les traiter apparaissaient jusqu’alors assez éloignés, contribuant ainsi à renforcer la distinc- tion en catégories.

Que dire enfi n des considérations sociologiques, oppo- sant la fi gure du “toxicomane”, de sexe masculin préfé- rentiellement, impulsif, amateur de transgression et de sensations fortes, guetté par la marginalité, à celle de la conformiste et pusillanime jeune fi lle “anorexique”, attirée par l’ascèse et le travail scolaire ?

Notons de façon préliminaire que l’addictologie, disci- pline très jeune encore, s’est bâtie sur fond de querelles passionnées entre les acteurs des divers dispositifs de soins préexistants. Fumer, boire et se droguer sont maintenant très largement perçus comme relevant d’une problématique commune, alors que personne ne songerait à confondre ces diff érentes pratiques de consommation dans leur réalité somatique, psycholo- gique ou sociale. Rapidement, les “addictions compor- tementales” se sont imposées comme un nouveau type d’addiction ne reposant pas sur la consommation de SPA. Le concept d’addiction est donc très largement issu d’une approche transdiagnostique. L’adjonction d’une entité nouvelle comme l’AM pose un certain nombre de questions sur ce qui caractérise en propre le processus addictif, et qui le distingue d’autres comportements.

Comment caractériser l’addiction ?

Dans les addictions aux SPA, un assez large consensus existe autour d’une théorie dominante ayant comme

tionnel :

La consommation impulsive ; les eff ets renforçant des SPA stimulent la neurotransmission des circuits de la récompense (dopamine et opioïdes) et leurs projections corticales, responsables d’aff ects agréables immédiats et d’un renforcement positif, qui conduisent secondai- rement à la formation d’habitudes de consommation (conditionnement stimulus-réponse) par le recrutement de structures sous-corticales ;

Le manque, qui met en jeu une partie du système limbique (amygdale élargie) projetant sur l’hypotha- lamus et le tronc cérébral, responsable d’aff ects de déplaisir et d’un renforcement négatif par l’activation de réponses comportementales et végétatives de l’an- xiété et du stress ;

Les préoccupations et de l’anticipation (craving), responsable notamment de la rechute après un arrêt prolongé de la consommation de SPA par le biais de la mobilisation de traces mnésiques et de représenta- tions mentales (eff ets attendus et risques encourus), ainsi que par le dérèglement des fonctions exécutives (réduction du contrôle inhibiteur, exacerbation de l’im- pulsivité).

L’addiction est ainsi conçue comme un processus résul- tant d’une cascade de changements neuroadaptatifs impliquant des phénomènes de neuroplasticité et le recrutement progressif de divers systèmes de régula- tion. Une fois installés, ces remaniements profonds du fonctionnement cérébral seraient responsables de la tendance au maintien durable des conduites addictives.

Sur le plan clinique, ils permettraient d’expliquer com- ment la recherche impulsive initiale d’eff ets agréables (c’est-à-dire orientée vers un but rationnel) bascule dans la compulsivité où dominent les aff ects d’anxiété et de stress conduisant à la poursuite de la consommation malgré des conséquences très largement négatives pour l’individu.

Ainsi, dans le cas des SPA, c’est la combinaison entre l’impulsivité facilitatrice de consommation et la compul- sivité secondaire qui apparaît déterminante du point de vue étiopathogénique. Et l’on conçoit facilement que les individus ayant une vulnérabilité particulière à l’impul- sivité soient les plus susceptibles de s’engager dans un processus d’addiction aux SPA. En d’autres termes, l’ad- diction est caractérisée par l’avènement d’une forme de compulsivité chez certains individus vulnérables (traits d’impulsivité dans le cas de la consommation de SPA).

(3)

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 8 - octobre 2016 230

Clinique du processus anorexique à la lumière de l’addiction

Au-delà des quelques divergences neurobiologiques rappelées plus haut, il est possible de faire un parallèle entre les dynamiques d’installation de l’addiction aux SPA et de l’AM. L’apparente spécifi cité des conduites addictives, qu’il s’agisse des troubles alimentaires ou des SPA, et ce qui les distingue fondamentalement d’autres troubles psychiatriques, réside dans le com- portement adopté, initialement orienté vers un but rationalisé, et ce n’est que secondairement que la per- sonne se retrouve piégée et en grande diffi culté pour faire marche arrière.

L’étude longitudinale des facteurs de risques proximaux montre ainsi que la pratique d’un régime alimentaire restrictif constitue l’élément le plus déterminant dans la survenue ultérieure de l’ensemble des troubles ali- mentaires (2, 3) . La valorisation de la minceur et du contrôle de soi par nos sociétés occidentales a été assez légitimement incriminée dans l’augmentation considé- rable de la pratique des régimes amincissants depuis un demi-siècle, et, de façon plus indirecte, de l’accrois- sement de la fréquence de l’AM dans les populations concernées. Dans une perspective d’addictologie, il faut souligner d’emblée que, contrairement à la consom- mation de SPA, le résultat visé n’est pas immédiat : la restriction alimentaire en elle-même semble peu à même d’induire un bénéfi ce renforçant, et observable en temps réel, au niveau des circuits cérébraux de la récompense. Bien au contraire, il s’agit, dans cette phase initiale, de mettre à contribution les capacités d’inhibition de l’individu afi n de ne pas répondre aux signaux pressants de la faim. Pareillement, l’impulsivité, associée à la recherche de bénéfi ces à court terme, ne peut constituer un facteur fragilisant de ces conduites restrictives. Rien d’étonnant à ce que les études géné- tiques indiquent que le facteur le plus signifi cative- ment associé au risque d’AM soit la présence de traits de personnalité où dominent l’anxiété, l’évitement et l’inhibition comportementale (4, 5) avec, dans les études familiales, une surreprésentation de la person- nalité obsessionnelle-compulsive parmi les parents de patients avec AM (6) .

Le self-control excessif, le perfectionnisme et la rigi- dité de la personnalité obsessionnelle-compulsive sont surreprésentés dans l’AM (7) et contribuent à la persé- vération dans la restriction, qui conduit à transformer le simple régime amincissant en un trouble tel que l’AM. En clinique, il est souvent possible de déterminer dans l’histoire de chaque patient le point de bascule marquant l’entrée dans la maladie et qui se caractérise

par une surestimation des bénéfi ces induits par la res- triction alimentaire. Cette erreur d’appréciation positive paraît d’autant plus irrationnelle qu’elle correspond souvent à l’apparition des premières perturbations liées à l’amaigrissement (arrêt des menstruations chez les fi lles, repli social, état émotionnel dysphorique) et des premières inquiétudes exprimées par l’entourage proche. Ces signaux de danger, qui auraient ordinaire- ment conduit à la prudence eu égard aux traits de per- sonnalité anxieuse préexistants, semblent au contraire renforcer la détermination de la personne, et cela même au prix d’une opposition parfois confl ictuelle avec ses proches. Le “coût”, en termes de risque pour l’équilibre personnel, est certes progressivement perçu par l’inté- ressé, mais ne semble pas le dissuader de poursuivre ses restrictions, dans une attitude que l’on désigne par le terme d’“égosyntonie”. Et lorsque d’aventure les pressions extérieures pour manger conduisent à une reprise contrainte de l’alimentation, on assiste à l’émer- gence de désordres émotionnels aigus à type d’anxiété diff use ou paroxystique, de stress ou d’un sentiment douloureux de culpabilité. La motivation a manifeste- ment changé de nature. Le parallèle avec l’entrée dans la compulsivité observée dans l’addiction aux SPA est frappant : le fonctionnement de l’individu est profon- dément modifi é, passant d’une conduite orientée vers un but à un comportement dicté en grande partie par le stress et l’anxiété.

Une approche transdiagnostique de la compulsivité

L’incapacité de cesser des comportements nocifs, qui est la marque des conduites addictives aux SPA, se retrouve pareillement dans l’AM (8) et peut être rapprochée d’autres constats cliniques indiquant une tendance commune à la compulsivité (9) . En particulier, certaines formes cliniques d’AM ne se limitent pas aux restrictions alimentaires et comportent aussi des actes compensa- toires tels que des vomissements survenant après les repas ou en réponse à une prise calorique excessive, des prises de laxatifs ainsi que les exercices physiques inappropriés dans leur durée ou leur intensité. Ces com- portements stéréotypés et ritualisés retrouvés dans l’AM comportent beaucoup de ressemblances avec les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), avec lesquels ils partagent une même fi nalité, à savoir la tentative de neutraliser une anxiété majeure liée à des pensées intrusives et envahissantes. On notera que TOC et AM se trouvent fréquemment associés dans l’histoire clinique d’un même patient.

(4)

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 8 - octobre 2016 231 Figure. Modèle d’implication du système de récompense dans l’AM.

Vulnérabilités prémorbides (par exemple, génétiques, personnalité obsessionnelle-compulsive, neurocognition, anxiété) ; Les conséquences physiologiques du stress (par exemple, liées aux événements de la puberté), associées à des facteurs émotionnels (par exemple, recherche de contrôle sur sa propre vie, contexte culturel valorisant les régimes amincissants) concourent à accroître la réactivité de la récompense induite par des comportements potentiellement pathologiques . Dans ce scénario, la répugnance à prendre du poids conduit à une appréhension négative des stimuli liés à la nourriture et aux sensations gustatives ; cela constitue le premier pas dans la pathologie, dans la mesure où l’accroissement de la transmission dopaminergique (DA) en réponse à des signaux compatibles avec le “mode de pensée anorexique” leur confère un eff et renforçant, et la saillance motivationnelle attribuée à ces signaux promeut l’installation de comportements anorexiques. À mesure de la progression de la maladie, l’activation du système dopaminergique de récompense induit des phénomènes d’apprentissage et provoque l’ancrage des comportements anorexiques dans les habitudes du sujet. Les préoccupations et comportements anorexiques font l’objet de multiples et divers biais cognitifs et d’automatismes.

Vulnérabilité prémorbide Ex. : profil génétique,

personnalité, style cognitif, etc. Formation

d’habitudes Création de biais cognitifs anorexiques

Hausse d’activité DA

= en relation avec des stimuli

anorexiques Apprentissage

associé à la récompense

Développement Maintien

Changements comportementaux Ex. : régime/restriction, excès

alimentaires/vomissements, exercices physiques

Récompense Réceptivité accrue à des

comportements potentiellement pathologiques

Contrôle central Résistance cognitive à la prise de poids, appréhension

négative de la nourriture Anorexie mentale Déclencheurs

Ex. : stress, baisse d’appétit Facteurs socio- émotionnels Ex. : renforcement culturel/social Facteurs physiologiques Activation DA par l’axe corticotrope

1

3

4

2 6

5

cérébral. L’état d’amaigrissement sévère et la malnutri- tion se sont révélés capables d’induire des modifi ca- tions notables dans la régulation des comportements.

Par exemple, dans les TOC et l’addiction aux SPA, la sous-alimentation favorise la formation d’habitudes comportementales par le biais de l’action du glucose et de l’insuline sur la décharge phasique de dopamine dans certaines structures sous-corticales impliquées

vers un but.

L’objet de l’addiction dans l’AM

Plusieurs modèles ont été proposés qui donnent une place très diff érente aux circuits de la récompense dans la physiopathologie de l’AM. L’enjeu de ces modèles est

(5)

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 8 - octobre 2016 232

d’établir ce qui est primordial dans cette maladie, qui la rapproche ou l’éloigne des addictions aux SPA. Dans une récente revue systématique des données neuro- biologiques de la littérature centrée sur l’implication des circuits de la récompense dans l’AM, C.B. O’Hara et al. (10) proposent un modèle intégrant les 4 hypo- thèses 2 formulées jusqu’à présent (figure, p. 231) . Ce modèle met en avant le rôle premier de la neu- rotransmission dopaminergique sous-corticale sur la récompense, de l’apprentissage de comportements pathologiques et de la formation d’habitudes plu- tôt que sur l’exacerbation du contrôle cognitif, par exemple. Il établit la possibilité pour certains signaux aversifs de devenir objets d’attrait par le biais de chan- gements neuroadaptatifs et le recrutement de diverses fonctions cérébrales. Il permet enfi n de comprendre la diversité des manifestations cliniques, issues d’ap- prentissages particuliers à chaque individu ou chaque contexte. En d’autres termes, ce modèle suggère que la valeur renforçatrice des restrictions alimentaires, entre autres, est acquise à l’issue d’un temps d’apprentissage spécifi que.

En eff et, sur le plan clinique, on note une grande hétéro- généité dans les préoccupations et les comportements anorexiques. On retrouve ainsi : l’obsession de la baisse du poids corporel, la dysmorphophobie portant sur la silhouette générale ou certaines parties spécifi ques du corps, la sélectivité alimentaire avec exclusion de certains aliments ou classes d’aliments sur la base d’une valeur calorique réputée élevée (gras et féculents), le chiff rage calorique obsessionnel des ingestats, le calcul de compensations caloriques journalier, l’évitement du repos et l’obsession de la dépense énergétique, la pratique de purges par vomissements ou prise de laxatifs, l’évitement de situations sociales où s’exerce une certaine pression alimentaire, etc. La combinaison de ces divers symptômes est particulière à chaque patient. Le point commun est le lien symbolique que ces derniers entretiennent avec une survalorisation des eff ets bénéfi ques de la minceur. Chacune de ces attitudes spécifi ques se révèle ainsi motivée par l’ob- tention d’un signal de manque énergétique, identifi é

comme positif car éloignant toute menace de prise de poids. L’AM, du moins dans sa forme typique, peut donc légitimement être considérée comme une addiction au manque.

Conclusion

L’intérêt majeur de la conception addictologique de l’AM est d’ouvrir des perspectives thérapeutiques nouvelles en rationalisant et en adaptant certaines approches anciennes tout en intégrant des techniques novatrices.

La plupart des travaux concernant la prise en compte de la motivation dans le traitement de l’AM, par exemple, ont été jusqu’ici fondés sur l’entretien motivationnel tel qu’il a été conçu et mené dans le traitement des addictions aux SPA. Les résultats sont globalement déce- vants dans l’AM (11) . Il serait intéressant d’adapter ces techniques au vu des hypothèses exposées plus haut, par la prise en compte en parallèle des biais cognitifs qui compromettent au départ toute évaluation ration- nelle de la balance décisionnelle. Encore trop d’équipes de soins court-circuitent purement et simplement la recherche de la motivation personnelle et de l’alliance thérapeutique et ont recours à la contrainte ou à des formes de pressions plus ou moins explicites. Le travail de rationalisation par des techniques de restructuration cognitive ou de psychoéducation doit donc être indis- sociable des tentatives de mobilisation des ressources motivationnelles de ces patients.

En ce qui concerne la réalimentation des patients atteints d’AM, il est possible de distinguer des objec- tifs très diff érents, en fonction bien entendu de l’état somatique de dénutrition ou de malnutrition, mais également dans une perspective d’expérience de

“sevrage” telle qu’elle est élaborée dans les addictions aux SPA. Ce qui est visé alors dans le programme ali- mentaire n’est donc pas la recherche d’un compromis sur les aliments les plus facilement acceptés, mais au contraire la remise en question des habitudes les plus rigides et des biais cognitifs qui les sous-tendent. Ces expériences s’apparentent alors à des formes d’expo-

2 Modèle anhédonique : l’AM est conçue comme résultant d’une réduction globale de la sensibilité à la récompense due à un système de récompense dopaminergique hyporéactif.

Modèle d’hypercontrôle cognitif : l’AM est conçue comme résultant d’une hyposensibilité aux signaux aversifs de la faim et de la nourriture, due à un excès de contrôle central cognitif et orientant le comportement vers des buts associés à l’évitement de la nourriture et à la perte de poids.

Modèle de contamination de la récompense : l’AM est le résultat d’une confusion induite par l’engagement dans des comportements de restriction de nourriture ayant paradoxalement acquis un eff et renforçant ; il se produit un chevauchement des circuits de récompense et d’aversion au niveau du noyau accumbens.

Modèle d’apprentissage et de formation d’habitudes : le maintien de l’AM repose sur l’émergence de biais cognitifs et l’apprentissage de comportements aberrants.

(6)

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 8 - octobre 2016 233 J. Vignau déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

1. Koob GF, Volkow ND. Neurocircuitry of addiction.

Neuropsychopharmacology 2010;35(1):217-38.

2. McKnight Investigators. Risk factors for the onset of eating

disorders in adolescent girls: results of the McKnight longitu- dinal risk factor study. Am J Psychiatry 2003;160(2):248-54.

3. Striegel-Moore RH, Bulik CM. Risk factors for eating disorders.

Am Psychol 2007;62(3):181-98.

4. Wagner A, Barbarich-Marsteller NC, Frank GK et al.

Personality traits after recovery from eating disorders: do subtypes diff er? Int J Eat Disord 2006;39(4):276-84.

5. Lilenfeld LR, Wonderlich S, Riso LP, Crosby R, Mitchell J. Eating

disorders and personality: a methodological and empirical review. Clin Psychol Rev 2006;26(3):299-320.

6. Degortes D Zanetti T, Tenconi E, Santonastaso P, Favaro A.

Childhood obsessive-compulsive traits in anorexia nervosa patients, their unaff ected sisters and healthy controls: a retros- pective study. Eur Eat Disord Rev 2014;22(4):237-42.

7. Pinto A, Steinglass JE, Greene AL, Weber EU, Simpson HB.

Capacity to delay reward diff erentiates obsessive-compulsive disorder and obsessive-compulsive personality disorder. Biol Psychiatry 2014;75(8):653-9.

8. Zink CF, Weinberger DR. Cracking the moody brain: the

rewards of self starvation. Nat Med 2010;16(12):1382-3.

9. Godier LR, Park RJ. Compulsivity in anorexia nervosa: a

transdiagnostic concept. Front Psychol 2014;5:778.

10. O’Hara CB, Campbell IC, Schmidt U. A reward-centred

model of anorexia nervosa: a focussed narrative review of the neurological and psychophysiological literature. Neurosci Biobehav Rev 2015;52:131-52.

11. Rieger E, Touyz SW, Beumont PJ. The Anorexia Nervosa

Stages of Change Questionnaire (ANSOCQ): information regarding its psychometric properties. Int J Eat Disord 2002;32(1):24-38.

12. Tchanturia K, Lounes N, Holttum S. Cognitive remediation

in anorexia nervosa and related conditions: a systematic review.

Eur Eat Disord Rev 2014;22(6):454-62.

13. Klump KL, Bulik CM, Kaye WH, Treasure J, Tyson E. Academy

for eating disorders position paper: eating disorders are serious mental illnesses. Int J Eat Disord 2009;42(2):97-103.

R é f é r e n c e s

conçoit alors que les approches adjuvantes visant au retour d’une certaine fl exibilité mentale, à savoir, les techniques de remédiation cognitive, y auront toute leur place (12) .

de chronicité et, pour cette raison, continue d’être asso- ciée à une mortalité majeure ainsi qu’à une morbidité somatique, physique et sociale parmi les plus élevées des troubles psychiatriques (13) . ■

Cet ouvrage situe la juste place de la nutrition dans l’arsenal de la prévention et de la thérapeutique avec l’idée directrice que, bien se nourrir, c’est prévenir et se soigner.

ll met en avant le rôle clé que joue l’alimentation dans le bien-être, la prévention et le traitement de nombreuses maladies chroniques ou plus spécifiques.

La partie Nutrition préventive fournit en effet les clés de compréhension et de mise en place d’une alimentation saine et équilibrée, la partie Nutrition thérapeutique décrit, quant à elle, les outils nécessaires pour l’évaluation et l’assistance nutritionnelles adaptées à certaines pathologies chroniques.

Ce livre, qui propose une approche globale résultant de l’état des connaissances scientifiques et médicales actuelles, s’adresse à tout professionnel de santé concerné par l’équilibre alimentaire et l’adaptation nutritionnelle.

Jean-Michel Lecerf est chef du service de nutrition à l’Institut Pasteur de Lille, et praticien au CHRU de Lille, dans le service de médecine interne.

Jean-Louis Schlienger est professeur émérite de médecine interne et de nutrition à la faculté de médecine de Strasbourg, ancien chef de service de médecine interne et nutrition au CHRU de Strasbourg.

Jean-Michel Lecerf, Jean-Louis Schlienger

Éditions Elsevier Masson, 352 pages, 29,50 €.

préventive et thérapeutique

N U T R I T I O N

Références

Documents relatifs

[r]

[r]

L’anorexie mentale n’est donc pas le symptôme d’une autre maladie comme l’hystérie, la psychose, un état limite ni même une dépression… Mais il s’agit d’un.. syndrome

Mais ne vous y trompez pas : quand bien même vous iriez le lui chercher à 600 km de chez vous, elles ne le mangeraient pas ; elles y poseraient leurs lèvres sans doute, en

The second type is where the intervention is applied at the individual level, but where the aim is to reduce transmission in the community as a whole, again requiring assessment on

Même si cette forme de théâtre peut être bruyante et consommatrice de beaucoup d’énergies pour l’enseignant, elle permet de faire une forme

 A risque hémorragique élevé et fonction rénale normale, la prise de la dernière dose se fait à -2 jours comme pour le risque hémorragique faible mais la reprise du traitement

Not surprisingly and in a similar way to the Horndeski lagrangians for a scalar field, the generalized Proca interactions can also be fur- ther extended to the case of more